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04/12/2011

La pipe africaine

 

Place du Jeu de Paume, à Bruxelles, il peut arriver des instants insolites qui font sortir du cadre habituel des matins bruxellois.

L’homme marche précautionneusement parmi la multitude d’objets hétéroclites11-11-15 Jeu de Balle red.jpg répandus à même le sol, parfois sur un tissu poussiéreux, regardant, à droite et à gauche, tissus fanés, bois démantelés, aciers tordus, porcelaine ébréchées. Surtout ne pas se décourager, c’est dans ces montagnes de crasse que se cachent les trésors qui empliront les murs et meubles de décors insolites que les envieux imaginent venus d’outre-mer ou de capitales lointaines. Il faudra certes les nettoyer, les astiquer, les cirer ou les poncer pour les aider à reprendre l’éclat de leur jeunesse, mais cela leur donnera, de plus, la distinction d’un passé endormi et lointain.

Passage devant un lot africain de masques aux yeux vides, de statues assorties de sexes démesurés ou de seins comme des clochers de cathédrale, de bijoux colorés plus que fantaisie, étalés sur les pavés, alignés comme à la parade, bravant les collectionneurs de caicaisses (expression bruxelloise, à l’orthographe fantaisiste !) folkloriques ou afro-culturelles. Impavide, un grand noir attend non loin, l’air de rien, parlant haut et fort avec les autres marchands, jetant par moments un œil aiguisé sur son étalage. Au 11-11-12 Pipe 3 red.jpgmilieu de ce bric à brac, l’homme (le promeneur, pas le vendeur!) voit un long tuyau de bois sculpté de dessins géométriques au bout duquel s’épanouit une fine tête d’africain aux oreilles perlées, surmontée d’un chapeau troué par le foyer d’un pipe. En fait, ce personnage sculpté n’a pas tellement l’air africain, on pense plutôt à un blanc ou encore un égyptien en raison de la forme de son chapeau qui évoque les collerettes dont était orné le buste des grands prêtres (mais il s’agit peut-être d’une réminiscence de bandes dessinées !). Et cette pipe au membre dressé interpelle l’acheteur curieux cherchant des bizarreries pétillantes. L’homme fait semblant de s’intéresser à d’autres étalages tout en regardant furtivement la pipe mystérieuse qui se tend vers lui, comme offerte et souriante. Il la contemple en coin, émerveillé de l’imagination du sculpteur de pipe, étonné de voir un tel objet parmi les habituelles fadaises africaines bon marché. Jamais il n’avait encore vu une pipe africaine qu’il imagina aux lèvres d’un vieux bonhomme assis devant sa case, regardant passer les jeunes filles portant sur leurs têtes toutes sortes de choses, même les plus insolites.

Alors, de plus en plus attiré par cette trouvaille, il fait un pas vers le marchand, qui l’avait bien sûr repéré, et lui montrant une statue habituelle de ce type de marché, lui demande combien. Continuant à tourner autour de sa cible, il demande les prix de plusieurs autres objets avant de demander l’air de rien le prix de l’objet convoité.

– Très belle pièce, lui dit l’autre sans répondre. Et très vieille. Elle a beaucoup servie, ajouta-t-il. Un silence. Elle est pas chère : 150 .

– Non, je ne peux pas mettre ce prix là, répond l'homme qui fait mine de s'éloigner.

– Combien tu peux mettre, demande le marchand qui se lance derrière lui.

– Non, non, je n’ai pas les moyens de payer une pièce comme celle-là à ce prix.

– Dis-moi combien tu peux mettre.

L’homme, sans répondre fait semblant de partir, comme s’il ne pouvait donner un chiffre, sous-entendant ainsi que le prix demandé était beaucoup trop cher. Le vendeur le suit et lui redemande : « Combien tu peux mettre, dis-moi un prix ! ». Alors, excédé l’homme lui répond : « Je ne sais pas, 20  ! » Le vendeur fait alors une tête affolée comme si son interlocuteur avait perdu la raison.

– Allez, lui dit-il doucement, comme dans le creux de l’oreille, je vois que vous vous intéressez à l’art africain. Alors je vais vous faire un bon prix. C’est mon dernier prix : 60 , parce que c’est vous et que je vois que vous vous y connaissez !

– Non, non, je ne peux pas. C’est effectivement une belle pièce, mais je n’ai pas les moyens. Allez, je peux aller jusqu’à 25.

– Vous n’y pensez pas. Je ne rentre pas dans mes frais à ce prix. Je peux descendre jusqu’à 40.

– Tant pis, j’arrête là. Je m’en vais. Dommage, car je l’aime bien cette pipe. Elle donne envie de la fumer, le soir sur le pas de la porte. Tenez, je vais vous en offrir 30 , mais c’est mon dernier prix.

–Tu n’y pense pas, c’est le prix que je l’ai acheté. Ce n’est pas possible. Tiens viens voir. Et il l’entraîne un peu à l’écart, lui parlant bas et lui expliquant qu’il ne peut devant les autres marchands et passants lui laisser à ce prix. Donne-moi au moins trois euros de plus et je te la laisse : 33 . Mais ne dis surtout pas à tous combien tu l’as payé.

– D’accord, 33, pas un sou de plus.

– Eh oui, mon ami, je suis content de te faire plaisir. Tu l’as pas chère. Attends, je vais te l’emballer.

11-11-12 Pipe 1 red.jpg

 

Et le marchand sort d’une vieille sacoche un papier rouge et froissé avec lequel il enveloppe la pipe recherchée qu’il fourre ensuite dans un sac en plastique d’où ressort le tuyau massif et orné en bois raide et imposant. Alors, sortant deux billets de sa poche, l’acheteur lui tend, puis compte en retour les pièces. Ils se serrent la main, tous les deux très contents du marché, persuadés, chacun, d’avoir fait une affaire, sans qu’ils sachent exactement pourquoi.

Depuis, la pipe d’abord trôna sur la cheminée du salon, puis finit pendue à un clou dans la bibliothèque, rappelant à l’homme les années au cours desquelles il a fumé la pipe, adoucissant ainsi les instants d’une jeunesse mouvementée.

 

 

03/12/2011

Cinquième symphonie de Beethoven … façon moderne

 

Quelle extraordinaire imagination ont les musiciens modernes pour assaisonner la 5ème de Beethoven. A toutes les sauces : les uns utilisent le thème, d’autres mélangent le classique orchestral et la guitare électrique ; d’autres innovent carrément  avec force bruits et batteries ; d’autres transforment en danse mêlée de bruits de foule la furie beethovenienne du premier mouvement.

Quelle cmusique classique,musique metal,metal rockuisine ! On utilise tous les instruments, du hachoir au fendoir de boucher, en passant par la meule pour l’affûtage de couteaux de désosseur. Parfois, les choses se passent plus en douceur, un assaisonnement mêlé de senteurs diverses : thym, mais aussi formol ; gingembre avec sauce crevettes ; menthe à la manière britannique moderne, aigre et métallique.

La préparation est longue, avec beaucoup de répétition et force gestes et circonvolutions, comme lorsque l’on monte les blancs en neige en tournant toujours dans le même sens. Mais cela monte progressivement dans un bruit de casseroles qui s’entrechoquent, assourdies par les torchons de cuisine vivement agités. Parfois les cris étouffés des cuisiniers apportent une note humaine qui semble néanmoins animale. Et cela dure le temps que l’oreille s’imprègne de ces sons inconnus et bizarres et rende hommage à l’inventeur de sonorités incongrues. Alors lentement, sans même vous en rendre compte, vous esquissez avec la jambe un rythme que l’ouïe refuse, vous accompagnez de claquements de doigts inconscients cette première ébauche de mouvement et progressivement vous laissez encombrer d’un tremblement léger partant du corps et envahissant votre esprit pour s’en emparer, bon gré, mal gré, et l’emplir de percussions sévères, parfois chatoyantes, souvent sur-audibles, toujours extravagantes.

La recette étant prête, encore faut-il l’arranger sur un plat et l’enjoliver de quelques feuilles diverses, salade avec huile d’olives pour faire passer, cornichons acides à l’oreille, faisant grincer les dents, ou encore un peu de sucreries sous forme de confitures étouffant les timbres ou figues molles résonnant creux.

Enfin, le plat se présente à vous, parfois beau à l’œil, d’une beauté de surface, sans consistance à l’oreille, comme cette interprétation de Vanessa Mae, qui manque totalement d’imagination (répétitions et crin-crin) :
http://www.youtube.com/watch?v=HYNCvf1AF3E&feature=re...

Il peut aussi faire penser à ces vermicelles chinois qui tremblent dans l’assiette avec un peu de sauce soja pour masquer un goût incertain, accompagnés de légumes bouillis qui s’entrechoquent avec des bruits métalliques comme s’ils manquaient de cuisson. On est noyé de multitude de sonorités patchwork qui s’entremêlent jusqu’à l’écœurement :
http://www.youtube.com/watch?v=wl2GtGBonTY&feature=re...

Il se présente aussi en flots de bruits sourds et lourds, agrémentés de force grognements et petits bruits acides comme un plateau de fruits de mer étalés sur la glace que l’on mange avec une vinaigrette entrecoupée d’échalotes. Il faut une bonne dose de pain et de beurre pour arriver au final. Mais on y arrive, car, finalement, c’est assez proche de la recette initiale, même si l’assaisonnement est totalement différent. C’est comme si l’on mangeait un bœuf bourguignon à la sauce huître et cuisiné façon chinoise :
http://www.youtube.com/watch?v=kWVMf4rdYYc&feature=re...

Au fond, n’est-ce pas cela la mondialisation. Toutes les cuisines du monde sur un même plateau. En musique, c’est sans doute un peu fatigant et décalé. Mange-t-on un faisan bouilli ou fait-on griller un artichaut à la poêle ? Cela pèse sur l’estomac et laisse un goût bizarre, comme un fromage sucré !

Et, pendant ce temps, le pauvre Beethoven, sourd, ne sait pas ce que l’on fait de sa musique divine.

 

02/12/2011

J’étais, je ne suis plus

 

J’étais, je ne suis plus
Je suis, je n’ai jamais été
Peut-on être et avoir été
Après t’avoir aimé
Et t’aimer plus encore

J’apprends une nouvelle vie
Je ne sais plus mourir
J’erre au pas de ta présence
Devenu immortel

Que te donnerai-je en échange ?
Je n’ai que l’amour sur les lèvres
Et cet amour meurt de ton absence

Mais tu es là et je revis
Tu m’aimes et je ris
Je t’aime et tu souris
Nous connaîtrons ce qui n’a pas été

 

01/12/2011

Pêche d'étang

 

A l’heure où la nuit mêle encore à l’air plus libre le jeu d’ombres chinoises à la pâle renaissance d’un ciel bleuté, nous avions regardé, avec l’émerveillement des enfants qui s’essayent à démêler le nom des couleurs bien qu’ils en perçoivent chaque nuance, apparaître d’abord un léger embrasement entre les branches noires et frêles des arbres, comme une rougeur imperceptible la veille que l’on découvre au matin sur l’épiderme, puis de longues trainées de sang et d’or mêlés, formées par chacune des particules de lumière du soleil que nous devinions derrière l’horizon et réfléchies par la densité opaque des bourrelets nuageux du ciel. Chacun de nous sentait la frêle et délicate joie que donne l’air léger et pur, sonore de chaque évènement qu’on ne perçoit pas à la lumière du jour, et le réveil des formes du monde que nous retrouvons intactes, mais encore cristallisées dans notre perception du mystère de leur vie nocturne.

Dans la première clarté du jour, plus fidèle et plus véridique que celle des autres heures, l’étang, asséché de ses eaux lourdes et sombres, voilait avec pudeur sa nudité désolante dans un scintillement poudreux. Mais sa tache lumineuse et fade contrastait trop avec l’élégance ocréeécriture, écologie, pêche, des roseaux chevelus et la parure pacifique et verdoyante de la forêt qui, pour rehausser sa noblesse, s’était empreinte d’une ceinture chaude aux couleurs de sa vieillesse saisonnière. Les hommes, chaussés de longues colonnes sombres et mobiles, alourdis et empruntés par la boue dans laquelle ils imprimaient les traces de leur pas, avaient tiré le filet qui trainait derrière lui une onde pure et légère. Ils avaient enfermé la substance de l’étang, son véritable corps, dans ses mailles laissant échapper cette partie impalpable de chaque chose qui ne les intéressait pas. Une bataille furieuse, un déchaînement des forces inconnues de l’étang avaient suivi cette capture dans un bouillonnement de dos, d’écume et d’éclairs scintillants, et le filet s’était gonflé sur la pression de cette âme qui comprenait dans le resserrement de chacune de ses particules qu’on allait l’extraire de son univers.

Elle attendait maintenant, impassible et muette, agitée parfois de soubresauts involontaires dans cette petite enclave, dite la poêle, qu’on lui laissait encore avant de la disperser. Je retrouvais ensuite chacun de ses membres, convulsionnés, en différents baquets éparpillés au bord de l’étang. Les carpilles, comme alanguies d’une maternité précoce, se complaisaient dans écriture, écologie, pêche, la chaleur de leur ventre en une douce somnolence, mais certaines, comme un dormeur qui se retourne pour chercher une autre position, essayaient malhabilement de se mouvoir dans l’air comme elles le faisaient dans l’eau, en ondulant de plus en plus rageusement. L’une d’elle, coincée par les autres, se tenait la tête en l’air, le corps immergé dans le grouillement des autres, dans la position figée qu’elle avait quand, libre, elle sautait hors de l’eau, et philosophant sur sa triste aventure, elle disait boa, puis bao, comme les enfants qui répètent inlassablement le même mot de deux syllabes, s’émerveillant de la maîtrise de leurs muscles qui leur permettaient de prononcer deux sons à la fois. Nobles et hautains, les brochets attendaient avec mépris que leur sort fut décidé dans le même détachement qu’un prisonnier à l’âme haute vis-à-vis de ses bourreaux. Leurs corps portaient encore les traces de la lutte qu’ils avaient menée et des outrages subis, de longs filaments d’écume baveuse qui, quand le corps de l’un d’eux s’écartait d’un autre, créait une bulle irisée et aplatie qui les gardaient solidaires dans leur malheur. Mais le plus beau baquet était celui des tanchons qui, par la couleur jaune et rosée de leur ventre qui passait par mille nuances au bleu nuit, puis au noir de leur dos, me rappelaient l’émotion éprouvée au lever du soleil, comme si j’étais parvenu à enfermer vivante l’aurore dans ce baquet de zinc.

 

30/11/2011

Robert des noms propres, roman d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 2002

 

Une petite fille, encore bébé, est recueillie par sa tante parce qCouv Robert des noms propres.jpgue sa véritable mère s’est suicidée. Elle ne sait pas qu’elle ne constitue qu’une pièce rapportée dans la famille et vit perplexe, regardant gravement, profondément les êtres qui l’entourent. Parce que ce regard gênait la maîtresse, elle est renvoyée de la maternelle. Ses parents adoptifs sont fous d’elle, car elle est tellement différente de ses deux présumés sœurs. Son ambition : être danseuse. Elle est inscrite au cours de danse et devient la coqueluche de tous les admirateurs du pas de deux. Mais à cinq ans, sa tante dut se résoudre à la mettre en classe. Ce fut le drame.

– Tu en mets du temps à réagir ! dit la maîtresse. Tous les enfants s’étaient retournés pour regarder celle qui avait été prise en faute. C’était une sensation atroce. La petite danseuse se demanda quel était son crime. –  C’est moi qu’il faut regarder, et pas la fenêtre ! conclut la femme. Comme il n’y avait rien à répondre, l’enfant se tut. – On  dit : « Oui, Madame » ! – Oui, Madame. – Comment t’appelles-tu ? demanda l’institutrice, l’air de penser : « Je t’ai à l’œil, toi ! » – Plectrude. –Pardon ? –Plectrude, articula-t-elle d’une voix claire. (…)– Eh bien, si tu cherches à faire ton intéressante, c’est réussi.

Elle ne s’intéressait pas à l’apprentissage de la lecture, et sa maîtresse désespérait. Or, un jour, elle lut comme une première de classe de dix ans. La maîtresse étonnée téléphona à ses parents. – Nous n’avons rien fait du tout. Nous lui avons seulement montré un livre assez beau pour lui donner envie de lire. C’est ce qui lui manquait. Nulle en mathématiques, Plectrude devint la bête noire de sa maîtresse. Ainsi, elle avait deux vies bien distinctes. Il y avait la vie de l’école, où elle était seule contre tous, et la vie du cours de ballet, où elle était la vedette. Fort heureusement, Roselyne, une danseuse du cours de ballet, arriva à l’école et devint l’amie de Plectrude.

Après quelques mois, elles inventent des jeux dangereux : se laisser ensevelir par la neige sans bouger, se laisser foncer dessus par un camion. Plectrude était à ce point danseuse qu’elle vivait les moindres scènes de sa vie comme des ballets. Les chorégraphies autorisaient que le sens du tragique se manifestât à tout bout de champ : ce qui, dans le quotidien, était grotesque, ne l’était pas à l’opéra et l’était encore moins en danse. « Je me suis donné à la neige dans le jardin, je me suis couchée sous elle et elle a élevé une cathédrale autour de moi, je l’ai vu construire lentement les murs, puis les voûtes, j’étais le gisant avec la cathédrale pour moi seul, ensuite les portes se sont refermées et la mort est venue me chercher, elle était d’abord blanche et douce, puis noire et violente, elle allait s’emparer de moi quand mon ange gardien est venu me sauver, à la dernière seconde. »

A douze ans, Plectrude cultivait son enfance. Elle se laissait aller au versant favori de son être ; consciente que, l’année suivante, elle ne le pourrait plus. Arriva un nouveau dans la classe. Mathieu Saladin avait une cicatrice partant de la lèvre. Elle en conclut qu’il s’était battu au sabre. La nuit qui suivit cette première rencontre, Plectrude se tint ce discours : « Il est pour moi. Il est à moi. Peu importe que ce soit dans un mois ou dans vingt ans. Je me le jure. »

Rien n’allait plus à l’école, mais Plectrude fut admise à l’école des rats. Le premier jour fut digne d’une boucherie : « Les minces, c’est bien, continuez comme ça. Les normales, ça va, mais je vous ai à l’œil. Les grosses vaches, soit vous maigrissez, soit vous partez : il n’y a pas de place ici pour les truies. » (…) « Huit heures à la barre par jour et un régime de famine, cela ne paraîtra dur qu’à celles qui n’ont pas assez envie de danser. Alors, que celles qui veulent encore partir partent ! »

Et Plectrude dansa, à avoir mal partout, sans manger. En trois mois, elle perdit cinq kilos. Elle se décalcifiât. Ce qui devait arriver arriva. Un matin de novembre, comme Plectrude venait de se lever en mordant son chiffon pour ne pas hurler de douleur, elle s’effondra : elle entendit un craquement dans sa cuisse. Hospitalisée, les médecins lui disent qu’elle ne pourra plus jamais danser. Revenue à la maison, elle finit progressivement par prendre plaisir à manger, mais sa mère dépérit et lui en veut de grossir. Elle lui parle sèchement à tel point que Plectrude lui demande : « Pourquoi me parles-tu comme ça ? Ne suis-je plus ta fille ? – Tu n’as jamais été ma fille.  Et sa mère lui raconte tout. Tout s’effondrait. Elle n’avait plus de destin, elle n’avait plus de parents, elle n’avait plus rien.

Alors Plectrude se lance dans le théâtre et veut un enfant, comme sa mère, au même âge, dix-neuf ans. Après son accouchement, son œuvre étant accompli, elle décide de se suicider en sautant du pont Alexandre III. Au moment où elle allait sauter, elle entend : « Plectrude ! ». C’était Mathieu. Ils s’aiment. Ils se marient. Mais la fin du livre laisse sur sa faim, elle est non seulement insolite, mais difficilement compréhensible. Et à l’heure qu’il est, Plectrude et Mathieu n’ont toujours pas trouvé la solution.

 

Une fois encore, Amélie Nothomb nous interpelle. Une histoire menée tambour battant, plus de vingt ans de vie en quelques deux cent pages, des dialogues saisissants et opiniâtres, des rebondissements. Cependant la fin surprend, est insaisissable et laisse une impression d’incompréhension qui s’étend à l’ensemble du livre. Quel dommage !

 

29/11/2011

L'immersion (tendre) du coureur à la campagne

 

Ce matin, vous courez à nouveau, mais à la campagne cette fois. Quel contraste ! Vous sortez de la maison, faites quelques pas et vous voici en plein champs (bien qu’étant dimanche, ce n’est pourtant pas le moment de la cantillation). Il fait doux, d’une douceur envieuse qui berçe le roulis de votre course et pénètre avec tendresse dans votre tenue de joggeur, jusqu’à vous procurer une légère ivresse, certes toute morale.

Vous êtes frappés par le silence, d’une toute autre nature que le silence d’avant-hier qui était fait d’un brouhaha estompé par le brouillard. Ici, le silence est léger, serein, épanouissant, nourrissant comme un fruit mur. Il 11-11-29 coureur.jpgvous soulève au dessus du sol et vous volez à nouveau, mais d’un vol libre, planant, dans un calme absolu. Vous volez dans une liberté étourdissante, les yeux écarquillés, les oreilles débouchées, la bouche entrouverte, respirant un air pur, empli des senteurs campagnardes : rosée odorante, feuilles mortes, herbe tendre, thym frais, champignons vieillis, bouses de vache. En courant le long d’un chemin de terre, vous dites bonjour à l’achillée millefeuilles qui vous regarde passer de ses cent yeux de petites fleurs et au molène bouillon blanc dont deux fleurs jaunes se dessèchent au bout de sa tige brune. Et vous montez plus haut, au promontoire de la colline, vous laissant ensuite glisser vers la vallée sur laquelle coule une trainée de brume qui lui donne un air de mystère dans lequel vous souhaitez plonger.

Retour vers le bercail. Vous transpirez de bien-être. Vous ralentissez, vous vous arrêtez, vous regardez et écoutez. Quelle atmosphère différente. Après avoir chevauché un dromadaire qui vous permettait de franchir les canyons urbains, vous êtes monté sur un pur-sang qui vous a entraîné dans des chemins enivrants avant de s’arrêter, repu, auprès du petit bois, refuge de tous les rêves d’enfant et de toutes les passions adultes. Et ses sous-bois s’illuminent, vous permettant d’imaginer un avenir paisible et reposant, à l’image du faisan qui picore tranquillement à vingt mètres de vous. Une fois encore, déconnecté de tout souci, vous vous apprêtez à vivre une nouvelle journée, toujours aussi enivrante.

 

 

28/11/2011

Multitude des attitudes

 

Multitude des attitudes,

Comme l’oiseau s’enfonce dans le vol

Après avoir reposé ses ailes recourbées

Dans l’air lourd et magnifiant

D’un vent du large, caressant

 

L’un d’entre eux marche sur la digue

Et enchante les hirondelles

De sa valse à cent temps

Il pousse le cri de victoire

Vers les bâtiments vides et délaissés

 

Un autre, plus vert et musclé

Revient au pas de course

De lointaines collines

Encore effarouché, essoufflé

Par la contemplation de l’avenir

 

Celui-ci tient son arrogance

A pleines mains, repu

Et chante à qui veut l’entendre

Le cri du vieux marin

Lorsque l’eau le pénètre

 

C’est un rêve sans doute

Le rêve de l’eau ensorceleuse

Qui secoue parfois fortement

L’errant de l’âme endormie

Ruisselant d’images, la nuit

 

Gnomes ragoutants et bruyants

Vous dévidez vos histoires

Et regardez leurs effets

Du haut de vos dix pieds

Comme des anges pervers

 

Et, un jour, emporté par le rêve

Vous découvrez un présent inexistant

Vide d’un passé chargé

Néant d’un avenir inenvisageable

Pour ne plus penser et vivre, enfin

 

 

27/11/2011

Messe de Minuit de Marc Antoine Charpentier

affiche concert.jpg

Quelle idée d’avoir conçu un Kyrie comme une danse. Chanter « Seigneur, prends pitié » sur un air qui se danse !

Certains chefs d’orchestre ou de chœur sont bien conscients de cette manipulation de la part de Charpentier. Aussi donnent-t-ils à leur interprétation une forme solennelle comme cette interprétation d’un concert, donné le 5 décembre 2010, par le choeur et l’orchestre de la cathédrale Saint-Louis de Versailles sous la direction de l'abbé Amaury Sartorius (Jean-Pierre Millioud, grand-orgue ; Jean-Philippe Mesnier, orgue de chœur).

http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=GmX6HMT9PcE

Je ne pense pas que ce style soit dans l’esprit de la composition de Charpentier. Cette messe rassemble des airs populaires de Noël que les fidèles avaient l’habitude de chanter. Le Kyrie se chante effectivement sur l’air de « Joseph est bien marié… », sorte de danse joyeuse qui n’a pas grand-chose à voir avec la supplication d’une assemblée qui se tourne vers le Père et le Fils pour lui demander sa pitié.

http://www.youtube.com/watch?v=MsOc7WSDCr0

Cette interprétation des chœurs des Musiciens du Louvre semble plus proche de cette vision. Elle est plus rapide, plus légère, et conserve cependant une certaine gravité. Mais peut-on dire que l’on retrouve l’esprit du Kyrie de la liturgie ? Probablement pas. Le kyrie est une purification du fidèle qui dit à son Dieu ses insuffisances pour que, lui accordant sa pitié, Celui-ci l’aide à vivre pleinement le sacrifice, lui permette de chanter d’une voix pure le Gloria, puis lui accorde l'entrée dans le mystère de la messe.

L’ambiguïté tient à la composition de Charpentier lui-même. C’est un chef d’œuvre musical, étrangement beau en raison de cette ambiguïté même, mais ce n’est sans doute pas ce qui permet au fidèle d’entrer en lui-même et de s’ouvrir au mystère. Quand on y réfléchit, il semble que cette période de l’histoire de la France soit assez proche de celle que nous vivons, l’effet compte plus que la profondeur et la véracité de la pensée. C’est beau, mais cela ne lave pas !

 

Quoi qu’il en soit et parce que, malgré ces réflexions, cette messe reste un chef d’œuvre, nous nous préparons depuis le mois de septembre et vous êtes convié à venir écouter cette Messe de Minuit de Charpentier, le mercredi 14 décembre à 20h45 en l’église Saint Germain l’Auxerrois, 2 place du Louvre, à Paris.

 Après le concert vous êtes convié à un pot qui vous permettra de rencontrer musiciens, chanteurs et chef de chœur. Si vous décidez de venir, envoyez-moi un mail (galavent@free.fr) pour que nous puissions avoir une idée de ce qu’il faut prévoir.

 

 

 

26/11/2011

Désespoir

 

Désespoir : symbiose biologique entre la matière, tissu élémentaire du vivant, et le psychisme, propre à l’homme.

Le désespoir est le résultat de ces contradictions, mais rien ne nous empêche d’aller au-delà, dans la confrontation du tout où l’homme trouve sa propre place dans l’évolution des choses. Le désespoir est le défaut d’adaptation de l’être à l’évolution. Il existe sous de multiples formes, mais tout se ramène à cela : désespoir social le plus souvent, désespoir amoureux aussi, désespoir mystique, malgré tout beaucoup plus rare.

Le désespoir peut également être inspirant ou transformer l’anonyme en héros. Il devient moteur d’une nouvelle volonté, que l’on n’attendait pas, que l’on ignorait même, qui donne alors non pas une raison à l’action, mais un instinct qui change l’évènement. Ce désespoir moteur est le plus souvent orienté vers la préservation de quelqu’un ou de quelque chose. La sauvegarde devient facteur du changement, même si ce changement revient à vouloir conserver ce que nous connaissons et que les circonstances conduisent à sa perte.

 

Tirons notre courage de notre désespoir même.

Sénèque

 

 

25/11/2011

La solitude (heureuse) du coureur à pied

 

Avez-vous déjà couru dans une ville, au petit matin, entre chien et loup ? Vous descendez de votre appartement, bien réveillé, même si le reste de la ville11-11-25 Rues brouillard.jpg semble dormir. Vous ouvrez la porte de l’immeuble, et là, une autre atmosphère, ouatée, diluée, silencieuse, vous opprime tout à coup. Vous plongez dans la nuit qui vous envahit d’un éther cohérent et sans fin. Vous commencez à courir parmi les poubelles, sur des trottoirs à peine éclairés par des halos provenant de réverbères amputés de lueurs franches. Personne dans les rues, ou presque. Vous croisez Madame qui promène son chien pour des nécessités impératives, vous apercevez le livreur qui peine à charger sur son diable des paquets plus gros que lui, vous entendez les éboueurs interpeller leur camion, ou plutôt son chauffeur, parce qu’il oublie de s’arrêter.

Vous vous échauffez et la pression commence à monter en vous, comme une machine à vapeur qui doit attendre la montée de sa puissance. Vous commencez à sentir vos ailes pousser, elles battent encore doucement au gré des carrefours, mais progressivement vous vous élevez dans l’air humide du matin, ayant trouvé votre rythme, respirant en trois-trois ou deux-deux, ou encore deux-trois (inspiration-expiration au rythme des foulées), selon votre vitesse de vol. Dans les descentes, vous vous laissez aller, trouvant votre centre de gravité plus en arrière, tentant de vous décontracter tous les muscles du corps, avant de vous pencher à nouveau en avant, volontaire et pédalant, pour franchir la légère montée du calvaire ou, plus prosaïquement, passer devant la boulangerie qui, lorsque vous la frôlez, laisse s’échapper des senteurs délicieuses de croûte grillée et de croissants chauds. Vous repartez le ventre plein virtuellement, le nez au vent, l’œil aux aguets, l’ouïe ouverte, pour accélérer vos foulées, ayant vu au loin un autre joggeur ruisselant que vous dépassez avec un petit signe de la main, comme pour dire : « On est copain, même si l’on peine sur des chemins différents ! »

Mais dans le même temps, votre esprit fonctionne à cent à l’heure. Il évacue les miasmes de la nuit, il rumine les pensées de la veille, il met au point les idées à appliquer ce jour, comme une gigantesque machine à laver. Puis l’essoreuse se met en route, évacuant les eaux pesantes, pour ne vous laisser qu’un échiquier impeccable de propreté mentale.

Et doucement, au fil des foulées, la ville s’éclaire, le ciel se dévoile, les passants s’agitent, les enfants sortent des immeubles le cartable sur le dos, la magie s’efface. Alors vous sentez la fatigue s’emparer de vous. Il ne s’agit pas d’une fatigue physique. Simplement, l’entrée dans la clarté du jour vous donne une impression de déjà vu, comme un éternel recommencement auquel vous aviez pu échapper grâce aux lunettes que la nuit profonde avait mises sur vos yeux.

J’aime cette première heure, au carrefour du jour et de la nuit, ce passage imperceptible entre l’imaginaire et le tangible, entre l’échappée allégorique des romans et l’écriture accessible des journaux.

 

 

24/11/2011

Symcar

 

Une fois encore un édifice logique, mais impossible. Ces tours ne peuvent exister à côté d'une pyramide centrale. Quand au dallage, en est-il vraiment un ?

Mais comme c'est amusant de jouer avec toutes ces possibilités qui restent malgré tout virtuelles.

 

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23/11/2011

De sombres perles descendaient lentement de leur front

 

De sombres perles descendaient lentement de leur front
Tandis qu’ils courbaient leurs bras vers la terre nourricière
Une chaleur diffuse montait des herbes moites
En volutes incolores qui troublaient la quiétude de l’air
Ils se mouvaient en gestes lents comme des poissons
Écoutant de leurs ouïes les froissements de ouate
De la poussière blanche qu’ils déplaçaient en nuages
Chaque grain s’irradiait en s’élevant au soleil
Et venait ternir de poudre leurs visages
Le monde semblait pris d’un immense sommeil
Et ses lourdes paupières ne battaient que l’instant
Où une brise éphémère troublait la forme des prairies
Ce n’était qu’un soupir des arbres dans les champs
Exhalant l’ennui des terres assoupies
Ils allaient et venaient trainant leurs nageoires de paille
Comme un pélican alourdi par son bec après la prise
Leur pauvre grenier sur ses roues branlantes, entouré de volailles
S’éloignait dans la poussière soulevée par la brise

 

22/11/2011

Soir antique, d’Alphonse Osbert, 1908, huile sur toile

 

Comme au travers d’une fenêtre, assis tranquillement dans son salon, le visiteur contemple le coucher de soleil sur l’océan, tel le capitaine Nemo ayant fait surface avec son Nautilus. Et le spectacle en vaut la peine. Quatre naïades alanguies contemplant un coucher de soleil, sans un mot, extasiées par la luminosité étrange d’un couchant d’or sur une eau calme. C’est une sorte de trêve, quasiment enlacées deux à deux, les jeunes femmes sont sans visage ou presque, et regardent, épanchées, un ciel limpide qui se reflète dans les eaux tout juste ridées par une brise très légère.

 

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La beauté du tableau, qui se trouve au musée du Petit Palais à Paris et qui est emprunt malgré tout de romantisme exacerbé, tient à la luminosité des couleurs du ciel, de la mer et des robes dont les plis reprennent le cheminement des vaguelettes, principalement pour celle qui se tient accoudée aux genoux de la femme assise. Et cette robe bleu pâle, presque blanche, constitue un prolongement visuel des derniers tremblements des vagues, comme si elle allait se fondre dans l’eau lorsqu’elle s’endormirait. C’est pourquoi elle se tient éveillée auprès de l’autre, peut-être échangeant parfois quelques phrases inutiles, mais qui permettent de ne pas se laisser aller à une somnolence coupable.

 

 Les deux autres femmes, élancées, regardent, indolentes, le disque d’or disparaître à l’horizon, vêtues également de robes antiques, mais dont la couleur se fait sombre parce que plus éloignée des derniers rayons.

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Certes, le sujet peut sembler désuet et peu réaliste, mais c’est le propre du symbolisme. Souvenez-vous du tableau de Maurice Denis, Jeu de volant, peint en 1900 (voir 21 mai 2011 dans Impressions picturales) : un tableau « beau, d’une beauté artificielle certes, mais ensorceleuse, apportant une atmosphère propre, mystérieuse, non dénouée d’émotion, mais malgré tout intemporelle, comme figée dans sa beauté formelle ». Tel est également le cas de ce « Soir antique ».

 

Le symbolisme a été un mouvement littéraire, lancé par le poète russe Valéry Brioussov. Pour ce mouvement, qui s’est ensuite étendu à de nombreux arts, le monde reste un mystère et la beauté artistique tient à la capacité de décrire le monde réel en utilisant des représentations métaphoriques. La nature se perçoit par les sens qui procure des impressions qui, seules, font apparaître son identité spirituelle. C’est pourquoi la peinture, avec Gustave Moreau, Kupka, Lucien Lévy-Dhumer (voir le 26 mai), le groupe des Nabis, et la musique avec Debussy, Erik Satie (voir Gnossienne n°3, le 25 mai), évoquent une nature traitée par l’esthétisme, voire emprunt d’un mysticisme réel.

Oui, même si ce tableau apparaît démodé, trop distant, il possède une beauté de l’âme que lui donne le traitement de la lumière qui éclaire non seulement la vision, mais également l’intérieur de l’être, suggérant un autre monde derrière la sécheresse de la réalité, même offerte sous ses meilleures couleurs comme c’est le cas ici.

 

 

21/11/2011

MEDays 2011, du 16 au 19 novembre, à Tanger (Maroc)

 

Tanger, ville frontière, entre deux mers, entre deux terres, aux bâtiments indolents, mais agitée d’une foule affairée, devenue pour quelques jours un lieu de réflexion sur « Le Sud dans laMedays 2011 003 rev&red.jpg gouvernance mondiale ». Ce sont les MEDays 2011, journées organisées par Brahim Fassi Firhi, président de l’Institut Amadeus, mettant en contact les principaux acteurs du Sud avec les principaux décideurs internationaux. On y parle de crise, bien sûr, dans toutes ses formes, sociale, sécuritaire, financière, climatique, etc. Y participent d’anciens chefs d’Etat, de nombreux ministres, en particulier des Affaires étrangères, des responsables de toutes sortes et de tous domaines. Et l’on y parle en toute liberté, sans langue de bois (ou presque), les expressions utilisées restant modérées.

Nous sommes au bord de la Méditerranée, l’hôtel séparé de celle-ci par un mur qui cache le Medays 2011 009 rev&red.jpgspectacle des vagues que l’on entend frapper le sol de leurs sévères caresses. Certes, ce n’est pas de tout repos, car l’inimaginable communication moderne envahit chaque recoin, y compris sans doute à l’intérieur des têtes, les faisant tourner entre les différents thèmes du forum. Oui, sans doute micros et haut-parleurs sont les rois des panels où interviennent les personnalités. Certains en usent, parlant avec une sensualité douce pour ensuite asséner d’une voix forte quelques vérités supérieures. Mais l’habitude vient avec le temps et l’on se fait à tout ce bruit qui meuble les changements de tables rondes. Pendant les prises de paroles, on peut en même temps voir sur écran les visages des intervenants. Très diversifiés, ils mettent cependant en évidence les points communs de l’humanité tant d’une façon purement physique que, plus subtilement, les attitudes et expressions. Chaque homme porte en lui l’humain. Il est Homo sapiens, c’est-à-dire intelligent, sage, raisonnable, disposant de jugement. Et quand je dis homme, je parle de l’être humain en général, qu’il soit homme ou femme, cela va sans dire. La langue française ne distingue pas le genre de cette dénomination ou plutôt confond l’ensemble avec le mâle. C’est sans doute une erreur historique puisque le latin distingue l’homo, être humain, et le vir, humain mâle. Et dans ces images dont nous sommes abreuvés, apparaissent bien des attitudes ou comportements communs : regard songeur, mais acéré, des penseurs sur les crises désorganisant le monde ; jambes croisées de personnages gênés de disposer assis de tentacules inutiles qui se révèlent malgré tout nécessaires dès l’instant où un déplacement s’impose ; doigts posés (deux en général) sur une joue tiède pour augmenter l’écoute et la concentration, la tête légèrement inclinée du côté du lobe de la réflexion.

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Cette photo a été prise à un moment où la foule habituelle n'empêcherait pas de voir la salle de rencontre et de presse.

Mais, si l’on prête une attention dans le temps à ces images diffusées, apparaît une diversité incroyable et respectable, attendrissante pourrait-on dire. Et ici se côtoient des représentants de l’ensemble de l’humanité, jaunes, noirs, blancs, entre deux couleurs, ou même entre trois. Tous disposent des mêmes gènes et chacun d’entre eux est différent de son prochain. Caractéristique première de la vie : la diversité. Chaque plante, chaque animal, chaque être humain se distinguent des autres membres de son espèce. Il n’y a pas de clone. Mieux même, chaque être humain est centre du monde, l’analyse avec sa vision qui diffère de celle du voisin. Il est vie unique, mystérieuse, imprévisible, parce que soumise à un environnement fragile qui est le même pour ceux qui vivent dans un même lieu et en même temps. J’ai aimé entendre l’ancien Président de la république de Colombie, l’ancien Président de la république du Pérou et le Président de Microsoft Africa, si différents en tant qu’hommes vivants dans des environnements différents, mais aux préoccupations proches. La mondialisation n’est pas seulement un maelstrom économique. Elle peut être transformée en instrument de socialisation et de paix. Mais il nous faudra encore du temps et beaucoup de réflexions pour abandonner nos intérêts localisés et incompatibles.

Qu’en retenir ?

Au-delà de l’étonnante diversité des hommes, l’intelligence des réflexions de nombreuses personnalités ressortissantes des pays du Sud. Au-delà de la compréhension des mécanismes des sociétés, c’est une culture commune et philosophique qui ressort, même si de nombreuses divergences d’action restent évidentes. Je pense en particulier au professeur Abdelfattah Amor, président de l’académie internationale de droit constitutionnelle, dont la profondeur de vision du droit fait entrer de plein pied dans les aspects philosophiques et moraux de l’être humain et de ses droits quelles que soient son ethnie et sa religion.
L’importance et l’intérêt de la jeunesse marocaine à ses réflexions est un second point à mettre en exergue. Ce forum fut organisé par des jeunes, très jeunes même, presqu’étudiants, et l’organisation, colossale, a tenu ses promesses, comme les buts de la réflexion proposée. Et pourtant, notre société ne leur laisse que peu de place dans le monde du travail. On peut penser qu’une des faillites de la mondialisation est principalement l’incapacité à procurer du travail à tous les âges et toutes les couches de sociétés très variées mais plongées dans un même bain : certains, de moins en moins nombreux, mais de plus en plus riches, continuent à accumuler de manière éhontée, au détriment d’encore plus d’hommes et de femmes, jeunes ou vieux. La corruption, qui commence par la monopolisation du pouvoir (ce qui se passe en Egypte) est le fléau de nos sociétés, y compris dans nos démocraties.
Troisième point : la possibilité d’établir des relations avec des gens de tous pays, travaillant dans toutes sortes de domaines, étant à des postes d’action ou de réflexion importants, est une occasion unique qui donne à ce forum un intérêt indiscutable. Chacun y pêchera les relations qu’il souhaite, au-delà de paroles entre gens de bonne société.

Merci à nos amis marocains et plus largement des pays du Sud pour cette leçon de courage qu’ils nous donnent : courage pour monter un tel forum, courage pour reconnaître les erreurs commises, courage pour envisager des solutions inédites et pas forcément politiquement correctes, et, toujours, un sens de l’accueil inégalé.

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20/11/2011

Bruxelles

 

On y entre facilement en voiture, comme dans une ville de province lorsque l’on se faufile entre de petites maisons et des zones industrielles devenues le refuge de sociétés commerciales qui vendent de tout, c’est-à-dire pas grand chose. C’est la fin de l’après-midi, les lumières s’éveillent une à une, comme les bougies d’un sapin de Noël allumées par une seule personne. Progressivement ces bougies se mettent à danser. Vous tournez la tête jusqu’à ce qu’elles se calent dans votre vision et donnent à la ville sa nouvelle apparence, tantôt trop claire, aux abords de grands carrefours ou de lieux d’achat, tantôt obscure dans des rues désertes ou à proximité de parcs et même de forêts de poche. Si bien que vous vous retrouvez quasiment au centre de la capitale en ayant parcouru une petite ville de province encore engluée dans une ruralité attendrissante.

Vous parcourez les rues encombrées de maisons pressées les unes contre les autres. Vous imaginez être dans une bibliothèque dont les volumes ssociétéont emprisonnés entre des serre-livres, monumentaux, colossaux, à l’image du palais de justice qui domine la vieille ville du haut de sa grandeur juridique et morale. Vous vous attendez à voir sortir d’un interstice entre deux habitations un insecte géant, mangeur de papier, cherchant dans votre portefeuille quelques billets à se mettre sous la dent. Rien de tout cela n’arrive. Vous vous promenez comme tous les passants dans une obscurité diffuse, serrant votre col pour ne pas laisser le froid pénétrer le creux douillet d’une poitrine offerte.

Vous vous arrêtez devant les magasins colorés, aux devantures chargées de "brolles" (objets divers) de toutes sortes, mais qui éveillent en vous cette folie d’achat et de possession que vous portez dans vos gênes depuis votre petite enfance. Ce chocolatier est irrésistible ! Vous entrez et êtes surprise par la foule dont le seul objectif semble être le choix important du type de chocolat : noir comme l’encre, au goût amère, mais à la texture simple qui laisse un arrière goût patiné, à la manière du miel, mais moins écœurant ; éclairci, de la couleur des boiseries de nombreuses maisons Art Nouveau qui enjolivent la ville de volutes de bronze et d’arabesques délirantes, au goût plus difficile à définir parce que chargé d’autres effluves, de fruits ou de fleurs. Puis vous ressortez et vous asseyez sur un banc, face aux livres alignés comme des soldats de plomb pour déguster une de ces merveilles gustatives que seule Bruxelles offre à ses visiteurs. Ou encore, vous achetez une gaufre dans une camionnette jaune sale à l’intérieur de laquelle s’agite un charmant monsieur qui jongle avec ses pâtisseries pour les distribuer à tous ceux qui ont besoin d’un en-cas pour survivre en cette fin d’après-midi ou plutôt début de nuit noire et mystérieuse. Puis vous descendez la rue Royale jusqu’à l’église des Sablons pour vous glissez entre les voitures de la place et regardez la vie aller et venir entre les devantures luxuriantes tout en mangeant avec délicatesse cette gaufre appétissante et bienvenue. Là, vivante et repue, vous glissez vers ces tentations sublimes, résistant malgré tout aux charmes d’emplettes de rien, pour vous retrouver dans un magasin environnée d’objets inconnus tels que des peintures, des bijoux ou des tasses à café. Et vous vous fondez dans ce paysage pour mieux le goûter et en apprécier la nouveauté tentatrice.

Ressortant, encore rêveuse d’objets exaltants, vous vous transformez en songe, dans la froideur de l’automne et vous élevez au dessus des cheminées fumantes pour contempler de haut cette ville bizarre, encombrée de petites rues aux maisons biscornues dans lesquelles ont été taillés des emplacements pour de grands monuments, un peu lourds, presque germaniques, mais gardant cependant une certaine élégance, comme ces femmes oscillant entre une jeunesse encore vivante dans certaines attitudes et le début d’un empâtement du corps qu’elles cachent sous des vêtements moins moulants. Vous parcourez en rêve les parcs aux longs arbres déjà dévêtus dans lesquels se trouvent encore quelques promeneurs qui se hâtent vers la sortie. Vous vous arrêtez place Royale, environnée de cubes blancs ou jaunes, un peu étourdie par la valse des voitures tournant en rond autour du carré central, jusqu’au moment où vous en suivez une qui passe devant le palais royal, triste et morose, parce qu’éteint et sans vie. Vous faites le tour du jardin, longeant les ambassades gardées par des Securitas enfermés dans leurs guérites étroites. D’un coup d’aile, vous montez plus haut et vous laissez envahir d’une mélancolie doucereuse, indolente comme les habitants de cette ville, possédée par le charme de cette capitale qui se déguise en femme entre deux âges, le regard brillant, mais déjà couronnée de "croles" enneigées.

Et le soir, couchée dans votre lit, après vous être endormie très vite, vous revisitez ces rues, ces maisons, ces monuments, à la manière du passe-muraille, pour vous imprégner de cet art de vivre, encoconné et chaleureux, riche comme une chatte étendue au coin d’une cheminée fumante.

 

 

19/11/2011

C'est dans un lit de rêve

 

C’est dans un lit de rêve

Aux coussins dorés et froids

Que j’ai parcouru les monts d’hier

Je suis entré dans la brume verte

J’ai écarté les filaments de verre

Qui masquaient le passage des éléphants

Pilotée de main de maître

Ma monture obéissait au doigt et à l’œil

Elle vaguait au fil des courants

Ballotée par un vent léger

Emprisonnant l’atmosphère

Au-delà le monde devenait acide

Avec un goût de pervenche

J’en pleurais des larmes de crocodile

Mais je poursuivis malgré cela

Dans les bras de prêtres invisibles

Et de femmes au regard flamboyant

Allant de l’avant toujours

Jusqu’au final aboutissement

Sur la montagne éclairée

Là, plus rien ne distinguait

La frayeur de la chaleur

Elle se diffusait lentement

Comme une senteur montant par les jambes

Pour s’emparer du corps

Et l’alourdir encore

De maigres bénéfices sans rapport

Alors, avançant la tête avec circonspection

Je marchais avec dignité vers la fin

Les épaules tombantes, l’œil morne

Pour m’agenouiller dans l’herbe

Et recevoir en final

Le don de planer

De la réalité au rêve enfantin

 

18/11/2011

Leçon d’écriture

 

La description faite par Murakami dans son dernier livre 1Q84 (livre 1, p.125 et suite) est suffisamment détaillée pour donner des idées à ceux que tente l’écriture. Le héros du livre est en effet chargé par son éditeur de revoir un roman écrit par une jeune fille. Ce dernier le trouve bon dans les idées développées, mais pas suffisamment bien écrit pour que le lecteur poursuive au-delà de quelques pages.

En fait, il était midi et demie lorsque Tengo s’attaqua à la réécriture… Pour le moment, il essaierait de corriger cette partie jusqu’à en être satisfait. Il ne changerait rien au contenu, mais il réorganiserait la syntaxe et modifierait radicalement le style. De la même façon qu’on rénove les pièces d’un appartement…

Entrant dans les détails, l’auteur décrit ses procédés de travail comme il expliquerait la façon dont il rend malléable le chewin-gum dans sa bouche pour jouer avec, tantôt l’étirant à profusion en longs et minces filaments, tantôt le concentrant en boule emplissant ses joues pour en goûter plus profondément la saveur.

J’ajoute des explications aux passages difficiles à comprendre à la première lecture. Je m’arrange pour que les phrases coulent mieux. Je coupe les endroits inutiles et les répétitions, je comble les lacunes…

L’écrivain se plonge totalement dans cette mécanique précise de la réparation d’un texte ou de son enjolivement. Il arrive à force de contorsions grammaticales et de recours aux manquements du texte à redéfinir son contenu sans cependant en modifier le sens. Il s’attache également à préciser le lecteur, ou plutôt les réactions du lecteur, se mettant à sa place et imaginant sa compréhension des descriptions.

Mais à quelle catégorie de lecteurs ce texte pouvait-il être destiné ? Tengo l’ignorait, bien entendu. Ce qu’il savait néanmoins, c’est que la Chrysalide de l’air était une fiction tout à fait unique, contradictoire, possédant une beauté originelle et de gros défauts, et qu’en même temps elle recelait un dessein particulier.

Cette première confrontation avec le manuscrit pour en modifier l’équilibre ne suffit bien sûr pas. Il faut se poser la question de la justesse et de l’équilibre des propos, retirer les lourdeurs incongrues, repeser les formules pour les assouplir.

A la suite de son travail, le texte devint deux fois et demie plus long que le manuscrit original. (…) A présent les phrases étaient devenues logiques et sensées, le point de vue était clair et la lecture d’autant plus fluide. Mais l’ensemble avait quelque chose de lourd. En privilégiant la logique, il avait affaibli l’acuité et le tranchant que possédait le début de l’original.

Alors, on se remet à la tâche : supprimer de la nouvelle version les passages non indispensables.

 Le travail de rabotage était beaucoup plus facile que celui de remplissage… C’était une sorte de jeu intellectuel. Durant un laps de temps déterminé, il étoffait le texte, autant que possible, puis durant un laps de temps déterminé, il le réduisait, autant que possible. En poursuivant obstinément ces opérations opposées et complémentaires, l’amplitude diminuait peu à peu et le texte finissait par se stabiliser à un niveau d’équilibre satisfaisant.

Mais ce n’est terminé, loin de là. Après une pause, il reprend sa matière. Il imprime les pages réécrites :

Il posa alors les pages imprimées devant lui et relut attentivement l’ensemble, un crayon à la main. Lorsqu’il estimait qu’un passage était oiseux, il le rayait ; lorsqu’il sentait qu’un autre était médiocre, il le développait. Il continua ainsi ses corrections jusqu’à ce que les parties mal adaptées au contexte soient satisfaisantes. Comme on choisit un carreau pour combler un petit espace dans une salle de bain, il sélectionnait précisément le mot qui convenait pour tel passage, il vérifiait son ajustement sous des angles très variés. De minuscules nuances animaient le texte dans pour autant l’abimer.

Pas mal, songea Tengo après avoir entré dans sa machine les corrections faites à la main.  Chaque phrase possédait un poids convenable, se lisait naturellement, sans à-coups.

Ainsi s’achève cette leçon d’écriture, passionnante de détails pour ceux qui s’essaient, insupportables pour les non initiés, encore insuffisantes pour les virtuoses du stylo. L’écriture ne serait qu’une vulgaire mécanique dont l’essentiel est un réglage de précision entre un récit qu’il faut raconter, uns syntaxe à utiliser consciencieusement et avec respect, des enjolivements rendant l’ensemble plus seyant, un équilibre de fortune, toujours remis en cause par un fragment à ajuster, par une impression à développer.

Et l’écrivain devient le mécanicien tourmenté par des bruits imprévus, des pétarades incongrues, qu’il faut éliminer pour qu’à la fin le ronronnement du texte apparaisse naturel, sans effort, déroulant son récit à la manière d’une coulée de chocolat dans un moule pour le transformer en appétissante friandise dont le lecteur va se pourlécher les neurones.

 

 

17/11/2011

Les rapports entre l’homme et le temps

 

« C’est curieux, mais la vie humaine n’a jamais été soumise à une enquête mathématique. Prenons pour exemple le temps. Je rêve de faire cette expérience : appliquer des électrodes sur la tête d’un homme et calculer quel pourcentage de sa vie il consacre au présent, quel pourcentage aux souvenirs, quel pourcentage au futur. Nous pourrions découvrir ainsi ce qu’est l’homme dans son rapport avec le temps. Ce qu’est le temps humain. Et nous pourrions définir à coup sûr trois types humains fondamentaux, selon l’aspect du temps qui serait dominant pour chacun. »

Mais si nous poursuivons cette idée de Milan Kundera dans L’immortalité (5ème partie, le hasard-4), on constate la difficulté immédiate de la mise en application de l’expérience. Avons-nous seulement une véritable vie conceptuelle dans le présent ? Je ne cesse à cet instant de penser à ce qu’a dit Kundera, mais ce qu’il a dit est déjà du passé et je remâche ce passé pour construire, dans l’avenir, une idée enrichie de ce qui est dit par Kundera.

C’est vrai, me direz-vous, mais vivre dans le passé, le présent ou l’avenir est au-delà de ces rapports difficiles de la pensée présente avec ce qu’elle connaît, venant du passé, et ce qu’elle soupçonne de l’avenir.

Ici, il est question de la philosophie de la vie : ma vie est-elle tournée vers la nostalgie du passé, vers la jouissance du présent ou vers l’investigation du futur ?

Certes, selon le métier de chacun, ses rapports avec le temps seront différents : le stratège et le trader sont professionnellement tournés vers l’avenir, l’historien et l’archéologue le sont vers le passé. Probablement l’artiste est tout à la construction de son œuvre, donc orienté vers le présent dans l’accomplissement de sa tâche fondamentale, de même le chirurgien, pour des raisons proches. Mais cette différence tient-elle essentiellement à la profession ?

Il est très vraisemblable qu’elle tient également au caractère même de la personne. On peut penser que les primaires sont plus préoccupés par le présent que les secondaires. On peut également penser que les actifs sont attirés par le présent et le futur, les non actifs s’intéressant probablement plus au passé. Mais est-ce si important et probant ? Probablement non.

Il semble plus intéressant d’aborder le problème avec les types psychologiques de Jung. Pour lui, l’individu  a deux façons de se charger en énergie : l’introversion qui puise dans l’environnement extérieur, les activités, les expériences, et l’extraversion qui trouve dans son univers intérieur des idées, des souvenirs et des émotions de quoi nourrir sa vie. Ainsi, l’extraverti vivrait plus facilement dans le présent et un peu l’avenir, alors que l’introverti serait plus porté sur le passé (monde des souvenirs et des émotions) ou l’avenir (monde des idées).

Alors qu’en est-il ? On peut penser qu’au-delà des différentes typologies de caractère, il faut avant tout retenir un autre trait fondamental de la psychologie humaine : l’optimisme et son contraire le pessimisme, et, plus loin encore, l’espérance dans la vie. Les optimistes sont bien sûr à l’aise dans le présent et se projettent dans l’avenir sans difficulté. Le pessimiste envisage le futur comme un trou noir qui cherche à engloutir tout ce qui a retenu jusqu’à présent son attention.

 

16/11/2011

J'ai mis ma confiance

 

Composé pour une chorale provinciale, ce gospel est simple et inspiré des chants protestants du début du XXème siècle. La figure emblématique de ces Gospel Songs est Charles Albert TINDLEY . Ses œuvres sont nombreuses et laissent place à d’importantes improvisations. Ce pasteur noir méthodiste publie en 1916 son recueil, intitulé New Songs Of Paradise. Puis, dans les années 1930, collecte les différents gospels, les transcrit et constitue ainsi une véritable mémoire du chant afro-américain.

Ces chants sont inspirés de la Bible, avec des phrases courtes, infiniment répétées. La musique est également facile à chanter a capella. Le rythme est le plus important. Elle utilise les accords de septième qui permettent des transitions de tons.

Mais malgré ces efforts, ce style de musique n’est bien chanté que par les noirs qui ont le rythme dans la peau et surtout qui savent improviser à partir d’une musique de base qui guide le soliste.

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15/11/2011

L’aquarium émet des sons étranges

  

 

L’aquarium émet des sons étranges

Rires alourdis de mains ouvertes

Où chaque doigt cache

Un souffle de fumée

 

Les lits ouvrent leurs bas-flancs

A des jambes solitaires

Qui glissent dans leur ombre

Vers de longs tabourets

 

Et ceux-ci campés fièrement

Sur quatre pieds aux pattes décharnées

Offrent leur solitude

Au monde de chaleur

 

Une rangée de hallebardes

Dresse ses cache-flammes

A la brume prisonnière

Qui s’y attarde gaiement

 

Le soleil aussi semble profiter

De leur miroir d’huile

Pour caresser doucement

Sa longue chevelure d’or

 

Univers clos

Monde parmi le monde

A la recherche d’une âme

Dans les brumes de son corps

 

 

14/11/2011

A travers le miroir, d’Ingmar Bergman

 

Extraits du film :

http://www.dailymotion.com/video/x2qmrk_a-travers-le-miro...

http://www.dailymotion.com/video/x2qmg7_a-travers-le-miro...

http://www.dailymotion.com/video/x2qmlw_a-travers-le-miro...

 

Pourquoi à travers le miroir, se demande-t-on d’abord. Ingmar Bergman aborde ici le problème le plus humain qui soit, celui des rapports entre l’homme et ses semblables.

Le miroir, c’est la réalité quotidienne de l’homme, l’enveloppe extérieure ducinéma,psychologie,spiritualité monde intérieur, dont il montre les différentes apparences sous les traits de ces quatre personnages qui semblent vivre en bonne entente, mais ne se comprennent pas. Chacun possède sa propre vision du monde : plus ou moins proche de la réalité, mais exaltée par la sensibilité de l’enfance, pour l’adolescent qu’est Nino ; très loin, à la limite de la folie, pour Karin. Martin, son mari, est sans doute le plus près de la réalité, mais il ne la voit que par son amour pour Karin. Le père de Karin, écrivain, ne semble vivre que par son œuvre où ce qu’il décrit est à la fois lui et un autre que lui (Est-ce vrai ? Lui demande Martin. Je ne sais pas, répond-il).

Chacun de ces êtres se balancent au bord du vide et du désespoir, ou, pour Nino, en font la connaissance (c’est comme si la réalité avait éclaté lorsque j’étais avec Karin, explique Nino, qui est alors devenu adulte). Ils s’enferment dans leur cercle qui se brise à la réalité, mais inlassablement ils en rebâtissent un autre. Ainsi se déroule le film, dans cette atmosphère de tension psychologique propre à Bergman qui fait une description clinique de chaque personnage, les regardant vivre d’un œil objectif et trouver eux-mêmes la solution.

Car Bergman propose la solution, elle s’impose après la crise de Karin qui n’a rien trouvé dans sa folie. Ce que cherche l’homme inlassablement dans sa solitude, c’est Dieu qui semble seul pouvoir le sortir de ce vide dans lequel il s’enfonce. Il y a deux moyens  pour le trouver: soit se replier de plus en plus sur soi-même, sur sa recherche, comme le fait Karin qui finalement tombe dans la folie, ne trouvant qu’un dieu-araignée qui tente de la posséder avant de la délaisser (peut-être est-ce là l’image d’un faux ascétisme qui ne mène qu’à la stérilité) ; soit, et c’est la solution proposée par Bergman, la seule possible, remplir le vide de l’âme par l’amour (« alors le vide devient richesse et le désespoir quitte l’âme »), ce que découvre l’écrivain dans la compagnie des trois autres. Cet amour va alors pour la première fois lui permettre de briser le miroir et de communiquer réellement avec son fils pour lui expliquer sa découverte :

_ Il y a un moyen de sortir du vide.

_ Dieu ? Mais… la preuve ?

_ La preuve, c’est l’amour. Dieu apporte l’amour. Dieu est sans doute l’amour lui-même.

 

 

13/11/2011

Tremblement

 

Un frémissement d’ondes, imperceptible, qui modifie la structure de deux plans divergents et deux autres convergents. L’on s’y perd. Au centre, un assemblage insolite dont on arrive difficilement à comprendre la construction.

Et pourtant, dans cette simplicité du dessin, il y a une harmonie certaine, un attrait pour l’œil qu’on ne peut définir.

 

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12/11/2011

Le tango des petites lunes (2mn15)

 

http://www.youtube.com/watch?v=3_ZEHPO9UX0&feature=related

 

Qu’elle est bizarre cette association de la musique et de l’art du jongleur. On admire d'abord la jongleuse, l’agilité de ses mains, les effets qu’elle produit avec ses bras, les trajectoires de ses balles, insolites, produisant des étincelles et des figures géométriques, jusqu’à l’arrivée de Richard Galiano qui provoque la surprise.

C’est alors un récital à deux, pour l’un de notes aigües, rythmées, dansantes et entraînantes, pour l’autre d’une balle qui semble attachée par un élastique au bras ou à la main de l’artiste. Un véritable duo, expressif, fait de sons et de gestes, une berceuse insolite qui fait rêver.

Et tout ceci se termine en farce populaire : le jongleur devient autruche en une seconde, même si on l’a vu préparer cette transformation ; le musicien devient le joueur de flûte qui entraîne les rats vers la rivière Weser dans un premier temps, puis les enfants d’Hamelin dans un deuxième temps.

Quel conte naïf, inventif et drôle : un musicien, un jongleur et trois personnages de la vie quotidienne, sortis tout droit d’un théâtre de marionnettes et délivrant une musique d’ambiance. Cela n’a pas de prétention et nous fait retrouver une âme d’enfant.

 

 

 

11/11/2011

Ne plus voir dans l'oeil que l'on croise

 

Ne plus voir dans l’œil que l’on croise

Ignorer les doigts fragiles qui se tendent

Ne plus même entendre les pas derrière soi

Ou la plainte silencieuse arrêtée sur les lèvres

 

Partir sur l’asphalte les yeux clos

L’oreille sourde, la main sur son bâton

 

Souvenirs encore de ce rêve ébauché

Un matin où le ciel rouge sur la ville

Ensanglantait les visages inexpressifs et muets

 

Puis le vide silencieux du dernier sommeil

Jusqu’au réveil étonné, dans la froideur du lit

 

 

10/11/2011

Morale chrétienne

 

La morale chrétienne est une morale dont on ne voit jamais la fin, car elle est fondée sur l’amour.

Est-ce d’ailleurs à proprement parler une morale ? Celle-ci n’est qu’une méthode de préservation de la société dont l’objet est la survivance de l’humanité. L’amour chrétien va au delà de ces objectifs. Il requiert l’être tout entier et pas seulement son aspect social ou même sociétal. On ne peut observer l’amour comme on observe une règle, car il exige toujours plus.

Comparons ces deux formules :

« Le véritable devoir de justice, c’est de considérer chaque individu comme une fin », nous dit Kant.

« Aime ton prochain comme toi-même », dit l’évangile.

Elles sont identiques au sens moral, mais bien éloignées l’une de l’autre, la première étant fondée sur la raison, donc le devoir, la seconde sur l’amour, donc la joie.

La première n’est qu’une règle de vie en société, la seconde est un axiome de bonheur.

 

 

09/11/2011

Antechrista, roman d’Amélie Nothomb

 

Le premier jour, je la vis sourire. Aussitôt, je voulus la connaître Une semaine plus tard, ses yeux se posèrent sur moiLe lendemain, elle vint vers moi et me dit bonjour

Ainsi s’installe tranquillement Christa dans la vie de la narratrice, laquelle est timide, sans amie, mal à l’aise dès qu’il s’agit d’aborder quelqu’un. Très vite, elle invite Christa à venir coucher chez elle parce que celle-ci habite très loin. Dès l’entrée dans l’appartement, Christa devient dominatrice et humiliante. Après s’être mise nue pour essayer une robe, elle contraint l’auteur, Blanche, à faire la même chose : J’avais seize ans. Je ne possédais rien, ni biens matériels ni confort spirituel. Je n’avais pas d’ami, pas d’amour, je n’avais rien vécu. Je n’avais pas d’idée, je n’étais pas sûre d’avoir une âme. Mon corps, c’était tout ce que j’avais. Elle finit par passer la robe ce qui fait dire à Christa : Elle me va mieux qu’à toi. Puis elle compare leur corps, cache le tee-shirt de Blanche qui doit courir après pour le récupérer. Sa mère entre alors : transformation de Christa, son rire, de démoniaque, devint la fraicheur même, une franche hilarité, saine comme son corps. Ma mère, stupéfaite, regardait cette adolescente nue qui lui serrait la main sans aucune gêne… Et je voyais que celle-ci, sans penser à mal, voyait le beau corps plein de vie de la jeune fille – et je savais que, déjà, elle se demandait pourquoi le mien était moins bien. Christa, en une soirée, séduit le père et la mère de Blanche, les tutoie et les appelle par leur prénom.

Le lendemain, ma mère déclara : Ta Christa est une trouvaille ! Elle est incroyable, drôle, spirituelle, pleine de vie… Mon père lui emboîta le pas : Et quelle maturité ! Quel courage ! Quelle intelligence ! Quel sens des relations humaines !

Ainsi est planté le décor qui permet à la perverse Christa de s’introduire dans la vie de Blanche jusqu’à devenir la fille chérie de ses parents : elle dort dans son lit, l’emmène dans des soirées étudiantes où elle lui fait connaître le flirt, s’impose comme la meilleur en tout et fait tout pour ridiculiser Blanche qui n’ose rien dire devant ses parents subjugués par cette jeune fille exquise. Mais celle-ci va trop loin. Elle provoque Blanche : Pourquoi tes parents parlent-ils tant pendant ces diners ? C’est à peine si je peux en placer une. Déjà qu’ils se servent de moi pour se rendre intéressants !

Blanche découvre toute l’ignominie de Christa, ou plutôt d’Antechrista, comme elle l’a surnommée. Celle-ci n’aimait qu’elle. Elle s’aimait avec une rare sincérité. L’amour était pour Antéchrista un phénomène purement réflexif : une flèche partant de soi en direction de soi. Il lui fallait maintenant ouvrir les yeux de ses parents. Elle part en voyage à Malmédy, lieu où habite Christa et découvre qu’elle lui a menti sur ses conditions de vie. Elle prend des photos, les montre à ses parents et très vite sa mère comprend. Son père téléphone au père de Christa et comprend également que celle-ci ne vit que par et pour le mensonge. Le lendemain, Christa joue l’offensée et part en claquant la porte.

Je ne raconterai pas la fin, car elle constitue une surprise de la part de Blanche, sa revanche. Cependant, dans la dernière page, c’est encore Christa qui a le dessus, de manière indirecte.

 

Antechrista est le roman de la lutte entre l’intériorité et l’apparence : d’une part, l’intériorité silencieuse et timide, n’osant dévoiler sa vérité, et, d’autre part, l’apparence avec ses mensonges, ses changements d’attitude où tout est conçu pour plaire, même en trompant. C’est sans doute le combat actuel qui se déroule dans les médias, quels qu’ils soient. Dans le roman, le combat est individuel et intimiste. Dans la vie médiatique, le combat est collectif et clamé par les tenants de l’information. Mieux vaut une information quelle qu’elle soit que pas d’information. Le monde pourra-t-il tenir longtemps ce mensonge permanent ?

 

 

08/11/2011

Cubpyr

 

Le cube est un volume simple. Il est beaucoup plus qu'une surface, c'est un monde en soi. Sa démultiplication harmonieuse étend ce monde sans le déformer, lui conservant sa pureté originelle. Monde géométrique qui possède sa propre élégance, discrète, voilée, en catimini. Deux cités altières et symétriques qui se regardent l’un l’autre entre des champs en pentes douces.

Ce monde est à l’image de la modernité, mais une modernité sans soif, sans prédation, sans égoïsme des hommes. Un monde dur, c’est vrai, mais droit et sans fausseté.

 

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07/11/2011

Ce matin

 

Ce matin, tous les arbres ont la chair de poule.
Ils frissonnent aux éclats de lumière sur l’horizon
Et leur scintillement fragile les transforme
En kaléidoscope repu de frémissements.

De la fenêtre, je contemple l’horizon rouge,
Le ciel gris foncé entrecoupé de blanc.
J’entends l’oiseau bavard annoncer son réveil,
Je suis des yeux l’écureuil habile, d’arbre en arbre.

Vert, bleu et gris, quelques instants plus tard,
A la couleur laiteuse d’un ciel chargé,
Où seules les touches de blanc et de rouge
Apportent l’empreinte d’un jardinier attentif.

Et pendant que la terre tourne toujours,
La bien-aimée sommeille, les cheveux défaits,
Les jambes entortillées autour de draps tièdes,
Reposant, vivante malgré son inaction.

Encore un jour, encore une nuit,
Encore des années et des décennies,
Nous contemplerons chaque matin
La levée de tous les jours, main dans la main.

 

06/11/2011

Le lustre de verre

 

Il était là, dès l’entrée, brillant de mille feux et pourtant non écla11-11-06 Lustre Murano.jpgiré. Il suffisait de lever la tête pour voir ses torsions, ses palmes entourées de graines colorées, la construction si bizarre et pourtant si équilibrée, de son achèvement. Il fut livré en morceaux, petits paquets à défaire avec précaution, comme un trésor à sucer longuement avant de l’assimiler jusqu’à ce qu’il donne au corps une nouvelle forme, moins torturée que les apparences visuelles. Il se balance au dessus des têtes, portant ses ombres imprévisibles vers les visages tendus vers le haut, comme celui de Jeanne d’Arc vers le dauphin Charles. Et selon l’éclairage qui venait non du lustre, dont les ampoules n’existaient pas encore, mais de lampes posées sur les meubles, nos visages apparaissaient déformés, tantôt curieux, tantôt blasés, tantôt interrogés par cette distribution de verreries emmêlées.

Ce n’était qu’un lustre, certes de verre rare et venant d’un pays lointain, comme s’il avait voyagé pendant des mois sur un bateau affrontant les tempêtes, entouré de milles soins, de papier et de paille, puis déposé avec précaution au milieu de la pièce. Mais il fut le navigateur des conversations, tenant la barre d’une main ferme, conduisant les commentateurs vers des objectifs inconnus, empruntant des lignes brisées, enchevêtrées de fioritures de bons mots et d’anecdotes, entraînant des retours en arrière entre la porte de la pièce et celle de la suivante.

Plus qu’un lustre, c’était un soleil qui n’éclairait pas, mais qui réchauffait les souvenirs de chacun sur cette ville unique, majestueuse et trop visitée qu’est Venise et sur sa reproduction microcosmique, Murano. Et chacun de voir défiler dans sa tête ces images cartes postales, mais malgré tout très proches de la réalité, de palais, de passages, d’agitations silencieux des transports fluviaux et de piétinements de foules épuisées et indifférentes qui visitent et regardent ce qu’il convient de voir et de contempler.

Cette cathédrale de verre, cette pièce montée suspendue au dessus des convives, se taisait, bien que toujours brillante de scintillements magiques, soucieuses de maintenir son image enjolivée par les réminiscences de chacun. Etait-elle trop petite ou trop grande, résonnait-elle de ses cristaux imités, goûtait-elle la senteur des mets qui montait lentement en fumée tremblotante vers elle, entendait-elle les voix de chacun s’exprimant en ricochet ?

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Et si l’on veut aller plus loin dans sa description, on peut aussitôt comparer ce lustre de verre aux poulpes dont la chair translucide, éclairée par les projecteurs des plongeurs sous-marins, projette d’étranges reflets indéfinissables en laissant flotter dans une eau bleue et claire leurs bras de lianes arborescentes pour une fois au repos.

 

Assis dans le salon, loin du lustre de verre, mais les yeux encore brillants de ses reflets sans lumière, chacun pensait encore, sans le dire, à son premier voyage dans la cité des rêves.

(Les photos de lustres que vous voyez ici n’ont que peu à voir avec celui dont on parle, bien sûr !)

 

05/11/2011

Dernière promenade d’automne

 

C’est très probablement notre dernière promenade d’automne. Elle s’avère mélancolique et11-11-05 Ste Suz 1 red.jpg attendrie, puis se révèle enjouée et dépourvue de regrets voilés. Nous marchons dans la vallée étroite, sur un chemin aussi tortueux que le cours de la rivière que nous suivons, d’abord sur la chaussée carrossée, et, très vite, sur un sentier de gazon surplombant le serpent argenté qui lui-même coule entre les maisons basses, cherchant son chemin dans un dédale dû à l’exiguïté des lieux.


Les moulins se succèdent, silencieux en ce dimanche après-midi. Mais on les imagine aussi, grande bouche dévoreuse d’écume, recrachant des flots blancs et oxygénés qui par leur frénésie permet la mise en route de monstrueuses machines qui écrasent, dissèquent, coupent, aplatissent, divisent, transforment tout morceau de nature vivante et la met à disposition de l’homme, à ses pieds, pour qu’il en use, en abuse, la suborne et la jette, enfin lassé de leurs gémissements discrets.

 

 

 


Et plus hau11-11-05 Ste Suz 3.jpgt, se découpant sur un ciel virginal, la ville, prison11-11-05 Ste Suz 2 red.jpgnière de ses murailles, dominant la vallée comme une gardienne de l’éternité, contemplant cette nature modelée par ses habitants, qui reflète dans ses miroirs l’absence de soucis, l’heureuse et provisoire insouciance d’un après-midi de Toussaint, à la campagne.

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Au détour d’un tournant, l’arbre éternel, envoûtant de ses grands doigts fragiles l’horizon, dessine un ovale parfait et majestueux, malgré une chevelure brouillonne, et vous convie dans la danse des insectes qui bourdonnent autour des silhouettes des passants.

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Enfin la lente montée vers la muraille, entre les chênes rabougris et la rocaille coupante, qui coupe le souffle, mais allège le corps et lui donne l’apesanteur mystique des croisés à la vue de Jérusalem.  

 

 

 

 


 

Alors vient l’envie11-11-05 Ste Suz 6 red.jpg de se jeter des murs vers l’horizon, planant lentement au dessus du moutonnement des arbres, dans un silence parfait, respirant les odeurs subtiles de la terre, des feuilles endolories, de la bouse de vache et du parfum des promeneuses qui ouvrent leur corps à la pâle chaleur d’un soleil qui commence à descendre derrière la colline. Volant entre ciel et terre, entrant dans les flocons cotonneux comme dans un bain d’eau froide et décapante, vous connaissez l’ivresse des jours sans fin non parce que le temps s’arrête, mais parce que votre esprit lui-même s’est arrêté, vide, éclairé par le scintillement permanent d’une absence de pensées aussi bénéfique que les crèmes adoucissantes dont les femmes s’oignent chaque matin pour aller, la tête en l’air et les pieds au sol, conquérir le monde en tant que beauté fatale.

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Et pourtant la porte est étroite et Gide aurait sans doute fait de ce moment hors du temps un instant d’appréhension des principes qui font de la vérité humaine soit une évasion, soit un enfermement.