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15/04/2013

Création et liberté

« J’ai quitté la société il y a trente ans pour être libre et le seul territoire où la liberté ait encore un sens est celui de la création. » (Jean-Pierre Raynaud, artiste assembleur)

Oui, sans doute, beaucoup s’étonnent de la profusion de créateurs artistes en cette transition de début du siècle. Les plus grandes manifestations françaises d’art contemporain, dont la FIAC et Art Paris, montrent une quantité de créateurs en tout genre. Il faut du temps pour y trouver de véritables œuvres artistiques. Nombreuses sont celles dont le seul intérêt est la provocation ou même la laideur. Mais au détour d’un stand, vous vous trouvez devant une création pleine de vie et de beauté.  Ne dissertons pas sur la beauté. Ce qui compte aujourd’hui, c’est la création et la liberté de créer.

J’aime assez la définition, concernant la liberté, du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : État d'une personne ou d'une chose dont l'action ou la manifestation ne rencontre pas d'obstacle. Cette vision de la liberté se rapproche par l’esprit de la création. L’artiste est celui qui ose et qui échoue ou qui triomphe. Et il remet en cause sa liberté de créer à chaque nouvelle œuvre. Ce n’est que lorsqu’il se copie lui-même qu’il cesse d’être un artiste pour devenir un fantoche médiatique. Certains le recherchent dès le départ. Ils ont trouvé une idée, l’exploitent à fond, font des pieds et des mains pour se faire connaître, faire parler, écrire sur eux.

Le vrai artiste est un homme libre dont la seule liberté est le pouvoir de créer.

14/04/2013

Le bonheur

Un ver de terre sort du sol
S’est-il rompu le cou pour la vacuité
Ou découvre-t-il l’absence de souci ?

Il chemine sur la surface
A la frontière de l’inconnu
Quelle ivresse et quelle arrogance !
Comment ce misérable vermisseau
Peut-il tout seul goûter le bonheur ?

Et contrairement à l’idée que l’on s’en fait
Ce n’est pas la satiété qui le réjouit
Mais le vide indolore de l’air
Plus d’exercices et d’efforts

Je vais et viens comme je l’entends
Exerçant mon autocritique pleinement
Et cela me procure un allégement
Qui me donne un frisson élégant

Le bonheur, n’est-ce pas cette goutte d’ivresse
Au creux des courbes du corps
Ce chatouillement inédit qui prend le rein
Cette absence de raison raisonnable
Qui ouvre les portes du paradis

Alors je déploie mes ailes
Et part loin de tous
Vers des horizons ignorés
Là où rien ne limite
Cette aspiration  à être

13/04/2013

Judith Albarès, roman de Simone Jacquemard

Etrange figure de femme apparemment que cette Judith qui, dans sa ma13-04-13 Judith Alabarès.jpgison d’Arvelinghen, dans les dunes au bord de la mer, garde comme une proie le jeune Nicolas Servain à peine sorti de l’adolescence et qu’elle a arraché par la ruse à sa jeune amie. Judith a plus de quarante ans. Qu’a été sa vie pour la rendre ainsi « amoureuse de l’amour dans le trouble de ses commencements » ? Et où la conduira cette quête forcenée ?

Pas à pas, à travers la mémoire de Judith, nous parcourons le chemin qu’elle a suivi depuis ce jour où, adolescente elle-même, elle a fait sur la place la rencontre d’un garçon de son âge, ce Romain Brienne, qui l’a révélée à elle-même et dont le souvenir, aussi profondément enfoui qu’il soit, ne cessera de la brûler. Philippe Estavayé, Claude Gombert, Ugo Scharfenberg et tant de jeunes inconnus poursuivis à grand risque, à travers le scandale toujours prêt à éclore et la honte pressentie et l’émerveillement renouvelé, autant d’étapes vers l’abîme où lucidement elle va se jeter.

 

« Simonne Jacquemart est née à Paris en 1924. Elle a passé son enfance dans la baie de Somme. Elle suit des études de grec à la Sorbonne, études qu’elle reprendra au fil des années. Très tôt elle se passionne pour les arts : le piano, dès l’âge de 5 ans, la guitare classique, la danse indienne, le flamenco. Elle donnera des spectacles à Paris, Bordeaux, Sens, Chinon et à Cordes (Tarn) pour les fêtes médiévales de 1982 à 2000.

Elle s’intéresse également au tissage, dont elle a une longue pratique, et à l’ornithologie au quotidien. Elle élève des chevaux arabes et anglo-arabes depuis 1968, ainsi que des chèvres alpines chamoisées. Pendant dix ans, elle vit en intimité avec vingt-cinq renards, souvent nés à la maison, pour l’étude scientifique et l’apprivoisement. Elle cultive la marche à pied en solitaire, sac au dos, à travers toute la France.

En marge de toutes ces activités, elle a publié depuis 1945 une cinquantaine d’ouvrages : romans, nouvelles, récits, essais, poésie, traductions. Elle a obtenu différents prix littéraires dont le prix Renaudot, en 1962.

Elle vit, depuis près de vingt ans, dans le Périgord, avec l'écrivain, peintre et naturaliste Jacques Brosse, décédé le 3 janvier 2008. »

(source : http://www.arfuyen.fr/html/ficheauteur.asp?id_aut=1197)

 

12/04/2013

La petite chartreuse, roman de Pierre Péju

Deux destins marchent l’un vers l’autre. Une petite fille perdue qui attend sa maman et un libraire, Etienne Vollard, ours mal léché, qui conduit sa camionnette : six cents kilos de ferraille, deux cent kilos de livres, cent dix kilos de Vollard, bref une tonne de choses mécaniques, humaines et littéraires. (…)13-04-12 La petite Chartreuse.jpg Vollard voit successivement  le petit anorak rouge, la pâleur, la terreur soudaine dans deux yeux immenses, démesurés, deux yeux incrédules plongeant dans les siens. Longtemps il restera persuadé d’avoir nettement distingué ce visage à travers le pare-brise, un visage d’enfant qui n’était séparé de sa vieille tête à lui que par l’écran transparent contre lequel il se brisait.

Il n’est pas responsable. L’enfant s’est jeté sous ses roues. Mais il ne peut s’empêcher de penser à sa victime.

Alors il va la voir à l’hôpital, un corps environné de tuyaux, avec une mère, Thérèse, qui fuit sa fille, inefficace. Il va la prendre en charge, cette Eva qui est dans le coma. Il lui parle dans le creux de l’oreille. Il lui raconte ses histoires de livres. Il lui récite des livres entiers. Il abandonne sa librairie à son assistante et passe des jours entiers près d’elle.

Bientôt Eva put quitter l’hôpital. Habillée de neuf, elle ressemblait à n’importe quelle petite fille, yeux noirs, duvet noir. (…) Elle ne disait rien, absolument rien, mais elle ne paraissait pas en éprouver le besoin.

Thérèse fuit, une fois de plus, et signe les papiers autorisant Vollard à s’occuper de sa fille qui se trouve maintenant dans une maison de santé de la Chartreuse. Celui-ci y va et fuit lui aussi. Il n’a pas le courage d’affronter cette chose pétrifiée. Il reviendra pourtant. Ils partent dans la campagne de la Chartreuse, dans ses bois, ses massifs, ses rivières. Et il  raconte ses livres. Pour Vollard, Eva devenait la petite chartreuse. Silencieuse sans en avoir fait le vœu. La très pâle moniale. L’enfant cloîtrée. L’enfant privée de voix et de joie, privée d’enfance. Mais au fil de ces errances dans la Chartreuse, bizarrement, ce n’était pas le poids écrasant et absurde de l’accident que Vollard ressentait en compagnie de la petite fille, mais un inexplicable allégement, un soulagement, un apaisement dû à ce rituel de marche lente, de silence, de contemplation de choses infimes. Comment un si petit être, émettant si peu de signes, pouvait-il lui donner cette impression de discret équilibre, de nécessité fragile, mais heureuse ?

Un beau livre, discret, réfléchi, qui parle de cet amour entre le libraire et sa victime et qui conduit malgré tout à une fin terrible des personnages, comme si inéluctablement leur destin se poursuivait jusqu’à l’anéantissement.

11/04/2013

Les voisins de dieu, film de Meni Yaesh

C’est un film ambigu : que veut le réalisateur ? Dépeindre les petites frappes d’une banlieue de Tel Aviv qui font la loi dans leur quartier à coup de battes de base-ball, ou montrer le passage de la violence à la vie et de la jeunesse à l’âge adulte, par la naissance du sentiment amoureux. 13-04-10 Les voisins de Dieu.jpg

Il nous plonge dans une communauté religieuse qui entretient des rapports troubles avec la religion. Fondés sur des slogans bibliques, la haine des autres la conduit à des comportements aussi barbares que ceux des islamistes radicaux. Dans le cœur de l’un des plus extrémistes surgit la flamme de l’amour qui va modifier son attitude : Miri, jeune fille moderne, conquiert le cœur d’Avi. La haine et la fausse virilité sont balayées par des sentiments qui dépassent le héros. Va-t-il poursuivre dans ses résolutions de pourfendeur de Yahvé ou être contraint de changer sa vision des choses ?

On ne sait si c’est un bon film : des scènes dignes de nos banlieues, des personnages haut en couleurs et en lâcheté jusqu’au moment où Avi, pour ne pas se parjurer, tire à côté de l’arabe qu’il tient dans sa ligne de mire. La vie l’emporte sur la fausse morale, l’amour sur le ressentiment.

Les machos ont perdu une brebis. La bête est devenue homme. Mais le sujet fait-il un bon film ?

10/04/2013

Rêverie

Le dimanche se perd dans l’aquarium
Dont la solitude verte
Fait aux fenêtres dorées
Une rosée de pleurs

L’avenue bordée de pieds ronds
S’enfonce, infinie et chaude,
Vers la porte qui ne mène nulle part
Large tapis qui s’allonge, rigide

Les êtres s’étirent doucement
Vers trois coins opposés
Puis se laisse bercer
Par les vagues de leur lit

Parfois le soleil étale ses rayons
Jusque dans l’aquarium
Et cherche à détruire
Les ombres et la quiétude de l’air

Zébrée d’auréoles blondes
La cire ronronne et languit
Et des visages sans voix
Fuient leur cruelle engeance

L’aquarium émet des sons étranges
Rires alourdis de mains ouvertes
Où chaque doigt cache
Un souffle de fumée

Les lits ouvrent leurs bat-flancs
À des jambes solitaires
Qui glissent dans leur ombre
Vers de longs tabourets

Et ceux-ci campés fièrement
Sur quatre pieds aux pattes décharnées
Offrent leur solitude
Au monde de chaleur

Une rangée de hallebardes
Dresse leur cache-flamme
À la brume prisonnière
Qui s’y attarde gaiement

Le soleil aussi semble profiter
De leur miroir d’huile
Pour caresser doucement sa longue chevelure d’or

Univers clos
Monde parmi le monde
À la recherche d’une âme
Dans les brumes de son corps

09/04/2013

Silouans Song, composée par Arvo Pärt

ttp://www.youtube.com/watch?v=_hUEKapz9cE

 

 

Ce n’est pas de la musique religieuse, destinée à accompagner une cérémonie. Mais c’est certainement de la musique sacrée, au sens où elle vous transforme et devient preuve du numineux. Composée pour un orchestre à cordes en 1991, elle s’insinue en vous et contraint à l’écoute, au calme, à la méditation. C’est bien un chant qui naît dans la cathédrale intérieure de votre être. Il est ténu, presqu’inaudible parfois, envahissant à d’autres moments. Il va finir sans qu’on s’en aperçoive. Il se poursuit en écho et résonne en vous bien après s’être arrêté. Il vous laisse le silence, un vrai silence intérieur, comme celui de la neige qui tombe sans bruit dans la forêt.

Arvo Pärt est vraiment un grand compositeur dont l’inspiration profondément spirituelle conduit à une musique prophétique. Il s’inspire ici du Staretz Silouane, moine du Mont Athos. Mon âme languit après le Seigneur… Et toutes les nuits, Silouane cherchait celui-ci dans le silence de sa cellule.

08/04/2013

Jardin des serres d’Auteuil : voyage équatorial

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Ce jardin date de Louis XIV qui le fit construire en 1761. Organisées autour d’un parterre à la Française, cinq serres donnent sur cet espace dégagé.

 

Malheureusement, le boulevard périphérique l’ampute d’un tiers en 1968. Le projet d’agrandissement des stades de Roland-Garros le remet en cause P1010129.JPGà nouveau.

Que deviendront les collections de plantes rares (plus de 6000 végétaux organisés en collections thématiques) ? Et démolira-on les deux pavillons aux portes curieusement chinoises pour faire place au sport lucratif ?

 

Hier, promenade dans les jardins et visite des serres, chaudes, encombrées, parfois fermées, toujours impeccablement tenues. Au dehors l’air est frais. Vous entrez dans une serre et vous vous sentez serré (logique, n'est-ce pas?),P1010005.JPG voire oppressé, par la moiteur étouffante de plantes qui vous narguent : « Entre si tu le souhaites dans notre antre, mais tu restes un étranger qui n’a droit à aucun mouvement intempestif ! » Elles foisonnent ces plantes. Elles semblent s'être développées au-delà des limites possibles, envahissant leurs supports, se mélangeant les unes aux autres, exhumant des senteurs sourdes et occultes qui font monter au cerveau le souvenir d’une vie végétative et tenace, celle des premiers hommes emprisonnés dans les forêts primaires.

 

P1010018.JPGLa grande serre, majestueuse, dresse ses arceaux de fer et de verre sur les carpes du Japon qui baignent dans l’eau trouble d’un bassin : rencontre en un point des trois dimensions où la vie s’écoule au rythme des battements de queue. Une vraie forêt vierge, mangrove miniature aux racines entrecroisées. Vous êtes happé par la mP1010036.JPGarée végétale qui envahit votre espace vital. Vous ne respirez plus. Vous devenez plante !

Sous la grande verrière, le palmier déploie ses membres en arabesque. Celle-ci semble grandir avec l’arbre.

 

Un jardin zen, dans une autre chapelle (c’est ainsi que sont P1010056.JPGbaptisés certaines serres. Pourquoi ?), amoureusement ratissé, vierge de prolifération, insolite dans cet envahissement de feuilles, troncs, racines et senteurs. On y respire avec aisance, on s’y promène avec charme, on admire cette luxuriance organisée qui laisse place au vide créé pour mieux l’admirer. Le minéral côtoie le végétal. C’est un plus appréciable !

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La chapelle des orchidées : choyées, elles vous accueillent tendrement, sous leur meilleur jour, dans la lueur diffuse des brumes du soleil levant. Oui, vous êtes bien sur une autre planète, sauvage et inquiétante.

 

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En un instant, vous suffoquez. Trop, c’est trop ! Quel envahissement. Vous mangez la verdure, elle pénètre dans vos poumons, elle vous entoure de ses bras puissants, elle entre dans votre système olfactif, elle obstrue votre système auditif, elle trouble votre vision de gouttelettes qui coulent le long des vitres. C’est assez, sortons !

 

Vous vous retrouvez dehors, décalé, perdu, refroidi, respirant à grandes ventilations un air pur malgré les voitures qui passent à proximité du parc. Quelle drôle d'échappée sous d’autres horizons !

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07/04/2013

Imbroglio

Construction invraisemblable, mais qui trouve son équilibre en elle-même. Elle suffit au regard et donne un contentement simple, mais réel. Elle flotte dans le vide sidéral car aucun environnement ne peut la combler. Pure création de l’esprit, elle s’épanouit seule.

 

 

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06/04/2013

Ecume

L’écume des nuages dans les flots
Secoués de tremblements

L’écume de chaleur des chevaux
Après une course effrénée

L’écume de colère que profère
Celui qui noue la violence

L’écume des individus méprisables
Qui portent leur aigreur rentrée

L’écume de mer des pipes
Dont la magnésite se culotte

L’écume de l’épileptique
Prenant par surprise l’humain

L’écume de terre de l’aphrophore
Protégée par son crachat de coucou

L’écume de résidus de la chauffe
Regorgeant d’impuretés

L’écume des jours, de littérature
Emportée par le déclin du temps

Toutes ces écumes sont-elles
Signe de vie ou de mort
L’écume n’est-elle qu’une éphémère
Excroissance de renoncement
Ou preuve de résurrection ?

L’écume des mots seule
Peut le dire en bulles
Et pétillements sauvages
Sortant de la bouche d’innocents
Frêles, vierges et extasiés

 

poème,écriture,poésie,littérature

05/04/2013

Un garçon en l’air, roman de Didier Martin

Raphaël, le narrateur, vole. Non ce n’est pas un voleur. Il vole réellement comme un oiseau, mais sans battre des ailes. On pourrait dire qu’il lévite, mais la lévitation ne permet pas de se déplacer dans13-04-05 Un garçon en l’air, Didier Martin.jpg les airs. Il le peut. Il le fait depuis sa tendre enfance.

A l’école, il rencontre François qui vole également. Et il vole mieux, de manière plus décontracté, comme si cela était naturel chez lui. François envisageait le vol d’une tout autre façon que moi. A vrai dire, il avait des idées sur la question. Il en regorgeait même, fussent-elles négatives, tandis que j’en étais entièrement dépourvu, du moins jusqu’à son apparition au-dessus de la cour de l’école. Mais tout ce qu’il me disait depuis ce jour-là me trouvait réticent : je volais par plaisir et lui par habitude ; je tenais le vol pour une sorte de supériorité, et lui pour un mauvais tour que le sort lui avait joué ; je croyais de tout mon cœur à une raison profonde et encore secrète d’être pourvu d’un don qu’il regardait comme une absurdité de la nature.

Un jour, François lui donne rendez-vous pour le lendemain. Il va voler devant quelqu’un qui ne vole pas et qui ne peut pas le voir. Et il explique les raisons : disons qu’ils ne peuvent pas en croire leurs yeux. C’est trop fort pour eux, tellement fort que cela n’existe pas. Pour ceux qui ne croient pas en Dieu, Dieu n’existe pas. Et ils volent devant la mère de François sans que celle-ci s’en rende compte. Plus tard, ils constatent dans les jardins du champ de Mars qu’il y a d’autres êtres volants qui les environnaient.

François lui présente Catherine, l’amie d’une amie et Raphaël en tombe amoureux. Mais il ne lui dévoile pas son secret. Bientôt, c’est l’alternative : Catherine ou le vol. Après bien des péripéties, il lui préfère le vol et Catherine repart. Elle épousera un homme normal. Et lui : Je volerai tous les jours. Je peux voler n’importe où et n’importe quand désormais : cela n’a aucune importance et ne présente aucun risque, plus aucun risque. Dès demain…

Quel beau roman dans lequel le fantastique côtoie la réalité sans que jamais on ressente un instant de gêne.

04/04/2013

A Paghjella di l’impiccati, chant corse par le groupe A Filetta

Le chant corse est avant tout un chant de tradition oral, sans partition écrite, à la manière du Moyen-Age ou des chants populaires de Bulgarie. Les familles se rassemblaient et chantaient spontanément, établissant un lien social ou même sociétal très fort. Il y avait des chants pour toutes les occasions de la vie en société et chaque famille avait sa manière de chanter. Mais la multitude des enregistrements a tué cette spontanéité qu’il convient maintenant de retrouver. Comme l’écrivait Félix Quilici en 1962 : «Une chose est certaine, c’est que, de nos jours, la source musicale est à peu près tarie car la véritable tradition orale est devenue presque impossible, tant sont abondantes, variées et accessibles les sources d’information remaniées. »

Le groupe A Filetta est né en 1978. Pour eux, « la pratique de la polyphonie est absolument liée à l’établissement d’un lien social. » Le chant corse est une musique de partage. On chante ensemble comme on mange ensemble. Le chant devient complicité.

« Chanter c'est, aussi et peut-être surtout, dire tendrement des choses puissantes et puissamment des choses tendres.

Notre chant est de pierre et d'eau. Dans ses plis et replis, dans ses arcanes, il épouse les contours de l'âme de ce rocher tumultueux qui nous a engendrés.

Notre chant est un chant qui consacre la mémoire, il est aussi un chant qui prône l’ouverture, l’accès à l’autre. Surtout, il traduit le besoin profond de n’être que ce que nous sommes, mais à l’être pleinement, sans complexes, en authenticité et généreusement. Pas en essayant d’en faire un sanctuaire. Le sanctuaire, cela sent déjà la mort. »

(source : http://cguelfucci.free.fr/Html/afiletta.htm)

Maintenant place à ces chants forts, virils, humains et tendres, émouvants, intimes. N’écoutez que celui-ci si vous le voulez, mais écoutez-le jusqu’au bout, non pour les chanteurs, mais par respect pour la tradition du fond des âges et pour la beauté simple de l’improvisation si profondément authentique.

 

http://www.youtube.com/watch?v=FU-wBJ4r3f0&feature=related


 

 

 

03/04/2013

Art Paris (28 mars au 1er avril 2013)

Le temps du week-end de Pâques, de nombreuses galeries se sont données rendez-vous au grand palais. Assez semblable à la FIAC, Art Paris Art Fair « affirme son identité singulière de foire européenne orientée vers la promotion des scènes de l’Est (Europe Centrale et Orientale, Moyen-Orient et Asie). Avec 74 nouvelles participations, 20 pays représentés et 43% de participation étrangère, la sélection 2013 est profondément renouvelée et internationale. » (source : http://www.artparis.fr/fr/)

Mais au fond, relisez l’article sur la FIAC (voir note du 21 octobre 2012), l’impression est la même. Cherchons donc le mouton à cinq pattes. Il y en a et pas tous de la même famille.

 

Jean-Pierre Le Bars :

Art concret, géométrique, abstrait. Ce qui différencie Jean-Pierre Le Bars des autres peintres cinétiques tient aux supports qu’il utilise. Ce ne sont pas de simples toiles, mais un ensemble toile-relief élémentaire qui se fond dans la géométrie du tableau.

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Il a réalisé ces premiers supports en 1996. Il aime l’incertitude  que donne le mélange de la troisième dimension et de la géométrie constituée de formes rectangulaires qu’il affectionne. Alors il construit des séries homogènes composées de contrastes, de vides et de pleins, la plupart du temps verticales, comme un découpage organisé de l’espace, reproduction sans lassitude d’éléments répétitifs très simples.

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Certains s’en lasseront vite. Mais il y a le charme de la symétrie, la simplicité de l'organisation du tableau et des formes reproduites, le repos que chaque œuvre procure d’abord au regard, puis à l’impression ressenti et enfin à l’esprit. Insolite, n’est-ce pas, cet appel au noir dans l’opposition des deux autres couleurs !

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Ce peintre a exposé lors des journées d’Art Paris et il expose également à la galerie Vieille du Temple, 23 rue Vieille du Temple, 75003 Paris.

02/04/2013

Inexorablement, se déversent du ciel

Inexorablement, se déversent du ciel
Les gouttes d’une froide solitude
Le temps s’est divisé, recroquevillé
En nuages noirs et denses
Comme les bourres de poussière
Sous les meubles de votre passivité

Autour de vous, au pied de votre île
L’eau monte en écume blanchâtre
Et file sous vos yeux inquiets
Elle atteint sa côte d’alerte
Et envahit votre esprit occupé
Jusqu’à faire dériver vos pensées

Les gouttes sont devenues flots
Les flots deviennent fleuves
Les fleuves emplissent l’immensité
Des eaux des mers bordant la terre

Observons cet étrange ballet
Une goutte tombe, se perd
Se fraye un chemin dans la végétation
Ruisselle avec ses compagnes
Vers d’étranges récipients
Qui déversent leur bouillonnement
En vomissures permanentes
Dans des canalisations saturées
Jusqu’aux rives des ondes courantes

Là s’arrête son aventure
Elle meurt de trop de gouttes
Elle laisse la place à plus épais qu’elle

Adieu goutte fraîche et caressante
Qui m’honora de sa présence
Avant de finir engloutie
Dans les affres de la nature débordante

01/04/2013

Quelques pas dans les pas d’un ange, récits de David Mc Neil

L’auteur raconte ses premiers pas aux côtés de son père, le peintre Marc Chagall. Ce sont des souvenirs brefs, mais accompagnés de l’amour filial qui éduque et met du sel dans les aventures d’un enfant. Il s’émerveille :13-03-31 Pas d'un ange.jpg

Il trouvait fastidieux de couvrir de peinture deux bons mètres carrés alors il m’a demandé de préparer le fond. Je commençais à comprendre que n’importe qui aurait payé pour avoir ma place, alors j’ai mis presque une journée à le peindre, travaillant lentement, sensuellement, m’imprégnant de l’odeur enivrante de la térébenthine, je soupçonne les peintres de s’asperger le soir de térébenthine comme d(‘autres d’un after-shave, ça attire les jeunes filles que fascinent les artistes. Une journée de bonheur. Le matin arriva où la couleur fut sèche. Alors il a préparé des fusains, les tenant dans son poing comme un petit bouquet, il s’est assis dans un large fauteuil en paille et a regardé longuement la tache bleue en plissant les yeux et se pinçant les lèvres comme il le faisait souvent quand il se concentrait. Il attendait l’idée. Picasso disait, peut-être avec humour : « Je ne cherche pas, je trouve », « Moi j’attends » répondait mon père très faux-modestement. Je l’ai souvent vu qui fixait une toile blanche, un carton, une feuille vierge, il prenait un de ses fusains et le cassait en deux, le tenant dans sa main, parallèle à son pouce. Alors il commençait et tout allait très vite.

Autre histoire, dans un bistrot populaire rue Saint Louis en l’Ile :

On ne dépareillait pas du tout dans le restaurant où, très vite, on avait trouvé à s’assoir. Les deux ouvriers à la table à côté ont regardé les mains de papa, tachées de couleurs diverses, ces mains dont il disait souvent qu’elles étaient imprégnés jusqu’à l’os. Il avait plus de soixante-dix ans, mais avec son allure énergique et l’impression de puissance qui émanait de lui, il pouvait très bien passer pour un peintre en bâtiment.

« Vous avez un chantier dans le coin ? demanda l’un d’eux.

Je refais un plafond à l’Opéra, répondit mon père en attaquant son œuf dur mayonnaise.

C’est un livre sans prétention. En prologue, il est écrit :

Ce livre est court, beaucoup trop court. Il raconte les rares moments que j’ai pu passer avec celui qu’autour de moi tout le monde appelait « maître » et que moi j’appelais simplement papa…

31/03/2013

L'île noire

Elle est là à deux ou trois encablures, massive, surmontée de sa tour et rugissent les vents et les embruns à ses pieds. L’image du docteur Muller et de son gorille se superpose à cette vue. Où sont-ils ? Je rame dans la barque qui m’emmène vers l’enfer, un frisson irrationnel dans le dos.

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Pourtant quelle après-midi paisible. Montée lente pour sortir des bruits d’une civilisation motorisée et nous émergeons sur une étendue argentée, environnés de pins et de senteurs printanières. L’île est toujours là, inquiétante et débonnaire, sa tour dressée sur la surface liquide, gardienne de ce mont qui allège le corps et libère l’esprit.  

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Couchés dans les herbes odorantes, nous contemplons l’immensité secouée de rides, rêvant d’un départ vers d’autres pays, au-delà des nuages et des côtes qui se dessinent dans le lointain.

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Nous redescendons lentement sur terre. Le golfe s’irradie de blancheur. Les nuages se chargent d’électricité et roulent leurs bosses au-dessus des monts voluptueux. Une promenade au bout du monde !

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29/03/2013

Vertige

Solitude et verticalité.
Des rats dans leur gruyère.
Les hommes ont-ils compris
Cette errance des hauteurs
Cette élévation indigeste
Qui dédaigne la platitude
Combien cependant est maigre
Cette perpendicularité à l’horizon
Qui s’enfle en champignon

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28/03/2013

Pourquoi certains jours te revêts-tu de gris ?

Pourquoi certains jours te revêts-tu de gris ?

Tes verres sont-ils devenus opaques ?
Le vide dans ce corps froid et insensible
Que plus rien n’attache au sourire
Un gouffre sous les pieds, un voile sur le visage
Tu avances, mortel parmi les vivants
Mais tu ne parviens pas à te détacher
De cette paroi silencieuse et nubile
Qui te colle à la peau et t’immobilise

Parvenir à l’âge adulte, quel déclin
Plus de noir, plus de blanc, plus de couleurs
Rien qu’un immense champ de gris
En labour permanent, acharné
Et l’homme court derrière la charrue
Tel l’insecte rougi au feu du travail
Qui apporte chatouillements et démangeaisons
Lové dans son rêve ou ses cauchemars
Tu regardes passer ces années, atone

Pourquoi certains jours te revêts-tu de gris ?

27/03/2013

The Desert Music, de Steve Reich (1982/1983)


https://www.youtube.com/watch?v=iDEVOO0mRYM 


 Steve Reich est né à New York en 1936. Compositeur, il est l’un des inventeurs de la musique minimaliste. Mais il préfère l’expression de phasing music, « par analogie avec la notion de déphasage présente en physique entre deux ondes ou en traitement du signal entre deux signaux périodiques. (…) Pour les instrumentistes, l'exécution du phasing peut être extrêmement difficile d'un point de vue technique. Il s'est révélé bien plus facile que pendant que l'un des musiciens adopte un tempo constant, l'autre passe par des périodes d'accélération momentanées, parfois appelées « transitions floues »4. Ces transitions sont notées sur la partition par des pointillés, pour indiquer d'accélérer le tempo jusqu'à obtenir le déphasage désiré, puis revenir au tempo initial. En général, le nombre de répétitions du motif de base entre chaque transition est laissé libre, au choix des instrumentistes. »  (http://fr.wikipedia.org/wiki/Phasing)

 

Le chant des dunes est profond et sourd. C’est un chant de paix et de méditation qui est bien loin de ce qu’on entend ici. Pourquoi le compositeur a-t-il appelé cette pièce la musique du désert ? N’y a-t-il pas similitude entre les deux ? Aussi bizarre que cela paraisse, il semble bien que oui. Ce sont probablement les vibrations qui permettent ce rapprochement. Vibration des sons comme les dunes sont des vibrations des formes et comme les grains de sable engendrent des vibrations qui finissent par ressembler à un chant. Alors il suffit d’agrémenter l’orchestre d’un chœur pour que la cuisine prenne et nous fournisse un met inconnu et ineffable.  Certes, tous n’apprécie pas forcément ce genre musical. D’autres vous diront que c’est plutôt une musique qui consacre les bruits de la civilisation moderne que le désert. On peut le penser.

Laissons-nous aller sans réfléchir. Prenons de la hauteur. Elevons-nous au dessus de ces dunes de sables. Nous voici dans le désert, le regard sur l’enchevêtrement des monticules qui bougent tous les jours. Finalement le travail de la nature n’est-il pas semblable au travail des hommes. Une répétition et des ruptures à un rythme effréné. Tout dépend de la distance que nous mettons à contempler ces travaux.

Alors dansons les pieds dans le sable, accompagnés des cris des mouettes et des sorciers !

26/03/2013

Quinze ans, roman de Philippe Labro

A quinze ans, le narrateur sait qu’il va lui arriver quelque chose de prodigieux : désigné par le destin pour connaître une émotion unique, qui me délivrerait de la gêne qui prend au piège la première jeunesse.

En trois parties, Philippe Labro conte l’histoire, mettant d’abord l’accent sur Alexandre Vichnievsky-Louveciennes, un camarade de classe arrivé au milieu du premier trimestre. Il ne parle pas directement aux personnes qui sont devant lui. Il utilise des circonvolutions : – le type est doué ! Il a de la réplique ! Excellent ! Le type veut rencontrer Madame Ku. Mais Madame Ku se mérite, figurez-vous ! Le type sait-il seulement ce que signifie son nom ? Je voulus frapper fort et dis sur un ton averti : – Bien sûr, c’est comme un cul. Alexandre éclata d’un rire extasié et bruyant, qui fit se retourner quelques têtes autour de nous. – Vous êtes une âme vulgaire.

L’approche de cet être exceptionnel fut longue et difficile. Le narrateur accepte toutes les moqueries et facéties d’Alexandre. Celui-ci finit par l’emmener chez Madame Ku, qui s’appelle en réalité Kudlinska, une charmante petite vieille, effluve d’un passé russe.  C’est ma babouchka. Un jour, la sœur d’Alexandre, Anna, débarque dans la petite maison : Et je vois debout, droite dans un manteau d’homme de couleur beige, une écharpe multicolore lui barrant la poitrine, une grande jeune fille aux longs cheveux noirs, au teint pâle et aux lèvres rouges. On dirait qu’une sorte de lumière entoure sa silhouette. (…) Elle ne m’a pas une fois adressé parole ou regard (…) et je pense à la phrase de Victor Hugo : « Le jour où une femme qui passe devant vous dégage de la lumière en marchant, vous êtes perdu, vous aimez. »

 

La seconde partie traite d’Anna, la jeune fille dont il est amoureux. Sa rencontre a lieu dans la chambre d’Alexandre :

– C’est mon ami. Tu l’as déjà rencontré chez Ku.

Anna se détache d’Alexandre, se lève et remet d’un geste des mains un peu d’équilibre dans sa coiffure.

– Ah oui, dit-elle, peut-être en effet, oui. Et quel âge avez-vous ?

Surpris qu’Anna se soit enfin décidée à me parler, je bredouille

– Euh… le même âge qu’Alexandre.

J’entends rire Alexandre. Anna accompagne son frère dans ce léger accès de moquerie et me dit sans méchanceté, mais sur un ton dans lequel je crois discerner la condescendance des grandes personnes à l’égard des enfants :

– Le même âge sans doute, mais vous me paraissez un peu plus niais que lui.

C’est un coup qui me perce. Anna s’en aperçoit et s’approche de moi tend ses doigts vers ma joue, comme pour une rapide et impalpable caresse.

– Ne prenez pas cela mal, dit-elle. J’ai plutôt voulu dire innocent, pas niais. Il y a une nuance.

– Merci, dis-je.

Quelques instants plus tard, dans sa chambre, elle lui dit :

– Vous êtes sans doute amoureux de moi. Mais faisons un accord, voulez-vous ? Décidons que nous le savons tous les deux et restons-en là. Je ne vous empêche pas de m’aimer, mais je vous ordonne de ne m’encombrer jamais avec ce sentiment ou même avec une seule manifestation extérieure de ce sentiment, jamais ! A ce prix peut-être deviendrons-nous des amis.

(…) Avec autorité, elle fit basculer ma tête entre ses deux mains, me forçant à me courber vers elle au-dessus du plateau et de la théière et elle déposa sur mon front un baiser fragile, sans équivoque. Mais ses mains avaient touché les tempes, j’avais respiré son parfum, odeur de santal, de poivre et de bruyère, et cela m’avait secoué, comme un courant électrique. Je n’avais pas pensé plus avant. Un événement nouveau, avec sa marque indélébile, venait de m’arriver dans cette chambre.

Il gagne un concours organisé par un journal : écrire un papier. Et ce papier a plu. L’œil d’Alexandre et d’Anna sur lui changea. Il entra dans leur intimité.

 

Ne dévoilons pas le reste, ce serait dommage. Cette histoire m’a rappelé le roman "Le grand Meaulnes" d'Alain Fournier : même adolescent, même jeune fille, même mystère. C’est fou ce que la jeunesse a d’innocence et d’illusion. Elle conduit à des situations difficiles. Mais sans doute leurs participants ne voudraient pas en être absents. Merci à Philippe Labro dont le ton de sincérité ouvre la porte au rêve.

 

25/03/2013

L’Inde secrète, de Paul Brunton (Payot, 1983)

Depuis 1937, date de la première édition française de ce livre, nombreux sont les auteurs indiens et étrangers, qui ont parlé de cette Inde mystérieuse qui est celle des yogis, fakirs et autres magiciens. En 1930, cette Inde secrète et sacrélittérature, spiritualité, Indouisme, sagesse était une découverte. Paul Brunton parcourut l’Inde, se frottant à toutes les couches de la société, rencontrant des saints hommes et saintes femmes de toute espèce, simulateurs et véritables maîtres. Ainsi du magicien venu d’Egypte qui lit dans les pensées ; de Meher Baba, le messie qui lui prédit la seconde guerre mondiale et qui, à la question : « Comment savez-vous que vous êtes un messie ? », répond sans hésiter : « Je le sais ! Je le sens ! », sans plus d’explication. Il découvre l’anachorète de l’Adyar, qui pratique le Yoga du contrôle du corps et lui apprend la position du lotus.

Au moment où il repart en Europe, dépité, sans avoir trouvé un véritable maître, il s’interroge : « Insensé, voilà donc le fruit de tant d’aspirations, de tant d’années perdues ! Tu vas suivre la voie banale, le chemin tracé, oublier tout ce que tu viens d’apprendre, noyer dans le tumulte des sens ce qu’il y avait de meilleur en toi ! (…) Es-tu sûr que nul parmi les hommes que tu as rencontrés n’était le maître que tu cherchais ? » Et il entend une voix en lui qui lui dit de retourner voir le Maharichi et son image surgit devant ses yeux. Il repartira donc à l’autre extrémité de l’Inde. Et celui-ci lui explique : « Posez-vous sans relâche cette question : Qui suis-je ? Analyser votre moi jusque dans ces replis les plus profonds. Tâchez de trouver où commence le moi-pensée. Allez au-delà, poursuivez vos méditations, tournez votre attention vers le monde intérieur. Un jour la roue de la pensée qui tourne sans cesse nous conduira en un point où l’intuition directe jaillira spontanément du fond de votre être. Suivez-la, cessez alors de vous penser et vous toucherez le but. »

Et Paul Brunton découvre cette vie spirituelle qu’il attendait tant :

L'ego s'imagine à tort qu'il existe deux Moi, l'un fonctionnant actuellement (l'individu) et l'autre, le Moi supérieur, le Moi divin, dont nous prendrons un jour conscience. C'est une erreur. Il n'y a qu'un Moi et il est pleinement conscient, actuellement et à jamais.
Pour lui n'existe ni passé, ni présent, ni avenir, car il est hors du temps.
Sans ce Pouvoir infini, Dieu, le vrai Moi, cet encens ne pourrait pas brûler, ce monde n'existerait pas. Le Soi est présent dans toutes les formes. Lui seul leur donne réalité.
C'est pourquoi l'être illuminé s'aperçoit qu'il est présent dans tous les autres, car il a trouvé l'Unité et a cessé de percevoir la multiplicité.
L'Univers existe au sein du Soi. C'est pourquoi il est réel, mais cette réalité lui vient du Soi. On dit toutefois qu'il est irréel à cause de ses transformations perpétuelles et de ses multiples formes ; on dit par contre que le Soi est réel parce qu'il est immuable.
Après la Réalisation ni le corps, ni le reste  n'apparaîtront différents du Soi.
Ishvara, Dieu, le Créateur, le Dieu personnel, est la dernière des formes irréelles à s'évanouir ; seul l'Absolu est réel.

"Au milieu de la caverne du cœur,
 en forme de Moi, en forme de Soi,
 unique et solitaire,
 tout droit de soi à soi
 le Brahman resplendit !
 Pénètre toi-même en ce dedans,
 ta pensée perçant jusqu'à sa source,
 ton esprit plongé en soi,
 souffle et sens au tréfonds recueillis,
 tout de toi en toi fixé,
 et là, simplement, sois!"

24/03/2013

Ruisseau des villes

Ruisseau des villes au long des pierres
Où plongent les pas de passants rêveurs
Tournes autour des pavés de lumière.
Une fleur, rouge, une tulipe, je crois,
Glisse sur ton chemin et pleure.

Tu vois de grands pieds sales,
Ensuite des têtes de roi.
Des doigts roses s’allongent vers toi.
Les gamins plongent les leurs, impudiques,
Dans ton sein. Une pièce brillante en sort.

C’est le sort des pièces hiératiques,
Tortueuses et sans beauté. Les rues
Défilent leurs ventres gris, encore
Une autre, et la même sans voix
Et une autre sans vie. Il n’y en a plus.
Tu ries dans le noir d’égouts, rue Quinquempoix.

23/03/2013

Passion selon Saint Jean de Jean-Sébastien Bach

Hier, concert en l’église de la Sainte Trinité, achevée en 1867 et d’un style moitié-gothique, moitié-renaissance. Je me suis demandé au début du concert si l’église avait le pouvoir de brouiller les sons et de passer au mixeur la magnifique musique de Bach. Il est vrai qu’il faut être particulièrement chaud pour débuter sur le chœur qui proclame la glorification du Christ :

Christ, notre Maître, dont la gloire
Domine en tous pays !
Montre-nous par ta Passion
Que toi, le vrai Fils de Dieu,
Eternellement,
Même dans la plus grande humiliation,
As été glorifié !

Mais progressivement le rythme, la vitalité et la dramaturgie de cette musique se sont mis en place et ce fut un beau concert. Je ne peux vous faire entendre l’interprétation de l’Ensemble Jubileo, spécialisé dans les concerts spirituels dans des lieux insolites tels que des gares, des hôpitaux, des prisons. Cette interprétation de l'abbé Amaury Sartorius vous en donne un aperçu. L’explication donnée par Gilles Cantagrel, musicologue de France Musique, permit de prendre toute la mesure et la singularité de l’œuvre. Plus qu’une construction musicale, c’est bien un véritable drame qui est joué avec au centre le récit de l’évangile. Elle permit également de comprendre les choix fait par l’Ensemble : pas de récitation du conteur prévu dans la partition, mais le texte est lu par Michael Lonsdale. Cela retire l’ennui que peut procurer ces longs moments difficilement compréhensibles pour ceux qui ne parlent pas allemand.

Ecoutez encore Rutht wohl, tendre et annonciateur de la vie divine, merveille d’amour contenu et de promesses à venir.

http://www.dailymotion.com/video/x572ar_bach-passion-selon-st-jean-6-ruht-w_music


Peu à peu, nous sommes entrés dans cette cathédrale musicale et, plus profondément, dans le drame divin et humain à la fois, du sacrifice du Christ. Belle entrée dans la semaine sainte. Quelle méditation dans la beauté d’une musique exceptionnelle. Bach, ce grand maître, continue de nous bouleverser presque 300 ans après qu’il ait composé son oratorio !

22/03/2013

Nous ne sommes plus qu’un, et pourtant…

http://www.youtube.com/watch?v=uQ4jdgVacms

 Déesses et dieux, peu importe combien ils sont. Ils n’ont qu’un seul corps, mais mille mains et bras. Ils représentent la compassion sous ses mille facettes. On l’appelle le "Seigneur qui observe depuis le haut". Il se nomme Avalokiteshvara, celui qui regarde les souffrances avec compassion. C’est la divinité la plus populaire et la plus sollicitée du Tibet. Elle possède mille bras avec un œil dans la paume de chaque main, montrant qu’elle veille sur une infinité d’êtres vivants pour prendre soin d’eux.

Ses noms changent suivant les pays : Avalokiteshvara vient du sanskrit, il s’appelle Tchenrézi pour les tibétains, Lokeśvara pour les Khmers, Quán Thế Âm pour les vietnamiens, Quan Yin en chinois, Kannon en japonais.

La récitation de son mantra Om mani padme hum (dérivé du sanskrit), accompagnée de la visualisation de son mandala, permet d’entrer dans notre sagesse innée, la nature du Bouddha.

Vous allez sans doute trouver ce rapprochement insolite, sinon odieux :

“Car, comme nous avons plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n'ont pas la même fonction, ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres.” (Rom 12:4–5).

Mais n’y a-t-il pas des similitudes ?

 

La danse des mille mains de Bouddha constitue une méthode d'entraînement au travail de l'énergie interne qui vise à faire rentrer et à guider l'énergie dans le corps. Regardez ce qu’ils arrivent à faire, malgré le fait qu’ils sont handicapés :

http://www.youtube.com/watch?v=Ov_iJQGq6DI


Alors, même si la musique et la mise en scène sont sans doute très médiatiques,

n'en reste-t-il pas quelque chose qui nous sort de nous-même ?

21/03/2013

Blancanieves ou Blanche Neige, film de Pablo Berger (2012)

En noir et blanc, sans dialogue, Blancanieves est un petit chef d’œuvre.

http://www.youtube.com/watch?v=I-METoks7wk


Carmencita, l’héroïne de ce conte, naît le jour de la mort de sa mère et l’accident de son père, torero célèbre, qui reste invalide. L'infirmière de ce dernier le dorlote, se marie avec lui et l’enferme dans son hacienda. Recueillie pas sa grand-mère, Carmenlita rêve de son père qu’elle ne connaît pas. Le jour de sa première communion, sa grand-mère meurt après avoir dansé avec elle dans un très bel épisode, celui de la danse des mains à la manière andalouse. Encarna, sa belle-mère, l’accueille dans le palais de son père. La petite fille devient la servante et est entourée d’interdictions. Elle fait néanmoins connaissance de son père, passe de bons moments avec lui avant qu’il ne soit tué par Encarna. Celle-ci veut ensuite la faire disparaître. Laissée pour morte par le chauffeur, elle est recueillie par une troupe de nains qui jouent des corridas au rabais dans les villages. Elle finira torero, comme son père.

Ce n’est pas le fait de  revisiter le conte de Blanche Neige qui fait de ce film un véritable « joyau du 7ème art espagnol » selon l’expression de la journaliste Sandrine Morel. Son intérêt tient à de nombreux détails qui rendent le film charmant, mélodramatique et authentiquement espagnol. Le récit est exubérant, plein de détails délirants ou amusants : le coq de Carmencita qui l’accompagne comme un chat et finit dans la casserole de sa belle-mère qui veut la forcer à le manger ; le tourbillon qui commence dans une danse et se poursuit sans interruption dans un autre plan ; la robe blanche de première communiante, trempée dans une bassine de teinture noire le soir même. Les images des spectateurs des corridas sont mélodramatiques tant pour le simulacre des nains après leur rencontre avec Carmencita, que pendant la dernière et seule véritable corrida. La musique d'Alfonso de Villalonga, les chants, les danses, y compris des nains, sont l’écho de l’âme andalouse et du caractère sévère, tragique, mais attirant de ce bout de l’Europe.

Allez le voir, cela en vaut la peine. Vous rirez, vous pleurerez, vous ne serez jamais indifférents. C’est bien un chef d’œuvre !

20/03/2013

L'artiste

L’artiste est une plante persistante
Artisan avant tout
Il ramasse les mots, les objets, les sons
Et en fait une soupe personnelle
Qu’il est seul à pouvoir reproduire

Quel délice que cet enchevêtrement
De cristaux qui s’assemblent
Et brillent d’odeurs sacrées
Il se brûle les doigts, mais contemple
Etonné, l’assemblage inédit
Fruit incertain et volage d’usinage
Intérieur. Quel moulin permanent !
La poussière tombe en paillettes d’or
Et réjouit le contemplateur
De l’article produit dans la brume
A tâtons, dans l’obscurité
De la création toujours intempestive
Qui s’impose d’elle-même
Mais qui ne se livre qu’après
De lents cheminements de la volonté

Artisan, oui, c’est bien le mot
Même si par moments, tout coule
Lorsque la fougue et l’inspiration
Expédient les hésitations débiles
Emporté par l’élan vital
Il se mute en artiste vert
Puissant, indéracinable
Né dans la surprise de la grâce
Dans la semence abondante
Dans le miel du halètement

Enfin il reprend souffle
Il apaise sa soif de reconnaissance
Il part sur les routes du bonheur
Passager malgré tout
Car la fièvre le reprend
Qui remet en cause son avoir
C’est reparti !

Rien ne l’arrêtera dans sa manie
Son essence est volatile
Elle pénètre la société
Par tous les sens humains
Mais surtout par la persistance
Du germe sacré qu’il entretient

Cultive ton terreau
Il en sort toujours une fleur
Qui porte ta marque indéniablement !
Alors la vie devient caressante…

19/03/2013

Litanie pour la baleine, de John Cage (1980)

https://www.youtube.com/watch?feature=endscreen&v=ZJYkJxGPLao&NR=1

 
Source : Ressources-IRCAM du 22 mars 2012

"Né à Los Angeles le 5 septembre 1912, John Cage est à la fois musicien, écrivain, peintre, mycologue, penseur, artisan d’une vie considérée comme processus continu, au-delà de toute catégorie.

Son premier contact avec la musique se fait par l’apprentissage, enfant, du piano. Plus tard lassé par un système scolaire fondé sur la répétition et l’uniformité, il part en 1930 pour l’Europe à la recherche de nouvelles expériences. De retour en Californie l’année suivante, il entreprend des études de composition avec Richard Buhlig et Henry Cowell, puis prend des cours particuliers avec Adolph Weiss. En 1935 il se marie avec Xenia Andreyevna Kashevaroff dont il se séparera dix ans plus tard. De 1934 à 1936 il étude l’analyse, la composition, l’harmonie et le contrepoint avec Arnold Schoenberg, et comprend à cette occasion son peu d’inclination pour la pensée harmonique. Entre 1938 et 1940, il travaille à la Cornish School de Seattle et y rencontre Merce Cunningham – qui devient son compagnon et collaborateur. Dans cette période, il écrit son manifeste sur la musique « The Future of Music : Credo » ; invente le water gong et le piano préparé, et enfin compose Imaginary Landscape No.1 (1939), une des premières œuvres utilisant les moyens électroniques.

L’activité plastique de John Cage débute avec l’exposition de ses partitions en 1958 dans la Stable Gallery et, malgré des incursions régulières dans le champ des arts visuels, c’est avec les « gravats » réalisés à Crown Point Press à l’instigation de Kathan Brown que cette activité devient essentielle, avec la production de quelques neuf cents gravats, aquarelles et dessins jusqu’à sa mort. Dans ces œuvres – comme dans ses mesostics commencés après l’écriture d’Empty Words en 1976 –, Cage suit les mêmes principes de travail que dans sa musique, (…), où il fait usage de ce qu’il appelle des « parenthèses de temps ». Dans cette dernière période, apparaissent des processus d’automatisation de l’écriture, basée sur des programmes informatiques réalisés par son assistant Andrew Culver. Les dernières années viennent couvrir de reconnaissance et de prix prestigieux, comme le Kyoto Prize (1989), une vie placée sous le signe de l’expérimentation et de la liberté.

John Cage meurt à New York le 12 août 1992. "

Pour deux voix égales, la Litany for the Whale ou litanie de la baleine est une composition écrite en 1980. Elle reproduit les sons du monde sous-marin et, bien sûr, le langage des baleines. Son écoute est saisissante par le fait du chant a capella et des silences voulus qui ponctue l’œuvre. Celle-ci, aussi curieux que cela puisse paraître, semble un chant sacré médiéval. C’est une méditation sur le monde chantée en répons constituée de voyelles sans signification autre que le rappel des sons venant des profondeurs de l'océan.

Ajoutons que John Cage est un fervent utilisateur de ce qu'il appelle le piano préparé, c'est-à-dire un piano sur les cordes duquel sont placés des vis, pièces de monnaie et autres possibilités d'interférence des sons.

18/03/2013

L’ange du bizarre, le romantisme noir de Goya à Max Ernst, exposition au musée d’Orsay (3ème partie)

De style symbolique, ce tableau, intitulé "Les sorcières autour du feu" de Paul-Elie Ranson, est simple, sans recherche de composition.

Les sorcières autour du feu Paul-Elie Ranson.jpg

Sa beauté tient aux sorcières. Leur corps est rouge, bien fait, dans des attitudes de tous les jours, sauf peut-être celle de droite qui semble plus figée, à moins qu’elle ne chante une incantation. On pourrait penser aux naïades. Mais leurs cheveux sont gris, vieillis peut-être prématurément. Au-dessus d’elles, la marmite bouillonne, exhibant des langues de chat incandescentes. Elle dessine un cercle de lumière qui s’estompe vite vers le bleu-gris-noir de la nuit peuplée des animaux familiers aux magiciennes, en particulier le chat. Seules au monde autour de leur décoction, les sorcières s’activent comme si de rien n’était, comme si elles préparaient une soupe comestible pour leur famille.

Paul-Elie Ranson est un des fondateurs du mouvement nabi, mouvement artistique postimpressionniste d'avant-garde, né vers 1888 en réaction contre la peinture académique. Issu d’un terme hébreu il signifie « l’annonciateur » ou « illuminé » ou encore « celui qui reçoit les paroles de l'au-delà ».Ses membres s’efforcent de sortir d'une peinture conventionnelle et d’initier à la spiritualité par l’art. Leur art est caractérisé par l’utilisation de couleurs sans mélange, l'absence de perspective, un horizon absent ou très haut et des sujets symboliques. La lumière est essentielle et transmet l'esprit. Les nabis s’intéressent à l’orientalisme et particulièrement au Japonisme.

 

17/03/2013

L’ange du bizarre, le romantisme noir de Goya à Max Ernst, exposition au musée d’Orsay (2ème partie)

Peu de sculptures dans cette exposition. On remarquera cependant une très belle tête de femme, intitulée "Eternelle douleur" et signée Paul Dardé, sculpteur français né au début du XXème siècle à Lodève.

Eternnelle douleur 2-P Dardé.jpg

Sculptée en 1913 (il avait une vingtaine d’années), elle diffère des œuvres monumentales auquel l’artiste a ensuite habitué ses admirateurs. En effet, Paul Dardé s’interrogea longuement sur les origines de l’humanité et sur le génie humain qui semble sortir de sa gangue naturelle pour contempler la beauté de l’univers.

Là rien d’impressionnant : une tête de femme endolorie, environnée de serpents qui se mêlent à sa chevelure. Taillé dans le gypse, son aspect est fin, précis et renforcé par les veines de la pierre comme on le voit sur cette photo. Le dolorisme est accentué par cet enchevêtrement abondant qui semble exprimer les pensées de cette demi-morte. Ses lèvres entrouvertes,  font ressortir la solitude qu’elle ressent, aspirant à une fin qui ne vient pas.

Eternnelle douleur 5-P Dardé.jpg

Paul Dardé était un grand sculpteur qui est resté méconnu. Profondément cultivé, il s’appuyait sur ses lectures pour trouver l’inspiration : les Evangiles, l’Apocalypse de St Jean, Shakespeare, Dante et  bien d'autres.

16/03/2013

L'union des contraires

C’est par l’union des contraires
Le blanc et le noir
Le feu et la glace
La haine et l’amour
Que l’on vit sa vie

Et ces sautes d’humeur
Combat sur une mer déchaînée
Sont le lot de tous
Même du divin
Satan et l’ange Gabriel
Se côtoient en chacun de nous
Comme ils luttent dans les cieux

Loi universelle, avec modestie
Elle nous contraint
Nous enserre dans ses griffes
Pour que parfois s’envole
De nos corps étonnés
L’oiseau pudique
Qui se mêle aux nuages
Roucoule dans l’espace
Et enchante nos cœurs
Qui de pierre deviennent de chair

Oui… Les contraires
Nous conduisent à la tombe
Qui s'avère délivrance
Tel l’oiseau moqueur