Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/12/2018

Voyage à Yoshino, un film de Naomi Kawase

Un film magnifique, mais incompréhensible. Après avoir lu les annonces concernant ce film, on se dit : « Pourquoi pas ! J’aime la lenteur des films japonais, le décrochement du temps, la contemplation18-12-11 Voyage à Yoshino.jpg des sous-bois, le regard sur les frissons d’une peau, le soupir d’une vieille femme, la joie avenante des jeunes filles. »

Et ce fut bien cela, l’éclat des voix dans la montagne, le crissement de la scie sur le tronc des pins, le craquement des arbres qui tombent lentement, la friture du wok dans la cuisine, le froissement des vêtements retirés, l’embrasement des corps se palpant. On avançait lentement dans la connaissance de l’autre, ayant toujours un détail à appréhender avant d’aimer ou de rejeter.

Mais on ne sait plus ce que cherche Jeanne (Juliette Binoche) : la vision, une plante médicinale ; le passé de jeune fille qu’elle a été un jour, l’immortalité d’une vieille femme qui reste malgré tout jeune. Tout se brouille dans cette forêt et l’arbre à nœud qui sont les fils conducteurs centraux du film. Le vent, la pluie, la rage, s’abat sur le spectateur qui ne sait plus où il est, où il va, ce qu’il devient. Les dernières trente minutes du film deviennent incompréhensibles, d’une écologie de pacotille, d’une déraison mystico-magique qui gâche l’enchantement du début. Dommage !

09/11/2016

Ecologie

"Pourquoi l’écologie ne réussit-elle pas à percer et à emporter les convictions ? Parce qu’elle s’obstine à rester dans le domaine factuel alors que son champ d’action est aussi celui de la beauté et qu’elle l’ignore. Elle est restée fermée à la résonance esthétique et spirituelle des choses, à l’exaltation de l’absolu et de l’infini. Préserver la nature est un impératif parce que nous avons aussi besoin d’une nature belle qui évacue les miasmes et les nuisances du monde humain."

Pierre Rabhi, La convergence des consciences, Paris, le Passeur, p.58

 

C’est vrai, l’écologie qui est, à l’origine, la science qui étudie les relations entre les êtres vivants (humains, animaux, végétaux) et le milieu organique ou inorganique dans lequel ils vivent, est devenue une véritable idéologie. Alors peut-être vaut-il mieux la définir comme l’étude des relations réciproques entre l'homme et son environnement moral, social, économique. Cette définition correspond mieux à l’idée de ce que maintenant la société appelle écologie parce qu’elle implique une vision morale, sociale, économique et surtout politique. Mais elle a totalement perdu le point de vue éthique et spirituel qui devrait constituer son fondement et les bases de sa morale. Si bien que l’écologie introduit le scepticisme de la part des citoyens et l’affrontement de la part des politiques. Elle produit ses propres anathèmes et parle une langue de bois qui exclut toute idée non écologique et toute expression qui ne va pas dans son sens. Ainsi, les écologistes estiment qu’ils doivent imposer au peuple ce qui fera leur bonheur, à l’égal du communisme. C’est à la société d’apprendre à l’homme ce qui est bon pour lui.

C’est pourquoi Claude Allègre, l’ancien ministre de l’éducation nationale, se permet de déclarer : « L'objectif de la secte verte, c'est pour l'homme la punition, la vie dure ; pour la société, c'est la contrainte, la règlementation. La méthode, c'est la peur. » (Claude Allègre, Ma vérité sur la planète, 2007).

Oui pour une écologie qui aide l’homme à admirer son milieu naturel, non pour une écologie idéologue « qui pensent que la seule chose qui cloche dans ce pays est qu'il n'y a pas assez de pistes cyclables » (Georges Carlin, humoriste, acteur et scénariste américain).

25/07/2014

Hasard ou osmose

Lecture d’un livre impressionnant non pour sa littérature à qui se contente de raconter, mais pour les idées exprimées : Message des hommes vrais au monde mutant, de Mario Morgan, J’ai Lu ou Editions Albin Michel, 1995. Nous en reparlerons, mais pas tout de suite. Il faut le digérer.

Ici, j’étais dans une réalité d’hémisphère droit, peuplée de personnes qui n’utilisaient aucun de mes si importants concepts éducatifs et n’obéissaient pas à mes obligations civilisées. C’étaient des maîtres du cerveau droit, qui utilise la créativité, l’imagination, la connaissance intuitive et les concepts spirituels. Ils ne jugeaient pas nécessaire de s’exprimer verbalement : ils communiquaient par la pensée, la prière, la méditation, donnez à leur méthode le nom que vous voulez. Comme j’avais dû leur paraître ignorante. (…) Je demandai mentalement de l’aide : « JE peux apprendre, je ferai ce qu’il faut. Aidez-moi à trouver de l’eau. Je ne sais pas quoi faire, quoi chercher, quelle direction prendre. » (…) Une autre pensée vint alors : « Sois eau. Sois eau toi-même. Quand tu seras eau, tu trouveras de l’eau. » Je m’ouvris à l’intuition et, fermant les yeux, je m’efforçai de devenir eau. (…) Je crois vraiment que cette première gorgée d’eau tiède me rapprocha plus de notre créateur que toutes les communions à l’église…

Alors, comme j’aime expérimenter, je tentai une expérience. Je suis dans le midi, près du massif de l’Estérel. Tous les matins, je pars dans la montagne, courir et méditer (concentré) ou rêver (débridé). Je pensais à ce livre que j’avais lu la veille et je me dis : « Cherchons quelque chose qui ne se trouve pas vraiment facilement, mais qui, bien sûr, existe. » Et je pensai au thym. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas si facile à trouver sur ces étendues pierreuses sur lesquelles poussent plutôt les chênes lièges, l’Euphorbe, l’Osmonde royale, Cytise, Daphné garou, Salsepareille.

Je pensais : « Fais-toi thym. Fais-toi thym. » Je m’accrochais à la pierre éclatée au soleil, je descendis des canyons profonds, j’escaladais des escarpements, montais vers le ciel et descendais vers dans les vallons. Rien. Devenant thym, j’avais besoin d’humidité. Oui, il faut chercher dans les lieux où passe l’eau lorsqu’il pleut. Encore faut-il les trouver ! Je cherchais, je cherchais et ne trouvais rien. Je pris le chemin du retour. Sur ce chemin pierreux, je vis une rigole, pas vraiment un début de cours d’eau au flanc de la montagne. Je m’arrêtai, instinctivement. Il doit y en avoir ! Je descendis dans l’anfractuosité et ne trouvai rien. Toujours ces herbes assez ressemblantes, mais qui n’ont ni son odeur acidulée et aigre, ni ces petits bouquets de feuilles sur un rameau maigrichon qu’il faut égrainer pour nourrir votre plat de senteur délicieuse. Allons, pourquoi perdre du temps à tout ceci ! Et mes yeux tombent sur une petite pousse de thym rachitique et sans noblesse, mais si odorante. Un balai comme ceux des nettoyeurs de rue à Paris. Trois brins d’écorce sans consistance, mais si voluptueux dans ses effluves qu’on lui pardonne et même que l’on loue sa misère. Je cherchai autour et j’en trouvai quelques autres brins, à l’ombre de plus grandes plantes, poussant modestement, si peu visibles.

Oui, c’est vrai, je m’étais fait thym et j’avais trouvé inconsciemment. Quelle osmose ! Qu’en conclure : rien, c’est parce que l’on veut en tirer un concept qu’on dénature la vérité. Vivons et réjouissons-nous !

Deux jours plus tard je repassais au même endroit. J'y trouvai profusion de thym. Quel comique cet auteur. Qu'a-t-il été raconter !

22/04/2014

La pêche

Nous avions quinze ans et nous pratiquions une pêche que l’Onema et la police de l’eau n’a jamais admise. Que faisions-nous de mal ? Sortir quelques poissons pour les manger le soir après les avoir vidés. Certes si tous font de même… Mais avez-vous déjà vu des bords de rivière noirs de monde à moitié immergés dans les marais. L’eau est froide et il faut de l’habileté pour prendre un poisson à la main.

Les premiers essais furent bien sûr infructueux. On n’avait ni l’onctuosité glissante des animaux aquatiques, ni l’intelligence du corps. On entrait dans l’eau comme un chien dans un poulailler et cela faisait fuir toute espèce animale, même les moustiques qui volaient en groupe autour de nos chairs fraiches. L’oncle, qui avait trente-cinq ans et était dans la force de l’âge avec l’expérience de l’homme de la campagne, nous conseillait : « Entrez sous les marais et toi tu te mets en amont et tu fais de la brouille ! ». Ce qu’il appelait un marais était tout simplement la naissance de quelques arbres dans la berge, un enchevêtrement de racines, de terre, de boue et d’herbes aquatiques. En été, à l’heure où la chaleur des rayons du soleil pénètre même sous la froidure du liquide, les poissons aiment se tenir le nez contre la berge, immobiles, se laissant réchauffer par la lumière intense de l’astre haut placé. Ils dorment à moitié, peut-être même complètement. Mais le bruit de deux ou trois enfants entrant dans l’eau sans précaution les réveille et les alerte. Alors l’oncle disait : « Remontez plus haut, sans bruit, en nageant, et glissez-vous sous les feuillages sans faire de bruit. » Quelques secondes plus tard, il nous susurrait : « Voilà, là, c’est bien. Allez-y ! » Et nous nous glissions avec circonspection sous les feuillages humides et boueux, cheminant difficilement vers la berge, avec précaution, enjambant les racines enchevêtrées. « Maintenant, fouillez entre les racines, vous devriez sentir le dos d’un poisson. Il faut y aller doucement, sinon il donnera un coup de queue et partira. Lentement, les yeux ouverts, mais fermés en imagination, tentant de voir mentalement ce que vous fouillez avec les mains, vous remontiez les deux avant-bras parallèles, le poignet souple, et touchiez les branches revêtues d’une mince couche de limon à tel point que l’on pouvait penser au dos d’un gardon. Et cette activité bizarre, fouiller sous les eaux des racines gluantes, vous donnait la chair de poule. L’oncle en rajoutait et disait innocemment : » Faites attention de ne pas attraper un rat, il y en a beaucoup dans ces marais et ils mordent ! » C’était peu encourageant et on hésitait entre sortir aussitôt de l’eau ou enfin pouvoir prendre un de ces poissons mythiques que nous l’avions vu sortir sans difficulté des marais. Ah ! Vous poussez un cri de surprise. Vous avez posé la main sur un poisson. Vous le savez parce qu’il a donné un coup de queue et s’est enfui. Premier contact, qui fait peur, mais qui encourage dans le même temps. Alors vous replongez les mains dans les branches, pensant en même temps aux rats qui y passent du bon temps. Nouveau contact. Vous vous prenez pour l’opérateur d’un sonar : contact léger, perdu, retour du contact, nouvelle perte. Enfin, il est localisé. Et vos doigts jouent un air de piano avec une douceur extrême, remontant le long du corps du poisson, comme si vous caressiez la joue d’une fille pour la première fois. Mais pendant ce temps, celui qui était en charge de faire de la brouille un peu plus en amont s’est arrêté de remuer la vase, l’eau s’est éclaircie et le poisson vous a vu. Il s’échappe aussitôt, vous laissant un goût d’inachevé dans la bouche. L’oncle le réprimande indirectement : « S’il n’y a pas de brouille, vous ne prendrez rien. C’est un impératif. Le poisson ne doit rien voir, et, bien sûr, vous non plus ! Pas de bruit non plus, le poisson y est sensible ! » L’esclave se remit au travail. Agiter les pieds dans boue du fond du lit pour la laisser remonter, puis dériver jusqu’aux fouilles menées par les autres. Ce n’est pas drôle, pense-t-il seul dans son coin. Et inlassablement les autres explorent les branches sous l’eau, atteignant parfois la rive, c’est-à-dire une sorte de purée molle dans laquelle les doigts s’enfoncent sans rencontrer de résistance.

Ah ! Une touche. Le radar fonctionne. Il cherche de ses phalangettes, avec douceur, la chair glissante du poisson. Il approche, les deux mains légèrement incurvées, et épouse sa forme arrondie. Puis il remonte délicatement vers la tête, cherchant les ouïes légèrement ouvertes pour y glisser ses deux index. Insensiblement, avec une lenteur calculée, faisant croire au poisson que c’est une branche qui lui chatouille le dos, il parvient à cette ouverture tant convoitée qui lui donnera l’accès à la prise. Là… Ca y est… Allez, serre tes deux mains sur son corps, les deux index tenant fermement la tête, empêchant le poisson de se débattre. Tu le tiens, sors-le de l’eau ! Et fier comma Artaban, il crie : « J’en tiens un ! » Tous s’arrêtent, sortent la tête des branches et regardent la prise, un chevesne d’une vingtaine de centimètres qui se débat en remuant la queue. Il paraissait pourtant plus grand et plus gros dans l’eau quand sa seule façon de voir était de le toucher. Il sortit du marais et les deux pieds bien ancrés dans le sable, jeta le poisson vers la berge avec vigueur. L’oncle se précipita dessus, le saisit, en fit grand cas, puis dit : « Bon, c’est pas le tout, mais il nous en faut un peu plus ! »

Quelle victoire, pensait l’enfant. Il se rengorgeait, songeant à cet exploit, s’emparer d’un poisson plus rapide à vous filer entre les doigts qu’une mouche à se laisser écraser d’une main agile. Il mangea seul le soir son chevesne, un poisson qui n’a pas grande qualité gastronomique.

18/03/2014

Arbres dénudés (3)

 1-P3120008.JPG

 

 

 

Tel un squelette de femme, il se pavane dans les champs, faisant admirer ses membres, étendant ses bras et ses jambes pour mettre en évidence son harmonie. Oui, il est beau de symétrie, de rondeur, d’aisance. Admirez cet épanouissement serein qui se laisse voir nu, sans complexe, trônant dans le désert, s’ouvrant de son ventre enchâssé pour dévoiler ses cheveux défaits.

 

  

 

 

Celui-ci est torturé. Il crie de désespoir et n’est pas entendu. Il se tord les bras et les mains pour marquer notre manque d’attention. Il se gonfle la poitrine pour dire son étonnement. Rien n’y fait. Reste tranquille, continue de couvrir la campagne de ton ombre, tu es beau de sacrifice inutile.

 

 

1-P3120015.JPG

 

 

 

 

Le fantôme, les doigts levés, crie au monde sa solitude parmi ses frères. Il a mis ses mitaines et clame haut et fort sa différence. Mais rien n’y fait, il est là, levé dans une classe alignée, mais ne peut se faire entendre. Crie toujours, on ne sait jamais…

 

 

 

 

 

Solitaire, le vieil ours se montre à tous. Il ne craint pas le ridicule. Qui d’autre que lui peut se vanter de détenir une telle couverture ? Il se dresse debout et fait impression, quelle force compacte et majestueuse. Venez voir mes biceps, admirez ces pectoraux poilus. Rien ne me fera bouger !

 

15/03/2014

Arbres dénudés (2)

 

De ce vieillard encore debout, que reste-t-il ? Quelques poils au menton, une béquille qui tient lieu de jambes, des bras noués et incontrôlables, un clin d’œil irraisonné au monde : « Voyez, je suis encore là ! Plus rien ne me retient, mais la vie coule en moi malgré mon âge et je ne renonce pas à quelques années supplémentaires ! »

  

Plus majestueux encore ce chêne invincible, fort comme un taureau. Il a souffert dans ses combats contre le vent, le soleil, l’eau, l’érosion, mais il est droit dans le ciel et semble régner sur le désert. C’est un quinquagénaire fort des Halles qui impose sa loi alentour. Ses membres tordus ne demandent qu’à vous prendre et vous enserrer dans ses mains immenses. Alors vous contemplerez du haut de sa majesté le paysage et pourrez dire : « Il n’est pas beau, manque d’harmonie, mais quelle force qui s’impose à tous. Il ne plie pas, mais ne cède pas non plus ! »

 

Celui-ci est enserré. Il a cédé à son environnement qui l’envahit. Mais il résiste. Ses pieds sont pris, mais ses bras s’agite encore librement et appelle au secours : « Je suis vivant, je n’en ai pas l’air, mais venez voir mon bois. Il peut encore vous chauffer et vous donner ce que vous recherchez. Alors, utilisez-moi. Ne suis-je pas beau, dans ce bleu du ciel voilé ! »

 

 

Quel contraste avec ce bébé joufflu qui s’épanouit au soleil. Jamais touché par la main de l’homme qui l’a planté là un jour, il  nargue les vieux par une jeunesse insolente et pleine de vie. Il en est des arbres comme des humains, la sève monte plus vite dans l’impatience de la jeunesse, mais le bras pacificateur de l’homme mûr s’étend également sur eux.

11/03/2014

Les arbre dénudés (1)

Un arbre en hiver, c’est comme un poulet sans plumes. Il est mort… Mais il leur reste leur orgueil, leur allure ou leur pauvreté naturelle : Pierre le Grand ou Saint François d’Assise !

Seuls, isolés dans les champs, ils se tiennent debout contre le vent et le froid, offrant au ciel leurs bras immenses et pleurant des gouttes de pluie en abondance.

En voici un, mutilé, manchot. Il lève son seul bras droit vers les cieux comme pour protester. Têtu, il se sait seul face à tous. Il ne se rase plus. Il attend… quoi ? Il ne sait. Il contemple son ombre et dit : « Je suis fier d’être là envers et contre tous. Admirez mon courage. Je veille sur l’herbe, sur les bois alentour, dressé dans le bleu de l’azur jusqu’à ne plus sentir mon bras ». Tel les stylistes, il dresse son membre et le laisse se dessécher. Il mourra ainsi, le doigt en l’air, couché dans la boue.

 Celui-ci n’est qu’un champignon, une sorte de bolet au corps charnu que l’on rencontre sous les feuilles, à l’automne. Mais lui se tient là, dans sa puissance ramassée, ayant perdu ses membres, poilu et désossé. Il veille lui aussi. Regardez sa force contenue, son extrême concentration, ton front buté et ses poils hirsutes. Rien ne saurait le faire bouger. « Je suis là, et j’y reste ! »

La vieille garde, embarrassée de parasites qui l’encombrent tels les balanes sur le corps des baleines. Immobilisé par ce réseau envahissant, il tente de crier au secours, mais sa voix se perd dans l’air sec et ne suffit plus pour résonner. Alors il se tient là, tranquille, extatique, pathétique même, ouvrant ses doigts au monde, avant de mourir étouffé.

22/01/2014

La liberté de l’eau (suite de La planche et le canoë)

Depuis ce temps des batailles d’eau (ainsi appelaient-ils parfois ces joutes singulières au fil des flots), Jérôme ne peut s’asseoir au bord d’une rivière ou d’un étang sans sentir dans sa mémoire interne non pas le souvenir de guerres mouillées, mais un pincement au cœur, une amplitude soudaine de l’esprit, comme un gaz hilarant envahissant son cerveau et donnant aux images aperçues une divine odeur de liberté. L’eau s’en va, coule, défile en toute indépendance.

Chaque goutte de ce liquide a le pouvoir de s’infiltrer où bon lui semble, entre deux planches, dans un trou de taupe, dans le terrier des rats d’eau, dans l’étendue des champs, sous les genoux des veaux, sous l’œil du héron qui en profite. Vous n’en êtes pas propriétaires, ni même l’Etat contrairement à ce que l’administration affiche. Elle passe et fout le camp vers la mer, arrêtée parfois par un étang aux eaux mortes. Mais très vite, elle reprend le dessus, déborde le passage ou se laisse couler dans un trou prévu à cet effet. Et l’ensemble de ces gouttes coulantes que l’on appelle ondes repart vers la mère des eaux ou paradis des courants pour former des vagues rondes, féminines et câlines, bruyantes de douceur, dans lesquelles on se laisse bercer un soir d’été lorsque le soleil atteint l’horizon.

23/05/2013

Jardin Albert Kahn : la forêt vosgienne (2ème partie, suite du 10 mai)

Poursuivons notre promenade dans le jardin d’Albert Kahn. Quelques pas et nous passons d’un jardin japonais à la forêt vosgienne. Certes entre les deux il y a un jardin à la Française bien ordonné, bien aligné entre les cordons imaginaires d’un architecte maniaque. Mais un pas de plus vers les arbres et nous sommes terrassés, immergés dans le massif des Vosges, ses sapins, ses rochers, ses étroits chemins encaissés.

Forêt vosgienne (5).JPG

 

Forêt vosgienne (6).JPG

 Pas besoin de fermer les yeux, d’écouter le chant des ruisseaux dévalant des hauteurs. Les yeux ouverts, le regard incrédule, vous errez dans ces paysages étonnants dans le bruit perceptible de la circulation parisienne. 

Forêt vosgienne (7).JPG

 La forêt vosgienne, créée sur une parcelle acquise en 1902, est directement liée à la vie d’Albert Kahn, originaire de la ville de Marmoutier dans le Bas-Rhin. Il a souhaité reconstituer, là, un décor montagneux, chargé de souvenirs d’enfance volés par la guerre de 1870. Les deux versants, lorrain et alsacien, du massif des Vosges y sont aujourd’hui représentés. 

Selon les témoignages, de gros blocs de granit et des arbres déjà de grande taille ont été transportés des Vosges par wagons spéciaux et ont obligé à démonter momentanément les fils électriques du quartier durant leur installation.

(Source : http://albert-kahn.hauts-de-seine.net/les-jardins/les-differents-jardins/foret-vosgienne/)

Forêt vosgienne (2).JPG

 Un dépaysement certain à la porte de Paris. Qui eut cru être ainsi plongé au cœur de la porte de la France alors qu'il se trouve au milieu.

08/04/2013

Jardin des serres d’Auteuil : voyage équatorial

P1010049.JPG

Ce jardin date de Louis XIV qui le fit construire en 1761. Organisées autour d’un parterre à la Française, cinq serres donnent sur cet espace dégagé.

 

Malheureusement, le boulevard périphérique l’ampute d’un tiers en 1968. Le projet d’agrandissement des stades de Roland-Garros le remet en cause P1010129.JPGà nouveau.

Que deviendront les collections de plantes rares (plus de 6000 végétaux organisés en collections thématiques) ? Et démolira-on les deux pavillons aux portes curieusement chinoises pour faire place au sport lucratif ?

 

Hier, promenade dans les jardins et visite des serres, chaudes, encombrées, parfois fermées, toujours impeccablement tenues. Au dehors l’air est frais. Vous entrez dans une serre et vous vous sentez serré (logique, n'est-ce pas?),P1010005.JPG voire oppressé, par la moiteur étouffante de plantes qui vous narguent : « Entre si tu le souhaites dans notre antre, mais tu restes un étranger qui n’a droit à aucun mouvement intempestif ! » Elles foisonnent ces plantes. Elles semblent s'être développées au-delà des limites possibles, envahissant leurs supports, se mélangeant les unes aux autres, exhumant des senteurs sourdes et occultes qui font monter au cerveau le souvenir d’une vie végétative et tenace, celle des premiers hommes emprisonnés dans les forêts primaires.

 

P1010018.JPGLa grande serre, majestueuse, dresse ses arceaux de fer et de verre sur les carpes du Japon qui baignent dans l’eau trouble d’un bassin : rencontre en un point des trois dimensions où la vie s’écoule au rythme des battements de queue. Une vraie forêt vierge, mangrove miniature aux racines entrecroisées. Vous êtes happé par la mP1010036.JPGarée végétale qui envahit votre espace vital. Vous ne respirez plus. Vous devenez plante !

Sous la grande verrière, le palmier déploie ses membres en arabesque. Celle-ci semble grandir avec l’arbre.

 

Un jardin zen, dans une autre chapelle (c’est ainsi que sont P1010056.JPGbaptisés certaines serres. Pourquoi ?), amoureusement ratissé, vierge de prolifération, insolite dans cet envahissement de feuilles, troncs, racines et senteurs. On y respire avec aisance, on s’y promène avec charme, on admire cette luxuriance organisée qui laisse place au vide créé pour mieux l’admirer. Le minéral côtoie le végétal. C’est un plus appréciable !

P1010095.JPG

La chapelle des orchidées : choyées, elles vous accueillent tendrement, sous leur meilleur jour, dans la lueur diffuse des brumes du soleil levant. Oui, vous êtes bien sur une autre planète, sauvage et inquiétante.

 

 P1010025.JPG

 

En un instant, vous suffoquez. Trop, c’est trop ! Quel envahissement. Vous mangez la verdure, elle pénètre dans vos poumons, elle vous entoure de ses bras puissants, elle entre dans votre système olfactif, elle obstrue votre système auditif, elle trouble votre vision de gouttelettes qui coulent le long des vitres. C’est assez, sortons !

 

Vous vous retrouvez dehors, décalé, perdu, refroidi, respirant à grandes ventilations un air pur malgré les voitures qui passent à proximité du parc. Quelle drôle d'échappée sous d’autres horizons !

P1010132.JPG

21/12/2012

Jusqu'où vont-ils !

politique,écologie,eau,continuité écologique

(Horizon Mayenne, le journal du Conseil général de décembre 2012)

 

Que cherchent à nous faire croire les politiques ? Ils sont prêts à tout récupérer et à transformer en choix politique les conséquences de leurs erreurs.

Si vous lisez cet article qu’un journaliste ignorant du passé récent a écrit, vous avez l’impression que le recul des haies date de 1995. Et on nous explique quelles en sont les raisons : diminution de l’élevage, développement des surfaces cultivées (on a simplement remplacé les prés par des terres agricoles), coût d’entretien, etc. Ce que l’auteur de l’article oublie de dire, car on s’est bien gardé de le lui dire, c’est que la diminution des haies date d’abord et avant tout de la politique de remembrement que l’Etat a imposé, contre le gré de nombreux propriétaires, à partir des années 1960. C’était l’époque de l’idéologie de la rationalisation et de l’industrialisation de l’agriculture. Plus une haie, des champs à perte de vue, sans arbre, la Beauce pour toute la France, sans distinction de lieux géographiques, géologiques, géoculturels !

Et, tenez-vous bien, nos politiques refont la même erreur, sans comprendre la leçon durement apprise : il s’agit maintenant de détruire tous les barrages et ouvrages sur l’ensemble des cours d’eau non domaniaux. Propriétaires et usagers des cours d’eau ont beau tenter de s’y opposer, le rouleau compresseur de l’administration passe de la même manière qu’il est passé il y a cinquante ans avec le remembrement. Tout cela au nom d’une idéologie écologique inventée par les gens des villes qui n’ont pas d’expérience des campagnes. Et le coût est bien sûr salé, et même très salé ; mais il reste caché. Très probablement plusieurs milliards d'euros, vu le coût de plusieurs millions d'euros pour un seul bassin. Mais peu leur importe, ils vous disent qu’ils sauvent nos campagnes d’une eau de mauvaise qualité. Ils n’ont pas étudié suffisamment les conséquences de leur politique délirante. Peu importe, l’idéologie est là et exige, envers et contre tous.

Alors que nos politiques fassent preuve d’un peu d’humilité plutôt que de se vanter en permanence des millions qu’ils font dépenser aux finances publiques.

29/09/2012

Vox Balaenae, de George Crumb

 

http://www.youtube.com/watch?v=e6IWoHguF4o&feature=relmfu

http://www.youtube.com/watch?v=TvNfjyWHXLA&feature=relmfu

http://www.youtube.com/watch?v=HmBldH5lD8I&feature=relmfu

ou cette interprétation, plus visible, ce qui aide à écouter :

http://www.youtube.com/watch?v=qj29FFqg-Iw&feature=related

 

Nous avons déjà entendu la musique de George Crumb (voir le 21 juin 2012 : Dream Images).

Mais qui aurait imaginé entendre les baleines sur une scène de concert ! Et pourtant, dès les premiers instants, nous sommes saisis : leur chant comme si vous vous trouviez au fond de la mer !

Est-ce beau ? On peut se poser la question. C’est certes une belle performance qui fait courir sur votre peau la chair de poule du plongeur baignant dans ces sons insolites. Mais est-il vraiment nécessaire de parler de beauté ?

On se laisse progressivement envahir à la fois par la masse d’eau, sa transparence et le jeu des baleines, qui trouble avec bonheur cette atmosphère sans repère. On flotte, on est porté par l’onde, on descend au fond de nous-mêmes, c’est une méditation insolite. Va-t-on franchir la frontière entre l’air et l’eau ?

 

« Le chant de la baleine à bosse se compose d'une structure globale déterminée et prévisible, elle-même composée d'une série d'unités sonores. Un chant typique comporte de 5 à 7 thèmes différents, qui sont habituellement repris selon un ordre séquentiel. Sa durée moyenne est de 8 à 15 minutes, mais peut atteindre 30 minutes. Répétés encore et encore, chaque session de chant peut se prolonger plusieurs heures.

Les sons utilisés vont des couinements suraigus jusqu'aux grondements infrasoniques et aux cliquètements variés. Une caractéristique frappante de ce chant est qu'il ne cesse d'évoluer au cours du temps. Chaque année, des sons différents et des arrangements orignaux suscitent la création de nouvelles phrases et de nouveaux thèmes. Ces changements sont peu à peu incorporés dans le chant, tandis que d'autres éléments plus anciens disparaissent complètement. De telles modifications surviennent de façon collective  au sein de toute la population. Au terme de quelques années, le chant initial devient totalement différent de la version originale. »

(From : http://www.dauphinlibre.be/chant-des-baleines.htm)

 

01/12/2011

Pêche d'étang

 

A l’heure où la nuit mêle encore à l’air plus libre le jeu d’ombres chinoises à la pâle renaissance d’un ciel bleuté, nous avions regardé, avec l’émerveillement des enfants qui s’essayent à démêler le nom des couleurs bien qu’ils en perçoivent chaque nuance, apparaître d’abord un léger embrasement entre les branches noires et frêles des arbres, comme une rougeur imperceptible la veille que l’on découvre au matin sur l’épiderme, puis de longues trainées de sang et d’or mêlés, formées par chacune des particules de lumière du soleil que nous devinions derrière l’horizon et réfléchies par la densité opaque des bourrelets nuageux du ciel. Chacun de nous sentait la frêle et délicate joie que donne l’air léger et pur, sonore de chaque évènement qu’on ne perçoit pas à la lumière du jour, et le réveil des formes du monde que nous retrouvons intactes, mais encore cristallisées dans notre perception du mystère de leur vie nocturne.

Dans la première clarté du jour, plus fidèle et plus véridique que celle des autres heures, l’étang, asséché de ses eaux lourdes et sombres, voilait avec pudeur sa nudité désolante dans un scintillement poudreux. Mais sa tache lumineuse et fade contrastait trop avec l’élégance ocréeécriture, écologie, pêche, des roseaux chevelus et la parure pacifique et verdoyante de la forêt qui, pour rehausser sa noblesse, s’était empreinte d’une ceinture chaude aux couleurs de sa vieillesse saisonnière. Les hommes, chaussés de longues colonnes sombres et mobiles, alourdis et empruntés par la boue dans laquelle ils imprimaient les traces de leur pas, avaient tiré le filet qui trainait derrière lui une onde pure et légère. Ils avaient enfermé la substance de l’étang, son véritable corps, dans ses mailles laissant échapper cette partie impalpable de chaque chose qui ne les intéressait pas. Une bataille furieuse, un déchaînement des forces inconnues de l’étang avaient suivi cette capture dans un bouillonnement de dos, d’écume et d’éclairs scintillants, et le filet s’était gonflé sur la pression de cette âme qui comprenait dans le resserrement de chacune de ses particules qu’on allait l’extraire de son univers.

Elle attendait maintenant, impassible et muette, agitée parfois de soubresauts involontaires dans cette petite enclave, dite la poêle, qu’on lui laissait encore avant de la disperser. Je retrouvais ensuite chacun de ses membres, convulsionnés, en différents baquets éparpillés au bord de l’étang. Les carpilles, comme alanguies d’une maternité précoce, se complaisaient dans écriture, écologie, pêche, la chaleur de leur ventre en une douce somnolence, mais certaines, comme un dormeur qui se retourne pour chercher une autre position, essayaient malhabilement de se mouvoir dans l’air comme elles le faisaient dans l’eau, en ondulant de plus en plus rageusement. L’une d’elle, coincée par les autres, se tenait la tête en l’air, le corps immergé dans le grouillement des autres, dans la position figée qu’elle avait quand, libre, elle sautait hors de l’eau, et philosophant sur sa triste aventure, elle disait boa, puis bao, comme les enfants qui répètent inlassablement le même mot de deux syllabes, s’émerveillant de la maîtrise de leurs muscles qui leur permettaient de prononcer deux sons à la fois. Nobles et hautains, les brochets attendaient avec mépris que leur sort fut décidé dans le même détachement qu’un prisonnier à l’âme haute vis-à-vis de ses bourreaux. Leurs corps portaient encore les traces de la lutte qu’ils avaient menée et des outrages subis, de longs filaments d’écume baveuse qui, quand le corps de l’un d’eux s’écartait d’un autre, créait une bulle irisée et aplatie qui les gardaient solidaires dans leur malheur. Mais le plus beau baquet était celui des tanchons qui, par la couleur jaune et rosée de leur ventre qui passait par mille nuances au bleu nuit, puis au noir de leur dos, me rappelaient l’émotion éprouvée au lever du soleil, comme si j’étais parvenu à enfermer vivante l’aurore dans ce baquet de zinc.

 

20/09/2011

Nos cours d'eau

 

Exceptionnellement je vais revenir à un problème politique. Il est à la fois réellement politique, en ce sens qu'il implique la vie quotidienne présente et à venir des citoyens sur un sujet majeur, celui de l’eau et de la conservation de sa qualité et de sa quantité. Mais il est en même temps très politicien, en raison des intérêts mis en jeu par les parties en présence.

 

De quoi s’agit-il ? Le Parlement européen et du Conseil (Directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000) a établi un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, considérant que l'eau n'est pas un bien marchand comme les autres, mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel. En fait il s’agit principalement de réduire les pollutions domestiques, industrielles, agricoles et autres des rivières.

 

L’administration, du ministère de l’écologie aux préfets et diverses agences, commissions et autres organisations, a donc mis en œuvre une multitude de textes le plus souvent contradictoires pour atteindre la « continuité écologique », seul moyen d’après elle pour aboutir aux objectifs européens. Puis, au-delà, le cheval de bataille de la continuité écologique est devenu la destruction des seuils, barrages, vannes, de tout obstacle permettant une certaine gestion de la rivière. Une rivière doit couler de sa source à son embouchure, et in fine jusqu’à la mer, en parfaite liberté, sans obstacle, L’objectif étant de permettre la libre circulation des poissons et des sédiments.

 

Ainsi l’humanité qui, depuis plusieurs milliers d’années, utilise l’eau et la conserve grâce aux ouvrages de main d’hommes, avait tort (lire l’introduction de la pièce jointe). Et l’administration, sous des dehors pattes de velours (fausses réunions dite de concertation), lamine les riverains et usagers des cours d’eau et veut leur imposer des mesures inappropriées à la bonne gestion de l’eau. Derrière cette politique se cache de nombreux intérêts. Pour n’en citer que quelques uns : ceux des pollueurs chimiques et domestiques, ceux des gestionnaires utilisateurs des subventions européennes (qu’il faut à tout prix utiliser quel qu’en soit l’usage), ceux des politiques qui peuvent ainsi mettre ma main sur les rivières non domaniales.

 

 

Prenons conscience de cette dérive politique et réagissons !

 

Ouvrez le document ci-dessous :

 

Yatilunediscontinuiteecologique.pdf  

 

Si vous êtes convaincu, mobilisez vos élus locaux pour qu'ils ne donnent pas leur accord. Leur consultation a lieu d'ici la fin du mois pour certaines régions.

 

 

15/06/2011

Vide-grenier

 

Hétéroclite, quel drôle d’adjectif.

 

On nous dit : Qui s’écarte des règles habituelles,

Encore faut-il connaître ces règles !

Il semble plutôt que l’on peut en parler

Lorsqu’il n’y a pas de règles.

 

D’autres vous diront : De bric et de broc.

Avez-vous déjà été à un vide-grenier ?

On pourrait plutôt parler de bric à brac.

 

 

 

société,poésie,culture,écologie

 

 

Parcourant les rues au fil des objets,

Vous découvrez l’envers des apparences.

Sont étalés ce qui alluma un jour,

Dans le cœur ou l’esprit ou l’émotion

D’anonymes, l’étincelle nécessaire à l’achat.

 

Bien vite rejetés, ces articles nous parviennent,

Parfois dans leur emballage cartonné,

Comme un trésor enfoui et ignoré

Pour tenter de séduire un autre anonyme.

 

Ils arrivent également empoussiérés,

Comme un vieux chewing gum

Que certains jettent sur la chaussée

Et qui se collent sous la chaussure

Pour vous dire ne m’oublie pas.

Pourtant ils ne paient pas de mine.

 

Au-delà des objets, les gens :

Ceux qui vendent distraits, un demi-euro,

Ceux qui marchandent de trente à quinze,

Ceux qui n’ont qu’un prix et n’en démordent pas,

Ceux qui acceptent de donner ce qu’ils ont rejeté.

Voilà pour les vendeurs affichés.

 

Mais les acheteurs ont aussi leurs caractéristiques :

Ceux qui passent sans parler et sans voir,

Tournant en rond dans les allées d’objets,

Qui ne veulent rien sauf un moment de distraction,

Ceux qui parlent beaucoup et n’achètent rien,

Ceux qui ne parlent que pour donner un chiffre,

Ceux qui ont besoin de l’histoire de l’objet

Pour raconter pourquoi ils l’ont acheté,

Ceux qui vérifient, éprouvent la solidité,

Testent longuement tout ce qui peut casser,

Avant de laisser l’objet, exsangue et épuisé.

 

Il y a aussi d’autres gens, distraits,

Qui passent parce qu’ils habitent là,

Ou encore vont chez le dentiste ou l’orthopédiste.

On rencontre parfois celui qui sort sa voiture

Parce qu’il a oublié ce jour de festivité,

Contraignant le vendeur malheureux

A déménager son bric à brac

Qu’il ne considère pas comme hétéroclite

Parce qu’il pense être seul sur le marché

Des objets esseulés et inattendus.

 

Il y a ceux qui profitent de la fête

Pour vendre toutes sortes de biens,

A manger, à boire, ou même à fumer,

Pas celle des saucisses qui grillent

Stoïques sur une plaque de tôle,

Pour la magie des enfants du quartier

Et le plaisir des affamés prudents.

 

Pêle-mêle sont les articles disparates :

Pelles sans manche, manche sans bras,

Bras de fer, fer de lance, balance.

On trouve de tout dans le bric à brac

De personnes et d’objets hétéroclites

Qui vont de bric et de broc jusqu’à la fin du jour.