Robert des noms propres, roman d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 2002 (30/11/2011)
Une petite fille, encore bébé, est recueillie par sa tante parce que sa véritable mère s’est suicidée. Elle ne sait pas qu’elle ne constitue qu’une pièce rapportée dans la famille et vit perplexe, regardant gravement, profondément les êtres qui l’entourent. Parce que ce regard gênait la maîtresse, elle est renvoyée de la maternelle. Ses parents adoptifs sont fous d’elle, car elle est tellement différente de ses deux présumés sœurs. Son ambition : être danseuse. Elle est inscrite au cours de danse et devient la coqueluche de tous les admirateurs du pas de deux. Mais à cinq ans, sa tante dut se résoudre à la mettre en classe. Ce fut le drame.
– Tu en mets du temps à réagir ! dit la maîtresse. Tous les enfants s’étaient retournés pour regarder celle qui avait été prise en faute. C’était une sensation atroce. La petite danseuse se demanda quel était son crime. – C’est moi qu’il faut regarder, et pas la fenêtre ! conclut la femme. Comme il n’y avait rien à répondre, l’enfant se tut. – On dit : « Oui, Madame » ! – Oui, Madame. – Comment t’appelles-tu ? demanda l’institutrice, l’air de penser : « Je t’ai à l’œil, toi ! » – Plectrude. –Pardon ? –Plectrude, articula-t-elle d’une voix claire. (…)– Eh bien, si tu cherches à faire ton intéressante, c’est réussi.
Elle ne s’intéressait pas à l’apprentissage de la lecture, et sa maîtresse désespérait. Or, un jour, elle lut comme une première de classe de dix ans. La maîtresse étonnée téléphona à ses parents. – Nous n’avons rien fait du tout. Nous lui avons seulement montré un livre assez beau pour lui donner envie de lire. C’est ce qui lui manquait. Nulle en mathématiques, Plectrude devint la bête noire de sa maîtresse. Ainsi, elle avait deux vies bien distinctes. Il y avait la vie de l’école, où elle était seule contre tous, et la vie du cours de ballet, où elle était la vedette. Fort heureusement, Roselyne, une danseuse du cours de ballet, arriva à l’école et devint l’amie de Plectrude.
Après quelques mois, elles inventent des jeux dangereux : se laisser ensevelir par la neige sans bouger, se laisser foncer dessus par un camion. Plectrude était à ce point danseuse qu’elle vivait les moindres scènes de sa vie comme des ballets. Les chorégraphies autorisaient que le sens du tragique se manifestât à tout bout de champ : ce qui, dans le quotidien, était grotesque, ne l’était pas à l’opéra et l’était encore moins en danse. « Je me suis donné à la neige dans le jardin, je me suis couchée sous elle et elle a élevé une cathédrale autour de moi, je l’ai vu construire lentement les murs, puis les voûtes, j’étais le gisant avec la cathédrale pour moi seul, ensuite les portes se sont refermées et la mort est venue me chercher, elle était d’abord blanche et douce, puis noire et violente, elle allait s’emparer de moi quand mon ange gardien est venu me sauver, à la dernière seconde. »
A douze ans, Plectrude cultivait son enfance. Elle se laissait aller au versant favori de son être ; consciente que, l’année suivante, elle ne le pourrait plus. Arriva un nouveau dans la classe. Mathieu Saladin avait une cicatrice partant de la lèvre. Elle en conclut qu’il s’était battu au sabre. La nuit qui suivit cette première rencontre, Plectrude se tint ce discours : « Il est pour moi. Il est à moi. Peu importe que ce soit dans un mois ou dans vingt ans. Je me le jure. »
Rien n’allait plus à l’école, mais Plectrude fut admise à l’école des rats. Le premier jour fut digne d’une boucherie : « Les minces, c’est bien, continuez comme ça. Les normales, ça va, mais je vous ai à l’œil. Les grosses vaches, soit vous maigrissez, soit vous partez : il n’y a pas de place ici pour les truies. » (…) « Huit heures à la barre par jour et un régime de famine, cela ne paraîtra dur qu’à celles qui n’ont pas assez envie de danser. Alors, que celles qui veulent encore partir partent ! »
Et Plectrude dansa, à avoir mal partout, sans manger. En trois mois, elle perdit cinq kilos. Elle se décalcifiât. Ce qui devait arriver arriva. Un matin de novembre, comme Plectrude venait de se lever en mordant son chiffon pour ne pas hurler de douleur, elle s’effondra : elle entendit un craquement dans sa cuisse. Hospitalisée, les médecins lui disent qu’elle ne pourra plus jamais danser. Revenue à la maison, elle finit progressivement par prendre plaisir à manger, mais sa mère dépérit et lui en veut de grossir. Elle lui parle sèchement à tel point que Plectrude lui demande : « Pourquoi me parles-tu comme ça ? Ne suis-je plus ta fille ? – Tu n’as jamais été ma fille. Et sa mère lui raconte tout. Tout s’effondrait. Elle n’avait plus de destin, elle n’avait plus de parents, elle n’avait plus rien.
Alors Plectrude se lance dans le théâtre et veut un enfant, comme sa mère, au même âge, dix-neuf ans. Après son accouchement, son œuvre étant accompli, elle décide de se suicider en sautant du pont Alexandre III. Au moment où elle allait sauter, elle entend : « Plectrude ! ». C’était Mathieu. Ils s’aiment. Ils se marient. Mais la fin du livre laisse sur sa faim, elle est non seulement insolite, mais difficilement compréhensible. Et à l’heure qu’il est, Plectrude et Mathieu n’ont toujours pas trouvé la solution.
Une fois encore, Amélie Nothomb nous interpelle. Une histoire menée tambour battant, plus de vingt ans de vie en quelques deux cent pages, des dialogues saisissants et opiniâtres, des rebondissements. Cependant la fin surprend, est insaisissable et laisse une impression d’incompréhension qui s’étend à l’ensemble du livre. Quel dommage !
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