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26/09/2014

L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, un roman d’Haruki Murakami

Haruki Murakami nous avait habitués à des livres à lire d’une seule traite. Là, c’est en dents de scie que s’effectue la lecture. Lassitude et ennui au cours des 75 premières pages. On ne sait quand cela va démarrer. On attend. Cela ne démarre pas. Cela s’enlise dans un magma d’histoires d’amitié et l’on se dit à tout moment que l’on va définitivement fermer le livre. Il ne prend de l’intérêt que lorsquelivre,roman,japonais,histoire Tsukuru décide de mettre au clair l’épisode de sa vie qui l’a marqué au point de quasiment mourir de désintérêt pour le monde.

Appartenant à un groupe d’amis très fortement soudés, trois garçons et deux filles, il en avait été chassé du jour au lendemain sans savoir pourquoi. Nous ne voulons plus te voir lui avaient-ils dit sans aucune explication. Il vécut tout ce temps tel un somnambule, ou comme un mort qui n’a pas encore compris qu’il était mort. (…) Tsukuru était tombé dans l’estomac de la mort, un vide stagnant et obscur dans lequel il avait passé des jours sans date.

Un jour, il rencontre Sara Kimoto avec laquelle il se lit d’abord d’amitié, puis d'intimité. Très psychologue, elle sent la difficulté de Tsukuru à se comprendre lui-même. Il y avait un endroit spécial sur le corps de Tsukuru, dont il n’avait en général pas conscience, une toute petite zone extrêmement sensible. Quelque part dans son dos. Une partie tendre et délicate, le plus souvent couverte, cachée, invisible de l’extérieur, que sa main n’arrivait pas à atteindre. (…) Los de leur première rencontre, il avait eu la sensation qu’un doigt anonyme avait clairement appuyé sur l’interrupteur. Ce jour-là ils avaient beaucoup parlé, mais il ne se souvenait pas de quoi. Puis, il fait connaissance à la piscine (il y a toujours une histoire de piscine dans les livres de Murakami) avec un jeune homme, Haida. Ils deviennent amis, se rencontrent souvent, discutent tard le soir. Mais Haida disparait à nouveau de sa vie, on ne sait pourquoi.

Sara suggère à Tsukuru de chercher à savoir pourquoi ses amis l’avaient rejeté. Le livre prend alors une autre tournure. C’est presqu’une sorte de roman policier : pourquoi Tsukuru fut-il abandonné aussi brutalement par ses amis. Il va interroger d’abord les deux autres garçons du groupe, puis finalement la seule fille encore vivante dont la rencontre en Finlande est assez émouvante. Il apprend les raisons de son rejet du groupe. Est-il guéri de son sentiment d’être autre, sans consistance ? Non, il réfléchit, s’accroche à Sara. Mais progressivement le livre s’enlise à nouveau, il ne sait ce qu’il est et on ne saisit pas non plus ce qu’il va devenir. Derrière les mots se cache le vrai Tsukuru, un homme de trente-cinq ans qui n’arrive pas à saisir le sens de sa vie. Va-t-il réellement nouer sa vie avec Sara comme il semble en avoir envie, ou va-t-il poursuivre son errance sans aucun but. On ne le saura jamais. Le lecteur reste sur sa faim, sans comprendre pourquoi.

Le livre est bien écrit, il s’étire, s’étire au point que le récit semble céder. Il se resserre avant, à nouveau, de se relâcher et s’étirer sans cependant se rompre. Tsukuru choisit-il Sara ? Celle-ci choisit-elle l’autre homme qu’un jour Tsukuru avait aperçu avec elle ? Quoi qu’il arrive, si Sara ne me choisit pas demain, j’en mourrai vraiment, songea Tsukuru. Que ce soit une mort réelle ou métaphysique, cela ne changera pas grand-chose. Mais peut-être que, cette fois, je rendrai pour de bon mon dernier souffle.

25/09/2014

Neuf heures

Neuf heures…
La ville dort, l’ombre veille
Les yeux ouverts sur ton image
Je t’entends ébaucher de tes lèvres vivantes
Mon nom comme un murmure insaisissable

Au-delà des collines
Derrière l’amas de fer et de béton
Qui crée notre séparation
Tous les mots prononcés
Tous les rires jetés en l’air
Rebondissent sur le miroir
De ton regard tourné vers moi

Neuf heures encore…
Comme un sourire inépuisable
Lorsque le soleil apparaissant
Sur tes cheveux épars
Parmi les aiguilles de pin

Proche et lointaine
Vivante ou morte
Ton absence évanouie sur cette heure
 Cerne mon visage attentif

Encore quelques secondes
Quelques minutes volées
Une caresse rêvée et malhabile
Et la nuit reprendra son bien
Pour l’ensevelir parmi les étoiles

© Loup Francart

24/09/2014

La grande vague au large de Kanawaga, de Katsushika Hokusaï

Hokasaï est un grand peintre et dessinateur japonais du début du XIXème siècle (1760-1849). Remarquable par l’ampleur de sa production, il est également un innovateur forcené. Attachons-nous seulement à cette estampe terrifiante d’émotion dans l’action, « La grande vague au large de Kanawaga ».

Elle pourrait être appelée la stabilité dans l’instabilité. La stabilité : le mont Fuji, symbole de la durée et de l’esthétisme pour le Japon. L’instabilité : les vagues, dont la grande qui menace d’engloutir les barques et, au-delà, le mont Fuji lui-même ou plutôt sa représentation. La mer devient un être vivant, une sorte d’animal mythique aux mille doigts tentaculaire qui menace de s’emparer des canots. Ceux-ci glissent sur la surface de l’eau, entraînés par la courbure des flots. Ils épousent la forme de chaque vague, arrondis, les hommes couchés sur leurs rames, comme attendant le choc monstrueux. Au loin, le ciel est noir et plus clair dans son développement. C’est un contraste inverse de ce que l’on pourrait attendre. La tempête se caractérise normalement par une obscurité immédiate, même si, dans le lointain, les éclaircies apparaissent. Peut-être peut-on y voir l’expression du zen, la voie du juste milieu entre la stabilité et l’instabilité, entre le blanc et le noir, entre la vie naturelle et la vie surnaturelle.

23/09/2014

Regards multiples

 Le Sentier des Arts

 vous invite au vernissage de l'exposition de

 Loup Francart

 Regards multiples

 le jeudi 9 octobre à 19h

exposition,vernissage,art cinétique,tableau

 Exposition du 10 au 12 octobre

 tous les jours de 11h à 19h

 16 cité Berbère 75009 Paris

  

La cité Bergère est accessible à la fois par le 23 rue

Bergère et par le 6 rue du Faubourg Montmartre

 

Venez nombreux au cours de ces trois jours. Vous découvrirez l'art cinétique et pourrez bénéficier de la dédicace du livre :

"Petits bouts de rien"

22/09/2014

Vide-grenier et l'opéra è mobile

Hier, dimanche, jour d’errements insolites dans Paris, vide-grenier du 2ème arrondissement, rue de la Banque. Une mairie rue de la Banque, n’est-ce pas rassurant ! Une multitude gens vendaient jusqu’à leur chemise, en mal de partage. Mais de nombreux objets se pressaient sur le trottoir, abandonnés ou présentés avec art, avec le sourire enjôleur du propriétaire ou la face rebutante du vendeur. La mine y fait beaucoup dans l’achat d’un objet. Etre vendeur est un métier, mais plus vraisemblablement une passion, un instinct ou même une vocation.

Au loin nous voyons un rassemblement devant la mairie. Que se passe-t-il ? Nous approchons. Les gens sont figés, presque la bouche ouverte, attentifs, le sourire aux lèvres, à l’écoute du chant qui monte dans la rue avec force.

Mozart… Un opéra… La flute enchantée… Pamina dans tous ses états… Une Reine de la Nuit asiatique, intimidée, mais divine… Un Papageno noir comme du cirage, mais chantant merveilleusement… Tamino, petit, pas rasé, avec une voix d’or et un charme naturel… Un présentateur, également d’origine asiatique, mais parlant un français impeccable, accompagnant au piano les chanteurs et présentant en quelques mots très drôles, vifs, légers, le déroulement de l’opéra.

Quel bonheur que cette troupe des rues qui chante merveilleusement, avec naturel, pour des gens qui ne connaissent pas ce style de musique et qui finissent par être scotchés à leur jeu. Oui, ils étaient nombreux ces spectateurs, de petites filles assises aux pieds de leurs mamans, des mères s’asseyant dans la rue et écoutant avec béatitude, des hommes et des femmes immobiles, regardant ces chanteurs de moins de trente ans, écoutant leurs voix puissants et agiles et applaudissant à tout rompre devant les vocalises.

Subjugués, nous avons tous eu du mal à repartir vers les objets étalés. En dehors des flûtes, rien ne semblaient nous intéresser. La tête encore pleine de sons, nous étions shootés et sous l’emprise de la drogue : l’opéra chez nous, dans la rue, avec la fine fleur de la jeunesse française, qui, pourtant, n’en avait pas l’air. Mais que les airs de la Flute enchantée étaient émouvants !

Lorsqu'ils renouvelleront leurs exploits, nous y seront !

https://fr-fr.facebook.com/operaemobile 

21/09/2014

Abstrait

Le regard éperdu, il courre
Il échappe ainsi à l’abjection
Ils le poursuivent sans le prendre
Il s’est caché entre leurs jambes

Va-t-il arriver à s’en sortir ?
A-t-il encore le souffle
Du lutteur ou du coureur
Ou s’épuise-t-il sans fin ?

Ils le guettent sur la plage
Ils savent qu’il viendra
Savourer sa victoire
Dans l’eau bénie des mers

Pourtant il ne vint pas
Il se glissa dans le tuyau
De l’infamie, discrètement
Jusqu’à disparaître de leur vue

Où donc est l’artiste
Qui s’est moqué de nous ?
Comment croire un instant
Qu’il sait tenir un crayon ?

Non, il n’a rien dessiné
Que quatre traits et un rond
Qui forment la seule forme
Digne d’être contemplée

Ainsi naquit en un seul jour
Par distraction ou crainte
Le trait de génie
De l’abstrait pur et simple

© Loup Francart

20/09/2014

Jeu

Hier, il a rechaussé les lunettes de l’enfance. Mieux, il a repris les attitudes et même le comportement d’un enfant. Il était libéré et asservi tout à la fois : libéré de toute réminiscence d’adulte (le poids de la responsabilité en particulier) et asservi à la volonté d’un autre pour entrer dans le jeu. Il a retrouvé en un instant cette âme d’un gamin de cinq ans avec son immédiateté et ses émotions. Ils sont partis, une petite fille de cinq ans, vive et autoritaire, un garçon de quatre ans, encore un peu pataud, les joues rondes, les cheveux poils de carotte, et lui-même garçon sans âge, plus petit qu’elle qui voulait commander. Cet instinct de l’autorité est quelque chose d’inné. Peut-être ne restera-t-il rien plus tard, lorsqu’elle atteindra l’âge de raison ou l’adolescence ou encore l’âge adulte. Mais aujourd’hui, elle est à son affaire.

Ils sont sortis du domaine de référence, le jardin aux murs clos pour explorer une jungle située à dix mètres, mais perdue dans un inextricable encombrement de végétation. L’avant-veille, une équipe de la ville était venue faucher l’espace municipal envahi d’herbes et de branchages. Ceux-ci étaient encore à terre, feuilles fanées, tiges cassées, fruits écrasés. Ayant franchi cet obstacle à petits pas incertains, ils arrivèrent près du lit du ruisseau, peu fourni en eau, empli de déchets végétaux amenés par la pluie d’orage de la veille. Ils se glissèrent sous les branches et mirent les pieds dans l’eau, marchant sur les cailloux, sautant de rocher en rocher avant de s’arrêter devant un mur d’épines qui bloquait le passage. Ordre du chef : demi-tour, nous recherchons un autre passage. L’obligation de respecter l’ordre de préséance, la fille, le garçon et l’adulte (eh, oui !), les contraignit à une volte-face complexe qui faillit bien les mouiller en entier.

Retour à l’espace aplani. Ils en profitèrent pour prendre des bâtons tout coupés, le plus gros revenant à la reine Cléopâtre, le plus petit au premier guerrier, le moyen au second. Cléopâtre ouvrait la marche, d’un air digne, avec sérieux, exigeant d’eux de marcher presqu’au pas. Devenue reine, elle estimait que chacun devait se conduire en serviteur. Il fallait porter son arme tantôt à droite, tantôt à gauche, avec assurance et détermination. Retour au jardin. Cette fois-ci, ils passent par-dessus le grillage et ils s’engagent dans le petit bois qui descend vers le ruisseau. Seuls quelques lapins doivent emprunter le trajet étroit et couvert de branches en hauteur. La reine exigea qu’on lui ouvre le passage afin de ne pas avoir à se baisser. Ce qui fut fait.

Qu’en retenir ? Certains enfants ont foi en eux-mêmes. Ils ont des idées, ils les mettent en scène et grandissent de leurs caprices. D’autres suivent, s’amusent sans sérieux et n’acceptent l’autorité d’un seul qu’à condition qu’il satisfasse leur vision du monde. Ainsi s’oppose le jeu sérieux et le jeu tout court. Pour les uns, ils mettent leur vie en jeu. Pour les autres, ils passent un bon moment et c’est tout.

19/09/2014

La comète

Surgie de nulle part, elle fond sur vous et vous emporte en d’autres lieux, loin de l’agitation. Elle erre sans bruit ni discorde et peuple votre esprit de gracieux empilements qui chatouillent les yeux et caressent votre amour de l’ordre. Elle file pourtant à des milliers de kilomètres par heure. Mais rien n’altère ses formes idéales, immuables, car c’est dans l’esprit qu’elle voyage en tant que modèle sans réelle consistance. 

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18/09/2014

La vie et le multiple

Assis devant sa table de travail, il ne sait que faire. Elle est jonchée de papiers et chacun d’eux est un morceau d’être : des cartes de visite à l’image de leur propriétaire, la présentation d’une exposition, les fils des nombreux appareils permettant de rester en contact avec le monde, des dossiers, une statuette africaine, un étui à lunettes et beaucoup d’autres choses encore.

La vie est semblable à cette multiplicité. Le plus souvent nous sommes fixés sur un but et ne voyons plus cette multitude inopportune. Mais si nous fouillons dans les poubelles, nous comprenons comment nous fonctionnons. D’ordinaire, nous rejetons ce qui ne nous intéresse pas. Parfois aussi, nous rejetons ce qui nous intéresse et que nous avons accumulé. C’est le grand ménage.

Alors la vie passe devant nous, nous la contemplons, nous lui disons adieu et nous ouvrons les yeux sur un monde nouveau.

17/09/2014

Perte

Quelle perte ! Rien n’égale cette disparition
Qu’avait-il besoin de partir en toute liberté
Et de laisser derrière lui la porte ouverte
Les objets se sont envolés, en rangs serrés
Sans autre forme de procès que leur adieu
Et le vide laissé derrière eux, gonflé d’air
Empli de senteur molle de putréfaction
Laisse un goût de défaite sur la corde à linge
Toujours tendue entre les colonnes vertes
Soutenant le balcon du premier étage

Oui, c’est la perte de notre identité
Le reproche toujours vif des petits chefs
Qui cherchent encore à assurer leur pouvoir
Sur les gens, insensibles à leurs cris
Gonflés de prétention absurde et voyante
Les papiers de reconnaissance citoyenne
N’existent que pour maîtriser
Les aller et retour des mouvements de la vie
Au-delà d’une obéissance apparente

Il est parti sans rien laisser et rien prendre
Le vide s’est installé. Les bras tendus
Il erre dans le temple de la sagesse
A la recherche de l’’inconnu ailé
Qui parfois lui prend la main et l’emmène
Si loin qu’il se dissout dans le cosmos
Qui n’est que la prison de l’existence

De l’autre côté, le calme sans nom
De l’absence, du repos préparé et conquis
Sur les ans qui s’étirent comme un élastique
Et rompent le destin inachevé de chacun
Pour revêtir l’uniforme des mortels

© Loup Francart

16/09/2014

Le clavecin bien tempéré livre 1, interprété par Frank Wasser

Entrée dans l’église Saint Mery, à proximité du Centre Georges Pompidou. Elle est quasiment invisible, entourée d’une barrière de planches. On procède à sa toilette et elle se cache derrière le paravent. Aussi entre-t-on par une porte dérobée, sur le côté. Les auditeurs sont tous là, déjà. Assis en rond autour du piano qui trône seul dans la nef, grand ouvert, mais silencieux, en attente, se laissant regarder dans son vêtement noir de concert, prêt à faire résonner ses cordes. Le maître arrive enfin du noir qui règne derrière les spectateurs. Il surgit souriant, décontracté semble-t-il. Mais son salut profond, révérencieux, est néanmoins quelque peu crispé. Normal. Avant les premières notes, il y a toujours une petite inquiétude ou même simplement un pincement du cœur qui cesse vite dès que les doigts commence à courir sur le clavier. Progressivement, le pianiste se détend, s’engage dans la musique, se laisse immerger dans les sons que ses doigts, ses mains, ses bras, son buste, son corps tout entier propagent dans l’air. Ils rebondissent sur les colonnes, s’enlacent sur les volutes des clés de voûte et pénètrent dans les oreilles en miasmes enchantés. Les malades commencent à être atteints : ils ferment les yeux, laissent aller leur tête, battent la mesure du bout des doigts, et semblent pris d’une fièvre alanguie. Pas un bruit, même le son du piano semble silencieux, avec une qualité d’écoute telle que l’on n’entend plus que la pulsation du prélude et fugue n°1 BWV 846.


Chaque pianiste se targue de le jouer à sa manière. Profondément, lentement, rondement pourrait-on dire, à la manière d’Alexander Paskanov, comme dans un œuf, laissant les sons tourner en boule autour de la coquille qui finit par vibrer fortement, puis revient à ce léger tremblement qui l’avait d’abord ébranlé. Lentement également, à la manière de Glenn Gould (encore qu’il ait eu plusieurs manières de jouer le prélude), qui fait vibrer la résonnance de la main de la main gauche et pique les quatre dernières notes avec, en arrière fond, sa chansonnette si caricaturale qui donne une vie unique à son jeu. Plus rapidement, en écho, à la manière Richter, en accentuant la première note de la montée des notes de la mélodie, rajoutant un chant derrière la mélodie principale, comme un arrière fond de regret ou de nostalgie qui donne au prélude une profondeur assez inusité. Ou encore à la manière Maurizio Pollini, détachant chaque note, accentuant les deux dernières notes de la phrase mélodique, introduisant un rythme et une sonorité différente, plus distincte, mais également plus liée.

Mais peut-être est-ce tout simplement l’attention que chaque auditeur porte au déroulement de la phrase qui lui donne ces différences d’interprétation, l’interprète ne faisant que suggérer une attention nouvelle de la part de la salle qui connaît bien sûr le morceau par cœur. Alors, on se laisse bercer, on laisse se créer une échelle entre la terre et le ciel par cette montée des notes sans cesse renouvelée et on part dans cette délicieuse absence de pensée, tout entier vibrant de la relation entre les deux mondes, celui des sons et celui, plus subtil, des émotions engendrées, propres à chacun.

Oui, c'est vrai, je n'ai rien dit de la prestation de Franck Wasser. N'ayant pas trouvé son interprétation du clavecin bien tempéré, je me suis laissé aller à d'autres considérations. Mais est-ce si important?

15/09/2014

L'insaisissable

Dieu : plus l’on s’en approche, plus il s’éloigne et devient insaisissable. Plus l’on s’en éloigne, plus il se manifeste indirectement, par des clins d’œil dans la vie quotidienne que l’on ne perçoit pas la plupart du temps. Il est là et rien ne me touche plus que son absence dans mes pensées. Comment l’approcher ? Par la raison, mais celle-ci n’est pas à la hauteur ; par les sentiments, mais ceux-ci sont évanescents ; par les sens, mais comme ils savent tromper l’homme.

Dieu : tout et rien, selon les humains, dans le même temps, dans le même espace ou sans temps, ni espace. Qu’est-il ? Nul ne le sait. Il est à l’origine de tout, mais est autre que notre tout. Il ne se manifeste pas à nos sens, mais parfois prend leur place. Dieu c’est la musique de l’âme, l’archet de notre existence, le poil à gratter de notre autosatisfaction.

Vide-toi de toi-même, il viendra comme un parfum inconnu qui te bercera dans un amour inexplorable. Mais surtout ne cherche pas le garder, souris-lui sans rien vouloir d’autre.

14/09/2014

Chroniques enfantines, récits de Nathalie Bouvy (Edilivre 2014)

Ce sont des moments épars dans la vie d’une jeune enfant ou même des sensations, des impressions sans suite, des instants d’émotion dans la fuite du temps et des souvenirs. On saisit les incompréhensions des grandes personnes devant ces récits sans rationalité, mais également celles de la petite fille qui s’exprime. Pourquoi tel adulte se comporte-t-il ainsi ? Pourquoi fait-il semblant de ne pas ressentir ce qu’elle même ressent ? Mystère des grandes personnes à l’opposé de la transparence enfantine.

Elle fait des visites à une multitude de tantes. Elles sont vieilles pour la plupart, majestueuses de dignité, dans de grandes maisons cirées, pleines de beaux meubles. L’enfant n’en retire que de petites impressions, le bonbon dans la coupe de verre, les bas mal tourbichonnés de l’une d’entre elles, l’odeur de la vieillesse.

Souvenirs… Souvenirs : Le poêle abandonné sous un auvent qui a aiguisé sa curiosité et fait frémir les grandes personnes. L’autre petite fille, également en barboteuse, avec laquelle elle n’a jamais joué, mais qui la fascine au-delà du talus raide fraîchement biné et parsemé de plantes et arbustes piquants les jambes nues. Les convenances du divan vers lequel elle avance à quatre pattes : dans mon souvenir, le divan est en arc-de-cercle. En passant devant les dames, mon regard arrive juste à hauteur de leurs genoux. J’aime observer leurs boucles d’oreilles et leurs belles robes. Je regarde aussi entre leurs jambes qui se referment brusquement comme les pages d’un livre. J’avance un peu plus vite pour voir si mon regard a bien cet effet inattendu. Les genoux se resserrent rapidement, instinctivement, impulsivement comme si ils se recollaient. Le cadeau de Monsieur Bertholet : une guêpe-cendrier en cuivre. J’étais émerveillée par le cadeau et par l’objet. On pouvait soulever les ailes de la guêpe et on découvrait son ventre creux. Ce fut mon premier cadeau de grande personne, car ce n’était pas un jouet. J’en étais très fière.

Des réminiscences précises dans leurs sensations, auréolées du flou du contexte de l’enfance. Le toucher d’un objet, sa dangerosité, les désirs d’une petite fille, sa lucidité devant les adultes, mais toujours environnée du brouillard d’une réalité ressentie ou inversement de récits racontés plus tard par les uns ou les autres. Les deux sont désormais liés dans la cage des souvenances à n’ouvrir qu'en cas de spleen.  

13/09/2014

L’art du phare

D’une part, elle fait la part du feu ;
D’autre part, elle lui fait la part belle.
Mais de quelle part parle-t-on ?

S’agit-il du départ de Gaspard,
L’homme-léopard fumant des boyards
Et courant d’un air égrillard
Vers d’anciens Louis-Philippards
Pour, gaillardement, leur faire part
Des gares éparses de Montbéliard.
Il se déclare grenouillard
Et tente comme les braillards
De s’en prendre aux Magyars.

Participer c’est prendre part,
Avec quel écart, au rempart
De la plupart des salopards,
De tristes vieillards en retard,
Errant dans le brouillard
Et guettant le nasillard renard 
Avec l’art d’un franchouillard.

Sans art et sans antibrouillard,
Elle s’empare de milliards
Et se pare de rondouillards gaillards
Pour noyer son cafard
Dans le lupanar de Kandjar.
Mais elle repart vers le corbillard
Qu’elle déclare vasouillard.
Par quel hasard la bagarre
Barre-t-elle aux scribouillards
Le départ du tortillard ?

Ah, la plus grande part
Des pillards accaparent
Le billard qui effare
Le regard des paillards.
Où part-il ce canard
Qui s’autodéclare débrouillard ?

Départ hasardeux des chevillards
Vers une partie de colin-maillard.
Fini, je le déclare, ce retard
Des couards qui s’effarent
Des déboires sans espoir.

Edouard le bavard, tais-toi ! 

© Loup Francart

12/09/2014

Jean Arcelin, un peintre aérien

Peintre franco-suisse, Jean Arcelin aime le flou et la blancheur qui donne à chacun de ses tableaux un mystère difficile à saisir. On admire la toile et au bout d’un moment on se sent glisser dans l’image comme sur un lac avec les patins aux pieds et l’on s’engouffre dans une rupture  du paysage pour se retrouver entouré de rêves blancs et irréels qui font frissonner les poils de vos jambes.



 


 

Vous vous trouvez en bord de mer dans cette villa vétuste, secoué par les vents après la pluie qui a balayé le sol


 


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Un instant plus tard vous ouvrez les yeux sur l’inconnu : noyade dans l’océan au bout d’un jardin qui sent la pourriture de végétaux jeté dans un coin.


 


 

 

 

 

L’océan toujours qui frappe inlassablement la falaise en semblant défier le logis cramponné dans sa verdure.



 


 


 

 


Une vague, une seule, et vous naviguez sur les mers du Sud à la recherche de vous-même sous un ciel incertain. Qu’y a-t-il derrière ?


 


 


 


 

 

 

Un peu de repos dans ce rêve délirant de blancheur. Mais le blanc est là, toujours présent, inséré dans les feuilles de papier de l’écrivain raté.

 


 


 


 


 


Ce peintre expose actuellement à la galerie 26, 26 place des Vosges 75003 Paris. Allez-y et laisser vous entraîner dans ses rêves pleins de délices. 

11/09/2014

Courir la nuit

Courir la nuit laisse toujours un arrière-goût d’enchantement. Il ne naît pas du fait que l’on ne voit pas ses pieds, mais du fait que l’on se situe difficilement dans l’espace. Même sensation que lorsqu’on prend une douche les yeux fermés et que l’on se tient sur un pied pour savonner l’autre enfermé dans la boite de projection de l’eau. Où suis-je ? Il vous arrive de croisez quelques spectres qui, comme vous, au lieu de compter les moutons dans leur lit se détendent en courant. Mais ils glissent à la surface de votre perception et disparaissent de votre mémoire à la vitesse d’un écureuil. Alors vous courrez seul, sans maître ni esclave, dans le noir, le gris, sans couleur, sans chaleur, mais avec verdeur et entrain. Vous aimez le bruit des semelles plates de vos chaussures ultralégères, à tel point que vous vous demandez parfois, dans le noir, si vous n’avez pas oublié de les chausser. Sans cesser de courir, en ralentissant un peu, vous tâtez un de vos pieds et vous avez l’impression d’être les pieds dans la glaise. Ce ne sont que vos chaussures.

Vous repartez en vous essuyant dans votre maillot qui déjà retient votre transpiration. C’est le moment où vous laissez aller votre imagination. Elle démarre seule, puis vous rejoint en vous entraînant dans une ronde folle bien que vous ne courrez pas si vite que cela. Elle vous précède toujours. Dans un coin plus obscur que les autres, vous tendez les bras en avant pour vous protéger de chocs ou de rencontre avec de mauvaises idées. Mais elles s’écartent, vous laissent passer en vous saluant d’une main. La foule s’intensifie. Vous reconnaissez même des gens connus : votre ancien professeur, le chat de la voisine, le boucher dont le couteau est engagé dans la ceinture, le juste qui fredonne sa chanson sans parole. Vous vous dégagez en douceur pour poursuivre votre course folle entre les maisons, les voitures, évitant les arbres et les déjections de chiens. Vous souriez de cette fin de nuit aussi belle que le lever du jour qui commence à poindre. Vous distinguez quelques couleurs : jaune léger, vert pomme, bleu marine. Vous voici près de la basilique de Montmartre, comment y êtes-vous monté, vous ne le savez plus, engourdi dans vos pensées qui vous engluent comme une chrysalide et restreignent vos foulées. Allez, vous avez bien mérité une petite pause ! Vous poursuivez en marchant, respirant l’air du matin, frais, désaltérant comme une eau de source. Vous ouvrez les yeux sur la danse sociale de chaque matinée : saluts empressés du boucher à la boulangère, bruits assourdissants de la poubelle sortie par la concierge, miaulement du chat du quartier, le blanc que l’on commence à entrevoir dans la légère lueur de l’aube. Vous dépassez le balayeur qui agite ses poils de plastique au bout du manche et repousse vers le filet d’eau les quelques papiers poussés par le vent. Vous arrivez à la limite que vous vous êtes fixé. Alors vous faites demi-tour en tournant trois fois autour de l’arbre. Ah, aujourd’hui j’ai failli repartir dans l’autre sens, prolongeant ma promenade. La rue s’éclaire, les voitures commencent à encombrer la chaussée. Cela se sent, car vous ne courrez pas avec le masque des japonais comme des chirurgiens empressés de se rendre au travail. Ce n’est pas le brouillard de Tokyo, mais l’odeur spécifique de la civilisation qui s’éveille et commence sa ronde qui va durer la journée, en attendant la nuit qui calmera les ardeurs (ou les libérera).

Ce matin est un jour comme les autres. Il a commencé tôt, peut-être un peu trop. Mais quel bonheur que ces matins seul dans la nuit, les yeux écarquillés, courant après son imagination sans jamais arriver à la rattraper. Peut-être que par un mouvement inverse, le jour où j’arrêterai de courir, elle restera près de moi.

10/09/2014

Ankunft bei den schwarzen Schwänen, WWV 95 (1861), de Richard Wagner, interprété par Alexander Lonquich

https://www.youtube.com/watch?v=83pIdDPBQg4


Une belle pièce romantique si différente des opéras de Wagner que l’on se demande s’il s’agit bien du même compositeur.

Une introduction frappée d’accords qui deviennent progressivement des échos, comme des réminiscences qui montent progressivement à la mémoire. On part dans une rêverie calme, sereine et enrichissante qui va d’une descente dans les souvenirs à une montée vers l’absence, le tout entouré de bulles de champagne qui s’égrainent en notes légères.

Oui, c’est une belle composition et sa lente glissade vers le silence vous incite à la réécouter sans cesse et sans lassitude.

09/09/2014

Au fil des heures

Au fil des heures, au fil des jours
Dans la pâleur de ma solitude
Je retrouve l’ignorance et l’absence
Je perds mon manteau de lumière

Le monde s’endort et pèse
La pesanteur reprend ses droits
J’en ressens le poids intense
Et le pouvoir de son enracinement

Pourtant, je le sais, présente,
Elle est encore au rivage
Le corps tendu vers l’amour
 Le cœur noyé de bonheur

Les heures et les jours passent
Le ciel descend sur son image
Ensevelie de sa certitude
Elle s’épanouit en moi.

© Loup Francart

08/09/2014

Soyez naturels

On entend souvent cette expression : « Soyez naturel ! » Quoi de plus naturel que de l’entendre dans la bouche d’un photographe, d’un professeur, d’un éditeur, d’un metteur en scène et de bien d’autres encore. L’entendant l’autre jour à propos de recommandations faites à des jeunes mariés, je me suis demandé ce qu’elle signifiait. Qu’est-ce qu’être naturel ?

Le vieux geste des français, dit cartésiens alors qu’ils sont généralement le contraire, est d’ouvrir le dictionnaire au mot naturel. « Qui appartient à la nature ; qui en est le fait, qui est le propre du monde physique par opposition à surnaturel » (Larousse). Là il me semble que nous sommes tous naturels, ou tout au moins la très grande majorité des gens. Seuls quelques mystiques baignent naturellement dans le surnaturel. Alors quelle idée de nous demander d’être naturel. Nous le sommes tous.

Poussons donc nos investigations un peu plus loin. « En grammaire, le genre naturel désigne l’opposition de sexe mâle-femelle » (CNRTL). Tiens, quel étonnement ! La théorie du genre s’oppose à cette opposition naturelle. Elle prétend justement qu’elle n’est pas naturelle : nous sommes tous du même sexe à la naissance. Mais on nous dit dans le même temps que « le naturel n’est pas le produit d’une pratique humaine » et que ce produit  « n’a pas été acquis ou modifié ». Avouons qu’il est difficile de s’y retrouver.

Trêve de plaisanterie : le naturel est ce « qui est conforme à l’ordre normal des choses, au bon sens, à la raison, à la logique » (Larousse). Là, il est vrai, il devient difficile d’être naturel. D’abord, tout le monde n’a pas forcément du bon sens et encore moins de raison et de logique. Et puis la notion de bon sens n’est pas la même pour tous. Le bon sens d’un chinois n’est pas le bon sens d’un africain. Et même s’il s’agit d’un « Ensemble des manières habituelles de sentir et de réagir » comme le prétend l’Office québécois de la langue française. On constate bien que cet ensemble est assez varié sur terre. Le bon sens et la raison ne sont que très rarement naturels, de même que la manière habituelle de sentir et encore plus de réagir.

Qu’en conclure ? Qu’il n’est justement pas naturel d’être naturel. Etre naturel est plus qu’un apprentissage, c’est le résultat de toute une vie. Je me débarrasse de mon manque de naturel parce que je me suis débarrassé de moi-même. Je suis naturel parce que j’ai laissé mon personnage à la porte de ma vie et que je m’éloigne seul sans mon ombre à mes côtés. Quel soulagement. Je peux courir sans fatigue, je peux penser sans  béquille, je peux vivre sans mémoire et m’envoler vers l’avenir ou le tout ou le rien sans regret du passé. Mais est-ce si naturel que cela ? Non. S’il m’arrive parfois de faire abstraction de moi-même pendant quelques instants, la plupart du temps, mon premier réflexe est bien de tout ramener à moi-même pour prendre position dans le monde et m’y maintenir. D’ailleurs, admirons tous les portraits de peinture jusqu’à l’apparition de l’abstrait, mouvement né lui-même de l’apparition de la photographie. Sont-ils naturels ? Ils s’efforcent d’en avoir l’air et pas le fait même ils manquent de naturel. Les premières photographies également. Elles sont figées dans un immobilisme de bon aloi, contraire totalement au naturel. Il y manque le mouvement, il y manque la vie.

Ah ! Là nous avons abordé un point important. Le naturel est dans le mouvement. Etre naturel, c’est ne pas arrêter de faire, mieux : d’être. L’homme, naturellement, cherche la plupart du temps à s’arrêter. Il a besoin de se contempler lui-même pour exister. Il doit se voir dans le monde et prendre sa distance pour se savoir vivant. L’animal est naturellement naturel. Il mange, dort, défèque avec naturel. Il ne cherche pas à se situer dans la nature. Il y est et cela lui suffit. L’homme procède inversement. Son naturel est un apprentissage de vie et le résultat de l’atteinte d’un état quasi mystique. Être naturel suppose que l’on soit bien avec soi-même, avec les autres et avec notre environnement, c’est-à-dire avec la nature. Or ce qui empêche cet état, c’est moi. C’est mon moi qui me fait me contempler sans cesse, me situer parmi les autres, chercher ma place dans un monde où tous cherche une place et veut très souvent la place du voisin. Et cela est vrai dès la naissance. Le jeune enfant ne voit que lui, ne connaît que lui et cela lui demande de nombreuses larmes avant de comprendre qu’il n’est pas seul au monde et qu’il doit faire de la place aux autres, voir leur céder la place.

Être naturel suppose l’oubli de soi. Être naturel consiste à se débarrasser de tout ce qui nous empêche d’être naturel. C’est le contraire du naturel animal, c’est une perfection difficile à acquérir. Les jeunes mariés ont encore beaucoup à faire pour devenir naturels et les mariés et les plus âgés ont trop souvent encore plus à faire pour atteindre cet état idéal qui n’a rien à voir avec le naturel de la nature.

07/09/2014

Sculptures de Ron Mueck

Drôle de sculptures! Des hommes et des femmes aussi vrais que nature, mais multipliés par deux, trois et même plus. Le sculpteur au travail.

Mais où va-t-il chercher ces idées ?

06/09/2014

Pétronille, roman d’Amélie Nothomb

Ce roman débute de manière majestueuse et finit assez lamentablement. Il est vrai que tenir le lecteur en haleine pendant 169 pages sur la manière de prendre une cuite est déjà un exploit. Mais faire tant d’effort pour rendre parfaitement réaliste les rencontres entre l’auteur et Pétronille et terminer par une pirouette si bizarre qu’elle peut sembler drôle, fait du roman un chaud-froid difficile à digérer.roman,littérature,ivresse,société,écrivain

« Pétronille, c’est mon roman exotique ». Elle s’explique : « le grand thème de Pétronille c'est la France (...), qui est l'exotisme absolu. Pour découvrir un pays, il faut aller à la rencontre de l'indigène et Pétronille joue le rôle de l'indigène. Cette "quête picaresque" est celle de la rencontre entre une amoureuse du champagne -qui refuse de le boire seule- et sa compagne de beuverie. »

Chaque chapitre est une aventure de beuverie, une découverte de la France profonde, non pas des campagnes, mais des banlieues. Pétronille se révèle fantasque, intelligente (elle écrit des romans, elle aussi, et ils sont acceptables et acceptées), égoïste et imprévisible, à l’égal de la population française. Amélie, belge, peine à la suivre dans ses élucubrations. Mais le couple fait une bonne paire de beuverie, pleine de bulles de champagne, car on ne boit que du champagne millésimé. Il erre d’une librairie, pour le premier roman de Pétronille, aux rues de Soho à Londres, en passant par les sports d’hiver. Amélie tente de se consoler du départ de Pétronille pour le Sahara en trouvant une autre buveuse, mais cela ne passe pas. Elle retrouve Pétronille à l’hôpital Cochin, l’héberge, ne la supporte plus. Nouvelle rencontre quelques années plus tard. Pétronille joue à la roulette russe. Elle finit par tuer Amélie, propose le manuscrit d’Amélie à un éditeur et le livre finit sur une conclusion à la manière de La Fontaine : Quand à moi, en bon macchabée, je médite et tire de cette affaire des leçons qui ne me serviront pas. J’ai beau savoir qu’écrire est dangereux et qu’on y risque sa vie, je m’y laisse toujours prendre.

Les trois premiers chapitres sont un régal littéraire. Il faut les lire plusieurs fois, en goûter chaque page comme on lèche une glace devant la devanture d’un magasin aux mannequins nus :

« Pourquoi du champagne ? Parce que son ivresse ne ressemble à nulle autre. Chaque alcool possède une force de frappe particulière ; le champagne et l’un des seuls à ne pas susciter de métaphore grossière. Il élève l’âme cers de que dut être la condition de gentilhomme à l’époque où ce bon mot avait du sens. Il rend gracieux, à la fois léger et profond, désintéressé, il exalte l’amour et confère de l’élégance à la perte de celui-ci. (…) J’ai continué courageusement à boire et, à mesure que je vidais la bouteille, j’ai senti que l’expérience changeait de nature : ce que j’atteignais méritait moins le nom d’ivresse que ce que l’on appelle, dans la pompe scientifique d’aujourd’hui, un état augmenté de conscience. Un chaman aurait qualifié cela de transe, un toxicomane aurait parlé de trip. (…) J’ai titubé jusqu’au lit et je m’y suis effondré.

Cette dépossession était un délice. J'ai compris que l’esprit du champagne approuvait ma conduite : je l’avais accueilli en moi comme un hôte de marque, je l’avais reçu avec une déférence extrême, en échange de quoi il me prodiguait des bienfaits à foison ; il n’était pas jusqu’à ce naufrage final qui ne soit une grâce.

05/09/2014

L’assassin des idées nouvelles

Qui es-tu, toi l’assassin des belles idées ?
Et nous sommes tous des assassins !
Qui d’entre nous n’a pas médit
A l’annonce d’une idée nouvelle ?
La France n’a pas de pétrole,
Elle a des idées. Oui, certes,
Mais personne n’en veut de ces idées.
Le Français est un homme ou une femme
Qui vit sur un lit d’idées toutes faites
Il se bauge dans sa vision du monde
Sans tenter même d’y trouver satisfaction
Car, de plus, il vitupère sur celle-ci…
Mais en changer, jamais !
Cependant il a l’avantage inusité
De répondre toujours présent
Aux sollicitations de la mode
A condition qu’elle ait déjà été expérimentée
Et de préférence aux Etats-Unis
Ainsi un bon quart des Français marche
Le derrière à l’air, comme un prisonnier
De cette mode idiote apportée des Amériques
Plus je montre mon slip
Plus je suis décontracté…
Curieux non ? Heureusement
Les femmes ne s’y sont pas encore mises.
Il est vrai que libres du haut comme du bas
Elles pourraient très vite abandonner
Toute idée de s’habiller…
Oui, le Français est un être plein de contradiction
Pour le prestige et non pour le plaisir
Il construit une ligne à grande vitesse
Et il sait qu’elle ne sera pas rentable
Peu importe, le décideur aura laissé sa marque
L’empreinte de son pouvoir sur le sol
Cela se passe à tous les niveaux
Le président du Conseil général
Veut son musée dans le désert
Le maire veut sa piscine chauffante
Un gouffre à faire monter les impôts…
Mais ceci fait-il avancer les idées nouvelles ?
Non, une idée nouvelle assaille le cerveau
Et est rejetée derrière la haie, vulgairement
Elle enhardit la critique…
Alors lorsqu’une idée nouvelle
Germe dans la tête d’un Français
Il la garde bien au chaud et attend
Un moment favorable pour qu’elle fasse mode…
En faisant un tour au dépôt des idées nouvelles
J’ai rencontré des auteurs et des inventeurs
J’ai vu des femmes merveilleuses
J’ai vu des hommes entreprenants
Tous venaient déposer leur enfant
Sur l’hôtel de la déficience…
Oui, le Français et un assassin
De la France inventive et généreuse
Au nom de l’égalité et de la fraternité
Où se trouve la liberté ?
Que produire dans un pays
Où tous veulent être l’égal de tous ?

© Loup Francart

04/09/2014

L'art contemporain : se faire remarquer n’est pas être remarquable

"L’essentiel, dans ce déluge d’imprimés, est de réussir à se faire remarquer. De tout temps difficile, la tâche devient impossible. Le jeune auteur n’a guère d’autre choix que d’écrire à tout prix de l’explosif et de l’original. Si c’est pour imiter en moins bien ceux d’avant, le jeu n’en vaut pas la peine. (…) Que faire ? Autre chose. Mais quoi ? Tout le monde aujourd’hui est original, explosif et nouveau. Et rien n’épate plus personne. Imiter est inutile, innover est illusoire. Ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est quelque chose d’assez hardi pour ouvrir des voies qui n’aient pas été empruntées, s’il en subsiste encore, et quelque chose de capable en même temps d’attirer le grand nombre qui répugne à ce qu’il ne connaît pas."

 Jean d’Ormesson, C’était bien, Gallimard, 2003, p.110

 

Telle est la situation de l’écrivain.

En fait, Jean d’Ormesson ne décrit pas seulement le cas d’un écrivain, mais celui de la grande majorité des artistes ou de ceux qui se prétendent tels, quel que soit le domaine et le type d’expression employé. On voit des peintres qui peignent avec un parapluie, des musiciens qui mettent des pièces de monnaie sur les cordes de leur piano, des comédiens qui ne parlent pas, des danseurs qui ne bougent pas. C’est le nouveau mode : faire semblant de ne pas faire ce pourquoi on est là. Quel affairement. Cela nécessite toute une mise en scène pour montrer qu’il n’y a aucune idée préméditée. Tout doit paraître naturel. Sortons nos mouchoirs et mouchons-nous en chœur !

Au-delà de la plaisanterie, interrogeons-nous. A quoi tient cette surenchère de la médiocrité sous prétexte d’originalité ? C’est vrai, seule l’originalité permet de sortir du magma médiatique et de montrer à la face du monde entier sa brillance et sa maturité. Salvador Dali avait déjà saisi cette frénétique agitation devant des journalistes ébahis. Tout ce qui sort du déjà vu doit être montré. Mais si vous avez le malheur de peindre comme un peintre, de pratiquer la musique comme un musicien, d’écrire comme un écrivain, les médias vous dédaignent. Déjà vu, donc sans intérêt !

Premier point : les médias ne se satisfont plus des médiums connus. Seuls ceux qui utilisent un matériau inhabituel sont dans le vent. Le tableau inscrit dans une toile ne vaut que si celle-ci est déchirée, l’accordéon ne joue que s’il produit des sons inusités, etc. Donc le médium rend médiatique. Il est généralement de matière insolite : déchets, excréments, polystyrène, chutes de bois, etc. Il peut également n’être pas, c’est-à-dire briller sans support autre que les situations ou l’environnement ou un projet qui ne finit jamais. Mais la préférence actuelle va au médium virtuel : Net art, musique en réseau, web art, etc.

Deuxième point : On passe du médium à la médiation. L’art est devenu un dialogue entre l’artiste et son public. Sans médiation il n’est qu’un objet mort dont l’auteur lui-même, vivant dans son atelier, est mort. Il faut non seulement bouger, se montrer, s’exhiber, se délurer devant ses fans. Il convient également de faire participer le spectateur qui doit construire l’œuvre au travers du médium choisi. Telle est la médiation aujourd’hui.

C’est le nouveau syllogisme : Tout artiste est un homme. L’homme se caractérise par son sens artistique. Donc tout homme est artiste. Démonstration !

03/09/2014

une femme... forte (2)

Dommage ! J’aimais bien ce jeune homme à la mâchoire forte. Que faire ? Je m’interroge face à cet être hybride. Vais-je tenter de nouer une conversation ? Mais, comment ? Autour de nous, personne ne semble en proie à un tel questionnement. Ma voisine regarde sa tablette magique sur laquelle elle trace des signes cabalistiques d’un air inspiré. De l’autre côté du couloir, ligne de démarcation infranchissable une fois le train partie et les places attribuées, deux hommes sont en conversation d’affaires regardant une feuille sur laquelle sont alignés des chiffres.

– Tu as oublié de prévoir la commission de la banque ?

– Quelle commission ?

– Elle prend un risque.

– Ah, lequel ?

– Le risque d’être cité si l’affaire tourne mal ou si notre associé rompt le contrat.

– Et cela mérite une commission ?

– Une banque ne travaille jamais pour rien !

Et ils poursuivaient à voix haute et intelligible pour l’ensemble de la voiture leur tripatouillage de commerçant. Une jeune fille d’environ vingt ans, qui avait l’air d’un oiseau sorti du nid, lisait un livre à la couverture colorée dont je ne pus lire le titre. Elle levait parfois les yeux d’un air excédé vers son voisin et son vis-à-vis, ce qui ne troublait nullement les deux bavards. Je n’arrive toujours pas à comprendre pour quelle raison on interdit le plus souvent l’usage du téléphone portable dans les trains, mais on ne peut rien dire contre deux bavards à la voix haute qui discutent sans aucune gêne de problème d’argent, d’amour ou de sport. Ils semblent seuls, perdus dans leur faconde, ignorant le peuple qui s’agite autour d’eux. Et si l’un de nous se décide et leur dit d’une voix doucereuse, mais poli, de parler moins fort, ils haussent le ton d’un décibel pour déclarer qu’ils ont le droit de parler comme ils l’entendent et aussi longtemps qu’ils le désirent.

Je regardai alors mon égérie. Pour la première fois, je vis l’ombre d’un sourire sur son visage glabre. Tiens, me dis-je, ce n’est pas une statue. Elle semble avoir quelque sentiment ou du moins réagir à ce qui arrive à d’autres. Je lui répondis d’un demi-sourire avec un petit hochement de tête. Elle en profita pour me glisser à mi-voix :

– Il n’y a malheureusement rien à faire !

Ce qui me surprit, ce n’est pas le contenu de ce qu’elle avait proféré, mais le timbre de sa voix. Une voix de jeune fille, nette et douce, qui contrastait singulièrement avec son apparence. Et elle agrémenta d’un sourire enjôleur, avec fossette, ses paroles. J’en restais bouche bée. Comment un corps aussi puissant et musclé, pouvait-il proférer des sons aussi purs et féminins. Je croyais avoir une voix charmante et parfois séductrice pour certains hommes, mais celle-ci surpassait mon organe de mille coudées. Elle avait le parfum d’une rose épanouie, la couleur d’un mirage en pleine désert. Elle avait déjà repris sa rêverie douloureuse et sa façon de se réinstaller dans son silence m’empêcha de poursuivre cette conversation entamée. Je replongeais dans mon ordinateur que je fis semblant de consulter avec un intérêt extrême, sans toutefois lire quoi que ce soit. L’écran a l’avantage de n’être qu’une glace face à soi-même. L’interlocuteur ou même le spectateur ne voit que la face de celui qui le regarde. Il croit deviner le contenu de l’écran, mais celui-ci peut être cependant assez différent de son impression. C’est le mystère de l’informatique. On peut jouer avec un sérieux imperturbable ou travailler en simulant de jouer. Et cela convient à tous, les réalistes comme les rêveurs.

Suite à une nouvelle montée en puissance de la conversation de nos voisins, je tentais de ralentir leurs errements verbaux :

– Pourriez-vous, s’il vous plaît, parler un peu moins fort pour que nous aussi puissions profiter de ce voyage ?

Cette remarque entraîna aussitôt la réponse cinglante d’une des deux comparses :

– mais Mademoiselle, il n’est pas interdit de parler dans un train. D’un point de vue culturel, c’est même très bon d’échanger plutôt que de se confiner dans ses pensées.

Tout cela dit à voix haute et moqueuse qui fit se retourner une partie du wagon. Les yeux s’allumèrent, les conversations devinrent encore plus intimes, voire s’arrêtèrent. Je sentais monter sur mes joues une rougeur caractéristique. Je pris le parti de regarder mon interlocuteur comme s’il n’existait pas. Mon regard le traversait et admirait l’horizon sans que rien ne l’arrêtasse. Sa réplique résonna dans le vide, sans écho et, après un instant de déception, il ouvrit son ordinateur et s’installa dans une contemplation de son écran qui sembla le captiver. Ma rougeur s’estompa, mon cœur battit moins fort. Je me demandais ce qui m’avait poussé à une telle réaction, moi qui a horreur de me donner en spectacle et d’intervenir dans des situations collectives. Une minute plus tard, je levais les yeux sur le jeune homme ou la femme forte assise en face de moi. Elle se tourna vers moi et me fit un vrai sourire, une sorte de rayon de soleil reflété sur un lac de haute montagne. Cela me fit du bien, je m’enhardis à lui rendre son sourire, sans rien dire. La connivence s’était installée entre nous, sans une parole. Le TGV commença à ralentir. On arrivait à la gare où je devais descendre. Je fermais mon ordinateur, me levais et m’aperçus que ma voisine faisant de même.

– Vous descendez-là ?

–Oui, c’est ma destination, dit-elle le plus calmement du monde. Vous aussi d’après ce que je vois. Sa voix restait délicieusement pure, une voix de soprano qui a travaillé pendant plusieurs années pour atteindre diction et timbre quasi parfaits. Serait-elle chanteuse ? Cela me parut peu vraisemblable, mais sait-on jamais.

02/09/2014

Ballet

Oui, c’est bien un ballet, avec une figure particulière, un éclatement venu du fond des âges, qui surgit du cosmos et poursuit sa course échevelée dans le vide spatial. Et chacun d’entre eux est un lego qui entre dans la composition du monde, avec un pouvoir de créer par enchevêtrement. C’est ainsi que se sont constituer les étoiles, soleils et galaxies, et c’est ainsi que se constitue la noosphère. L’intelligence collective de Pierre Levy en marche vers l’avenir, jusqu’à la conquête du monde. Mais lequel ? 

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01/09/2014

Grandeur

Chacun se veut grand, mais grand de quoi ?
Les rêves ont-ils le pouvoir de faire grandir ?
La grenouille sauteuse rêve au kangourou
La puce à l’éléphant qu’elle ne peut même pas voir
Quel univers sans dimension si ce n’est celle
De l’imagination débridée, insolite et impossible
Chacun de nous se peuple d’ambitions
Est prêt à échanger sa montre
Contre un baladeur de secondes vides
Qui le fera gonfler jusqu’à l’éclatement
Suis-je plus grand que vous ?
Et je regarde ce malotru gonflable
Qui tente de jouer dans la cour des grands
Mais moi-même, je ne sais si je suis
Sur le dos d’un éléphant ou d’un poisson pilote
Ma taille importe peu au fond
Ce qui compte c’est l’univers qui nous reçoit
Si je n’en vois l’horizon et ne peux me rendre
Au-delà des collines qui barrent la visibilité
Je reste le freluquet qui achète des échasses
Qui tombe bien souvent dans la boue
Collant à ses bâtons et entravant ses pas
Mais si d’un coup d’œil j’admire
Ma grandeur dans le paysage étroit
Je m’abuse moi-même et ne peux bouger
Pour rire et m’esclaffer de cette immensité
Prisonnier de mon regard désenchanté
Je m’interpelle moi-même en un clin d’œil
Fait le tour du pâté de maison
Et me réfugie dans ma faconde vertueuse

Oui, la grandeur est le propre des petits hommes
Elle leur permet d’attendre le jour
Où rien ne sera comparable à rien

© Loup Francart

31/08/2014

Une femme… forte

Il entre dans la voiture avec peu de bagages : un petit sac et une sacoche pour ordinateur. Il regarde le numéro de sa place, dépose ses affaires et... se révèle être une femme. Au premier abord, j’ai cru voir un jeune homme sportif, baraqué. Elle a des bras puissants. Certes ils ne sont pas velus, mais la musculature est proéminente, sans exagération cependant. Ce n’est visible que lorsque certaine d’être à sa place (elle a vérifié sur son billet) elle retire son blouson de cuir brun qui lui moule le buste. Elle révèle un haut du corps charpenté, les épaules droites, rembourrées, pleines de muscles proéminents, bref une lutteuse. Un moment je me demande si il ou elle a des seins. Oui. Ce ne sont pas des seins féminins, montant haut et pointant en avant ; ce sont de petits bouts  de sein, fluets, tendres, mais peu visibles. Des seins de fille encore pubère, plats, plaqués sur un buste de garçon. J’ai pensé à un jeune homme ayant pratiqué la musculation des pectoraux pendant plusieurs années. Elle est moulée dans un tee-shirt  gris ou beige, très masculin, peu attirant, et ses bras aux biceps avantageux nous la montrent en pleine force de l’âge. Cependant aucun champ de poils, ni même quelques brides de points noirs, ne laissent entendre un rasage immodéré des avant-bras. Je n’ai pu descendre plus bas, étant assis en face d’elle. Peut-être se dévoilera-elle demain, mais je ne serai plus là.

Son visage ? Car c’est bien principalement par le visage que l’on distingue une femme d’un homme. Ben… Cette fois-ci, ce n’est pas le cas ! Un jeune homme, musclé des gencives, la mâchoire proéminente, le visage en trapèze, plus étroit en haut qu’en bas, taillé à la hache, avec au sommet du crâne une petite touffe de cheveux, coupés courts, blonds, ne dépassant pas deux ou trois centimètres de longueur. Certes, elle a bien des sortes de petites rouflaquettes qui descendent presque jusqu’aux bas des oreilles, mais combien de garçons en mal de reconnaissance et d’originalité se font une chevelure quasi féminine pour faire contraste avec leur masculinité. Le visage n’est pas fermé. Il est naturel, mais sans sourire. Comment pourrait-elle avec des lèvres fines en forme de traits fermés des deux côtés par des guillemets marqués. Le menton lui-même ne laisse aucun flou. Il est à l’image du reste, fort, comme un morceau de brique sortant du reste de la mâchoire. Entre les deux salières des clavicules, il apparaît le moteur de la volonté. Les yeux enfin, reflet de la personnalité. Petits, marrons, aux cils courts, un peu enfoncés dans leurs orbites, encore jeunes, alertes, mais finalement durs, car peu mobiles, regardant en eux-mêmes, sans compassion pour les autres, ni même intérêt.

Ah ! Elle tourne la tête vers la vitre et regarde défiler les champs dans la campagne. Quelle mâchoire, bien dessinée, bien musclée, avec une boule sous l’oreille comme si elle passait son temps à faire grincer la dentition du dessous avec celle du dessus.  Vu de côté, ses yeux sont gris avec un rien de blondeur. Enfin, sans aucun doute, des gestes et de attitudes masculines, décidées, sans ambiguïté ni partage. Elle est chez elle, à cette place, sans que cela ne puisse se discuter. Elle étale sa jambe droite sur le second siège inoccupé, se laisse aller sur l’accoudoir et le protège-tête et ferme les yeux. Oui, c’est bien une femme. Elle n’a pas la noirceur des joues propre à la gente masculine, mais elle ne sourit jamais. Elle garde les lèvres serrées, minces comme deux feuilles de papier de cigarettes qui attendent qu’on les humecte pour se coller ensemble. L’oreille, celle que je vois, est ferme, grande, bien tourbillonnée. Palpite sous la peau du cou, bien planté, charnu, un mince tremblement qui fait état de sa nervosité qui n’est pas dû à mon regard inquisiteur et étonné. Non, cette femme, en apparence calme, équilibrée, cache quelques inquiétudes. Mais lesquelles ? Rien ne transparait.

Elle a cependant la beauté d’une jeunesse encore vive. Elle doit avoir environ trente-cinq ans. Elle a perdu son innocence de jeune fille, peut-être ne l’a-t-elle même jamais eu. Mais elle conserve un corps d’athlète, développé, fait pour l’affrontement. Tiens ! Je vois ses pieds. Ils sont chaussés de ballerines et ne sont pas trop grands. Serait-elle féminine non pas jusqu’au bout des doigts de pied, mais  dans sa deuxième moitié, celle que je ne peux voir ?

30/08/2014

Un très grand amour, roman de Franz-Olivier Giesbert (2)

Le livre, Un très grand amour, est plus décevant que La cuisinière d’Himmler. L’auteur se regarde parler, vivre, tout en s’apprêtant à « mourir pour de faux » en raison de son cancer qui tient beaucoup de place. Il nous raconte un de ses amours (séduction, amour, mariage, divorce). Peu importe que ce soit tiré ou non de la réalité. Il s’y livre avec faconde et même s’il nous dit que « ceci est un roman … Tous les personnages de ce livre sont purement imaginaires, sauf l’amour, le cancer et moi-même », on imagine bien la personnalité de l’auteur qui tient beaucoup de place dans ce livre, avec séduction parfois, avec dérision d’autres fois, et qui laisse deviner la multitude des personnages appelés Franz-Olivier Giesbert. Mais laissons-lui la parole : « La vérité m’oblige à dire qu’Isabella m’a redonné vie dans un premier temps. Elle m’a même rassasié de bonheur, jusqu’à ce qu’elle me tue sans préambule, un dimanche de printemps, pour ne laisser de moi que le type qui va maintenant remuer ses souvenirs devant vous avant de retourner dans son cercueil. »

L’auteur a l’art du mot juste, concis et drôle pour se définir : Certes, ma vie est un mensonge. J’allais dire une imposture, mais ce serait forcer le trait. Je suis comme tout de monde, je me laisse porter par le personnage qui, depuis longtemps, m’habite. Dessous, mieux vaut ne pas gratter. Il n’y a que de la poussière, et un peu de poudre aux yeux. Lorsqu’ils en arrivent à se séparer, il dit après s’être consolé avec deux jeunesses : « J’aime beaucoup les femmes, pourvu que ce ne soit pas toujours la même. » Mais on sent bien que ce n’est qu’une manière d’évacuer sa mélancolie.

La conclusion du livre laisse rêveur : Je viens de comprendre ce que j’étais venu faire en ce monde. Je suis un grand frisson qui va, fier et heureux d’avoir découvert l’amour vrai. Est-ce vraiment l’impression que nous a donnée le livre ?

29/08/2014

Un très grand amour, roman de Franz-Olivier Giesbert (1)

L’auteur est un charmeur. Ce n’est pas qu’il a du charme, mais son souci de séduction en fait son principal trait de caractère. A priori, on ne l’aime pas, tout au moins les hommes. Les femmes, à l’entendre, lui tombe dans les bras chaque jour à chaque instant.

Pourquoi les hommes ne l’apprécient pas ? Il est journaliste, autrement dit raconteur d’informations sans assurance. Il interview avec rudesse et méchanceté, accompagné d’un sourire charmant, mais trop enjôleur, qui ne s’adresse pas à l’interviewé, mais aux spectateurs, en clin d’œil (Que va-t-il répondre ?). Il écrit des livres, des romans, et, il faut bien l’avouer, certains sont très bien écrits avec une intrigue bien bâtie. C’est le cas de La cuisinière d’Himmler. Dans d’autres livres, il se met en scène avec gourmandise et, sous prétexte d’humour envers lui-même, il s’envoie quelques fleurs. Il nous parle de son cancer et de ses problèmes intimes dont on se passerait bien. Enfin, son langage peut laisser à désirer.

Pourquoi les femmes devraient l’aimer ? D’abord nous ne savons pas si, réellement, elles l'aiment. C’est sa parole contre la nôtre. Mais supposons-le. Il est beau dit-on. Disons une belle gueule brutale et virile, ce qui n’est pas sans déplaire aux femmes. Il dispose d’une certaine renommée en tant que journaliste et écrivain, et la renommée est d’un attrait irrésistible pour certaines qui se voudraient égéries. Il est cultivé semble-t-il, ce qui ajoute un bon point à sa faconde. Ajoutons qu’il profère de bons mots facilement, parfois en les empruntant aux autres, mais en le disant.

J’ai longtemps pensé ainsi et ses livres ne me tentaient pas. Et puis, un jour, en mal de lecture, je suis tombé sur La cuisinière d’Himmler. Là, devant l’imagination de l'auteur et la conduite de l’intrigue, je me suis dit que j’avais affaire à un vrai écrivain,. Il sait manier la truculence et l’amour des belles choses, qu’elles soient à décrire, à goûter, à embrasser.

28/08/2014

La vérité ?

Le soleil revient, il écarte le manteau,
Et les nuages fuient, volés au soleil par le vent.
Chacun s’affaire, avec sérénité,
Dans une maison où passe la vie.

Hier, longue discussion :
Qu’est-ce que la vérité ?
Cela me rappelle Ponce-Pilate !
Elle n’est ni blanche, ni noire, elle n’est pas grise non plus.
Elle n’a pas de couleurs, et pourtant
C’est la couleur !
Elle n’a pas de VE majuscule,
Elle ne RIt pas,
Elle TE parle, à toi seule,
Au fond de toi et tu la connaîtras,
Un jour d’abandon, une nuit d’espoir.
Alléluia !

© Loup Francart