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24/05/2015

Nostalgie

Noce… (T)... Algie…
Quelle douleur douce au toucher…
Et cette caresse de l’âme, vous y revenez
Vous ne pouvez vous empêcher
De la renouveler…
C’est un baume sublime
Entretenu comme une démangeaison…
C’est la noce du mieux et du pire
Qui produit cette peine sensible
Et vos poils se hérissent
Au plumeau de souvenirs
Au son d’une voix perdue
Au goût d’une madeleine
A la vue d’un livre d’autrefois
Au toucher d’un être disparu…
Mais le T qu’en faites-vous ?
Celui qui relie ce mariage à l’affliction…
Le T c’est le Toi
C’est ta noce et ton ressenti
Instant délicat où l’autre se mêle à toi
Jusqu’à ne plus faire qu’un…
Alors tu lis dans l’autre tes pensées
Tu retrouves tes sensations d’antan
Ce pincement des émotions
Qui t’envoie valser
Dans un souvenir figé…
Arrêt sur image...
Le film est cassé...
Blanc… La page blanche se déroule
Elle tourne dans le vide et s’étire
Et votre rêve s’arrête
Incapable de poursuivre
Cette plongée en eau douce
Il ne vous reste que les battements
D’un cœur fragile et nu
Qui vous donne la chair de poule…
Le poing de Dieu se resserre
Et étreint votre âme
D’un joyeux Shake-hand…
A bientôt…

©  Loup Francart

23/05/2015

Le grille-pain

Il y a quelques jours, le grille-pain ne grillait plus les braves tranches de pain qu’elle introduisait dans ses fentes. Mettant la main au-dessus, elle constata que celui-ci ne chauffait que très faiblement. Elle l’avait pourtant acheté il y a peu, sur Internet bien sûr. Quelques mois suffirent pour qu’il rende l’âme, une face sur deux restant noire alors que l’autre émettait encore un rayonnement rouge brique chauffant légèrement un pain qui ne rosissait pas, devenait dur comme la pierre au bout de dix minutes et restait blanc comme un drap. Impossible de se régaler le matin au sortir d’une nuit sans problème. Elle mit du temps à se décider à en acheter un nouveau, surtout pas sur Internet. Renvoyer le carton, perdu bien sûr, lui demandait un effort surhumain et quasiment aussi coûteux qu’en acheter un neuf. 

Ils se mirent à rêver, elle et son mari, d’un appareil mirifique. Comment en une minute disposer de deux tranches de pain grillées et chaudes à souhait ? Ils se glissaient en pensée au cœur de ces deux tranches, se laissaient rôtir avec force grillotements, éprouvant l’égale chaleur à droite comme à gauche, dans un équilibre parfait, déclenchant subrepticement l’éjecteur automatique et se retrouvant dans une assiette chaude, enrobée d’une serviette blanche, offert à tous les regards et toutes les convoitises. Pendant ce temps, tous les matins, se succédaient les tranches d’un pain tiède, si peu bronzé qu’on eut dit qu’il sortait de l’antarctique et sur lesquelles le beurre sorti du frigidaire n’arrivait à former qu’un ramassis de boules dures environnées de miettes du plus mauvais effet.

Ce matin, elle partit à la recherche de l’idéal. Non, ils avaient déjà tenté Tarty qui n’avait que des usines monumentales et chères pour transformer de manière magistrale une mie limpide en peau de faisan doré cuit au bois. Dirigeons-nous vers le centre de Paris où converge la population pour trouver le magasin idoine, pensait-elle en marchant. Elle se rappela le magasin sur les grands boulevards qui vendait toutes sortes de marchandises à prix réduit. Deux grille-pains lui tendaient leurs fentes, larges comme une main qu’elle enfonça pour en éprouver la profondeur. Ils n’étaient pas branchés, cela va de soi. Elle appela son mari au téléphone pour lui dire qu’elle avait trouvé l’idéal, et même deux idéaux. Quelle profusion ! Il sauta sur son vélo, fut là dans les cinq minutes et l’aperçut errant dans les articles d’un regard concupiscent.

Elle l’entraîna dans le coin des accessoires électriques de cuisine, ces appareils miraculeux sur lesquels on appuie pour qu’ils déroulent un programme complexe destiné à vous livrer ce que vous obtenez en moins de temps avec un effort limité. L’un d’eux était noir comme du marbre, étincelant. Il se vit en le prenant en main, un sourire idiot et déformé sur un visage tordu. Pouah ! Quelle idée d’afficher une telle publicité, se dit-il sans avoir conscience qu’il s’agissait du reflet de son propre visage. L’autre était en métal brossé, d’un blanc mat somptueux, offrant ses lèvres amoureusement au regard des acheteurs potentiels. Côte à côte, leur ouverture chatoyante vous faisaient de l’œil. Il en vit même une qui se fermait pendant que l’autre souriait béatement. Prenez-moi, je ne suis pas cher et je chauffe bien ! Stupidement, il tomba amoureux de ce modèle, si l’on peut parler ainsi. De plus il était en réclame. Ils l’auscultèrent, le regardèrent dans tous les sens sans déjouer pièges ou tromperies, laissant leurs doigts glisser sur le métal qui ne reflétait rien, vierge tous les jours de ces attouchements sensuels et impatients de la délivrance de belles tranches dorées. C’est lui qu’il nous faut, pensaient-ils.

Deux minutes plus tard, ils sortaient du magasin avec un carton énorme dans lequel se promenait l’appareil devenu objet de fantasmes. Il le mit sur son porte-bagage et repartit vers leur appartement pédalant avec précaution. Dès l’ouverture de la porte, il le déballa, l’installa à la place de son prédécesseur, le brancha et sentit la chaleur fulgurante qui émanait de ses fentes rougeoyantes. Alors il coupa un petit morceau de pain, le coupa à nouveau en deux et l’introduisit dans la fournaise. En moins d’une minute, il commença à blondir, puis quasiment noircir. Il sortit le beurre qui fondit voluptueusement sur la tranche, se coulant dans les interstices jusqu’à pénétrer dans l’âme même du pain, là où l’équilibre des contraires, le mou du beurre liquéfié et le dur d’une mie grillé à souhait, devient l’extase à petit prix. Quelle journée réussie, pensa-t-il.

22/05/2015

Un couple insolite (11 fin)

Le soir même, Damien et Isabelle se retrouvèrent au pied de leur immeuble. Ils ne cherchèrent pas un instant à s’embrasser ou même à se serrer la main, sachant tous deux la déception qui les attendait. Ils se sourirent, l’air gêné et prirent un air dégagé qui ne les trompa ni l’un, ni l’autre. Ils choisirent d’aller prendre un café au bistrot du coin pour se raconter leur week-end. Ils s’assirent pensifs, se regardant avec avidité, mais sans que l’un ou l’autre tendent une main secourable ou même esquisse un geste tendre vers l’autre. Alors Damien raconta sa journée d’hier. Isabelle fut horrifié : « Il a osé et, pire, cela a marché. Suis-je donc la seule qu’il ne puisse toucher alors qu’auparavant nous nous fondions l’un en l’autre avec amour ? » Damien tenta de se justifier :

– Ce fut soudain, comme un irrépressible besoin que je ne maîtrisais pas. Il fallait que je sache. Ce fut un soulagement. J’en conclus que j’étais normal et qu’il se passait quelque chose entre nous deux. Quoi, je ne le savais, mais j’avais l’esprit rassuré et c’était déjà un soulagement.

Il raconta ensuite ce qui s’était passé ce dimanche, son ennui et sa rencontre fortuitement avec le vieillard. Isabelle qui jusque-là restait circonspecte, s’anima soudain.

– La voilà la solution, s’écria-t-elle joyeusement. Elle lui prit la main, lui dit de laisser un billet sur la table et, sans plus attendre, l’entraîna vers leur immeuble.

Jamais jusqu’à présent elle n’avait fait attention à l’orientation de l’immeuble, de leur appartement et encore moins de leur chambre et de leur lit. Sa place leur importait peu, seul comptait le rectangle sur lequel ils pouvaient s’étendre, se raconter leur bonheur au fil des jours. Ils ouvrirent la porte fébrilement, se débarrassèrent de leur manteau et coururent vers leur chambre.

– Stop ! dit Damien. Avant de nous précipiter, réfléchissons. Comment placer notre lit autrement ?

Ils constatèrent qu’il n’était guère possible de le tourner dans l’autre sens, c’est-à-dire verticalement par rapport à l’emplacement actuel.

– Peut-être en le mettant dans ce coin, suggéra Isabelle en montrant du doigt l’opposé de l’emplacement actuel.

Bien que le lit ne semblait pas offrir le même équilibre dans l’agencement de la pièce, ils acceptèrent l’idée de dormir dans un lit coincé dans un coin. L'inconvénient était majeur. L’un d’eux ne pouvait trouver sa place qu’en montant sur le lit avant de pouvoir glisser ses jambes dans les draps. Damien convint que cette gymnastique lui appartenait, prétendant que si tout se passait bien elle serait vite enceinte et ne pourrait plus exécuter ces gestes simples, mais pénibles pour quelqu’un qui n’a plus sa souplesse habituelle.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ils modifièrent l’emplacement du lit, de la commode et des deux chaises qui leur permettaient de ranger leurs vêtements le soir. Heureux, ils se regardèrent, les yeux brillants, impatients de cette nuit qui venait et annonçait la fin de leur cauchemar. Ils décidèrent d’ouvrir une bouteille de champagne pour fêter cet espoir revenu. Isabelle prépara un plateau, quelques friandises. Damien fit sauter le bouchon avec douceur, ne laissant entendre qu’un petit pschitt délicat, comme un avant-goût des baisers qu’ils comptaient bien échanger en se réveillant. Ils trinquèrent, burent, burent à nouveau tant si bien qu’ils se couchèrent sans réelle conscience de la solennité de l’instant. Isabelle s’endormit très vite. Damien mit quelques minutes de plus, pensant au vieil homme qu’il avait heurté. Quelle bizarre rencontre, inattendue et miraculeuse. Un signe du destin !

Ils se réveillèrent tôt, vers cinq heures du matin, presqu’en même temps. Dans le noir, sans bouger, Damien appela Isabelle, ou plutôt, murmura son prénom. Elle lui répondit avec chaleur et se tourna vers lui. Il ne peut attendre plus longtemps et lui ouvrit les bras. Elle s’y blottit avec ardeur. Il retrouvait cette sensation infiniment merveilleuse d’un autre monde, fait de hérissement du moindre poil, de frottement des chairs, de caresses insolites, de soupirs involontaires, de chaleur du souffle, de baisers avides. Isabelle pleurait de bonheur : « Mon chéri, mon chéri ! », ne cessait-elle de répéter. Elle s’offrit à leurs retrouvailles, l’esprit ouvert, vide de toute pensée, le corps tendu. « Quel cauchemar nous avons vécu », pensa-t-elle. Elle pleurait en petits hoquets, incapable de se contrôler, riant en même temps. Damien la serrait contre lui, avec précaution, comme un trésor destructible par une simple maladresse. « Mon Dieu, le cauchemar est fini », pensa-t-il avant de se noyer dans cet amour retrouvé.

 

21/05/2015

Ravissement

Ce tableau m'a demandé plus d'un mois de travail, pas à temps plein bien sûr.

Jaillissant du fond du cosmos surgit l'esprit. Il éclaire tout, il se charge de mille ravissements. Il se protège aussi en rougissant. Il regarde partout comme l'œil de la mouche. On ne sait s'il se contemple ou s'il admire le monde. Il est, épanoui, somptueux, magicien et débordant de bonheur!

15-05-20 Concentration.JPG

Acrylique

0,60 x 0,60 m

2015

20/05/2015

Espoir

Ce filet d’air entre en tête
Tu sens juste un vague souffle
Tu ne perçois pas encore
L’espoir qui surgit en toi...
Ton horizon s’élargit cependant...
La prison ouvre ses portes
Située haut sur le cap
Elle est placée pour contempler
L’océan immense et vide
Mais souvent… une brume empêche
Le cœur de porter aussi loin...
Tu n’entends que les flots
Qui voyagent en train
Et s’écrasent à leur rythme
Sur les lèvres blondes de la berge
Il y fait chaud sur cet observatoire
L’œil faibli en luminosité
Perdu dans l’étoupe tiède
Pour tout horizon…
Cette maigre caresse légère
Profite de ton ignorance…
Elle emprunte la route
Des départs imprévus
Tu montes dans la barque
Qui tangue de colère
Qui agite ses bras de bois
Au rythme des ondulations
Tu peines à t’assoir, mal vêtue
Ta robe de pourpre éblouissante
Entre en conflit avec le gris vautour…
Simultanément, tu observes
Cette glissade lente et majestueuse
Vers le trou de l’enfer
Ou, peut-être, du paradis…
Sais-tu le lieu de ce pays
Où vêtue de papier crépon
Tu agites les mains en tous sens...
Personne ne vient à ton aide…
Sur la pointe de la caresse ailée
Tu divagues et balances
Et les espoirs déçus
Lancés comme des grains de semis
Deviennent geyser à la surface
Tu t’allèges pour être prête
A aborder l’avenir sans fin
Dont tu ignores encore
Le moment qu’il choisira
Pour couper le cordon
Qui te relie au monde...
Tu partiras vaillamment
Ramant de toutes tes forces
Puis, bientôt, cesseras même
Le mouvement des bras
Pour te laisser prendre
Dans la douce froideur
Du souffle divin

19/05/2015

Un couple insolite (10: c'est bientôt fini)

Le vieil homme sourit doucement, d’un air amusé, et dit :

– Je crois comprendre ce qui s’est passé. Vous avez été victime d’un décalage temporaire et spatial simultané. En règne général, ces décalages sont rares et ne se produisent que dans le temps ou encore dans l’espace. La conjonction des deux phénomènes entraîne de grandes difficultés et créent un trouble important chez ceux qui le subissent. J’en ai fait l’expérience. Cela m’est arrivé dans mon lit. C’était du temps où ma femme était encore là. Une nuit, je me réveillai transpirant, étouffant presque sous les couvertures. Je me levai, marchai quelque pas avant de me recoucher. Par inadvertance, je touchai du bout du pied le mollet de ma femme endormie. Elle se retourna. Je lui murmurai :

– Pardonne-moi… 

Elle me répondit d’une voix claire :

– Ce n’est rien, mon chéri. Serre-moi dans tes bras.

Cette voix était la voix de Pascaline (c’était le prénom de mon épouse, me précisa-t-il), mais une voix beaucoup plus jeune, avec une étincelle de jeunesse qu’elle avait perdu depuis. Je fus pleinement réveillé et la serrai dans mes bras. Moi-même je me sentais jeune, svelte et vif. Nous avions notre corps des vingt ans, notre cœur amoureux et l’âme transpercée. Nous fîmes l’amour d’une manière extraordinaire, avec la fougue de nos vingt ans, mais l’expérience de nos cinquante ans. Pardonnez-moi de vous parler de cela, mais c’est nécessaire pour que vous compreniez la suite. Pascaline est maintenant partie, mais chaque nuit je revis ces moments fabuleux. Nous finîmes par nous endormir, heureux et légers. Le lendemain matin nous avions retrouvé nos corps habituels, encore alertes, mais sans surprise.

Voulant en avoir le cœur net, nous nous sommes adressés à un radiesthésiste. Celui-ci nous examina, mais pas à la manière d’un docteur. Il passa sur nous ses mains sans nous toucher et nous déclara : « Vous avez été victimes ou vous avez profité d’un décalage simultané du temps et de l’espace. Vous avez bien ressenti le changement de temporalité, mais vous n’avez pas enregistrés le décalage spatial. Il a eu lieu cependant. Je me suis alors souvenu d’un tremblement du lit pendant les quelques secondes où je me demandais s’il s’agissait bien de mon épouse. » Le radiesthésiste nous recommanda de modifier l’emplacement du lit et son orientation et cela ne s’est plus jamais produit.

– J’aurai plutôt fait tout le contraire pour profiter à nouveau de cette échappée au monde normal.

Oui, c’est vrai. Mais j’ai oublié de vous dire que le lendemain, en allant faire notre toilette, nous avons eu l’impression d’avoir vieilli de dix ans. Entre l’espoir de revivre sa jeunesse et l’horreur d’une fin qui s’annonce à toute vitesse, nous avons choisi la prudence et déplacé notre lit.

Damien lui raconta alors le calvaire de son couple. L’homme n’en fut pas surpris.

– Ce qui vous est arrivé tout à l’heure est la conséquence de ce que vous vivez depuis plusieurs jours avec votre épouse. Croyez-moi, changez votre lit de place, couchez-vous sans penser à rien et vous vous réveillerez normaux.

Ils burent leur café tranquillement, comme deux vieux amis heureux de se retrouver, puis le vieil homme prit congé après que Damien l’ait chaleureusement remercié pour ses conseils. Ils n’échangèrent pas de carte. Ils savaient cette rencontre éphémère, provoquée par le destin ou par un dieu généreux. Cela leur suffisait.

18/05/2015

Camouflage et tromperie

Nous n’appréhendons la réalité qu’à travers la connaissance que nous en avons et la compréhension que nous tirons de cette connaissance. Ainsi, « la réalité première » n’est en fait qu’un état de connaissance de la réalité, lié à l’information accumulée sur celle-ci par nos capacités de perception (sens et senseurs). On peut dire « Je sais que cette chose existe » parce qu’on peut la toucher ou, au moins, la voir. Il y a une autre réalité qu’on peut dire secondaire, qui est l’interprétation que nous faisons de cette connaissance. Cette dernière est une opération supplémentaire qui replace la connaissance dans notre propre cadre mental. Celui-ci est constitué par les filtres des différents champs du moi et du soi social. Il interprète la réalité et permet d’agir, mais il est également déformant. C’est pourquoi on peut savoir quelque chose, en connaître la réalité, mais ne pas comprendre ce qu’elle est, ce qu’elle va devenir, ce qu’elle a été.

L’art de la tromperie est vieux comme le monde. Au niveau le plus simple, il consiste simplement à dissimuler la réalité. Mais l’effet est bien plus trompeur lorsque la dissimulation est cachée derrière la simulation. Dissimuler en simulant une autre image, un autre son, une autre sensation, tel est l’art de la tromperie.

En voici un exemple ludique qui trompe son monde. Ce caméléon réserve des surprises :

https://www.youtube.com/watch?v=97vPNAUYJsc 


 

17/05/2015

Un couple insolite (9)

La journée du dimanche fut pour le couple séparé un calvaire et un moment de grâce. Oui, un calvaire par l’absence de l’aimé(e), un moment de grâce par une attente insoutenable qui les reconstruisit. Errant, l’un dans Paris qui lui paraissait vide, l’autre à la campagne, tout aussi dépeuplée, ils furent contraints de se laisser aller à une expectative mélancolique, un état second qui les tint en alerte, tendus vers la rencontre du soir, lorsqu’enfin ils se retrouveraient. Ils ne voyaient rien, n’entendaient rien. Ils allaient dans le présent comme s’ils se mouvaient dans une piscine, avec des gestes ralentis, un halo de lumière remplaçant le soleil qui était revenu après le temps détestable de la veille. Ce fut pour eux une journée pénible, lourde et déstabilisante. Dans l’après-midi, Damien fit une rencontre. Errant dans une rue, il se heurta à un croisement à un homme assez âgé. Celui-ci tomba par terre, probablement parce qu’il avait du mal à tenir sur ses jambes. Damien l’aida à se relever, lui remis ses lunettes sur le nez et l’invita à prendre un remontant dans le café qui se trouvait là. Cet homme avait quelque chose de troublant. Il était bien réel, mais semblait décalé. A chaque question de Damien, il lui fallait un certain temps pour répondre, comme s’il percevait ce qu’il vivait avec un décalage, faible, mais réel. Il regardait Damien d’un air inquiet et Damien ressentit cette inquiétude au fond de lui. Mais quant à dire de quelle inquiétude il s’agissait, il n’en avait aucune idée.

– Pardonnez ma maladresse. J’étais moi-même préoccupé par un problème personnel et n’ai pas fait attention, alors que j’avais entendu votre pas venant de la droite.

En disant cela, Damien réalisa qu’en réalité il avait bien entendu les pas du vieil homme venant de la droite. Marchant sur le trottoir de gauche et abordant un carrefour, il s’était contenté de jeter un coup d’œil vers l’espace vide du croisement et, ne voyant rien, il avait poursuivi vaillamment sans se poser de question. Un trouble de la perception, sans plus. Il avait été surpris par l’homme venant de la gauche, la tête encore à moitié tournée vers la droite et l’avait heurté de l’épaule gauche assez violemment.  Finement, le vieillard observa que Damien venait de sa droite, celle qui tenait sa canne qu’il avait fauchée d’un pied vif, sans mauvaise intention.

– Je ne vous aurais pas heurté avec l’épaule, mais simplement fauché du pied le bout caoutchouté de votre canne ? s’exclama Damien d’un air étonné.

– Oui, cher Monsieur, c’est pourquoi je suis tombé.

Damien ne sut que dire. Il ne comprenait pas sa perception si différente de ce qui s’était passé. Un même événement avec deux versions divergentes et un trouble curieux, une sorte de fente vide dans laquelle il se serait glissé par inadvertance. Il tenta d’expliquer cette sensation au vieil homme. L’œil de celui-ci s’éclaira. Il écouta les causes de l’incompréhension de Damien : la mauvaise perception sonore des pas, son regard vers la droite, le choc des corps et la chute du plus faible. Il avait compris.

16/05/2015

Le vol du bourdon

L’entends-tu ? Il bourdonne puissamment
Son diesel fonctionne à plein régime
Et pourtant, il est léger, empli d’allant
Sautant de fleurs en senteurs allègrement
Rien ne peut le distraire, ni le vent
Ni la pluie, ni le bec d’un oiseau
Il change de régime, accélère, ralentit
Selon sa position et celle de la convoité
Parfois, il s’accroche et meut ses hélices
Pour extraire d’une aspiration sans fin
Le suc vénéré et délectable d’une pâquerette

Tendant ses pétales, elle aspire également
A ce mariage forcé. Elle dresse son bouton
Le faisant moelleux et plus chatoyant
Aiguisant ses phéromones, battant des ailes
Toutes de blanc vêtue telle une jeune marié

Sous le poids de l’être frémissant qui l’aborde
Elle ploie et baisse la tête, gênée et heureuse
Et lui, un peu rustaud, mal embouché
Se jette sur l’or offert, d’une douceur inespérée
Il n’a pas le temps, ne serait-ce qu’un instant,
D’arrêter son manège et de contempler
De ses yeux bigarrés la dorure enchantée
Entourée de ses demoiselles d’honneur
Blanches et recourbées, riant entre elles

C’est fait et déjà il repart, plein gaz
Son moteur à plein régime, un peu plus lourd
Des reproches muets de l’aimée en extase
Elle se redresse, jaunit, plus étincelante
Mais rien n’y fait, il est parti, seul

Tiens, en voici un autre, plus bourdonnant
Plus majestueux. Mais il est déjà passé
Elle a reçu le pollen sacré. Cela suffit

Vas-t-en ! Cours ta vie ailleurs !
Et préserve ta trompe des tentations…

©  Loup Francart

15/05/2015

André-Pierre Arnal, Supports/Surfaces


« Né à Nîmes en 1939, André-Pierre Arnal travaille à Paris. Imprégné de culture méditerranéenne, baigné dans les paysages bas-Ianguedociens et cévenols, il tire de sa double formation, littéraire et plastique, une activité duelle unissant peinture et une écriture vécue et transmise par le biais de l'enseignement du français durant plus de trente ans. Servi par cette double pratique, par le goût de l’expérimentation aventureuse des divers aspects de la production picturale, il a su concentrer son attention et sa recherche sur son propre cheminement intérieur.

Après un rapide passage aux Beaux-arts de Montpellier, il poursuit dans les années 1960 une recherche solitaire, marquée par la découverte de Matisse, des abstraits américains ­et surtout de Paul Klee. A partir d'une exploration de la technique du "monotype", son goût immodéré pour les objets d'art populaire l'amène à s'en inspirer et il fera de la "cocotte en papier" le point de départ d'une série de pliages sur toile qui, dans les années 1970, l'inscrira naturellement, tout comme son rapport au langage, dans la problématique du groupe Supports/Surfaces, dont il va partager l'aventure. Il prend position contre une conception individualiste de l'artiste. L'accent est mis sur la déstructuration du support traditionnel de l'œuvre dont les différentes composantes - le cadre, le châssis, la toile et la couleur - sont considérées dans leur individualité.

Depuis, André-Pierre Amal n'a cessé de rebondir, explorant une infinie variété de supports - de la toile de coton à l’ardoise d'écolier - et de techniques : monotypes, empreintes, fripages, froissages, pliages, teintures sur réserve, ficelages, frottages, pochoirs, arrachements, collages, déchirures obliques. Travailleur méthodique, aimant la dynamique de l'expérimentation comme l'ancrage réel dans les matériaux sensuels, avec une prédilection de plus en plus marquée pour la couleur, il réinvente la notion de série, par la démultiplication à l'infini de son travail de peintre.

Depuis quelques années, la production de l’artiste s'est orientée vers un cloisonnement de la toile peinte, en même temps qu'il utilise, récupérées et accumulées depuis longtemps, des cartes routières entoilées, pliables ou déployées, faisant appel à plusieurs techniques intégrées. Ce "dessus des cartes" donne lieu à des résultats plus complexes que ceux des premières séries d'un travail qui couvre aujourd'hui plus de quatre décennies. »

(Site de l’artiste : http://andrepierrearnal.com/biographie.html


Quelle idée de passer une vie à enduire de peinture des toiles, puis à les plier jusqu’à ne plus former qu’un paquet cadeau que les femmes mettront amoureusement sur une table, en exposition. Naissance du monde réduite à un geste artisanal et ménager, celui de la servante qui range pour oublier ensuite ce désordre arrangé.

 

Ces pliages sont faits avec soin et se transforment même en véritables toiles dignes des grands maîtres contemporains, tel ce pliage aux couleurs superbes et à la géométrie rigoureuse. Gris-bleu, passage de graduation de bords de mer sous la brume : un condensé de Bretagne qui vient du fond des souvenirs d’enfance quand la parole n’était pas là pour exprimer le ravissement ressenti.


 

La pratique du vitrail lui permet de retrouver les couleurs éblouissantes des vitraux du Moyen-âge, en particulier ces rouges perçants, mais si reposant qu’on a envie de plonger dans cette piscine qui tend ses bras de pourpre et de se laisser aller à une extase sans fin. Le même rouge que celui que l’on voit lorsque les yeux fermés, en été, vous tendez votre visage au soleil et vous vous laissez réchauffer le cœur à vif dans une fournaise tiède.

Mais il y a aussi d’étranges regards au fond des entrailles, jusqu’au plus profond de la chair, là où l’être s’ouvre et dévoile sa réalité fractionnée. De l’être à la matière constitutive des personnalités malgré l’envie de s’échapper vers une existence aérienne et sans nuage. On ne trouve ce désir que dans les interstices des traits, comme un vol vers la profondeur du cosmos.



 


 


Inversement, ses froissages sont vivants, animés d’une existence animale, comme la découverte d’un nid de petits êtres couchés ensemble dans leur nid douillet enfoui sous la terre. Vite recouvrons-le et gardons en mémoire cet agencement insolite, mais beau, comme un parfum qui vous environne, mais que nous n’arrivons pas cerner.


 


 


Il s’est également essayé à des pictoèmes au travers de ses livres dans lesquels l’image reste primordiale, mais à laquelle le texte apporte un plus, une explication détournée d’un ressenti à fleur de peau, comme une chemise un jour d’été.


14/05/2015

Mandala 3

Il est incertain, il ne représente rien. Un reflet dans une goutte d’eau. Il n’attire le regard sur aucun point.

C’est cette contingence qui contraint la pensée à se maîtriser et ne pas s’échapper.

S’échapper sur quoi ?

 

13/05/2015

Un couple insolite (8)

Isabelle avait choisi une autre option. Loin de Paris, pour oublier. Elle prit le train, arriva dans une petite gare perdue dans la campagne. Elle s’installa dans la seule auberge du petit bourg et ressortit vêtue d’un imperméable et chaussée de bottes en caoutchouc, adaptées au temps incertain qui régnait depuis qu’elle était arrivée. Ce qu’elle voulait ? Le silence, la réflexion, voire la méditation. Elle ne rêvait pas d’être touchée, caressée. Ses espérances étaient au-delà de l’union des corps. Elle voulait à nouveau entrer en communion avec Damien, que leur esprit ne fasse plus qu’un, que leur cœur batte au même rythme, que leurs pensées coulent l’une de l’autre sans à-coups. Seul le silence extérieur lui amènerait la paix. Sortir de ce brouhaha permanent dans sa tête.

Quittant le village, elle trouva un banc de bois et s’assit. « Contemple la campagne, suis du regard les chemins qui s’éloignent, remonte vers l’horizon jusqu’à ce qu’aucun détail n’apparaisse, plonge dans la fente qui sépare le présent de l’avenir et laisse aller ton corps dans cette fin imprévue, entre l’enfer terrestre et le vide céleste. » Elle ferme les yeux, concentrant son regard intérieur entre les deux yeux. Noir d’abord, puis un rouge chaud, plein, envoûtant, dans lequel elle se sentait bien. Cela l’apaisa. Elle se détendit, offrit son visage aux quelques rayons de soleil et écouta. C’était peu de choses, deux branches qui se caressent, un oiseau pépiant, quelques cris d’animaux divers, très voilés, un silence léger, enchanteur. Bientôt, la lourde membrane séparant l’extérieur et l’intérieur s’amenuisa, se fit légère, presque transparente. Elle se laissa bercer par son souffle, le sentant passer dans les conduits de l’odorat, puis glissant légèrement à la surface du cervelet, poursuivant sa route derrière le larynx et pénétrer avec douceur dans les poumons jusqu’à ce que ceux-ci, imprégnés de ce souffle frais, reprennent le mouvement inverse, lentement, nettoyant sur son passage le chemin sacré qui fait du dehors le dedans et inversement. Elle contemplait maintenant ce monde intérieur, cultivant la vacuité, oubliant même la possibilité d’action. Elle sentit se former à hauteur de la trachée cette boule éphémère, mais réelle, d’un soi, autre que ce moi habituel. Mais bien vite, tout ceci s’effaça. Elle ouvrit les yeux, se sentit mieux, la poitrine plus légère, la tête moins pleine. Elle connaissait cette sensation, ce bonheur ineffable d’une descente en soi jusqu’à l’oubli. Aujourd’hui elle n’ira pas plus loin.

Elle reprit le chemin de l’auberge, le pied léger, regardant le soleil décliner sur l’horizon, sans être importunée par cette fin du jour qui bien souvent la mettait mal à l’aise. Elle rentra, monta dans sa chambre, prit une douche et s’habilla simplement pour un diner frugal. Elle était bien, comme elle ne l’avait pas été une seule fois depuis ce matin détestable où elle n’était plus en harmonie avec son mari.

12/05/2015

Grignotement

La nuit… Moment d’incertitude…
Quand le vent devient coupant…
Quand le noir est vouloir
Sans rien savoir du pouvoir…

Tel un fantôme déchu
L’esprit s’évade et fuit
Plus rien ne court et fouille
Dans une mémoire sans fond

Oui, ce sera la dernière fois
Que tu contempleras le tissu
D’un ensevelissement précaire
Voile funéraire de l’éternité

Mais bientôt pointe le crayon…
Coloré… trait magique…
Au fil de l’horizontal…
Entre nuit aérienne et terre durcie

Plus rien ne viendra entendre
Les cris de désolation solitaire
Poussés par l’escargot
Qui déroule sa traine

La chanson a surgi, lente…
Repue des repos d’une âme
Qui danse au matin frais
Et se couvre de rougeur…

Réveillez-vous, que diable…
Remettez en branle la course
Des grignotements infernaux
Ne cessant qu’au retour de la nuit !

© Loup Francart

11/05/2015

"La belle Françoise", variations sur un thème, de Mozart (KV 353)

Partie 1 :      

http://www.youtube.com/watch?v=mOJlUQe0eOs 


 

Partie 2 :

https://www.youtube.com/watch?v=dR1h7tSNxdU

Partie 3 :

 http://www.youtube.com/watch?v=i2eqBsSPM5A

 

Comment, à partir d’une mélodie simple, arriver à construire un tel ensemble vif, plein de charme et aussi varié. C’est un jeu sur un thème : Mozart s’amuse et nous séduit avec beaucoup de sérieux.

A cette fin, il utilise le triolet, groupe de trois notes resserrées dans l’espace de temps de deux notes. Cette division du temps donne une légèreté exceptionnelle à la composition. Ce sont des sauts de cabri qui sonnent aux oreilles émues et montent au cerveau pour y former des images et des sentiments inusités.

Merci à Mozart pour ces variations rafraichissantes qui annoncent l’été.

10/05/2015

Un couple insolite (7)

Sa première réaction fut :

  Ce n’est pas possible.

Elle ne pouvait croire à une histoire qui ne tenait pas debout. Ne pas pouvoir toucher sa femme ! Et, apparemment elle seule, puisqu’il l’avait touché sans aucune difficulté.

  Touchez-moi à nouveau, lui demanda-t-elle en tendant sa main.

Il lui prit la main, la caressa, remonta sur le bras, utilisa son autre main et fit de même. Il alla même jusqu’à lui caresser la joue. Oui, elle était bien là, vivante et pleine. Un sourire heureux s’était répandu sur son visage, une sorte d’extase primaire l’avait transformé : « Je suis normal », pensait-il. Il faillit le crier dans la salle du drugstore et s’arrêta au dernier moment.

  Vous m’avez rendu la vie, lui dit-il d’une voix pénétrante. Je vous invite à diner, ajouta-t-il. Venez.

Et il l’entraîna en la tenant par la main après avoir laissé quelques billets sur la table ronde.

Il l’emmena dans un luxueux restaurant et commanda, avant même qu’on leur apporte la carte, une bouteille de champagne.

  C’est trop, lui dit-elle.

  Non, si vous saviez ce que cela fait du bien de pouvoir toucher une femme ne serait-ce que du bout des doigts.

Elle n’osa pas poursuivre sur le sujet, ne le connaissant pas suffisamment. Elle comprit que cela l’avait beaucoup affecté, au point de l’amener à faire des expériences qu’il pourrait par la suite regretter. Elle changea donc habilement de sujet de conversation, vantant Paris et la douceur de vivre au printemps, la saison la plus parisienne (c’est bien ainsi qu’elle la dénomma). Ils commandèrent le repas, léger. Il lui reprit la main, la caressa, regardant cette rencontre entre deux peaux comme un événement unique, et elle ne pouvait s’empêcher de rire de cet air d’émerveillement qu’il avait. 

– Claire, lui dit-il, vous me rendez fou. Je voudrai vous serrer contre moi, embrasser vos yeux noirs, caresser vos cheveux d’ambre, sentir la naissance de votre cou.

Elle lui avait dit son prénom par inadvertance et il s’en était emparé, étonné de cette dénomination. Claire, si claire qu’elle était transparente, sans obscurité. Sans doute, pour cette raison, se méfiait-elle de son comportement parfois trop direct. Cela lui donnait un charme discret. « Je donne un peu, par inadvertance ; mais, je ne le fais pas ouvertement », pensait-elle.

Ils parlèrent beaucoup, de tout et de rien, comme deux amis heureux de se retrouver. Elle apprécia sa conversation, l’encouragea. Il admirait son aisance, naturelle et sans artifice. Ils dinèrent de bon appétit, sans cependant s’appesantir sur les plats. Il demanda l’addition, paya et ils sortirent dans l’air vif de la nuit. Il lui prit le bras et l’entraîna sans savoir où il allait. Ils marchèrent longuement, conversant, se serrant l’un contre l’autre, étroitement unis, mais se regardant encore comme deux êtres séparés par une inconnue, Isabelle, cette femme insaisissable qu’il ne pouvait toucher et qu’elle ne pouvait concevoir. Inconsciemment, il l’avait amené jusqu’à son hôtel. Surpris, il lui demanda si elle voulait monter prendre un verre, ayant remarqué que le petit frigidaire de chambre contenait alcools et jus de fruit.

– Pourquoi pas ? lui dit-elle.

Arrivé dans sa chambre, il lui servit un porto, prit un whisky. Tout en échangeant, ils s’assirent sur le lit. Il tenait sa main comme une preuve de sa normalité à laquelle il avait fini par ne plus croire. Il ne put s’empêcher de se rapprocher d’elle et de lui embrasser le cou, ce lieu de l’être où la bulle se referme dans une intimité ouvrant au monde des sens. Cela la réveilla. Gentiment, elle s’écarta progressivement, avec douceur, le regarda et lui dit :

– Il est temps que je rentre, j’ai beaucoup de travail demain et je dois me reposer. Merci pour cette délicieuse soirée, pour votre spontanéité franche. J’espère que vos difficultés avec Isabelle ne seront bientôt qu’un mauvais rêve et je forme des vœux pour votre couple.

Elle lui tendit la main. Il la prit doucement, posa ses lèvres sur le dos de ses doigts et la laissa partir. Elle avait bien conscience de ce qu’elle faisait. Elle savait qu’il regretterait sa présence. Mais elle ne voulait pas lui créer un autre problème alors que son avenir était ailleurs.

Il ne sut que penser de ce départ qui lui semblait précipité et volontaire. Il ne lui fit pas mal sur le moment, mais peu à peu s’insinuèrent en lui des reproches, sans qu’il sut dire lesquels exactement. Il se déshabilla, se coucha et s’endormit malgré tout sans difficulté.

Dans la nuit, il fit un rêve. Il vit deux anges fouillant des gravats à mains nues. Un diable s’approcha, vêtu de lumière rougeâtre. Il les écouta un moment, puis leur demanda : 

– Que faites-vous donc à remuer ces décombres ?

– Ce sont les trésors d’une vie.

– C’est fini, il n’y a rien, même pas un pet de lapin.  

Et il disparut à leurs yeux comme s’il n’avait jamais existé.

 

09/05/2015

Une cité chinoise

Cette cité, Shanxi, en Chine, est un site unique :

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Si vous souhaitez en savoir plus, Voir le site http://www.atlasobscura.com/places/hanging-temple-hengshan 

ou

http://en.wikipedia.org/wiki/Hanging_Temple

08/05/2015

Froid

Peut-on palper le froid ?
Il arrive que les doigts collent
Et que la peau ne fasse plus qu’un
Avec l’objet de sa convoitise

Peut-on sentir le froid ?
Lorsque vous ne sentez plus rien
Et que votre corps, nu, tremble
Sous le vent aigre du petit matin

Peut-on goûter le froid ?
La langue acide crie l’amertume
Et vos dents hurlent l’injure
De l’explosion en bouche

Peut-on entendre le froid ?
Quand l’oreille devient porcelaine
Et que vous passez vos mains
Sur le silence de leur crispation

Peut-on surprendre le froid ?
Certains se dénudent dans l’adversité
Et plongent dans l’eau glacée
Des remords qui les hantent

Peut-on rêver du froid ?
Le blanc seul surnage
Et recouvre toute rationalité
Même le rêve ne délie le cerveau

Peut-on ne plus avoir froid ?
Viens dans ma vallée profonde
Et donne-moi ta force virile
Jusqu’à brûler d’amour

© Loup Francart

07/05/2015

Un couple insolite (6)

Damien n’avait qu’une obsession : serrer une femme dans ses bras. La douceur féminine lui manquait. Il avait connu l’exaltation de l’union au cours de ces cinq mois de mariage. Il éprouvait des tremblements nerveux en imaginant le bonheur de ces rapprochements. Il se remémorait l’entrée dans la bulle de l’amour lorsqu’il pouvait enfouir son visage dans le cou de sa bien-aimé, respirer son exhalaison, caresser ses épaules arrondies jusqu’à ces instants sublimes où ils devenaient un, dans un même rêve fait réalité. La nuit, depuis cet instant où il ne put toucher Isabelle, il lui arrivait de pleurer sans bruit dans son lit. Elle est là, se disait-il, mais elle n’est pas là non plus. Qu’est-elle devenue ? Pourquoi faut-il que ce soit à nous à qui cela arrive ? Je t’aime Isabelle, mais où es-tu ?

Il voulait à tout prix en avoir le cœur net. Le problème tenait-il à Isabelle ou à toutes les femmes dès l’instant où il s’approchait d’elles. Il ne savait plus que croire et n’en pouvait plus. Il avait besoin de savoir. Après, il prendrait une décision. Laquelle ? Il ne savait.

Il n’alla pas loin. Il prit une chambre dans un hôtel du quartier des Champs-Elysées, s’habilla avec élégance et se rendit au drugstore, lieu de fréquentation d’hommes et de femmes en mal de connaissance, du moins le pensait-il. Il commanda un whisky, histoire de se mettre dans l’ambiance et d’envisager cette nouvelle vie à laquelle il n’avait jamais pensé jusqu’à maintenant. Il se laissa bercer par le bruit monotone des chaises remuées, des conversations alentour, de la très légère musique de fond et des commandes des garçons qui passaient devant lui la main à plat sur leur plateau contenant de nombreux verres et bouteilles. Quel spleen ! Il voyait la foule circulant au dehors, des petits, des gros, des fines, des grassouillettes, des élégantes et des sportives, des souriantes ou des revêches. Il se prit à rêver. Celle-ci qui marchait avec élégance, engoncée dans un léger manteau, le minois souriant, regardant sa montre et accélérant sa marche. Celle-là, petite brune, serrant un paquet, de chocolat probablement, se réjouissant de le déguster une fois rentrée chez elle. Il fut tiré de sa rêverie par une jeune femme qui s’installa à une table à côté de lui. Son regard avait fui, mais il l’avait vu un instant auparavant le regardant avant de s’assoir. C’était une assez grande femme, blonde, les traits bien dessinés, portant une petite bague moderne à l’auriculaire de la main droite. Elle tenait son petit sac à main contre elle et cherchait le garçon d’un œil attentif. Lorsqu’elle le vit, elle leva la main et lui fit un signe. Elle commanda d’une voix souple et posée, mélodieuse, presque musicale. Il croisa à nouveau son regard et lui fit un sourire. Elle n’y répondit pas, mais ne parut nullement gênée par cet échange subliminal. Elle attendait sa commande regardant dehors, comme lui. Celle-ci arriva enfin, un gin tonic avec deux glaçons. Elle se détendit ave un affaissement du haut du corps, très léger, non pas un avachissement, mais une simple détente des épaules et des avant-bras, un léger abandon des mains posées sur ses cuisses et un sourire voilé d’une timidité de bon aloi. Elle trempa ses lèvres dans le liquide transparent et reposa son verre, heureuse de ce moment de relaxation. Il ne put s’empêcher de lui faire la remarque :

– Vous semblez si bien !

Elle le regarda, sourit et lui répondit :

– C’est si bon de se détendre après une journée de travail épuisante. Regardez ces gens qui courent dans tous les sens. Ils ne prennent même pas le temps de profiter de l’heure sereine avant de rentrer chez eux.

– C’est vrai. Nous oublions tous la douceur de vivre. Préoccupés par des pensées futiles au lieu de contempler les minutes qui passent sans penser à rien.

Ils bavardèrent tranquillement et cela lui fit du bien. Il fut distrait de son idée fixe. Plus de démangeaisons nerveuses, plus d’envies de fuir n’importe où. Il profitait de cette heure sans aucune arrière-pensée. Il rapprocha sa table, une petite table ronde, et se retrouva bientôt à côté d’elle. Elle n’était pas réellement belle, le visage jeune, mais un peu empâté au niveau de l’attache du cou. Elle avait un regard vif, presqu’étincelant par moment. Elle savait rire en racontant une anecdote, il sut l’écouter sans forcer son rôle, heureux de cette entente rapide.

– L’autre jour, j’étais allé faire des courses près de l’Opéra. J’ai vu sortir d’un magasin chic une sorte de princesse arabe accompagnée de deux autres femmes également élégantes et chargées de paquets qu’elles engloutirent dans le coffre ouverte d’une luxueuse voiture. Le sol était inégal, fait de ces pavés très parisiens, traitres parce que cachant des interstices invisibles. Elle se prit un talon dans un de ceux-ci et tomba durement sur le sol. Les deux autres jeunes femmes qui l’accompagnaient ne firent pas un mouvement pour l’aider à se relever. Elles se jetèrent un coup d’œil et sourirent en tournant la tête, heureuse de voir que leur patronne était comme elle et pouvait avoir des défaillances. Il fallut qu’un homme aide la belle à se relever malgré la gêne que cela procurait à celle-ci. Qui veut faire l’ange fait la bête, conclut-elle en riant.

– Oui, ce sont des instants de joie que d’assister à de tels changements de situation. Elle n’était pas blessée au moins ?

 Non, pas du tout. Mais furieuse, ça, oui !

Il ne put s’empêcher de lui toucher le coude en répliquant :

– Cela se comprend, imaginez-vous dans une situation semblable, par exemple transportant dans un sac en papier des pots de confiture achetés dans une bonne épicerie et ceux-ci tombant à terre parce que le papier du fond a lâché. Eclaboussée par la confiture rependue sur le trottoir, que feriez-vous ?

Peu lui importait ce qu’il disait. Seul comptait le contact qu’il avait eu avec cette femme élégante et charmante. « Elle existe », pensa-t-il aussitôt qu’il sentit une certaine résistance au bout de ses doigts. Il eut envie de crier de joie et de la prendre dans ses bras. Il ne put s’empêcher de sourire plus que de raison, voire de rire d’émerveillement d’avoir le contact avec ce coude de femme, quelle qu’elle soit. Elle le regarda, surprise de sa réaction décalée par rapport à l’histoire qu’elle avait racontée. Tout en souriant, il se dit qu’il était plus simple de tout lui raconter, Isabelle, son mariage, sa « maladie » et l’effet que cela lui avait fait de la toucher et de la sentir consistante.

06/05/2015

Mandala 2

Inquiétant, envoûtant, déroutant, ce mandala.

Malgré sa symétrie, le cœur ne semble pas équilibré. Mais si l’on retire les quatre triangles à gauche et à droite, il sera encore plus déséquilibré. La sphère sort du néant. Où va-t-elle ? On ne sait. Elle occupe l’espace sans cependant y être totalement.

Et dans le même temps, elle rassure, réchauffe et focalise l’attention. Elle est.

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05/05/2015

Un couple insolite (5)

Le scanner ne leur donna aucun éclaircissement. Tout était normal. Dépités, ils rentrèrent chez eux, sans même pouvoir se jeter dans les bras l’un de l’autre. Ils retournèrent consulter le professeur, mais celui-ci avoua son incompétence. Il n’avait jamais vu ni entendu parler d’un tel cas. L’enfer commençait, à petites doses, s’infiltrant lentement dans l’esprit de Damien et d’Isabelle. Ils n’avaient rien à se reprocher, rien à redire de leur vie en commun. Mais cette situation les laissait impuissants. Que faire quand l’adversité vous frappe sans qu’il soit possible de riposter ou de la contourner ? Rien. Rien, c’est-à-dire l’inertie et la non-action ; bref, une attitude déprimante parce qu’incontournable. Et cette attitude entraîne des divergences de perception, donc d’émotions.

Isabelle laissait de temps à autre transparaître sa peine, quelques larmes qui suffisaient à énerver Damien. « A quoi cela sert-il de pleurer sur notre situation ? Mieux vaut trouver des solutions. » Malgré ces reproches voilés, elle ne pouvait s’empêcher de penser aux mois précédents lorsqu’ils se réjouissaient de se retrouver le soir ensemble dans leur lit. Dorénavant ils retardaient ce moment. Ils regardaient la télévision sans parler, une première émission, puis une deuxième jusqu’à ce que l’un d’entre eux s’endorme à moitié sur le canapé. Ils allaient se coucher par la force des choses. Il fallait travailler le lendemain. Ils leur étaient même arrivés de s’endormir tous les deux et de se réveiller à quatre heures du matin, ne sachant plus s’ils devaient attendre le lever du jour ou aller se coucher. Elle ne pouvait alors s’empêcher de reverser quelques larmes. Elle pleurait chaque jour, malgré les reproches de Damien.

Celui-ci avait des moments de découragement qui s’exprimaient par des départs impromptus de l’appartement. « Où va-t-il encore ? se demandait Isabelle. Elle ne comprenait pas qu’il puisse avoir besoin de moments de solitude. Il marchait une heure ou deux, traversant la moitié de Paris et rentrait épuisé. Il allait directement se coucher. Isabelle le rejoignait, mais il était déjà endormi. Elle le caressait alors, rêvant aux tendres attouchements qu’il lui prodiguait auparavant. Il était devenu sec comme un bois mort.

Un  jour, n’en pouvant plus, ils convinrent qu’ils pourraient prendre quelques jours chacun de leur côté et essayer de faire un point. Ils ne sentaient plus leur corps, n’avait plus d’émotions positives, plus de sentiments l’un envers l’autre et encore moins de capacité de raisonnement. Ils firent leur valise chacun de leur côté, emportant quelques vêtements inutiles, un livre qu’ils ne liraient ni l’un, ni l’autre et leur trousse de toilette. Ils fermèrent la porte à clé, se regardèrent, descendirent l’escalier à petits pas, elle l’embrassa sur le palier de l’immeuble, il lui dit à dimanche soir et ils partirent, l’un à droite, l’autre à gauche. Trente pas plus loin, ils se retournèrent quasiment ensemble, se firent un signe de la main, puis poursuivirent leur route. Chacun se demandait s’il reverrait l’autre, s’il aurait le courage de revenir pour à nouveau affronter cette situation inimaginable.

04/05/2015

Douleur

Douleur,
Comme une étoile irradiée, tu éclates.
Plus rien n’existe.
Le soleil devenu fer rouge
Pénètre habilement la chair
Et le lit devenu enfer
Prend les dimensions d’un cachot.

Douleur,
Je ne sais plus te contempler,
Ni rire de mes contorsions animales.
Pourtant j’ai ri,
Ri de ce corps abandonné
D’où l’esprit puisait sa vigueur.

Maintenant je suis las.
Mon vieux corps aplati
S’accroche à moi et se plaint.
Descente, lente et malhabile,
Dans les ténèbres de la douleur.

© Loup Francart

03/05/2015

Largo du Concerto pour violoncelle en si mineur de Vivaldi

https://www.youtube.com/watch?v=Lv0-JNkxJlw


 

Une seule note et toute l’ambiance du largo est déjà là, un si majestueux, qui résonne tout au long de la pièce et vous enchante. C’est un doux ronronnement de l’âme qui remue en vous des élans et des tressaillements que vous ne connaissiez pas. Et peu à peu vous êtes submergé d’une paix  bienheureuse qui vous fait oublier tout souci. L’âme vibre en résonance, calmée, dévêtue de toute pensée, nue et reposée.

Et pourtant, elle n’est pas inerte, elle cherche dans ses changements de ton d’autres sonorités, des ouvertures qui font apparaître d’autres mondes sans toutefois les dévoiler complètement. L’âme s’élève, espère, chante, soupire et se réjouit d’être ainsi baignée de lumière tamisée.

 

O Dieu, pourquoi m’as-tu donné une âme ?
Elle erre dans le silence de la vie
Et espère… Elle ne sait… La paix...
L’enlacement du divin entraperçu…

 

02/05/2015

Un couple insolite (4)

Une minute plus tard, il rentra, s’assit à son bureau, sortit une feuille d’ordonnance et commença à écrire. Il s’interrompit comme s’il avait une nouvelle idée et il leur avoua sa perplexité.

– J’avoue ne pas comprendre. Vos deux examens sont tout ce qu’il y a de plus normaux. J’ai besoin que vous me montriez ce qu’il se passe lorsque vous, Monsieur, essayez de toucher Madame. Allez-y, je vous en prie.

Damien avança sa main vers le buste d’Isabelle. Il ne sentit rien. Isabelle ne semblait pas là. Voulant en avoir le cœur net, le professeur leur demanda de se dévêtir tous les deux en ne gardant que leur dessous. Damien avança à nouveau sa main vers le corps d’Isabelle. Celle-ci disparut lorsqu’elle pénétra sa peau. Le professeur écarquilla les yeux et lui demanda de poursuivre plus profondément pour que sa main ressorte de l’autre côté du corps d’Isabelle. Ce fut le cas. Il voyait une coupure entre l’épaule et la main que comblait le corps d’Isabelle. Il eut alors une idée surprenante. Donnant à Damien son stéthoscope, il lui demanda de se séparer d’Isabelle. Impossible. Damien ne pouvait extraire sa main qui tenait l’appareil. Il était comme ces enfants qui, la main dans un pot de bonbons, ne peuvent la ressortir parce qu’ils ne veulent pas les lâcher. Isabelle ne sentait rien. Le médecin reprit son stéthoscope et Damien sortit sa main sans aucune difficulté, comme si sa femme n’avait pas de corps.

– Nous avons donc appris quelque chose. Aucun corps étranger ne peut pénétrer votre personne. Seule la peau contre la peau crée le problème.

– Ce n’est pas tout à fait exacte, le reprit Isabelle. N’oubliez pas que dans le lit je porte une chemise de nuit et que, tout à l’heure, j’étais habillée.

– Madame, vous avez raison. Mais cela me donne une idée. Que se passe-t-il si c’est vous qui voulez toucher votre mari.

– Mais rien du tout. Je le touche, tout simplement. Tenez.

Joignant le geste à la parole, elle s’approcha de Damien, avança la main et ne put aller au-delà d’un simple toucher.

– Il est bien là, présent, comme d’habitude.

– Essayons autre chose. Monsieur, entrez votre bras et ne bouger plus. Maintenant, Madame, dégagez-vous de ce bras, c’est-à-dire marchez comme s’il n’était pas là.

Isabelle fit deux pas de côté, sans rien ressentir. Le bras de son mari restait à l’horizontal, désormais seul, entièrement visible. Il le laissa tomber.

– J’avoue ne pas comprendre pour quelle raison lorsque c’est vous, Monsieur, qui cherchez à toucher votre femme, vous ne le pouvez pas, mais qu’inversement votre femme vous touche tout à fait normalement. Ma seconde interrogation vient de l’origine de votre mal. Tient-elle au corps de Madame ou aux mains de Monsieur ? Madame, pourriez-vous vous approcher de Monsieur et tenter de le toucher avec votre pied ?

Isabelle, malgré le comique de la situation, fit ce que lui demandait le praticien. Elle prit la pause d’un karatéka portant un yoko geri. Son mari la regarda étonné en faisant un Ah signifiant qu’elle lui avait fait mal. Il ne dit rien de plus, se massant la poitrine un court instant.

– A vous Monsieur, maintenant.

Il prit plus de précaution et lui toucha une cuisse avec la pointe de son pied. Celui-ci passa au travers sans aucune hésitation.

Aucune des trois personnes présentes n’étaient conscientes du comique de la situation : un homme et une femme, en tenue légère, qui semblaient se battre devant un homme en blanc qui les regardait, perplexe. Ils étaient tous préoccupés par cette énigme incompréhensible et qui risquait de porter ombrage à leur relation. Le professeur s’interrogeait : « Que faire ? Pour quelle raison lorsque c’est Monsieur qui veut toucher Madame cela n’est pas possible, alors que lorsque c’est Madame qui veut toucher Monsieur il n’y a aucune difficulté. La réponse survint au professeur en un instant : c’est une question de volonté et de circonstances psychiques. Monsieur est volontaire. Il aime prendre sa femme dans ses bras et la caresser. Madame aime se laisser prendre et ne pense pas à volontairement prendre son mari dans ses bras. Oui, c’est possible, mais comment leur expliquer ? »

– Je vous remercie de vous être prêtés aimablement à ces différents exercices qui n’avaient d’autre but que de me permettre de comprendre. Vous pouvez maintenant vous rhabiller.

Ils se rendirent derrière le paravent, se regardèrent, se sourirent, allèrent naturellement l’un vers l’autre. Damien arrêta son mouvement, se rappelant son incapacité à la toucher. Isabelle l’embrassa sur la bouche, confiante. Décidément, quel drôle de situation, pensaient-ils tous les deux. Mais cela ne peut durer.

Habillés, assis devant le bureau du professeur, ils attendaient le diagnostic. Mais celui-ci était bien en peine d’en donner un. Alors, pour se donner bonne contenance, il leur expliqua :

– Je commence à entrevoir ce qui se passe. Mais j’ai besoin d’examen complémentaire. Je vous prescris à tous les deux un scanner complet avant de me prononcer.

Il téléphona au centre qui disposait d’un scanner, écrivit une lettre au médecin qui examinerait les résultats et les laissa partir. Il continuait à se demander  ce que pouvaient avoir ce couple qui semblait heureux et sans problème.

01/05/2015

Un couple insolite (3)

Ils se retrouvèrent chez eux vers 19 heures. Isabelle, arrivée la première, mit beaucoup de soin à préparer ces retrouvailles. Elle avait décidé de se battre pour que leur mariage ne pâtisse pas de cet événement. Elle prépara un apéritif avec des friandises et attendit, légèrement inquiète. Lorsque Damien introduisit sa clé dans la serrure, Isabelle secoua la tête, se massa le front et commanda son plus beau sourire.

– Bonjour mon chéri. Ta journée s’est-elle bien passée ?

Damien, lui, n’avait de cesse de revoir Isabelle pour la serrer dans ses bras. Mais dans les circonstances actuelles, il n’osait pas se rapprocher d’elle dans la crainte d’être déçu. Il commença par répondre en posant sa serviette sur une chaise, se tenant derrière comme en retrait.

– Pas bien, il faut le dire. Je n’ai cessé de penser à notre aventure et aux moyens d’y faire face. Et toi, comment s’est passée ta journée ?

– J’ai bien travaillé. J’ai téléphoné à Sylvie qui m’a donné l’adresse d’un professeur spécialiste du toucher à l’hôpital Saint Louis. Nous avons rendez-vous demain à 15 heures.

– Quelle bonne nouvelle, dit Damien. J’avoue ne pas comprendre ce qui nous arrive exactement. Je te vois, je t’entends, je sens même ton odeur si douce dans mes narines, mais je ne peux te toucher. C’est comme si tu n’étais pas là. Mes mains passent à travers toi sans même que je sente la moindre résistance. Je pourrai m’assoir sur ton siège, toi présente, comme si tu n’étais pas là ! Je ne connais plus la douceur de ta peau, la courbe de tes seins, et pourtant je sens la caresse de tes cheveux sur mon cou. C’est inexplicable et inextricable.  

Elle lui prit la main, la caressa, la porta à sa joue et ne put s’empêcher de laisser quelques larmes s’échapper de ses paupières. Il ne sentait rien. Ils tentèrent de regarder la télévision, assis côte à côte sur le canapé, chacun de son côté, comme deux célibataires. Mais aucun programme ne put retenir leur attention. L’agitation de ces gens sur l’écran n’avait plus de sens pour eux. Ils se couchèrent tôt et ne purent s’embrasser avant de fermer les yeux.

Le lendemain, après une matinée morne et un déjeuner pendant lequel ils ne se parlèrent pas, ils furent introduits dans le bureau du professeur Jean Sédoux, dermatologue, supposé spécialiste du toucher. Il soignait l’acné, l’eczéma, les mélanomes, les mycoses, le psoriasis, les allergies cutanées, les verrues, les angiomes, le lupus, la gale, les corps et durillons et bien d’autres maladies encore liées à l’enveloppe corporelle. Il avait l’assurance des grands professeurs de médecine, l’air gentil, mais sûr de lui, comme s’il savait d’avance ce que le patient a et comment le guérir.

N’ayant pas l’habitude de voir deux patients en même temps, il s’étonna tout d’abord de cette double présence.

– Alors, qui de vous deux est malade ?

Ils ne surent répondre. Certes, Damien semblait à l’origine du mal. Mais Isabelle souffrait aussi de ne pouvoir être touchée. Elle ne sentait rien lorsqu’il passait sa main au travers de son corps. Pourtant, elle n’était pas transparente, elle pouvait se toucher, pincer son bras, enfiler ses collants.

A ces premières explications, le professeur ne comprit rien. De quoi leur parlaient-ils ? Il sourit d’un air incrédule, hocha la tête et leur demanda de recommencer, l’un après l’autre. Damien raconta comment ils avaient constaté cette étrange maladie, sa peur de ne rien sentir dans le lit de la présence de l’autre alors qu’il la voyait. Isabelle détailla ses sensations et ses impressions, sans toutefois arriver à expliquer en quoi elle était atteinte par ce même mal. Elle finit par fondre en larmes sans que Damien puisse la prendre dans ses bras et la consoler.

Le professeur ne souriait plus. Il ne comprenait pas cette étrange maladie qui n’était probablement pas une maladie, mais qui n’était pas non plus d’ordre purement psychique puisqu’elle avait des manifestations très concrètes physiquement. Il demanda à Damien de passer derrière le paravent et de se déshabiller. Après un examen rapide de sa peau, il ne put que dire qu’il ne voyait rien à signaler. Il le frappa avec son marteau à réflexe. Rien à signaler non plus. Il lui demanda de le toucher et même de le pincer. Il ressentit aussitôt les doigts du patient, le pincement normal entre le pouce et l’index. Rien à signaler non plus. Il lui demanda de se rhabiller. Il était perplexe. Peut-être l’examen de sa femme lui apporterait quelques éléments de compréhension.

Il pria donc Isabelle de passe derrière le paravent et de ne garder que ses sous-vêtements. Il la fit s’étendre sur le divan médical et entreprit les mêmes examens que ceux qu’il avait pratiqués sur Damien. Le constat fut le même : rien à signaler. Il lui demanda de se rhabiller, se lava les mains pour se donner une contenance et revint s’assoir à son bureau. Il n’avait aucune idée de ce qu’il se passait. Le temps lui sembla arrêté. Sa tête n’arrivait plus à réfléchir. C’était un grand vide dans ses pensées de praticien qui fit monter en lui une telle transpiration qu’il dut sortir son mouchoir pour garder son sang-froid. Il leur demanda de l’excuser quelques instants et il sortit précipitamment de son cabinet. Ils se regardèrent en souriant. Le praticien était perdu.

30/04/2015

Les mardis littéraires, de Jean-Lou Guérin

Mardi dernier, présentation par l'auteur du livre « Conte d’asphalte », d’Anne Calife, Albin Michel, 2007 :

Un très beau livre qui conte la rue lorsqu’au bout de l’effort de maintenir une vie sociale et personnelle, il n’y a plus d’autre issue que celle de finir dans la rue. Comment fait-on pour en arriver là ? A la rue ? semble-t-il dire. En glissant, vilain petit canard, en glissant. (p.14)

http://lesmardisdejeanlou.blogspirit.com/ 

 

Echanges, mais de quoi ?
Des mots assemblés en idées
Des idées assemblées en sentiments
Des sentiments organisés rationnellement
Et à la fin, un poème-texte
Retour des mots à l’origine
Une conversation à deux
Dans laquelle trois se perdent
Mais comment organiser l’ensemble
Serait-ce sur les mots, les phrases
Les sons, les couleurs, les caresses
Faut-il lier les émotions
Les sentiments, les pensées
Les silences même ?
Elle lit, parle, elle converse
L’autre fait de même, où vont-elles ?
Elles babillent, elles papillonnent
Elles se laissent aller, jusqu’où ?
Elles se rendent heureuses
Par cet échange façonné
L’une cherche la conciliation
L’autre veut la rendre nue
Mais rien ne vient, le vide
Le bavardage conduit-il à quelque chose ?
Je ne sais
Et peu à peu tout s’éteint
Les cerveaux ne parlent plus
Seule la sensation reste
Plane dans l’air, flotte
En un instant nous partons
Et nous retombons, inertes
Le brouhaha des commentaires
Une dernière lecture…
Un silence… C’est la fin…
La fin d’un rêve simple
celui d’une vie décrite…

© Loup Francart 

29/04/2015

Un couple insolite (2)

Le lendemain, ils se réveillèrent difficilement, chacun restant un moment dans la brume du sommeil avant de se tourner vers l’autre. Damien, le premier, tendit un bras vers Isabelle et se réveilla instantanément. Rien. Isabelle n’était pas là. Il ne rencontrait que du vide. Il se tourna vers elle et la vit. « C’est bien vrai. Ce n’est pas un cauchemar ! Je la vois et je n’arrive pas à la toucher », se dit-il, atterré. Isabelle, quant à elle, ne réalisa la situation qu’en voyant la tête de Damien. Un fossé les séparait dorénavant, l’amour devenait sans objectif puisqu’il était impossible d’étreindre l’amour de sa vie comme il était également impossible de recevoir des caresses de l’être aimé. Isabelle venait en un instant de percevoir l’étendue du désastre. Non seulement Damien ne peut étreindre Isabelle. Mais en contrepartie, Isabelle ne peut recevoir la douceur d’une main sur son corps. « Mutilés, nous somme mutilés », murmura-t-elle pour elle-même. Alors elle se leva, s’approcha de son mari, lui prit la main, le forçant à se lever. Elle le débarrassa de son pyjama et le contempla, nu. Puis elle se déshabilla et s’offrit à son regard, les mains ouvertes, rayonnante de beauté. Ils communièrent ensemble du regard de l’autre et l’espoir revint.

– Ce n’est pas possible. Nous allons tout faire pour guérir, se promirent-ils.

– Dès demain, prenons plusieurs jours de congé et cherchons celui ou celle qui nous guérira, déclara Isabelle.

– Oui, et dès aujourd’hui, je regarde sur Internet ce que l’on peut trouver sur cette maladie, répliqua Damien.

Ils firent leur toilette et s’habillèrent sans rien dire, chacun étant préoccupé par cette situation inextricable. Leur petit déjeuner fut pénible. Isabelle ne put retenir quelques larmes, malgré sa volonté de paraître enjouée comme d’habitude. Damien ne sut comment lui manifester sa déconvenue, puis sa peine. Ils revêtirent leur manteau, descendirent l’escalier et se dirent au revoir sans pouvoir ni s’embrasser, ni même se serrer la main. Se quitter comme deux étrangers leur serrèrent le cœur. Ils réalisèrent en une seconde l’immense solitude dans laquelle ils se trouvaient. Ils firent trois pas, se retournèrent, se regardèrent, les yeux noyés de larmes, se sourirent, impuissants, puis partirent chacun de leur côté.

Arrivé au bureau, Damien se plongea dans son ordinateur. Il chercha toutes sortes de mots-clés et commença par « manque de toucher ». Il tomba sur une note de lecture du Dr Lucien Mias intitulé Je me sens moi…parce que tu me touches. Pour lui, le toucher est le sens le plus « spécifiquement humanisé, le moins candide, le seul réaliste comme le savait Thomas et comme l'apprend très vite l'enfant ». Il poursuit : Il y a 2 500 ans, Anaxagore a dit : « L'homme est intelligent parce qu'il a des mains. » J. Piveteau renversa la formule : « L'homme a des mains parce qu'il est intelligent. » Saint Thomas d'Aquin les met d'accord : « L'homme possède par nature la raison et la main. Cette raison raisonne mal si elle n'engage pas la main. Cette main travaille en vain si la raison ne s'engage pas dans son travail. » Il apprit que certaines personnes ne supportent pas qu’on les touche : « Le contact physique, c’est pire que d’être vue toute nue. Je me sens dévoilée, j’étouffe, j’ai l’impression que c’est le début de la fin. » Mais cette recherche lui parut bientôt vaine. Rien n’est dit sur l’absence bien concrète de toucher, car ce cas-là n’existe pas avec un corps valide et en bonne santé.

Isabelle, en tant que femme, s’enferma dans son bureau et téléphona aussitôt à sa meilleure amie, Sylvie, qu’elle connaissait depuis l’enfance. Elle lui raconta prudemment leur aventure, sans toutefois s’étendre sur leur constat. Sylvie, qui était kinésithérapeute, fut bien sûr étonnée d’une telle affliction. Elle se souvint que pendant ses cours, un professeur leur avait parlé de quelques cas curieux et elle promit de la rappeler après avoir trouvé ses coordonnées. Une heure plus tard, elle rappela Isabelle et lui donna le numéro de téléphone du professeur à l’hôpital Saint Louis. Aussitôt un rendez-vous fut pris avec la secrétaire du médecin pour le lendemain. Isabelle était ravie, elle allait enfin pouvoir reporter sur quelqu’un d’autre leur souci. Son moral ravivé lui permit de passer une journée de travail à peu près normal malgré la pression psychologique de la nuit.

La journée de travail de Damien fut traversée de moments de désespoir. Il n’arriva pas à se concentrer, participa à deux réunions sans pouvoir dire un mot et partit du bureau dès 18 heures. Il n’avait qu’une hâte, retrouver Isabelle et lui demander si elle avait une solution.

28/04/2015

Un couple insolite (1)

Damien est un homme heureux. Il a épousé Isabelle il y a cinq mois. Il l’aime et elle l’aime. Ils travaillent tous les deux, mais rien ne vient troubler leur entente.

– Isabelle, Isabelle, où es-tu ? cria Damien en pleine nuit. Il venait de se réveiller. Il devait être trois heures ou quelque chose comme ça. Il avait étendu son bras droit comme il le fait habituellement. Mais il ne rencontra que le vide.

– Isabelle, Isabelle ?

Mais je suis là, mon chéri. Pourquoi cries-tu si fort ?

– Mais où ?

– Et bien, dans le lit, à côté de toi.

Damien fouilla de son bras droit l’étendue du lit à la place où elle était censée se tenir. Mais en vain. Il se dit qu’elle avait peut-être changé de place dans la nuit. Il étendit son autre bras, jusqu’au bord du matelas, sans rien rencontrer. Doucement il fouilla des deux pieds le fond du lit. Rien. Pourtant la place était chaude.

– Isabelle, arrête de te moquer de moi !

– Mais je ne moque pas de toi, je suis là, à côté de toi.

– Mais non, tu n’es pas là, je ne touche rien. Oui, je t’entends, tu es surement dans la pièce et même pas loin du lit, mais tu n’es pas dedans. Reviens vite, je t’en supplie, la blague n’est pas drôle à cette heure.

– Je t’assure que je suis là, dans notre lit, à côté de toi. Tiens je touche ta main. Me sens-tu ?

– Oui, c’est vrai. Je sens ta caresse sur ma peau. Comment se fait-il que je ne puisse te toucher ?

– Je ne sais. Tu dois être encore endormi ou mal réveillé. Veux-tu que j’aille te faire un café ?

–Mais non, cela n’a rien à voir ! En tout cas, je ne peux te toucher. Pourtant, je t’entends et le drap est chaud de la chaleur de ton corps. Je veux ton corps. Qu’en as-tu fait ?

– Rien, il est là, près de toi.

  Mais je ne peux le toucher. Que se passe-t-il ?

Isabelle commençait à s’inquiéter : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle situation ».

– Mais enfin, Damien, cesse de plaisanter. Je viens de me réveiller et je ne suis pas prête à ce genre de blague. Je te touche, je te caresse et tu ne sens rien. Aurais-tu perdu toute sensibilité. Je n’ai jamais entendu une telle idiotie. Un mari qui ne peut saisir sa femme alors qu’elle est dans son lit. C’est absurde !

– C’est pourtant la réalité, je t’assure. Me permets-tu d’allumer. Ferme les yeux de façon à ne pas être aveuglé, puis ouvre-les progressivement.

Isabelle fit ce que Damien lui demandait. Elle le voyait à côté d’elle, l’air inquiet, blanc comme un linge. Il la voyait, elle était bien là, mais il ne pouvait la toucher. Il ne rencontrait que le vide. Il avança le bras, tendant son index avec douceur, mais rien. Comme si sa femme n’était pas là. Et pourtant il la voyait, parlait avec elle, sentait le poids de ses mains sur son corps. Elle s’approcha de lui et lui fit un baiser sur la joue, puis sur la bouche. Il les sentit, s’en trouva mieux, mais dès qu’il essaya de la prendre dans ses bras, il ne rencontra que le vide. Rien, un trou d’air.

– Ce n’est rien, mon chéri. Rendors-toi. Demain matin tout ceci sera passé. Je serai à toi et tu seras à moi, comme d’habitude.

Ne pouvant rien faire de plus, il finit par se laisser persuader que ce n’était qu’une impression passagère qui cesserait dès qu’il aurait à nouveau dormi. « Le réveil laisse parfois des restes de mauvais rêves qui sont longs à évacuer. Et puis, elle est là malgré tout. Elle me parle, elle me caresse, je la vois, je l’entends. Ah ! Est-ce que je sens toujours son parfum chanel N°5 ? » Il se pencha sur elle, ou plutôt sur l’endroit où il croyait qu’elle se trouvait. Oui, il retrouvait ce parfum élégant qui faisait sa personnalité. Il s’y était habitué. Mais aujourd’hui cette fragrance lui tournait la tête, réveillait en lui la chaleur de l’amour, l’association entre le toucher et l’odorat.

– Ma chérie, où es-tu ? Je te sens comme lorsque je j’enfouissais mon visage dans le creux de ton cou, mais je n’ai plus cette sensation d’appartenance qui fait de l’amour un don suprême. Comment allons-nous nous aimer maintenant que je ne peux te toucher ?

– Rendors-toi, attends demain. Tout ceci n’est qu’un mauvais rêve.

Elle se tourna sur le côté, gardant la main sur la cuisse de son mari qui, lui-même, se laissa réchauffer par ce geste féminin. Il eut du mal à s’endormir. Il fermait un œil et  se réveillait en sursaut. Enfin, il se laissa glisser dans un rêve sans fin le long d’un tunnel qui l’isolait de la réalité. Ce fut le noir jusqu’au matin.

27/04/2015

Maxime à la manière de…

L’homme a un cœur, mais il vit par le corps et la raison. La femme a un corps et une intelligence, mais elle vit par le cœur. L’un et l’autre passent leur existence à tenter de découvrir le corps de leur alter égo et, le plus souvent, à exhalter leur supériorité : la raison ou le cœur.  Seuls quelques uns comprennent l'importance de développer leur manque pour atteindre la maturité.

26/04/2015

Soi

Au fond de toi, il y a le Soi
Mais celui-ci n’est pas toi
Tu crois au Moi qui le cache
Et ne vas au-delà que je sache
Ce Moi n’est pas un, mais cent
C’est un choix angoissant
Dont tu n’es pas maître
Il entretient ton mal-être
Laisse partir ces brisures
Qui ne sont que poussière de sciure
Le vent les pousse au large
Envoie tout à la décharge
Alors dans cet immense désert
Apparaîtra l’unique et le sincère
Ce Soi qui n’est plus toi
Qui ne court plus aux abois
Celui que tu cherchas longtemps
Offert à toi en tout temps
La paix de l’âme enfin
Dont tu perçois le parfum

© Loup Francart

25/04/2015

L'expérience

Au-delà des doctrines, des croyances, il y a l’expérience, c’est-à-dire le passage de ce que l’on sait à ce que l’on vit. Pour l’Occidental, la religion consiste à croire à ce que nous propose une église. Et c’est parce que nous y croyons que l’expérience mystique a lieu. Sans croyance, il ne se passe rien.

L’Orient propose une autre forme d’expérience : on ne peut trouver la rupture avec le monde matériel qu’en s’éloignant d’une croyance et en faisant l’expérience du non-être, ou plutôt, de la non référence à nous-même, c’est-à-dire à nos émotions, sentiments, pensées, doctrine et vision du monde. Il s’agit d’aller au-delà d’un résultat quelconque et de passer de l’état de recherche à un état de non-recherche. On peut également dire que l’on passe alors de l’apparence à la non-représentation de soi-même.

Cette rupture entre soi et notre représentation du monde est l’expérience. Je ne suis plus ce que j’étais pendant un court instant, et cet instant me donne la clé du tout, car je deviens le monde, hors de ma représentation de ce monde. La rupture n’est pas un changement de vision, un changement de doctrine, mais un passage entre un regard extérieur et une immersion totale.

Cela est à rapprocher du lâcher-prise dont parle Karlfried Graf Dürkheim inspiré par Maître Eckhart qui résume cette expérience : « Si un homme est vide de toutes choses, de toutes créatures, de lui-même et de Dieu, et si Dieu pouvait encore trouver place en lui pour agir, nous dirions : tant que cette place existe, cet homme n’est pas pauvre de la pauvreté la plus intime. »

Comprenne qui pourra !