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16/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 4)

J’entendis une voix sûre d’elle, ronde, élégante mais pas recherchée, incisive aussi, une voix peu ordinaire parce qu’elle utilise la résonance de la poitrine de façon naturelle. Elle me plut aussitôt. Allez dire pourquoi ! Il entra le premier suivi de Mathias. Il était grand, pas trop, un mètre quatre-vingt au plus, mais il se tenait droit ce qui augmentait cette impression de grandeur. Je ne sais si vous l’avez remarqué, mais généralement les gens assez grands se tiennent un peu courbés pour se mettre à la portée des autres. Lui rayonnait de sa hauteur, sans aucune gêne.

Les présentations faites, nous nous assîmes autour de la table basse, et Mathias, beau parleur, expliqua les raisons de notre intérêt pour ses travaux. Il écoutait tranquillement, l’air calme et reposé, approuvant parfois d’un hochement de tête, s’étonnant d’une mimique des sourcils, s’interrogeant d’un écarquillement des yeux. Il avait une tête puissante, presque ronde, les cheveux en bataille, le cou assez épais. Mais cette morphologie ne l’empêchait pas d’être très mobile, très expressive, à la manière d’un oiseau de proie, regardant sur plusieurs côtés en même temps, rapidement, attentivement. Une tête captivante avec un sourire rare, mais ouvert. Cependant, en réponse à une explication maladroite de Mathias, il marqua sa réprobation d’une manière sans doute exagérée, trop franche et trop brusque. Attention, ne pas trop se frotter à sa réprobation, me dis-je. Mathias le comprit et conclut assez rapidement ses explications difficiles et quelque peu embrouillées.

Le hacker ne fit aucune allusion à ce discours. Il expliqua comment il était « entré en hack », c’était son expression, comme on entre en religion.

– Le hack est une manipulation permettant de contourner un problème, une sorte de bricolage qui sépare des blocs d’écriture et les réorganise de façon à créer une nouvelle cohérence qui permet de faire fonctionner le système même s’il est protégé. Je me suis toujours intéressé à l’écriture mathématique. Lorsque j’étais enfant, je réfléchissais déjà à l’agencement des nombres et plus particulièrement aux paradoxes qu’ils contiennent. Vous connaissez bien sûr cette phrase de Bertrand Russel : « Les mathématiques sont la seule science où on ne sait pas de quoi on parle, ni si ce qu'on dit est vrai. » J’aimais cette ambiguïté des mathématiques. Dans le même temps les nombres sont le moyen de cerner la réalité d’une manière particulièrement efficace, mille fois plus que les paroles. Ils rendent compte des caractéristiques de chaque objet, voire de chaque concept, mais également de leur rapport avec les autres choses. D’ailleurs les nombres sont les seuls mots de la langue française à avoir deux écritures : lettres et chiffres. Cela montre bien leur ambiguïté. Progressivement, à force de manipuler les nombres, je me suis passionné pour les bases de numération : pourquoi d’autres, tels les Anglais, comptaient dans leur monnaie sur une base de douze chiffres? Pourquoi le temps se compte de 60 en 60 ? Qu’est-ce que la numérotation binaire ? Pourquoi les ordinateurs ne comptent qu'avec deux chiffres?

En une prise de parole, il était entré dans nos interrogations, l’air de rien, parlant de ses souvenirs d’enfance. Il semblait très en avance sur nous dans ces réflexions. L’œil de mon ami Mathias brillait. Il était tout ouï. Pourtant, rien ne se passa comme il l’espérait. Il s’attendait à un discours explicatif donnant des pistes de réflexion, voire des solutions aux questions que nous nous posions. Mais progressivement, le hacker se mit à s’interroger comme s’il était seul en face de ce problème. Il nous oubliait. Son discours devient une péroraison intérieure à laquelle il était difficile d’adhérer par manque de compréhension.

La dualité a toujours été présente dans la pensée humaine. Pourtant il lui fallut du temps pour s’imposer dans les mathématiques. Joseph Diaz Gergonne, après Poncelet, s’est intéressé à la géométrie projective qui étudie les propriétés des figures qui sont stables par projection. Très vite, la dualité apparut dans de nombreuses disciplines mathématiques. Elle se développa d'abord en géométrie, puis en algèbre, en analyse fonctionnelle, en théorie des graphes. La dualité dépasse d’ailleurs les mathématiques. Elle entre en jeu dans la philosophie. Elle indique une duplicité dans laquelle les deux éléments de correspondent et se complémentent. Pire même, certains philosophes, ou peut-être mystiques, pensent que les contraires se rejoignent en un certain point, ou certain plan, changeant ainsi la face du monde.

Il poursuivit pendant un quart d’heure, mais tous avait décroché, malgré une attention éperdue. Lorsqu’il s’arrêta, ils n’eurent aucune question à poser. Ils étaient abasourdis, la mâchoire décrochée, l’œil vide, le cerveau sans aucun circuit neuronique activé. Il les regarda, compris qu’il s’était laissé aller, s’excusa et leur proposa d’en reparler de manière plus approfondie. Leur dialogue, qui fut un monologue, en resta là. Ils échangèrent des banalités, se serrèrent la main chaleureusement et se donnèrent rendez-vous la semaine suivante. Après son départ, Mathias se contenta de dire :

– C’est vraiment un être supérieur. Je n’ai rien compris à sa démonstration ou plutôt ses raisonnements. Mais il a dès le départ enregistré notre problème, celui de la dualité. Ce n’est certes pas l’explication finale et ne conduit pas directement à la découverte d’un nouveau nombre, mais c’est une approche originale prometteuse.  

15/07/2015

Portes (2)

Comme un bonbon offert d’une main secourable, elle reluit de ses feux d’un bleu profond et lisse. On a envie de goûter ses parois acidulées, de sentir ses fleurs stylisées, de lécher son digicode doré. C’est un porche de cinéma, fait de carton-pâte, digne d’un Hollywood parisien. Heureux les habitants de cet immeuble, ils entrent chaque jour au paradis, les yeux exorbités, la main caressante, le corps parcouru d’une envie d’aimer.

Celle-ci a la tendresse de la Provence. C’est un coin rafraichissant, un havre de paix, rond de froideur dans lequel on fait une halte doucereuse qui lave le corps de ses gouttelettes de transpiration naissantes. Vous avez envie de rester… Là… tranquillement… Mais il faut bien repartir… Allons, un peu de courage… Vous êtes requinqué. Adieu, fraicheur… Êtes-vous allés voir derrière l’entrée ce rond de lumière débordant de promesse ?

Elle était belle et majestueuse, ornée de pierres sculptées, de femmes et d’enfants portant sur leurs épaules le poids de la société. La fenêtre veillait gentiment sur le sommeil de ses habitants, vigie aux commandes du navire lancé en pleine mer comme un aveugle dans l’éclairage du matin. Se réfugier là, ouvrir la porte, pénétrer dans l’obscurité du porche, et attendre que le soir vous prenne dans ses rêves. Vous êtes la marquise, le valet de pied, le facteur, le visiteur… Peu importe, vous êtes entré dans l’histoire, par cette porte qui pourtant mériterait bien un coup de peinture.

14/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 3)

 Dans mon lit, je me suis longuement retourné. Et si réellement on trouvait une piste ? J’étais profondément excité. Je me suis relevé à un moment pour vérifier sur Internet ce que mon ami entendait par hacker. Je découvris qu’un hacker est une personne qui cherche à comprend et qui comprend même, de façon approfondie, le fonctionnement interne d’un système. C’est un passionné, un peu comme l'étaient les radio-amateurs il y a quelques dizaines d'années. Ce sont eux qui ont créé l’Internet. Leur savoir-faire s’enrichit chaque jour dans des domaines comme la programmation, la sécurité informatique, l’administration d’un système ou de réseau, et même l’architecture matérielle d’un ordinateur. Un hacker n’a rien à voir avec les crackers qui agissent illégalement et de manière malveillante. En fait le hacker est un bidouilleur de première classe pour qui toute informatique est libre par nature. Son but : créer une prouesse informatique, seule hiérarchie dans leur monde. Cette explication me permit de faire connaissance avec un hacker et d’envisager une collaboration.

 Lydie, ma femme, à qui j’avais raconté ma rencontre avec l’informaticien, me dit :

 – Prends garde. La passion conduit à bien des erreurs et détruit de nombreux couples. Ne te laisse pas prendre aux pièges de la connaissance. Elle est à l’opposé de l’action, c’est-à-dire de la vie. La connaissance c’est l’infini, l’action c’est le zéro.

 En une phrase bien sentie, elle avait résumé le problème. On peut toujours penser  à une infinité de sujets, même les plus irrationnels et les plus impossibles. Mais on ne pourra jamais faire des actions contraires aux lois de l’univers. Le zéro est contraint par le un, voire par les millions de zéro plus un chiffre avant le 1. Il se heurte à l’entendement d’un chiffre pour exprimer sa puissance. Sans le un, le zéro n’existe pas, seul l’infini peut encore exister.

 Quelques jours plus tard, je reçu un coup de téléphone. C’était mon ami l’informaticien, Mathias de son prénom.

 – Il est disponible demain.

 – Qui ?

 – Mais le hacker dont nous avons parlé l’autre jour. Il est décidé à vous rencontrer. Il ne sait pas exactement pourquoi, mais il faut en profiter, car il peut rester plus de quinze jours sans voir quelqu’un.

 Nous avons pris rendez-vous pour le lendemain. Mathias semblait aussi impatience que moi. J’arrivai chez lui avec dix minutes d’avance. Il habitait une sorte de studio en haut d’un immeuble dans le 5ème arrondissement. Il était encombré d’écran, d’appareils, de haut-parleurs  et tout baignait dans une lueur vert pomme que procuraient les boutons ornant certains instruments. Il avait cependant aménagé dans un coin une sorte de petit salon avec un canapé, deux fauteuils et une table basse. Il m’y entraîna, me fit assoir et prit la précaution de m’expliquer ce qu’il ne convenait pas de dire en sa présence. Par exemple, le terme « incompréhensible » le met dans une rage qui lui coupe tous ses moyens. Alors, à éviter. De même, le terme « chercheur ». Il ne peut pas les voir. D’après lui, ils ne font que chercher, mais ils ne trouvent jamais. Ce sont des interrogateurs, mais pas des résolveurs. Ils laissent leur esprit rêver dans un monde confus et volontairement compliqué et se perdent dans des raisonnements tordus qui ne mènent nullement part. Parfois, l’un d’eux trouve quelque chose. C’est la gloire. Il met un habit de soirée, monte sur une estrade, reçoit un objet en or devant un parterre d’applaudisseurs et fait l’objet de nombreux articles de journaux vantant son intelligence, son ouverture d’esprit, son agilité naturelle. Mais la plupart du temps, ils finissent directeur de recherche, un poste administratif qui lui retire toute faculté de penser. Tout alors est lié aux chiffres. Combien coûte tel appareil, combien faut-il engager de chercheurs, combien de temps faut-il pour avoir l’espoir de…

 – Un vrai hacker ne compte que sur lui, me dit Mathias. Il se met face à un problème, se fait une réserve de sandwichs et de bières, ferme sa porte à clé et commence à réfléchir. Cela peut durer plusieurs jours, parfois même plusieurs semaines. Il ne dormira pratiquement pas pendant ces jours de concentration. Sa machine intellectuelle fonctionne à plein régime. Il émet des hypothèses, les vérifie, les écarte jusqu’à ce que l’une d’entre elles se révèle prometteuse. Il approche, presque, il redouble de réflexion. Jamais une impatience, l’expression d’un manque d’aide ou une vielle résurgence envers la société. Le hacker n’a…

La sonnerie de la porte d’entrée émit un bruit bizarre, comme le couinement d’un lapin qui se fait prendre la patte dans un piège. Mathias se leva : 

– Le voici. Je suis impatient.

13/07/2015

Pourquoi ?

Dis Maman, pourquoi les canards ont des plumes ?
Dis Maman, pourquoi n’ai-je pas des écailles ?
Dis Maman, pourquoi les singes sont poilus ?

Dis Papa, pourquoi les étoiles sont brillantes ?
Dis Papa, pourquoi le jour se lève ?
Dis Papa, pourquoi la nuit est noire ?

Que de questions se bousculent dans sa bouche
Que d’interrogations devant le monde
Que d’étonnement dans ce qui est naturel

Combien les adultes sont heureux et fiers
De ne plus se poser ces questions
Ils en rient entre eux, moqueurs

Ils ont perdu leur innocence
Ils n’ont plus l’esprit curieux
Mais... Pourquoi ne s'émerveillent-ils plus ?

©  Loup Francart

12/07/2015

Communication (2 et fin)

Mais allons plus loin et cherchons à en connaître plus sur la communication de tout un chacun. On constate que les règles utilisées sont assez différentes ce que l’on a énuméré plus haut.

* Transmettre signifie dire à l’autre qu’on existe. Peu importe qu’on ait quelque chose à dire ou non et peu importe si l’autre existe ou non. Ce qui compte, c’est ma volonté d’exister.

* Comme j’ai besoin d’exister, je transmets ce message plusieurs fois : Je ne sais à quelle heure nous arriverons à la gare, nous avons du retard… J’arrive dans cinq minutes… On entre dans la gare… Je suis sur le quai… Je ne te vois pas… Ah, je te vois… Ils continuent à se téléphoner alors qu’ils sont à deux mètres l’un de l’autre et ils se serrent la main tout en tenant leur téléphone portable contre leur oreille.

* Si les échanges ont lieu en SMS, sigle bien connu dont la traduction est ignorée le plus souvent (Short Message Service), encore appelé texto, il faut un diplôme pour comprendre ce qu’il signifie. L’objectif premier du langage SMS était soit d’en accélérer la saisie, soit d’en réduire la longueur. Bjr sava ?koi 2 9. N’entrons pas plus dans le détail. Je n’ai pas le diplôme.

* Cette communication n’a que peu de nuance. Elle impose sa personne et demande l’acquiescement. RDV à XX. Tu peux ? (je rajoute le point d’interrogation qui n’est jamais écrit ou même rendu par l’intonation).

* Quant aux explications, elles sont définitivement bannies de la communication. La première qualité d'une bonne communication est sa brièveté. Alors expliquer, que nenni !

* Quelques arguments fallacieux peuvent cependant être servis : la majorité des Français pensent que… Cette majorité proclamée ne vient pas d’un sondage, mais cela fait sérieux et renforce le message sans aucune preuve.

Là aussi, cessons d’argumenter.

Il importe cependant de faire une remarque. La communication permettait auparavant de justifier les décisions. Dorénavant, elle est première et les remplace. Celles-ci ne sont plus là pour être effectives. Les décisions sont là pour communiquer, dire que l’on fait quelque chose, et non pour agir dans le concret. On crée ainsi des décisions qui n’en sont pas, uniquement pour avoir quelque chose à dire, pour entretenir la communication, pour la restaurer. Oui, la communication a pris le pas sur la décision. Elle règne en maître sur la politique, sur l’administration, sur chaque ministère, sur chaque grande entreprise, voire même sur chaque association, chaque artiste, auteur, etc. Des communicants se proposent. Ils n’ont rien à dire, mais ils savent comment le dire. Ils ont leur mot à eux, leur savoir-faire tel que Like. Ils vous contraignent à cliquer et si vous refusez, vous êtes bannis du message. Avant même de vous dire quelque chose, il vous demande de vous inscrire, de donner votre mail, d’enrichir leur base de données qu’ils revendront au plus offrant. La communication crée de la richesse. Mais sur quoi ?

Certainement pas sur le message. Il n’y a plus de message. Rien de construit, d’intéressant (il faut se mettre à la portée de tous). Rien qui vous permette de vous enrichir l’âme. Celle-ci n’existe pas.

Seul existe le réel, c’est-à-dire la communication. Elle fait tourner le monde et tous ont le tournis. Ceux qui ne l’ont pas sont éjectés par la force centrifuge de la majorité démocratique et républicaine (deux arguments d’autorité incontestables et incontestés bien évidemment).

11/07/2015

Communication (1)

Si l’on s’en tient au dictionnaire, la communication est synonyme de transmission. Elle est message transmis à quelqu’un d’autre pour qu’il en prenne connaissance.

Cette définition incite à quelques déductions :

* Transmettre signifie échanger un message avec quelqu’un. Il semble donc que le message est bien le plus important. Si l’on n’a rien à dire, à quoi sert de communiquer.

* Ce message doit forcément apporter quelque chose de nouveau. La communi-cation ne devrait donc pas consister à transmettre sans cesse le même message ou à le redire d’une autre manière sans apporter quelque chose de nouveau.

* Ce message doit être intelligible, facilement compris par tous et exempt de fautes ou d’expressions incompréhensibles. Pourtant combien de nouvelles formules sont inventées chaque jour pour tromper ou dérouter le commun des mortels. Est-il par exemple plus communicateur de parler de Grexit que de sortie de la Grèce de la zone Euro ?

* Communiquer ne signifie pas imposer quelque chose à quelqu’un et encore moins le tromper. La vraie communication doit laisser libre l’interlocuteur et ne peut imposer une pensée unique et contester tout droit à ne pas adhérer. Elle s’accompagne donc d’un principe de liberté de pensée et d’expression. L’auditoire doit rester libre d’adhérer ou non à l’opinion qu’on lui propose.

* Il est donc important d’expliquer. On ne peut se contenter de dire ce que l’on prétend sans en donner de bonnes raisons de croire ce que l’on dit. Le message doit donc être argumenté.

* Argumenter, c’est chercher à faire adhérer par la raison sans contrainte. Ces explications ne peuvent être des arguments conservateurs qui s’appuient sur l’acquis, l’admis, le préalable et la tradition ou des arguments novateurs qui visent à reconstruire un cadre de référence, une nouvelle représentation.

* Les arguments fallacieux tels que l’étiquetage (racisme, homophobie, etc.), la généralisation séduisante (la vitesse tue, les riches doivent payer, etc.), l’argumentation sélective et bien d’autres types d’argumentations fallacieuses, ne permettent pas de communiquer. Elles brouillent la communication et la rendent inefficace.

Maintenant, abandonnons cette série de déductions. Trop expliquer peut également tuer la démonstration. Demandons-nous s’il s’agit réellement de cela aujourd’hui lorsqu’on nous parle de communication.

Prenons quelques exemples de la vie quotidienne.

Hier, comme à l’accoutumée, je me déplaçais en vélo dans Paris sur une piste cyclable clairement identifiée. Trois fois je dus m’arrêter parce qu’une personne, homme ou femme, était le nez dans son Smartphone, coupé totalement du monde réel, à mille lieux d’un carrefour où se croisent des véhicules divers dans tous les sens. La dernière personne, à qui je fis remarquer qu’elle avait un comportement irréfléchi, me fit signe qu’elle communiquait et que cette communication était bien plus importante que le reste. Le geste d’accompagnement de l’explication (une gestuelle de mains et bras mouvants au-dessus de la tête qui se finit par les deux mains tremblantes face à face avec sa tête au milieu tremblant également) suggérait la formation de nuages invisibles au-dessus de sa tête qui la pénétraient totalement.

Lorsqu’il vous arrive de prendre le métro, vous constatez qu’au moins 80 % des gens ne cessent de communiquer. Ils sont le nez (ou l’oreille) dans leur appareil, appuyant avec force doigts sur l’écran qui s’illumine en éclairs insolites et terrifiants pour ceux qui se contentent de regarder. Rien ne peut en distraire l’utilisateur. Vous pouvez essayer de lui poser une question. La première fois, vous n’êtes pas vu, donc pas entendu. La seconde fois, vous êtes vu, mais pas entendu. La troisième, après que votre interlocuteur ait sorti ses oreillettes de ses conduits auditifs, vous êtes vu, entendu, mais pas compris. Votre interlocuteur est dans son monde, si différent de ce que son corps vit au même moment. Alors il ne comprend pas ce qu’on lui veut. Enfin, la quatrième fois, après des instants d’hésitation lisibles dans ses yeux, il répond comme s’il avait entendu dès la première fois votre question. Pardonnez-lui… Il communiquait…

(suite demain)

10/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 2)

En effet. Cette histoire de zéro n’est pas tout à fait logique. Le zéro est une bascule ; il permet de passer de droite à gauche et inversement, comme il permet de passer du positif au négatif. Chaque chiffre est un point quantifiable. Le zéro est-il un chiffre ? C’est plutôt une zone d’ombre, un trou noir dans notre tête comme il y a des trous noirs dans l’univers. Cette zone d’ombre est difficile à cerner. A quel millionième de millionième appartient-il, avant le un ou avant le moins un ? Je n’ai pas de réponse. Mais si l’on va aux autres extrémités, le zéro voisine l’infini. Ne serait-il pas le jumeau de ce nombre qui n’est, non plus, pas un nombre.

Je me trouvais au jardin des Plantes. Il était neuf heures du matin, par un beau temps qui réjouissait la vue et les odeurs. Mais je ne voyais rien. Oui, je constatais que je devenait accro. Je sais que tous les passionnés sont accros. Je sais même que rien ne se fait de bon ou de bien dans l’univers sans un peu et même beaucoup de passion. Mais dans le même temps, j’avais toujours tenu pour fêlés les hommes ou les femmes qui n’avait, pour toute une vie, qu’un seul but dans un seul domaine, parfois risible. Ainsi ceux pour qui l’argent est tout. Peu importe la façon de le gagner et les compromis auxquels il vous entraîne. Ceux également pour qui la notoriété seule compte. Ils sont prêts à se compromettre pour un article dans un journal quelconque. Je vouais par contre une certaine admiration pour le terme « Renaissance man », utilisé aux Etats-Unis pour désigner les personnes cultivées dans de nombreux domaines et dont l’objectif est de se connaître soi-même. Mais quel travail cela demandait ! Certains jours, j’étais prêt à arrêter. De toute ma vie, je ne pourrai jamais acquérir ces connaissances et, encore moins, en faire une synthèse qui en vaille la peine. Alors, à quoi bon !

Pourtant je persistais, à côté d’autres passions : la plongée sous-marine, la théorie de la musique, la poésie, et bien d’autres encore. Je m’acharnais à entrer en connaissance avec l’univers. Bien vaste sujet, si vaste qu’il m’aspirait progressivement. J’étais comme une étoile naine, perdu dans l’immensité inconnue.  J’expliquais à l’informaticien cette énigme : transformer la dualité « Un – Zéro » en un nombre synthèse qui permettrait de passer d’un monde à l’autre et de revenir. Il me regarda un moment. Je voyais dans ses yeux l’affolement qu’introduisait cette idée. Il devait se demander si j’étais normal. Non, évidemment ! Mais les grandes découvertes ne proviennent-elles pas de personnes quelconques qui se posent des questions que personne de sérieux ne se pose. Après une minute de silence, il répondit :

– Sujet intéressant ! Mais sommes-nous assez avancés pour nous poser cette question ?

Une affirmation, une question en réponse à une question. Je veux de vraies réponses, moi ! Je le dis brutalement, peut-être trop, mais peu importe. J’avais déclenché un intérêt nouveau pour une question urgente. Et notre informaticien s’y plongea, jusqu’au cou.

Deux jours plus tard, il revint vers moi, me prit par le coude et m’entraîna vers la place de la Sorbonne. Il me fit assoir près de la fontaine et me dit, d’un ton de confidence :

– J’ai trouvé !

– Quoi donc ?

– pas encore le nombre. Mais un chemin probable qui doit y mener.

Mon esprit, alors à mille lieux de cette affaire, fut retourné en une seconde. Je le regardais attentivement. Il ne semblait pas se moquer de moi. Il était très sérieux, raisonnable et passionné lui aussi. Il commença à me donner des explications que j’eus beaucoup de mal à suivre et encore plus à comprendre. Aussi suis-je incapable de vous répéter son discours. Je fus néanmoins convaincu d’une avancée dans le domaine, légèrement certes, mais importante. Si j’avais bien compris, il s’agissait de trouver le mot qui réconcilie les opposés, ce que je savais déjà. Mais comment ? La nature de notre monde n’était-elle pas de fonctionner par paire d’opposition, voire, parfois, de conciliation, mais toujours par pair. Alors comment arriver, dans ce monde, à atteindre un nombre qui fonctionne seul, sans pair. Jusqu’à présent il n’y avait que le zéro et l’infini  qui fonctionnait ainsi. Le troisième nombre, l’irréalisable, méritait d’être découvert. Il devait faire la synthèse entre le un, premier des nombres, et le zéro, qui n’est pas réellement un nombre palpable. Ce nouveau nombre était-il possible, sous quelle forme ?

Nous parlions poussés par l’inspiration, l’imagination, la créativité. Nos cerveaux correspondaient sans perte de temps, en harmonie, bien huilés. C’était un plaisir. Mais nous n’avons pu avancer au-delà de ces quelques pauvres idées. Comment trouver ce court-circuit entre les oppositions ou les contraires, c’était toute la question ! Juste au moment de nous quitter, il me dit :

– Je connais un hacker spécial. C’est lui le chemin. Il fait des trucs incroyables. Je l’ai connu grâce à mon fils qui est également informaticien. Je vous le présenterai un jour, prochainement.

09/07/2015

Sommeil

L’air reste lourd, chargé de poussières.
Une à une, les voitures passent.
Puis un silence... A nouveau...
Un bourdonnement imperceptible
Qui grandit jusqu’au hoquet ombrageux
De son passage au bout de la rue.
Là... Elle est passée... Plus rien…
Et, encore, le bourdonnement,
Comme une étrange horloge
Pénétrant sournoisement dans notre univers.
Un bruit de vagues sur la plage
Rythmé par le feu rouge passant au vert
Situé plus en arrière, maître de ces intermittences.
Et maintenant, j’attends…
J’attends que revienne l’entendement
D’une situation si quotidienne
Qu’elle procure un engourdissement naturel.
Les pensées se brouillent dans la voûte
Elles deviennent confuses.
Seul le bourdonnement les réveille.
Broo… â…âm. Je n’ai plus la force
De les écarter. Elles emplissent le noir
Et retombent à plat, sans préavis.
Tous marchent dessus.
Le trottoir est couvert de feuilles de papier
Emplies d’une écriture fine
Qui ne va jamais au bout d’une phrase.
Cela porte un poème, parait-il.
Des kilomètres qui ne s’arrêtent
Que lorsque les paupières closes
Immobilisent leur tremblement.
Plus d’image, plus de sons.
Quel étrange monde que celui du sommeil…

©  Loup Francart

08/07/2015

Journée européenne de l’opéra, le 7 mai 2010

 https://www.youtube.com/watch?v=NLjuGPBusxs#t=351

Quelle étrange et merveilleuse initiative que celle de l’opéra de Pampelune pour cette fête européenne de l’opéra. Le spectacle n’est plus sur la scène. Il est descendu vers les spectateurs, dans leur vie de tous les jours et cette vie quotidienne devient la scène, où se vivent des instants précieux, que l’on ne voit pas habituellement. Inversion des sensations, nous passons dans un monde où la musique devient la norme. Plus de paroles, des chants !

Depuis quelques temps, ces moments fleurissent et font chaud à l’âme. Les anges passent, chantant de tous leurs cœurs, semant la joie dans une assemblée quotidienne, là où personne ne les attend. Etonnement, confusion parfois, mais très vite tous applaudissent et souhaitent que cela ne s’arrête pas.

Alors vous aussi, chantez ! 

07/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 1)

– Le monde n’existe que parce qu’il y a autour cette matière noire dont nous ignorons tout. On ne la voit pas, on ne l’entend certes pas. Mais elle est et elle est vérifiable.

Ainsi, en une phrase très courte, ce professeur allait bouleverser ma vie. Je me trouvais dans l’amphithéâtre de la Sorbonne ce vendredi 3 juillet 2019, entouré de mes condisciples. J’avais choisi ce cours singulier au Collège de France parce que ne faisant pas partie des cours habituels de formation à un diplôme quelconque. Je ne sentais pas armé pour aborder une formation diplômante. La plupart de mes condisciples était comme moi. Mon voisin est plombier, celui qui se trouve devant moi est communiquant, celui-là, là-bas, est informaticien. Un type très fort, toujours plongé dans sa machine. C’est sympathique d’être entouré de telles personnes. Nous aimons nous retrouver pour les cours, mais nous ne nous voyons pas en dehors. Pourquoi ? Je ne sais. Chacun a sa vie, son travail. Certes, nous partageons une passion commune, la connaissance de l’univers. Mais même cette passion est tellement vaste que cela ne nous rapproche pas suffisamment. Quels lointains rapports entre le monde matériel que certains cherchent à percer et un monde spirituel qui se cacherait derrière le premier. Je ne parle pas de théologie, ni même théosophie, qui sont des débordements de l’imagination humaine, mais de cette quasi-certitude d’un autre monde derrière ou englobant le premier. Un jour, l’un de ceux qui assistaient à ces cours en parla. Nous étions allés prendre une bière à la sortie, ayant eu trop chaud dans l’amphi.

– Moi, ce que j’aime dans ce cours, c’est le constant sous-entendu d’un ou plusieurs autres mondes.

Tous avaient commencé par dire que c’était complètement faux et que le professeur n’avait jamais dit cela, ni même suggérer cela.

– Comment ? Mais bien sûr que si ! Certes, il a toujours parlé à mots couverts : matière noire, énergie noire, trous noirs. Pourquoi noirs ? D'après Confucius, attraper un chat noir dans l'obscurité de la nuit est la chose la plus difficile qui soit, surtout s'il n'y a pas de chat dans la nuit où l'on cherche. C’est pour cela que le prof n’en parle pas. Actuellement, personne ne sait s’il y a un chat ou non.

Cette pirouette ne nous convainquit pas. Mais tous nous connaissions l’histoire du chat de Schrödinger, ce chat à la fois mort et vivant parce qu’il est très petit et donc soumis à la physique quantique. Quel rapport avec ce que nous disait Ulrich (c’était son prénom, car il était d’origine germanique) ?

– Très simple. Les changements de la loi de la gravitation. A l’occasion de ces changements, se produisent des fentes qui laissent supposer les entrées dans un ou plusieurs autres mondes. Mais pour l’instant on ne sait pas ce qu’il en est.

La conversation en était restée là. Nous étions tous passionnés, mais pas suffisamment savants pour aborder ce problème plus à fond.

Une autre fois, j’avais également été intrigué par notre confrère l’informaticien. Il connaissait un peu la physique et s’intéressait à la recherche de nouveau type d’ordinateurs, ce qu’il appelle des transcriptors. Les chercheurs de l’université de Stanford avaient développé en 2013 un transistor biologique qui permet de stocker, transmettre et effectuer des opérations logiques sur des informations comme tous les ordinateurs. Depuis rien. Aucune information. Et pourtant la recherche avait avancé. Mais jusqu’où ?

Un jour, nous avions quitté l’amphi en avance. Les explications du professeur Foiras était trop difficile pour nos petits cerveaux. Nous nous étions promenés sur les quais de la Seine, au frais. Il m’avait confié qu’il travaillait sur le problème épineux des oppositions et qu’il se focalisait sur le zéro. Pour certains, ce n’est pas un nombre. En effet, un nombre permet de compter, de dénombrer. Il correspond à une quantité. Lorsqu’il n’y a pas de quantité, il n’y a pas besoin de zéro. Il n’y a rien, pas de nombre. Pour d’autres, inversement, le zéro permet de cerner la réalité avec précision et efficacité. Il ferme, avec la notion d’infini, la compréhension des mathématiques, langage universel, voire langage divin.

Mais aujourd’hui, je me heurte à un problème autrement plus complexe, celui  d’un chiffre manquant capable de faire une synthèse efficace et élégante entre le un et le zéro.

05/07/2015

Portes (1)

Lorsqu’on voit une porte en imagination, que voit-on en premier ? En ce qui me concerne, je vois son déplacement, cette bascule autour des gonds dans un mouvement lent, mais déterminé. Le cœur bat. Oserai-je pousser et entrer sans savoir ou bien dois-je rester en deçà dans un mystère insoluble par indécision ? Cet instant précis où le montant se met à tourner, volontairement ou involontairement, est chargé d’émotion. Il peut même être emprunt de sentiments, mais cela suppose que l’on ait une intention. Alors il n’y a plus la surprise de l’inconnu, mais celle de la motivation initiale.

Partir à la découverte des portes cochères de Paris c’est un peu partir vers l’inconnu. On en voit à chaque pas. On ne les remarque pas. On peine à les ouvrir. On s’intéresse à ce qu’il y a au-delà. Ne nous reste en tête que le bruit du battant qui, se refermant, émet un son creux, tonitruant ou doucereux. Le couperet d’une lame de guillotine qui se referme sur votre gorge.

En voici une, stricte, belle malgré tout, ornée, pleine de lauriers. Elle n’est pas grise, mais bleu gris ou gris bleu. Peu importe. On la sent solide sur ses pieds, volontairement fermée. La loi seule l’ouvrira et révèlera ce qui se cache derrière. Elle est symétrique. On ne sait quel côté s’ouvre. Seul le rectangle du bas est plus grand pour laisser passer les pieds du passant qui cherche à s’immiscer dans son intimité. La porte de justice… Titre d’un thriller haletant, mais réservé aux initiés.  

Celle-ci, avec ses grilles ouvragées, rappelle une prison ou tout au moins un lieu clos non ouvert à tous. Elle est solide, bien faite, avenante même. Que cache-t-elle, une cour des miracles, un lieu de retraite, l’isolement des perdus de ce siècle ? Dommage cependant qu’elle se soit laissée atteindre par la fièvre de la publicité, ces ex-voto de part et d’autre de son assise, disant à tous : « Oui, nous sommes là, entrez donc ! Montez dans les étages, c’est ouvert à tout vent ! » Mais la porte est fermée, puissamment, telle une tour de veille dans les rues où déambulent les passants.

Cette autre, majestueuse, protégeant les richesses d’un propriétaire soucieux de son aisance. Le grand siècle de Louis XIV, imposant, protecteur d’un monde précieux, fait de figurines posées sur des meubles cirés. Un rouge serein, lourd, chargé de secrets et d’escapades nocturnes que personne ne doit connaître. Ne laissez pas traîner vos pieds au bas de la porte, l’or qui s’y trouve vous contraint à les lever haut.

04/07/2015

Fièvre

Jour et nuit…
L’étouffoir…

Vous respirez...
Mais sous une bâche

Les bruits vous parviennent
Ralentis par la moiteur
 
Vous n’avez pas la force
De tendre le bras...
Vous le laissez retomber
Entre les draps brûlants

Votre front ruisselle…
Nu, souhaitez-vous aller…
Mais est-ce possible ?

Vous enviez les filles…
Petite robe, très petite
Qui flotte au vent
Elles vont partout
Où se presse l’ombre
Et étirent leurs jambes
Sur la terrasse d’un café

Les enfants jouent toujours
Mais ils se sont amollis
Ils ne crient plus pointu
Une somnolence les imprègne
Ils ne peuvent se serrer
Contre le cou de leur mère…
Trop collant…

L’homme, digne de lui-même
Se réfugie dans le glaçon
D’un verre au bar bruyant
A l’odeur aigre de promiscuité

Le garçon n’en peut mais…
Il ploie sous le fardeau tintant
De ses verres enchevêtrés
Qu’il jette distraitement
Dans l’eau fraîche du bar

Ah, vous glisser dans cet évier
Et vous laisser couler dans la bonde
En mille perles d’eau fraîche
Jusqu’à complète dissolution !

Blup… Blup…
Puis…
Le savez-vous ?

©  Loup Francart

03/07/2015

Le mythe de la caverne

« Figure-toi, des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. » (Platon, La République, livre VII)

Cette caverne est une épreuve. Mais elle mène à la vérité que l’on ne trouve que par soi-même en apprenant à répondre aux questions qui se posent à travers son existence.

Cette photo a été prise un après-midi où le soleil inscrivait en ombre chinoise sur une porte les objets posés sur un muret. Elle illustre bien ce mythe ou cette allégorie. Elle symbolise le passage du visible à l’invisible. A chacun de nous de trouver la porte ouvrant sur le réel inconnu des hommes. Qui est le plus réel : les objets, leur ombre, la porte (un mur) ou la serrure qui ouvre sur un autre monde, ou encore cet autre monde lui-même ?

02/07/2015

Mustang, film de Deniz Gamze Ergüven

Cela semblait tellement absurde cette colère d’une société désuète devant un amusement d’adolescents, que j’ai failli partir dès les premières images. L’histoire est restée absurde, puis s’est transformée en tragédie avec les mariages forcés, la mort de l’une d’entre elles et la fuite finale des deux dernières. C’était des filles comme toutes les adolescentes occidentales, joyeuses, drôles, sans arrière-pensées. Elles s’entendaient bien, si bien que la maison devenue prison, restait vivable. Mais elles doivent partir une à une, au bras d’un adolescent, mariée contre leur gré.

En réfléchissant, l’histoire ne vaut pas grand-chose, seule compte le film, c’est-à-dire la succession d’images vivantes, de rires, de surprises, d’étonnement. Rien de larmoyant. La joie explique mieux le déphasage entre un monde macho et quotidien et des adolescentes débordantes de vie.


« Je ne voulais pas seulement dépeindre ces filles comme les victimes d’un système, mais également rendre compte de leur vitalité et de leur aspect résolument solaire, tourné vers la vie malgré tout. Quels que soient les cadres qui se referment de plus en plus sur elles, elles cherchent à préserver leur fougue et leur liberté intérieure. », explique Deniz Gamze Ergüven.

01/07/2015

Chant corse : A Paghjella di l'impiccati (Le chant des pendus)

http://www.youtube.com/watch?v=FU-wBJ4r3f0&feature=related


Le groupe A Filetta est véritablement impressionnant de professionnalisme. Il transmet l’émotion sur le fil du chant dans ce tremblement imperceptible de la voix et les harmonies discrètes qu’il détache du chant principal en longs filaments. C’est un peu comme le lent déplacement d’une pieuvre dans une eau claire, entourée de quelques bulles d’air qui montent lentement vers la surface.

Ce chant des pendus est splendide d'émotion contenue :

 

Sè vo ghjunghjite in Niolu
Si vous passez par le Niolu
Ci viderete un cunventu
Vous y verrez un couvent
Di u tempu u tagliolu
Les pleurs qui encore l'entourent
Ùn ci n'hà sguassatu pientu
N'ont pu être effacés par le temps
Eranu una sessantina
Ils étaient près de soixante
Chjosi in pettu à u spaventu
Pris au cœur de l'épouvante.

Dopu stati straziati
Après avoir été torturés
Da i boia o chì macellu
Par les bourreaux, quel massacre !
Parechji funu impiccati
Plusieurs furent pendus
Ci n'era unu zitellu
Il en était un tout jeune
L'anu tuttu sfracillatu
Son corps fut mis en lambeaux
E' di rota è di cultellu
Par la roue, par le couteau

Oghje chi hè oghje in Corsica
Aujourd'hui encore a Corsica
Fateci casu una cria
Si vous y prêtez attention
Si pate sempre l'angoscia
L'angoisse est encore palpable
Intesu dì Marcu Maria
A la seule évocation de son nom (1)
Era quessu lu so nome
Cet enfant s'appelait Marcu Maria (1)
Mancu quindeci anni avia
Il n'avait même pas quinze ans.

(1) En français, pour une meilleure compréhension, on devra inverser ces deux lignes.

 

Traditionnellement le chant corse s’appuie sur trois tessitures de voix :
• La voix principale, a seconda ;
• La voix basse, u bassu ;
• La voix haute, a terza.
Les voix s’agencent par tuilage et mélismes.
Le tuilage est le déplacement irrégulier des voix qui par leurs mouvements conjoints ou contraires par rapport au chant principal, provoque des échos. Le mélisme et une inflexion mélodique autour de notes dites de passage qui permet aux voix d’entrer dans le chant.
(From : http://www.lacoccinelle.net/257544.html)

30/06/2015

Transe

Il courut longuement dans la plaine
Sans savoir où aller et se réfugier
Il fuyait ses cauchemars et ses rêves
Et ne savait comment les effacer
Autrefois, il avait appris l’égarement
Et pratiquait l’oubli et la désinvolture
Mais toujours on lui dit : « Souviens-toi ! »

Alors aujourd’hui sa mémoire est pleine
Et déborde de présupposés gris
Sa course s’alourdit et colle
Au palais qui ne peut que bégayer
Devant les mots qui veulent sortir
Aucun ne veut céder sa place
Et tous se bousculent et grincent
Si bien que rien ne vient d’intelligible
D’une bouche si bien faite

Il la vit sur le pont, venant vers lui
Sa chevelure au vent, l’œil ouvert
La joue rosie d’une course récente
Elle poursuivait mots et images
Mais sa jeunesse était un poids
Elle le vit, oublia sa poursuite
Son seul regard enfiévré tourné
Vers cet homme qui venait vers elle

Elle ouvrit les bras, tremblante
D’un désir imperceptible et nouveau
Il se réfugia dans cette immensité
Et ils partirent à deux, légers
Sans autre bagage que leurs corps
La tête vide de désirs
L’âme en transe

Elève-moi…

©  Loup Francart

29/06/2015

Les compagnons du devoir et du tour de France

Se former chez les Compagnons du Devoir, c’est avant tout apprendre un métier, en alternant un enseignement théorique et une formation pratique en entreprises, en voyageant grâce au Tour de France, en partageant des expériences et des moments de vie en communauté dans les maisons de Compagnons.

La formation s’achève par un chef d’œuvre. Celui-ci démontre non seulement la technique du compagnon, mais également son intelligence, sa sensibilité, son sens de l’observation et sa patience.  Et l’on constate ainsi que l’artisan peut-être un artiste bien meilleur que tous les soi-disant artistes contemporains dont seule la morgue surclasse les compagnons.

Mais la réforme de la taxe d’apprentissage risque de tout remettre en cause. Celle-ci sera désormais à la charge des régions et ne pourra être collectée directement par les organismes de formation. Et pourtant, le Compagnonnage du Devoir est sans doute le plus ancien organisme de formation professionnelle. Ses origines se situent vers le XIIème siècle et, jusqu’à aujourd’hui, il a toujours maintenu une tradition de transmission.

28/06/2015

Le temps

Le temps te presse… Rien ne va plus
Le cerveau dévide sa faiblesse...
En jaillissent des  pourritures nobles
Mais rien de sérieux ne vient
A peine couché, tu te lèves, hagard…
Qu’ai-je dormi dans ce brouhaha
D’odeurs délavés et rugueuses…

Le temps te presse… tout va bien
Le corps étire sa force, en extase
Plus de sommeil, ni de repos
Tout entre en jeu, à fleur de peau
Devant l’inique débordement
Et la langueur des nuits d’été
A la poursuite du temps qui passe…

Le temps te presse…. Rien ne reste
Ni le souvenir des culbutes enfantines
Ni l’épais éclair des chutes de l’ange
Ni le chaud enveloppement de bras
Des femmes aux baisers profonds
Ni même cet étrange songe lisse
D’un trou noir s’emparant de tes rêves
  
Le  temps te presse… Et tu résistes
A l’appel de la fin des temps
Oublie tout,  ne crois en rien
Que l’absence s’installe au centre
De ton être et t’aide à descendre
Vers le puit sans fond et lumineux
Seule colonne qui doit rester debout…

Le temps te presse… Ne te presse pas...

27/06/2015

Naissance

Un clin d’œil au cosmos envahissant qui déforme la vision contemporaine. Ne sommes-nous que des morceaux de matière agencés par le hasard ou sommes-nous une porte vers d’autres mondes ?

L’énigme reste entière, mais au fond de nous, il existe une lueur qui fragmente la matière et la rend spirituelle.

26/06/2015

Chant juif : Prière, interprétée par Sonia Wieder Atherton

https://www.youtube.com/watch?v=suAwiZ0y4Pk 


Mode traditionnel, un écart de quarte avec un demi-ton entre les deux, ce qui laisse un ton et demi au milieu. C’est l’usage en Orient. Cela peut-être vulgaire dans la ripaille, mais cela aussi peut-être poignant et nostalgique. Ici, c’est une prière qui monte en colonne droit vers le ciel. Mais cet usage est ici employé d’une manière plus complexe avec des tonalités tantôt mineures, tantôt majeures, ce qui donne une ouverture : de l’émotion vers le sentiment.

Autre est le duo Seraphim-Claudio Monteverdi. Toute la sensibilité occidentale dans un tremblement léger des cordes qui ouvre le cœur en une mélodie sur trois notes sol, la, si bémol, donc mineure, et qui s’achève sur une pirouette, une note ascendante majeure, un si triomphant de simplicité.

25/06/2015

Haïku

Un haïkiste a le désir de retenir ce qui fuit, de ne pas laisser échapper ce qui passe. Désir surtout de manifester son assentiment  à tout ce qui survient : à tout ce qui bonnement est. Un haïku, c’est simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment. (Fourmis sans ombre, le livre du haïku, Anthologie-promenade par Maurice Coyaud, Libretto,1978)

 

Lever de soleil, il est cinq heures. J’émerge de la houle des draps. Je me lève, ferme la porte de la chambre et regarde au dehors.

Le haïku surgit :

 

Regard rosé de l’aurore
L’ombre se noie entre les immeubles
Comment les empêcher de tomber ? 
 

24/06/2015

Dirk Verdorn, peintre de la Marine

 

 « Le Corps auquel appartiennent les peintres de la Marine a été créé officiellement en 1830.

Il existe deux catégories de peintres : les peintres agréés et les peintres titulaires. Ces derniers ont le rang de Capitaine de Corvette et les peintres agréés de lieutenant de Vaisseau. Ces peintres sont conviés à embarquer sur les bâtiments de la Marine nationale. Leurs missions : reportages de la vie à bord, des escales, des paysages traversés... ils réalisent des croquis, des aquarelles ou encore des peintures. L'ancre marine suit la signature des Peintres officiels. Un privilège disent certains... Au-delà de la maîtrise de leur art, ces peintres éprouvent une attirance forte pour le paysage marin. ils ont "l'eau de mer autour du cœur et sa couleur dans les yeux ».

(From : http://culturebox.francetvinfo.fr/expositions/peinture/di...)

Admirez ce ciel de rouille, comme celle des coques de navires les jours d’hiver. Il n’existe pas, mais il fait plus vrai que nature. A le regarder on sent l’odeur de l’iode et de mazout des ports atlantiques.           

Là aussi, un univers de couleurs où le ciel et la mer se rejoignent sur l’horizontalité et la verticalité. La toile se partage entre la tradition du bleu marin et la modernité rouge de l’industrialisation.

Et toujours l’appel du large, de la déraison, de l’immensité où lumière et profondeur se rejoignent pour former un monde à part, chargé d’émotions.

Le gigantisme s’affronte, d’un côté la brutalité de l’océan dont pourtant les vagues dentelières sont presque féminines et de l’autre la force brute du métal assemblé par l’humain. 

L’homme lui-même, le marin, n’apparaît pas. Il est trop petit. Il s’oublie devant l’inexprimable, son émotion n’apparaît que par transposition, celle d’une toile peinte qui retrace la vie des marins faite de fureur et d’oubli.

23/06/2015

La formation de la noosphère, de theilhard de Chardin

C’est un nom qui fait rêver scientifiquement. De quoi veut-on encore nous parler ? Du sens du collectif, nous dit le Père Teilhard. Et celui-ci s’efforce de proposer une perspective cohérente de la « Terre pensante ». L’humanité ne représente qu’une coupure infime par rapport aux grands primates, mais elle occupe une place exclusive parmi les autres vivants. Pourquoi ?

Pour Pierre Teilhard de Chardin, c’est la formation, à partir et au-dessus de la Biosphère, d’une enveloppe planétaire de plus, qui peut expliquer cette rupture. La Biosphère est la zone terrestre contenant la Vie. La noosphère vient de Noos, esprit : sphère terrestre de la substance pensante.

Le livre intitulé L’avenir de l’homme présente les principaux essais que Teilhardhomme,humanité,pensée,avenir,socialisation de Chardin a consacrés au devenir de l’humain. Dans l’un d’eux, écrit en 1947, La formation de la Noosphère, il donne sa vision en quatre parties : la naissance de la noosphère, son anatomie, sa physiologie et ces principales phases de croissance. Ce qui le frappe, c’et avant tout la faculté de celle-ci à s’organiser, passant de groupes de chasseurs à des groupes d’agriculteurs, puis des civilisations et de véritables empires. Comment va s’opérer le passage à la totalité de la terre ? Ce qui est sûr, c’est que la planétisation ne peut qu’avancer jusqu’au moment où elle atteindra le sommet de la réflexion, point subtile de conscience et de complexité. Mais ce sommet même sera lui aussi dépassé par l’exigence d’irréversibilité qu’implique la noosphère.

Ainsi, c’est vers une plus grande liberté que l’avenir de l’homme se construit, contrairement à ce que nous avons tendance à penser du fait d’une pensée individuelle et non collective. Pour Pierre Teilhard de Chardin, ce n’est qu’en nous plongeant au cœur de la Noosphère que nous pouvons espérer, que nous pouvons être sûrs, de trouver, tous ensemble aussi bien que chacun, la plénitude de notre Humanité.

Mais encore faut-il que les hommes s'entendent sur le mot socialisation !

22/06/2015

Max mon amour, de Michel Portal

http://www.youtube.com/watch?v=fycg2BAeuGI&feature=related


 

Un sol dièse descendant d’un ton, un silence, renouvellement mais un ton plus bas, fa dièse, fa, un demi-ton seulement. Quelle étrange mélodie. Le frôlement des vagues à leur arrivée sur le sable d’une plage pendant que l’on contemple le coucher de soleil sur le trait imperceptible de l’horizon. C’est l’heure où plus rien ne bouge, où l’homme se fige dans le sommeil. Et vous êtes là, sans pensée, sans sentiment, une simple sensation qui s’échappe de vous et court sur les flots.

Pas de changement de rythme, quelques notes de plus, puis un retour à la détresse de l’heure avant que ne s’échappe la dissonance voulue, espérée, recherchée, avant qu’elle ne vous éclate au visage. De la surface de l’océan surgissent de nouvelles images, des feux d’artifice qui papillonnent devant vos yeux avant de s’éteindre pour le retour à l’accompagnement : un ton, puis un demi-ton descendant. Une complainte terne en apparence, un leitmotiv obsédant qui vous rappelle à vous-même. Et tout à coup vous partez en rêve, dans un tourbillon de sons, d’éclairs, de lumière, plus doux qu’un orage, mais pressant. Il ouvre à l’inconnu. Oui, c’est une porte ouverte sur un monde différent, que vous ne pouvez qualifier.

http://www.youtube.com/watch?v=lweHrE8XXSs&feature=related


Le deuxième morceau reprend le thème de fond qui lui permet d'improviser une véritable tempête de sons. Vous coulez, vous vous laissez couler, engloutir dans cette eau calme pour rejoindre le monde invisible des grands fonds. Et vous vous laissez dériver au gré des courants marins comme un immense cétacé. Vous respirez la senteur ineffable d’une vie autre que vous ne pouvez comparer à aucune autre.

Retour à l’homme, au monde physique, à l’agitation débordante. Oui, l’humain est là, toujours présent, encombrant la nature de ses désordres fantasmagoriques.

21/06/2015

Vert

Les matins de cinq heures sont les plus beaux…
La brume encore noie les couleurs :
Le pastel domine, mêlant les verts.
Sortir à cette heure, c’est se baigner
Dans l’eau vive de la résurrection.
Les senteurs se font plus ardentes
Et les bruits plus discrets,
Vos caresses dans l’air frais plus vibrantes.
Vous marchez sur la soie
En toute discrétion, humblement,
Attentif à ne pas dépareiller l’ordonnancement
De ce jardin délicatement posé
Qui s’impose désormais à vos yeux.
Verts tendres des dernières feuilles,
Verts rouillés des premières,
Verts profonds de l’intérieur,
Verts assoiffés des jeunes pousses,
Verts bleutés sous la haie,
Verts jaunissants de la prairie,
Verts orangés du marronnier malade,
Verts transparents du verre
Que vous tenez en main
Pour célébrer ce jour et fêter
La fin d’une nuit si petite
Qu’elle est passée en catimini
Ouverte à tous les vents.
Et baissant le regard sur le vert gazon,
Vous remarquez ce vers qui coule
Entre les brins d’herbe sa vie paisible.

Vers quoi allez-vous donc aujourd’hui ?
Je m’applique à versifier la montée du jour
Pour réjouir l’esprit de l’abondance
Et que ces vers bercent ceux qui ne voient
Que maisons, trottoirs et autobus.

©  Loup Francart 

20/06/2015

Matinales (13 et fin)

Le lendemain, Amélie avait hâte de plonger et de retrouver ce monde qui s’offrait à elle. Elle avait eu du mal à s’endormir, pensant à sa propre vie. Oui, le jeune homme avait raison. Elle avait un problème et elle venait juste de comprendre lequel. Désormais elle se consacrerait à cette recherche, quitte à délaisser la vie quotidienne.

Elle s’habilla, prépara son sac à dos et prit le chemin de la piscine en courant. Cette course la réveilla. Les gens croisés avaient l’air heureux. Elle fit signe à une vieille dame qui lui répondit aimablement. Elle posa sa main sur les cheveux d’une petite fille qui lui sourit. Oui, le monde était transformé. Ou plutôt, elle était transformée. Lorsqu’elle arriva dans la rue de la piscine, elle vit de nombreux véhicules stationnés n’importe comment, des voitures de police et de pompiers dont les gyrophares tournaient sans cesse. Les habitants étaient aux fenêtres contemplant ce spectacle sans vraiment comprendre ce qu’il se passait. Elle s’approcha du policier qui semblait filtrer les personnes autorisées à pénétrer dans le cercle fermé par une bande d’interdiction rouge et blanche.

– Je suis une habituée. Je viens tous les jours et j’ai oublié quelque chose hier dans le vestiaire. Puis-je aller le chercher ?

– Vous ne pouvez entrer dans le bâtiment. Il risque de s’écrouler. Mais allez donc voir le maître-nageur, il vous dira ce qu’il en est.

– Merci.

Amélie avança, vit le maître-nageur, le salua et lui demanda ce qu’il se passait.

– Hier soir avant la fermeture, mais heureusement il n’y avait plus personne dans le bassin, j’ai vu un énorme bouillonnement se former à la surface de l’eau. Beaucoup plus fort que l’autre fois. Et progressivement, le bassin a commencé à se vider. Il a perdu un mètre en quelques minutes, puis deux, laissant à découvert le petit bain. Une sorte de siphon aspirait l’eau qui restait dans le grand bain, mais l’eau ne baissait plus. J’ai fait venir les pompiers, la police est arrivée. On craint que le bâtiment n’ait subi des dommages irréversibles. La piscine est bien sûr fermée. Elle ne rouvrira peut-être jamais. Les experts sont en train de l’examiner. Vous allez mieux ?

– Oui, je suis remise. Merci. Quel dommage. Il va falloir que je trouve une autre piscine.

Elle n’en dit pas plus, assommée par cette nouvelle qui la coupait de ce monde captivant dans lequel elle avait été plongée pendant quelques jours. Plus de contact. Plus jamais, probablement, se dit-elle.

Elle dit au revoir au maître-nageur, franchit en sens inverse la bande d’interdiction et partit en courant, souriant au monde des hommes, au soleil du matin et à cette vie nouvelle qui s’offrait à elle en ce jour nouveau. Elle savait que ce serait dur, qu’elle trébucherait. Mais elle avait désormais une certitude que personne ne pourrait lui enlever. Sa vie avait un sens.

19/06/2015

Matinales (12)

La femme l’attendait, flottant entre deux eaux. Elle n’avait pas bougé et elle souriait comme si elle voyait sa famille.

– Pourquoi dites-vous que votre petit garçon sait ? Lui demanda Amélie.

– Les enfants ont des capacités insoupçonnées. Ils gardent en eux le souvenir du vrai monde. Les adultes les trouvent affabulateurs, mais ils savent. Cela s’estompe progressivement entre la deuxième et la troisième année, lorsqu’ils commencent à s’ancrer dans l’univers. C’est à cet âge que commence leur mission, comme pour tous les hommes et les femmes sur terre. Cette transition est nécessaire. Elle met en eux la certitude d’un autre monde, même s’ils l’oublient ensuite. Cela reste en arrière-fond dans leur inconscient. Ils peuvent en rêver ou, lors d’un moment difficile, en avoir une faible réminiscence qui les aidera à se dépasser. Ils peuvent aussi, à moitié de leur vie, s’interroger sur eux-mêmes et se mettre à chercher. Ils se mettent en quête d’une autre vie, plus intime, plus tournée sur leur propre réalisation. Chacun réagit différemment, mais beaucoup d’entre eux sont travaillés par ce rappel à soi qui peut être brutal ou tout à fait inoffensif.

– Vous me parlez d’une mission que chaque homme doit accomplir. Mais c’est quoi cette mission ?

– Nous sommes tous uniques, dotés d’une personnalité intime et différente qu’il nous faut développer et qui nous rendra heureux pleinement si nous y arrivons. Celle-ci n’a rien à voir avec la réussite matérielle que la société met en avant et que beaucoup donnent en exemple. Non, c’est une sorte de contentement intérieur, un soleil secret qui éclaire au fil des jours le quotidien et qui sent le vrai monde. Vous avez déjà entendu cette expression, « en odeur de sainteté ». Et bien, elle est réelle et votre vie bascule, vous vivez déjà de l’autre côté en étant toujours de ce monde. Certes, il vous arrive très souvent de redevenir comme les autres, ceux qui n’ont pas fait cette expérience, mais vous savez et vous vous efforcez de la revivre.

– Moi aussi, j’ai donc cette expérience à faire ?

– Oui, bien sûr ! Tous, même les plus pauvres, même les plus handicapés, même les plus méchants ou les plus intelligents ont cette mission. Tous nous portons en nous ce trésor à découvrir et à exploiter. C’est le but de ce passage sur terre, le but de la vie.

– Et vous, l’avez-vous vécu cette expérience ?

– Oui et non. Cela s’est passé tellement vite. J’étais préoccupé par le fait que je ne pouvais avoir d’enfant. Cela devenait une obsession. Lorsqu’enfin nous en avons attendu un, je me suis entièrement consacré à lui. Mais je n’ai pas compris que cet intérêt était personnel et obsessionnel. J’ai ennuyé mon mari, mes parents, par cette attention permanente au fait qu’il grandisse en moi, qu’il allait voir le jour grâce à moi. Trois jours avant sa naissance j’ai commencé à ressentir les premières douleurs. Ce n’était pas encore le moment. Je n’ai rien dit, à personne. J’ai poursuivi mon travail et côtoyé mes proches sans rien leur dévoiler de mes douleurs. Un soir, mon mari est rentré du travail et m’a trouvé évanouie dans la cuisine. Je me suis réveillé sur la table d’accouchement, environnée de blouses blanches, ressentant une violente douleur au bas du ventre. J’ai en un instant compris mon erreur. Le soleil dont je vous parlais est apparu et a éclairé mes derniers moments. Cela m’a sauvé.

– C’est pour cela que vous cherchez à contacter votre famille ?

– Oui, je dois leur faire part de mon bonheur alors qu’ils s’imaginent que la fin de ma vie a été un cauchemar.

Amélie fit signe à la femme qu’elle devait remonter, manquant d’air. Elle lui promit d’aller voir sa famille et de lui faire part de ses derniers moments où elle rencontra le bonheur, puis remonta. Les scolaires étaient déjà là. Il était l’heure. Elle devait sortir du bassin. Je reviendrai demain, se dit-elle avant de s’essuyer avec sa serviette de bain.

18/06/2015

Matinales (11)

Alors elle prit la décision d’agir. Elle sortit, regarda l’eau claire et plongea. Ils étaient là !

Elle chercha la jeune fille, en vain. Sans doute avait-elle quitté le monde des tangentiels. Emilie le regretta, car elle aurait pu lui expliquer. Il fallait trouver un autre partenaire avec qui entrer en contact. Nageant doucement, elle passait devant chaque personne, leur faisant un signe, tentant de se faire remarquer. Ceux-ci ne la voyaient pas, continuant leur dialogue à deux ou trois. Enfin ! Une femme, la quarantaine, encore jolie, lui décocha un sourire. Elle l’avait vue. Elle mit du temps à entrer en relation avec Emilie. Celle-ci entendit sa voix, une voix faible, douce, qui naissait dans sa tête et entamait le dialogue intérieurement avec elle.

– Vous devriez rassembler vos cheveux, lui dit-elle. Nous n’aimons pas ces filaments qui flottent autour de vous. Ils risquent de nous capturer et de nous attirer vers la surface.

Amélie ne comprit pas et ne put rien faire. Elle n’avait pas d’élastique sous la main. Elle avait plongé sans réfléchir, mue par instinct et curiosité. Elle se rappela la mission qu’elle s’était donnée.

– En quoi puis-je vous être utile ?

– Je suis morte en couche. J’ai pu sauver mon bébé, mais le médecin n’a rien pu faire, je perdais mon sang et il n’a pas pu savoir pourquoi. Mon mari est seul maintenant avec mon petit garçon. Je les vois de temps en temps et cela me suffit pour être en paix malgré la position inconfortable de tangentielle. Je ne peux communiquer avec eux et il faut qu’ils sachent que je les vois et que je suis heureuse d’être là, près d’eux. Pour qu’ils soient sûrs que c’est bien moi, dites-leur que vous venez de la part de Mouche. Ils sauront que c’est moi. C’est le surnom que mon mari m’avait donné lorsque nous nous sommes mariés. Nous n’avons jamais divulgué ce surnom. Ils sauront ainsi que c’est bien moi.

– Mais pourquoi dites-vous nous ? Votre petit garçon ne parle pas et ne sait même pas que vous êtes morte.

– Si. Il vient de l’autre monde et il en est parfaitement conscient. Il ne sait pas encore communiquer avec l’univers matériel. Il faut qu’il fasse son apprentissage. Mais il sait parfaitement où il est et pourquoi. Ce n’est que progressivement qu’il oubliera notre monde pour ne plus connaître que le vôtre.

L’esprit d’Amélie s’ouvrit. Elle se souvint qu’étant petite, elle s’échappait en rêve et flottait au-dessus d’elle-même. Elle arrivait parfois à partir et à visiter les alentours en volant par le seul fait de sa volonté. Concentre-toi, se disait-elle. Elle bandait son cerveau et ses muscles et s’extrayait de la pesanteur. Lorsqu’elle était en forme, elle planait et écoutait les conversations, pénétrant au travers des maisons. Progressivement tout cela s’est estompé, puis complètement arrêté. Elle n’avait plus aucun souvenir de ces possibilités. Elle fit part de ces réflexions à la femme.

– Oui, beaucoup d’entre nous, très jeunes, ont des réminiscences d’une autre vie. La plupart les oublie très vite et n’en conserve aucun souvenir. Quelques-uns n’ont rien de précis, mais savent au fond d’eux-mêmes qu’il existe un autre monde. Ils ne savent pas pourquoi, ni ce qu’il est. Mais dans certaines circonstances de la vie, ils s’en souviennent et savent qu’ils ne peuvent faire telle ou telle chose. Très peu conservent des faits précis en mémoire. Ceux-là sont forts. Ils ne font peut-être rien de leur vie matérielle, mais ils sont de roc pour les autres grâce à leur certitude d’un au-delà.

Amélie se sentit très vite en harmonie avec cette femme, malgré leur différence d’âge, presque vingt ans. Elle parlait posément, de manière très vivante, non pas passionnée, mais pleine de certitude. Elle lui promit de contacter son mari et son fils de leur dire qu’elle veillait sur eux. Puis elle la questionna.

– Je ne comprends vraiment pas pourquoi à certains moments vous êtes là et à d’autres rien. Il y a bien une règle à cela ?

– Oui. Nous devons prendre contact avec nos anciennes connaissances pour diverses raisons. Cela est fatiguant, épuisant même. Alors nous avons besoin de repos. Même si nous n’avons plus notre corps réel, nous revêtons notre ancien corps pour quelques minutes, voire quelques heures. Puis nous repartons dans l’autre monde pour nous refaire des forces.

– De quel monde parlez-vous ? Comment est-il fait, que voyez-vous, que ressentez-vous ?

– Vous touchez une interdiction. Nous ne pouvons en parler. Sinon nous perdons le privilège de pouvoir entrer en contact avec vous et de faire passer notre message qui est notre seule motivation. Alors aucun de nous ne vous dira ce qu’il en est de cet autre monde. Mais rassurez-vous, vous êtes un des rares humains à voir des tangentiels. C’est déjà beaucoup.

– Comment faites-vous pour apparaître dans cette piscine ?

– Il existe d’autres lieux qui permettent d’établir le contact. Par exemple, au fin fond d’une forêt ou encore dans une grotte où les hommes ont vécu il y a très longtemps.

Amélie dut remonter respirer. Le maître-nageur lui fit le signe de sortir de l'eau, mais elle plongea à nouveau.

17/06/2015

L'échappée belle, un film d'Emilie Cherpitel

cinéma,femme,enfant,société,fraicheurLéon n’est qu’un petit garçon,
Eva a un sourire charmant,
Les autres ne sont là que pour eux
Et eux ne savent pas qu’ils sont là pour nous.

Ce serait trop beau si c’était vrai,
Mais on veut y croire malgré tout
Et eux y croient tant, qu’ils y arrivent.

C’est un conte, à la manière de…
Mais c’est une manière personnelle
Qui donne à l’ensemble une fraicheur nouvelle.

Enfin un film qui raconte simplement
L’amour qui naît entre deux êtres,
Cette étincelle vivante comme les papillons
Qui s’échappent de la boite
Et qui montent vers un ciel dégagé,
Espérance d’un avenir meilleur.

Ce n’est pas un amour d’adultes,
De caresses entre femme et homme.
C’est celui d’un enfant orphelin,
D’une sagesse précoce, aux réparties fulgurantes,
Et d’une femme-enfant, fantasque,
Qui découvre dans cette rencontre
Que l’amour naît d’un regard, d’une parole
Et couve en bulles transparentes
Derrière une banalité apparente
A laquelle les critiques se laissent prendre.

Alors bravo à Clothilde Hesme
Qui prend de la consistance au fil de la projection ;
Bravo également à Florian Lemaire,
Plus vrai que nature et loin des artifices
De la vision socialisante et figée
D’une société emprunte de clichés à la mode ;
Enfin, bien sûr, bravo à l’énergie de la réalisatrice
Qui, sachant probablement ce qu’on allait en dire
N’a pas hésité à poursuivre son idée
D’un monde frais et vrai
Qui raconte l’invisible
Dans un envol de papillons.

16/06/2015

Eglise de Looz (Belgique)

 Mais, est-ce une église ?

C'est une église qui selon le point de vue s'effacerait du paysage. Le projet du duo d'architectes belges, Pieterjan Gijs et Arnout Van Vaerenbergh, baptisé « Reading between the lines » -Lire entre les lignes- est plus esthétique que spirituel. Édifier une église dont les murs composés de lattes d'acier horizontales modifieraient la perception du bâtiment.

La collaboration entre les deux remonte à 2007, quand Gijs et Van Vaerenbergh décident de réaliser plusieurs projets dans l'espace public avec une portée architecturale et artistique.

Gijs Van Vaerenbergh ont dévoilé leur construction en milieu rural, reproduction exacte de l'église locale. Leur œuvre d'art est composée de 30 tonnes d'aciers et de 2000 colonnes construites sur une base en béton. À travers les lattes horizontales, le concept d'église traditionnelle laisse sa place à un objet presque transparent.

Selon la perspective de l'observateur, l'église peut être perçue comme une construction massive ou au contraire, se dissoudre, partiellement ou complètement, dans le paysage. Les curieux qui regarderont de l'intérieur de l'église vers l'extérieur seront les témoins d'un jeu de lignes jouant sur les abstractions et qui devraient modifier leur perception de l'environnement. L'église et le paysage font partie inhérente de l'œuvre.

From : http://www.huffingtonpost.fr/2012/12/03/photos-eglise-tro...