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23/05/2013

Jardin Albert Kahn : la forêt vosgienne (2ème partie, suite du 10 mai)

Poursuivons notre promenade dans le jardin d’Albert Kahn. Quelques pas et nous passons d’un jardin japonais à la forêt vosgienne. Certes entre les deux il y a un jardin à la Française bien ordonné, bien aligné entre les cordons imaginaires d’un architecte maniaque. Mais un pas de plus vers les arbres et nous sommes terrassés, immergés dans le massif des Vosges, ses sapins, ses rochers, ses étroits chemins encaissés.

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 Pas besoin de fermer les yeux, d’écouter le chant des ruisseaux dévalant des hauteurs. Les yeux ouverts, le regard incrédule, vous errez dans ces paysages étonnants dans le bruit perceptible de la circulation parisienne. 

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 La forêt vosgienne, créée sur une parcelle acquise en 1902, est directement liée à la vie d’Albert Kahn, originaire de la ville de Marmoutier dans le Bas-Rhin. Il a souhaité reconstituer, là, un décor montagneux, chargé de souvenirs d’enfance volés par la guerre de 1870. Les deux versants, lorrain et alsacien, du massif des Vosges y sont aujourd’hui représentés. 

Selon les témoignages, de gros blocs de granit et des arbres déjà de grande taille ont été transportés des Vosges par wagons spéciaux et ont obligé à démonter momentanément les fils électriques du quartier durant leur installation.

(Source : http://albert-kahn.hauts-de-seine.net/les-jardins/les-differents-jardins/foret-vosgienne/)

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 Un dépaysement certain à la porte de Paris. Qui eut cru être ainsi plongé au cœur de la porte de la France alors qu'il se trouve au milieu.

22/05/2013

Couleur du temps, récit de Françoise Chandernagor

Une plongée dans un autre siècle, celui des lumières. Ce n’est qu’une histoire imaginée, mais avec un tel réalisme que l’on pense qu’elle fut réelle et que le peintre V*** fut bien un peintre du Roi.

V*** fut-il un grand peintre ou un petit maître ? Un coloriste-né ou un fabricant13-05-23 Couleur du temps.png sans génie ? Nous n’en savons rien : la postérité n’a pas rendu son arrêt. Tout juste peut-on dire que V*** était déjà mort de son vivant : lorsqu’il disparut, sa belle époque était révolue, sa mode démodée. Et pourtant il avait vécu, s’était fait connaître, avait obtenu le succès, avait négligé sa famille, voyageant partout où il était demandé pour peindre les grands de ce monde. Au-delà de l’histoire elle-même de sa vie, Françoise Chandernagor nous décrit à la fois la société de l’époque, sa conception de la peinture, la compétition entre les peintres pour obtenir les faveurs de la famille royale. Elle le fait d’une manière naturelle, introduisant dans le récit ces réflexions sur les événements d’une vie d’artisan-peintre.

Jeune, il ose : des jeunes gens impatients tirent le tapis. La guerre est finie, on veut s’amuser. Le tableau de bataille rebute, la peinture religieuse assomme, les grands sujets, les grandes idées ennuient les Français ; place au moi, place à l’intime, place au portrait ! (…) On voudrait tout entreprendre, tout oser…Mais les personnes bien nées, si elles ont du goût, hésitent encore à afficher la leur. Le jeune V*** trouva l’art de montrer ce qu’on tient caché sans choquer la décence : les dames de qualité n’avaient qu’à se faire représenter costumées. Pas en Madeleine repentante, évidemment ! Ni en Sainte Elisabeth. Costumées en dévêtues : une muse, une nymphe, une sultane, une allégorie. Il proposa du portrait déguisé « mythologique » ou « oriental ».

Bien sûr il se marie, a des enfants. Il a des instants de joie et des périodes de malheur. Sa vie est à découvrir dans la lecture même du livre. Au-delà, on s’intéresse à l’époque et à sa conception de la peinture.

Nous nous plaignons d’un siècle de courtisans,   mais sachons qu’au temps de Voltaire et Diderot la flagornerie et la flatterie étaient obligatoires pour qui voulait se faire connaitre et obtenir des facilités.

A l’époque, l’art de la peinture est tout d’artisanat. C’est par la pratique qu’il pêchait, lit-on à propos du fils de V***. « Pas tant d’huile sur ton pinceau, Nicolas ! Ah oui, je sais : la couleur semble plus facile à étendre, elle est flatteuse, onctueuse, voluptueuse. Et puis, n’est-ce pas, on en a plus vite fini ? Solution de paresseux ! Qui se paie cher : ton tableau séchera, mais seulement en surface – dans dix ans sa peau craquera, il sera gercé de partout, tombera en morceaux. Alors chaque maître possède son atelier, ses apprentis, et le tableau se fait en équipe. Les uns peignent les mains, les autres sont spécialisés dans les pieds, les plus habiles, en passe de devenir maîtres à leur tour, les visages. Le maître met sa touche finale, alanguissant les membres, donnant de la vie aux joues ou à l’œil du sujet représenté. Cela donne une collectivité vivante, soudée, récréative, loin de la méditation individuelle de l’artiste d’aujourd’hui et du travail solitaire d’exécution. Sans doute retrouve-t-on maintenant cela dans certains genres de peinture, tels la production d’œuvres originales en plusieurs exemplaires, dites multiples, ou encore dans l’atelier de Vasarely où les petites mains peignaient inlassablement des ronds et des carrés. Il concevait les tableaux que d’autres exécutaient en grande partie.

Baptiste V*** aime les couleurs, le jaune en particulier. Il en parle avec son nouvel ami sur la fin de sa vie :

 Et  qui t’a dit, Baptiste, qu’on peignait avec des couleurs ?

 Si l’on ne peint pas avec des couleurs, avec quoi peint-on ?

 On se sert des couleurs, mais on peint avec le sentiment…

 Le sentiment, Le sentiment ! Et pourquoi pas le naturel tant que tu y es !

Tout au long de sa vie, il conçoit et remanie le portrait de famille, fil directeur du récit. Après tous ses malheurs, il les rajeunit, reprenant les esquisses conservées. Il finit par se peindre lui-même en vieillard. Il l’expose et se retrouve en butte avec tous les critiques. A ce peintre qui ne vendait plus rien, que tout le monde avait cru mort, et dont le nom seul, entouré d’un vague respect, disait encore quelque chose au public, il fallait ôter ce qui lui restait : la renommée. « V*** est fini : Voici le titre. On assure que cet homme a été un bon portraitiste. Il n’est plus rien : le portrait de sa famille est faible, c’est-à-dire flou et léché.

Et ce livre s’achève avec l’interrogation, ma foi somme toute habituelle : V*** fut-il un grand peintre ou un petit maître ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’un grand peintre, qu’est-ce qu’un petit maître ? Vermeer fut un petit maître pendant trois siècles ; et Meissonier qui fut un grand peintre quand Béranger était un grand poète, n'est plus rien…

21/05/2013

Dynamo ou l’art cinétique en trompe-l’œil

http://www.grandpalais.fr/fr/article/le-spectateur-acteur-de-dynamo

Quelle misère. L’explication du commissaire général de l’exposition Dynamo n’est pas vraiment convaincante. Certes « on n’est plus dans une relation assise du visiteur ». « Les artistes demandent qu’on touche ». « On crée sa propre composition dans un système défini, donc on participe à la création de l’œuvre en jouant le jeu de l’artiste ».

Oui, comme le disait Marcel Duchamp, « c’est le regardeur qui fait le tableau.. » Mais quand le regardeur manipule le pinceau, y a-t-il vraiment un geste artistique qui fait une œuvre des objets, des couleurs, des sons. Cette parodie a-t-elle du sens (artistique). Je n’en suis pas sûr.

Cette exposition, apparemment très appréciée des spectateurs, se tient au Grand Palais. Beaucoup de tape-à-l’œil et de bling-bling. Mais aussi quelques purs chefs-d’œuvre. Certes, il faut aimer ce genre d’art qui passe de l’éclairage au néon s’allumant et s’éteignant en cadence, aux verres multicolores et aux miroirs déformants. Beaucoup de gadgets ! Cela commence d’ailleurs avant même l’entrée dans le Grand Palais, dans cette fontaine où le brouillard et la fumée ont remplacé le jaillissement de l’eau. L’idée n’est cependant pas mauvaise.

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C’est dans les premiers pas de l’exposition que sont rassemblés les objets les plus médiatiques : une barrière de lumière, un labyrinthe de glaces, un jeu de noirs et blancs mobiles selon la place du spectateur, etc. Il est d’ailleurs étonnant de constater que les photos qui se trouvent sur le site de l’expo sont principalement celles de ce style d’objets.

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Pourtant, il y a de belles choses si l’on s’intéresse au cinétisme. Admirons ces cercles de Bridget Riley peint en 1963 (Blaze 4, acrylique sur panneau) ou cette gouache sur bois de Julio Le Parc « »Instabilité, peinte en 1959, ou encore cette œuvre intitulée V32 (verres sérigraphiés, tubes fluorescents et bois, 1963) d’Angel Duarte.

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A noter également cette impression d’orange géométrique sur une galerie du Grand Palais. C’est saisissant et très bien fait, probablement par projection du dessin avec un vidéoprojecteur très puissant.

 

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Bref, à boire et à manger, mais avec des digestions différentes selon ce que l’on regarde, voit, contemple, admire ou fuit. Un bon point : les explications sur panneau des différents types de cinétisme, tels qu’Interférence, Pionniers (développements futurs visant à traduire le mouvement et à utiliser la lumière dans l’art), Halo, etc. Pédagogiques, ils permettent de comprendre les différentes possibilités offertes au créateur. Le premier d’entre eux :

Espace : Au cours du XXème siècle, l’art a changé : il a changé de nature. Il a trouvé de nouveaux moyens, il s’est fixé d’autres objectifs. L’art abstrait a été l’un des facteurs principaux de ces changements. Il a largement contribué à la conquête de l’espace, en incitant les artistes à quitter le tableau, à abandonner la ronde-bosse et à considérer l’espace pour lui-même. Plutôt que d’être représenté, l’espace va être utilisé, investi, devenir le sujet même de la création. Il s’agit de le structurer ou de faire disparaître ses limites ; il est saturé de lumière ou au contraire plongé dans l’obscurité, on cherche à l’habiter ou à le rendre impraticable. (…)

20/05/2013

Aurore

Je me levais au moment où se glisse
Dans la fente entre étoiles et opacité
Un pâle rayon, une ombre de lumière
Derrière cette atmosphère sombre

Réveillé, dégrisé, ragaillardi
Je tendais les doigts vers la lueur
Mais j’eus beau allonger le bras
Je ne touchais que le vide et l’obscurité
L’œil est plus rapide que le bras
Il comprend d’un regard étincelant
Le feu du matin, même fragile
Et ce reflet grandit, s’élargit
Ouvre ses bras au vide de la nuit
Qui recule prudemment
Derrière les pans de murs

Même cachée, l’obscurité est traquée
Les traits de la nature se dévoilent
Comme la trame d’un tableau
Les contours du flou se précisent
Toucher enfin du regard
Les tiges élancées des bambous
Avant la fleur dans les prés

L’air se purifie, léger
Il me pénètre les poumons
Et éclaire mes pensées
Dispersant les miasmes du sommeil

Quelle prière muette
Les mains dans l’azur enfin
Je danse la chacone devant le soleil

Un jour nouveau est survenu
Instant d’apesanteur, les pieds légers

19/05/2013

Facettes de rêve

Oui, il m’arrive de rêver de rose, mais il n'est jamais seul. Il est toujours environné de rouge, de violet et de bleu. Et ces choix surchargés font le bonheur des yeux, à condition de disposer, comme les mouches, d’une très large gamme de facettes.

En tout elles nous battent, de ce point de vue du moins : « Une mouche dispose de deux yeux composés de 1 500 facettes individuelles élémentaires dans chaque oeil qui peuvent gérer 200 images par seconde et possédant une vision panoramique et mosaïque incroyable sur 360°. Mosaïque signifie que la mouche ne voit pas un objet en entier mais le voit en quantité d'images. Les yeux des mouches mâles sont très développés et ces facettes diagonales sont bien distinctes. Ces dernières sont composées de 48 000 récepteurs sensibles à la lumière connus sous le nom de cellules coniques ou ommatidies. La mouche dispose d'une vue perçante et de capteurs ultrasensibles lui permettant de réagir rapidement au moindre mouvement instantané. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est difficile de l'attraper. L'observation de ces lentilles résulte de l'expérience menée sur les yeux d'une mouche après avoir retiré tous les vaisseaux. Au microscope, l'on peut voir à travers les microparticules comment les yeux d'une mouche permettent une vue grossissante des objets éloignés. »

(Source: http://www.web-libre.org/breves/mouche,15541.html)

 

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18/05/2013

La traversée, récit de Philippe Labro

En prologue, les visiteurs : Ils sont debout, en un seul rang serré, en ligne droite, le long du mur blanc et ils sourient tous. Leurs regards, leurs gestes, leurs visages expriment un drôle de sourire, comme une invitation. Tout, dans leur attitude bienveillante, semble vouloir me dire : – Viens ! (…) Ils sont morts,13-05-18 La traversée.jpg ai-je dit, mais ils ne sont pas morts puisque je suis vivant et puisqu’ils sont là, bien présents le long du mur blanc-jaune, et puisqu’ils me parlent. Ou alors, est-ce moi qui ne suis plus vivant.

C’est bien à un récit de Near Deth Experience que nous invite Philippe Labro. Ce n’est plus l’expérience d’une spécialiste de ces événements, le Docteur Elisabeth Kübler-Ross (voir Impressions littéraires les 2 » et 25 mai 2012 : La mort est un nouveau soleil), mais celle d’un homme comme vous et moi, au bord de la mort, et qui, finalement, s’en sort. Il est possible que ces expressions paraissent banales : « Aller de l’autre côté », quel cliché ! « Passer le cap Horn », quelle image facile ! Il faut se moquer de ces remarques. Si l’image paraît facile, c’est qu’elle est l’image vraie. Le problème n’est pas d’écrire : « L’autre côté », mais d’essayer de décrire à quoi il ressemble. Et d’abord, d’affirmer ceci : il y a un autre côté.

Qui eut pu croire que cela suffisait à faire un livre ? Et pourtant, c’est un livre vivant écrit par un ex-moribond et passionnant pour les réflexions qu’il contient.

Comment mesurer le temps lorsqu’on est attaché, perfusé et tubé ? J’ai besoin de me fabriquer une notion du temps. Me raccrocher à tout ce qui évolue : la lumière artificielle, la lumière du jour. Les bruits du matin dans le couloir de la réa, le silence de la nuit.

Il se dédouble, deux voix parlent en lui, celle de la vie et celle de la mort. C’est à l’instant où ce dialogue entre Moi et Moi s’est amorcé que j’ai entamé une nouvelle étape de la traversée. Deux voix vont désormais sans cesse se croiser (…). Elles font partie de moi, ces deux voix sont miennes, mais elles vont s’affronter dans un combat dont je suis le seul acteur et seul témoin. La voix de la tentation de la mort. La voix de la lutte pour la vie.

Et il redécouvre l’amour : Alors revient comme un contre-courant, le visage de l’amour. Alors revient la troisième force. Première force : la volonté et la résistance, transformés en un combat verbal entre les deux voix (la négative et la positive). Deuxième force : le rire. Troisième force : l’amour, les autres.

L’amour qui sauve, c’est non seulement celui des proches, sa femme, ses enfants, mais aussi celui que donne les infirmières, celles qui vous soignent. Ainsi Florence qui parle avec une extrême politesse qui force à l’obéissance.

Trois fois, il passe de l’autre côté, avec une expérience différente à chaque fois. Je me sens sortir de mon corps. J’ai l’impression que je me vois sur le lit, entouré des hommes en blanc et en vert, avec, derrière ce rideau d’hommes, les assistantes et les infirmières. (…) Et voilà que ce corps et cet esprit, qui ne font qu’un, sont entraînés dans le même trou en forme de tunnel qui m’avait fait si peur la première fois. Or ce tunnel n’a plus rien d’effrayant. Non seulement il n’est pas en pente, il ne descend pas, mais il semble monter doucement, dans une ascension bienveillante. En outre, il est clair, de plus en plus clair, il devient même tellement lumineux que je suis aveuglé par cette lumière et je ne vois plus que cela ; de la lumière.

Oui, c’est un livre choc parce que vrai, au-delà des histoires, des visions habituelles de la vie. Philippe Labro a franchi le cap Horn et il en est revenu. Sa vie a changé. Ils sont rares ceux qui sont allés jusqu’à la frontière. Ce sont nos seuls témoins. Alors lisons-les avec respect.

17/05/2013

Raga Flamenco

http://www.youtube.com/watch?v=YbhF3g4wI_w

 

Un tel mariage des genres semblent impossible. Et pourtant, pour notre plus grande joie, il est réalisé par Anoushka Shankar, fille de Ravi Shankar et un groupe flamenco qui n’est pas nommé, ce qui est dommage pour la chanteuse. L’Inde et l’Espagne réunies dans la musique et c’est une vraie fête !

Le sitar indien au diapason avec la guitare, dans un rythme qui convient aux deux civilisations. Plus de deux minutes de pure musique indienne, puis brusquement le chant flamenco, enfin l’accompagnement de guitares. Quelle surprise, déroutante, mais qui peu à peu, vous fait entrer dans une atmosphère particulière : un raga indou agrémenté au chant plein d’émotions du flamenco. Les deux adorent l’ornement et les variations instrumentaux ou vocaux. Alors le mariage est finalement réalisable.

Un voyage, les yeux fermés : défilent à la fois les fleuves indiens et les bodega ibériques.

16/05/2013

Le pinceau

Un pinceau, c’est une mouche qui vole
De pots de confiture en lieux d’aisance
L'insecte décrit des cercles d’espoir
Navigue en entrechats et pirouettes
Soumis au gré de la concentration
D’une main et de sa réflexion

Voyons ? Un peu de rouge carmin
Au coin de ce cercle de lumière
Du jaune fluo dans ce trou évasé
Elle passe d’un pot à l’autre sans vergogne
La barbe engluée de couleurs
Et chante modestement son habileté

C’est ainsi que s’essaime avec modestie
Le liquide coloré sur la toile blanche
Et que le monde connaît une œuvre de plus
Un carré de tissu tendu sur un châssis
Qui représente le monde imaginaire
D’un homme à la main leste et sûre

Le peintre est bien le magicien
Attendu ce jour à la sortie du train

15/05/2013

Baby & me : the new evian film

Pas mal cette pub. Discrète sur la marque, elle est un tour de force sur le montage. C’est la nouvelle pub d’Evian : renversante !

Oui, ils sont drôles ces petits bonhommes.

http://www.youtube.com/watch?v=pfxB5ut-KTs

 


 

14/05/2013

L’étudiant étranger, roman de Philippe Labro

Mais pourquoi ai-je éprouvé le besoin de commencer par Buck Kuschnik ?  se demande Philippe Labro au début de ce roman autobiographique. Qu’est-ce que ça voulait dire, ce corps de dix-huit ans, vêtu seulement d’un long plittérature,roman,société,femmeantalon de pyjama à rayures classiques, les chevilles attachés aux barres de métal des deux extrémités du lit de sa chambre dans le freshmen dorm, aile ouest du dortoir, rez-de-chaussée, à droite quand on entrait dans la cour ? 

Français, il découvre, grâce à une bourse, un collège américain très classique en même temps qu’il fait, adolescent, l'expérience de la vie. C’est un tourbillon d’incertitudes, d’affirmations de soi, d’épreuves nouvelles, d’apprentissage des « date ». C’est un verbe, c’est aussi un mot, ça veut dire un rendez-vous avec une fille, mais ça désigne la fille elle-même ; je vais boire un verre avec une date. Une fille vous accorde une date et elle devient votre date régulière si vous sortez plus d’une fois avec elle. (…) C’est un rite, et je me suis aperçu ici, sans le formuler de façon aussi claire, que tout est rite, tout est cérémonie, signe, étape d’un immense apprentissage. Il y a un Jeu et des jeux à l’intérieur de ce grand Jeu de la vie américaine et tout mon être aspire à les jouer.

Invité à Noël chez un ami américain, il fait connaissance avec une noire, April : Les Américains ont du mal à regarder une Noire en face, surtout si elle est belle, vous n’avez pas remarqué  cela ? Il se découvre sensuel. L’enfant ne redonnait pas tout simplement aux sens le rôle qui leur avait été partiellement confisqué, et se libérait donc et se délivrait et se révélait avec toute la violence d’une seconde venue au monde. Il fait l’amour avec elle, dans sa voiture. Elle avait ôté le pantalon de son survêtement, m’offrant la peau brune et velours de ses jambes et ce qu’elle m’avait offert m’avait paru plus beau que ce dont j’avais pu rêver.

Il tombe amoureux d’Elisabeth, d’abord entrevue dans toute sa splendeur attirante d’une héritière de Boston, puis découverte au travers de ses humeurs fantasques. Les conseils de Vieux Zach, doyen de son collège, le détourneront de cette merveille. Vieux Zach est dur, mais il lui enseigne que les choses n’arrivent pas comme ça, simplement parce qu’on les énonce. Agir ! L’Amérique lui avait enseigné qu’il est naturel et facile d’agir, alors que le continent d’où il était arrivé, lourd d’une éducation ancienne, privilégiait l’acte de compréhension. Et il avait appris ceci : que la compréhension et l’action ne doivent pas être posés comme irréductibles l’un à l’autre.

Un livre initiatique. Il met en évidence les joies, les difficultés, les erreurs et le bonheur d’être adolescent. Ce fut bien un passage rituel de l’enfance à l’âge adulte, période aléatoire où la personne se construit, heureusement protégée par un entourage attentif.

 

13/05/2013

Marcos Carrasquer, peintre et dessinateur

Marcos Carrasquer est un peintre onirique et prolixe qui expose actuellement à la galerie Samantha Sellem, 5 rue Jacques Callot, dans le 6ème.
Il met en scène ses personnages avec verve, violence et, parfois, attendrissement. Cette profusion est en réalité ordonnée et raconte une histoire. Il peint une nouvelle imaginaire qui se déroule sous nos yeux. Il n’a pas besoin de mots, de sons. Tout est dans la vue, le sordide, la profusion et la caricature avec ses personnages replets et grossiers.
Son style n’est pas sans rappeler les peintres flamands médiévaux et de la renaissance tels Jérôme Bosch (Le jardin des délices, par exemple) ou Bruegel avec La chute d’Icare.  Comme eux, il invente une histoire-résumé et laisse aller son imagination au fil de la plume ou du pinceau. Lorsque la toile est couverte de ses délires, il ne peut s’empêcher de rajouter quelques détails quasi invisibles, mais qui apparaissent avec force si l’on prend la peine de regarder avec attention.
Il aime se représenter sur ses tableaux. 

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Ainsi « Real Appeal » ou « L’appel du réel » où il se représente s’enfuyant, nu, d’une pièce sordide où sont couchées sa femme et sa fille sur un matelas. Il laisse une bulle de savon représentant ses rêves d’enfant (la période cheminot de beaucoup de gamins). Mais plus récente dans son délire est la femme, presque belle, du moins son visage, qui porte une autre femme plus forte et plus lourde qu’elle. Peut-être est-elle la représentation de ce qu’elle sera plus tard ? Il bute contre une maquette de son appartement dans lequel des policiers investiguent. Un souvenir de son enfance en Espagne au cours de laquelle son père a été emprisonné. C’est sa manière de prendre sa revanche sur ce passé encore très présent dans sa tête. A l’arrière-plan, on voit un homme assis qui semble méditer et évacuer ses divagations. Quel délire !
Il passe également en revue l’histoire de l’art.

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Guernica sert de tapis. Une princesse espagnole à tête de singe, inspirée de Velasquez, contemple, ahurie, le désordre de l’histoire de la peinture du siècle. Ainsi trois personnages, habillés d’un lange comme des bébés, à la tête d’urinoirs de Duchamp semble narguer soit l’inspiration représentée par la guenon, soit l’amas de peintres ensevelis dans une fosse commune. A droite, leurs toiles, enroulées, comme au rebus. Oui, quel délire !
Parcourons encore du regard quelques tableaux ou dessins :

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Ce monde est impitoyable et drôle, parce qu’apparemment disjoncté de toute vraisemblance. Mais cet étalage de folies est construit, raisonné avec le pinceau ou le crayon, avec talent. C’est la forme de la réalisation de l’œuvre qui lui donne toute son ampleur et sa beauté, une beauté de profusions glacées.

12/05/2013

Rêve du dimanche

Le dimanche se perd dans l’aquarium
Dont la solitude verte
Fait aux fenêtres dorées
Une rosée de pleurs

L’avenue bordée de pieds ronds
S’enfonce, infinie et chaude,
Vers la porte qui ne mène nulle part
Large tapis qui s’allonge, rigide

Les êtres s’étirent doucement
Vers trois coins opposés
Puis se laisse bercer
Par les vagues de leur lit

Parfois le soleil étale ses rayons
Jusque dans l’aquarium
Et cherche à détruire
Les ombres et la quiétude de l’air

Zébrée d’auréoles blondes
La cire ronronne et languit
Et des visages sans voix
Fuient leur cruelle engeance

L’aquarium émet des sons étranges
Rires alourdis de mains ouvertes
Dont chaque doigt cache
Un souffle de fumée

Les lits ouvrent leurs bat-flancs
À des jambes solitaires
Qui glissent dans leur ombre
Vers de longs tabourets

Et ceux-ci campés fièrement
Sur quatre pieds aux pattes décharnées
Offrent leur solitude
Au monde de chaleur

Une rangée de hallebardes
Dresse ses cache-flammes
À la brume prisonnière
Qui s’y attarde gaiement

Le soleil aussi semble profiter
De leur miroir d’huile
Pour caresser sa longue chevelure d’or
Et contempler ses éruptions

Univers clos
Monde parmi le monde
À la recherche d’une âme
Dans les brumes de son corps

11/05/2013

La soupe des pauvres, peint par Jules Adler (1906)

Ils sont là, nombreux, se pressant vers l’entrée que l’on devine. Ils n’ont pas de formes définies, de visages identifiables, de vêtements neufs ou même propres. Ils n’ont pas non plus de regard. Ils portent leurs biens en bandoulière. Rien. Seule leur attitude montre leur souffrance. Mais on devine les odeurs, les petits bruits de corps fatigués, les plaintes cachées. Y a-t-il meilleur reportage que ce tableau où l’on reconnaît les pauvres d’aujourd’hui ? L’ordre est là, bien sûr, dissimulé dans la pénombre, mais reconnaissable à ses grosses chaussures. Ils passent devant lui, les yeux baissés, sans une parole.

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Le peintre utilise le clair-obscur, le gris des murs et du sol, le flou des contours des personnages, les mélanges de teintes sombres avec les quelques couleurs vives. Seuls les visages apparaissent en taches claires, mais imprécises. Le mur du fond s’éclaire également pour faire ressortir la masse des corps et leur défilé ininterrompu. Anonymes, les personnages passent, inconnus, tendus vers la seule chose qui compte pour eux, la soupe.

Jules Adler a été surnommé le peintre des pauvres » par Louis Vauxcelles. Il rappelle « le peintre des humbles », Ferdinand Pelez de Cordova (voir le 16 janvier 2013 dans la rubrique 21 Impressions picturales).

Ce tableau appartient à la collection du Petit Palais.

10/05/2013

Jardin Albert Kahn, le jardin japonais

Albert Kahn était banquier. D’origine alsacienne, il s’appelait en réalité Abraham Kahn. Né en 1860, il est mort à Boulogne en 1940, ruiné par le krach boursier de 1929. Dès le 10 février 1887, Albert Kahn écrit à Bergson : « cela va assez bien en ce qui concerne les affaires mais, vous le savez, ce n’est pas mon idéal {…} ». L’homme mûr, le banquier qui a réussi, va donc consacrer sa vie et sa fortune, entre 1898 et 1931, à l’établissement de la paix universelle.  Il s’installe au numéro 6 du quai du 4-Septembre en 1893. Il y loue, avec promesse de vente, un hôtel particulier. Cette maison, construite en brique et en pierre, s’ouvre largement sur la colline de Saint-Cloud. Jusqu’en 1910, il constitue patiemment le terrain de son jardin en achetant progressivement diverses parcelles, puis en les assemblant. Cette démarche conduit à la création d’un genre de jardin bien particulier au XIXe siècle : le jardin dit « de scènes ». Chaque acquisition permet à Albert Kahn de créer une nouvelle scène. Chacune d’elles apparaît comme une référence à des courants de l’art des jardins au XIXe siècle : le style « régulier » dans le jardin français, le style « paysager » dans le jardin anglais, le « japonisme » dans le jardin japonais, puis il prolonge avec la forêt bleue, la forêt vosgienne, la forêt dorée.

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En 1989, le département des Hauts-de-Seine a souhaité rendre hommage à la vie et à l’œuvre d’Albert Kahn par la création d’une œuvre paysagère contemporaine. Ce jardin japonais, conçu par le paysagiste Fumiaki Takano, est une métaphore de la vie d’Albert Kahn. Un nouveau jardin japonais a été implanté à la place de celui qu’Albert Kahn avait créé en 1908-1909. Il ne subsiste plus rien de l’ancien jardin excepté le grand cèdre de l’Himalaya et le hêtre pleureur sur le petit îlot, les deux ponts, ainsi qu’un portique en bois donnant sur le verger.

Cette création contemporaine rend hommage à la vie et à l’oeuvre d’Albert Kahn, en souvenir des liens étroits qu’il entretenait avec le Japon. La symbolique de cet espace suit trois axes essentiels, se joignant tous en une pierre centrale :

·         l’axe de la vie (Yang), symbolisé par la rivière et par les constructions coniques en relief ;

·         l’axe de la mort (Yin), représenté par les constructions en cône inversé ;

·         l’axe féminin - masculin, déterminé par le hêtre et le cèdre.

Cette symbolique reprend le principe fondamental du Tao, celui de la complémentarité dans l’opposition pour former un tout.

(Source : http://albert-kahn.hauts-de-seine.net/)

 Mais promenons-nous dans ce jardin japonais qui est exceptionnel et particulièrement dépaysant.

On débouche sur un jardin perdu au milieu des immeubles, mais sa construction en forme de bol, dont les bords dominent la partie centrale où se trouve l’étang aux carpes permet de trouver dans ce petit espace qui fait tout de même un hectare une paix très orientale. Seul le bruit des voitures, incessant, trouble cette quiétude.

Une très bonne description de ce jardin se trouve sur le site Albert Kahn à l’adresse suivante : http://albert-kahn.hauts-de-seine.net/les-jardins/les-differents-jardins/jardin-japonais-contemporain/

 

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Une après-midi sereine, au soleil du printemps, parmi les cerisiers en fleurs, n’est-ce pas le début du paradis ?

Tentez cette découverte, vous ne le regretterez pas !

09/05/2013

Le beau

 Si l’on recherche la signification des termes « beau » et « beauté » dans un dictionnaire, on est surpris et attristé de constater que le beau et la beauté ne signifient rien de très concret et sont même des concepts indéfinis.

« Est beau ce qui suscite un sentiment admiratif par sa supériorité intellectuelles, morale ou physique, ou encore, qui suscite un plaisir esthétique d’ordre visuel ou auditif. » (Larousse). La beauté n’est que « le caractère ou la qualité de ce qui est beau ou conforme à un idéal esthétique » (CNRTL)

Bref, est beau ce qui nous donne une impression de beauté et la beauté est la qualité du beau et nous ramène à l’esthétisme. Or l’esthétisme est le culte du beau (CNRTL) ou encore l’art de penser le beau, science de la connaissance sensitive (A. G. Baumgarten, philosophe allemand). Tout tourne donc autour du beau sans que l’on sache ce qu’est le beau.

 

Mais qu’est-ce qu'est le beau pour moi ? Comment je le définis ?

On peut commencer la réflexion en se demandant s’il y a un beau absolu, un idéal atteint que l’on pourrait prendre en référence. Ce beau absolu pourrait équivaloir à la notion de bonheur absolu. Et l’on pense immédiatement au paradis qui est notre représentation du bonheur absolu. Mais comment invoquer le paradis ? Chacun le voit ou tente plutôt de l’imaginer à sa manière. Et la notion de paradis disparaît en termes de connaissance commune ou de concept universel. Ceci ne nous dit toujours pas ce qu’est le beau.

Alors, plutôt que de tenter de définir ce qu’est le beau, essayons donc d’en trouver les caractéristiques.

Première caractéristique : L’impression de beau ressentie est propre à chaque personne. Je ne trouve pas forcément beau ce qui semble beau à mon voisin et inversement. C’est bien pourquoi le terme est si difficile à définir. Le beau implique une adhésion personnelle dans l’instant, adhésion non réfléchie, mais très prégnante.

Deuxième caractéristique : Si certes le beau est une impression personnelle, elle n’en est pas moins partagée par un grand nombre. Il y a donc bien une notion commune dans cette impression qui la fait reconnaître parmi les autres.

Troisième caractéristique : Le beau n’est pas fréquent. Il est exceptionnel. C’est la perle rare à contempler et dont on jouit parce qu’elle est différente. Certains paysages sont beaux parce que peu habituels. Cependant l’exception ne fait pas le beau. De nombreuses choses ou êtres sont exceptionnellement laids.

Quatrième caractéristique : Le beau est éphémère. Il s’agit certes de la notion de temps qui dénature progressivement le beau, mais également du sentiment ressenti face à quelque chose de beau. A trop contempler quelque chose ou quelqu’un de beau, on n’en mesure plus la beauté. On s’habitue à la beauté. Elle devient banale, donc sans la consistance du merveilleux qu’elle procure au premier abord. C’est bien en cela que le beau est une impression, voire un sentiment. Il s’envole dès lors qu’on en abuse.

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Cinquième caractéristique : La notion de beau s’acquiert. Elle est le fruit d’une éducation et c’est en cela qu’elle est partagée. En conséquence, elle est liée à des conventions et à des modes. Mais jusqu’à un certain point. Le sentiment de beau se forme dans la jeunesse. On peut ensuite le développer. Cependant ce sentiment spécifique reste celui de notre enfance. C’est cette impression inoubliable de nos jeunes années qui est à la naissance de notre sentiment de beauté. On pourra ensuite se former culturellement à la beauté et notre adhésion sera liée à la raison et la culture. Il n’empêche que notre réel sens de la beauté est l’adhésion que nous avons rencontrée lorsque nous étions enfant.

Sixième caractéristique : Le beau ne s’exprime que sous une forme concrète. Son concept n’existe que parce qu'il est devant moi. On peut disserter sur le beau, mais on ne l’éprouve que devant une forme réelle, qu’elle soit visuelle, sonore, olfactile ou même intellectuelle.

Septième caractéristique : On pense souvent que le beau est lié à l’harmonie, voire à l’ordre. Mais est-ce si sûr ? Bien souvent le beau survient d’un dérèglement de l’ordre, comme dans le cas des éclairs lors d'un orage. Le beau de la peinture abstraite n’a pas d’ordre. Certes il peut avoir l’harmonie. Mais cette harmonie est subtile et ne se remarque pas de prime abord.

Huitième caractéristique : Le beau est balancement entre les formes, les couleurs, les sons, tout ce qui est qualité d’une chose. Et ce balancement est plus ou moins prévisible parce qu’il implique des répétitions. C’est particulièrement vrai dans la musique et dans la symétrie. On trouve belle une musique parce que ses phrases mélodiques peuvent être imaginées par l’auditeur avant même qu’elles ne soient jouées. Mais, dans le même temps, l’agencement inconnu des variations est nécessaire pour en faire la beauté. La chanson ordinaire est tellement prévisible qu’elle en devient rengaine.

Neuvième caractéristique : Le beau suscite la curiosité, l’attirance et, in fine, la satisfaction. Pour Emmanuel Kant, le beau est l'objet de la satisfaction désintéressée. On aime le beau parce qu’il nous satisfait sans que l’on puisse dire généralement pourquoi. Le beau rend heureux.

Dixième caractéristique : Le beau est ce qui résonne en moi et augmente, magnifie, exalte mon être. Dans le même temps, il procure un sentiment de communion intime avec l’univers.

Onzième caractéristique : Le beau est une communication, un échange sans parole entre ce qui m’émeut et mon être ému. Et cette émotion renforce sa beauté parce qu’elle nous transforme. Contempler le beau, c’est se laisser transformer.

Douzième caractéristique : Cette transformation est visible pour les autres. La beauté irradie et donne à celui qui la perçoit le privilège d’irradier à son tour la beauté.

Treizième caractéristique : La beauté est une clé de la compréhension intime du monde. « La beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance. » (Jean-Paul II). La beauté est la présence manifestée de l’invisible dans l’univers.

08/05/2013

Flâner, c’est survivre dans le bonheur

Flâner, c’est survivre dans le bonheur

La bouche à la surface de l’eau
On se laisse dériver dans le courant
Les yeux ouverts, les idées vides
On se laisse pénétrer des lourdeurs
D’un paysage à l’accès difficile
Mais en toute liberté, en apesanteur
Le soleil à fleur de peau, ouvert à tous les vents

Ecarte ce décor connu et tends les bras
Prends dans tes mains inassouvies
Cette couleur jaunissante de la vie
Et laisse-la déborder en flots continus
Marche dans le vent aigu,
Chante dans l’air asséché,
Cours sur la vapeur transparente
Et poursuis ta quête de l’inconnu

Ce bonheur que tu perçois
Tu le tiens éveillé en toi
Tu le caresses de tes poumons endoloris
Tu ne le laisses pas partir
Même s’il semble t’échapper

Cette survie est la vraie vie
Partir les mains vides, les yeux transparents,
Les idées évacuées, et plonger sa tête
Dans ce monde que nous respirons

Ah, les délices de cette promenade
Qui bientôt finira au bord de la vie

Oui, flâner, c’est survivre dans le bonheur

07/05/2013

Le marché aux puces de Saint Ouen

Les puciers de Saint Ouen accueillent les chineurs dans de bien étranges demeures. Certains stands font moins de deux mètres carrés. L’homme y tenait debout, mais ne pouvait bouger qu’en sortant sur le trottoir. On peut presque se perdre dans ces marchés multiples. En 1920, Robert Vernaison, concessionnaire de droit de stationnement aux Halles de Paris, puis loueur de chaises des jardins publics parisiens, et propriétaire d’un terrain à Saint-Ouen, installe des baraques en bois préfabriquées sur ce morceau de zone appelé lieu dit "les 26 arpents". Devenu le marché Vernaison, il reste l’empreinte et l’enseigne de la chine de Paris et est le plus attrayant.

 Un stand au coin d’une de ses minuscules rues. Il est fermé. C’est normal. Il est habité de squelettes. Le stand est propre cependant et ses locataires sont bien tenus, même s’ils datent d’un siècle écoulé. Ils surgissent de ce décor maladroit et font la fête avec entrain. Regardez ce couple élégant qui tourne avec aisance et dignité. N’est-il pas racé ?

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Et cette femme au regard d’acier qui vous appelle : « Venez dans mon monde, entrez dans la boutique, participez à notre fête ! » Vêtue de plumes, elle rit de toutes ses dents en attirant le client.

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Et si vous vous laissez tenter, vous vous retrouvez exposé en habit à la curiosité des passants qui admirent votre solennité. Alors vous buvez un verre de cognac pour vous consoler de ne pouvoir bouger. La cigarette reste autorisée dans ce lieu d’avant la loi anti-tabac.

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Attention. la boutique est gardée par une femme de tête, chauve et tenace, qui vous barre le chemin. Cela vaut peut-être mieux !

 

 

Quel séjour ! Heureusement, je croise quelques mètres plus loin des moines bouddhistes qui marchent en procession, graves, portant la lumière du monde. Ils viennent de loin et de deux monastères différents. Merci, petits frères, d’accompagner au royaume des morts le vivant que je suis !

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06/05/2013

Rosace

Cette fois l’ambivalence d’il y a trois jours est tombée, le cercle s’accomplit, la forme se dévoile : le cercle dans la croix, crucifixion et résurrection simultanément.

En principe une rosace est une figure constituée d’éléments organisés symétriquement dans un cercle à partir d'un point ou bouton central. Sa beauté est liée à la symétrie, aux formes représentées et à leur répartition harmonieuse entre le centre et la limite du cercle. Mais ici la rosace est de forme carrée. Elle ne s’inscrit qu’en contrejour. Elle se devine plus qu’elle ne se voit.

 

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05/05/2013

Le monastère d’Alcobaca, au Portugal

http://www.youtube.com/watch?v=s9A0_kwUSzI

 

 

Splendeur et gigantisme. Cette abbaye vaut le détour. Y a-t-il autre chose à dire ?

Juste un mot : était-ce vraiment une abbaye dans laquelle vivaient une multitude de moines ?

Et si vous voulez en découvrir plus, regardez ce panorama :

http://photo.photojpl.com/tour/alcobaca-monastery/tour.html

04/05/2013

Prudence et parcimonie

Prudence ! Viens, la petite, viens !
Gambade encore devant mes pieds
Soulève mes chaussettes trouées
Et découvre sous mes pas
Les pièces semées par inadvertance

Froid, désolation, rien ne vient
Aujourd’hui est le jour raté
D’un retour au primitif
A la valse lente des mirages

Le matelas des cieux, moelleux
S’endort au-dessus des frissonnements
Du jardin englouti dans sa torpeur
Pourtant la nature s’est éveillée
Elle a fait grandir les pousses
Mais sitôt fait, elles ont stoppé
Leurs gambades allègres
Elles se sont rétrécies de crainte
Elles attendent leur heure qui ne vient pas

La lassitude s’enracine dans les membres
Bouges-tu ton petit doigt
Tu réalises un exploit
La chair de poule t’envahit
Tes frissons te couvrent d’une carapace
D’indolence fiévreuse

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Et pourtant ces bouquets de blancheur
Se dressant en écume de vie
Sont bien le signe d’un mouvement
Un appel à la décontraction
Quand donc nous relâcherons-nous
Laisserons-nous aller nos oripeaux
Pour nous laisser rôtir nus
Et dansez le sabbat au jour le plus long ?

03/05/2013

Ambivalence

Tel ce dessin dans lequel les côtés s’accordent en abscisse et s’opposent en ordonnée, l’homme oscille sans cesse entre le bien et le mal.

 

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Et si l’on regarde bien, pris individuellement chaque quart penche d’un côté ou de l’autre. Telle est l’ambivalence de la nature humaine.

 

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02/05/2013

L'échappatoire

Quelque part, en France, il existe une installation très spéciale sur un fleuve : un bac à double sens permet de le franchir. La plupart des gens l’évitent. Il est perdu dans la campagne et un pont suspendu se trouve à quelques kilomètres. Seuls ceux qui ne le connaissent pas ou les habitants des villages des deux rives s’essayent à franchir le fleuve à cet endroit. Deux gardiens, employés par la commune, sont là pour le péage. C’est une obligation légale établie lors de la construction des bacs il y a plusieurs dizaines d’années. Le montant du passage est suffisamment élevé pour qu’on soit obligé de passer à plusieurs. Mais le prix n'est pas fixe. Il dépend du nombre de passagers pour la traversée dans un sens, mais aussi dans l’autre sens. Il dépend également du poids des impétrants, de l’heure de la journée, du passage des bateaux assez fréquent en milieu de journée et de l’humeur des gardiens. Le péage est fondé sur la capacité à négocier de celui qui veut tenter l’aventure. Car il faut avant tout trouver un leader qui prend à sa charge cette mission périlleuse.

La négociation commence entre les demandeurs d’une rive. Combien acceptent-ils d’investir pour traverser ? Quatre euros, cinq, voire sept ? La discussion dépend bien sûr du nombre de personnes, mais aussi du temps de négociation et de l’heure à laquelle elle se termine. Lorsqu’ils se mettent d’accord, une entente réelle a pris forme et ils défendront leur point de vue envers et contre les volontaires de l’autre rive. Le leader va alors voir le passeur, lui donne le chiffre atteint et reprend la négociation avec lui. Souvent, le chiffre demande quelques ajustements de la part du groupe qui finit par consentir à ajouter quelques dizaines de centimes. Le gardien appelle alors son collègue par téléphone. Il est assez fréquent qu’il n’ait pas en face un groupe semblable prêt à traverser. Il faut alors attendre. Certains groupes jouent aux cartes, d’autres observent les mouettes tracer dans l’air des courbes vertigineuses, quelques-uns, mais peu, ne se parlent pas et attendent en silence. Lorsque le groupe opposé est prêt – ce qui signifie qu’il a effectué les mêmes opérations de négociation – le leader, par l’intermédiaire du gardien entame la négociation entre les deux groupes. Elle peut durer. Certains s’entendent très vite, mais il est arrivé qu’elle se prolonge au-delà de la journée. Généralement elle se situe entre quinze minutes et une heure. Chaque leader met son point d’honneur à ne pas céder aux exigences de l’autre. Ce sont parfois les autres membres du groupe qui finissent par accepter les conditions outrancières de l’autre rive. Les gardiens ont également leur mot à dire, en fonction des différentes variables exposées plus haut. Habituellement ils anticipent d’un quart d’heure le changement de tarif : arrivée d’un train de bateaux, passage d’une perturbation atmosphérique ou tout autre élément ayant un poids sur le prix. Lorsque les négociations sont terminées, on débouche une bouteille de part et d’autre de la rive et on la laisse ouverte sur la table dans le bureau des passeurs. Le groupe s’entasse dans la barge, le gardien revêt son casque, met le moteur en route, donne un coup de sirène et commence la traversée. Le croisement des groupes s’effectue généralement au milieu. On s’invective à pleine voix, les hommes gesticulant de part et d’autre. Certaines femmes agitent leur parapluie en poussant de petits cris. Puis les embarcations s’éloignent l’une de l’autre et l’on n’entend plus que le clapotis des vagues sur la coque. A l’arrivée, tous se précipitent dans le bureau des gardiens pour voir la bouteille dont le prix avait également été négocié. Le leader la prend, emplit de manière équitable chaque verre, et chacun boit religieusement le fond d’alcool auquel il a droit. Lorsque la dégustation est finie, on se salue d’une inclinaison de la tête et chacun repart vers ses occupations, heureux d’être enfin parvenu de l’autre côté.

Pourquoi, me direz-vous, ces gens perdent-ils un temps précieux à ces opérations difficiles et aléatoires de négociation au lieu d’aller traverser sur un pont somme toute assez proche ? C’est le seul endroit en France où l’on trouve un tel système. Il est en fonctionnement depuis pas mal de temps et personne ne le remet en cause, même pas les maires des deux communes qui payent les deux gardiens. Ce que l’on peut dire, c’est que c’est également le seul lieu en France où il n’y a ni crime, ni délit. Le rôle du bac est d’établir un lien social et quasi éthique entre les habitants des deux villages. Ils se connaissent bien, s’estiment  pleinement, s’invectivent fortement sur le bac et apprécient de pouvoir boire un coup chaque fois qu’ils traversent la rivière. La négociation tient lieu de trop plein à leur agressivité. L’ai-je rêvé ou est-ce vrai ?

01/05/2013

Chaque femme est un roman, roman d’Alexandre Jardin

Extrait du prologue :

Parfois, il me semble que les femmes sont des tremplins vers le fabuleux. Ecrivaines pour la plupart non pratiquantes, elles produisent de la prose intérieure destinée à tromper leurs déceptions et à soigner leurs rêves. Changent-elles de métier, d'amant ou d'opinion ? C'est d'abord une césure, un rebond de style, un chapitre qui se tourne. Adressent-elles une œillade à un passant ? C'est un best-seller qui débute. Depuis mon plus jeune âge, je sais que chaque femme est un roman. Voici en quelque sorte mes études littéraires, blondes et brunes.

Alexandre Jardin se penche sur les femmes par l’intermédiaire de scénettes croustillantes d’imagination et de verve. Chacune d’elle se termine par une sortelittérature,roman,femme,récit de leçon de chose. Ainsi une erreur sur la personne (féminine bien sûr) fait conclure : Je dois à cette voisine du dessous, avide de cajoleries plurielles, de m’avoir fait sentir combien je suis l’auteur de mes sentiments. Aimons-nous des êtres réels ou l’opinion que nous faisons d’eux ?  Ou encore : Alexandre, sommes-nous ce que nous paraissons ? Poser la question, c’était y répondre. Eperonnée d’un vif appétit de vérité, elle aspirait alors, je le suppose, à plus d’authenticité et à redescendre des sommets où je l’avais placée. Miner la perfection, ça use. Notre histoire, asphyxiée de pétrarquisme, ne pouvait plus durer.

Les croquis de personnages insolites sont drôles et acidulés. Il décrit ainsi son producteur : J’aime qu’en lui se combattent mille singularités incompatibles et je raffole de l’obstination qu’il met à paraître ce qu’il n’est pas. Romanesque à l’excès, cet animal hors-série s’affiche raisonnable. Suraffectif, il se présente volontiers froid ou blasé en public. Doté d’une curiosité omnidirectionnelle, il raille volontiers les éparpillés et s’il s’installe dans le brillant de l’actualité je l’ai toujours vu passer très au large des modes. Pourquoi pavoise-t-il dans les atours de la réussite alors qu’il n’est qu’aventure ?

Alexandre Jardin campe chaque personnage dans des situations baroques. C’est ainsi qu’il va séjourner dans un hôtel où il est interdit de parler. Et il en tire une conclusion saugrenue : Pendant onze jours, allégé de tout babil, j’ai pu observer qu’on favorise mieux la communication en l’interdisant qu’en la prônant ; car s’obliger à ne pas parler n’a que peu de choses à voir avec le vide.  Et encore moins avec le dessèchement de l’indifférence. Vidangé de son trop-plein de mots, le monde devient alors transparent. Comme si la parole empêchait les dialogues de grande amplitude. Jamais je n’ai eu autant le sentiment d’échanger avec celle que j’aime. Dans le vacarme de notre mutisme, au bord du grand soupir de l’océan, chaque regard de Liberté (sa femme) se mit à compter. Tout gémissement avait valeur de discours incandescent. Le moindre devenait colossal. C’est là-bas, épargné par la dérobade du langage, dans cet ermitage des tempêtes tropicales, que j’ai appris ma femme. En la dessinant bouche cousue, je l’ai mieux sue.

Les hommes ont toujours à apprendre des femmes. De plus, ils aiment se laisser surprendre pour se retrouver dans l’inconnu imprévisible, l’univers féminin. Madame Equal, professeur de maths, a adopté un système éducatif radical, elle vire les bons élèves. La semaine suivante, je savais mes cours par cœur avant d’entrer en classe : pour pouvoir sortir au plus vite et jouer au foot avec vacarme. Et nous fîmes tous de même, nous les « virés » afin de ne pas moisir parmi les « inclus » condamnés à végéter devant un pupitre. Mme Equal est la seule prof de maths qui ait jamais su me motiver indirectement, comme si elle avait compris que le plus court chemin entre deux points reste le zigzag. (..) Mais à la fin de l’année, c’est elle qui fut virée !

Alexandre Jardin ne manque pas d’imagination et d’observation. En observant les femmes, il se construit lui-même. La plupart d’entre nous ne tirent que peu de conclusions à nos habitudes de penser. Lui, d’un coup d’œil, croque le comportement féminin et lui rend sa puissance imaginative. Alors le regard sur les femmes change l’homme et ouvre en lui la porte de l’amour. Peut-être sommes-nous essoufflés dans la dernière partie du livre. Trop, c’est trop ! La verve devient lassante. Il termine sur un pied de nez : A ma montre, celle de papa, il est exactement huit heures vingt du matin à l’instant où je tape ces mots ; l’heure où j’ai aperçu Liberté pour la première fois il y a sept ans, d’un coup d’œil dilaté. Parviendrai-je à épouser cette femme qui, déjà, m’apprend à mourir en dansant sur les tables ? Elle sait si bien me mettre en demeure de rencontrer l’inattendu ; à son bras, je consens à vieillir.

30/04/2013

Chapeau !

Quelle engeance, cet étrange galurin
Sur la tête d’une aussi jolie statue
Immobile, elle s’égare dans son indolence
Et pique un fard au bain-marie 

Haut de forme, serrant le crâne
Il permet de se distinguer des autres
Par une étrange stature rehaussée
Mais quel malheur lorsqu’il faut saluer

Certains aspirent au chapeau
Rouge cardinal, il attire l’œil
Dans la foule des prétendants
Et fait ressortir la majesté du personnage

D’autres les préfèrent ruisselants
De fruits débordants et veloutés
Elles imaginent la bouche ronde
D’amants gobant les cerises

Il peut arriver que l’on en bave
Comme les ronds de fumée
Qui sortent de la bouche du fumeur
Et font trembler l’air d’extase irréelle

On peut le tirer jusqu’à terre
Et saluer ainsi une inconsolable
Qui au sortir d’une relation
Entre au purgatoire des amours

Chinois il ne pèse pas la paille
Qui le garnit en conque ouvragée
Vissé sur le caillou par son attache
Il peut devenir le toit des humbles

Certains le mettent en tête
D’articles énigmatiques
Pour atténuer l’impression désobligeante
De savantes et vaines recherches

Mais lorsque celui-ci commence à travailler
Il est temps de tremper sa tête dans l’eau fraiche
Pschitt ! Quel dessalement d’enfer !
Mais quelle idée de vouloir se couvrir ?

29/04/2013

La contrainte de la liberté

L’artiste moderne est un solitaire qui écrit pour lui-même ou pour un public dont il n’a aucune idée précise. Lié à une époque, il s’efforce d’en exprimer les traits ; mais cette époque est sans visage. Il ignore à qui il s’adresse, il ne se représente pas son lecteur. (…)La terreur du goût a cessé, et, avec elle, la superstition du style. S’en plaindre serait aussi ridicule qu’inefficace. (…) Ecrire pour tout le monde ou pour personne, à chacun d’en décider, selon sa nature. Quel que soit le parti que nous prenions, nous sommes sûrs de ne plus rencontrer sur notre chemin cet épouvantail qu’était autrefois la faute de goût.

(E.M. Cioran, La tentation d’exister, Gallimard, 1956, Le style comme aventure, p.131)

 

La liberté enfin, mais quelle contrainte introduit-elle ! Ce n’est plus l’autre qui constitue l’approbation ou le rejet, mais soi-même. Et comme il est difficile de se juger soi-même. On a toujours tendance à au moins chosifier ses créations, sinon à les choyer. Ce recul d’un pas est celui des grandes âmes. Peu sont capables de le faire.

28/04/2013

Interprétation

Glenn Gould - Bach Partita N.6 in E mino

http://www.dailymotion.com/video/xr7f7_glenn-gould-bach-partita-n-6-in-e-m_music


 

Sokolov - Bach Partita VI BWV.830.wmv

http://www.youtube.com/watch?v=MR-RnegtUeo&list=PL437D87E43BBC9E5D


 

Le même morceau, par deux musiciens virtuoses. Un régal. Et pourtant, quelle différence de jeu et d’interprétation ! Lequel a raison ? Ou encore, ont-ils raison tous les deux ?

L’introduction est bien différente entre les deux pianistes. La virtuosité technique de Sokolov lui permet d’adopter une interprétation « coup de vent ». Mais les deux premières phrases restent plates. Elles ne font que préparer la troisième où le musicien excelle et démontre sa faconde. Glenn Gould trace ces deux premières phrases comme une mélodie en soi où l’on distingue bien, en fin de phrase, la doublure de la main gauche par rapport à la main droite. Sokolov n’en fait qu’un apéritif sur le pouce. Gould en fait un hors d’œuvre exquis dont toutes les saveurs sont mises en évidence.

Puis vient la puissante montée du clavier, comme un éclair de compréhension et d’explication des deux premières phrases. Mais on ne le sent que lorsqu’on écoute Glenn Gould. Cette montée se coule dans les précédents énoncés, comme un prolongement et un développement. Elle est marquée d’une grande expression par un ralentissement dans chaque épisode de la montée et cette pause discrète est le rappel de l’entrée dans la mélodie. Pour Sokolov, il s’agit plutôt de mettre en évidence la brillance de son jeu. Pas de différence entre les notes, pas de ralentissement qui rappelle le début de la pièce. Une échappée, une éclatante montée, mais qui ne nous dit rien sur le développement de la partition. Elle apparaît comme des notes surajoutées à la ligne mélodique, à la manière de Chopin, et non comme un épanouissement de la mélodie. Détachées du contexte, elles tombent, insolites et étrangères, surprenant l’oreille et la compréhension. Romantiques certes, mais décalés.

Cette première partie du prélude semble une longue interrogation, comme un pèlerin qui, à la croisée des routes, ne sait où aller. Il regarde le paysage, se laisse aller à quelques réflexions, s’enchante des détails de la nature. Tout à coup, il se décide et la mélodie se transforme en une sorte de marche qui monte à la main droite, puis est reprise par la gauche, en écho, inversée. Et cette petite dentelle est majestueuse, resplendissante de bonheur d’avoir trouvé le chemin. Elle semble partie vers les cieux, mais s’arrête très vite pour revenir aux interrogations. Elle reprend alors (1:11) avec des prolongations. Sokolov excelle dans son interprétation. Quelle belle montée, pleine d’assurance et d’espoir, si droite, comme la vision d’un but mêlée à la joie de l’arrivée. C’est émouvant de régularité et de paix et vous vous sentez mieux, reposé par cette tranquille quiétude d’une captivité unique, d’une montée persévérante vers un ciel dégagé de tout nuage. Le jeu de Glenn Gould est vraiment différent (2:10). Le voyageur monte en méditant. Ce n’est pas la joie qui l’anime, mais une vision de la vie différente, une sorte de retour sur soi-même pour mieux contempler cette montée exemplaire et lui donner son poids réel. La régularité est également là, mais elle est d’une autre qualité, emprunte de majesté et d’interrogation.

 

Remercions ces deux musiciens, si différents, qui nous donnent deux versions contradictoires et pourtant magnifiques toutes les deux. La musique, avec la danse,  est le seul art qui permet une telle diversité. Cela tient à cet intermédiaire supplémentaire qu’est l’interprète. Pour l’art graphique, la peinture, c’est au spectateur de réaliser en lui ces différentes visions de l’œuvre et cela demande un effort d'imagination qu’ici le pianiste fait pour vous.

27/04/2013

Lorsque j’étais une œuvre d’art, roman d’Eric-Emmanuel Schmitt

Tazio non seulement a raté sa vie, mais rate également ses 13-04-26 Oeuvre d'art EE Schmitt.jpgsuicides. Il est laid et inintelligent au contraire de ses deux frères, les plus beaux hommes du monde. Il trouve enfin le lieu idéal pour en finir, la falaise de Palomba Sol. Au moment où il va prendre son appel, une voix lui demande vingt-quatre heures. L’artiste Zeus-Peter Lama lui propose de changer de vie en lui abandonnant sa volonté pour qu’il devienne une sculpture vivante dénommé Adam bis.

 

Zeus-Peter est un artiste contemporain très médiatique, qui manipule les gens et dispose d’une grande autorité. Opéré, Adam devient une sculpture que tous s’arrachent.

– Suis-je beau demande-t-il à Zeus-Peter.

– Je t’ai créé pour embellir le monde.

– Suis-je beau ? Cesse ces banalités.

– Je n’ai pas voulu que tu sois beau, je t’en avais prévenu, j’ai voulu que tu sois unique, bizarre, singulier, différent ! Quelle réussite grisante.

Tazio a interdiction de se regarder dans une glace et de parler. Il se soumet. Tous veulent le voir et particulièrement les femmes, car l’artiste a transformé son sexe en sonomégaphore, la plus réussie des métaphores, prototype unique. Mélinda s’essaye, le démaillote et s’exclame :

– Incroyable !

Elle s’approcha, le contempla et le manipula avec légèreté.

– Une idée de génie !

Ses paupières et sa bouche en restèrent grandes ouvertes. (…)

Au troisième moment de repos, alors que nous reprenions notre souffle en fixant le plafond, Mélinda bondit à califourchon sur moi pour recommencer.

– Ah non, ça suffit ! Je n’en peux plus !

Les mots avaient jailli de ma bouche sans que je m’en rendre compte. (…) Elle me regarda avec effroi et poussa un cri de bête.

– Qui a-t-il Mélinda ?

Elle courut au fond de la pièce et se réfugia derrière un fauteuil, épouvantée. (…)

– Tu parles ?

– Naturellement je parle.

– C’est horrible. Je ne le savais pas.

 

Il se met à boire. Il fuit Zeus et se retrouve sur la plage et voit un groupe de silhouettes. Devant lui, un homme et une femme. Lui, assis. Elle debout. Ils regardaient le monde – ciel, mer, nuages, oiseaux – à travers la fenêtre du tableau. Inconscients de constituer eux-mêmes un tableau par la noblesse de leur attitude, attentifs, immobiles, elle se tenant derrière lui en appuyant ses mains sur ses épaules, ils fixaient le carré de toile dans lequel l’univers tout entier accourait pour se figer et s’organiser. Ils semblaient attendre devant le cadre que le tableau se fît.

Et cette rencontre va transformer Tazio. Zeus le vendra comme une œuvre d’art, de nombreux péripéties lui arriveront, mais tout se joue à cet instant, la rencontre d’un homme avec la beauté naturelle et la beauté artistique, si loin des beautés artificielles des femmes et de l’art médiatique de Zeus : Sa carrière ; il ne la fait pas dans son atelier, il la fait dans les médias ; ses pigments, ce sont les journalistes, et là, il est, sinon un grand artiste, un grand manipulateur. Avec cette sculpture, sa dernière, il se poursuit et en même temps il se dépasse, il franchit une frontière, il s’installe dans le terrorisme, il devient criminel.

 

Histoire de Faust qui conclut un pacte avec Méphistophélès, inspirée à l’auteur par un homme qui se faisait opérer sans cesse pour devenir plus beau. Histoire drôle, inquiétante et malgré tout romantique grâce à Fiona, la femme rencontrée sur la plage.

26/04/2013

Quand donc viendra le printemps ?

Quand donc viendra le printemps
Ce titilleur de notre humanité
Parfois bourgeonnent en nous
D’étranges sentiments
Divisés, nous ressentons l’appel
Des jours sans fin et enivrants
Mais notre léthargie reste tenace
Et paralyse nos élans
Quelle danse ! Passer du rien au tout
Puis revenir en arrière
L’ange de la paix s’est transformé
En diablotin qui chatouille
Le vivant en vous
Découvrez-vous, braves gens !
Bientôt viendra l’orgueilleuse
Dont le direct est un hommage
A votre éternité cachée
Le sang s’agite et bout
Mais les extrémités refroidies
Ne peuvent émouvoir
Ce corps grippé de rouille
Bouger est un calvaire
Pourtant, le grincement des sentiments
Laisse place au rire débridé
Lorsque pointe la langue rose
Sur le minois de la nature

Quand donc viendra le printemps
Cet éveilleur des corps
Cet agitateur de l’esprit
Ce marchand de rêve qui ensorcelle

Les cheveux dressés sur la tête
Vous chantez le renouveau
Réveil oublié, qu’attends-tu ?

25/04/2013

Papier et parfum

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Une fois encore, le jardin du Palais royal et ses galeries s’efforcent de relancer l’attention des passants par d’extravagantes présentations. Malgré la beauté et l’élégance de son péristyle, il n’offre que peu de promeneurs à ses boutiques. Seuls les clients fortunés ou curieux ouvrent la porte de celles-ci pour découvrir divers objets attrayants ou fanés.
Admirons aujourd’hui ce parfumeur qui a trouvé le moyen d’attirer l’œil avec des décors insolites et gracieux. Peu de moyens, de l’imagination à revendre, des éclairages tamisés, qui conduisent le spectateur dans un monde féérique.

La première devanture, de boules et de papier journal, vous introduit dans la peau d’une princesse inca. Pourquoi inca ? Me demanderez-vous. Ah, je me souviens, elle me rappelle la sculpture bouchant l’entrée d’une galerie dans Le temple du soleil, une des aventures de Tintin. Ce regard fixe et inquiétant de la princesse aide à mieux sentir les délices olfactifs de son parfum.

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La seconde devanture rappelle les corridas espagnoles et les señoritas qui cachent leur visage à l’ombre des plis de leur éventail. La chaleur aidant, ceux-ci vous voilent la réalité jusqu’à ne vous montrer que des frémissements de plis et de ronds. Le parfum aidant, vous succombez à leurs charmes.

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La troisième, que l’on pourrait intituler « l’information », est bien aussi une charmante. Mais elle est enfouie dans la profusion médiatique et ne respire que l’encre et le papier. Elle n’a pas droit au parfum qui pourtant se sert d’elle pour se vendre.

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Enfin la dernière ouverture sur ce magasin magique est cubiste tout en restant informationnelle. Mourir enfouie sous les paquets-cadeaux, quelle belle fin, n’est-ce pas ?

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24/04/2013

Le beau et l'art abstrait

Dans son livre « Du spirituel dans l’art », Kandinsky proclamait que nous commençons à peine à être libérés de notre dépendance par rapport à la nature. Il écrivait : « La subordination de la composition à la forme géométrique n’est pas une idée nouvelle. La construction des fondements purement spirituels est une chose lente, et qui paraît au début aveugle et sans méthode. L’artiste doit éduquer non seulement son œil mais aussi son âme, de façon à pouvoir juger les couleurs d’après leur propre échelle, et à faire d’elles un facteur déterminant dans la création artistique. (…) La beauté de la forme et de la couleur n’est pas un but suffisant en soi. (…) »

Pour Kandinsky, l’expression finale abstraite de tout art est le nombre. Il signifie par là qu’une œuvre d’art est une construction cachée, au-delà d’un simple effet de décoration géométrique. Il écrit en 1912 que le siècle approche d’un temps de composition raisonnée et consciente, où le peintre sera fier de dire de son œuvre qu’elle est construite.

Un siècle plus tard, qu’en est-il ? Ce mystère de la construction de l’abstrait est-il toujours vrai ?

Non, probablement. Prenons l’exemple du tachisme, de l’action painting, de l’abstraction lyrique. C’est une peinture qui est en réaction par rapport au cubisme et à la géométrie en général. Le choc du spectateur qui lui fait dire c’est bien une œuvre d’art ne tient pas à la construction du tableau, mais à l’impression visuelle immédiate qui introduit un déclic dans son esprit.

Oui, sûrement. Cette construction quasi inconsciente est essentielle pour démarquer le peintre du décorateur, l’artisan de l’artiste. Elle n’est pas raisonnée. C’est par expérience, échecs et succès, que progressivement peintre découvre cette différence. Tout son art est dans cette construction qui produit des effets calculées, sans qu’il soit réellement capable d’en dire les causes et d’en tirer des principes de construction suffisamment élaborés pour promouvoir plus qu’une simple école. Parfois, ce n’est que lorsque le tableau est fini que l’artiste est déçu : il croyait faire œuvre d’art et n’a fait qu’un objet de décoration. Quelle déception ! Mais dans le même temps, quel apprentissage vers le beau !