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18/11/2011

Leçon d’écriture

 

La description faite par Murakami dans son dernier livre 1Q84 (livre 1, p.125 et suite) est suffisamment détaillée pour donner des idées à ceux que tente l’écriture. Le héros du livre est en effet chargé par son éditeur de revoir un roman écrit par une jeune fille. Ce dernier le trouve bon dans les idées développées, mais pas suffisamment bien écrit pour que le lecteur poursuive au-delà de quelques pages.

En fait, il était midi et demie lorsque Tengo s’attaqua à la réécriture… Pour le moment, il essaierait de corriger cette partie jusqu’à en être satisfait. Il ne changerait rien au contenu, mais il réorganiserait la syntaxe et modifierait radicalement le style. De la même façon qu’on rénove les pièces d’un appartement…

Entrant dans les détails, l’auteur décrit ses procédés de travail comme il expliquerait la façon dont il rend malléable le chewin-gum dans sa bouche pour jouer avec, tantôt l’étirant à profusion en longs et minces filaments, tantôt le concentrant en boule emplissant ses joues pour en goûter plus profondément la saveur.

J’ajoute des explications aux passages difficiles à comprendre à la première lecture. Je m’arrange pour que les phrases coulent mieux. Je coupe les endroits inutiles et les répétitions, je comble les lacunes…

L’écrivain se plonge totalement dans cette mécanique précise de la réparation d’un texte ou de son enjolivement. Il arrive à force de contorsions grammaticales et de recours aux manquements du texte à redéfinir son contenu sans cependant en modifier le sens. Il s’attache également à préciser le lecteur, ou plutôt les réactions du lecteur, se mettant à sa place et imaginant sa compréhension des descriptions.

Mais à quelle catégorie de lecteurs ce texte pouvait-il être destiné ? Tengo l’ignorait, bien entendu. Ce qu’il savait néanmoins, c’est que la Chrysalide de l’air était une fiction tout à fait unique, contradictoire, possédant une beauté originelle et de gros défauts, et qu’en même temps elle recelait un dessein particulier.

Cette première confrontation avec le manuscrit pour en modifier l’équilibre ne suffit bien sûr pas. Il faut se poser la question de la justesse et de l’équilibre des propos, retirer les lourdeurs incongrues, repeser les formules pour les assouplir.

A la suite de son travail, le texte devint deux fois et demie plus long que le manuscrit original. (…) A présent les phrases étaient devenues logiques et sensées, le point de vue était clair et la lecture d’autant plus fluide. Mais l’ensemble avait quelque chose de lourd. En privilégiant la logique, il avait affaibli l’acuité et le tranchant que possédait le début de l’original.

Alors, on se remet à la tâche : supprimer de la nouvelle version les passages non indispensables.

 Le travail de rabotage était beaucoup plus facile que celui de remplissage… C’était une sorte de jeu intellectuel. Durant un laps de temps déterminé, il étoffait le texte, autant que possible, puis durant un laps de temps déterminé, il le réduisait, autant que possible. En poursuivant obstinément ces opérations opposées et complémentaires, l’amplitude diminuait peu à peu et le texte finissait par se stabiliser à un niveau d’équilibre satisfaisant.

Mais ce n’est terminé, loin de là. Après une pause, il reprend sa matière. Il imprime les pages réécrites :

Il posa alors les pages imprimées devant lui et relut attentivement l’ensemble, un crayon à la main. Lorsqu’il estimait qu’un passage était oiseux, il le rayait ; lorsqu’il sentait qu’un autre était médiocre, il le développait. Il continua ainsi ses corrections jusqu’à ce que les parties mal adaptées au contexte soient satisfaisantes. Comme on choisit un carreau pour combler un petit espace dans une salle de bain, il sélectionnait précisément le mot qui convenait pour tel passage, il vérifiait son ajustement sous des angles très variés. De minuscules nuances animaient le texte dans pour autant l’abimer.

Pas mal, songea Tengo après avoir entré dans sa machine les corrections faites à la main.  Chaque phrase possédait un poids convenable, se lisait naturellement, sans à-coups.

Ainsi s’achève cette leçon d’écriture, passionnante de détails pour ceux qui s’essaient, insupportables pour les non initiés, encore insuffisantes pour les virtuoses du stylo. L’écriture ne serait qu’une vulgaire mécanique dont l’essentiel est un réglage de précision entre un récit qu’il faut raconter, uns syntaxe à utiliser consciencieusement et avec respect, des enjolivements rendant l’ensemble plus seyant, un équilibre de fortune, toujours remis en cause par un fragment à ajuster, par une impression à développer.

Et l’écrivain devient le mécanicien tourmenté par des bruits imprévus, des pétarades incongrues, qu’il faut éliminer pour qu’à la fin le ronronnement du texte apparaisse naturel, sans effort, déroulant son récit à la manière d’une coulée de chocolat dans un moule pour le transformer en appétissante friandise dont le lecteur va se pourlécher les neurones.

 

 

17/11/2011

Les rapports entre l’homme et le temps

 

« C’est curieux, mais la vie humaine n’a jamais été soumise à une enquête mathématique. Prenons pour exemple le temps. Je rêve de faire cette expérience : appliquer des électrodes sur la tête d’un homme et calculer quel pourcentage de sa vie il consacre au présent, quel pourcentage aux souvenirs, quel pourcentage au futur. Nous pourrions découvrir ainsi ce qu’est l’homme dans son rapport avec le temps. Ce qu’est le temps humain. Et nous pourrions définir à coup sûr trois types humains fondamentaux, selon l’aspect du temps qui serait dominant pour chacun. »

Mais si nous poursuivons cette idée de Milan Kundera dans L’immortalité (5ème partie, le hasard-4), on constate la difficulté immédiate de la mise en application de l’expérience. Avons-nous seulement une véritable vie conceptuelle dans le présent ? Je ne cesse à cet instant de penser à ce qu’a dit Kundera, mais ce qu’il a dit est déjà du passé et je remâche ce passé pour construire, dans l’avenir, une idée enrichie de ce qui est dit par Kundera.

C’est vrai, me direz-vous, mais vivre dans le passé, le présent ou l’avenir est au-delà de ces rapports difficiles de la pensée présente avec ce qu’elle connaît, venant du passé, et ce qu’elle soupçonne de l’avenir.

Ici, il est question de la philosophie de la vie : ma vie est-elle tournée vers la nostalgie du passé, vers la jouissance du présent ou vers l’investigation du futur ?

Certes, selon le métier de chacun, ses rapports avec le temps seront différents : le stratège et le trader sont professionnellement tournés vers l’avenir, l’historien et l’archéologue le sont vers le passé. Probablement l’artiste est tout à la construction de son œuvre, donc orienté vers le présent dans l’accomplissement de sa tâche fondamentale, de même le chirurgien, pour des raisons proches. Mais cette différence tient-elle essentiellement à la profession ?

Il est très vraisemblable qu’elle tient également au caractère même de la personne. On peut penser que les primaires sont plus préoccupés par le présent que les secondaires. On peut également penser que les actifs sont attirés par le présent et le futur, les non actifs s’intéressant probablement plus au passé. Mais est-ce si important et probant ? Probablement non.

Il semble plus intéressant d’aborder le problème avec les types psychologiques de Jung. Pour lui, l’individu  a deux façons de se charger en énergie : l’introversion qui puise dans l’environnement extérieur, les activités, les expériences, et l’extraversion qui trouve dans son univers intérieur des idées, des souvenirs et des émotions de quoi nourrir sa vie. Ainsi, l’extraverti vivrait plus facilement dans le présent et un peu l’avenir, alors que l’introverti serait plus porté sur le passé (monde des souvenirs et des émotions) ou l’avenir (monde des idées).

Alors qu’en est-il ? On peut penser qu’au-delà des différentes typologies de caractère, il faut avant tout retenir un autre trait fondamental de la psychologie humaine : l’optimisme et son contraire le pessimisme, et, plus loin encore, l’espérance dans la vie. Les optimistes sont bien sûr à l’aise dans le présent et se projettent dans l’avenir sans difficulté. Le pessimiste envisage le futur comme un trou noir qui cherche à engloutir tout ce qui a retenu jusqu’à présent son attention.

 

16/11/2011

J'ai mis ma confiance

 

Composé pour une chorale provinciale, ce gospel est simple et inspiré des chants protestants du début du XXème siècle. La figure emblématique de ces Gospel Songs est Charles Albert TINDLEY . Ses œuvres sont nombreuses et laissent place à d’importantes improvisations. Ce pasteur noir méthodiste publie en 1916 son recueil, intitulé New Songs Of Paradise. Puis, dans les années 1930, collecte les différents gospels, les transcrit et constitue ainsi une véritable mémoire du chant afro-américain.

Ces chants sont inspirés de la Bible, avec des phrases courtes, infiniment répétées. La musique est également facile à chanter a capella. Le rythme est le plus important. Elle utilise les accords de septième qui permettent des transitions de tons.

Mais malgré ces efforts, ce style de musique n’est bien chanté que par les noirs qui ont le rythme dans la peau et surtout qui savent improviser à partir d’une musique de base qui guide le soliste.

J'ai mis ma confiance en toi, Seigneur.jpg

15/11/2011

L’aquarium émet des sons étranges

  

 

L’aquarium émet des sons étranges

Rires alourdis de mains ouvertes

Où chaque doigt cache

Un souffle de fumée

 

Les lits ouvrent leurs bas-flancs

A des jambes solitaires

Qui glissent dans leur ombre

Vers de longs tabourets

 

Et ceux-ci campés fièrement

Sur quatre pieds aux pattes décharnées

Offrent leur solitude

Au monde de chaleur

 

Une rangée de hallebardes

Dresse ses cache-flammes

A la brume prisonnière

Qui s’y attarde gaiement

 

Le soleil aussi semble profiter

De leur miroir d’huile

Pour caresser doucement

Sa longue chevelure d’or

 

Univers clos

Monde parmi le monde

A la recherche d’une âme

Dans les brumes de son corps

 

 

14/11/2011

A travers le miroir, d’Ingmar Bergman

 

Extraits du film :

http://www.dailymotion.com/video/x2qmrk_a-travers-le-miro...

http://www.dailymotion.com/video/x2qmg7_a-travers-le-miro...

http://www.dailymotion.com/video/x2qmlw_a-travers-le-miro...

 

Pourquoi à travers le miroir, se demande-t-on d’abord. Ingmar Bergman aborde ici le problème le plus humain qui soit, celui des rapports entre l’homme et ses semblables.

Le miroir, c’est la réalité quotidienne de l’homme, l’enveloppe extérieure ducinéma,psychologie,spiritualité monde intérieur, dont il montre les différentes apparences sous les traits de ces quatre personnages qui semblent vivre en bonne entente, mais ne se comprennent pas. Chacun possède sa propre vision du monde : plus ou moins proche de la réalité, mais exaltée par la sensibilité de l’enfance, pour l’adolescent qu’est Nino ; très loin, à la limite de la folie, pour Karin. Martin, son mari, est sans doute le plus près de la réalité, mais il ne la voit que par son amour pour Karin. Le père de Karin, écrivain, ne semble vivre que par son œuvre où ce qu’il décrit est à la fois lui et un autre que lui (Est-ce vrai ? Lui demande Martin. Je ne sais pas, répond-il).

Chacun de ces êtres se balancent au bord du vide et du désespoir, ou, pour Nino, en font la connaissance (c’est comme si la réalité avait éclaté lorsque j’étais avec Karin, explique Nino, qui est alors devenu adulte). Ils s’enferment dans leur cercle qui se brise à la réalité, mais inlassablement ils en rebâtissent un autre. Ainsi se déroule le film, dans cette atmosphère de tension psychologique propre à Bergman qui fait une description clinique de chaque personnage, les regardant vivre d’un œil objectif et trouver eux-mêmes la solution.

Car Bergman propose la solution, elle s’impose après la crise de Karin qui n’a rien trouvé dans sa folie. Ce que cherche l’homme inlassablement dans sa solitude, c’est Dieu qui semble seul pouvoir le sortir de ce vide dans lequel il s’enfonce. Il y a deux moyens  pour le trouver: soit se replier de plus en plus sur soi-même, sur sa recherche, comme le fait Karin qui finalement tombe dans la folie, ne trouvant qu’un dieu-araignée qui tente de la posséder avant de la délaisser (peut-être est-ce là l’image d’un faux ascétisme qui ne mène qu’à la stérilité) ; soit, et c’est la solution proposée par Bergman, la seule possible, remplir le vide de l’âme par l’amour (« alors le vide devient richesse et le désespoir quitte l’âme »), ce que découvre l’écrivain dans la compagnie des trois autres. Cet amour va alors pour la première fois lui permettre de briser le miroir et de communiquer réellement avec son fils pour lui expliquer sa découverte :

_ Il y a un moyen de sortir du vide.

_ Dieu ? Mais… la preuve ?

_ La preuve, c’est l’amour. Dieu apporte l’amour. Dieu est sans doute l’amour lui-même.

 

 

13/11/2011

Tremblement

 

Un frémissement d’ondes, imperceptible, qui modifie la structure de deux plans divergents et deux autres convergents. L’on s’y perd. Au centre, un assemblage insolite dont on arrive difficilement à comprendre la construction.

Et pourtant, dans cette simplicité du dessin, il y a une harmonie certaine, un attrait pour l’œil qu’on ne peut définir.

 

11-11-08 Caronde A Fil.jpg

12/11/2011

Le tango des petites lunes (2mn15)

 

http://www.youtube.com/watch?v=3_ZEHPO9UX0&feature=related

 

Qu’elle est bizarre cette association de la musique et de l’art du jongleur. On admire d'abord la jongleuse, l’agilité de ses mains, les effets qu’elle produit avec ses bras, les trajectoires de ses balles, insolites, produisant des étincelles et des figures géométriques, jusqu’à l’arrivée de Richard Galiano qui provoque la surprise.

C’est alors un récital à deux, pour l’un de notes aigües, rythmées, dansantes et entraînantes, pour l’autre d’une balle qui semble attachée par un élastique au bras ou à la main de l’artiste. Un véritable duo, expressif, fait de sons et de gestes, une berceuse insolite qui fait rêver.

Et tout ceci se termine en farce populaire : le jongleur devient autruche en une seconde, même si on l’a vu préparer cette transformation ; le musicien devient le joueur de flûte qui entraîne les rats vers la rivière Weser dans un premier temps, puis les enfants d’Hamelin dans un deuxième temps.

Quel conte naïf, inventif et drôle : un musicien, un jongleur et trois personnages de la vie quotidienne, sortis tout droit d’un théâtre de marionnettes et délivrant une musique d’ambiance. Cela n’a pas de prétention et nous fait retrouver une âme d’enfant.

 

 

 

11/11/2011

Ne plus voir dans l'oeil que l'on croise

 

Ne plus voir dans l’œil que l’on croise

Ignorer les doigts fragiles qui se tendent

Ne plus même entendre les pas derrière soi

Ou la plainte silencieuse arrêtée sur les lèvres

 

Partir sur l’asphalte les yeux clos

L’oreille sourde, la main sur son bâton

 

Souvenirs encore de ce rêve ébauché

Un matin où le ciel rouge sur la ville

Ensanglantait les visages inexpressifs et muets

 

Puis le vide silencieux du dernier sommeil

Jusqu’au réveil étonné, dans la froideur du lit

 

 

10/11/2011

Morale chrétienne

 

La morale chrétienne est une morale dont on ne voit jamais la fin, car elle est fondée sur l’amour.

Est-ce d’ailleurs à proprement parler une morale ? Celle-ci n’est qu’une méthode de préservation de la société dont l’objet est la survivance de l’humanité. L’amour chrétien va au delà de ces objectifs. Il requiert l’être tout entier et pas seulement son aspect social ou même sociétal. On ne peut observer l’amour comme on observe une règle, car il exige toujours plus.

Comparons ces deux formules :

« Le véritable devoir de justice, c’est de considérer chaque individu comme une fin », nous dit Kant.

« Aime ton prochain comme toi-même », dit l’évangile.

Elles sont identiques au sens moral, mais bien éloignées l’une de l’autre, la première étant fondée sur la raison, donc le devoir, la seconde sur l’amour, donc la joie.

La première n’est qu’une règle de vie en société, la seconde est un axiome de bonheur.

 

 

09/11/2011

Antechrista, roman d’Amélie Nothomb

 

Le premier jour, je la vis sourire. Aussitôt, je voulus la connaître Une semaine plus tard, ses yeux se posèrent sur moiLe lendemain, elle vint vers moi et me dit bonjour

Ainsi s’installe tranquillement Christa dans la vie de la narratrice, laquelle est timide, sans amie, mal à l’aise dès qu’il s’agit d’aborder quelqu’un. Très vite, elle invite Christa à venir coucher chez elle parce que celle-ci habite très loin. Dès l’entrée dans l’appartement, Christa devient dominatrice et humiliante. Après s’être mise nue pour essayer une robe, elle contraint l’auteur, Blanche, à faire la même chose : J’avais seize ans. Je ne possédais rien, ni biens matériels ni confort spirituel. Je n’avais pas d’ami, pas d’amour, je n’avais rien vécu. Je n’avais pas d’idée, je n’étais pas sûre d’avoir une âme. Mon corps, c’était tout ce que j’avais. Elle finit par passer la robe ce qui fait dire à Christa : Elle me va mieux qu’à toi. Puis elle compare leur corps, cache le tee-shirt de Blanche qui doit courir après pour le récupérer. Sa mère entre alors : transformation de Christa, son rire, de démoniaque, devint la fraicheur même, une franche hilarité, saine comme son corps. Ma mère, stupéfaite, regardait cette adolescente nue qui lui serrait la main sans aucune gêne… Et je voyais que celle-ci, sans penser à mal, voyait le beau corps plein de vie de la jeune fille – et je savais que, déjà, elle se demandait pourquoi le mien était moins bien. Christa, en une soirée, séduit le père et la mère de Blanche, les tutoie et les appelle par leur prénom.

Le lendemain, ma mère déclara : Ta Christa est une trouvaille ! Elle est incroyable, drôle, spirituelle, pleine de vie… Mon père lui emboîta le pas : Et quelle maturité ! Quel courage ! Quelle intelligence ! Quel sens des relations humaines !

Ainsi est planté le décor qui permet à la perverse Christa de s’introduire dans la vie de Blanche jusqu’à devenir la fille chérie de ses parents : elle dort dans son lit, l’emmène dans des soirées étudiantes où elle lui fait connaître le flirt, s’impose comme la meilleur en tout et fait tout pour ridiculiser Blanche qui n’ose rien dire devant ses parents subjugués par cette jeune fille exquise. Mais celle-ci va trop loin. Elle provoque Blanche : Pourquoi tes parents parlent-ils tant pendant ces diners ? C’est à peine si je peux en placer une. Déjà qu’ils se servent de moi pour se rendre intéressants !

Blanche découvre toute l’ignominie de Christa, ou plutôt d’Antechrista, comme elle l’a surnommée. Celle-ci n’aimait qu’elle. Elle s’aimait avec une rare sincérité. L’amour était pour Antéchrista un phénomène purement réflexif : une flèche partant de soi en direction de soi. Il lui fallait maintenant ouvrir les yeux de ses parents. Elle part en voyage à Malmédy, lieu où habite Christa et découvre qu’elle lui a menti sur ses conditions de vie. Elle prend des photos, les montre à ses parents et très vite sa mère comprend. Son père téléphone au père de Christa et comprend également que celle-ci ne vit que par et pour le mensonge. Le lendemain, Christa joue l’offensée et part en claquant la porte.

Je ne raconterai pas la fin, car elle constitue une surprise de la part de Blanche, sa revanche. Cependant, dans la dernière page, c’est encore Christa qui a le dessus, de manière indirecte.

 

Antechrista est le roman de la lutte entre l’intériorité et l’apparence : d’une part, l’intériorité silencieuse et timide, n’osant dévoiler sa vérité, et, d’autre part, l’apparence avec ses mensonges, ses changements d’attitude où tout est conçu pour plaire, même en trompant. C’est sans doute le combat actuel qui se déroule dans les médias, quels qu’ils soient. Dans le roman, le combat est individuel et intimiste. Dans la vie médiatique, le combat est collectif et clamé par les tenants de l’information. Mieux vaut une information quelle qu’elle soit que pas d’information. Le monde pourra-t-il tenir longtemps ce mensonge permanent ?

 

 

08/11/2011

Cubpyr

 

Le cube est un volume simple. Il est beaucoup plus qu'une surface, c'est un monde en soi. Sa démultiplication harmonieuse étend ce monde sans le déformer, lui conservant sa pureté originelle. Monde géométrique qui possède sa propre élégance, discrète, voilée, en catimini. Deux cités altières et symétriques qui se regardent l’un l’autre entre des champs en pentes douces.

Ce monde est à l’image de la modernité, mais une modernité sans soif, sans prédation, sans égoïsme des hommes. Un monde dur, c’est vrai, mais droit et sans fausseté.

 

peinture,dessin,op'art,art cinétique

 

 

 

 

07/11/2011

Ce matin

 

Ce matin, tous les arbres ont la chair de poule.
Ils frissonnent aux éclats de lumière sur l’horizon
Et leur scintillement fragile les transforme
En kaléidoscope repu de frémissements.

De la fenêtre, je contemple l’horizon rouge,
Le ciel gris foncé entrecoupé de blanc.
J’entends l’oiseau bavard annoncer son réveil,
Je suis des yeux l’écureuil habile, d’arbre en arbre.

Vert, bleu et gris, quelques instants plus tard,
A la couleur laiteuse d’un ciel chargé,
Où seules les touches de blanc et de rouge
Apportent l’empreinte d’un jardinier attentif.

Et pendant que la terre tourne toujours,
La bien-aimée sommeille, les cheveux défaits,
Les jambes entortillées autour de draps tièdes,
Reposant, vivante malgré son inaction.

Encore un jour, encore une nuit,
Encore des années et des décennies,
Nous contemplerons chaque matin
La levée de tous les jours, main dans la main.

 

06/11/2011

Le lustre de verre

 

Il était là, dès l’entrée, brillant de mille feux et pourtant non écla11-11-06 Lustre Murano.jpgiré. Il suffisait de lever la tête pour voir ses torsions, ses palmes entourées de graines colorées, la construction si bizarre et pourtant si équilibrée, de son achèvement. Il fut livré en morceaux, petits paquets à défaire avec précaution, comme un trésor à sucer longuement avant de l’assimiler jusqu’à ce qu’il donne au corps une nouvelle forme, moins torturée que les apparences visuelles. Il se balance au dessus des têtes, portant ses ombres imprévisibles vers les visages tendus vers le haut, comme celui de Jeanne d’Arc vers le dauphin Charles. Et selon l’éclairage qui venait non du lustre, dont les ampoules n’existaient pas encore, mais de lampes posées sur les meubles, nos visages apparaissaient déformés, tantôt curieux, tantôt blasés, tantôt interrogés par cette distribution de verreries emmêlées.

Ce n’était qu’un lustre, certes de verre rare et venant d’un pays lointain, comme s’il avait voyagé pendant des mois sur un bateau affrontant les tempêtes, entouré de milles soins, de papier et de paille, puis déposé avec précaution au milieu de la pièce. Mais il fut le navigateur des conversations, tenant la barre d’une main ferme, conduisant les commentateurs vers des objectifs inconnus, empruntant des lignes brisées, enchevêtrées de fioritures de bons mots et d’anecdotes, entraînant des retours en arrière entre la porte de la pièce et celle de la suivante.

Plus qu’un lustre, c’était un soleil qui n’éclairait pas, mais qui réchauffait les souvenirs de chacun sur cette ville unique, majestueuse et trop visitée qu’est Venise et sur sa reproduction microcosmique, Murano. Et chacun de voir défiler dans sa tête ces images cartes postales, mais malgré tout très proches de la réalité, de palais, de passages, d’agitations silencieux des transports fluviaux et de piétinements de foules épuisées et indifférentes qui visitent et regardent ce qu’il convient de voir et de contempler.

Cette cathédrale de verre, cette pièce montée suspendue au dessus des convives, se taisait, bien que toujours brillante de scintillements magiques, soucieuses de maintenir son image enjolivée par les réminiscences de chacun. Etait-elle trop petite ou trop grande, résonnait-elle de ses cristaux imités, goûtait-elle la senteur des mets qui montait lentement en fumée tremblotante vers elle, entendait-elle les voix de chacun s’exprimant en ricochet ?

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Et si l’on veut aller plus loin dans sa description, on peut aussitôt comparer ce lustre de verre aux poulpes dont la chair translucide, éclairée par les projecteurs des plongeurs sous-marins, projette d’étranges reflets indéfinissables en laissant flotter dans une eau bleue et claire leurs bras de lianes arborescentes pour une fois au repos.

 

Assis dans le salon, loin du lustre de verre, mais les yeux encore brillants de ses reflets sans lumière, chacun pensait encore, sans le dire, à son premier voyage dans la cité des rêves.

(Les photos de lustres que vous voyez ici n’ont que peu à voir avec celui dont on parle, bien sûr !)

 

05/11/2011

Dernière promenade d’automne

 

C’est très probablement notre dernière promenade d’automne. Elle s’avère mélancolique et11-11-05 Ste Suz 1 red.jpg attendrie, puis se révèle enjouée et dépourvue de regrets voilés. Nous marchons dans la vallée étroite, sur un chemin aussi tortueux que le cours de la rivière que nous suivons, d’abord sur la chaussée carrossée, et, très vite, sur un sentier de gazon surplombant le serpent argenté qui lui-même coule entre les maisons basses, cherchant son chemin dans un dédale dû à l’exiguïté des lieux.


Les moulins se succèdent, silencieux en ce dimanche après-midi. Mais on les imagine aussi, grande bouche dévoreuse d’écume, recrachant des flots blancs et oxygénés qui par leur frénésie permet la mise en route de monstrueuses machines qui écrasent, dissèquent, coupent, aplatissent, divisent, transforment tout morceau de nature vivante et la met à disposition de l’homme, à ses pieds, pour qu’il en use, en abuse, la suborne et la jette, enfin lassé de leurs gémissements discrets.

 

 

 


Et plus hau11-11-05 Ste Suz 3.jpgt, se découpant sur un ciel virginal, la ville, prison11-11-05 Ste Suz 2 red.jpgnière de ses murailles, dominant la vallée comme une gardienne de l’éternité, contemplant cette nature modelée par ses habitants, qui reflète dans ses miroirs l’absence de soucis, l’heureuse et provisoire insouciance d’un après-midi de Toussaint, à la campagne.

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Au détour d’un tournant, l’arbre éternel, envoûtant de ses grands doigts fragiles l’horizon, dessine un ovale parfait et majestueux, malgré une chevelure brouillonne, et vous convie dans la danse des insectes qui bourdonnent autour des silhouettes des passants.

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Enfin la lente montée vers la muraille, entre les chênes rabougris et la rocaille coupante, qui coupe le souffle, mais allège le corps et lui donne l’apesanteur mystique des croisés à la vue de Jérusalem.  

 

 

 

 


 

Alors vient l’envie11-11-05 Ste Suz 6 red.jpg de se jeter des murs vers l’horizon, planant lentement au dessus du moutonnement des arbres, dans un silence parfait, respirant les odeurs subtiles de la terre, des feuilles endolories, de la bouse de vache et du parfum des promeneuses qui ouvrent leur corps à la pâle chaleur d’un soleil qui commence à descendre derrière la colline. Volant entre ciel et terre, entrant dans les flocons cotonneux comme dans un bain d’eau froide et décapante, vous connaissez l’ivresse des jours sans fin non parce que le temps s’arrête, mais parce que votre esprit lui-même s’est arrêté, vide, éclairé par le scintillement permanent d’une absence de pensées aussi bénéfique que les crèmes adoucissantes dont les femmes s’oignent chaque matin pour aller, la tête en l’air et les pieds au sol, conquérir le monde en tant que beauté fatale.

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Et pourtant la porte est étroite et Gide aurait sans doute fait de ce moment hors du temps un instant d’appréhension des principes qui font de la vérité humaine soit une évasion, soit un enfermement.  

 

 

 

04/11/2011

Cultiver l’unicité du moi

 

 

Dans notre monde (…), l’homme n’a pas la tâche facile s’il veut se confirmer l’originalité de son moi et réussir à se convaincre de son inimitable unicité. Il y a deux méthodes pour cultiver l’unicité du moi : la méthode additive et la méthode soustractive. Agnès soustrait de son moi tout ce qui est extérieur et emprunté, pour se rapprocher ainsi de sa pure essence (en courant le risque d’aboutir à zéro, par ses soustractions successives). La méthode de Laura est exactement l’inverse : pour rendre son moi plus visible, plus facile à saisir, pour lui donner plus d’épaisseur, elle lui ajoute sans cesse de nouveaux attributs, auxquels elle tâche de s’identifier (en courant le risque de perdre l’essence du moi, sous ces attributs additionnés).

(Kundera, L’immortalité, 3ème partie : la lutte, L’addition et la soustraction)

 

Oui, tout homme est constamment à la recherche de soi-même, et très peu se trouve en réalité. Il a bien pour cela deux attitudes : être introverti (chercher le moi par soustraction) ou être extraverti (chercher le moi par addition), comme l’a si bien mis en évidence Carl Gustav Jung.

Mais auparavant il convient de poser la question du moi. De quoi parlons-nous ?

 

            L’homme n’a pas de moi immuable et permanent. Chaque pensée, chaque humeur, chaque désir, chaque sensation dit “ moi ”. Et chaque fois, on semble tenir pour assuré que ce “ moi ” appartient au tout de l’homme, à l’homme entier, et qu’une pensée, un désir, une aversion sont l’expression de ce tout. En fait, chacune des pensées de l’homme, chacun de ses désirs se manifeste et vit d’une manière complètement indépendante et séparée de son tout. Et le tout de l’homme ne s’exprime jamais, parce qu’il n’existe que physiquement comme une chose et abstraitement comme un concept. L’homme n’a pas de moi propre. Il a une multitude de petits moi, qui le plus souvent s’ignorent ou au contraire sont hostiles les uns aux autres. A chaque minute, l’homme dit ou pense “ moi ”. Et chaque fois son moi est différent.

(Ouspensky, Fragments d’un enseignement inconnu, Stock, 1974, p.96)

 

Alors de quelle unicité parle-t-on ?

Ce que l’on pressent, c’est ce dédoublement de nous-mêmes, entre l’homme extérieur qui s’intéresse au paraître et l’homme intérieur qui s’intéresse à l’être. Et nous sommes les deux à la fois, quoi que nous puissions faire, en dehors de ceux qui choisissent la vie d’ermite. Simplement notre nature nous conduit plus vers l’un que vers l’autre.

Si vous êtes extraverti, vous vous intéresserez à l’addition du moi et accumulerez des objets et des personnes pour construire votre moi. Vous le ferez enfler et le rendrez brillant car il importe qu’il soit vu et admiré. Et comme le dit Kundera, vous vous perdrez vous-même par accumulation d’attributs additionnés.

Si vous êtes introverti, vous rechercherez au-delà d’un moi social, celui que les autres voient en vous-mêmes, un moi intime, personnel, que vous ressentez et qui seul vous donne satisfaction dans ce monde. Cela ne vous empêchera pas de rechercher également un moi social, il est nécessaire, mais ce n’est pas lui qui est important pour vous. C’est ce nuage d’inconnaissance que vous soupçonnez en vous, qui fait parti de vous-même et que vous devez chercher.

En fait, tout ceci se résume à la question de l’Ame ou du Soi au-delà du moi. Toutes les grandes traditions tentent d’initier à cette différence et de conduire l’homme au-delà de lui-même. Mais encore faut-il qu’il le veuille. En effet, si quelques hommes peuvent, par soustraction, se rapprocher de leur pure essence, la plupart ont besoin, pour vivre, d'une société et de relations sociales, malgré tous les risques qu'elles comportent.

Ces deux attitudes façonnent fondamentalement votre vie, vos attitudes et votre comportement. Evidemment, la société s’efforce de cultiver en vous l’extraverti, plus simple à contrôler.

 

N'est pas nécessairement admirable ce que tout le monde admire ; l'un se soumet aux circonstances données parce que l'expérience montre qu'il est impossible de faire autrement, tandis que l'autre est persuadé que ce qui a été mille fois peut très bien, la mille et unième fois, devenir quelque chose de nouveau. Le premier (l'extraverti) s'oriente d'après les faits extérieurs donnés, l'autre (l'introverti) se réserve une opinion qui se glisse entre lui et la donnée objective

(Jung, Types psychologiques)

 

03/11/2011

Ta voix, comme le centre du monde

 

Ta voix, comme le centre du monde

Venue d’on ne sait où

Enjambant les rivières, suspendues à un fil

Et pénétrant la maison jusqu’au centre de mon être

 

Je l’imagine aussi traversant la nuit

Sur l’ombre pâle des réverbères

Volant un sourire au promeneur tardif

Puis pénétrée du chant de la forêt

Avant de descendre du piédestal

De son véhicule filaire

 

Ai-je besoin de parler ?

Pourquoi perdre en quelques paroles

Cette musique lointaine et pourtant si vivante

Quelques mots encore, quelques phrases

Et je redeviendrai semblable

A la fois plus heureux et plus triste

 

 

02/11/2011

Un cimetière pas comme les autres

 

Le cimetière de Bouère (Mayenne), petit village, n’est pas comme les autres. C’est un petit chef d’œuvre villageois qui mérite une ampleur nationale.11-10-29 Bouère 1 red.jpg

 

 

L’église en soi est déjà imposante et bizarre. Elle est romane à l’origine. Mais ses transformations successives en font un étonnant monument qui se rapproche par certains côtés de la cathédrale de Périgueux, en particulier en raison de ses clochetons.

 

 

La montée au cimetière est longue, noble, quasi solennelle, comme une montée vers le ciel, immense entre les deux murs, puis les deux haies. Il a été créé en 1778 et possède un décor dit « à la française ».

A l’entrée un panneau explique sa configuration : Depuis la grille d’entrée de fer forgé, une longue allée bordée de pelouses et de hauts buis, mène au cœur du site. Autour de la croix centrale, sont organisés quatre carrés, d’égale grandeur, délimités par des haies de buis et agrémentés d’ifs taillés en forme de cône. Tous les végétaux composant ce décor datent de sa création.

 

 

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Quel havre de paix, comme un paradis perdu ou ignoré, qui procure un sentiment d’immortalité alors qu’il s’agit d’y laisser reposer les restes mortels de la population. Et vous vous promenez dans cet ilot de verdure compassé en état d’apesanteur, entre ciel et terre, ciel que les dômes des ifs indiquent, terre que la pelouse fait douce aux pieds. Quelques villageois sont là, discutant entre eux, entretenant les tombes, les fleurissant de vraies bouquets colorées, comme des notes de musique sur une portée vide et sévère.

 

 

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Heureux sont les morts de ce pays, mieux honorés que les vivants, dans ce décor à la fois champêtre et géométrique où chaque citoyen décédé dispose d’une place au sein d’un des carrés, entre copains pourrait-on dire.

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01/11/2011

L'âme du feu

 

Un soir d'automne, contemplant le feu dans votre cheminée, un feu de bonnes bûches bien sèches, n'avez-vous pas été surpris d'y apercevoir, au dessus du foyer, l'âme du feu, comme une sorte de feu follet dansant sur les flammes, elle-même flamme, mais vivante, aérienne, légère, elle-même vous contemplant en souriant. Cette contemplation à deux ou plutôt cette contemplation de votre propre contemplation vous procure une joie immense, comme un regard au delà des flammes, dans la fin des fins d'un monde pour la naissance d'une immortalité qui n'est qu'esprit sans corps.

Et cette gravure, faite un lendemain de contemplation, vous rappelle chaque fois que la regardez cet instant insaisissable de l'irruption de l'âme du feu.

  

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31/10/2011

Yaron Herman Trio "Hatikva" @ Casino Barrière (Toulouse)

 

Cliquez et laissez-vous aller :

 

http://www.youtube.com/watch?v=FjkL9vbAKy8&feature=related

 

 Yaron Herman est né le 12 juillet 1981 à Tel-Aviv. Il se destinait à une brillante carrière de basketteur dans l'équipe nationale junior d'Israel, mais une blessure sérieuse au genou l'en empêche. Il commence alors le piano, à l’âge de 16 ans, avec pour professeur le célèbre Opher Brayer, connu pour sa méthode d’enseignement basée sur la philosophie, les mathématiques, la psychologie. Très rapidement, Yaron donne ses premiers concerts dans les plus prestigieuses salles en Israël.

A 19 ans, Yaron part à Boston, mais n’y trouve pas la matière et l’inspiration. Il décide de rentrer à Tel-Aviv et fait une brève halte à Paris lors de son voyage retour. Il rencontre, le soir même, quelques musiciens lors d’une Jam-session, et se retrouve immédiatement engagé le lendemain. Il ne quittera plus Paris dès lors.

(Website de Yaron Herman)

La pièce commence comme une sonate classique, calmement, une forme mozartienne, avec l’énoncé d’une mélodie très simple, presque simpliste. Puis commence une sorte d’accompagnement à la main droite de trois notes qui ne donne pas lieu immédiatement à un développement du thème, mais à des accords de basse avant de laisser la contrebasse exprimer son accompagnement de manière plus ronde, ensorceleuse, mais très discrète. Enfin, le piano et la contrebasse sont rythmés par la batterie, apportant un souffle imperceptible en complément.

Ce thème se transforme en rengaine, quasi populaire, de style roman photo, reprenant toujours la même petite phrase comme un bonbon que l’on suce sans s’en apercevoir. Arrive alors le moment jazz comme une improvisation insolite qui ne dure qu’un temps, au tournant du thème. Le morceau reprend encore plus nostalgique, avec quelques clins d’œil, comme ce relent de musique chinoise au détour de la mélodie.

C’est toujours la même lenteur guillerette et désarmante, comme un fleuve qui coule lentement, entre des rives lointaines et brumeuses. Il arrive en mer, s’y repend en gouttes cristallines et meurt doucement dans ses flots, dans l’indifférence générale.

Un bon moment de détente, sans prétention, qui lave la conscience des impressions du jour avant de sombrer dans un sommeil réparateur.

 

 

30/10/2011

Partir, c'est l'attrait de l'inconnu

 

Partir, c’est l’attrait de l’inconnu.
Je pars et j’oublie…
Je me désolidarise de mon attachement
Au quotidien qui m’englue, douloureusement.
Je perds ma réceptivité aux tracas
Et entre dans l’ère du nouveau,
De ce qu’il convient de découvrir
Au-delà de ce que je sais et ce que je vois.
En avant vers l’inconnu, ouvert,
L’esprit vide, le cœur léger,
Sans existence autre que l’instant !

Et ces instants, un à un, s’accumulent,
Grossissent en grappes multicolores
Pour former un nouveau présent
Dans lequel, peu à peu, s’incrustent
Des cailloux coupants et déchirants,
De nouvelles inquiétudes indésirables.

Comment recréer cette harmonie
De l’inconnaissance et de l’absence,
Où le présent est seule forme de vie,
Seul paradis convoité et précaire,
Où, la tête dans les nuages,
Je contemple l’horizon
Et admire l’éternelle fraicheur
D’un monde sans consistance
Parce que sans souvenirs, ni attaches ?

Revenir, c’est réinvestir sa mémoire,
Entrer dans l’incroyable cohorte
D’évènements vécus et médités,
Ou encore dans l’impression d’un moment
Que rien ne devait privilégier
Et que vous redécouvrez, enjolivé,
Suspendu au balcon des annales
De jours grisâtres et ternes, pour éclairer,
Lanterne rouge, la marche du destin.

Alors, parfois, je pars, pour quelques minutes,
Et j’aère mon existence périlleuse
De petits vides sans consistance
Tels des bulles dans les tuyaux d’une perfusion
Qui me contraignent et me bousculent.
Les yeux exorbités, je regarde l’existence
Et me dit : J’aime l’inconnu
Pourvu de la beauté de l’ignorance
Et je révère les joyaux enfiévrés
Sur lesquels on s’assied, en prince de la vie.
Pourtant, garder cet équilibre délicat
Revient à marcher sur la ligne de crête
De l’aventure de l’homme au quotidien.

 

 

29/10/2011

Détachement et plénitude

 

Quel étrange émerveillement et quel appréhension de se retrouver, adolescent, dans un lieu aimé, la maison familiale, seul.

Emerveillement d’abord : Vous profitez de la vie, pleinement, courant de ci de là, touchant les objets interdits, rêvant le matin dans votre lit jusqu’à des heures indescriptibles aux autres, vous soulevez le couvercle du piano et vous laissez aller à une mélodie inconnue, vous ouvrez un livre de la bibliothèque habituellement fermée à clé et vous plongez dans des lectures jusqu’ici interdites, vous vous faites un sandwich en milieu de matinée au lieu d’attendre sagement l’heure du déjeuner et, quand celle-ci arrive, vous ne pensez plus à votre faim, occupé par d’autres propositions importantes telles que sortir la canne à pêche parce que vous avez vu sauter un poisson dans la rivière ou encore partir en bicyclette vous promener dans la forêt.

Mais dans le même temps vous ressentez une appréhension qui ne concerne pas le présent. Vous vous imaginez dans quelques années et vous considérez ces biens accumulés, ces objets entassés, ces souvenirs effleurant votre mémoire. Comment pouvez-vous bien faire pour que cela arrive, pour qu’un jour vous vous retrouviez avec des objets, différents, mais chéris de la même façon, avec une maison, si petite soit-elle, avec une vie empaquetée dans un périmètre défini, clos, vous appartenant ? Par quel miracle réussissez-vous à rassembler ces souvenirs qui sont d’abord des acquisitions ? Et vous êtes pris d’une appréhension devant la vie, d’une inquiétude pour vos capacités à faire de même, d’une crainte d’un avenir difficile où il faut travailler, travailler encore pour arriver, misérablement, à collecter de quoi subsister, puis de quoi vivre, puis de quoi s’épanouir, en pleine connaissance de cause.

Et progressivement, sans heurt ni évènement particulier tout ceci survient imperceptiblement. Mieux encore, vous connaissez le paradis grâce à une présence à vos côtés qui vous réjouit pour la vie. Et celle-ci s’écoule, de manière hachée si l’on considère chaque jour, avec sérénité si l’on considère les années.

 

Quel étrange sentiment quand vient le temps où tout ceci n’a plus d’importance, où seul reste ce qui vous lie à d’autres humains, à commencer par votre propre famille. Vous disposez de tous ces biens et vous devenez conscient que tout ceci importe peu. Votre richesse est dans l’instant, déconnectée des objets accumulés. Elle est dans votre compréhension de chaque moment, pleinement, sereinement, même si, toujours, vous êtes poussé à réaliser, à créer, à aimer. Mais vous le faites dorénavant avec recul, vous regardant agir pour mieux en profiter.

Et le soir venu, vous accumulez dans votre mémoire secrète ces instants merveilleux où vous vous êtes vu entreprendre ce que vous aviez toujours souhaité, mais que vous n’avez jamais eu le temps de faire. Et vous vous dites : « Quelle heureuse vie j’ai eu et quel est mon bonheur lorsque j’entame une activité rêvée que je peux maintenant accomplir ! »

Ainsi, vous songez à tout ce que vous voulez faire et vous rendez compte que, probablement, votre vie n’y suffira pas, mais vous l’aurez vécue pleinement, dans la joie de la création. Mais surtout, ne jamais se dire, j’ai fini ! Il y a toujours à créer, chercher, découvrir, concevoir. C'est ça la vie !

 

 

28/10/2011

Prière de Monsieur Olier

 

Jean-Jacques Olier (1608-1657) était prêtre du diocèse de Paris. D’abord mondain, il subit une grave crise spirituelle à partir de 1639 et finit par s’abandonner complètement à l’Esprit Saint qui le délivre de cette épreuve. En 1641, il établit une communauté de prière, d’étude, de lecture de la bible et d’adoration eucharistique, puis crée le premier séminaire à Vaugirard. Il se consacre en parallèle à la confession et la direction spirituelle.

Il a écrit de nombreux textes spirituels dont cette prière :

O Jésus, vivant en Marie,

venez et vivez en vos serviteurs,

dans votre Esprit de sainteté,

dans la plénitude de votre force,

dans la perfection de vos voies,

dans la vérité de vos vertus,

dans la communion de vos mystères ;

dominez sur toute puissance ennemie,

dans votre Esprit,

à la gloire du Père.

Amen.

 

Ce chant de méditation peut être accompagné par un bourdon (note tenue pendant la durée de la pièce, encore appelée ison dans le chant byzantin) de deux notes (ré et la).

Certes, le Si semble choquant aux oreilles de musique classique, mais c’est ce qui donne au chant une dimension spirituelle et non simplement musicale. Bien sûr, la tonalité peut être relevée selon la voix des chanteurs (ici alto et basse).

O Jésus vivant en Marie.jpg

En format PDF pour impression:  o jesus vivant en marie.pdf

 

 

27/10/2011

Le trait avant le volume

 

Le trait avant le volume. Rien n'est fermé. L'espace reste ouvert, infini. Il n'est pas plein d'une forme, mais il n'est pas non plus vide. Et cet enchevêtrement est déjà le signe d'une vie, d'une méditation sur la vie. Il n'est pas encore une figure indépendante de son environnement, mais il contient le fil qui, en se fermant, le fera monde en soi.

 

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26/10/2011

Imagination périlleuse du rêve

 

Imagination périlleuse du rêve qui navigue entre la veille et le sommeil. Le souvenir en reste plus fidèle, comme un parfum d’amertume que l’on traine avec soi tout le jour, après avoir entrouvert une porte défendue et entraperçu les images de réminiscences ignorées.

Imagination et rêve : souvenirs, évaporation de la pensée, création pure, qu’est-ce ? Une torpeur tiède qui se fabrique le matin quand les draps vous enveloppent de chaleur et que les cloches de l’angélus réveillent en vous l’idée d’exister. Parfois une idée sera reprise après le réveil et pourra même vous éclairer pendant la journée, vous aider à sortir d’une impasse de la création. D’autres fois, elle vous empêchera de surmonter la douleur de l’enfantement des idées et vous contraindra à rester en attente tout au long du jour, jusqu’à la nuit bienfaitrice qui balaiera cette léthargie.

Ne pas s’abandonner à de tels délices, mais au contraire refreiner tout excès d’imagination hors de l’imagination créatrice. Tourner son imagination vers la réalité et y englober l’univers entier jusqu’à en faire la vie.

 

 

25/10/2011

Contrepoint, roman d’Anna Enquist, Actes Sud, 2010

 

C'est une visite particulière des variations Goldberg, vue par une femme :

La femme s'appelait tout simplement "femme", peut-être "mère". Il y avait des problèmes d'appellation. Il y avait beaucoup de problèmes. Dans le conscient de la femme, des problèmes de mémoire affleuraient. L’aria qu'elle examinait, le thème à partir duquel Bach a composé ses Variations Goldberg rappelait à la femme des périodes pendant lesquelles elle avait étudié cette musique. Quand les enfants étaient petits. Avant. Après. Elle n’était pas à l'affût de ces souvenirs. Sur chaque cuisse un enfant, puis se débrouiller tant bien que mal, les bras autour de leurs corps, pour produire ce thème ; pénétrer dans la petite salle du Concertgebouw, voir le pianiste entrer sur scène, attendre le souffle coupé l’octave dépouillée de l'attaque - sentir le coude de la fille : "Maman, c'est notre air !" Ce n'était pas le moment. Elle voulait seulement penser à la fille. La fille quand elle était bébé, fillette, jeune femme.

 

Aria, des variations Goldberg, joué par Glenn Gould :

http://www.youtube.com/watch?v=Gv94m_S3QDo

 

Cette femme est musicienne, concertiste même. On ne comprend qu’à la fin du livre qu’elle a eu un grave accident au cours duquel sa fille, la fille, a perdu la vie. Cette visite des variations Goldberg, une par une, effeuillant des sentiments et des souvenirs selon la variation, est une thérapie qui permet d’évoquer l’être disparu, bébé, petite fille, jeune fille, femme, sans jamais tomber dans le sentimentalisme, la morbidité ou même l’asthénie. C’est, à travers l’analyse de chaque variation l’évocation de souvenirs tendres, simples, si simples qu’on ne se rend pas compte qu’il s’agit d’une évocation d’évènements douloureux.

Tiens, prends les Variations Goldberg, par exemple. Tu joues l'aria. Mais non, pensa la femme, je ne jouerai jamais plus cette aria. Bon, mets-le au passé, tu as joué l'aria, cet air tranquille, tragique. C'est une sarabande, écoute, un rythme solennel et l'accent sur chaque deuxième temps, une danse lente, peut-être majestueuse. Tu jouais l'aria avec ardeur, avec passion, avec l'obligation d’un sans faute. Les notes prolongées se multipliaient vers la fin en guirlandes de doubles croches, sans pour autant que la cadence perde de son sérieux. Tu ne cédais pas à la tentation de te mettre à jouer plus doucement, en chuchotant à la fin, de conclure par un soupir à peine audible. Non, même à l’époque déjà, tu laissais ces tristes festons aller crescendo au-dessus de la ligne de basse progressant tranquillement, il ne fallait pas se précipiter, et même plutôt ralentir imperceptiblement - mais le tout avec force. Jusqu'à la fin.

C’est un journal qui ne le dit pas, un journal au fil des partitions, tantôt lent, calme, serein, tantôt pressé, courant de souvenirs en souvenirs. Et la femme se reconstruit dans cette analyse des variations de Bach :

L’étude obsessionnelle lui avait permis de savoir jouer les variations, mieux que jamais auparavant, mieux que lorsqu'elle était en bonne santé et complète. Cela aussi l’étonnait, il aurait dû être impossible qu'une pianiste abîmée et amputée puisse connaître sur le bout des doigts cette œuvre compliquée. Elle y était parvenue, en dépit de et grâce à la blessure. Son cerveau endommagé avait réussi à s'imprégner des notes et à distinguer les mélodies. Au rythme de la musique, elle avait chaque jour pu respirer un certain temps naïvement. Par des voies détournées, Bach lui avait donné accès à sa mémoire : chaque variation évoquait des souvenirs de l'enfant, qu'elle notait dans 1e cahier. Avec méfiance, car les souvenirs sont des mensonges. Avec retenue, car elle ne voulait pas faire de sentiment.

Ce n’est que dans les dernières pages que l’on comprend ce lent cheminement au travers la musique si bien construite de Bach, si pleine de calme physique, de douceur des émotions, d’équilibre d’une rationalité invisible, d’ouverture mystique.

Le voyage interminable pour rentrer à la maison, en état de choc total. Les trains, les avions. Les amis attendant en silence dans le hall de l'aéroport. L’enfant froide. La maison pleine de monde, un soir après l'autre. Les pourvoyeurs de repas, les scripteurs d'adresses. Les aides.

L’enfant froide. (…)

La toilette, l'habillage, les soins et la disposition. La petite couverture, la poupée. L’adieu. La levée. Le transfert. Le port. L’installation dans l'endroit où elle va désormais rester. La prise de possession du cimetière comme annexe au salon. Le trépignement devant la grille fermée après quatre heures.

Et comme dans les variations Goldberg, le livre s’achève par une méditation sur l’aria final comme il avait commencé sur l’aria introductive.

Derrière les fenêtres l'été est brûlant. A l'intérieur, il fait sombre et frais. Elle allume la lampe du piano. "Allez viens, dit-elle à sa fille. Je vais te jouer un morceau. Je l'ai beaucoup travaillé. Ecoute." Puis s’épanouit l'aria. Les sons de l'ensemble des trente variations vibrent à chaque note ; l'air simple entraîne derrière lui sans peine un cortège de souvenirs. Il se déploie avec une évidence désarmante. Il contient tout ce qu'aime la femme. (…)

L’avenir s'est retiré dans le recoin le plus éloigné de la pièce. Dehors, la vie continue son insoutenable progression. Dans un petit monde, détaché de l'espace et du temps, la mère joue un air pour son enfant. Pour la première et la dernière fois. La jeune fille s'appuie contre son épaule. "C'est notre air", dit-elle. La mère acquiesce et amorce le crescendo des dernières mesures ; imperturbable, elle fonce vers la fin. A la toute dernière mesure, elle sautera la reprise et aboutira sans ornement à la double octave vide. Dans ce vide se trouve tout. Maintenant elle joue, maintenant et toujours la femme joue l'air pour sa fille.

 

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Contrepoint est un beau livre, discret, intime, qui dévoile le cœur d’une artiste et d’une mère avec douceur, dans le déroulement quotidien des faits simples et l’étude ardue des partitions. Cet entremêlement de la musique et de la vie devient une thérapie douce qui conduit la femme du désespoir à l’acceptation. Le roman est parfois un peu long, un peu lent, mais, au-delà de la femme, on découvre la vie intérieure de Jean-Sébastien Bach, celle de la naissance de ses œuvres, de son architecture musicale dévoilée par la méditation de chacune des variations.


 

24/10/2011

Éternellement toi

 

Éternellement toi
Ombre de mes pas
Ton chant m’atteint
Suis-je encore sans toi
Au plus profond de nous-mêmes
Se tient la lampe de nos amours
Ton visage revêtu de lumière
Comme une goutte de rosée
Prisonnière de l’aube naissante
Hante mes nuits de rêve
Je te regarde pour voir
Et tu es devenue mon œil
Image de mon image
Reflet d’un autre reflet
Nous sommes comme deux miroirs
Je me regarde en toi
Comme tu te vois en moi
Ensemble nous courrons
Sur le miroir de notre inconnaissance
Puis, le soir, revenus en nous-mêmes,
Tu me dis ce que tu es
Et je sais qui je suis
Alors je sombre au cœur de notre innocence

 

 

23/10/2011

Expansion matinale

 

Vous avez sans doute un matin, alors que le ciel était encore noir, eu l’envie soudaine d’assister à l’expansion matinale de la lumière, irréalité vérifiable qui se reproduit chaque jour depuis la nuit des temps.

Ainsi vous vous levez en catimini, vous vous habillez et partez dans la campagne, frissonnant de froid, mais l’esprit clair et léger, pour assister à la naissance du jour, à l’expansion de la lumière, depuis le moment où la moindre lueur germe dans un coin de l’horizon, jusqu’à l’instant où le mystère disparaît, effacé par la vision brute d’un monde sans voile. Instant magique, pendant lequel les couleurs se transforment, pâteuses sous la brume, blanchies au regard et au toucher.  11-10-23 Expension matinale 2 red.jpg

 Et vous admirez ce mystère du vert qui est bleu, de la terre qui se fait chocolat, du ciel qui se teinte de rose à l’horizon, juste au dessus de la ligne bleu pastel flottant au delà des arbres bleu canard, au plus profond de la vue. Et toutes ces touches de teintes se fondent progressivement dans le bleu turquoise, presqu’aigue-marine, d’un ciel qui s’éclaircit avec rapidité, dévoilant sa limpidité comme une fiancé le fait devant celui qu’elle aime. Quelques trainées roses stagnent au dessus du contraste visuel du paysage encore non distinct, barres menues prédisant la venue du jour. 

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 Alors vous contemplez la montée du disque magique, d’abord petite pointe de rose dans cette marée bleue, puis éclair vivant au travers des arbres pelotonnés sur la ligne lointaine de la naissance de la vie, puis soucoupe rouge envahissant la perspective, imprégnant l’œil d’une rosace furtive, comme si vous aviez chaussé une paire de lunettes roses dans une piscine bleu marine. Enfant émerveillé, vous vous laissez envahir d’une légèreté nouvelle, d’une aspiration fraiche, jusqu’au moment où le disque dépasse ces limbes rampantes pour s’élever au-delà, dans l’azur incommensurable de l’univers dévoilé et ouvert comme un livre devant vous. 

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Changement de couleurs, le ciel devient jaune au dessus du bleu pétrole, presque noir de la perspective. Les trainées roses blanchissent et reflètent la lumière au lieu de simplement la tamiser. Le miracle est accompli, ou presque. D’ici quelques minutes, le paysage sera dévoilé, défloré, et vous reprendrez le chemin de votre maison, aérien, courant en pensée dans l’univers des couleurs, cueillant de ci de là les touches irréelles de la beauté si simple et si pure d’un matin comme chaque jour, mais que vous avez contemplé et qui vous a transformé.  

poésie,littérature

 

 

22/10/2011

Cinéma, un art qui reste à exploiter

 

Le cinéma, à quelques rares exceptions, reste un art en enfance. Qu’est-il ? Un livre en images, presqu’une bande dessinée avec des personnages vivants. Il raconte une histoire, le plus souvent dans l’ordre chronologique, il reproduit en images ce qu’un bon roman explicite, souvent mieux. Et pourtant, le cinéma est le seul art qui puisse nous faire percevoir, dans sa netteté et sa vérité, une situation dans toutes ses dimensions physiques et psychologiques.

En effet, par le son, on peut rendre, comme le ferait la poésie et la littérature, le mécanisme d’une pensée. Ce mécanisme peut être direct, par la parole prononcée ; il peut être indirect, par un commentaire des impressions données par l’image, ce qu’on appelle une voix off, et l’on peut aussi user d’autres artifices que la parole ; musique, bruits, silence. Mais l’image permet également de donner la vision même de cette pensée. Mieux, l’image permet de rendre à la fois la vision physique que l’œil transmet au cerveau et la vision intérieure de la pensée, c’est-à-dire les souvenirs ou la création d’images exprimant une vision autre, personnelle, qui s’impose en ce moment à vous-même. Elle permet de sauter de la perception visuelle, nette, véridique et comme agrandie, à la vision imaginaire et flou de la pensée.

Ainsi, lorsque vous vous promenez dans une rue de votre ville, que vous connaissez bien, vous voyez, entendez ce qui s’y passe, vous répondez même aux personnes qui vous interrogent. Mais dans le même temps, vous laissez défiler dans votre mémoire des faits passés se rapportant à ce que vous y avez vécu à un moment ou un autre, vous revoyez à la place du marchand de meubles le réparateur de tapis qui occupait la boutique auparavant, vous vous souvenez d’un incident survenu à une personne dans la rue et vous entendez son cri désespéré qui fit se retourner les passants. Et vous pouvez même imaginer une autre fin de ce souvenir, que vous inventez en marchant aujourd’hui au milieu de cette rue. Tout cela dans toutes ses perceptions : la vue, l’ouïe, l'odorat, et même le toucher et le goût, comme la madeleine de Proust.

On pourrait même aller plus loin dans la vérité que la pensée elle-même, car elle ne se fait qu’une idée confuse de l’objet qu’elle digère. Le cinéma, loin de digérer cet objet, permettrait d’en séparer chaque élément, chaque organe, chaque morceau de matière pour aller plus profondément dans sa découverte.

Il nous faudrait un Proust cinéaste. Mais il y en a, chacun à sa manière : Bergman, Alain Resnais, Buñuel et bien d’autres. En quoi sont-ils différents des cinéastes habituels ?

 

 

21/10/2011

Peer Gynt, drame poétique d’Henrik Ibsen, mis en musique par Edvard Grieg

 

Peer Gynt est une épopée populaire, sorte de féérie satirique, teintée d’idéal, comme il sied à toute invention scandinave.
L’histoire de Peer Gynt, un jeune homme prétentieux et paresseux, commence dans les premières années du siècle dernier et finit presqu’avec lui. L’aventure se passe aux quatre coins de la terre. Car notre anti-héros quitte la Norvège pour courir le monde à la recherche de son âme. Il cherche sa vie parmi celle des autres et fuit la réalité en utilisant le mensonge. Après d’innombrables aventures, Peer Gynt retrouve Solveig qui l’attend toujours, le berce dans ses bras et lui murmure : « Ton voyage est fini, Peer, tu as enfin compris le sens de la vie, c’est ici chez toi et non pas dans la vaine poursuite de tes rêves fous à travers le monde que réside le vrai bonheur. »
Mais la musique a presque réussi à prendre le pas sur la pièce, avec de magnifiques partitions : Au matin, Mort d’Aase, Danse d’anitra et Dans le hall du Roi de la Montagne. Mais le plus émouvant est certainement la Chanson de Solveig.
Et si en compagnie de la douce Solveig, de la vieille Aase, du Roi de la Montagne et de sa fille la Femme en vert, d’Anitra et de l’Homme à la Grande Cuillère, nous suivons ce mauvais garnement de Peer sur le chemin terrible du Grand-Courbe, c’est qu’il ne faut jamais séparer ces deux sœurs jumelles de la beauté, la poésie et la musique. Y ajouter la danse comble pleinement cette partie de nous-mêmes qui constitue le mystère de chaque être humain.

Danse d’Anitra, par Elena Kulagina
http://www.youtube.com/watch?v=iTxYxupxeAM&feature=re...
La danse dans sa perfection.

Dans le hall du roi de la montagne
http://www.youtube.com/watch?v=tESCB65d04M&NR=1&f... 

Mort d’Aase
http://www.youtube.com/watch?v=xCqDMe2s4gk&feature=re...
Quelle belle page musicale, qui est un univers de souvenirs que l’auditeur évoque, puis médite piano, jusqu’à se laisser ensorceler par ces réminiscences d’un passé révolu, mais bien présent dans la mémoire, si présent qu’il évacue l’instant de la mort d’Aase qui s’en va, tranquillement, sans qu’on s’en aperçoive.

 

 

20/10/2011

Le vin

 

Rouge, transparent, cristallin, pur,
Que vous regardez en soulevant le verre,
Que l’on admire d’un œil gourmand,
Qui résonne de sons grêles et harmonieux,
Qui enchante le regard avant le palais
Et que vous portez à votre nez
Pour en sentir les effluves, douces,
Chatoyantes, légères comme un parfum,
Avant d’en prendre une gorgée, petite,
Froide ou tiède, que vous laissez couler
Avec ferveur, dans votre bouche
Pour la malaxer et ronronner
Jusqu’à en extraire l’ensemble du fruit,
De la banane à la framboise,
Des bois d’oliviers aux arbousiers,
Et laisser mourir en vous
Les derniers arrière-goûts, fragiles,
Du nectar que vous avez amoureusement
Ouvert, éventé, effeuillé, humé,
Et finalement savouré. 

Quelle étrange religion que celle-ci !
Encensée par son pouvoir de transformation,
Reçue chaque jour par la prêtrise,
Rejetée vigoureusement
Par les imams en mal de fatwa,
Interdite aux femmes enceintes
Comme un poison symbolique,
Recommandée par certains médecins
Aux malades en mal d’éprouvettes,
Ingurgitée par la jeunesse
En recherche de sensations,
Rejetée par les experts en œnologie
Pour garder le goût sûr et solide,
Bue par le commun des mortels
Simplement, benoitement, modestement.

Et tout ceci par le fait incroyable
D’un plan de vigne sur un coteau
Inondé de lumière, abrité du froid,
Biné, sarclé, désherbé, fumé,
Par les mains d’un vigneron
Qui tient amoureusement chaque plant
Avant d’enfouir ses racines en terre
Et de le regarder pousser, s’enjoliver,
Se démultiplier, étendre ses tentacules,
Et faire naître au printemps quelques billes
Vertes, étranges, rassemblées ridiculement
En paquets qui deviendront des grappes
De raisins juteux, fermes, colorés,
Que l’on prend dans sa bouche
Pour en déduire l’esprit du vin futur.

Don des dieux,
Miracle de la nature,
Art de l’homme,
Pour satisfaire
La montée vers les cieux
Ou la descente aux enfers,
Selon les a priori de chacun.