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17/03/2012

Autoroute, un vendredi soir

 

Autoroute, un vendredi soir
Le soleil assoiffe le ruban gris
Qui déroule sa glissade devant nous
Au loin, il tremble de chaleur
Et prédit à l’automobiliste hasardeux
La cécité provisoire des voyages vers l’ouest
La voiture ronronne avec aisance
Avalant mètres et kilomètres
Dévalant les pentes échevelées
Remontant sans peine la contre-pente
Insensible à la fatigue et au bruit
Alors que, face à nous, surgissent
Les bolides bondissants et félins.

Hors de cette saignée, calme, silence
Béatitude d’une campagne endormie
Par une après-midi de repos
Quand déjà le cercle de lumière
Atteint l’horizon, diffusant
Aux arbres et collines une lueur
Légèrement jaunie par quelques nuages
Amassés sur un fond de ciel cotonneux

Sortie dans l’ombre, au crépuscule
Pour se laisser entraîner subrepticement
Vers d’autres horizons invisibles
Qui nous conduiront sans bruit
Jusqu’à la maison rêvée et choyée
Où l’on entrera pour ouvrir une nouvelle vie

 

16/03/2012

Impressions champêtres

 

 

Il y a déjà un an, j’ai eu un coup de foudre pour deux tableaux assez proches, l’un de Renoir, intitulé « Chemins montant dans les hautes herbes », peint vers 1872-1875, et l’autre de Claude Monet, « Coquelicots », peint en 1875. Et je les retrouve hier, au musée d’Orsay, presque côte à côte, parmi les autres impressionnistes.

 

 Renoir-chemin montant dans les hautes herbes.jpgMonet Coquelicots.jpg

 

 

 

 

 

La même impression d’irréel heureux, le même enchantement d’un début d’été, odorant, dans le silence ouaté de la campagne, comme un arrêt du temps, quand l’instant devient éternité par émerveillement de l’être.

 

Renoir-chemin montant dans les hautes herbes.jpg

 

Quelle merveilleuse descente de la colline ensoleillée, presqu’illuminée de cette couleur irréelle que donne les rayons trop puissants d’un après-midi de chaleur. On entend rire les premiers groupes de femmes, jeunes, souriantes, joyeuses, qui se laissent caresser par les herbes hautes en se tenant par le bras. La première cueille quelques coquelicots ou autres fleurs, elle hume avec délice l’odeur renversante de la nature épanouie, ouvre les yeux sur ces couleurs vives, mais diaphanes que donne le silence d’un début d’après-midi en été. Plus loin, en haut de la colline, les parents, ou un autre couple, devisent plaisamment, en bonne compagnie, se laissant porter par l’ambiance simple et magique de ce jour. Les contours de la végétation restent flous, sauf au premier plan, comme les mirages, emprunts d’un léger tremblement qui transforme la réalité en rêve vivant.

 

Monet Coquelicots.jpg

 

Et il en est de même pour les Coquelicots de Monet. Le dessin est plus enfantin, plus sombre aussi, sans doute en raison du ciel plus chargé. La douce transparence des chaleurs d’été n’y est pas. L’atmosphère est cependant douce, moutonnée, coconnée, englobée dans ces couleurs moins vives, enrobée de gris qui sont le reflet des nuages filtrant la lumière et qui donnent ce repos moins exaltant, mais aussi subtil, que le tableau de Renoir. Les coquelicots s’égaillent sur la pente de la butte (ce n’est pas une colline). Ils s’égrainent comme des cloches au son cristallin, enchantant le regard sur ces hautes herbes qui ondulent sous la brise. Là aussi les personnages en descendent, deux mères avec leur enfant. L’ombrelle, instrument indispensable à l’époque, alors que de nos jours on se laisse griller au soleil avec juste, et encore, un écran de crème à même la peau. Elles avancent calmement, ont l’air perdues dans leurs pensées, et les enfants restent sagement à leur côté, comme intimidés par cette nature immobile, silencieuse, endormi.

 

Merci à vous, artistes, pour ces petits chefs d’œuvre pleins de promesse d’été ! Grâce à votre art, vous nous faites revivre ces instants merveilleux de l’enfance, par ces impressions si finement délivrées, qui, comme la madeleine de Proust, entraînent le souvenir vers ces paysages oubliés dans les replis de la mémoire.

 

 

15/03/2012

L’opinion publique

 

En ces moments d’élections, lorsque les médias s’enflamment journellement pour ces héros conspués qui se présentent au suffrage universel, il est important de savoir jusqu’à quel point le quatrième pouvoir exerce son influence.

Pour Alfred Sauvy, l’opinion publique est le for intérieur d’une nation, un arbitre, une conscience. L’opinion publique, cette puissance anonyme, est souvent une force politique, et cette force n’est prévue par aucune constitution [1].

On a longtemps pensé que les médias avaient un impact important sur l’opinion publique. La propagande, au milieu du XXe siècle, a largement utilisé ceux-ci pour influencer l’opinion. Il s’avère cependant, contre toute attente, qu'ils n’ont pas un impact aussi important que celui qu’on leur attribue en matière de formation de l’opinion.

Les expériences de laboratoire et les enquêtes sur le terrain ont en effet mis en évidence que la propagande portant sur des objets aussi différents que des élections ou le moral d’un ennemi produit peu de changement sur les opinions. L’image d’un auditeur passif auquel on fait ingurgiter des vérités prémâchées et que l’on peut manipuler aisément est fausse, comme l’ont clairement montré Paul F. Lazarfeld, Bernard Berelson et Hazel Gaudet à l’occasion de la première étude par panel d’une élection présidentielle (celle de 1940 qui opposait Roosevelt à Willkie) [2].

 

Dans la plupart des sociétés contemporaines, on peut distinguer cinq catégories d’influence :

§        Les décideurs qui sont ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique, administratif, judiciaire, militaire, policier, etc. Ils sont, dans les pays démocratiques, très sensibilisés aux réactions de l’opinion, doivent en tenir compte et sont parfois paralysés dans leur action pour cette raison. Dans le même temps, ils cherchent à faire évoluer l’opinion de façon à faire passer les réformes qu'ils jugent nécessaires, mais qui pourront être impopulaires.

§        Les leaders d’opinion sont ceux qui cherchent à faire valoir leur représentation du monde et leurs solutions aux problèmes de société. Il s’agit des chefs de partis politiques et d’institutions religieuses, des représentants de syndicats et de toutes sortes d’organismes fédérateurs ou d'associations. 

§        Les “ communicateurs ” ou professionnels des médias, qui tendent de plus en plus à se constituer en pouvoir autonome, indépendant économiquement, donc moins orienté politiquement qu’auparavant. Les anglo-saxons les appellent “ communicateurs professionnels ”, c’est-à-dire ceux qui maîtrisent une compétence spécifique dans la manipulation des symboles et qui utilisent ce talent pour nouer une liaison entre différentes personnes ou divers groupes. Pour P. Schaeffer, le communicateur remplit un rôle de médiateur, brisant la relation directe entre les décideurs et leaders d’opinion et le public. Il choisit parmi toutes les informations celles qu'il veut communiquer.       

§        Les instigateurs d’opinion, ou “ guides d’opinion ” pour les anglo-saxons, qui, in fine, modèlent l’opinion des membres du ou des groupes auxquels ils participent. Charles Horton Cooley, puis plus tard, Elihu Katz et Paul F. Lazarfeld ont fait ressortir l’importance de leur rôle. Ils servent de filtre entre les médias de masse et le reste du groupe (théorie du « Two steps flow of communications »).

§        Les groupes primaires, qui jouent également un rôle important dans la formation de l’opinion en raison des phénomènes de conformité et d’obéissance qu’ils fédèrent ou encore des phénomènes de déviance suscités.

Les opinions et les attitudes d’une personne dépendent en fait de celles de son environnement social. On ne peut pas vraiment parler d’influence, mais plutôt d’un processus qui lui permet de choisir entre la réalité objective et la réalité sociale constituée par les opinions de son entourage.

 

[1]  Alfred Sauvy, L’opinion publique, Que sais-je n° 701, Paris, Presses Universitaires de France, 1971, p.6.

 

 

[2]  Paul F. Lazarfeld, Bernard Berelson et Hazel Gaudet, The People Choice, New York, Columbia University Press, 1948.

 

14/03/2012

Péplum, roman d’Amélie Nothomb

 

Amélie Nothomb, la surdouée des dialogues et de la joute verbale, s’en est donnée à cœur joie dans ce livre. Malheureusement, le résultat est12-03-14 Couv Péplum.jpg mitigé. D’abord, est-ce un roman ou une pièce ? Un roman puisqu’elle l’a choisi ainsi, le titre Péplum étant sous-titré roman. Mais c'est un dialogue sans explication, à prendre brut. D'ailleurs, pourquoi Péplum, qui est une tunique de femme dans l’antiquité ? Certes, la narratrice le porte dans cette aventure dans le futur.

La romancière se fait opérer et se réveille dans une salle bien différente de celle d’un hôpital. A son chevet, Celsius, scientifique énigmatique lui annonce qu’elle est en 2580. Et le dialogue commence, fait de petites phrases courtes, cinglantes, ironiques. Cela durera jusqu’à la fin du livre, que je n’ai pas lu en entier. A la page 90, j’ai déclaré forfait, lassé, voire écœuré au vrai sens du terme, par ces réparties permanentes, comme une partie de tennis dont les balles sont rapides, trompeuses, envoyées aux quatre coins du court et qui dure des heures, voire des jours. Ces échanges peuvent être drôles lorsqu’ils sont enrobés d’une situation et d’évènements, mais un livre complet d’anathèmes entre deux pèse trop lourd.

On y trouve cependant quelques détails intéressants. C’est ainsi que Celsius explique à A.N. :

– Moi qui vous parle, je suis oligarque.

– Compliments.

– Vous ne me demandez pas en quoi consistent ces tests ?

– Il est inutile de vous le demander. Quand un premier de la classe a eu une bonne note, il finit toujours par réciter les questions, les réponses et les félicitations.

– Nous sommes évalués sur trois plans : notre intelligence (en ce, compris notre culture), notre caractère (en ce, compris notre honnêteté) et notre santé (en ce, compris notre beauté).

– Votre beauté ?!

– Oui. Les laids ne sont pas admis.

– C’est d’une injustice flagrante !

– Pas plus que le reste. Être jugé sur son intelligence est aussi injuste que d’être jugé sur sa beauté.

 

On y trouve même quelques réflexions intéressantes :

– De toute éternité, le Beau est plus rentable que le Bien.

– Rentable !

–Réfléchissez. Le Bien ne laisse aucune trace matérielle – et donc aucune trace, car vous savez ce que vaut la gratitude des hommes. Rien ne s’oublie aussi vite que le Bien. Pire : rien ne passe aussi inaperçu que le Bien, puisque le Bien véritable ne dit pas son nom – s’il le dit, il cesse d’être le Bien, il devient de la propagande. Le Beau, lui, peut durer toujours : il est sa propre trace. On parle de lui et de ceux qui l’ont servi. Comme quoi le Beau et le Bien sont régis par des lois opposées : le Beau est d’autant plus beau qu’on parle de lui, le Bien est d’autant moins bien qu’il en est question. Bref, un être responsable qui se dévouerait à la cause du Bien ferait un mauvais placement.

Mais très vite on se lasse de ces affrontements permanents qui ne sont que des dialogues creux où seuls comptent le persiflage et le quolibet.

 

N’ayant pas tout lu, je n’ai pu m’empêcher d’aller voir à la fin ce qui se passait. Et, bien sûr, tout cela se termine par l’écriture d’un roman qui raconterait l’aventure : Quand j’eus fini de rédiger ce manuscrit, je l’ai apporté à mon éditeur. J’ai précisé qu’il s’agissait d’une histoire vraie. Personne n’a daigné me croire.

 

 

13/03/2012

Ecoute d’une fenêtre ouverte sur un piano

 

Ecoute d’une fenêtre ouverte sur un piano…

Cristallines, les notes tombent une à une,
En cascade, ralenties, comme gelées,
Et la pesanteur les laisse s’écraser
Sur la surface lisse et froide,
Entre les rochers de la solitude.
Emportées par le tourbillon des flots,
Elles forment un renflement
Et s’évasent entre les cailloux
Qui parsèment la main gauche
De coupures subtiles.
Certains passages, entre les pierres,
Entraînent un modelé accéléré
Dans lequel les notes se noient
Dans une harmonie prudente,
Avec une retenue évidente.
Enfin... La plaine luxuriante
Où la mélodie prend de l’ampleur,
Accompagnée de nombreux accords :
Septième dominante,
Neuvième parfois,
Toujours suggérés,
Susurrés à l’oreille.
Tout s’éteint,
Se dilue,
Se perd,
Dans le grand bleu turquoise.

Alors on se laisse endormir,
L’esprit libéré de ce tout
Qui nous empoisonne
L’existence de son obsession :
Penser = vivre.
Quelle erreur !

 

12/03/2012

Le plein du vide, composition musicale de Xu Yi (1997)

 

http://www.youtube.com/watch?v=-kpIxptSdm0

 

C’est un voyage dans le continuum espace-temps d’Einstein. On y flotte, sans repère, à la dérive, dans un ensemble inconnu. Où se trouve-t-on ? Qu’entend-on ? Perte de la réalité, le noir, le vide, comme un manque d’espace, ou plutôt un trop d’espace vide, sans rien qui le limite.

 

Nous sommes partis, le tambour l’affirme.
Alarme ! Les trompettes...
Frottement du véhicule dans l’espace
Puis, plus rien. Ah, si !
Qu’est-ce ? Une ombre de sons,
Un délicat enchantement des nerfs,
Une attente exacerbée d’un accord
Qui arrive parfois, au détour d’une absence.
Montée des insectes qui piétinent
Dans le sable qui crisse sous les pas.
Quelques bulles éclatent, irisées,
A deux encablures de votre corps.
Vous restez impassible, engourdi.
Appel des bambous cognés,
Des bonbonnes résonnantes,
Des serpentins de clarinettes,
Et montée en puissance
De voix obscures et diffuses
Dans la forêt de bruits atténués
Par l’espace, l’espace, l’espace…
Le temps n’a plus de prise,
Il fuit, écrasé de sons, d’éclatements ;
Il se réfugie sous la couverture
Du crâne qui résonne intensément.
Silence ! Pénétration du vide
Dans la calotte cervicale
Comme un glaçon glissant
Entre les neurones atones.
Le temps s’allonge, s’allonge,
Prend de l’espace, loin, très loin.
Pas de final, l’arrêt du son
Est-il un signal de finition ?
Vous vous complaisez
 Dans cet univers insolite
Inimaginable, empli de pièges.
Vous vous sentez projeté
Par les explosions,
Les insinuations,
Les appels d’on ne sait où !
Et si vous vous laissez aller,
Vous sombrez dans l’absence,
Vous rétractez votre personne
Jusqu’à ne plus contenir
Qu’un vide nourrissant.
Quelle perspective !

 

 

« Xu Yi est née à Nankin, en Chine, peu avant la Révolution culturelle. À l'âge de six ans, elle doit suivre sa mère envoyée à la campagne dans une ferme de rééducation ; là, elle commence l'apprentissage du violon chinois (voir article du 16 septembre 2011 sur l’erhu). Elle entre au conservatoire de Shanghai où elle poursuit cet apprentissage, puis, à l'âge de dix-sept ans, elle intègre la classe de composition. Elle obtient une bourse d'étude pour venir en France. À son arrivée, en 1988, elle suit le cursus de Composition et informatique musicale de l'Ircam (1990-1991). Elle entre au Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) de Paris où elle étudie avec Gérard Grisey et Ivo Malec, et obtient un premier prix de composition en 1994. Elle vit actuellement à Pékin. »(Jean-Luc Idray)

 Il semble que, chez Xu Yi, le temps soit davantage psychologique que chronologique : c'est la densité des sons-évènements qui produit la perception du temps. En fait, entre dynamisme et immobilisme, c'est une conception circulaire du temps que l'œuvre reflète. Xu Yi n'envisage pas un temps musical T qui se référencerait suivant le schéma habituel du Chronos, soit un temps linéaire allant du passé à l’avenir, tel que le conçoit l’occidental dans sa vision matérialiste et mesurable du temps. Xu Yi envisage plutôt un temps unique par nature et qui se redéfinit en permanence en puisant en lui-même son évolution. Il s’agit d'un temps circulaire en mouvement, en perpétuelle « inventivité » et non d’un temps circulaire statique. Xu-Yi redéfinit le temps par rapport au non-temps, mêlant le yin et le yang dans une recherche sonore complexe. Le temps dans sa musique s’étire, forme un équilibre qui traduit l’harmonie universelle, un juste milieu entre le son et le silence, la lumière et l’obscurité, le vide et le plein.

 

Ceux qui désirent approfondir ce style de musique pourront lire utilement le contenu du site :

http://www2.cndp.fr/secondaire/bacmusique/xuyi/musique_temps.htm

 

 

11/03/2012

De calvaire en calvaire (1ère partie)

 

Un calvaire est un aide-mémoire dans la vie quotidienne campagnarde. Il est là pour dire stop, ne plus penser, se réfugier au-dedans de soi et s’ouvrir au bonheur de vivre, ce que l’on oublie un peu trop facilement. Ils sont nombreux, multiples, de toutes les formes ; mais tous nous disent : « Cesse de penser à tes affaires, profite de l’air, regarde les terres, chante comme les oiseaux. » Oui, cela peut paraître paradoxale, la croix est source de vie, elle puise ses racines dans la terre, elle étend ses bras sur le monde et redresse la tête vers le ciel, comme une offrande à la beauté de la vie. Elle est un pont entre la transcendance et l’immanence, avec l’homme à la croisée du vertical et de l’horizontal.

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Les calvaires doivent être champêtres. Faut-il cependant qu’ils soient envahis de lierre au point d’être méconnaissables ? Jésus couché dans sa crèche, immolé dans les feuilles odorantes, abrité des regards, veillant sur les champs et les prés, revêtu de feuillage. Le ciel pur entoure sa majesté inconnue, simplement.

 

 

 

 

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Plus modeste, une simple croix rappelle au poète ou au passant la présence de la divinité et sa discrétion : rien  que deux bouts de bois croisés, un peu en biais, comme pour mettre en évidence la fatigue et la peine de celui qui n’est pas représenté. Elle a les pieds bien sur terre, enchâssés dans la pierre. Elle se dresse dignement, presque majestueusement, mais frêle dans la nuit qui tombe. C’est l’heure de l’angélus qui sonne au loin par-dessus les arbres et fait vibrer les oreilles et, en écho, les cœurs.

 

 

 

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 Elle rejoint les fils électriques dans leur verticalité et leur horizontalité. Modeste également, ayant perdu sa peinture, redécouvrant la pauvreté de l’air, elle possède cependant une image, mieux même, une petite pièce sculptée dont on n’aperçoit que les jambes, un peu Calvaire 31.JPGrouillées, et dont le visage se cache au centre de la croix, penché sur l’humanité, empreinte de l’invisible. Quel contraste, la croix de bois et l’électricité : l’une à laquelle plus personne ne prend garde ; l’autre, devenu le dieu de la société de consommation.

 

 

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Double croix, la pierre, puis le fer. Le ciel est gris, pesant, Calvaire 41.JPGun ciel de vendredi saint ! Mais quelle élégance possède cette double croix, altière et légère, imposante et nue, forte et malingre. A l’image du crucifié, très petit, mais bien présent. Et pourtant ce n’est qu’un calvaire au bord d’un chemin, engourdi dans la pente, sortant juste sa croix si on l’aborde par derrière. Mais sa droiture est cinglante, son assise solide. Cette croix est chez elle, dans sa plénitude, les bras tendue vers le ciel, un ciel mitigé d’espérance ou de soucis.

 

 

 

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Un christ sur son autel, dans une portion d’église, peut-être détruite pour laisser passer la route, voie impériale dCalvaire 71.JPGes locomotives à pneus. Entouré de ces arbres ébouriffés, hirsu-tes, il ne paye pas de mine, peinturluré de minium. Mais cette croix a de la grâce, un aspect romantique et bigot qui vous contraint à la regarder pour s’interroger : sur la croix, au soleil, chaque jour, Tu te donnes à moi, comme si j’étais seul en face de Toi. 

 

Transfiguration, soulignée de plus par les faux rayons partant au carrefour des deux branches. Et autour, le calme, la sérénité d’une campagne sur laquelle passent juste deux nuages, avec lenteur, sans bruit. Une image idyllique sur un ciel d’azur. C’est l’abbaye à la terre, la sainteté naturelle, la respiration du monde face à l’absolu.
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10/03/2012

Exposition Damien Hirst

 

« Imaginez un monde de points. A chaque fois que je réalise un tableau, c’est comme si une pièce de cet univers en était découpée. Ils sont tous connectés.»

Damien Hirst

 

Intitulé « The Complete Spot Paintings 1986-2011 », cette exposition (rue de Ponthieu, 75008 Paris) se déroule simultanément dans les onze galeries Gagosian de New York, Londres, Paris, Los Angeles, Rome, Athènes, Genève et Hong Kong. Il semble, apparemment, que Damien Hirst, le peintre, soit connu. Il a été récompensé du Turner Prize en 1995. Son œuvre est présente dans d’importantes collections publiques et privées à travers le monde.

 

 

hirst-carré.jpg

 


 

Imaginez une galerie de grandes et larges pièces, et, sur les murs, de grandes toiles blanches (un simple apprêt) sur lesquelles figurent, alignés géométriquement, des ronds de couleurs. Ces couleurs ont-elles été choisies en fonction d’une harmonie secrète qui rendrait des effets recherchés et vérifiables ? J’en doute. Ce sont des ronds de couleurs sur une page blanche, sans autre effet que celui-ci. Il avoue lui-même qu’il ne les peint pas. Il les fait peindre par de petites mains. Sans doute lui est-il arrivé de remplir quelques cercles de couleur rouge, verte, bleu, plus ou moins foncé ou pâle. Mais tout cela vaut-il le déplacement et, encore moins, l’achat ? Or ces toiles se vendent des millions. Est-il possible qu’il y ait tant de gogos prêts à payer par snobisme ? Oui, la peinture contemporaine est art, au même titre que la peinture moderne et antérieure, mais si elle est dense, diversifiée, si elle fait preuve d'une beauté idéalisée ou réaliste. Oui à l’art cinétique. Mais ces ronds colorés, même brillamment (il emploie effectivement de la peinture brillante pour les ronds), ne mérite pas le nom d’art. Ce n’est pas de l’inspiration, mais du marketing, de la séduction commerciale, avec pour seules intentions esthétiques :  "Saisir la gaieté de la couleur, faire œuvre de coloriste" (d'après Damien Hirst). Tout simplement!

Retour au crayon de couleurs de l’enfance, voilà son idéal. Mais nombreux sont ceux qui se précipitent pour acheter, parce que ces carrés de ronds valent des millions.

 

Une exception cependant, c’est ce tableau où les points sontEntrelats borromee gauche.gif assemblés, plus ou moins, en anneaux de Borromée. Les anneaux de Borromée tirent leur nom d'une célèbre famille de princes italiens de la Renaissance, les Borromée, qui les adoptèrent comme symbole héraldique. Ils sont gravés dans la pierre de leur château, sur l'une des îles Borromée du lac Majeur. Les anneaux de Borromée sont un symbole fort de la cohésion nécessaire d'upolygrammes-cercles 1.jpgn groupe : des sociétés commerciales l'utilisent comme logo, des campus universitaires les font trôner à leur entrée et c'est l'un des éléments de la symbolique lacanienne. Dans ces entrelacs, chaque anneau est en dessus ou au dessous du suivant si on tourne dans le sens trigonométrique, donc ils « descendent » ou ils « montent ».

 

Il faut l’avouer, ce cercle entrelacé de boucles que l’on ne peut suivre qu’avec une extrême attention est assez magique. Son mystère en fait sa beauté. On y voit des courbes tourbillonnantes et même des sphères qui apparaissent subrepticement, puis échappent au regard.

 

 

Hirst-rond.jpg

 

 

 

09/03/2012

Se voir, regarder, et puis, partir

 

Se voir, regarder, et puis, partir,
Au loin, vers un horizon insoluble,
Au plus près des navires noirs,
En volant avec la mouette blanche.
Salée comme le goût de l’eau,
Elle dit adieu aux terres connues
Pour se tourner vers l’exponentiel,
Le grand mirage des flots déchainés,
L’étendue grisâtre et vert de gris,
Comme le chat espiègle et riant,
Pour compenser les jours de peine
Et les nuits d’outrage.
Elle a mis son manteau de loutre,
Elle a regardé son appartement,
Petit, malhabile, encombré,
Et a décidé de s’enfuir, loin de tout,
Dans une agitation inquiète.
Regardant les magazines colorés,
Elle a choisi cet au-delà des mers,
Derrière les soucis et les joies,
Là où plus rien n’effacera
Ses souvenirs d’une vie remplie
D’un petit air charmant et triste.
Où seras-tu dans quelques heures ?
Partie à bord, dans sa cabine minuscule,
Regardant par le hublot l’onde
Secouée de rires et de pleurs,
Et constatant sans peine le désert
Des eaux agitées, mais impavides,
Que feras-tu lorsque tu seras loin
De tout souvenir et de tout sentiment,
Avec pour seul horizon, plat, cette ligne au loin,
Qui se rapproche lentement, inexorablement ?
Mais derrière cette ligne qui fuit sans cesse
Qu’y a-t-il de si attrayant ?
L’envers d’un décor de rêve,
Le charme discret et respectable
D’un épisode fermé et désespéré.
Une comédie burlesque,
Un grand rire ébouriffant,
Un sourire de petite fille,
Une grimace de singe velu,
Le coup de queue d’un poisson
Volant par-dessus les rêves,
La chanson aigrelette et vaine
Des oiseaux prisonniers de l’air.

Départ vers la liberté de conclure
D’une pirouette mal assurée
Allez donc, partez si vous le voulez !
Que restera-t-il de votre personnage,
Juste un peu d’ombre le matin
Lorsque, réveillés, les passants attentifs
Regarderons ces fenêtres ouvertes
Et verront le rideau se soulever,
Légèrement, prudemment,
Pour qu’un visage exsangue
Leur fasse un dernier bonjour :
Ah, quelle farce que ce départ !

 

08/03/2012

L’invitation au voyage

 

Un rêve aérien ou marin, pagode ou navire, toits ou voiles, flots ou briques !

Parti en Extrême-Orient, je dérive dans les fumées d’opium (imaginaires, bien sûr), errant dans les paysages insolites et colorés de rouge et de jaune, pétaradant dans la liesse populaire, à la recherche du dragon surmonté de ses enjoliveurs.

 

 

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07/03/2012

Le mystère de la vie et de la mort

 

La mort est un mystère, mystère qui effraie et qui attire. Elle nous pose la question de notre propre mort et par là même de notre propre vie. A l’abri de nos certitudes et des barrières que nous élevons, nous refusons souvent de constater que nous aussi nous pouvons mourir demain. Constat d’adulte que nous ne sommes pas prêts à faire, car il implique le regard sur la vie, sur ma vie. Suis-je prêt à mourir ?

Chacun de nous est à chaque instant confronté à deux tendances profondes qui influencent inconsciemment ses actes. D’une part la pesanteur de notre condition humaine, biologique pourrait-on dire. Elle nous incite à vivre sur l’acquis, l’avoir, à rechercher sans cesse une stabilité matérielle, qui, nous le pensons, nous permet d’échapper au temps et au  changement. D’autre part, la réalisation de notre vocation humaine, c’est-à-dire, ce qui, en nous, nous pousse sans cesse à nous dépasser, à lutter avec la pesanteur. Chacun de nous ressent en lui ce besoin qui fait la grandeur de l’homme. Il est enfoui au plus profond de nous-mêmes, souvent caché, ignoré, mais a été, à un moment ou un autre, ressenti. C’est l’appel de notre jeunesse à nous dépasser, à créer en nous et autour de nous un monde nouveau, à renouveler la vie en nous et autour de nous. C’est en cela que la vie devient plus forte que la mort, c’est en cela que l’être, en nous, se réalise.

Nous n’avons pas souvent conscience de cette lutte intérieure. Nous sommes entraînés par le mouvement du monde qui nous anesthésie. La mort d’un proche nous réveille et nous pose la grande question, celle de la mort et, en corollaire, celle de la vie.

La seule attitude possible est celle de l’acceptation : acceptation de notre condition humaine (nous sommes mortels à tout moment), acceptation active de notre vocation humaine, faire fructifier la petite flamme qui, en nous, nous pousse, presque malgré nous, à nous dépasser, à vivre avec un amour chaque fois plus grand. L’un ne va pas sans l’autre : comment accepter notre condition humaine sans savoir qu’on pourra s’y réaliser, comment réaliser notre vocation humaine sans accepter notre condition.

 

 

06/03/2012

La femme au miroir, roman d’Eric-Emmanuel Schmitt

 

 

Trois femmes, vivant à des époques différentes, l’une, Anne, à Bruges pendant la Renaissance, la seconde, Hanna, à Vienne au temps de Freud et la troisième, Anny, à Hollywood de nos jours. L’auteur fait tout pour nous suggérer une réelle ressemblance entre elles, voire faire penser qu’il s’agit de la même.  Toutes les trois se disent différentes des autres femmes, celles qui obéissent aux conventions sociales, se marient, ont des enfants. Elles refusent chacune le rôle que la société et les hommes veulent leur faire jouer.

Anne refuse le mariage, erre dans les bois, trouve un moine qui lui explique qu’elle cherche Dieu sans le savoir. Après quelques hésitations sur sa vocation, elle devient béguine. Elle passe l’examen de passage avec la Grande Mademoiselle qui, après une demi-heure de silence, lui dit :

– L’âme ne sait voir la beauté que si elle est belle elle-même. Il faut être divin pour obtenir la vue du divin.

Elle finit sur le bucher, en innocente, opposé à l’archiprêtre, accusé par sa cousine qui l’a toujours haï.

Hanna, mariée à un homme riche, charmant, finit par divorcer, lassée de la course à l’enfant où l’entraînent les autres femmes. Elle devient médecin de l’âme et, un jour, passe le pont du béguinage.  Elle s’installe sous le tilleul cher à Anne et ressent la même chose.

Soudain, il me sembla que tout l’univers s’était concentré là. Les battements des ailes légères paraissaient la respiration de la plante. Le monde s’organisait en un décor panoramique qui enchâssait cette rencontre précieuse de l’animal et du végétal, me montrant l’essentiel, la continuité de la vie innocente, tenace.

Quant à Anny, elle se complaît dans l’alcool, la drogue et le sexe. Elle n’en sortira pas vraiment, mais son métier d’actrice, où elle excelle, la sauve. Après bien des péripéties, sans intérêt, elle trouve le rôle d’Anne et en fait son chef d’œuvre en montant sur l’échafaud comme une reine ou une sainte.

 

Curieux comme au fur et à mesure du temps, les femmes qui sont présentés semble plus creuses, moins structurées, moins belles dans leur âme. Anne, la visionnaire, est pure et communie avec la nature et Dieu. Hanna tombe dans la psychologie, Anny ne réussit qu’un coup, qui ne répare pas une vie égarée.

Cela reflète-t-il la réalité ? Non sûrement pas ! Mais Anne, la pure, a marqué au-delà de sa vie l’existence d’autres femmes, aspirant elles aussi, à cette soif d’absolu au-delà du devoir social.

 

 

05/03/2012

Sensation, impression, émotion

 

Sensation, impression, émotion,
Comment qualifier cet état de court-circuit ?
Plongé dans le noir rougeoyant,
Les yeux fermés sur l’ostracisme
Naturel, stérile, mais palpable
Entre hommes et femmes,
Entre riches et pauvres,
Entre blancs et noirs,
Entre blonds et bruns,
Entre hommes et entre femmes,
Encore plus, entre enfants.
Rien, le vide de l’espoir, sans amertume,
Enrobé du chocolat tiède
De sentiments indélicats.
Revenir à la primauté des sons,
A la couleur de l’illumination,
Au goût ouaté du pain d’épice
Un soir d’enfance, dans son lit.
Assis, je contemple l’effondrement
De mon personnage en quête de componction.
Plus rien ne sera comme avant !
Le bleu divin, le noir de l’évasion,
Le blanc du mirage imaginaire,
Le rouge de l’illusion perdue,
Le jaune des nuits d’été, chaud,
Le vert envahissant de l’âme
Qui courre de la tête aux pieds
Et brûle la gorge au passage.
Je peux encore toucher, extasié,
La main fine et délicate,
De la chance souriante
Ou encore celle, plus rude,
De l’éclat de fer des séparations.
Et ton regard me transperce,
M’étrangle dans le jour malhabile,
Etonné, anxieux, interrogateur.
Qu’as-tu fait de ta destinée ?
Je suis resté sur le chemin
A regarder passer, courageux,
Les groupes combattants et vigoureux
Qui se poussaient les uns les autres
Pour cheminer ensemble vers une mort
Annoncée, inexorable, meurtrissante.
Oui, je te regarde et souris
A ta beauté retrouvée et pleine
Car ensemble nous naviguons
Toutes voiles dehors, au vent du large,
Vers l’horizon désert, mais tentant,
Dont on ne voit plus le fil.
Donne-moi tes doigts de fée
Prends mon visage entre tes mains
Et contemple celui qui est
Avec toi, pour toi, en toi.

 

04/03/2012

Deuxième dimanche de Carême : la Transfiguration

 

Le deuxième dimanche est consacré à l’autre aspect du carême : la transfiguration. Cet aspect-là est moins souvent évoqué que le premier, mais il est essentiel, car il représente le fondement même du Christianisme : c’est Dieu qui nous sauve, tous nos efforts ne font que lui permettre de nous sauver. La transfiguration, c’est la vision divine accordée à l’homme. Cette vision, même si elle n’a duré qu’une seconde, change la vie. Plus rien ne peut être comme avant, même si tout redevient comme avant. Dieu, qui m’a touché du doigt, m’a montré le but de ma vie. Même si maintenant je suis redevenu comme avant, JE SAIS qu’ailleurs est le but. Les succès, les joies, les louanges n’ont plus le même goût. Je les sais vains, bien qu’ils m’attirent encore parfois, par habitude. Ailleurs se trouve ce que je cherche, même si je continue, par paresse, par manque de volonté, par orgueil aussi, à jouer mon rôle, mon personnage.

Cette transfiguration est un don de Dieu. Elle donne le sens des choses, l’esprit au-delà de la lettre. Elle est transformation de la vision du monde et des êtres parce que Dieu m’a transformé intérieurement.

En effet, pour les Pères de l’église, ce n’est pas le Christ qui a été transfiguré. La chair du Christ a toujours été transfigurée, sa divinité a toujours été dans son humanité. Ce sont les disciples qui ont reçu du Christ la grâce de le voir tel qu’il est, qu’il était et qu’il sera. Ils ont reçu le don de percevoir mystiquement la divinité du Christ à travers le voile de la chair. « La puissance divine, dit Saint Basile, a paru à travers le corps humain, comme une lumière à travers des membranes transparentes, brillantes pour ceux qui ont reçu les yeux du coeur purifiés ».

 

 

03/03/2012

Mont Saint Michel

 

 

Quel j12-03-01 MSM 1.JPGour curieux : brume et soleil, obscurité et lumière, caché et voilé, le noir et le blanc, le silence et les bruits ! En quelques instants tout change. Perdu ou sauvé,  dans u12-03-01 MSM 2.JPGne inconsistante bataille entre le paradis et l’enfer, nous avançons dans le froid relatif à la rencontre du rocher, énorme bloc que l’on ne voit pas, qui nous submerge cependant de sa hauteur. Il apparaît tout à coup, et sa silhouette magique s’imprime sur nos rétines, inoubliable.

 

 

 

12-03-01 MSM 4 red.JPGC’est un voyage entre terre, eau et air, aérien, léger comme le vol d’un oiseau et pourtant les pieds dans la boue, collante, ferme et glissante à la fois. Le regard ne sait plus ou s’accrocher. Les couleurs se fondent, se confondent, s’effondrent même là où la marée, qui commence à remonter, creuse le sable de longs sillons profonds. Votre corps se dilue entre ces trois éléments, vous vous sentez entraîné avec la montée des eaux, enrobé de grains de sable, et vous gardez les yeux ouverts sur ce trait incertain12-03-01 MSM 3.JPG qui marque l’horizon, comme un noyé regarde une dernière fois le ciel avant de sombrer dans l’abîme. Tout est pâle, atone, ouaté et peu à peu votre cerveau lui-même ne réagit plus, vos yeux se voilent de ce blanc qui envahit tout. Le regard du fiancé le jour du mariage qui voit le monde à travers le voile immaculé de sa promise. Quelle éblouissante vision !

 

Mais il faut bien avancer, monter à la rencontre du vaisseau qui ouvre ses flancs aux tou12-03-01 MSM 6 red.JPGristes tout en restant impavide et serein. Entrée encombrée de chinois, jeunes, riant, se bousculant, heureux de voir cette merveille, même s’ils n’en saisissent pas forcément le sens. Nous découvrons même, le comble du tourisme chinois, une échoppe, tenue par une chinoise, bien sûr, qui vend le mariage chinois, façon française, au Mont Saint Michel. Comme ils ont l’air heureux ces chinois qui viennent en France vivre le rêve de leur vie dans cette petite île, entre ciel, mer et terre, et contempler leur ascension dans les yeux de l’autre !

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Alors nous prenons par les remparts pour éviter l’agitation commerciale de la rue principale, seule, unique, pavée de cartes postales, de bonbons et de colifichets multiples, inqualifiables, luisants et colorés. Ecrasés par la masse énorme de l’abbaye qui sans cesse se rappelle au pèlerin, nous montons dans cet enchevêtrement de maisons, un peu comme les pèlerins de la cathédrale de Chartes qui progressent à genoux sur le dallage du labyrinthe.

 

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Nous n’entrons pas dans le temple de pierre : trop de gens sortis d’eux-mêmes. Nous préférons en faire le tour par le dédale des ruelles et toujours, en levant les yeux, sentir la main de Saint Michel caresser nos rêveries enfantines.

 

Retour à l’horizontale et première vision du rocher en entier, altier et délicat, comme un veilleur au cœur des troubles humains.

 

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02/03/2012

Expressionismus & Expressionismi, Berlin-Munich 1905-1920, Pinacothèque de Paris (suite et fin)

 

« Un peintre montre l'apparence des choses, par leur exactitude objective - en réalité, il donne une nouvelle apparence aux choses. » (Ernst Ludwig Kirchner)

 

Dans l’exposition Expressionismus & Expressionismi de la Pinacothèque, on peut voir le tableau d’Ernst Ludwig Kirchner « Chemin dans une forêt de montagne » (1919). Je n’en ai trouvé qu’une photographie tronqué etErnst Ludwig Kirchner - Chemin dans une foret de montagne (1919).jpg mauvaise qui ne rend pas du tout compte de la profondeur et du mystère que le tableau offre. Cette partie que l’on peut voir sur la reproduction est celle qui correspond, sur la toile, au nombre d’or. Elle est en réalité l’aboutissement d’un chemin qui s’enfonce dans la forêt comme un soc de charrue et qui ouvre vers le mystère.

Car cette forêt de sapins mouvementée, en pente, est comme un monde sous-marin, fait de verts tendres juxtaposés à des verts plus foncés. Elle est éclairée par une lumière qui fait ressortir les troncs en roses tranchants, presque rouges. Le ciel, vert pâle, mais étincelant, ne modifie pas l’ambiance du tableau. Il est magnifique de mystère, calme comme les deuxièmes mouvements des symphonies de Beethoven. Le mystère est apaisant et n’a rien à voir avec, par exemple, la musique de Wagner.

Kirchner peint une nature sauvage, exubérante, avec un dessin anguleuse et agressif. Mais ses couleurs sont adoucies, harmonieuses, profondes et créent un mystère indolent et fragile. Quelle intensité que ces bleus du tableau « Dans la forêt » (qui n’est pas exposé à la Pinacothèque). On imagine la tombée de la nuit, lorsque le vert de la végétation vire au bleu et où seules les parties illuminées encore par le soleil rendent leur couleur réelle, des verts tendres ou foncés qui se marient avec les bleus plus ou moins clairs des parties dans l’ombre. Magnifique tableau au mystère, là aussi, lumineux !

 

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01/03/2012

Labyrinthe d'escaliers

Pour Jacques Attali, il existe un langage avant l’écriture qui permet à l’homme de communiquer. C’est le labyrinthe. Il est le symbole de la perplexité de l’homme face aux mystères du monde. Cette représentation symbolique de l’espace devient non espace en raison de l’absurdité de ses dédales. Et là encore, c’est la géométrie et la symétrie qui trompent les sens de l’homme et le projettent dans un monde apparemment cohérent, mais incongru dès qu’on tente d’y entrer.

Symétrie haut-bas, symétrie droite-gauche, ce faux labyrinthe semble une construction finie, mais qui conduit à l’absurde de la marche en avant, comme la marche de l’homme dans la vie. Où vais-je ? Le savez-vous ?

Et tout cela, bien sûr, grâce aux cubes de Penrose, une fois de plus !

 

12-03-01 E31 Penrose 2.jpg

29/02/2012

L’art et le beau

 

« On prouve tout ce qu’on veut, et la vrai difficulté est de savoir ce que l’on veut prouver. » Ainsi parle Alain dans son « Avant-propos du Système des beaux-arts », écrit en 1926 et qui n’a pas perdu de pertinence. Il poursuit : « Le choix est tout fait, et inébranlable, et ce qu’on voudrait prouver, à savoir que l’œuvre est belle, est affirmé sans aucun doute par l’œuvre elle-même. »

C’est pourquoi l’art, à l’inverse des mathématiques, n’a pas de point de vue universel et les appréciations que l’on y porte, ne sont que le reflet de la pensée d’un seul, parfois partagées par un certain nombre d’autres humains.

Cependant, ne l’oublions pas, le goût pour l’art, et donc l’intérêt que l’on y porte, est également affaire d’éducation. Mais jusqu’à un certain point seulement. Apprendre à apprécier une œuvre et l’apprécier réellement est différent. Disons plutôt que l’on apprend pourquoi l’on apprécie telle œuvre plutôt que telle autre, on apprend à en goûter la vision d’ensemble et chacun des détails, mais au fond de nous, en dehors des modes et de l’influence des autres, on sent instinctivement ce qui nous plaît ou ne nous plaît pas. On baptisera chef d’œuvre ce que d’autres considèrent comme sans valeur esthétique, voire médiocre. Alors l’art serait-il simplement affaire de goût ?

Eh bien, là aussi, nous sommes sur la corde raide des sommets, avec, à droite et à gauche, la pente qui conduit à deux lieux opposés. Mais c’est bien cette fine limite, qui est le juste milieu, qui détient la vérité. Rien n’est blanc ou noir, tout est nuance et non pas gris. Et ces nuances sont la couleur de la vie et du monde.

On rejoint là un autre auteur, Maurice Nédoncelle, avec son livre « Introduction à l’esthétique », aux presses universitaires de France en 1963. Que nous dit-il ? L’esthéticien est le philosophe de l’art : il cherche à en éclairer la nature, à en décrire l’origine, les espèces, la finalité ; il essaie d’en discerner les rapports avec le beau, il analyse le mystère de la beauté même. Mais il ajoute aussitôt après : On peut se demander, il est vrai, si une telle réflexion est utile et ne se résout pas en verbiage… Nous pouvons nous familiariser avec le beau, nous ne pouvons le définir, il est aussi réel et indéfinissable qu’une personne vivante. Et c’est bien en cela que telle œuvre d’art fascine certains et pas d’autres, parce qu’elle ne correspond pas à sa façon d’appréhender la vie.

En réalité, l’œuvre d’art nous plaît parce qu’elle rencontre en nous une aspiration, une élévation de l’âme dont nous avons besoin pour vivre. Or, parce que chaque homme est unique, nous avons tous des voies différentes pour arriver à notre réalisation. L’œuvre d’art reflète plus ou moins ces voies et nous entraîne vers le haut selon que la beauté que l’on y trouve correspond à la voie qui nous permettra de nous élever. Mais alors, me direz-vous, l’œuvre d’art n’a pas de valeur universelle ? Si, elle en a bien, car cette élévation, cette aspiration se rejoint bien en un point, que certains appellent Dieu, quel que soit celui-ci, que d’autres appellent principe universel, et qui possède mille noms selon la pensée de chacun. Au-delà du Big bang, cette lumière qui éclaire le Tout, constitue notre ultime réalisation. Elle est sans nom  et l’on comprend que dans certaines religions on ne nomme pas Dieu (le judaïsme n’accorde que des attributs à YHWH), on ne représente pas Dieu (l’Islam a ainsi développé un art géométrique fascinant et impressionnant faute de pouvoir développer des images), voire même l’idée d’un dieu supérieur n’existe pas (le bouddhisme est une religion sans Dieu).

Pour revenir à notre vision de l’art, et donc à notre idée du beau, il semble que celui-ci a donc un rôle très particulier. Par l’attirance irrévocable que certaines œuvres possèdent, et qui est différente selon les personnes, l’art est une aide précieuse et un moyen sûr pour conduire à sa propre découverte, au-delà d’un moi imprégné de contexte, environnement, histoire, géographie, société et même mathématique, la science la plus universelle.

 

 

28/02/2012

Tricorne de doute et de pompe

 

Tricorne de doute et de pompe
Sans l’arrêt du cœur de Germain
Je gagnais la bataille du flambeau
Arrondi au ventre de l’inquiétude
Et mêlé à l’inconsistance de l’eau
Je navigue aux porphyres des côtes
A l’ombre du phare à quatre têtes
Auprès de la blonde délicatesse
Des lumières de nos corps

Sous la pluie de notre déraison
Les regards abrités de tes paupières
Abordaient la venue des saisons
Du métal de leurs facettes altières

L’image vide,
Les mains à la pesanteur de l’âme
Je rêve, parfois

 

27/02/2012

Expressionismus & Expressionismi, Berlin-Munich 1905-1920, Pinacothèque de Paris.

 

Cette exposition veut mettre en lumière la diversité de l’expressionisme allemand qui est composée de deux approches opposées, l’une par le mouvement Die Brücke (Le pont) et l’autre par le mouvement Der Blaue Reiter (Le cavalier bleu).
Die Brücke est fondé en 1905. L’objectif est de s’abstraire de toute règle. Il s’agit d’exprimer les émotions de l’artiste sans aucun aspect formel.

Der BlaDer Blaue Reiter.jpgue Reiter, fondé en 1912, est né du besoin des artistes lui appartenant de développer un art permettant de capter l’essence spirituelle de la réalité avec un langage contrôlé tendant vers l’abstraction. Pour cela, ils publièrent des livres et organisèrent des expositions. Kandinsky fut un des moteurs de ce mouvement. Dans son étude pour l’Almanach du Cavalier Bleu, aquarelle peinte en 1911, le cavalier est une métaphore de l’artiste : « Le cheval porte son cavalier avec vigueur et rapidité. Mais c’est le cavalier qui conduit le cheval. Le talent conduit l’artiste à de hauts sommets avec vigueur et rapidité. Mais c’est l’artiste qui maîtrise son talent ». La même année, il peint son premier tableau abstrait  « Tableau avec cercle » de 1911. C’est cette même année que paraît son premier grand ouvrage théorique sur l’art, intitulé « Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier ». Il y expose sa conception personnelle de l’art qui est pour lui d’ordre spirituel. Il développe également une théorie concernant l’effetVassily Kandinsky - tableau avec cercle (1911).jpg psychologique des couleurs sur l’âme humaine et leur sonorité intérieure. Le beau n’est pas lié à la reproduction d’une réalité quelconque, mais à l’agencement de couleurs et de la forme dans une harmonie émotionnelle. Toujours dans le même ouvrage, il définit trois types de peinture, les « impressions », les « improvisations » et les « compositions ». Tandis que les impressions s’appuient sur une réalité extérieure qui leur sert de point de départ, les improvisations et les compositions dépeignent des images surgies de l’inconscient, la « composition » étant plus élaborée d’un point de vue formel. Enfin, il s’attache à la dissonance. Comme Schönberg compose sa musique à partir d’une disharmonie, Kandinsky construit ses tableaux sur le principe de chocs colorés.

 

August Macke - Nu de dos sur fond rose (1911).jpg

Admirons également un autre peintre, August Macke et les deux nus exposés à la Pinacothèque. D’abord le tableau « Nu de dos sur fond rose, peint en 1911, trois ans avant sa mort prématurée ; puis le « Nu assis sur un oreiller » de la même année. Ils sont également lumineux. Les corps tout en courbeAugust Macke - Nu assis a l'oreiller (1911).jpg ne sont nullement intimistes, mais seule compte la couleur de la chair, merveille de nuances, en particulier le second aux reflets bleus. Malgré la banalité de la mise en scène, on est surpris par cette vigueur étincelante, comme un éclair de possession qu’un coup d’œil dévoile.

 

26/02/2012

Premier dimanche de Carême

 

En ce premier dimanche, l’église, à travers le texte des tentations de Jésus au désert, pose la signification du carême : c'est une épreuve, celle de la liberté humaine et de son usage. C'est la confrontation entre l'homme et la tentation qui se dévoile quand l'homme essaye de sortir du sommeil hypnotique et anesthésiant de la vie quotidienne.

Notons d’abord que si nous avons conscience de l’insuffisance de notre ouverture vers Dieu, nous n’avons pas conscience de l’emprise de la tentation sur nous. Notre monde réduit le mal, le mauvais usage de notre liberté, à un manque d’organisation et de connaissance de la part des hommes, donc à un problème de société, en effaçant la responsabilité individuelle. Le carême nous invite à un retournement de cette vision tranquillisante en faisant l’expérience de la tentation.

Remarquons aussi le parallèle que l’on peut établir entre la tentation de Jésus et celle d’Adam au début de l’humanité. Adam, au paradis, rompt le jeune en mangeant le fruit défendu. Le Christ, au désert, nouvel Adam, commence par jeûner. Il est tenté, mais ne succombe pas comme Adam à la tentation. Par sa faute, Adam perd la vie en Dieu et découvre la mort. Le Christ, par sa victoire sur la mort, nous rend à la vie de Dieu. Premier événement de l’humanité, premier événement de la vie connue du Christ après son baptême, l’expérience de la tentation est aussi le premier événement de notre vie spirituelle. Disons que sans cette expérience, il ne peut y avoir de vie en Dieu.

C’est en cela que la retraite dans le désert est nécessaire. Dans le monde, sans cesse attirés à l’extérieur de nous-mêmes, nous ne sommes que réaction et vivons à la surface de l’être. L’isolement du monde a pour but de nous recentrer et de nous obliger à nous poser les vraies questions. Au désert, l’homme se retrouve face à lui-même. Nudité terrifiante pour celui qui se grise du monde, car il pèse son absence d’être. Nudité consolante pour celui qui s’est déjà détaché des épreuves du monde. La retraite prolongée est nécessaire, car si l’homme s’y trouve nu, seul le temps peut ouvrir son être à Dieu. D’abord nu, mais fermé sur lui-même, il va se découvrir tel qu’il est face aux tentations : multiple, jamais uni, soumis aux circonstances.

L’évangile de ce premier dimanche nous donne les trois stades de la tentation :

. Transformer les pierres en pain, c’est la tentation de l’avoir, celle du pauvre. C’est le désir qui accumule sans cesse et dit « Je veux ».

. Régner sur les royaumes du monde, c’est la tentation du pouvoir, celle du riche. C’est l’ivresse de la puissance qui dit : « Je suis le plus fort ».

. Se jeter du haut du temple, c’est la tentation du savoir, celle du spirituel. C’est l’orgueil qui dit : « Je suis Dieu ».

 

Ces tentations sont celles de l’homme qui s’élève dans la voie spirituelle. Il lutte d’abord contre ses appétits propres, ses satisfactions personnelles, puis contre le désir de surclasser les autres, de les dominer, enfin contre l’idée d’être saint.

 

25/02/2012

La plaisanterie, roman de Milan Kundera

 

Le roman laisse successivement la parole à Ludvik, Helena, à nouveau Ludvik, Jaroslav, de nouveau Ludvil, Kpska, enfin ludvik-Helena-Jaroslav. Il est vrai que l’on s’embrouille un peu à chaque nouvelle partie, car on ne sait qui dit je, même si son nom est indiqué sous le numéro de la partie.

Helena raconte comment elle a aimé Pavel, son mari, lors d’un meeting où elle découvre la vie : Nous nous fréquentions depuis près de deux ans et jelittérature,écriture,roman commençais à ressentir une pointe d’impatience, rien d’étonnant, nulle femme n’entend se satisfaire d’une simple amourette d’étudiant… Le Parti contraint Pavel à épouser helena. On a chanté, on a dansé et je répétais à Pavel, si nous devions nous deux nous trahir, nous trahirions tous ceux qui célèbrent ces noces avec nous…J’ai envie de rire aujourd’hui quand je pense à tout ce que nous avons finalement trahi par la suite. Helena cherche l’amour, elle le cherchera toute sa vie et finira par le trouver, sans pouvoir l’éprouver. Elle parait aux autres une sainte Nitouche : Je savais pourtant bien combien il serait simple d’oublier bel et bien mon juvénile rêve d’amour, franchir la frontière pour me retrouver sur les terres de cette étrange liberté où n’existe ni honte, ni retenue, ni morale, dans le domaine de cette bizarre liberté ignoble où tout est permis, car il suffit d’entendre, au-dedans de soi, la pulsation du sexe, cette bête.

Pendant ce temps, Ludvik vit le premier naufrage de sa vie, à cause de Marketa, jolie jeune fille de dix-neuf ans, qui ne comprend pas les blagues. Ils étaient en faculté, dans ces années du communisme où tous épient tout le monde, où la moindre parole est analysée, le moindre sourire suspecté. Aussi lorsqu’elle part en stage et lui écrit qu’elle est contente tandis que lui était mal d’elle, il lui envoit une carte portant les mots : L’optimisme est l’opium du genre humain ! L’esprit sain pue la connerie. Vive Trotski ! Ludvik. Marketa ne répond pas. A la rentrée il est convoqué devant le comité des étudiants du Parti. Il est rejeté de toute sa vie d’étudiant et se retrouve incorporé. Je commençais à comprendre qu’il n’existait aucun moyen de rectifier l’image de ma personne, déposée dans une superbe chambre d’instance des destins humains ; je compris que cette image  (si peu ressemblante dut-elle) était infiniment plus réelle que moi-même ; qu’elle n’était en aucun façon mon ombre, mais que j’étais, moi, l’ombre de mon image ; qu’il n’était nullement possible de l’accuser de ne pas me ressembler, mais que c’était moi le coupable de cette dissemblance ; et que cette dissemblance, enfin, était ma croix, dont je ne pouvais me décharger sur personne et que j’étais condamné à porter. Mais Ludvik refuse de capituler, bien que sa dissemblance n’est visible que pour lui seul. Et graduellement, sa vie perd sa continuité, sa vue s’accommode à cette pénombre de dépersonnalisation et il commence à distinguer des gens autour de lui. Il raconte ses errances avec ses camarades. Il rencontre Lucie, une ouvrière qui vit dans un foyer, qui lui redonne la vie. Le temps recommence à s’articuler et à se décompter. Il connait le bonheur. Puis, il passe de la tendresse à une nouvelle Lucie, sensuelle lorsqu’elle essaye une robe qui lui dévoile les proportions de son corps balancées avec grâce. Après bien des péripéties, il obtient un rendez-vous dans une chambre. Mais elle se refuse à lui. Et il continue à la désirer derrière le grillage de la caserne. Il finit par la perdre de vouloir la prendre contre son gré.

Jaroslav, lui, raconte sa passion pour les chants et la musique de Moravie, qui se caractérise par une tonalité à la septième mineure, qu’elle appartienne au mode éolien, dorien ou mixolidien, d’après les tons d’église. Kundera écrit de très belles pages sur cette musique si particulière. Il raconte l’amitié d’adolescents entre Jaroslav et Ludvik qui s’est renforcée grâce à leur amour de la musique.

Ludvik reprend la parole pour raconter sa rencontre avec Helena, journaliste, dans un hôtel. Et très vite, il la discerne non plus en tant que professionnelle, mais en tant que femme, apte à fonctionner en tant que femme. Mais helena est mariée avec Pavel Zemanek, une personnalité du parti. Il l’emmène dans une chambre empruntée et la fait parler de son mari qui lui rappelle ses heures sombres. Il voit cette femme assise en face de lui, ivre, les joues en feu, la jupe roulée jusqu’à la ceinture. « Déshabillez-vous, Helena », dit-il. Il est extrêmement rare que l’amour physique se confonde avec l’amour de l’âme. Que fait-elle au juste, l’âme, pendant que le corps s’unit (de mouvement immémorial, universel et invariable) à l’autre corps… Que deux corps l’un à l’autre étrangers se confondent, ce n’est pas rare. Même l’union des âmes peut se produire quelquefois. Mais il est mille fois plus rare qu’un corps s’unisse avec son âme et s’entende avec elle pour partager une passion. Qu’à donc fait mon âme pendant que mon corps faisait l’amour avec Helena ? Et helena devient amoureuse de Ludvik, ce qui ne plaît pas du tout à celui-ci. Elle finit, plus tard, par tenter de se suicider. La fin du livre est quelque peu confuse : l’orchestre, le clarinettiste instituteur, l’infarctus de Jaroslav.

Qu’en retenir ? Ce n’est pas l’histoire en elle-même, qui reste malgré tout difficile à suivre et manque de continuité. L’art de Kundera ne passe pas par un scénario bien conçu, mais par des retours sur lui-même, sur ses réflexions à propos de tout, comme un livre de philosophie ouvert sur la vie, sans encombrement de volonté d’enseigner. On y trouve de magnifiques envolées sur l’amour, autant physique que platonique, sur la solitude, sur le temps, sur la musique, sur l’embrigadement idéologique.

 

Le résumé du livre se trouve dans ces quelques lignes :

Oui, j’y voyais clair soudain : la plupart des gens s’adonnent au mirage d’une double croyance : ils croient à la pérennité de la mémoire – des hommes, des choses, des actes, des nations) et à la possibilité de réparer (des actes, des erreurs, des péchés, des tords). L’une est aussi fausse que l’autre. La vérité se situe juste à l’opposé : tout sera oublié et rien ne sera réparé. Le rôle de la réparation (et par là la vengeance et le pardon) sera tenu par l’oubli. Personne ne réparera les tords commis, mais tous les torts seront oubliés.

 

 

24/02/2012

Madame et non plus Mademoiselle

 

Nous venons d’apprendre qu’aux yeux de l’administration, il n’y aura plus désormais de « mademoiselle », mais uniquement des « madame ». Jusqu’où va-t-on chasser le sexisme !

Certes, reconnaissons-le, ce passage de mademoiselle à madame n’est dû qu’à un évènement fortuit (et mondain diront certains), le mariage, qui n’a rien à voir avec un changement plus profond, le passage de jeune fille à celui de femme. Remarquons cependant que ces deux passages sont parfois simultanés, tant chez l’homme que chez la femme. Oui, cela existe encore, même si tous les modernes vous dirons le contraire. Et n’est-elle pas belle cette préservation du corps pour son autre moitié à laquelle on rêve des nuits entières ?

Alors comment dénommer une femme qui ne se marie pas ou qui n’a plus de mari parce que l’un ou l’autre a rejeté leur union ? Pourquoi faut-il, sous prétexte de simplification féministe, appeler madame une toute jeune fille, sous prétexte que les plus âgées ne peuvent être appelées mademoiselle ? La vertu n’a plus droit à l’existence et toutes les jeunes filles, même les très jeunes, sont supposées être devenues madame depuis le début de leur puberté.

On aurait pu, de façon à affirmer la similitude entre l’homme et la femme sur ce plan, plutôt que de déclarer que toutes les femmes doivent s’appeler madame, inventer un nouveau mot pour le jeune homme qui n’est pas marié. Il ne s’agit certainement de revenir aux termes de puceau et pucelle utilisés au Moyen-âge qui se rapportent plus au sexe qu’à une raison sociale. Mais l’irruption d’un mot nouveau est toujours une bonne nouvelle dans une langue vivante, alors que la suppression d’un vocable pour des raisons de sexisme est toujours quelque peu attristante. Pour cela on aurait pu nommer une commission d’experts et leur demander de produire un rapport sous un an avec des propositions au gouvernement. Cette commission aurait produit une dizaine de possibilités qui aurait été testées sur un département français avant que n’en soit adoptée une seule par l’ensemble du pays. On pourrait par exemple revenir au terme utilisé au Moyen-âge, celui de mon damoiseau (celui qui n’a pas encore été adoubé écuyer). Il est vrai que peu de garçons accepteraient un tel changement d’appellation. Celle-ci est cependant très poétique, les termes de damoiseau et de demoiselle faisant rêver au temps béni où l’innocence de la vie était symbolisée par les dénominations oiseau et oiselle, comme un envol avant de retomber sur terre. On pourrait également utiliser un mot désuet, fieu, équivalent masculin de fille. On aurait ainsi monfieu avant de devenir monsieur, comme on a mademoiselle avant de devenir madame. Il est sûr qu’en langage moderne, on ne pourrait appeler les jeunes hommes « mon gars », car il faudrait alors appeler les jeunes filles « ma fille ». Bref, si ajouter quelque chose est un travail créateur, on constate bien que la création est une tâche compliquée, d’ordre scientifique ou artistique.

Peut-être pourrait-on également n’avoir qu’une seule dénomination pour les hommes et les femmes, les jeunes hommes et les jeunes filles, voire les enfants. Humains, nous le sommes tous, donc nous serions Humain Bertrand ou Humain Claire. Ou encore, pourquoi pas, Personne Bertrand ou Personne Claire ? Il y aurait une véritable égalité, puisqu’il n’y aurait plus de différence.

Alors pourquoi ne pas laisser tomber toutes ces appellations et ne nommer quelqu’un que par son prénom et son nom. C’est bien ce que tentent de faire les journalistes pour qui toute personne à interviewer ne peut porter de titre, même de civilité. Seuls les anonymes peuvent être appelés Madame ou Monsieur. Nous aurions ainsi : Arthur Cupidon et Camille Jolicoeur se sont connus un soir et se sont mariés deux ans plus tard. Très bien, mais Camille est-elle homme ou femme ? Il conviendrait alors de faire précéder ces patronymes de leur sexe, poussant plus loin que les Etats-Unis qui utilisent ces termes de manière officielle pour leurs toilettes. On dirait alors male Arthur Cupidon et femelle Camille Jolicoeur.

Cela fait un peu troupeau de bestiaux, mais enfin, il faut être moderne !

 

 

23/02/2012

Rien, l’errance conceptuelle

 

Rien, l’errance conceptuelle
Les idées filent comme météorite
Elles traversent l’espace
Et pompent l’énergie créatrice
La nuit berce cette agitation
La rendant ronronnante
Sur quoi se fixer ?
J’ai erré dans les lieux de la géométrie
J’ai observé les lois de la nature
Je suis tombé dans les imprécations
Des diverses cellules irisées
Qui courent dans la tête
Et agitent les pieds au soleil
Et je reviens ensuite à cette satiété
Ou cette inappétence pour la réflexion
Quand l’un vient, l’autre s’en va
Sans suite logique, sans pont
Sans symétrie de pensée
Une errance immature et diffuse
Qui couvre les heures de l’insomnie
Cela dure et s’étire comme des filaments
Jusqu’au moment où je me réfugie
Dans le monde secret et inexplorable
Derrière les yeux clos, impavides
Dans la trouble obscurité colorée
De noir, de rouge, puis de blanc
Une blancheur inédite, nouvelle
Qui apaise l’esprit et le corps
Qui oblige la machine galopante
A laisser tomber la pression
Jusqu’au moment où le rien
Devient réalité vivante
Où l’araignée tisse sa toile extensible
Derrière laquelle s’expose la tache
Claire et lumineuse, choquante
Des eaux troubles et verdâtres
 D’un cerveau en décomposition

Eh bien, contrairement aux impressions
Cette écriture sordide et personnelle
M’a ragaillardi et a chassé
Les fantômes d’un passé trop présent
Les spectres d’un futur inatteignable
L’absence d’appréhension d’un maintenant
Qui se noie dans le vide cosmique
J’ai repris pied, j’ai fermé mes écouteurs
Je me lance à l’assaut de mon lit
Saute dans sa pâleur et m’endort
Heureux de cet intermède indéfinissable

 

22/02/2012

Mercredi des Cendres

 

 Le premier jour du carême nous invite à méditer le pourquoi et le comment de la quarantaine du Carême. Le pourquoi est compris et même vécu à travers l'imposition des cendres, le comment est donné par l'évangile du jour.

En fait, l'imposition des cendres va au delà d'une simple explication du carême. Sa réalité doit être vécu non comme l'accomplissement d'un rite dont le sens nous échappe plus ou moins, mais comme une démarche intime de l'être devant Dieu d'abord, devant les autres ensuite, devant soi-même enfin. Cela nécessite compréhension de sa signification, acceptation de sa nécessité et engagement à vivre le carême à travers le comment donné par l'évangile, c'est à dire le jeûne, la prière et l'aumône.

L'imposition des cendres

Le rite d'imposition des cendres par le prêtre sur notre front a ainsi plusieurs significations :

* En premier lieu, j'ai personnellement pris conscience de la fuite vers l'avant que constitue ma vie. Je me laisse habituellement consumer par le désir égoïste et j'oublie ce qui en moi est à l'image de Dieu. Je prends à cet instant conscience de ma mort :

" Souviens-toi que tu es poussière et que tu redeviendras poussière".

* Je reconnais devant tous que cette cendre est l'image de ma vie. Je laisse tomber mon apparence, j'accepte de ne plus donner aux autres une image de moi-même. Je me montre tel que je suis, sans fausse pudeur. Je marche aux yeux de tous vers la mort, je reconnais devant tous mon état mortel. Je montre ma conversion, mon retournement :

" Convertissez-vous et croyez à l'évangile".

* Enfin, je me tourne vers Dieu pour qu'il transforme le feu qui me consume, pour que je le ressente comme source de lumière, pour qu'il me ressuscite.

" Laissez-vous réconcilier avec Dieu, car c'est maintenant le jour du salut".

 

Le comment du carême

Il est donné par l'évangile du jour des cendres.
Le carême ne consiste pas à suivre un rite, une règle donnée et par là à montrer aux autres que l'on est chrétien. C'est avant tout une transformation intérieure, secrète.

L'important n'est pas la pénitence, mais la manière de faire pénitence :

 

Que ton aumône reste dans le secret
Quand tu prie, retire-toi et prie ton Père qui est présent dans le secret
Que ton jeûne ne soit connu que de ton Père qui est présent dans le secret

 

 

 

21/02/2012

Hanezu, film de Naomi Kawase

 

Bande annonce :

http://www.youtube.com/watch?v=9-SC3QuVUm0

 

Extraits :

http://www.youtube.com/watch?v=ylHbpEVcQGw   

http://www.youtube.com/watch?v=LfdbYc0uRwA

 

 

Dans la vallée d’Asuka, berceau de la civilisation japonaise, on met à jour les ruines defilm japonais,société,nature,contemplation,moeurs l’ancienne capitale. Ses habitants pensaient que les trois montagnes environnantes, Unebi, Miminashi et Kagu, étaient habitées par les dieux. Un poème japonais du VIIème siècle conte l’affrontement de deux de celles-ci pour l’amour d’une autre. « C’est ainsi depuis le temps des Dieux, les hommes se disputent leur femme. » Et cette histoire se répète : une femme d’aujourd’hui y aime deux hommes, sans pouvoir choisir, jusqu’au suicide de l’un des deux. Takumi, la femme, vit une vie paisible avec son mari Tetsuya. On partage cette vie faite de gestes lents et simples, naturels pourrait-on dire. Mais elle poursuit dans le même temps une liaison avec Kayoko, un sculpteur, amoureux de la nature. Elle est enceinte, ce qui bouleverse sa vie, leurs vies à tous.

Très belle image du début, la montée du soleil sur l’un des monts et la voix-off énonçant le poème. Une description de la vie quotidienne de ce couple japonais, la descente en bicyclette vers son amant et le délire des corps, façon japonaise. Le tout enrobé d’une nature visionnée par la caméra enchanteresse de Naomi Kawase : rizières et plans d’eau, nid d’hirondelles et archéologie, gouttes de rosée et feuillage des arbres.

 

C’est un cinéma contemplatif et intimiste, si intimiste qu’on se demande ce que l’on vient y faire. Le temps s’étire comme les filaments d’un chewin gum. C’est la même impression de celle de Kundera dans La plaisanterie, dont nous avons parlé le 6 février : mais ici le temps est perçu de manière cyclique, il est un éternel recommencement dans la chronique des Dieux et des hommes. Et sans doute parce qu’il est toujours la même histoire, il laisse une impression d’asthénie par son indolence, sa lenteur et l’impassibilité des personnages. L’orage passé, le cycle reprend. Qu’a-t-on appris ? Rien, l’inanité d’un monde éternel que l’on peut contempler dans les ruines de l’ancienne capitale.

On s’y ennuie, mais avec élégance et esthétisme !

 

 

20/02/2012

Pavage de Penrose

 

Penrose est un mathématicien  et physicien britannique qui a largement contribué à l’élaboration de la théorie de la relativité générale pour ce qui concerne la cosmologie et l’étude des trous noirs.

Il est connu pour sa découverte en 1974 de pavages constitués de deux formes et permettant de couvrir en entier un plan de manière non périodique. Les pavages de Penrose présentent une symétrie d'ordre 5 (invariance par rotation d'angle de 72 degrés). Ils ne sont pas périodiques, c'est-à-dire qu'on ne peut les décrire comme un motif répété sur une grille régulière. Ils sont cependant quasi-périodiques, c'est-à-dire que tout motif apparaissant dans le pavage réapparaît régulièrement.

Penrose pav type 0.png 

 

Le pavage de type 0 se construit avec des triangles d’or (voir le nombre d’or, publié le 14 février). En découpant un premier triangle d'or (aigu ou obtus, peu importe) et en opérant un agrandissement d'un facteur φ, puis en recommençant l'opération précédente une infinité de fois, on constitue un pavage complet du plan à l'aide des deux types de triangles d'or. On peut donc paver des triangles d’or par des triangles d’or.

 

 

 

Penrose pavage pentagonal.png.jpg

 

 

 Le pavage de type 1 permet de couvrir un plan avec des pentagones en ajoutant trois pièces qui permettent de combler les trous. Ce sont un losange, un pentagramme et un bateau.

 

 

 

 

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  Le pavage de type 2 est constitué de cerfs-volants et de fléchettes, construits à partir de triangles d’or. Cela ne permet de générer qu’un seul type de pavage. Il est facile de prouver que, comme pour les triangles d'or, la proportion entre le nombre de cerfs-volants et celui de fléchettes tend vers le nombre d'or φ, ce qui assure que le pavage ainsi construit n'est pas périodique.

 

  

Penrose_losanges2.png

Le pavage de type 3 permet de paver le plan à l'aide de deux figures géométriques simples comme les deux losanges suivants.

Ce qui donne :

 Pavage_Penrose_losange.png

 

Penrose a rendu le rêve mathématique. L'imagination peut peupler le monde réel de figures ordonnées, mais d'une symétrie particulière. Quelles belles fleurs dans le jardin de l'univers !

 

 

19/02/2012

Ni d'Eve, ni d'Adam, roman d'Amélie Nothomb

 

"Le moyen le plus efficace d’apprendre le japonais me parut d’enseigner le français". C’est sur cette pirouette que commence le roman d’Amélie Nothomb, moins désopilant que d’autres, mais néanmoins agréable.

Celui à qui elle va apprendre le français est un japonais sympathique, sans doute moins japonais que la plupart. Il aime « jouer » et présente Amélie comme sa maîtresse, en tant qu’enseignante bien sûr et non en tant que compagne. C’est pourtant ce qu’elle deviendra plus tard après avoir été promenée en Mercedes immaculée, avoir pénétrée dans la maison des parents japonais, puis l’avoir laissé pénétrer dans la sienne. Ils finissent par passer trois semaines dans l’appartement de Christine, une belge travaillant à l’ambassade.

"Il me rendait heureuse. J’étais toujours joyeuse de le voir. J’avais pour lui de l’amitié, de la tendresse. Quand il n’était pas là, il ne me manquait pas. Telle était l’équation de mon sentiment pour lui… Ce que j’éprouvais pour ce garçon manquait de nom en français moderne, mais pas en japonais, où le terme de koi convenait. Koi, en français classique, peut se traduire par goût. J’avais du goût pour lui. Il était mon koibito, celui avec lequel je partageais le koi : sa compagnie était à mon goût."

Leurs conversations pouvaient être des plus élevées. Ainsi ils parlent de Marguerite Duras, dont Amélie dit : "Quand on achève un livre de Duras, on éprouve une frustration. C’est comme une enquête au terme de laquelle on a peu compris. On a entrevu des choses au travers d’une vitre dépolie. On sort de table en ayant faim". Mais elle portait également sur des différences culturelles plus terre à terre : "Rinri, respectueux de la tradition, se récurait entièrement avant d’entrer dans le bain : on ne souille pas l’eau de l’honorable baignoire. Je ne pouvais pas me plier à un usage que je trouvais si absurde. Autant mettre des assiettes propres dans un lave-vaisselle. – tu as peut-être raison, mais je suis incapable de me conduire autrement. Profaner l’eau du bain est au-dessus de mes forces."

Mais, un jour, son élève, après lui avoir fait manger des poulpes vivants au restaurant, lui fait un cadeau : une bague de platine incrustée d’une améthyste : « Veux-tu m’épouser ? » Ce ne fut pas la seule demande. Il y eut deux-cent quarante, d’après Amélie. Un soir fatiguée, alors qu’il la demande à nouveau en mariage, elle répondit non et s’endormit. Le lendemain, il lui laisse un mot : "Merci, je suis très heureux". Le soir, il l’emmène au restaurant, elle se dit tout à coup que si Rinri l’avait interrogé de façon négative, ce qui est courant dans ce pays compliqué, elle était cuite. Alors elle saisit la cruche de saké et demande : – "Ne veux-tu pas encore du saké ? Non, répondit courtoisement le jeune homme. Je reposai donc la cruche inutile. Rinri parut déconcerté et se servit lui-même."

Alors elle ne pense plus qu’à une chose, fuir. Juste avant Noël, elle prend un billet d’avion et quitte le Japon. Rinri l’accompagne à l’aérogare sans se douter que c’est la dernière fois.

Quelques années plus tard, elle retourne au Japon pour une dédicace, retrouve Rinri devant elle, qui lui dit : "– Je veux te donner l’étreinte fraternelle du samouraï ? (…)

Il avait trouvé les mots justes. Il avait mis plus de sept ans à les trouver, mais il n’était pas trop tard. (…) Tellement plus beau et plus noble qu’une bête histoire d’amour.

Ensuite, chaque samouraï lâcha le corps de l’autre samouraï. Rinri eut le bon goût de partir aussitôt sans se retourner. Je levai la tête vers le ciel afin que mes yeux ravalent leurs larmes."

 

Ni d’Eve ni d’Adam est un roman divertissant en raison des incompréhensions culturelles qui émaillent le récit. Néanmoins on n’y sent pas la verve du Sabotage amoureux ou de Métaphysique des tubes. Ce n’est ni un de ses meilleurs livres, ni un de ses plus mauvais. Il se lit plaisamment.

 

 

18/02/2012

Quatre heures, la nuit s’étire

 

Quatre heures, la nuit s’étire
Blanche de sérénité, sans désir
Dans le long filament des jours
Jusqu’à cet instant, unique

L’univers lui-même étale
Ses galaxies  qui s’éloignent
Et courent dans le vide
Elles ne savent où

Un vase clos de promesse
Dans la vacuité inimaginable
Sans tomber, ni faillir
Qui conquiert le rien

Et l’homme, ridicule
De petitesse et de présomption
Perdu dans ces espaces indéfinis
Contemple sa propre finitude

Il n’est rien qu’un point
Dans une multitude d’années-lumière
Les yeux ouverts sur l’infini
Submergé de cette immensité

Et pourtant, il le peut
Il le fait. Il découvre en lui
L’univers reconstitué
Un trou noir immergé

De l’intérieur vers l’extérieur
Sa vision habituelle, il se contemple
De l’extérieur vers l’intérieur
Par symétrie, progressivement

Cela passe par ce filet d’air
Qu’il laisse couler en lui
Comme un gaz hilarant
Et qui gonfle ses poumons

C’est un air sans odeur
Un air vierge et pur
Qui râpe ses muqueuses
Et lui ouvre la gorge

Et il se sent léger
Il ouvre ses ouïes volages
Et plane dans cette ouverture
Sans savoir où elle le conduit

Encore un effort, un étirement de plus
Encore une étincelle de vie
Qui l’aspire et l’étire
Et le réchauffe, amoureusement

Léger, il perd son poids
Il devient membrane
Fine pellicule de peau
Qui trace une frontière impalpable

De quel côté regarder
Il oscille entre les deux mondes
Rappelé par le moindre mouvement,
Qui le détourne de son but

Attiré également par cet espace
Sur lequel le temps n’a pas de prise
Un trou noir et voluptueux
Qui le comble de chaleur

Quel miroir du monde extérieur
Mais là pas de souvenirs
Pas de sentiments, ni même
De sensations palpables

Retour à l’évanescence
A l’inconsistante hébétude

Clac ! La cloche a sonné
La fin de l’évasion, mort ou vif

 

17/02/2012

Le carême

 

 

Pour beaucoup d'entre nous, le temps de Carême est un temps de privation, de non-usage des plaisirs de ce monde. Il permet, en menant pour quelques temps une "vie de moine", de s’acquitter des devoirs du chrétien : le renoncement à nos petits défauts, à nos petits égoïsmes. Au fond de nous-mêmes, sans en être conscients, le Carême est synonyme de tristesse et d'épreuves. De plus, il s'achève le vendredi saint, c'est à dire dans la mort. Nous avons beau savoir que cette mort est glorieuse et conduit au royaume, elle reste la mort et elle est triste.

En réalité, nous sommes loin du véritable esprit du Carême, lequel ne doit pas être dissocié de Pâques. Certes, la mort est encore là. Mais, par sa propre mort, le Christ a changé la nature de la mort. Il en a fait un passage et nous fait participants de sa résurrection. Le Carême a donc pour but de nous préparer à cette expérience, de nous rendre capable de vivre "le passage de la mort à la vie", de ressusciter à chaque instant jusqu'au jour du retour à la vie éternelle, au royaume.

Le temps du Carême comporte donc deux aspects inséparables dont le point de départ est dans le repentir : ayant pris conscience que notre vie n'est que mort parce que séparée du créateur, nous sacrifions le moi pour découvrir l’Esprit. Le jeune, la pénitence, les privations ne sont qu'un des aspects du Carême, l'aspect négatif pourrait-on dire; l'autre aspect étant le retour à la vie "normale", au "jeune" qu'Adam et Eve ont rompu. Le Carême doit donc, comme le dit Alexandre Schmemann (Le grand Carême, Spiritualité orientale n°13, p. 56), être salué comme un printemps spirituel, un temps de joie et de lumière.

Alors, jusqu’à Pâques, quelques méditations : Comment le Carême s'inscrit-il dans l'année liturgique ? Quelles sont les différentes étapes de la liturgie du Carême et leur signification ? Comment, au delà du formalisme et même de la compréhension symbolique, retrouver le sens profond du jeûne, de la prière et de l'aumône que l’église nous invite à pratiquer au cours de ces quarante jours ?