10/10/2014
La volonté est-elle toujours positive ?
Staline : « Quelle est, camarade Jdanov, la première propriété d’une volonté ? »
Jdanov se tait et Staline répond : « Sa liberté. Elle peut affirmer ce qu’elle veut. Passons. La vraie question est celle-ci : il y a autant de représentations du monde qu’il y a de personnes sur la planète ; cela crée inévitablement du chaos ; comment mettre de l’ordre dans ce chaos ? La réponse est claire ; en imposant à tout le monde une seule représentation. Et l’on ne peut l’imposer que par une seule volonté, une seule immense volonté, une volonté au-dessus de toutes les volontés. Ce que j’ai fait, autant que mes forces me l’ont permis ; Et je vous assure que sous l’emprise d’une grande volonté les gens finissent par croire n’importe quoi !
Milan Kundera, La fête de l’insignifiance, Gallimard, 2013
Le personnage de Staline dans ce roman de Kundera reflète bien la définition du dictionnaire : « Faculté de l'homme de se déterminer, en toute liberté et en fonction de motifs rationnels, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Et si l’on va plus avant dans le texte ci-dessus comme dans le dictionnaire, une autre définition apparaît aussitôt : « Décision ou détermination ferme de l'individu d'accomplir ou de faire accomplir quelque chose ».
Dans le premier cas, la définition est positive et donne à l’homme le moyen de s’accomplir grâce à sa volonté. Dans le second cas, elle peut devenir négative et plonger l’homme dans l’esclavage mental. C’est la différence entre l’argumentation et la manipulation. L’argumentation est une forme d’expression visant à convaincre un autre de la justesse d’une idée. Elle laisse cependant libre celui qui la reçoit. La manipulation vise à contraindre un autre à adopter une idée en utilisant des moyens de pression divers.
Alors que chacun de nous s’interroge sur sa volonté vis-à-vis des autres, même sous le prétexte de faire le bien. L’enfer est bien pavé de bonnes intentions.
07:31 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : psychologie, société, pouvoir, dépendance | Imprimer
09/10/2014
Expériences de mort imminente
https://www.youtube.com/watch?v=Hxs7WPaBiZo
Intéressant montage sur des expériences de mort et de retour à la vie. Un voyage hors du monde, reconstitué par des expériences multiples sur lesquelles la science s’est penchée. Mais ce qui est encore plus intéressant est l’explication que tente d’en donner l’Institut national de recherche sur le cerveau aux Pays-Bas.
Le promoteur de cette nouvelle théorie distingue le cerveau, cette masse matérielle blanche et grise, de l’esprit, le bio-ordinateur électrochimique de la psyché subjective. L’esprit n’est pas indépendant du cerveau, mais il est également en relation avec un autre plan. Il estime que le monde physique n’est que la surface d’une réalité plus profonde comme la surface de l’océan sur laquelle nous flottons lorsque nous sommes en bateau. Les profondeurs de la pensée nous réservent encore bien des surprises, comme les profondeurs de l’océan.
Certes, la théorie ne va pas plus loin. Elle entrouvre une porte sans que l’on puisse pénétrer à l’intérieur. On perçoit une fente qui n’explique rien, mais qui dévoile une autre réalité. Est-ce une région du cerveau qui permet ce voyage ou autre chose ? La science ne le sait, pour l’instant. Mais quel pas par rapport à ce que les scientifiques pensaient il y a encore peu de temps.
07:51 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : science, mort, survie, expérience de mort approché | Imprimer
08/10/2014
Dans le jardin de l’ogre, roman de Leïla Slimani
Elle veut être une poupée dans le jardin de l’ogre. Elle ne réveille personne. Elle s’habille dans le noir et ne dit pas au revoir. Elle est trop nerveuse pour sourire à qui que ce soit, pour entamer une conversation amicale. Adèle sort de chez elle et marche dans les rues vides. (…) Elle ramasse sur le siège en face d’elle un journal daté d’hier. Elle tourne les pages. Les titres se mélangent, elle n’arrive pas à fixer son attention. Elle le repose, excédée. Elle ne peut pas rester là. Son cœur cogne dans sa poitrine, elle étouffe. Elle desserre son écharpe, la fait glisser le long de son cou trempé de sueur et la pose sur un siège vide. Elle se lève, ouvre son manteau. Debout, la main sur la poignée de la porte, la jambe secouée de tremblements, elle est prête à sauter. (…) « Adèle… » Adam sourit, les yeux gonflés de sommeil. Il est nu. « Ne parle pas. » Adèle enlève son manteau et se jette sur lui. « S’il te plaît. »
Adèle se rhabille et lui tourne le dos. Elle a honte qu’il la voie nue. « Je suis en retard pour le travail. Je t’appellerai. » Comme tu veux, répond Adam.
Pourtant Adèle est mariée à Richard, médecin, et a un petit garçon de trois ans, Lucien. Ils semblent heureux. Elle aime son mari, son mari gagne bien sa vie, mais il n’est pas porté sur la chose. De plus, Adèle n’aime pas son métier. Elle hait l’idée de devoir travailler pour vivre. Elle n’a jamais eu d’autre ambition que d’être regardée. Alors elle cherche les hommes et, en premier, son patron. Elle a passé ses lèvres sur sa langue, très vite, comme un petit lézard. Il en a été bouleversé. La salle de rédaction s’est vidée, et pendant que les autres rangeaient les gobelets et les mégots éparpillés, ils ont disparu dans la salle de réunion, à l’étage. (…) Elle l’avait désiré pourtant. Elle se réveillait tôt chaque matin, pour se faire belle, pour choisir une nouvelle robe, dans l’espoir que Cyril la regarde et fasse même, dans ses bons jours, un discret compliment. (…) A quoi servait de travailler maintenant qu’elle l’avait eu ?
Mais un jour, Richard apprend cette double vie. Que va-t-il faire ? La répudier, continuer comme si de rien n’était ? Faire une scène mémorable ?
Malgré tous les efforts de Richard, elle dérive, elle plane dans son addiction. Il a attendu sur le quai. Elle n’était pas dans le train de quinze heures vingt-cinq. (…) Richard quitte la gare. Il est en apnée, affolé par l’absence d’Adèle, rien ne parvient à le détourner de son angoisse. (…)
Ça n’en finit pas, Adèle. Non, ça n’en finit pas. L’amour, ça n’est que de la patience. Une patience dévote, forcenée, tyrannique. Une patience déraisonnablement optimiste.
Nous n’avons pas fini.
Reviendra-t-elle ? Nul ne le sait. Le roman se termine ainsi, dans l’incertitude d’une guérison d’Adèle. Malgré les efforts de Richard, malgré l’amour qu’elle porte à son fils. Mais les aime-t-elle réellement ? Ne joue-t-elle pas la comédie d’une femme belle et heureuse ? Ne préfère-t-elle pas cette brutale montée de sang dans son corps qui l’emmène loin de toute raison ?
Non, ce roman n’est pas un beau roman. Dans un style froid, impersonnel, il raconte une histoire crédible jusqu’à un certain point. Oui, elle est crédible cette femme qui ne sait comment vivre. Mais dans le même temps vouloir nous faire croire qu’elle est normale, qu’elle aime son fils et même son mari, cela devient inacceptable. Le récit s’empêtre dans des contradictions et jusqu’au bout on ne sait où il va. La porte ouverte sur l’inconnu, le roman sombre dans une disparition qui a un arrière-goût d’affaire de mœurs.
07:32 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, roman, société, moeurs | Imprimer
07/10/2014
Elle avait des bagues
Elle avait des bagues plein les doigts
Peut-être pour cacher leur fragilité?
Des bagues en poils d’éléphant.
D’autres en eussent fait un manteau,
Le chameau est si commun.
Il eut sans doute été trop lourd
A soutenir par la tige d’acier
Où repose la pyramide de verre.
La tête, comme les doigts, entourée de bagues
Se tisse une couronne d’innocence volontaire.
© Loup Francart
07:11 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
06/10/2014
Irish Tune from county Derry, de Percy Grainger
http://www.youtube.com/watch?v=Pff-UtLsqDU
Une très belle pièce romantique qui commence par une phrase très simple reprise plusieurs fois : trois notes qui montent, puis la quatrième qui meurt lentement dans quatre accords de reprise du thème. C’est une promenade un soir d’été au bord du fleuve. L’eau coule lentement et on assiste à la tombée de la nuit, interminable. Cela vous serre le cœur, mais sans tristesse, comme une indifférence froide. On se serre les uns contre les autres, attendant le noir qui monte patiemment. Il est là et l’on s’endort sans même s’en rendre compte, heureux de cet intermède qui fait oublier la chaude journée. Départ vers le rêve, un rêve caressant comme un chat.
06:45 Publié dans 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique romantique, musique américaine, rêverie | Imprimer
05/10/2014
Kagemu : ombre et lumière
Beaucoup de bruits, des effets de manches, mais, malgré tout, une belle prestation.
07:35 Publié dans 12. Trouvailles diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : spectacle, musique, effet, lumière, ombre chinoise | Imprimer
04/10/2014
Rappel
07:19 Publié dans 21. Impressions picturales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition peinture, art cinétique, art optique | Imprimer
03/10/2014
Qu'es-tu, toi qui n'es rien
Qu’es-tu, toi qui n’es rien ?
D’où viens-tu, toi qui n’as pas été ?
Où vas-tu, toi qui deviens tout ?
Je me cherche à l’extérieur de moi-même
Je me trouve derrière la frontière
Elle est de verre, invisible, incolore
Je la trouve en un clin d’œil
Mais cette enveloppe est vide
Et d’une richesse infinie
Rien ne vient la troubler
Enfermé dans cette coquille de noix
Je promène mon inexistence
Au-delà des planètes et des galaxies
Tu es ce que je ne suis pas
Je suis de chair et d’os
Tu me donnes l’inexistence
Un être sans squelette
Je flotte entre les strates
Des univers cloisonnés
La lumière se dévoile
Et me rend aveugle
Oui, qui est-il lui qui est tout ?
© Loup Francart
07:38 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
02/10/2014
L'amour divin
L’amour humain est une impulsion qui vient d’en bas, de la matière et indirectement de l’énergie divine contenue en toutes choses. Cette énergie s’adresse à l’homme matériel. Elle peut le porter à se surpasser lui-même, puisqu’elle retourne à Dieu par l’homme. Mais cet amour est une énergie incontrôlable. Il transforme, mais nous n’en sommes pas maîtres. En revanche, l’amour spirituel envoyé par l’Esprit n’exclut personne. Il s’adresse à tous sans distinction d’affinité. L’homme empli de l’Esprit dilate son cœur et y inclut le monde. Toute chose, toute personne, est en lui individuellement comme le plus bel objet, le plus bel être. Cet homme ne possède rien, et dispose de tout. Il déborde d’amour pour son ennemi et voudrait lui venir en aide, lui donner la joie débordante qui l’habite.
Devenu transparent, il est le monde et plus que le monde. Il apporte à chacun sa part de lumière.
07:46 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amour, spiritualité | Imprimer
01/10/2014
Mort d’un berger, roman de Franz-Olivier Giesbert
Un roman à la Pagnol ou Giono, qui enchante l’air vif du matin et redonne à la nuit l’odeur des contes. La montagne dans toute sa splendeur unique qui accueille le troupeau des hommes, petit, lent, coléreux et chaque individu si singulier, unique qui tente de se prendre pour Dieu. Le curé est ivrogne, mais si près du ciel qu’il ne peut en redescendre. Le berger, un vieillard de 80 ans, mène son troupeau avec Mohamed VI, un muet bien guilleret qui très vite Juliette Bénichou, tout cela sur fond de mort d’un furieux, Fuchs, qui se fait tuer dans sa maison. La gendarmerie est là, bien sûr, avec un capitaine interrogateur et un berger muet. Tout cela se passe dans l’odeur de la lavande, le son des grelots du troupeau, la vue de la plaine, en bas, immense vu d’en haut, dans l’herbe jaune et fraiche des hauteurs où les moutons vivent le meilleur de leur temps.
Cela commence par la mort de son fils. Un papillon s’était posé sur son front mort. Le vieil homme commença à parler au papillon. Il causait toujours beaucoup aux bêtes. Aux ombles chevaliers, surtout, qu’il allait retrouver de temps en temps au lac d’Allos, après la pêche, certains jours de canicule. Dans son genre s’était une attraction, Marcel Parpaillon. Les ombles chevaliers venaient, de tous les coins du las, l’écouter glouglouter en agitant les bras. Il leur disait des tas de choses qui ne peuvent s’écrire, parce qu’elles sont au-delà des mots.
Quelques jours plus tard un autre malheur. Un matin, quand il arriva à la bergerie, Marcel Parpaillon roula de grands yeux stupéfaits, avec une expression d’horreur, et il lui fallut s’agripper à Mohammed VI pour ne pas tomber, avant de laisser choir son derrière sur une souche de pin. Ses lèvres se mirent à trembler comme des feuilles, et il sanglota, mais sans pleure, car il n’avait plus de larmes depuis la mort de son fils. Il resta un long moment, la bouche en O, tandis que Mohammed VI s’agitait dans le parc à moutons. C’était comme une forêt après la tempête du siècle. Des tas de brebis couchées les unes sur les autres ? Dans un mouvement de panique, elles s’étaient jetées, par vagues, contre un muret de bois, pour y crever. La moitié du troupeau était morte ainsi de peur, de bêtise et d’étouffement.
Et le berger part en guerre contre le loup, contre le maire qui ne veut pas que l’on parle du loup, contre les gendarmes qui cherche maintenant l’assassin de Fuchs. Ils partent en montaison, le berger, Mohammed VI et Juliette. Il se réfugie dans l’air libre des hauteurs. On aurait dit que le temps s’était arrêté. Ça arrive souvent, l’été, dans la patantare. Il suffit que le vent faiblisse et c’est comme si le monde entier retenait son souffle. Ça peut durer toute une journée. Il était dans les deux heures de l’après-midi, mais il aurait pu être tôt le matin ou tard le soir, c’eût été pareil. Le même silence. La même langueur. Une sorte d’éternité.
Le loup est tué, mais le berger est blessé. Il mourra quelques jours plus tard après être redescendu de la montaison. Marcel Parpaillon a rejoint le mouvement perpétuel qui va et vient, en emportant tout, un jour ou l’autre, dans ses ténèbres vivantes. Il est l’eau, le feu, l’air qu’on respire, le sommeil des siens, ou le bonheur qui danse dans leurs yeux. Il est les étoiles aussi. Nous sommes tous des poussières d’étoiles. On prend toutes sortes de formes, des airs importants et des chemins vairés, mais on reste un petits tas d’acides aminés qui pantelle, longtemps après que la flamme a été soufflée.
Quand elle ne s’éteint jamais, c’est un berger.
07:18 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, livre, roman, mort, vie, société | Imprimer
30/09/2014
Optimisme
La principale objection à l’optimisme ne teint pas à la réalité du monde, mais à un certain positionnement intellectuel. Le pessimisme est plus avantageux : annoncer le pire et, à la moindre catastrophe, se vanter de l’avoir prévu, est simple et stratégiquement payant. L’optimisme est plus périlleux, puisqu’il exige de regarder l’horizon, de déceler la tendance au-delà des accidents, tout en courant le risque de passer pour Pangloss, si bien ridiculisé par Voltaire parce qu’il estimait que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. L’optimisme est guetté – comme tout prisonnier d’une idéologie explicative du monde – par la tentation de rejeter les événements inattendus qui ne corroborent pas sa théorie de départ. A chaque instant l’optimiste devra se demander s’il est bien raisonnable de le rester. Oui, pour l’instant…
Guy Sorman, Journal d’un optimiste, Fayard, 2012
L’optimisme est-il une maladie rare ? On pourrait le croire à en voir l’image de la France à l’intérieur comme à l’extérieur, dans la vie quotidienne comme dans la tête des gens. Le pessimisme envahit la planète France que l’on soit sous le règne de l’un ou l’autre président qui font tout dans le verbe pour paraître optimiste, mais dont les actes laissent un goût étrange de « n’y revenez pas ».
Qu’est-ce qui différencie l’optimiste du pessimiste ? L’espoir en l’avenir pour soi-même, les sociétés et le monde en général. Le plus important est bien l’espoir pour soi-même. Il conditionne le reste. Le psychanalyste Cyrulnik a promu le terme résilience que l’on peut résumer comme la capacité pour une personne, un groupe ou une société à s’adapter à un environnement changeant. Depuis maintenant plus de dix ans, les politiques ont monopolisé ce mot et l’ont inscrit dans le marbre des documents officiels, tels que le Livre blanc pour la défense et la sécurité de 2008, puis de 2013. Mais ils l’ont transformé en capacité à gérer une crise. La résilience est devenue une organisation promue par l’Etat pour être capable de faire face à une crise, quelle qu’elle soit. Bel exemple de pessimisme. On organise la société pour malgré tout s’en tirer dans les crises de plus en plus nombreuses qui peuplent le monde.
Pour Cyrulnik, il s’agit bien d’une force intérieure, personnelle et indivise, qui permet à l’homme dans l’adversité, de faire face et de surmonter les circonstances pour rebondir. Que faire lorsque tout est perdu ? Non pas attendre que l’Etat vous assiste, mais se prendre en main et surmonter son désespoir au lieu de l’entretenir et de laisser les autres le déclarer seule vérité.
La résilience, c’est la grâce devenue réalité.
07:04 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : résilience, optimisme, société, vision du monde | Imprimer
29/09/2014
L'huître
Ce n’est qu’une sorte de caillou
Très grossier et difficile à saisir
Transpirant des larmes vertes
Ouvrant parfois un sourire
Et riant béatement d’une bouche
Sans lèvres ni douceur
Il sent la marée des matins d’été
Quand vous partez à peine levé
Vers l’écailler du port fantôme
Et que vous entendez les cris
Des marins partant vers le large
Vous éprouvez l’irrésistible envie
De vous immerger dans l’iode
Rugueuse et foisonnante
Et d’éclater en les pressant
Les bourgeons des algues noires
Alors vous quittez vous aussi le port
Et voguez librement dans vos rêves
Secoué par les ondulations
D’un bateau qui vous emporte
Dans le monde inconnu et cruel
Des sirènes et des dauphins
Réveil !
Le couteau à la main, vous cherchez
Cette lèvre émincée qui suinte
Son odeur subtile et froide
Ne vous laissez pas charmer
Prenez l’air du tueur à gage
Fouillez dans ce corps dur
Pour d’une pression de la pointe
Enfoncer la lame aiguisée
Et d’un revers du poignet
Forcer l’animal à se dévoiler
Il résiste encore faiblement
Et du tranchant cette fois
Vous achevez votre sinistre besogne
Coupant le lien ténu, maintenant
Fermement le couvercle
Encore un effort pour désolidariser
Ce contenant aux reflets voilés
Du liquide clair et transparent
Qui sent le fond des mers
La folie des grouillements obscurs
La vie sans mouvement des pierres
Qui se révèlent fécondes
Baignant dans ce désir palpable
Elle est là, légèrement rosée
Et dévoilant son corps nu
Offerte au regard concupiscent
De l’amateur éclairé et enfiévré
Elle n’est parcourue que d’un frémissement
De ses membranes ondulées
Comme les amants avant l’amour
Avec douceur et respect
Vous approchez vos lèvres de sa froideur
Pour y trouver ce surplus de vie
Que vous guettiez dans l’inertie
D’un caillou fermé sur lui-même
Ce baiser glacé, au goût de mort
Envahi votre bouche et la réveille
Vous montez dans l’air du matin
Et vous êtes à la porte du paradis
Délicatement, avec soin, avec intérêt
Vous détachez cette chair offerte
De son point d’encrage
Pour la laisser une dernière fois
Baigner dans son élément fluide
Et s’épanouir avant de mourir
Vous portez cette coupe improvisée
A vos lèvres avides et aspirantes
Et goûtez toute la subtilité
La fraicheur, l’innocence,
De cette chair qui s’offre
En toute impudicité et bravement
A vos dents qui la tranche
Pour en goûter intimement
Le suc ailé de l’éternité
Etes-vous au ciel ou sous les eaux ?
Vous ne le savez
Englobé de fraicheur acide
Vous n’êtes plus sur terre
Vous flottez à nouveau
Dans le liquide amniotique
Du commencement du monde
Lorsque vous n’étiez qu’en devenir
En espérance de volupté
Prêt à mourir ou à vivre
De cette expérience inqualifiable
© Loup Francart
07:40 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
28/09/2014
Mariage
Hors de toute foi, j’étais convaincu que l’enjeu de la vie commune consiste à se découvrir soi-même en découvrant l’autre, et à favoriser chez l’autre la même découverte.
Le royaume, Emmanuel Carrère, p.21
L'amour est un mystère et il naît par le mystère : mystère de la nature masculine pour la femme et mystère de la nature féminine pour l'homme.
Le mariage consacre l'accession au mystère, la découverte de l'autre.
Cette découverte passe par plusieurs étapes :
-
La découverte du corps de l'autre,
-
L’épanouissement de notre propre nature,
-
la compréhension profonde des natures féminine et masculine.
Par la consécration du mariage, la découverte du corps de l’autre acquiert une signification sacrée. C'est en effet le corps de l'autre qui devient maintenant le corps de "l'homme" ou le corps de la "femme". C'est dans ce seul corps que je réaliserai le mystère masculin ou féminin. Je n'ai pas besoin de connaître d'autres corps puisque celui-ci, dans sa nudité et son innocence amoureuse, symbolise tous les corps d'homme ou de femme. Le corps d'autres hommes ou d'autres femmes n'est plus source de désir puisque le corps de mon mari ou de mon épouse renferme à lui seul le mystère masculin ou féminin. Il est à chaque nouvelle rencontre source de découverte, d'émerveillement, d'épanouissement parce qu'il est la seule porte ouvrant sur le mystère.
C'est pour cette raison qu'il n'est pas bon de déflorer le mystère avant le mariage. Contrairement à ce que disent de nombreux psychologues qui n'ont aucune idée de la notion de mystère et qui ne voient dans l'union des corps que la satisfaction du désir, le corps de l'autre doit être rêvé, idéalisé avant d'être doucement, avec pudeur, avec émotion, découvert. Ce n'est qu'alors que chaque rencontre sera une ouverture sur le mystère, une découverte sans cesse renouvelée, une source d'épanouissement et non de plaisir égocentrique.
Nous marchons sur le même chemin, d'un commun accord, avec le même amour et avec la même vision du chemin menant vers le bonheur, mais pas de la même manière. Cette différence tient à la nature sexuée de l'être. L'homme et la femme n'ont pas les mêmes réactions, les mêmes comportements, les mêmes schémas de pensée. Même si leur vision intellectuelle, leur explication du monde est semblable, la manière de sentir le monde et de le vivre est différente.
Ce qu'auparavant j'aurai difficilement supporté (vivre avec quelqu'un d'aussi différent de nature), est maintenant pour moi source de joie et d'enrichissement. Là encore agit le mystère de l'amour. Je découvre en l'autre une nouvelle façon d'appréhender le monde, une nouvelle vision du monde. De même que le corps de l'aimé(e) devient symbole de l'homme ou de la femme, de même sa manière d'être m'ouvre au monde des hommes ou des femmes. A travers lui ou elle, je comprends maintenant ce qui jusqu'à présent m'avait échappé.
Parallèlement à cette ouverture de mon propre monde vers celui des êtres de sexe opposé à travers l'aimé(e), la présence de celui-ci ou de celle-ci me confirme dans ma propre nature et l'épanouit. Les différentes tendances de celle-ci s'unissent, se resserrent, pour converger. Devant lui ou elle, je me confirme dans mon propre rôle d'homme ou de femme, parce qu'il ou elle attend cela de moi, comme moi j'attends cela de lui ou d'elle.
Cette découverte de la nature de l'autre et l'épanouissement de sa propre nature doivent peu à peu rendre conscient ce qui jusqu'à présent était inconscient : la différence profonde de nature entre l'homme et la femme, et leur complémentarité. C'est cette compréhension de la différence et de la complémentarité des natures qui va permettre de cheminer en harmonie. Sans cette compréhension, la différence agace et peut conduire aux frictions. L'homme macho raille la sentimentalité féminine parce qu'il est incapable de sentiments. La femme couveuse resserre sa protection à tous les aspects de la vis du mari, neutralisant son besoin d'agir et de penser.
La compréhension de la nature de l'autre, la perception de sa complémentarité, nécessitent un effort d'ouverture, de dépassement de l'égocentrisme, ce qui en soit est source d'épanouissement.
07:40 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : femme, homme, mariage, société, épanouissement, spiritualité | Imprimer
27/09/2014
Culture
Dans un premier sens du terme, la culture est la mise en valeur d’une terre pour y faire pousser de quoi nourrir les êtres. La culture a donc pour fin la nourriture et l’épanouissement du corps de l’homme. Ce fut un progrès considérable que ce passage de la cueillette à la culture. L’homme s’y enrichit non seulement matériellement, mais également conceptuellement. Il passe par un intermédiaire qui devient indispensable et qui mérite tous ses efforts, la terre, pour enrichir son environnement et le rendre plus apte à l’enrichir lui-même.
Progressivement le sens du mot s’est élargi à un environnement général favorable au développement d’une espèce. C’est ainsi que l’on parle de bouillon de culture pour désigner un milieu nutritif approprié au développement des microbes. Pour l’homme on parle également de la culture physique en tant que pratique d’exercices et de mouvements permettant d’assurer le développement harmonieux du corps.
Enfin, le terme culture en est venu à désigner un ensemble d’activités et de processus mentaux permettant à un ensemble humain de s’élever au-dessus de sa condition purement naturelle et de se distinguer d’autres groupes. Ainsi la culture s’acquiert et n’est pas de l’ordre du naturel. L’Unesco en donne une définition intéressante : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » (Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982).
Plus récemment on a distingué la culture individuelle de la culture collective. La première, dite culture générale, correspond à l’ensemble des connaissances qu’un être humain a sur le monde. Elle inclut des connaissances très diversifiées qui donne une valeur à chaque être d’une manière différente de l’avoir. Elle lui donne un surplus d’être au-delà des richesses matérielles. Certes, certains y voient une conception élitiste de la culture qui s’oppose plus ou moins à la conception collective de la culture qui permet le vivre ensemble en harmonie et, in fine, de créer une civilisation propre qui se distingue des autres. Disons que la culture collective est un système de croyances, de valeurs, de coutumes et de comportements se transmettant de génération en génération et qui permet d’affronter les autres et de s’épanouir dans le monde. La civilisation englobe la culture et montre le résultat de celle-ci dans les réalisations matérielles et immatérielles qu’elle laisse en héritage.
Mais allons un peu plus loin. Comme l’explique Jean-Paul II (discours à l’Unesco à Paris, le 2 juin 1980), la culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient d’avantage homme, « est » davantage, accède davantage à l’ « être ». La culture élève l’homme au-dessus de sa réalité naturelle pour lui faire découvrir sa réalité surnaturelle. La culture spiritualise la matière, la soumet aux forces spirituelles de l’homme et, dans le même temps, lui permet d’incarner matériellement sa spiritualité. Elle procède ainsi d’un double mouvement entre le naturel et le surnaturel dans lequel l’humain est à la fois acteur et spectateur.
Et pour revenir à la définition première de la culture, il s’agit d’un terreau qui facilite l’épanouissement de l’homme grâce à l’apport des générations passées et de la société spécifique dans laquelle il vit. Ce terreau collectif lui permet de participer lui-même à cet enrichissement de la société grâce à son enrichissement personnel. Ainsi culture générale d’un individu et culture collective ne s’oppose pas, contrairement à ce que prétendent certains sociologues, mais se complètent et s’enrichissent mutuellement.
07:49 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : culture, civilisation, homme, humain, spiritualité, art, connaissance, réalisation de soi | Imprimer
26/09/2014
L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, un roman d’Haruki Murakami
Haruki Murakami nous avait habitués à des livres à lire d’une seule traite. Là, c’est en dents de scie que s’effectue la lecture. Lassitude et ennui au cours des 75 premières pages. On ne sait quand cela va démarrer. On attend. Cela ne démarre pas. Cela s’enlise dans un magma d’histoires d’amitié et l’on se dit à tout moment que l’on va définitivement fermer le livre. Il ne prend de l’intérêt que lorsque Tsukuru décide de mettre au clair l’épisode de sa vie qui l’a marqué au point de quasiment mourir de désintérêt pour le monde.
Appartenant à un groupe d’amis très fortement soudés, trois garçons et deux filles, il en avait été chassé du jour au lendemain sans savoir pourquoi. Nous ne voulons plus te voir lui avaient-ils dit sans aucune explication. Il vécut tout ce temps tel un somnambule, ou comme un mort qui n’a pas encore compris qu’il était mort. (…) Tsukuru était tombé dans l’estomac de la mort, un vide stagnant et obscur dans lequel il avait passé des jours sans date.
Un jour, il rencontre Sara Kimoto avec laquelle il se lit d’abord d’amitié, puis d'intimité. Très psychologue, elle sent la difficulté de Tsukuru à se comprendre lui-même. Il y avait un endroit spécial sur le corps de Tsukuru, dont il n’avait en général pas conscience, une toute petite zone extrêmement sensible. Quelque part dans son dos. Une partie tendre et délicate, le plus souvent couverte, cachée, invisible de l’extérieur, que sa main n’arrivait pas à atteindre. (…) Los de leur première rencontre, il avait eu la sensation qu’un doigt anonyme avait clairement appuyé sur l’interrupteur. Ce jour-là ils avaient beaucoup parlé, mais il ne se souvenait pas de quoi. Puis, il fait connaissance à la piscine (il y a toujours une histoire de piscine dans les livres de Murakami) avec un jeune homme, Haida. Ils deviennent amis, se rencontrent souvent, discutent tard le soir. Mais Haida disparait à nouveau de sa vie, on ne sait pourquoi.
Sara suggère à Tsukuru de chercher à savoir pourquoi ses amis l’avaient rejeté. Le livre prend alors une autre tournure. C’est presqu’une sorte de roman policier : pourquoi Tsukuru fut-il abandonné aussi brutalement par ses amis. Il va interroger d’abord les deux autres garçons du groupe, puis finalement la seule fille encore vivante dont la rencontre en Finlande est assez émouvante. Il apprend les raisons de son rejet du groupe. Est-il guéri de son sentiment d’être autre, sans consistance ? Non, il réfléchit, s’accroche à Sara. Mais progressivement le livre s’enlise à nouveau, il ne sait ce qu’il est et on ne saisit pas non plus ce qu’il va devenir. Derrière les mots se cache le vrai Tsukuru, un homme de trente-cinq ans qui n’arrive pas à saisir le sens de sa vie. Va-t-il réellement nouer sa vie avec Sara comme il semble en avoir envie, ou va-t-il poursuivre son errance sans aucun but. On ne le saura jamais. Le lecteur reste sur sa faim, sans comprendre pourquoi.
Le livre est bien écrit, il s’étire, s’étire au point que le récit semble céder. Il se resserre avant, à nouveau, de se relâcher et s’étirer sans cependant se rompre. Tsukuru choisit-il Sara ? Celle-ci choisit-elle l’autre homme qu’un jour Tsukuru avait aperçu avec elle ? Quoi qu’il arrive, si Sara ne me choisit pas demain, j’en mourrai vraiment, songea Tsukuru. Que ce soit une mort réelle ou métaphysique, cela ne changera pas grand-chose. Mais peut-être que, cette fois, je rendrai pour de bon mon dernier souffle.
07:10 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, roman, japonais, histoire | Imprimer
25/09/2014
Neuf heures
Neuf heures…
La ville dort, l’ombre veille
Les yeux ouverts sur ton image
Je t’entends ébaucher de tes lèvres vivantes
Mon nom comme un murmure insaisissable
Au-delà des collines
Derrière l’amas de fer et de béton
Qui crée notre séparation
Tous les mots prononcés
Tous les rires jetés en l’air
Rebondissent sur le miroir
De ton regard tourné vers moi
Neuf heures encore…
Comme un sourire inépuisable
Lorsque le soleil apparaissant
Sur tes cheveux épars
Parmi les aiguilles de pin
Proche et lointaine
Vivante ou morte
Ton absence évanouie sur cette heure
Cerne mon visage attentif
Encore quelques secondes
Quelques minutes volées
Une caresse rêvée et malhabile
Et la nuit reprendra son bien
Pour l’ensevelir parmi les étoiles
© Loup Francart
07:20 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
24/09/2014
La grande vague au large de Kanawaga, de Katsushika Hokusaï
Hokasaï est un grand peintre et dessinateur japonais du début du XIXème siècle (1760-1849). Remarquable par l’ampleur de sa production, il est également un innovateur forcené. Attachons-nous seulement à cette estampe terrifiante d’émotion dans l’action, « La grande vague au large de Kanawaga ».
Elle pourrait être appelée la stabilité dans l’instabilité. La stabilité : le mont Fuji, symbole de la durée et de l’esthétisme pour le Japon. L’instabilité : les vagues, dont la grande qui menace d’engloutir les barques et, au-delà, le mont Fuji lui-même ou plutôt sa représentation. La mer devient un être vivant, une sorte d’animal mythique aux mille doigts tentaculaire qui menace de s’emparer des canots. Ceux-ci glissent sur la surface de l’eau, entraînés par la courbure des flots. Ils épousent la forme de chaque vague, arrondis, les hommes couchés sur leurs rames, comme attendant le choc monstrueux. Au loin, le ciel est noir et plus clair dans son développement. C’est un contraste inverse de ce que l’on pourrait attendre. La tempête se caractérise normalement par une obscurité immédiate, même si, dans le lointain, les éclaircies apparaissent. Peut-être peut-on y voir l’expression du zen, la voie du juste milieu entre la stabilité et l’instabilité, entre le blanc et le noir, entre la vie naturelle et la vie surnaturelle.
07:40 Publié dans 21. Impressions picturales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : estampe japonaise, mer, mont fuji, peur | Imprimer
23/09/2014
Regards multiples
Le Sentier des Arts
vous invite au vernissage de l'exposition de
Loup Francart
Regards multiples
le jeudi 9 octobre à 19h
Exposition du 10 au 12 octobre
tous les jours de 11h à 19h
16 cité Berbère 75009 Paris
La cité Bergère est accessible à la fois par le 23 rue
Bergère et par le 6 rue du Faubourg Montmartre
Venez nombreux au cours de ces trois jours. Vous découvrirez l'art cinétique et pourrez bénéficier de la dédicace du livre :
"Petits bouts de rien"
07:15 Publié dans 21. Impressions picturales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition, vernissage, art cinétique, tableau | Imprimer
22/09/2014
Vide-grenier et l'opéra è mobile
Hier, dimanche, jour d’errements insolites dans Paris, vide-grenier du 2ème arrondissement, rue de la Banque. Une mairie rue de la Banque, n’est-ce pas rassurant ! Une multitude gens vendaient jusqu’à leur chemise, en mal de partage. Mais de nombreux objets se pressaient sur le trottoir, abandonnés ou présentés avec art, avec le sourire enjôleur du propriétaire ou la face rebutante du vendeur. La mine y fait beaucoup dans l’achat d’un objet. Etre vendeur est un métier, mais plus vraisemblablement une passion, un instinct ou même une vocation.
Au loin nous voyons un rassemblement devant la mairie. Que se passe-t-il ? Nous approchons. Les gens sont figés, presque la bouche ouverte, attentifs, le sourire aux lèvres, à l’écoute du chant qui monte dans la rue avec force.
Mozart… Un opéra… La flute enchantée… Pamina dans tous ses états… Une Reine de la Nuit asiatique, intimidée, mais divine… Un Papageno noir comme du cirage, mais chantant merveilleusement… Tamino, petit, pas rasé, avec une voix d’or et un charme naturel… Un présentateur, également d’origine asiatique, mais parlant un français impeccable, accompagnant au piano les chanteurs et présentant en quelques mots très drôles, vifs, légers, le déroulement de l’opéra.
Quel bonheur que cette troupe des rues qui chante merveilleusement, avec naturel, pour des gens qui ne connaissent pas ce style de musique et qui finissent par être scotchés à leur jeu. Oui, ils étaient nombreux ces spectateurs, de petites filles assises aux pieds de leurs mamans, des mères s’asseyant dans la rue et écoutant avec béatitude, des hommes et des femmes immobiles, regardant ces chanteurs de moins de trente ans, écoutant leurs voix puissants et agiles et applaudissant à tout rompre devant les vocalises.
Subjugués, nous avons tous eu du mal à repartir vers les objets étalés. En dehors des flûtes, rien ne semblaient nous intéresser. La tête encore pleine de sons, nous étions shootés et sous l’emprise de la drogue : l’opéra chez nous, dans la rue, avec la fine fleur de la jeunesse française, qui, pourtant, n’en avait pas l’air. Mais que les airs de la Flute enchantée étaient émouvants !
Lorsqu'ils renouvelleront leurs exploits, nous y seront !
04:59 Publié dans 12. Trouvailles diverses, 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chant, opéra, musique, rue, jeune, loisirs, divertissement | Imprimer
21/09/2014
Abstrait
Le regard éperdu, il courre
Il échappe ainsi à l’abjection
Ils le poursuivent sans le prendre
Il s’est caché entre leurs jambes
Va-t-il arriver à s’en sortir ?
A-t-il encore le souffle
Du lutteur ou du coureur
Ou s’épuise-t-il sans fin ?
Ils le guettent sur la plage
Ils savent qu’il viendra
Savourer sa victoire
Dans l’eau bénie des mers
Pourtant il ne vint pas
Il se glissa dans le tuyau
De l’infamie, discrètement
Jusqu’à disparaître de leur vue
Où donc est l’artiste
Qui s’est moqué de nous ?
Comment croire un instant
Qu’il sait tenir un crayon ?
Non, il n’a rien dessiné
Que quatre traits et un rond
Qui forment la seule forme
Digne d’être contemplée
Ainsi naquit en un seul jour
Par distraction ou crainte
Le trait de génie
De l’abstrait pur et simple
© Loup Francart
07:23 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
20/09/2014
Jeu
Hier, il a rechaussé les lunettes de l’enfance. Mieux, il a repris les attitudes et même le comportement d’un enfant. Il était libéré et asservi tout à la fois : libéré de toute réminiscence d’adulte (le poids de la responsabilité en particulier) et asservi à la volonté d’un autre pour entrer dans le jeu. Il a retrouvé en un instant cette âme d’un gamin de cinq ans avec son immédiateté et ses émotions. Ils sont partis, une petite fille de cinq ans, vive et autoritaire, un garçon de quatre ans, encore un peu pataud, les joues rondes, les cheveux poils de carotte, et lui-même garçon sans âge, plus petit qu’elle qui voulait commander. Cet instinct de l’autorité est quelque chose d’inné. Peut-être ne restera-t-il rien plus tard, lorsqu’elle atteindra l’âge de raison ou l’adolescence ou encore l’âge adulte. Mais aujourd’hui, elle est à son affaire.
Ils sont sortis du domaine de référence, le jardin aux murs clos pour explorer une jungle située à dix mètres, mais perdue dans un inextricable encombrement de végétation. L’avant-veille, une équipe de la ville était venue faucher l’espace municipal envahi d’herbes et de branchages. Ceux-ci étaient encore à terre, feuilles fanées, tiges cassées, fruits écrasés. Ayant franchi cet obstacle à petits pas incertains, ils arrivèrent près du lit du ruisseau, peu fourni en eau, empli de déchets végétaux amenés par la pluie d’orage de la veille. Ils se glissèrent sous les branches et mirent les pieds dans l’eau, marchant sur les cailloux, sautant de rocher en rocher avant de s’arrêter devant un mur d’épines qui bloquait le passage. Ordre du chef : demi-tour, nous recherchons un autre passage. L’obligation de respecter l’ordre de préséance, la fille, le garçon et l’adulte (eh, oui !), les contraignit à une volte-face complexe qui faillit bien les mouiller en entier.
Retour à l’espace aplani. Ils en profitèrent pour prendre des bâtons tout coupés, le plus gros revenant à la reine Cléopâtre, le plus petit au premier guerrier, le moyen au second. Cléopâtre ouvrait la marche, d’un air digne, avec sérieux, exigeant d’eux de marcher presqu’au pas. Devenue reine, elle estimait que chacun devait se conduire en serviteur. Il fallait porter son arme tantôt à droite, tantôt à gauche, avec assurance et détermination. Retour au jardin. Cette fois-ci, ils passent par-dessus le grillage et ils s’engagent dans le petit bois qui descend vers le ruisseau. Seuls quelques lapins doivent emprunter le trajet étroit et couvert de branches en hauteur. La reine exigea qu’on lui ouvre le passage afin de ne pas avoir à se baisser. Ce qui fut fait.
Qu’en retenir ? Certains enfants ont foi en eux-mêmes. Ils ont des idées, ils les mettent en scène et grandissent de leurs caprices. D’autres suivent, s’amusent sans sérieux et n’acceptent l’autorité d’un seul qu’à condition qu’il satisfasse leur vision du monde. Ainsi s’oppose le jeu sérieux et le jeu tout court. Pour les uns, ils mettent leur vie en jeu. Pour les autres, ils passent un bon moment et c’est tout.
07:47 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jeu, société, enfant, comportement | Imprimer
19/09/2014
La comète
Surgie de nulle part, elle fond sur vous et vous emporte en d’autres lieux, loin de l’agitation. Elle erre sans bruit ni discorde et peuple votre esprit de gracieux empilements qui chatouillent les yeux et caressent votre amour de l’ordre. Elle file pourtant à des milliers de kilomètres par heure. Mais rien n’altère ses formes idéales, immuables, car c’est dans l’esprit qu’elle voyage en tant que modèle sans réelle consistance.
07:34 Publié dans 22. Créations numériques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art cinétique, optique art, peinture, dessin numérique | Imprimer
18/09/2014
La vie et le multiple
Assis devant sa table de travail, il ne sait que faire. Elle est jonchée de papiers et chacun d’eux est un morceau d’être : des cartes de visite à l’image de leur propriétaire, la présentation d’une exposition, les fils des nombreux appareils permettant de rester en contact avec le monde, des dossiers, une statuette africaine, un étui à lunettes et beaucoup d’autres choses encore.
La vie est semblable à cette multiplicité. Le plus souvent nous sommes fixés sur un but et ne voyons plus cette multitude inopportune. Mais si nous fouillons dans les poubelles, nous comprenons comment nous fonctionnons. D’ordinaire, nous rejetons ce qui ne nous intéresse pas. Parfois aussi, nous rejetons ce qui nous intéresse et que nous avons accumulé. C’est le grand ménage.
Alors la vie passe devant nous, nous la contemplons, nous lui disons adieu et nous ouvrons les yeux sur un monde nouveau.
07:02 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, humain, habitude, déchet | Imprimer
17/09/2014
Perte
Quelle perte ! Rien n’égale cette disparition
Qu’avait-il besoin de partir en toute liberté
Et de laisser derrière lui la porte ouverte
Les objets se sont envolés, en rangs serrés
Sans autre forme de procès que leur adieu
Et le vide laissé derrière eux, gonflé d’air
Empli de senteur molle de putréfaction
Laisse un goût de défaite sur la corde à linge
Toujours tendue entre les colonnes vertes
Soutenant le balcon du premier étage
Oui, c’est la perte de notre identité
Le reproche toujours vif des petits chefs
Qui cherchent encore à assurer leur pouvoir
Sur les gens, insensibles à leurs cris
Gonflés de prétention absurde et voyante
Les papiers de reconnaissance citoyenne
N’existent que pour maîtriser
Les aller et retour des mouvements de la vie
Au-delà d’une obéissance apparente
Il est parti sans rien laisser et rien prendre
Le vide s’est installé. Les bras tendus
Il erre dans le temple de la sagesse
A la recherche de l’’inconnu ailé
Qui parfois lui prend la main et l’emmène
Si loin qu’il se dissout dans le cosmos
Qui n’est que la prison de l’existence
De l’autre côté, le calme sans nom
De l’absence, du repos préparé et conquis
Sur les ans qui s’étirent comme un élastique
Et rompent le destin inachevé de chacun
Pour revêtir l’uniforme des mortels
© Loup Francart
07:14 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
16/09/2014
Le clavecin bien tempéré livre 1, interprété par Frank Wasser
Entrée dans l’église Saint Mery, à proximité du Centre Georges Pompidou. Elle est quasiment invisible, entourée d’une barrière de planches. On procède à sa toilette et elle se cache derrière le paravent. Aussi entre-t-on par une porte dérobée, sur le côté. Les auditeurs sont tous là, déjà. Assis en rond autour du piano qui trône seul dans la nef, grand ouvert, mais silencieux, en attente, se laissant regarder dans son vêtement noir de concert, prêt à faire résonner ses cordes. Le maître arrive enfin du noir qui règne derrière les spectateurs. Il surgit souriant, décontracté semble-t-il. Mais son salut profond, révérencieux, est néanmoins quelque peu crispé. Normal. Avant les premières notes, il y a toujours une petite inquiétude ou même simplement un pincement du cœur qui cesse vite dès que les doigts commence à courir sur le clavier. Progressivement, le pianiste se détend, s’engage dans la musique, se laisse immerger dans les sons que ses doigts, ses mains, ses bras, son buste, son corps tout entier propagent dans l’air. Ils rebondissent sur les colonnes, s’enlacent sur les volutes des clés de voûte et pénètrent dans les oreilles en miasmes enchantés. Les malades commencent à être atteints : ils ferment les yeux, laissent aller leur tête, battent la mesure du bout des doigts, et semblent pris d’une fièvre alanguie. Pas un bruit, même le son du piano semble silencieux, avec une qualité d’écoute telle que l’on n’entend plus que la pulsation du prélude et fugue n°1 BWV 846.
Chaque pianiste se targue de le jouer à sa manière. Profondément, lentement, rondement pourrait-on dire, à la manière d’Alexander Paskanov, comme dans un œuf, laissant les sons tourner en boule autour de la coquille qui finit par vibrer fortement, puis revient à ce léger tremblement qui l’avait d’abord ébranlé. Lentement également, à la manière de Glenn Gould (encore qu’il ait eu plusieurs manières de jouer le prélude), qui fait vibrer la résonnance de la main de la main gauche et pique les quatre dernières notes avec, en arrière fond, sa chansonnette si caricaturale qui donne une vie unique à son jeu. Plus rapidement, en écho, à la manière Richter, en accentuant la première note de la montée des notes de la mélodie, rajoutant un chant derrière la mélodie principale, comme un arrière fond de regret ou de nostalgie qui donne au prélude une profondeur assez inusité. Ou encore à la manière Maurizio Pollini, détachant chaque note, accentuant les deux dernières notes de la phrase mélodique, introduisant un rythme et une sonorité différente, plus distincte, mais également plus liée.
Mais peut-être est-ce tout simplement l’attention que chaque auditeur porte au déroulement de la phrase qui lui donne ces différences d’interprétation, l’interprète ne faisant que suggérer une attention nouvelle de la part de la salle qui connaît bien sûr le morceau par cœur. Alors, on se laisse bercer, on laisse se créer une échelle entre la terre et le ciel par cette montée des notes sans cesse renouvelée et on part dans cette délicieuse absence de pensée, tout entier vibrant de la relation entre les deux mondes, celui des sons et celui, plus subtil, des émotions engendrées, propres à chacun.
Oui, c'est vrai, je n'ai rien dit de la prestation de Franck Wasser. N'ayant pas trouvé son interprétation du clavecin bien tempéré, je me suis laissé aller à d'autres considérations. Mais est-ce si important?
07:25 Publié dans 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, piano, bach, prélude et fugue n°1 | Imprimer
15/09/2014
L'insaisissable
Dieu : plus l’on s’en approche, plus il s’éloigne et devient insaisissable. Plus l’on s’en éloigne, plus il se manifeste indirectement, par des clins d’œil dans la vie quotidienne que l’on ne perçoit pas la plupart du temps. Il est là et rien ne me touche plus que son absence dans mes pensées. Comment l’approcher ? Par la raison, mais celle-ci n’est pas à la hauteur ; par les sentiments, mais ceux-ci sont évanescents ; par les sens, mais comme ils savent tromper l’homme.
Dieu : tout et rien, selon les humains, dans le même temps, dans le même espace ou sans temps, ni espace. Qu’est-il ? Nul ne le sait. Il est à l’origine de tout, mais est autre que notre tout. Il ne se manifeste pas à nos sens, mais parfois prend leur place. Dieu c’est la musique de l’âme, l’archet de notre existence, le poil à gratter de notre autosatisfaction.
Vide-toi de toi-même, il viendra comme un parfum inconnu qui te bercera dans un amour inexplorable. Mais surtout ne cherche pas le garder, souris-lui sans rien vouloir d’autre.
07:38 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dieu, tout, religion | Imprimer
14/09/2014
Chroniques enfantines, récits de Nathalie Bouvy (Edilivre 2014)
Ce sont des moments épars dans la vie d’une jeune enfant ou même des sensations, des impressions sans suite, des instants d’émotion dans la fuite du temps et des souvenirs. On saisit les incompréhensions des grandes personnes devant ces récits sans rationalité, mais également celles de la petite fille qui s’exprime. Pourquoi tel adulte se comporte-t-il ainsi ? Pourquoi fait-il semblant de ne pas ressentir ce qu’elle même ressent ? Mystère des grandes personnes à l’opposé de la transparence enfantine.
Elle fait des visites à une multitude de tantes. Elles sont vieilles pour la plupart, majestueuses de dignité, dans de grandes maisons cirées, pleines de beaux meubles. L’enfant n’en retire que de petites impressions, le bonbon dans la coupe de verre, les bas mal tourbichonnés de l’une d’entre elles, l’odeur de la vieillesse.
Souvenirs… Souvenirs : Le poêle abandonné sous un auvent qui a aiguisé sa curiosité et fait frémir les grandes personnes. L’autre petite fille, également en barboteuse, avec laquelle elle n’a jamais joué, mais qui la fascine au-delà du talus raide fraîchement biné et parsemé de plantes et arbustes piquants les jambes nues. Les convenances du divan vers lequel elle avance à quatre pattes : dans mon souvenir, le divan est en arc-de-cercle. En passant devant les dames, mon regard arrive juste à hauteur de leurs genoux. J’aime observer leurs boucles d’oreilles et leurs belles robes. Je regarde aussi entre leurs jambes qui se referment brusquement comme les pages d’un livre. J’avance un peu plus vite pour voir si mon regard a bien cet effet inattendu. Les genoux se resserrent rapidement, instinctivement, impulsivement comme si ils se recollaient. Le cadeau de Monsieur Bertholet : une guêpe-cendrier en cuivre. J’étais émerveillée par le cadeau et par l’objet. On pouvait soulever les ailes de la guêpe et on découvrait son ventre creux. Ce fut mon premier cadeau de grande personne, car ce n’était pas un jouet. J’en étais très fière.
Des réminiscences précises dans leurs sensations, auréolées du flou du contexte de l’enfance. Le toucher d’un objet, sa dangerosité, les désirs d’une petite fille, sa lucidité devant les adultes, mais toujours environnée du brouillard d’une réalité ressentie ou inversement de récits racontés plus tard par les uns ou les autres. Les deux sont désormais liés dans la cage des souvenances à n’ouvrir qu'en cas de spleen.
07:41 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture, souvenirs, société, enfant | Imprimer
13/09/2014
L’art du phare
D’une part, elle fait la part du feu ;
D’autre part, elle lui fait la part belle.
Mais de quelle part parle-t-on ?
S’agit-il du départ de Gaspard,
L’homme-léopard fumant des boyards
Et courant d’un air égrillard
Vers d’anciens Louis-Philippards
Pour, gaillardement, leur faire part
Des gares éparses de Montbéliard.
Il se déclare grenouillard
Et tente comme les braillards
De s’en prendre aux Magyars.
Participer c’est prendre part,
Avec quel écart, au rempart
De la plupart des salopards,
De tristes vieillards en retard,
Errant dans le brouillard
Et guettant le nasillard renard
Avec l’art d’un franchouillard.
Sans art et sans antibrouillard,
Elle s’empare de milliards
Et se pare de rondouillards gaillards
Pour noyer son cafard
Dans le lupanar de Kandjar.
Mais elle repart vers le corbillard
Qu’elle déclare vasouillard.
Par quel hasard la bagarre
Barre-t-elle aux scribouillards
Le départ du tortillard ?
Ah, la plus grande part
Des pillards accaparent
Le billard qui effare
Le regard des paillards.
Où part-il ce canard
Qui s’autodéclare débrouillard ?
Départ hasardeux des chevillards
Vers une partie de colin-maillard.
Fini, je le déclare, ce retard
Des couards qui s’effarent
Des déboires sans espoir.
Edouard le bavard, tais-toi !
© Loup Francart
07:22 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
12/09/2014
Jean Arcelin, un peintre aérien
Peintre franco-suisse, Jean Arcelin aime le flou et la blancheur qui donne à chacun de ses tableaux un mystère difficile à saisir. On admire la toile et au bout d’un moment on se sent glisser dans l’image comme sur un lac avec les patins aux pieds et l’on s’engouffre dans une rupture du paysage pour se retrouver entouré de rêves blancs et irréels qui font frissonner les poils de vos jambes.
Vous vous trouvez en bord de mer dans cette villa vétuste, secoué par les vents après la pluie qui a balayé le sol
Un instant plus tard vous ouvrez les yeux sur l’inconnu : noyade dans l’océan au bout d’un jardin qui sent la pourriture de végétaux jeté dans un coin.
L’océan toujours qui frappe inlassablement la falaise en semblant défier le logis cramponné dans sa verdure.
Une vague, une seule, et vous naviguez sur les mers du Sud à la recherche de vous-même sous un ciel incertain. Qu’y a-t-il derrière ?
Un peu de repos dans ce rêve délirant de blancheur. Mais le blanc est là, toujours présent, inséré dans les feuilles de papier de l’écrivain raté.
Ce peintre expose actuellement à la galerie 26, 26 place des Vosges 75003 Paris. Allez-y et laisser vous entraîner dans ses rêves pleins de délices.
07:15 Publié dans 21. Impressions picturales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peinture, romantisme, exposition | Imprimer
11/09/2014
Courir la nuit
Courir la nuit laisse toujours un arrière-goût d’enchantement. Il ne naît pas du fait que l’on ne voit pas ses pieds, mais du fait que l’on se situe difficilement dans l’espace. Même sensation que lorsqu’on prend une douche les yeux fermés et que l’on se tient sur un pied pour savonner l’autre enfermé dans la boite de projection de l’eau. Où suis-je ? Il vous arrive de croisez quelques spectres qui, comme vous, au lieu de compter les moutons dans leur lit se détendent en courant. Mais ils glissent à la surface de votre perception et disparaissent de votre mémoire à la vitesse d’un écureuil. Alors vous courrez seul, sans maître ni esclave, dans le noir, le gris, sans couleur, sans chaleur, mais avec verdeur et entrain. Vous aimez le bruit des semelles plates de vos chaussures ultralégères, à tel point que vous vous demandez parfois, dans le noir, si vous n’avez pas oublié de les chausser. Sans cesser de courir, en ralentissant un peu, vous tâtez un de vos pieds et vous avez l’impression d’être les pieds dans la glaise. Ce ne sont que vos chaussures.
Vous repartez en vous essuyant dans votre maillot qui déjà retient votre transpiration. C’est le moment où vous laissez aller votre imagination. Elle démarre seule, puis vous rejoint en vous entraînant dans une ronde folle bien que vous ne courrez pas si vite que cela. Elle vous précède toujours. Dans un coin plus obscur que les autres, vous tendez les bras en avant pour vous protéger de chocs ou de rencontre avec de mauvaises idées. Mais elles s’écartent, vous laissent passer en vous saluant d’une main. La foule s’intensifie. Vous reconnaissez même des gens connus : votre ancien professeur, le chat de la voisine, le boucher dont le couteau est engagé dans la ceinture, le juste qui fredonne sa chanson sans parole. Vous vous dégagez en douceur pour poursuivre votre course folle entre les maisons, les voitures, évitant les arbres et les déjections de chiens. Vous souriez de cette fin de nuit aussi belle que le lever du jour qui commence à poindre. Vous distinguez quelques couleurs : jaune léger, vert pomme, bleu marine. Vous voici près de la basilique de Montmartre, comment y êtes-vous monté, vous ne le savez plus, engourdi dans vos pensées qui vous engluent comme une chrysalide et restreignent vos foulées. Allez, vous avez bien mérité une petite pause ! Vous poursuivez en marchant, respirant l’air du matin, frais, désaltérant comme une eau de source. Vous ouvrez les yeux sur la danse sociale de chaque matinée : saluts empressés du boucher à la boulangère, bruits assourdissants de la poubelle sortie par la concierge, miaulement du chat du quartier, le blanc que l’on commence à entrevoir dans la légère lueur de l’aube. Vous dépassez le balayeur qui agite ses poils de plastique au bout du manche et repousse vers le filet d’eau les quelques papiers poussés par le vent. Vous arrivez à la limite que vous vous êtes fixé. Alors vous faites demi-tour en tournant trois fois autour de l’arbre. Ah, aujourd’hui j’ai failli repartir dans l’autre sens, prolongeant ma promenade. La rue s’éclaire, les voitures commencent à encombrer la chaussée. Cela se sent, car vous ne courrez pas avec le masque des japonais comme des chirurgiens empressés de se rendre au travail. Ce n’est pas le brouillard de Tokyo, mais l’odeur spécifique de la civilisation qui s’éveille et commence sa ronde qui va durer la journée, en attendant la nuit qui calmera les ardeurs (ou les libérera).
Ce matin est un jour comme les autres. Il a commencé tôt, peut-être un peu trop. Mais quel bonheur que ces matins seul dans la nuit, les yeux écarquillés, courant après son imagination sans jamais arriver à la rattraper. Peut-être que par un mouvement inverse, le jour où j’arrêterai de courir, elle restera près de moi.
07:25 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : noir, course, impression, folie | Imprimer