Souvenir, souvenir... (24/11/2014)
Une autre carte postale, comme un éclair de souvenir, est celle d’un crapaud dans le jardin de la maison que sa famille habitait à Meudon. Son père était occupé à creuser un bout de jardin humide pour y faire un petit bassin. Il délogea un crapaud lové dans une sorte de terrier. Celui-ci était hagard, ne bougeant pas, comme endormi, levant juste des yeux alourdis sur nos regards émerveillés d’enfants. Jérôme le voit encore, tentant d’avancer une patte maladroite, clignant des paupières, puis finalement renonçant, appesanti par son sommeil. Et ses frères et lui s’exclamaient, avec un peu de peur au fond de leur voix en raison de sa taille. Il était presqu’aussi gros que leurs visages. Un animal préhistorique, pensaient les enfants, avec la peau cornue et rugueuse des rhinocéros ! « Laisse-moi voir ! » Ils se disputaient pour approcher au plus près du crapaud, tout en restant à une distance suffisante pour éviter tout geste de sa part envers leurs petites personnes. Souvenir vivace, mais qui se limite à une image et à l’odeur de l’herbe mouillée, boueuse et piétinée. Si ! Il entend encore la voix de sa mère qui les appelait à venir voir l’horreur merveilleuse : « Les enfants, venez vite voir, dépêchez-vous ! » Appel qui leur fit quitter instantanément leurs jeux et leurs disputes.
Première rencontre avec un monde animal plein de mystère. Première rencontre avec le mystère des formes de vie si variées. Et, comme l’homme, pas un de ces animaux n’est semblable à l’autre de sa propre espèce. Chacun détient des gènes spécifiques qui en font un spécimen unique, un trésor parce que seul au monde. Et il en est de même des plantes, des cailloux, des astres et des galaxies. Seule la mémoire, parce que défaillante, fait croire à l’ennui et au déjà vu. Dieu, dans sa subtile inspiration, invente pour chaque être un lieu de singularité, la chambre d’accès intime à sa magnificence. Chacun détient sa propre personnalité, physique, psychique et plus profondément encore, une âme unique. Oui, c’est la chambre des secrets qui ouvre à l’au-delà du temps, un monde où tout est épanouissement et enchantement. Les yeux ouverts sur son achèvement, chaque être contemple la réalisation des autres comme l’image de Dieu. Rien n’est jamais semblable lorsque le temps s’arrête, alors que nous imaginons au contraire un monde immobile et souverainement ennuyeux. Le paradis, c’est la rencontre des contraires, l’arrêt et la vitesse infinie d’un temps qui devient autre.
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