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17/11/2014

Après-midi du livre (15 novembre)

C’est aujourd’hui, le 15 novembre, l’après-midi du livre des « Ecrivains combattants » à la mairie de Saint Mandé. Une aventure digne des marchés campagnards, avec la sérosité des bouts de doigts des forçats de l’écriture en plus, le tout dans la culture veloutée des Parisiens de cœur !

Long trajet en métro jusqu’aux portes de Paris, dans cette banlieue qui n’en estsalon,dédicace,foire plus une, mais où la chaleur humaine semble encore exister avec la bonhomie de la province. Sous la pluie fine du matin (fini l’été qui a duré faute de n’avoir pas existé en son temps), vous traversez les rues encombrées de ménagères impatientes et de quelques bandes de jeunes « hommes de couleur » parlant fort. Vous passez devant le monument aux morts et l’ange libérateur pour pénétrer dans l’antre municipal devenu salon du livre pour une après-midi. Vous cherchez vainement votre place attitrée pendant que tournent autour de vous d’autres compagnons d’infortune en mal d’attribution de m². Une dame fort aimable vous indique votre emplacement : c’est là, dit-elle, indiquant le tréteau camouflé par une couverture digne d’un empereur qui vous permet de vous déchausser sans que votre interlocuteur le remarque. A votre droite, une pile de livres traitant des généraux de la grande guerre, grande couverture avec photographies convenues, à votre gauche des ouvrages consacrés aux hommes politiques décideurs de l’époque.

Vous-même, prenant possession des lieux, sans autre garantie que votre bonne mine et sans couverture éclatante de patriote bien-pensant. Vous saluez votre voisin de droite arrivé peu avant vous, petit homme sympathique et prolixe avec lequel vous sympathisez convenablement. Il vous parle de son prochain ouvrage sur Napoléon qu’il dénomme « Les 18 voyages en mer de Napoléon » ou quelque chose d’approchant. Qu’en pensez-vous ? Me demande-t-il tout à coup. En mal d’inspiration, vous lui répondez que ce titre est un peu long, qu’il conviendrait d’un titre choc du style « Napoléon, capitaine au long cours ». Il est ravi de cette trouvaille et me dit qu’il va tester ce titre auprès de ses amis écrivains. Il disparaît dans la foule, me laissant seul pour équilibrer mon étal comme le légumier empile ses tomates ou ses poivrons. Oui, c’est une question compliquée de couleurs et de hauteurs pour atteindre la perfection visuelle qui fait dire au passant que c’est là qu’il convient de s’arrêter.

L’heure n’étant pas encore à la ruée de clients friands de nouvelles littéraires, vous décidez de jouer vous aussi au badaud et d’aller au marché pour, peut-être, emplir votre cabas d’articles appétissants et colorés. Vous rencontrez quelques amis ou connaissances que vous n’avez pas vu depuis des lustres, l’œil ouvert, costume et poil lustré, parlant fort de leur œuvre qu’ils vous font admirer, vantant la quatrième de couverture et le papier glacé à l’égal des marrons du même nom. Déjà une demi-heure écoulée et vous n’avez pas encore fini votre tour. Mais vous vous apercevez que quelques personnes passent devant votre stand, regardant d’un œil curieux la couverture de vos deux livres qui tranchent des devantures photogéniques et citoyennes des autres ouvrages. Vous abandonnez votre camarade d’infortune pour tenter de trouver celui qui vous achètera un livre. « Il ne faut jamais négliger le premier client et ne le lâcher que lorsqu’il a abdiqué, c’est-à-dire qu’il vous a acheté l’objet de vos souffrances, même en le laissant partir à perte » (dit-il !), m’a expliqué un jour un camelot qui tenait absolument à me larguer une statue africaine dont la facture remarquable avait été très probablement taillée en Chine dans ces ateliers prolixes qui en sortent treize à la douzaine.

Progressivement, dans l’ambiance joyeuse de ce milieu du jour, s’éveille en vous le commerçant et la griserie du chaland. Vous vous laissez aller à faire le camelot, gratifiant le passant d’un bonjour énergique, lui serrant parfois la pince qu’il oublie de vous tendre, l’enserrant de paroles envoûtantes loin de la dignité de l’écrivain de salon et lui remettant les tracts barbouillés que vous avez le matin fait sortir de votre imprimante. Vous vous transformez et ne vous reconnaissez plus. La vapeur rosée du succès vous environne et vous succombez à l’excitation ambiante, parlant fort ou tout au moins sans interruption, vantant vos écrits. Seule la retenue conventionnelle du lieu vous empêche de crier à la foule : « Achetez mes beaux livres pas chers, ils sont frais, sortis hier de l’imprimerie. Touchez-les ! Goutez-les ! » Vous distribuez vos dépliants sans discrimination, porté par la joyeuse fièvre des échanges culturels et de l’amitié internationale.

Vers une heure et demie, la foule s’étire, le courant se réduit, l’inondation se calme. Vous sentez monter en vous une fatigue méritée, due autant à l’excitation des ventes qu’à une faim découlant logiquement de l’heure. Heureusement, les services de la mairie ont prévu une collation que les écrivains habitués à ces excès attendent avec l’impatience du poilu, tapant du pied et contrôlant difficilement un besoin terre à terre d’ingérer quelque produit susceptible de faire repartir la machine pour une après-midi. Le service est intime. On retrouve les archétypes du français moyen : le grincheux pour qui tout ne va pas assez vite, le discret qui contemple la victuaille avant d’oser entrer dans la file d’attente, le pointilleux qui demande d’où viennent ces morceaux de pâté en cubes découpés, l’affamé qui se précipite en début de file sous prétexte de parler avec quelqu’un qu’il n’a pas vu depuis longtemps, le blasé qui attend patiemment la fin de la cohue pour prendre sa place dans une file devenue ténue. Les vieilles dames s’assoient dans les deux seuls canapés trônant dans la salle, laissant les plus jeunes s’interroger sur la pratique magique de tenir son assiette et son verre de plastique déformant tout en piquant avec une fourchette de celluloïd les morceaux de nourriture qui vont leur permettre de tenir  physiquement et moralement une après-midi de vente annoncée. Tout en conversant avec les personnalités de l’écriture patriotique, vous buvez un café trop chaud et pas suffisamment sucré avant de regagner votre place dans le coin à gauche.

salon,dédicace,foire

C’est parti ! Les ventes s’annoncent, la foule s’intensifie, les décibels montent et la vision d’ensemble se brouille, occultée par des visages et des corps enchevêtrés et mouvants. Vous êtes pris d’une envie de sieste devant l’éloquence de vos voisins et le bavardage des passants. Ah ! Cette charmante personne s’intéresse à vos produits. Vous déployez votre habileté descriptive et tentez d’investir en elle la douceur d’une vente. Et… Oui, ça y est. Elle vous l’achète, après quelques hésitations. « Moi, vous savez, je lis rarement de la poésie… » Et vous lui lancez : « Mais ce n’est pas de la poésie. C’est la vie tout court, pleine d’imprévue et de moments heureux qui palpite dans ces vers ! » Elle n’ose répliquer et prend le recueil avec un sourire extasié qui vous damne pour le reste de l’après-midi.

Légère accalmie, pour repartir à la pêche aux écrivains. Vous remarquez deux auteurs particuliers, l’un qui a écrit un magnifique livre sur les impressionnistes (les impressions ne manquent pas dans ce capharnaüm) et l’autre un dictionnaire du piano, impressionnant d’épaisseur, traitant du chant délicat de Glenn Gould comme du doigté endiablé de Liszt. Regards sur quelques jeunes femmes, rares et souriantes, sur l’infirmière âgée qui fit écrire son livre par un étudiant de la rue Saint Guillaume, entrevue avec une éditrice qui sourit aux passants sans parvenir à les arrêter. Oui, les rencontres sont riches, sympathiques, empruntes du velouté des amateurs de pages noircies le soir à la veillée ou le matin après un petit déjeuner copieux. Tiens, nous n’avons pas parlé du moment de l’écriture et des habitudes méditatives des écrivains. Quel manque !

Puis vient tranquillement la nuit qui grignote la fenêtre jusqu’à ne plus laisser qu’un trou noir vers lequel vous vous sentez aspiré. Vous esquissez un bâillement discret, fermez un instant les yeux et vous dites : « il est temps de quitter ces lieux enchanteurs où les livres s’entassent et vous engloutissent de verbe et de souvenirs ! » Vous rangez votre étal, vous allez dire au revoir avec les plus sympathiques, hommes ou femmes, et vous ressortez dans la nuit, respirant l’air pur, plongeant dans une autre vie, réelle cette fois, avec ses autobus et ses vrais passants qui parlent entre eux. Vous clignez des yeux qui s’obscurcissent de buée. Vous êtes sorti du tambour de la machine à laver la vérité et à recycler le passé. Quel soulagement !

Pourtant, rentrant chez vous comme nu, vous vous dites que cet après-midi était merveilleuse de rencontres et de feuillettement de pages et que vous accepterez à nouveau d’être acteur dans ce genre de spectacle. La cage aux damnés de l’écriture vous a séduit. Vous êtes prêt à reprendre le clavier (la plume, c’est fini !) et noircir de nouvelles pages pour, peut-être un jour, tenir dans la main ce petit volume qui dit tout sur vous-même et bien d’autres.

16/11/2014

Culture et divertissement

La culture est au centre de toute société. Elle remplit l’être d’un gaz spécifique parfumé à l’eau de rose et devient nuage d’inachèvement salué comme accomplissement.

Le gaz est réduit aux médias, lieu de diffusion de la culture, palais des mille et une nuits ou se côtoient à égalité Lady Gaga et la Callas, Guillaume Musso et Milan Kundera, Picasso et Damien Hirst. Seule compte la quantité de like, bouton de délivrance d’un monde où tout se vaut. Il est certes parfumé à l’eau de rose qui mélange sentimentalité et sentiment. Il n’est certes pas nuage d’inconnaissance (écrit mystique anglais du XIVème siècle), mais bien plutôt chambre d’inachèvement dans laquelle se complaisent les nombrilistes de l’audience qui confondent quantité et qualité. L’accomplissement culturel devient la capacité à répondre au quizz où l’égalité règne entre les sujets.

La culture ne devient émancipation que lorsqu’elle perd cette qualité intrinsèque d’élévation de l’esprit ou de l’âme. Elle est alors recevable par tous. Elle légitime autant, sinon plus, le rap que la symphonie de Beethoven. Ceux qui osent penser autrement et qui établissent une hiérarchie bienfaisante entre les bruits médiatiques ne sont que des pisse-froids ou des peines à jouir. Oui, la vulgarité est devenue nécessaire à qui veut se faire entendre et cultiver la notoriété. A quoi sert la culture sinon à profiter de toutes sortes de distraction qui vont de la cuisine à l’amour libre et du camping à la série de télévision. Libérez-vous est le maître mot actuel. Alors on singe la valeur avec le slogan. C’est ainsi que le terme de république est sur toutes les bouches, utilisé à toutes les sauces, valeur suprême des politiques en mal vision d’avenir.

Alors ne soyez pas celui qui empêche de tourner en rond. Echappez-vous de cette attraction de la quantité et privilégiez le peu sans pour autant vous couper du monde. Là aussi le juste milieu est la règle d’or.

15/11/2014

Dédicace

Aujourd'hui participation à l'après-midi du livre des Ecrivains combattants :

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avec les participants suivants:

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Pour ma part, trois livres seront proposés:

livre, dédicace,

livre, dédicace,

livre, dédicace,

Vous êtes bien sûr conviés à venir, le dernier livre faisant un beau cadeau de Noël.

14/11/2014

L'individualisation de la société

Il existe deux grandes catégories de pensée parmi les hommes : ceux qui estiment que la valeur d’un homme tient à sa capacité à s’intégrer dans la pensée de la société dans laquelle il vit, et ceux qui, au contraire, pensent que leur valeur tient à leur capacité à créer une vision du monde personnelle. Caricaturalement, on peut comparer ces deux tendances à la différence de pensée entre l’Occident et l’Orient. Le premier met l’accent sur l’individu, le second privilégie le sociétal. Si l’on va plus loin, ceux qui réfléchissent à cette dichotomie estiment, pour la plupart, dans une théorie évolutionniste, que le progrès conduit de la première tendance à la seconde, c’est-à-dire que l’humanité s’enrichit par l’individualisation alors qu’auparavant elle s’enrichissait par le collectivisme. Où se situe ce croisement des tendances et qu’implique-t-il ?

En permanence, en Occident, la lutte entre les deux tendances a privilégié l’individualisation. On peut dire que le christianisme est une religion qui induit au cœur même de la croyance la valeur de l’homme individuel à travers le concept de sainteté ? Pour le chrétien, l’homme a non seulement la possibilité, mais le devoir, de s’extraire de ces tendances et habitudes véhiculées par la société, pour individuellement, se rapprocher de Dieu par ses efforts personnels à la sainteté. En Orient, la première qualité d’un individu est sa capacité d’intégration dans le système social : on doit faire comme ceci, et ne pas vouloir le faire est un péché d’orgueil.

Remarquons cependant que l’on pourrait démontrer l’inverse : le bon chrétien social est celui qui se plie justement à la vision du monde qu’impose l’église ; le bon pratiquant du zen est celui qui s’abstrait des contingences sociales (l’obligation de créer une famille, de produire du travail, etc.) pour trouver en lui-même sa propre raison de vivre.

Cependant, si l’on y réfléchit quelque peu, on constate que cette vision inverse est fondée sur un a priori, la supériorité de la société par rapport à l’individu. Le christianisme originel mettait l’accent sur l’accomplissement spirituel de chaque homme. Mais l’adoption par l’Etat romain du christianisme avec Constantin 1er a changé la vision du chrétien. Désormais, la sanctification du chrétien est liée à l’obéissance aux préceptes de l’église. Ce lien entre l’individu et la société a commencé à se fissurer au siècle des lumières et avec l’apparition de la science. Un homme seul peut avoir raison contre tous comme l’avait démontré Galilée bien avant le XVIIIème siècle. De même pour la tendance orientale, on constate là aussi qu’elle n’est pas aussi tranchée qu’elle en a l’air. En Orient, l’homme gagne en maturité et accomplissement de soi par sa capacité non pas s’intégrer dans la société, mais plutôt à s’en abstraire par une fusion dans le Tout.

Il est possible que notre temps soit celui du croisement entre les deux tendances : deviendrait prédominante la tendance à l’individualisation par rapport à celle de la socialisation.

L’inconvénient est que tout ceci entraîne des troubles à la fois pour chaque individu et pour la société dans laquelle il vit, et ceci est vrai tant pour ceux qui penchent vers l’individualisation que pour ceux qui prônent l’importance de la socialisation (évidemment pas au sens de vision socialiste, mais de prédominance de la société sur l’individu). Pour beaucoup cela se solde par une impression d’ordre ou de désordre, l’ordre étant du côté de la société et le désordre du côté de l’individu. Par exemple, le gouvernement actuel a plutôt tendance à comprendre les partisans de l’individualisation et à lutter contre les « clichés sociaux » qu’impose la famille. Alors il tente d’imposer une nouvelle manière de penser avec l’introduction du langage politiquement correct. Le sens des mots doit évoluer et au besoin on change les mots qui ont des connotations culturelles. Cela va de l’aveugle au non voyant, des noirs aux hommes de couleur, langage qui lui-même avait déjà évolué de nègres à noirs. Qui ne respecte pas ce langage n’est pas un bon citoyen et doit être rééduqué. En Orient, et plus particulièrement en Chine, malgré la montée en puissance d’une individualisation par l’économie et l’art, la pensée politiquement correcte ne peut que faire confiance à la direction politique du parti et toute tentative de critique ouverte est combattue. Le politiquement correct reste sociétal. Il en est de même dans la guerre ouverte entre l’Occident et l’Islamisme radical, une guerre sociétale et non purement religieuse, la société traditionnelle tournant autour de la religion et de la famille avec leurs interdictions plus issues de l’histoire plutôt que du Coran.

Cette période sera longue et engendrera des affrontements sur les formes de la société, du gouvernement, de la culture. Ce n’est que par une osmose inconsciente des deux tendances que, progressivement, un juste milieu sera trouvé, ni dictature de l’individualisme, ni tyrannie de la socialisation. Mais comme le juste milieu est la chose la moins bien partagée, répétons-le, la guerre sera longue.

13/11/2014

La chambre à grâce

Il arrive que je sente en moi des fuites.
Quelques temps je regonfle mon fond,
Puis, flottant au vent de l’inconduite,
Je repars, à nouveau, vêtu en caméléon.

D’autres fois, le cœur n’y est plus.
La fuite s’accentue jusqu’au trou d’air.
Ce n’est pas que je me sente exclu,
Mais je n’ai plus l’allant de l’écuyère.

Les batteries usées de la tempérance
M’inclinent à la modestie. Trou noir !
Je n’attends pas cette panne de conscience.
Elle survient comme un coup de tranchoir.

L’air me manque, j’étouffe et suffoque ;
Je panique telle la grenouille mal à l’aise
Dans l’eau qui chauffe et la rend équivoque.
Sur mon véhicule, je ne suis plus qu’un obèse.

Sans s’annoncer, elle survient en catimini.
La chute s’accentue, mais je me regonfle
A cette bouffée rafraichissante de paradis,
Telle une caresse vers l’homme qui ronfle.

Je m’éveille à moi-même, l’esprit purifié.
J’aborde cette étape avec circonspection.
Suis-je certain de pouvoir m’évader ?
Je redoute encore une nouvelle crevaison.

Pourtant je repars les naseaux ouverts,
Humant ce ciel limpide en amoureux,
Appréciant ces mouvements de l’air
Qui m’agitent et me font un être radieux.

L’audace revient à grands coups de pagaie.
J’ai chassé en une pensée mes angoisses.
Gonflé à bloc, enivré et béat, je me recrée. 
Au fond de l'être, j'ai trouvé la chambre à grâce…

© Loup Francart 

12/11/2014

Jean-Jacques Ory, peintre débordant de naturel

Jean-Jacques Ory peint des arbres ou des feuilles. Une peinture réaliste par la précision du trait et de la représentation, et onirique par le rêve coloré qu’elle contient. 

Un simple tronc d’arbre est un mystère de formes entrelacées, courant de part et d’autre du tronc lui-même hirsute et puissant. Il contraint le spectateur à s’interroger sur la nature du végétal et sa force symbolique. Là, l’arbre est comme un champignon gigantesque, sorti tout droit de la terre nourricière, de manière miraculeuse, et dont le vieillissement, fait de rejets et de racines, constitue une robe fraîche et féminine sur sa musculature et sa rugosité masculine. 

Totalement différentes sont les enchevêtrements de feuillages et de fleurs qui semblent sortis d’une jungle exubérante et irréelle. On s’y sent oppressé, jusqu’au moment où le parfum et la coloration vous enlacent et vous prennent au piège de la volupté. On se laisse griser, on sent des picotements sur la peau, on ferme les yeux et le rêve reste là qui vous emprisonne. On devient végétal, on vit au rythme de la sève qui jaillit avec force de ces êtres qui n’existe que pour plaire à notre imagination humaine. 

Parfois ce réseau végétal devient foisonnement à l’instar du cerveau humain. Des millions et des milliards de cellules qui s’offrent, connectées, pour mettre en évidence l’intelligence de la nature, sa diversité et sa tendresse pour l’homme.

Merci Jean-Jacques Ory pour cette compréhension du monde végétal, simple, mais si réconfortante. Et merci à la galerie de l’Exil qui a rassemblé ces bribes de savoir et de communion avec la création.

Allez, encore un petit morceau de rêve qui nous allège des soucis du jour et nous fait entrer dans le vent de l’optimisme.

Né en 1944, Jean-Jacques ORY découvre à l’âge de 15 ans une grande passion pour le dessin et la peinture.
Mais c’est vers l’architecture qu’il va se tourner, il obtient ainsi son diplôme d’Architecte à l’Ecole des Beaux-Arts en 1970. Il pratique cette profession au cœur de son agence d’architecture parisienne qui s’illustre depuis 35 ans dans la réalisation de projets d’envergure aussi bien en reconversion de bâtiments que dans le neuf, pour des programmes de bureaux, logements, hôtels et commerces. Jean-Jacques ORY est l’un de ceux qui a participé le plus activement à la grande mutation des immeubles parisiens. Son savoir-faire s’est notamment distingué par la restructuration du siège du Crédit Lyonnais, de Louis-Vuitton, des Galeries Lafayette ou encore de l’immeuble Kenzo comprenant le restaurant Kong.
Peintre confirmé et soucieux d’intégrer la nature dans ses réalisations architecturales, il imagine à sa manière la multiplicité et la magnificence de celle-ci.

(Plaquette de présentation de la galerie de l'Exil)

11/11/2014

The cyber conductor

https://www.youtube.com/watch?v=CFltd2838gc


 

Cette présentation est un exploit musical. Quelle souplesse de la part d’un orchestre et que de répétitions cela a dû demander.

Surprise. L’orchestre s’arrête et repart à volonté, change de rythme, module la hauteur du son, modifie même la tonalité et le mode de la pièce. Il finit par se dérégler et devenir incontrôlable, même son chef s’y perd et devient quasiment fou.

10/11/2014

Concentration

 

Envoutant, séducteur, mais dangereux !

Un bouquet de baisers vous dévore et plus rien n’existe.

Alors laissez-vous séduire…

09/11/2014

Lui

Longtemps elle l’a rêvé, il est là l’homme radieux.
Qu’est-il devant elle, la charmante résolue ?
Il vient, se sachant découvert et craignant Dieu.
Elle le regarde, mais signifie-t-il l’absolu ?

Lui qui n’a jamais rêvé devant une femme nue,
S’interroge sur son destin d’homme délétère.
Le guerrier a-t-il encore le pouvoir malvenu
D’outrepasser son rôle et passer la frontière ?

Elle est pourtant ténue cette limite imaginée.
Tendre le bras, pailleté d’or… Vêtue de nuée...
Elle ouvre son regard d’ange et le contemple.

L’homme n’est qu’un double incertain d’elle-même.
Il a moins de forme et se peut-il qu’il m’aime ?
Elle le reconnait et, seule, le conduit au temple.

© Loup Francart 

08/11/2014

Parution de "Dictionnaire poétique"

poème, écritre, recueil de poésie, édition

poème, écritre, recueil de poésie, édition

Faites rêver... Offrez donc un recueil de poésie en cadeau de Noël. L'heureux élu vous en sera gré, il pourra rêver pendant ces jours où la réalité dépasse parfois la fiction. Avec cet ouvrage, la fiction n'est jamais dépassée.

Un mot, c'est une image, un son, un picotement qui étire un fil ténu qui, s'il est suivi, vous entraîne au bout du monde et de l'imagination. Vous fermez le livre et cela se poursuit en vous inconsciemment. Alors, vous devenez vous-même poète.

Détails du Livre

Pages :

186 pages

Genre :

Poésie

Paru le :

07/11/2014

Référence :

ISBN 978-2-7547-2626-9

Format :

13x20 Broché

07/11/2014

Prodigieux (3)

J’avançais d’un pas. Ce me fut fatal. Je partis et tombais dans un vide effrayant, le cœur soulevé, les cheveux en bataille, la nausée aux lèvres. J’ouvrais vite mon parapluie, ce qui me ralentit quelque peu, mais pas suffisamment pour pouvoir m’accrocher au balcon que je vis défiler devant moi. La ville s’était creusé un espace supplémentaire à 90°. Non je n’ai pas bu d’alcool pharmaceutique, juste un peu de ce thé divin qu’elle m’avait offert. M’a-t-il tourné la tête ? Je ne sais.

Mon regard révolutionné, mes bras étendus pour planer je tourne autour des réverbères et passe au-dessus des gens qui me contemplent le nez en l’air. Certains même me font des signes comme on dit au revoir à ceux qui s’éloignent du quai, montés sur le grand bateau blanc. Je retrouve les rues de mon enfance quand j’allais chercher le lait sorti des pis gonflés ; je revois l’usine gigantesque où j’errais, seul, dans la fraicheur du matin ; je conteste ce passage indélicat d’une fille courant dans le noir et sautant la barrière de la retenue. Ah, cela ralentit, le vent ne s’engouffre plus dans mes oreilles surchargées de bruit. Bientôt ce n’est plus que le silence qui m’accueille. Serait-ce parce que j’ai pris de l’altitude ? J’aperçois au loin une tache sombre, un trou noir vers lequel je me dirige sans même pouvoir dévier ma route. Ça y est ! Entrée dans cette boule flasque et gélatineuse. Les oreilles se bouchent, les yeux s’obscurcissent. Elle a un goût sucrée, l’odeur des barbe-à-papa d’une enfance malheureuse. Les bras tendus, j’erre sans rien voir ni rien entendre. Je me mets en boule, recroquevillé, un point dans le désert d’un monde inconnu qui tourbillonne dans le silence de la perte de repères.

– As-tu trouvé le bonheur ? me demanda-t-elle doucement.

J’émergeai lentement de ce cauchemar visqueux, les yeux encore écarquillés, les mains en avant pour me protéger. J’entendais toujours le sifflement du vent, et me voici étendu à ses pieds. Elle se penche vers moi, passe une main légère sur mon front et m’aide à retrouver mes esprits.

– Sais-tu ce que j’ai vécu ?

– Oui, je connais cette errance dans la ville distendue. C’est une cachette que peu connaissent, bien commode pour échapper à la langueur des nuits.

– Mais où sommes-nous maintenant ? Demandai-je à la charmante enjôleuse.

– Je ne sais. Nous avons franchi le rubicond et errons dans les plis du temps qui recèle de multiples vies. Ainsi s’allonge le destin de ceux qui font ce premier pas terrible. Plusieurs destinées les attendent, mais ils perdent l’équilibre et peu reviennent sain d’esprit et de corps.

Je la regardai et perçu que sa peau avait bleui, d’un bleu pâle comme la mer en été ou un ciel sans nuage. Ses lèvres charnues rosissaient, son œil étincelait, ses cheveux devenus rouges lançaient des éclairs luminescents. Elle se pencha vers moi et murmura :

– Bienvenue au royaume des apatrides. Tu es libéré de ton passé et libre de tout avenir. Désormais tu erreras solitaire dans ce monde sans attache jusqu’à ce que tu trouves le pli du temps qui te ramènera dans l’ancien monde. Elle se pencha vers moi, déposa un baiser sur mes lèvres, enfoui sa main  sous ma chemise jusqu’à ce point sous la poitrine qui fit bondir le rythme de mon cœur. Peut-être allait-elle se donner maintenant ? Je mis ma tête entre ses seins, respirait fortement ce parfum entêtant émanent de ses aisselles et sombrai dans un sommeil profond, un anéantissement de ma personne, une absence douce après ce que j’avais vécu.

Elle murmura pour elle seule :

– Prodigieux ! Il s’est endormi et j’en dispose pour moi seule sans qu’il le sache.

Elle s’étendit à mes côtés et mon rêve devint réalité.

06/11/2014

Shigeo FUKUDA

Shigeo Fukuda, né en 1932 à Tokyo et décédé en 2009, est un sculpteur et incontournable graphiste et affichiste japonais.

Il se caractérise par le travail des illusions d’optique, son trait synthétique et ses affiches d’une rare pertinence.

"Fukuda aime et collectionne les images et les objets de notre temps. Il les exprime de la façon la plus efficace, non pour en faire percevoir une épaisseur complexe et des réalités subtiles mais, au contraire, pour que leur perception, condensée souvent en un trait noir et égal qui silhouette et contourne, soit immédiate."  (François Barré)

Biographie :

Né en 1932 à Tokyo et diplômé de l'école Nationale des Beaux-arts et de la musique de Tokyo, section design en1956. Membre de l'AGI (Alliance Graphique Internationale) et du RDI (Royal Designer for industry). Il vit travaille à Tokyo.

C’est l’un des premiers graphistes japonais dont l’œuvre concilie les traditions de la culture nipponne à l’esprit et l’éclectisme prisés en Occident.

Ses dessins, ses affiches, ses sculptures et ses objets (extra)ordinaires utilisent l’illusion optique et provoquent sur notre œil incrédule un véritable choc culturel.

Son travail de nombreuses fois récompensé,  a été exposé à travers le monde.

(http://www.michellagarde.fr/livre/475/monographie-shigeo-fukuda.html)




05/11/2014

Messe pour les solennités (3/3)

 

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Messe solennelle 10.jpg

04/11/2014

Annonce

Hier, couché sans sentiments ni appréhension
L’aménité de l’air incitait à l’absence.
Tu sombras dans un sommeil englué et profond.
Rien ne viendrait troubler ta béate défaillance.

Tu te levas dans la nuit, l’œil encore endormi.
Au dehors la douceur assassinait l’automne.
Noir d’encre, sans couleur, hors de toute académie,
La furie sans parole, perverse et tatillonne.

Qui vit ce ciel encombré, serré sous la lune
D’une éclaircie parcimonieuse et tendre,
Mariage du jour, mêlée de l’infortune ?
Jusqu’au cœur de l’obscurité, rien à attendre.

De lourds nuages volaient très bas. Levant le doigt,
Tu les comptas entiers sans pouvoir les partager.
Ils annonçaient les eaux promises, avec la joie,
Sans incision, d’une mort de l’été annoncée.

C’est bien le dernier jour des rêves alanguis,
Reposant dans l’océan, bercé par la vague,
Avant les cataractes qui te laissent groggy,
Sans soutien solide ni même au doigt une bague.

© Loup Francart 

03/11/2014

Un homme effacé, roman d’Alexandre Postel

Toute société reposait sur un ensemble de fictions – notamment juridiques – destinées à introduire de la cohérence et de la continuité dans un monde qui en était cruellement dépourvu. (…) Ce n’était d’ailleurs pas un problème, à condition de se souvenir que ces fictions ne sont que des fictions. Car l’oubli de ce principe était la cause de toutes les erreurs judiciaires. Chaque fois que l’on condamnait un innocent, on ne faisait jamais que sélectionner la plus cohérente, la plus vraisemblable, en d’autres termes la plus fictive des hypothèses envisageables. (…) Il suffisait de choisir un homme effacé, timide, peu sociable ; de s’arranger pour glisser quelques images infâmes sur son disque dur ; et de laisser s’abattre sur lui les pulsions fictionnelles de la société toute entière.

Tiré de l’épilogue du roman, ce résumé exprime les réflexions que l’auteur a cherché à introduire : nul n’est à l’abri du système de cohérence de la société. Ce jour-là, où tout commença, Damien North n’arrive plus à connecter son ordinateur sur le réseau de la faculté. Résigné, il part vers le campus sans son ordinateur. Il croise Hugo Grimm et ne sachant quoi lui dire, lui demande : « Dites-moi, Hugo, vous aussi vous avez des problèmes avec internet en ce moment ? » Sans le savoir Damien vient de croiser celui qui sera à l’origine de tous ces ennuis. Arrivé à son bureau, l’attend Sophie, une étudiante, qui vient l’interroger sur les commentaires mis en note des corrections d’un devoir. Tentant de lui expliquer en quoi sa copie ne correspondait pas à son attente, il conclut : « Lire votre commentaire, c’est comme écouter une chorale qui ne chante pas juste. On applaudit par politesse, mais au fond, on pourrait tout aussi bien siffler. Je vous ai donné une notre…moyenne, mais rien ne m’aurait empêché d’être plus sévère ». Plus tard, il croise Macha Pavlik, dite Machette, qui le contraint à signer une pétition contre le fichier Télémaque, constitué par le gouvernement pour examiner leur mode de vie, leurs fréquentations et leurs croyances.

Toute est en place pour l’erreur judiciaire. Le jour même, un inspecteur vient saisir son ordinateur, l’arrête pour consultation et détention d’images à caractère pédopornographique. Il est incarcéré et son martyre commence. Condamné à cinq ans de prison, il se retrouve en prison. Ce n’est qu’au bout d’un temps infini pour lui que son avocat arrive un matin, le sort de prison et lui dit qu’Hugo a avoué dans une lettre être à l’origine de sa condamnation. Il avait copié ces images à l’insu de Damien sur l’ordinateur de celui-ci pour ensuite les mettre sur une clé USB. Il lui faut beaucoup de temps pour se remettre de cette aventure. Mais le pire reste à venir. Ces voisins l’épie et, peu à peu, lui découvrent de véritables sentiments de dépravé : il regarde les enfants bizarrement. Il souffre alors d’une asociabilité aigüe, se réfugie chez lui et passe son temps dans un arbre dans son jardin. Dénoncé par une voisine (il y avait des enfants qui baignaient dans une piscine à proximité), le voisinage se dit que ce n’est pas parce qu’il a été innocenté qu’il est à tout jamais innocent. Et le commissaire reprend son enquête. Damien alors abat l’arbre à la tronçonneuse et pleure  assis sur son tronc. Le commissaire comprend toute la perversité de la société qui continue à accuser un innocent. Il s’efface et laisse vivre Damien qui reprend peu à peu une vie effacé et tranquille.

Un beau livre qui décrit l’hypocrisie des conventions sociales et des soupçons qui se transforment en preuve. Tous accusent Damien d’un crime qu’il n’a pas commis et la rumeur persiste, enfle jusqu’à l’absurde. Il y a toujours une part de vérité dans les accusations, même s’il est prouvé qu’elles sont fausses, n’est-ce pas ?

02/11/2014

Prodigieux (2)

Elle ne me laissa pas entrer le premier et me demanda d’attendre quelques minutes, le temps de ranger un désordre indescriptible, disait-elle. Enfin, elle m’appela. Je poussai la porte, excité, intrigué par la personnalité de cette femme qui ne ressemblait à rien de connu. J’entrai dans une grande pièce qui ressemblait à un atelier de peintre. De grandes toiles pendaient aux murs. Elles couvraient quasiment tout l’espace. Certaines ressemblaient à des annonces nécrologiques : du noir et du blanc, ordonnés, tirés au cordon, géométriques et harmonieux comme un service funèbre, d’une beauté fatale qui donnait à rêver. Ils étaient là, mais en absence, statufiés, vivant hors du temps. D’autres, en couleur, étincelaient de lueurs inédites, revêtus de bleus sombres virant au vert émeraude, toujours aussi ordonnés, plus apaisants que les noir et blanc. Deux mondes qui se côtoyaient sans se toucher, contrastés, déchirants, mais emplis de majesté sereine et intemporelle. Elle me regardait, le visage tendue, recherchant une trace d’approbation. Ses yeux se troublèrent. J’y décelais une rosée d’inquiétude. Que dire ? Rien pour l’instant. La surprise était trop importante et me laissait sans voix. Pour calmer mon esprit, je reportais mon regard sur le reste de l’atelier. D’autres toiles étaient alignées contre les murs, entassées, protégées par des couvertures défraichies, certaines étaient même nues, couvertes de traits, de cercles, de rectangles qui s’enchevêtraient les uns dans les autres pour former une jungle impossible dans laquelle le regard se perdait. Au centre se trouvait une oasis, deux canapés face à face, séparés par une table basse de verre montée sur des sculptures bizarres faites de fer assemblés vraisemblablement à l’arc électrique. Plusieurs petits meubles contenait des livres, d’autres des pots de peinture, certains des pinceaux, entassés les poils en l’air, tout cela dans un désordre organisé qui, finalement, donnait presque un air mondain à la pièce encombrée. Je tournais plusieurs fois sur moi-même, quelque peu éberlué et revenait vers son visage qui semblait attendre une parole, un son, un étonnement, bref une approbation ou un rejet.

– Prodigieux, m’exclamais-je.

M’étais-je suffisamment exprimé ? Elle me regarda gravement et me dit :

– C’est tout ?

– Que voulez-vous que je vous dise. Il faut me laisser le temps de m’acclimater. Il faut aussi laisser le temps aux tableaux de m’apprivoiser. Nous devrions finir par copiner, mais cela ne se fait pas en deux minutes.

– Ah ! Une parole raisonnable. Prend ton temps. Imprègne-toi, je vais préparer quelque chose.

Elle entra dans une autre pièce, très vraisemblablement la cuisine. Je l’entendis faire couler de l’eau, sortir de la porcelaine. Une cafetière lançait des jets de vapeur dans son circuit. Elle finit par revenir, portant un plateau avec une cafetière, deux tasses, un sucrier. Elle le posa sur la table basse et remplit les tasses, sans rien dire, me regardant à la dérobée, curieuse de mes réactions. Elle s’approcha de moi et, en tendant le bras vers un des canapés, m’invita à m’assoir.

– Nous serons mieux assis.

Elle me tendit une tasse que je pris mécaniquement, l’esprit toujours préoccupé par ces tableaux qui m’invitaient au silence. Ils avaient quelque chose d’envoûtant. Elle ne semblait pas le remarquer, ou, peut-être, en avait-elle trop l’habitude. Elle ne parlait pas, attendant mes réactions. Comme je restais silencieux, elle posa doucement sa main sur mon bras, tendit ses lèvres vers mon visage et posa un baiser sur ma joue, presqu’au pli de la commissure des lèvres.  Que voulait-elle ? Je passais mon bras derrière elle, lui prit l’épaule opposée et la serrait contre moi. Elle se pelotonna contre mon aisselle, sans rien dire, les yeux fermés. Elle semblait bien et ne rien désirer de plus. Nous restâmes ainsi plusieurs minutes, semblant oublier le café qui refroidissant dans les tasses. Elle ouvrit à nouveau les yeux, les laissant errer sur la pièce sans rien chercher de particulier, puis me regarda.

– Tu fais très bien dans le décor. Grand, mince, brun, distingué… Quel amphitryon ! Viens plus près de moi, là.

Elle me montra le haut de sa poitrine toujours vêtue du corsage acheté dans la boutique dont elle déboutonna la dernière attache, tout ceci le plus naturellement du monde. Je me laissais faire, m’inclinant sur ses seins dressés, tournant la tête vers ses lèvres qui me laissèrent un goût sucré-salé qui ne m’étonna pas. Elles étaient fines, un peu pulpeuses cependant, et laissaient passer son souffle tiède, enivrant. Elle me prit la tête à deux mains, ouvrit ses lèvres, m’invitant à pénétrer dans son intimité. Je ne résistais plus. Rien ne pouvait maintenant m’empêcher de découvrir son visage, d’en chercher tous les recoins, de baiser ses cils élancés, d’enfouir mon nez dans son cou à l’odeur de cannelle citronnée, d’entrouvrir ses lèvres chaudes d’une bouche sûre et avide.

– Attends, me dit-elle. Laisse-moi reprendre mes esprits. Ne nous précipitons pas dans une volupté dispendieuse. Laisse monter en moi un début d’extase et que plus tard il nous comble de ses félicités. Que penses-tu de mes tableaux ?

Ne sachant si elle peignait ou ceux-ci était l’œuvre d’un auteur inconnu, je n’avais rien dit qui les concernait. Me redressant, laissant s’échapper les effluves émanant de sa personne, je me lançais dans un constat dithyrambique.

– Tes tableaux sont avant tout toi-même. Non pas celle qui se promène dans les rues de Paris, auscultant les magasins, admirant les voitures, reluquant les jeunes hommes. Mais toi-même en tant qu’inconnue. Voilà pourquoi je suis resté dans voix en entrant. Je ne te reconnaissais pas. Pourtant j’étais également troublé par une similitude, une apparence qui ne voulait pas se dévoiler. Il y avait la face colorée, mais derrière apparaissait l’irrésolution de ton regard qui est beau. Cette beauté cache quelque chose. Quoi ? Je ne le sais pas encore, mais dans les instants qui vont suivre, peut-être découvrirai-je, à travers ton extase, le secret que tu caches à toi-même.

Elle me regarda, étonnée. Elle semblait avoir été mise à nue. Je vis sa bouche s’entrouvrir, ses yeux vaciller et s’embuer d’une rosée visible. Elle me tendit sa main.

– Voilà qui est parlé. Je suis surprise de ta perspicacité. A croire que tu me connais bien.

Elle n’en dit pas plus, me reprit la tête, se pencha vers moi, m’embrassa moins sauvagement, avec tendresse et tout à coup éclata en sanglots. Cela dura moins d’une minute. Je ne savais que faire. Je lui caressais la nuque. Je sentais toute sa personnalité en alerte. Elle se détendit, me regarda encore une fois, ouvrit son corsage et me montra une poitrine jeune, haute, enrobée dans un soutien-gorge blanc qui la serrait un peu, à tel point que l’on voyait une partie de ses auréoles au-dessus de la ligne brodée des bonnets. Je ne pus m’empêcher de les contempler, puis de rapprocher mes lèvres de cette chair offerte, tendre et chaude, d’une douceur incomparable. Elle sentait le savon frais parfumé à la lavande. Je m’enfouis dans ce champ odorant, cherchant à attraper d’un baiser la pointe érigée d’un de ses seins. Elle me reprit, m’écarta d’elle et, tout en soupirant, referma les deux boutons de son corsage. Elle se mit debout et me dit brusquement :

– Je ne t’ais pas tout montré.

Elle me prit la main et m’entraîna vers la porte du fond. En l’ouvrant, elle s’effaça et me dit d’entrer. La pièce était noire, un peu moite, baignant dans une atmosphère très différente.

01/11/2014

Messe pour les solennités (2/3)

 

 

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31/10/2014

Vitalité

Laisse monter en toi le délire de mots
Ferme les yeux à l’apostat !

Elle partit d’un jet, courant sur le pré
Encombrée de sa robe de mariée
Elle nous quitta sans bruit
Pfuit… Plus rien devant nous

J’eus beau chercher sa taille
Je ne trouvais que le bruissement
Des fils de soie de sa ceinture
Qui se dévidaient entre mes doigts

Alors moi aussi je me mis à courir
Derrière les courants d’air
Prenant garde de ne pas m’enrhumer
Jamais je ne pus la rattraper

Nous parcourûmes le monde
Puissant dans nos besaces
L’espoir de nous retrouver
Et de nous jeter dans les bras l’un de l’autre

Mais elle s’échappait plus vite
Allez savoir pourquoi
Elle sentait le stupre et la caresse
Mais volait comme une princesse

Nous passâmes au pôle nord
Refroidis jusque sous les aisselles
Nous parcourûmes le désert
Pleurant de soif derrière l’ombre

Nous naviguâmes toutes voiles dehors
Jusqu’aux confins de la terre
L’œil sur l’horizon, la main sur la barre
Sans jamais rencontrer un être vivant

Aujourd’hui, je poursuis nos fantasmes
Seul, sans pilote ni moteur
Ronronnant petitement, nu sous le soleil
Et me brûle au rêve de mes prédécesseurs

Où donc es-tu passé sous ta robe de taffetas ?
Ton fantôme court-il encore, invisible
Aux regards des hommes en attente
D’un plus grand désespoir ou abandon

Fuis-tu toujours sous l’opprobre
De cette matinée aérienne
Quand tu te levas avant de dire oui
Et sortis sereine sans un pleur

Plus rien ne pourra cacher
Cette blessure béante à ton flanc
Celle de la séparation mortelle
D’avec l’homme d’une vie morose

Altière tu nous quittas, tête haute
Les larmes aux yeux, mais souriante
Et marchas vers ton destin
L’adoration sans faille de la vitalité

© Loup Francart 

30/10/2014

Ne pars pas avant moi, roman de Jean-Marie Rouart

Le dernier chapitre éclaire le livre et le résume. L’orage. Eclatera-t-il  ou se contentera-t-il d’agacer les nerfs ? L’auteur condense en une description des aléas de la nature celle d'une vie qui semble familière, mais dont les plis recèlent de multiples réminiscences. Je pense à Berthe Morisot, qui a écrit dans ses carnets la phrase la plus belle et la plus désolée qu’on puisse confier à soi-même quand on s’apprête à quitter le monde : « Mon ambition se bornerait à fixer quelque chose de ce qui se passe ; quelque chose, la moindre des choses ; une attitude de Julie, un sourire, une fleur, un fruit, une branche d’arbre et, quelques fois, un souvenir plus spirituel des miens, une seule de ces choses me suffirait. » J’ai l’impression d’appartenir comme elle à cette race qui se désespère de ne trouver rien qui lui apporte la preuve de son existence, sinon en la mettant en peinture ou en mots. Ces mots capables de façonner les visages et les paysages, il me semble qu’ils me relient à la seule vie par laquelle j’existe. (…) Qu’est-ce qui demeure encore ? (…) Quel sens, tout cela ? (…)  

Le soleil réapparaît éclairant le cap Corse, effaçant le souvenir de l’orage. Un petit nuage rose à même l’impudence de gambader au-dessus de l’horizon. Je regagne ma chambre. Un message de Jean d’Ormesson m’attend : « Ne pars pas avant moi. »

Ainsi s’achève ce roman autobiographique, fait de morceaux de vie de l’adolescence à la vieillesse qui n'est qu'évoquée dans ce dernier chapitre. L’auteur se dévoile tout en s’interrogeant sur les mystères du destin. Un jeune homme lointain et proche, qui vit l’amour avec ironie et qui conte ses rencontres avec le sérieux qu’il semble attacher au côtoiement des grands de ce monde, en particulier de la littérature.

Qu’en retenir ? L’évocation de ses conquêtes. D’abord Solange qui le trompe, mais qui l’aime malgré son mariage, Sara qui abandonne ses futilités pour le rejoindre dans sa chambre d’étudiant et quelques autres, toutes enchantées et enchanteresses. L’évocation de ses rencontres aussi, avec Vergès, Cardin, Nourrisier, l’écrivain du désenchantement du monde, mais surtout Jean d’Ormesson, l’écrivain fétiche du jeune homme qu’il était et qu’il veut nous faire croire qu’il est toujours.

Cette dernière évocation donne le style du livre. Oui, il est merveilleusement écrit, plein de descriptions oniriques et d’extases sur cette vie de rencontre, promenade dans les salons littéraires quelque peu compassés. Car si le style est enchanteur, les enchantements décrits restent très personnels et font preuve d’un certain contentement de soi. Il se décrit comme un être rejeté parce qu’il a raté son bac ; J’avais dix-sept ans. Ce soir-là, je n’attendais rien de la nouvelle année. Pourtant j’en attendais tout. J’avais peur de m’enliser dans une existence grise et banale et, au fond de moi, j’étais gonflé d’espoir. (première page du livre qui en donne la trame). Mais il fait apparaître son contentement dans les descriptions de cette vie bourgeoise, riche matériellement et intellectuellement.

A la manière de Jean d’Ormesson, Jean-Marie Rouart est un enchanteur qui tourne sur lui-même, y revient sans cesse et se délecte dans ce mélange de réalité et de fiction, d’impressions et de descriptions, de liberté et d’obligations.

Ecoutez-le et vous comprendrez :

http://www.youtube.com/watch?v=VEAaG9t7yQ0&feature=player_embedded


29/10/2014

Messe pour les solennités (1/3)

Une messe composée pour la chorale qui la chanta plusieurs fois au cours des deux ans :

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28/10/2014

Prodigieux (1)

Prodigieux ! Elle s’éveilla, se dressa sur le lit, me regarda et me dit :

– Quelle pâle lueur au fond des yeux.

Et je voyais danser dans ce miroir intense les diables délurés des jours de colère. Elle ne me voyait plus. Ce n’était que bagarres et scènes. Rien ne nous rapprochait. Elle échappait à toute logique. Ses cheveux en bataille, son sourire charmant, sa lèvre enfiévrée, tout son corps tendu vers le souvenir, elle se repliait sur elle-même. C’était pourtant bien la même qui deux nuits auparavant avait revêtu sa nudité et s’était glissé dans le lit avec candeur. Elle s’était laissé étreindre en toute connaissance de cause, souriant à l’aventure, s’amusant de caresses insolites. Je vis pourtant dans ses yeux sa folie. Un éclair d’acier parcouru sa rêverie. Ce fut bref, mais intense. Je pris de la distance, prenant garde aux palpations malveillantes. Elle les prodiguait sans retenue, laissant errer ses mains au-delà de la décence. Mais toujours ce visage impassible, beau d’ailleurs, mais si lointain qu’il en devenait gênant. Je m’habituais, osant la regarder, contemplant ses cils qui palpitaient silencieusement et qui disaient tout bas ce qu’elle ne pouvait dire, la folie et l’inconscience.

Je l’avais rencontré dans une boutique obscure, encombrée de vêtements défraichis, derrière un présentoir. Elle essayait un corsage. Elle disposait d’une pile bigarrée et puisait dedans : trop petit, rugueux, enlaçant, verdâtre, ruisselant. Elle ponctuait chaque essai d’un mot dur, apostrophant. Je la regardais depuis un moment lorsqu’elle m’aperçut. Elle n’était nullement troublée. Elle me prit à témoin :

– Tenez, aidez-moi. Je ne sais quoi choisir. Aucun ne me semble destiné. Mais ce soir j’ai un diner et me dois d’être brillante.

Je lui répondis que le seul tissu pour cela était cette soie légère, de couleur lie de vin, aux épaules bouffantes, qui se cachait à moitié sous le tas diffus. Elle retira sans aucune gêne l’élégante blouse qu’elle avait mise en la passant par-dessus sa tête, les bras levés, les seins dressés. Elle prit le corsage, l’enfila, enfouit sous sa jupe étroite les pans resserrés et se montra dans toute sa beauté de femme qui sait ce qu’elle veut.

– Oui, ton goût est sûr. Cela me va mieux que tous ces salmigondis.

Elle le garda sur elle demandant à la vendeuse d’enfouir dans le sac d’achat son chemisier mis à mal, paya d’une carte orange et sortit promptement me regardant réellement pour la première fois.

– quel beau jeune homme, s’exclama-t-elle d’un air enchanté.

Elle partit le nez, qu’elle avait rectiligne, au vent d’automne, marchant aisément parmi la foule, portant son sac haut sous le bras, retenu par l’anse au creux de l’épaule. Elle fit une petite grimace lorsqu’elle vit son reflet dans la glace d’un magasin, redressa une mèche de cheveux, se sourit et engagea une longue conversation sur les faux chefs d’œuvre de la FIAC qu’elle venait de quitter.

– Une honte, je te le dis. J’ai vu trois pâles crottes rouges étalés sur le sol fait d’un morceau de linoléum dans un espace immense étincelant de propreté. Le galeriste vantait précautionneusement l’élégance de la scène qui se prénommait « Destitution ». Une vieille bigote de l’église d’art conceptuel pérorait à ses côtés, voulant comprendre pour quelle raison elle ne sentait rien. Et l’autre de lui dire que c’était normal. Il fallait laisser le travail de l’imagination faire son chemin, monter lentement dans l’enchevêtrement des souvenirs pour à un moment inattendu laisser venir au nez l’odeur délicate du chef d’œuvre.

Elle se mit tout à coup à courir en petits pas chassés, leva un bras impératif, s’engouffra dans un taxi noir et élégant. Eh bien, viens donc, qu’est-ce que tu attends, s’exclama-t-elle devant mon hésitation. Je montais derrière elle sans hésiter, déjà enjôlé par cette fille, non cette femme, à l’éclair vif argent. Elle ne cessa de bavarder en me montrant les rues, les gens, les chiens, les marchands de journaux. Tu as vu… Regarde… je suis folle de cela… Un tourbillon. Mais un visage de marbre.

A l’arrivée, elle me mit dans les mains ses paquets, fouilla longuement dans son sac boursouflé, en sortit  un trousseau et ouvrit avec précaution une porte si lourde qu’elle dut pousser fortement avec l’épaule pour la faire pivoter.

Monté jusqu’au cinquième dans une cage d’escalier rutilante, sur un tapis rouge grenat, dans un silence impressionnant. Je peinais avec les paquets sans toutefois me demander ce que je faisais là. Tout ceci me semblait naturel, dans l’ordre des choses, comme une conclusion lentement mûrie. Elle, elle ne voyait rien. Elle pérorait, mais sans chaleur. Elle dévidait ses propos avec distance, comme un sage. Elle avait l’art des contrastes. Détachée, mais active, voire enfiévrée. Tenant toujours à la main ses clés, elle tendit le bras et d’un geste sûr entra dans le pêne une sorte de passe-partout. J’étais dans l’antre d’une sorcière et je ne le savais pas.

27/10/2014

Danse

Ils étaient trois
Trois pigeons sur le bord d’un toit
Dans le carreau de ma fenêtre
Ils dansaient la valse des pigeons

Non… Il était seul, sans autre aide
Que celui du rebord de pierre
Sur lequel il s’épanchait
Sous l’œil impavide des deux autres

La gorge haute, il se dressait
Et avançait à petits pas
Puis deux tours sur lui-même
Sans autre forme de procès

Il revenait vers eux, crânement
Reprenait ses deux tours
En sens inverse, en métronome
Puis repartait en riant

Vraisemblablement, il délivrait
Aux deux autres un message
Que je ne compris pas
Je le voyais, aller et venir

Il poursuivit sa complainte
Devant le manque de réaction
De ces compagnons ahuris
Et s’arrêta, interrogatif

Ne voyez-vous pas, compatriotes
Que j’esquisse la danse sacrée
Des pigeons délurés
Jamais je ne tombe ni m’étourdis

Oui, il est temps de partir
Devant tant d’incrédulité
D’ailleurs l’un d’eux
Se jeta dans le vide

L’autre, penaud et embarrassé
Voulut conclure ce message
Il se redressa courroucé
Et monta droit dans les cieux

Le danseur resta unique
Sur le bord du toit
Là où toi et moi
Ouvrons nos cœurs de chair

Alors il partit lui aussi
D’un coup d’aile, un froufrou
Qui traversa la rue
Et vint frapper l’attente

Oui, trois pigeons au coin du toit
Dont un dansait la valse
Pour les deux autres
Qui ne virent rien

© Loup Francart

26/10/2014

Nuit et changement d'heure

Assis devant ma table de travail, je m’interrogeai sur ce que j’allais bien pouvoir faire, toujours un peu tendu à ces moments-là, quand l’inquiétude se mêle au bonheur de l’écran blanc. Oui, on ne parle plus de page, même si celle-ci apparaît encore, virtuellement, sous vos yeux. Je ferme les yeux et me voilà parti, monté sur la planche à surf, pourvu d’un coup d’accélérateur, comme une glissade impromptue sur une plaque de verglas.

– Attend ! Où vas-tu ? Tu pars sans savoir.

– Oui, et alors ? N’est-ce pas le propre de la vie que d’errer sans but dans l’immensité des possibilités ?

– Que d’égarements, de doublons, d’insuffisances. Maîtrise ton énergie ! Tu t’engages dans le vide et te laisse basculer dans l’inadvertance.

– J’aime l’inconnu des nuits sans sommeil, quand vers trois heures, après m’être réveillé d’un café fort, je monte dans mon antre et pars en fumée dans un ciel étoilé, sautant dans le vide, les pieds coincés sur mon snowboard. Que se passe-t-il alors ? Je ne sais. Je reviens échevelé, la tête pleine de brouillard vert, les yeux rougis, les muscles las, les oreilles tombantes. Où suis-je allé, je ne sais. Mais quel bienfaisant repos de l’esprit, quelle réjouissance du cœur, lorsque s’accumulent dans ma besace les phrases moelleuses qui gonflent mon égo et lui donne de la consistance. Sont-elles bonnes ces heures inutiles de pas de danse de l’esprit, lorsque vous perdez votre image corporelle et que tous les grains de l’existence se rassemblent en un lieu secret, inconnu des autres et même peut-être de vous-même. Je m’enfonce dans le noir des nuits d’espérance et plus les ans passent, plus ce refuge prend de l’ampleur. Un instant ouvert sur le monde. Non… Ouverture sur un autre monde, sans paysage et sans matière, où le seul plaisir est ce vide étrange qui m’attire, chatoyant, mais sans existence réelle.  

– Illusion ! Tu te laisses égarer. Regarde la consistance de ta table et même de ton écran. Il vit. Les mots s’inscrivent tous seuls sur la ligne. Seul ton rêve te fait croire à l’existence de ce monde d’illusion où rien n’est comme tu l’expérimentes chaque jour.

– Mais j’aime, j’adore ces moments de repos complet de l’esprit, lorsqu’il effectue une montée spectaculaire vers l’infini. Je descends mon centre de gravité et me penche légèrement vers la droite pour amorcer un virage et éviter une planète qui me frôle. Je sens son souffle me rafraîchir. Je pourrai la cueillir, la porter à ma bouche et prendre la fièvre de l’absence, me vider totalement de mon être et devenir une coque transparente errant dans l’éther comme une bulle d’air prise dans le courant d’une eau pétillante. Et je monte, je monte toujours plus haut. Ah, attention ! Ne pas trop se laisser entraîner, la bulle risque d’éclater. Je m’interroge. Je ne serai plus, mais n’aurai pas non plus atteint la limite de la matière. Tiens bon, ouvre les yeux, attache-toi à ton corps, qu’il continue de respirer et de penser en acteur illégal, mais bienvenu.

Deux heures que je suis là. J’ai perdu la notion du temps à vagabonder dans un espace sans limite. Je me suis laissé entraîner dans l’entonnoir des réflexions qui semble faire un trou sur la couverture de l’existence. Dieu soit loué, je me suis récupéré dans ce lit douillet et chaud, comme baignant de saveurs de baisers doucereux, un peu alangui de ce voyage au-delà du temps et de l’espace. Comme sur un nuage je me suis posé et je contemple en bas la vie qui reprend. Le jour se lève, petite lueur pleine d’espoir sur une journée nouvelle. Qu’elle était bonne cette fin de nuit parmi ce rien qui est tout et qui conduit à l’immortalité. Devenu invincible, je ris à mon corps qui continue de vieillir. J’ai revitalisé ma jeunesse et mes espérances sont plus vives que jamais. Quel élixir : deux heures d’absence du monde et je peux maintenant affronter ce jour qui s’annonce pur et vierge, comme une larme de bonheur entre deux morceaux de pain noir. Ce sandwich est le bienvenu.

Un changement d’heure acidulé…

25/10/2014

Eclatement

Un agencement coloré, sans grand discernement, à la louche. Et pourtant, il est chatoyant, plaisant au regard d’un enfant, comme l’explosion d’un caléidoscope.

24/10/2014

L’avenir de l’humanité

Combien il est difficile d’imaginer l’avenir de l’humanité. Peu d’auteurs le tentent, avec plus ou moins de bonheur et lorsqu’ils le tentent de quel avenir parlent-ils ?

Pour les uns il s’agit, comme c’est le cas d’Attali, de l’avenir dans 50 ans (Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2006). Il n’est pas très beau : un monde sans Etats, un marché mondial désorganisé, un hyperempire marchandant le temps et les corps) qui finit par un hyper conflit. Celui-ci appellera l’humanité à prendre conscience de la solidarité impérative de l’humanité et amènera à des réseaux solidaires, des « entreprises relationnelles »,  du micro-crédit, une intelligence collective et enfin une démocratie participative mondiale.

Pour d’autres, l’avenir est ce que je suis maintenant, l’avenir est ce que nous faisons tous les jours de notre vie dans le présent. Ainsi le dit Krisnamurti, (Juan Carlos Kreimer, Krishnamurti for Beginners, Writers and Readers Ltd, 1999, p.201) : Y a-t-il un changement s’il y a une direction particulière, une fin particulière, une conclusion qui semble saine, rationnelle ? Ou peut-être une meilleure expression serait-elle « la fin de ce qui est ». La fin, pas le mouvement de « ce qui est » vers « ce qui devrait être ». Ceci n’est pas un changement. Mais la fin, la cessation, le - quel est le mot juste ? - Je pense que « fin » est un bon mot, tenons-nous en donc à celui-ci.

D’autres encore pensent l’avenir en termes de singularité naissant d’un changement d’échelle du développement exponentiel des nouvelles technologies. Elle peut s’imaginer en tant que singularité d’extinction (bond en arrière du développement de l’humanité), mais aussi en tant que singularité qu’autorisent les transferts massifs d’information entre l’homme et la machine qui feraient naître une nouvelle humanité que nous ne pouvons actuellement imaginer en raison des obstructions de type indécidabilité mathématique du mathématicien Gödel.

Ne poursuivons pas ces différentes visions. Posons-nous la question en tentant de voir encore plus loin. C’est ce qu’a tenté Pierre Teilhard de Chardin (Œuvres de Teilhard de Chardin, L’avenir de l’homme, Le Seuil, 1959). Pour lui, tout se passe  comme si, au cours de son existence phylétique, chaque forme vivante atteignait ce qu’on pourrait appeler une période ou même un point de socialisation (p.58). L’homme à la rencontre des autres et de lui-même par la foi en la valeur spirituelle de la Matière. Quel idéal : l’homme atteint sa plus grande originalité et sa plus grande liberté dans une socialisation qui va jusqu’à, in fine, sacraliser la matière qui deviendrait spirituelle. Y a-t-il une vision plus large que celle-ci ? Teilhard était un homme singulier, un génie visionnaire dont la vision était globale et se rapprochait des celles des savants qui cherchent au-delà du big-bang. Mais, chose singulière, cette vision était tournée vers l’avenir et non vers le passé, c’est-à-dire la naissance de l’univers. Lui aussi voit l’apparition d’un ultra-humain. Son objectif : un rebondissement de la vision de l’humanité : vers l’en haut par l’en avant, une fusion de la vision tournée vers un Dieu créateur du monde et d’une humanité qui se construit elle-même et se divinise. Mais Teilhard va encore plus loin, il parle de la fin de l’espèce humaine qui se fond en un ultra-humain. Ainsi, comme une marée immense, l’être aura dominé le frémissement des êtres. Au sein d’un océan tranquillisé, mais dont chaque goutte aura conscience de demeurer elle-même, l’extraordinaire aventure du Monde sera terminée. Le rêve de toute mystique aura trouvé sa pleine et légitime satisfaction. (Inédit, Tientsin, 25 mars 1924).

 

Ces derniers propos ne sont-ils pas rafraîchissants ? Ils nous éloignent de nos préoccupations premières d’homme qui n’est pas encore un surhomme ou un hyper-homme ou un superman. Je suis homme tout simplement. N’est-ce pas déjà un miracle ?

23/10/2014

Percuphone et OMNI, dans l’atelier de Patrice Moullet

http://www.youtube.com/watch?v=5zzU68YGPvs

Musique étrange, sensuelle, dérangeante, qui ébranle le corps et travaille l’esprit. Quelle machine ! On s’attend aux bruits d’un atelier, mais ce sont des cercles envahissants de sons qui progressivement vous entraînent dans une danse infernale et bienheureuse qui vous laisse pantois.

Michel Moullet est un artiste inclassable. Il a fait des études de musique classique, mais s’est assez vite passionné pour les sons produits par l’électronique. Deux instruments qu’il a créés sont véritablement innovants, le percuphone et l’OMNI.

Le percuphone :

« À l'origine acoustique (cordes frappées), le percuphone est actuellement une interface électromécanique pour piloter manuellement et en temps réel les systèmes de production sonore numérique.

L'instrument comporte 256 voix de polyphonie, une banque de 20 000 sons sur ordinateur (sampleurs virtuels) et une interface octophonique fire wire. Cet instrument a été mis au point avec le concours d'Alstom pour la motorisation et de l'Ircam pour l'interface de conversion analogique. 57 prototypes ont été réalisés depuis sa création. » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Percuphone)

L’OMNI ou objet musical non identifié :

« L'Omni est un instrument de musique audionumérique créé et développé par Patrice Moullet à partir d'un concept global proposé par Guy Reibel en 1985. Le premier prototype a été créé en 1988 pour la Cité de la musique de la Villette.

L'omni est une interface pour piloter les systèmes sonores virtuels, constituée de 108 plaques de 108 couleurs différentes réparties sur une surface légérement sphérique de 160 cm de diamètre et bénéficiant des convertisseurs d'Emmanuel Flety de l'Ircam.

L'instrument comporte 108 canaux midi, 256 voix de polyphonie, une interface son Firewire octophonique, une banque de 20 000 sons sur ordinateur (sampleurs virtuels). » (http://www.jpontier.com/Omni.html)

 

Alors laissons-nous entraîner dans cette danse envoûtante qui semble sortie des forges de Vulcain.

22/10/2014

Double

Il est parti celui qui est plus que moi-même
Et je ne sais même plus qui je suis devenu

Un grand noir s’est installé, froid de marbre
Je m’y cogne la tête. Elle est toute cabossée

Où es-tu passé mon frère, toi qui m’accompagnais
Au cours du périple inhumain de la vie ?

Dans un brouillard intense, j’erre, solitaire
Je marche les yeux fermés, les oreilles bouchées
Le nez au vent, les mains en avant
Sans revivre ces jours intenses et rafraîchissants
D’une présence personnelle et troublante

Moi-même devenu autre et pourtant moi
Errant dans l’absurdité du monde déchu
Percé de courants d’air et de gaz purulent

Quel malheur ce départ !

Il est parti celui qui est plus que moi-même
Et je ne sais même plus si je suis.

© Loup Francart

21/10/2014

John Pugh, un artiste qui trompe son monde

John Pugh est un artiste qui n'a pas froid aux yeux. Il peint des scènes immenses sur des murs encore plus grands et fait apparaître, là où seule la platitude existe, des mondes imaginaires qui sont une deuxième réalité.

Un paysage montagneux, des trains qui circulent, encastré dans le béton, ce voyage se fait dans la tête.

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Une piscine sur le mur, comme une plongée dans un monde mystérieux et banal.

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Quelle drôle de maison? Existe-t-elle?

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La magie du trompe-l'œil reste exemplaire. On pourrait prendre ces escaliers et partir dans un autre monde, celui de l'imaginaire devenu réalité. Les désirs transformés en irréel dur comme du béton et plat comme la main.

20/10/2014

Un ensemble mongol dérangeant

 

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=DB0g8g6Hf0o

 
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=DB0g8g6Hf0o

Un mélange éclectique, extraordinaire et envoûtant entre la musique mongole traditionnelle et la musique pop, dans le décor surréaliste d’une Mongolie contemporaine, avec des instruments anciens et modernes. 

On retrouve le vent des steppes, les flots enragés du printemps, le galop des chevaux, dans une impression déphasée.

Où suis-je, est-ce que je rêve ?

19/10/2014

L'ombre

Longtemps, je ne l’ai pas remarquée
Elle passait inaperçue à mes yeux
Peut-être ne voyais-je pas le soleil ?
Un jour cependant, ou plutôt un soir
Elle m’est apparue, fragile
Comme une ombre d’elle-même
C’était bien mon ombre à moi

Oui, elle me ressemblait
Même profil, encore que j’ai du mal
A contempler mon profil altier
Sans utiliser une glace fraiche
Embuée à sa sortie du frigo
Depuis elle ne m’a plus quitté
Je la trimbale avec moi
C’est ma sœur, encombrante
Elle veut parfois passer devant moi
Elle me pousse vers le chambranle
Et se propulse en courant d’air
Pour entrer la première, rosissant
Devant les regards acérés

Oui, elle me fait de l’ombre
Cette enveloppe sombre
 Qui se détache de moi
Sans avoir le courage de me quitter
Parfois elle me sourit
– Qu’en penses-tu ?
Semble-t-elle me demander
J’avoue ne plus savoir
Si elle est mon double
Ou si elle se joue de mes hésitations
Je la contemple se mouvoir
Et sourire à tous, enchantée
De ce subterfuge honteux
Et je dois moi-même sourire
Pour ne pas délier ce mariage
Hors nature avec mon double

Oui, il lui arrive de se coucher
A mes pieds, vers midi,
Et de me dire – Ne bouge plus
Je suis bien près de toi
Laisse-moi reposer contre toi
Me réchauffer à ton corps brûlé
Enflamme-moi dans tes bras
Et courre plonger dans l’eau
Là où les rayons de l’astre
Ne peuvent m’atteindre
Je pourrai alors te laisser en paix
Blottie dans ton corps refroidi
Jusqu’à devenir transparente
– Quelle idée, lui ai-je répondu
Sans toi je ne serai plus
Si tu deviens invisible
C’est que moi-même ne suis plus
Même dans l’eau claire
J’ai besoin de ma consistance
Comment pourrai-je nager ?
Je coulerai et disparaîtrai
A jamais aux yeux de tous

Et c’est ainsi qu’un jour
Il y a déjà longtemps
Je devins transparent
Invisible
Nu
Comme une amibe
Même au microscope
Mes voisins ne m’ont pas trouvé
Ils pleurèrent quelques jours
Puis, de guerre lasse
Me laissèrent partir vers d’autres cieux
Dans ce pays où la lumière
Envahit tout, y compris les êtres
Là l’ombre n’existe pas
Et ne fait plus peur aux femmes
Elles ne se remaquillent plus
Sûres de leur effet sur l’unique
Sans doublure vertueuse
Qui les regarde béatement
Volant de ses petites ailes
Autour de leur personne
Qui rayonne de bonheur
Sans l’ombre d’un doute

© Loup Francart