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13/04/2014

Le parc Monceau

Ce parc immense aux longs bras déliés
De feuillages enchevêtrés et vert pâle
Ouvre ses allées aux passants à pas menus

Il est midi bien que le soleil ne soit pas au zénith
Une légère brume encombre encore ses pelouses
Les mères passent, poussant leur landau
Où repose, les yeux fermés, l’enfant chéri

Un homme, assis, revêtu d’un manteau noir
Mange à pleine fourchette dans un pot cartonné
Jusqu’à quelle errance des ventres peut-on aller !

Les enfants des écoles ne sont pas là. Que des adultes
Assis ou couchés dans l’herbe grasse des parterres
Parlant, dormant, grignotant, seul ou en groupe

Et douze petits coups résonnent, imperceptiblement
Perdus dans le brouhaha incessant de la circulation

L’heure avance. Voici les enfants enfiévrés
Courant sous les frondaisons en gestes étirés
La vie dans l’instant, pas une seconde en place

Tiens, un kangourou ! L’homme court en hauteur
Il n’avance pratiquement pas. Il monte
Il descend, au rythme sautillant de ses pas. Où va-t-il ainsi ?

Le ciel bleu gris, ouaté, s’abaisse jusqu’au sol
De maigres rayons émergent, blancs comme le feu

Ferme les yeux, que la machine à laver les idées
Ronronne autour de toi. Tu n’es plus là
Englouti dans ce trou béant de verdure
Au milieu des immeubles, sentinelles impitoyables
Ton fantôme erre dans les feuillages, la poussière et le soleil

© Loup Francart

12/04/2014

Bertrand Flachot, photographe et dessinateur

Bertrand Flachot ne se contente pas de prendre de bonnes photos, il les "enrêve" de barbe à papa et les transforme en paysage magnifique et évocateur qui prolonge la réalité au-delà de l’espace stricte de la photo elle-même.

 

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Oui, ce sont bien des photos, soignées et enjolivées de traits brouillons et sans forme qui leur donnent un air d’irréel plein de charme.

  

 

Il élabore ainsi des séries : arborescences, sédiments, diffractions, involutions, qu’il compose avec patience, acharnement, jusque dans la galerie en débordant sur les murs. Il a dû, enfant, être le champion du gribouillage, et cela lui a réussi, car c’est un artiste et non un communicateur qui cherche à en mettre plein la vue.

 

 

  

Voici ces cahiers de dessin : des cartes du temps et de l’espace, trace de l’homme dans l’éternité. Oui, c’est beau de simplicité et d’innocence.

 

 

 

  

La montagne vient à lui, s’insère dans la maison, se fond entre les murs, imprégnant l’atmosphère de paysages obsédants et de neurones qui pénètrent la conscience. Est-ce une photo, un dessin, un rêve, une réalité flou. On ne sait et peu importe. Ce qui compte, c’est l’impression que le sujet procure à celui qui le regarde.

Même l’humain est sujet d’étonnement frisotté d’un romantisme délicat :

Allez voir cet artiste étonnant à la Galerie Felli, 127 rue Vieille du Temple 75003 Paris. Vous ne perdrez pas votre temps et en découvrirez un autre !

11/04/2014

Musée de la sculpture en plein air, le long de la Seine (1)

 En passant à hauteur du Jardin des Plantes, le long de la Seine, je vis de nombreuses sculptures entre rue et eau, dressant fièrement leurs pleins sur un ciel mitigé. « Jardin Tino Rossi » nous dit une pancarte à l’entrée.

 Conçu par l'architecte Daniel Badani, il a été inauguré en 1980 à l'initiative de la Ville de Paris. Une trentaine de sculptures contemporaines sont ainsi librement offertes à l'admiration du public, nuit et jour (il vaut mieux y aller le jour).

Mais ce jardin a d’autres destinations. J’y ai également vu et entendu des musiciens, guitaristes, accordéonistes et même des gens qui dansaient sur les bords du fleuve dans cette demi-coupe offerte aux vagues des bateaux mouches.

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Un champignon découpé, au cœur mis à nu, qui recèle sa nostalgie au pied de la faculté. C’est une sculpture d’Aglae Liberaki en pierre de lavaux à grain.

 

 

 

 

 

 

Autre curiosité, cet éléphant à deux trompes, inquiet, en tentative de séduction. Est-ce beau? Je ne sais. On dirait un vieil arrosoir délaissé au bord d’une marche. « Hydrorrhage » (peut-être, mais pourquoi un h de plus), de Jean-Robert Ipousteguy 1975.

 

 

 

 

Et là des grottes à ciel ouvert, cavernes fabuleuses pour fourmis en mal de lumière. Peut-être le pays des Dogons ? Réalisé par Etienne Martin 1958.

 

 

 

 

« La grande fenêtre » d’Augustin Cardenas, 1974. Cherche-t-elle à enjamber la Seine ou contemple-t-elle, disloquée, les navires qui passent, lents et poussifs, sur l’eau morte.

 

10/04/2014

La marche des hommes

De même que chaque homme est unique, chacun marche à sa manière, quasiment unique. Je ne l’avais jusqu’à présent pas remarqué vraiment.

société, homme, attitude, comportement, ville  

Hier matin, rentrant chez moi tranquillement, arrêté à un feu rouge, je regardais passer les badauds. Je vis un homme se déplacer sur le trottoir d’en face et me dis : « Tiens, quelle curieuse manière de marcher ! » Il avançait courbé vers l’avant comme s’il faisait face à un vent de force 5. Il n’avançait pas vite, mais il avait besoin de porte son poids vers l’avant pour pouvoir commencer à faire fonctionner ses jambes. Lorsqu’il s’arrêtait, il reportait son poids à la verticale comme tout un chacun. On savait le moment où il repartait. Il prenait l’attitude du coureur de 100m, avançait sa tête exagérément, laquelle entraînait le haut du corps jusqu’au moment où une jambe avançait automatiquement pour l’empêcher de tomber. Lorsqu’elle était en route, sa démarche était normale, sans à-coups, déroulant sa propagation avec raison. Mais comme était étrange cette attitude de pêcheur de crevettes pendant les grandes marées sous un vent de tempête.

Je reportais alors mes regards sur d’autres hommes cheminant sur le trottoir. Je souris, éberlué. Pas un ne marchait de la même manière. Tiens, regarde ce jeune homme. A chaque pas, il laisse tomber l’épaule opposé de quelques centimètres, puis la relève avant de laisser tomber l’autre en avançant la jambe opposée. C’est presqu’imperceptible, mais une fois qu’on l’a vu on ne peut s’empêcher de penser à un hochet à la surface de l’eau. Quelques mètres plus loin, je ne fus pas surpris de constater que l’inverse se produit également. Au lieu d’abaisser et de monter les épaules au rythme de sa marche, un autre badaud avance exagérément, et à tour de rôle, ses épaules vers l’avant, toujours au rythme de sa marche. Ah, mais bien sûr, c’est différent. Ce n’est plus l’épaule opposée qui fonctionne différemment. Cette fois, c’est l’épaule du côté du pied qui elle-même se porte avec vigueur vers l’avant comme pour aider la machine à fonctionner. Ce n’est cependant pas la démarche du baroudeur qui lui joue du buste et fait peur aux petits enfants. Ce n’est pas non plus la démarche de l’homme efféminé qui raccourcit volontairement ses pas, ce qui entraîne une symétrie obligatoire des épaules et ce mouvement non naturel, pointu et verglacé des clavicules. Non, c’est un tic imperceptible au premier regard, mais que l’on ne peut s’empêcher de contempler dès qu’on l’a remarqué.

Je m’amusais ainsi en cherchant l’erreur. Certes, tous les hommes ne sont pas remarquables dans leur démarche. Une bonne partie d’entre eux ne prête pas à redire. On n’y prend pas garde. Ils glissent le long des murs sans retenir l’attention. Ce ne sont même pas des fantômes. Non, ce sont les hommes normaux. Mais ils sont tellement normaux qu’on ne les remarque pas. Vous me direz qu’il existe d’autre manière de se faire remarquer qu’une démarche insolite. Oui, c’est certain. Mais ce jour-là, à cette heure-ci, c’était cela qui m’intéressait : comment fonctionne la carcasse du bipède qui marche dans la rue ?

Il est assez rare de voir des hommes dont les pieds se portent vers l’intérieur. Le mâle est stable par nature, c’est-à-dire projette ses pieds vers l’avant avec un léger angle du talon aux doigts de pied d’une vingtaine de degrés. Moins généralement, mais fréquemment, il attaque fortement le sol avec sûreté et même détermination. Vous allez voir ce que vous allez voir, affiche-t-il. Homme volontaire, prêt à affronter la vie à pleines dents jusqu’à ce qu’il s’en casse une en montant un trottoir.

Ce modèle perd cependant du terrain. La mode est à la nonchalance. On affiche une attitude j’m’en foutiste en conformité avec l’habillement : cravate dans la poche s’il en a une, chemise qui sort du pantalon dans le dos, voire slip, noir bien sûr, qui couvre encore chaque centimètre de peau (cela sera-t-il ainsi dans quelques années ?), baskets aux lacets dénoués rentrés entre le haut du pied et le tissu (mais est-ce du tissu ?) de la chaussure. La démarche est molle, fatiguée d’une journée qui commence à peine et qui s’annonce, à coup sûr, longue et peu exaltante. Ces jeunes hommes se reposent assez vite assis le long du trottoir, le haut du corps appuyé sur les murs sales, discutant avidement ou plutôt s’envoyant des invectives à voix forte ou encore riant fortement sans raison. Ils se font remarquer et c’est la seule forme de communication qu’ils connaissent, à l’imitation du comportement savant de l’Internaute en mal de reconnaissance.

Je ne ferai pas l’injure aux lecteurs d’une analyse psychologique de ces démarches et de bien d’autres. Cette analyse confine vite à la moquerie alors que ce passage soudain de l’inattention à la surprise d’un regard pointu est du domaine de l’impression. Et celle-ci prête à sourire, par pure poésie. Vous contemplez en rêve les humains en marche, ils glissent sur les trottoirs avec leurs petits tics gentils et vous font monter des bouffées d’amour pour cette humanité si drôle.

Mais… au fait… Je n’ai pas parlé des femmes, ni même regardé comment elles marchent. Ce sera probablement pour une autre fois. Et il y aura aussi beaucoup à dire !

09/04/2014

Faut-il sacrifier aux rites ?

Faut-il sacrifier aux rites ?
L’encens s’écoule en volutes
Les chasubles s’ébrouent
La parole envoûte les sens…
Une confusion décourageante
S’empare des corps et des esprits

Ombre et lumière
Foi et raison
Sincérité et habitude...
Enferme-toi en toi-même
Délivre-toi de cette pesanteur
Balaie la poussière de tes pensées
Et danse sur la flamme
Rougeoyante et tenace
De l’expérience inconnue…
Les charbons ardents
De l’indécision t’enchaînent ?
Fais sauter le cadenas
Et gambade librement
Dans l’éclaircie qui vient…
Que le corps est léger
Lorsque l’œil se regarde
Et ne voit que l’espace
Qui monte tel un ballon
Entre les gouttes de souvenir…

Enfant j’aimais entendre
Les voix mâles des hommes
Au fond du chœur, en écho
Aux voix grêles des femmes
Et d’une assemblée bigarrée
Et le prêtre délivrait
Du haut de la chaire
La parole sacrée et bienfaisante:
« Paix sur la terre »

Mais y a-t-il des hommes de bonne volonté
Des hommes libres et consentants
Le cœur ouvert et l’âme vierge ?
Les gestes séculaires rassurent
Ils plongent dans le rituel
Et délivre la conscience
Des choix qui restent à faire
Et qui se renouvellent
Instant après instant

Une goutte d’encens
Sur la lame brûlante
Du couperet du temps…
La chute… percutante !

A terre les anges l’enlevèrent
Il monta droit aux cieux
Ses lunettes terrestres tombèrent
Mes amis, quel adieu !

Ici ne reste que le poids
Des souvenirs d’un être
En recherche de soi
Et d’un applaudimètre !

© Loup Francart

08/04/2014

Est-ce vrai ?

Cette photo (rephotographiée) se trouvait au 104 (Le CENTQUATRE-PARIS,  5 rue Curial 75019 Paris). Je ne me souviens pas quelles explications étaient données, mais elle me fit rêver. 

Pierre était un grand marcheur. Il adorait sortir en fin d’après-midi de son appartement, après s’être réconforté d’un sandwich et d’un verre de bière au retour du travail. C’était sa récompense d’une journée bien remplie. Peu lui importait qu’il pleuve, qu’il y ait du soleil ou même qu’il neige. Il partait et visitait la ville, jour après jour, jusqu’à en connaître les moindres détails. Il avait bien sûr exploré les nombreuses caves qui communiquaient entre elles par des tunnels et qui débouchaient sur d’immenses salles avec d’énormes piliers. Elles avaient été creusées quand il y avait eu, au XIXème siècle, un besoin important de pierres pour construire les immeubles. La pierre de gypse y était également exploitée, emplissant ces grottes artificielles d’une épaisse couche de poussière blanchâtre dans laquelle les pas s’enfonçaient. Il aimait marcher sans bruit dans ces couloirs sans fin, découvrant de nouvelles excavations, des blocs taillés et jamais extraits et même, au coin d’un tournant, de petites sculptures anodines faites par un carrier en mal de création. Il lui arrivait également d’explorer les toits de la ville. Il montait les escaliers d’un immeuble jusqu’à l’accès au toit par une lucarne qui s’ouvrait sur le ciel. De là, il marchait pendant des heures, montant ou descendant des échelles, sautant parfois une ruelle étroite pour poursuivre dans un autre quartier sans jamais remettre les pieds à terre. Il explorait aussi les jardins, petits ou grands. On y trouve toujours des coins inconnus, insoupçonnés du grand public que seuls les employés municipaux utilisent pour se reposer, boire un coup ou même faire une petite sieste après le repas.

Mais ce jour-là il marchait le long des trottoirs, dans les rues fraiches, mais pas trop, d’une soirée de mai. Rien ne semblait vouloir apporter une surprise dans cette flânerie sans but, dans le simple plaisir de sentir ses jambes aller et venir comme un métronome bien réglé. Le temps était nuageux, mais sans trop. Les personnes qu’il croisait parlaient entre elles ou se pressaient de rentrer dans leurs appartements. Aucun signe d’insolite ou de nouveauté n’apparaissait dans cette promenade tardive. Il lui restait deux heures avant que le soleil ne se couche et il se laissait aller en songeant à sa journée. Arrivé au bout de la rue qu’il suivait, dans une de ces carrefours assez rares en forme de T, il prit à gauche sans attention particulière. Le paysage changea subitement. Il se trouvait au bord d’un parc, voire même d’une campagne implantée dans la ville, dans une rue montant légèrement et dominée par une colline. Il y avait peu de passants, mais ceux vaquaient à leurs occupations sans souci. Tout était naturel. Il croisa un jeune garçon chaussé de patins à roulettes qui descendait en se laissant glisser. Au loin quelques personnes devisant suivaient le trottoir. Ils rentraient du travail. Une voiture descendait de la rue, à allure modérée, le conducteur un coude sur sa vitre ouverte, écoutant une musique pas trop bruyante, respirant l’air du soir. Rien ne semblait vraiment différent jusqu’à ce qu’il s’aperçut que les maisons n’étaient que des façades, droites, minces, raides, qui montaient dans le ciel et semblaient tenir debout par miracle. Derrière la porte d’entrée rien que la campagne, une grande prairie fauchée, verte, dans laquelle on avait envie de se coucher et de flemmarder. Quelle drôle de rue pensa-t-il sans encore comprendre l’illogisme de cette architecture urbaine. Il continuait à avancer de son pas entraîné, montant vers le jardin, heureux d’avoir découvert un nouveau havre de paix qu’il pourrait explorer plusieurs jours de suite. Certaines façades semblaient des logements, mais toutes les fenêtres étaient fermées et vides d’habitants. D’autres semnlaient plutôt des bâtiments techniques, voire même des sortes de petites usines. Aucun personnel ne se montrait, mais tout semblait normal, conforme à l’heure tardive, après la sortie des bureaux. Il fut cependant frappé par le silence qui régnait dans cette partie de la ville. Les sons étaient étouffés, la voiture passa près de lui avec un très léger ronronnement, pas de cris d’enfants, pas de ce brouhaha urbain qui est le lot de toute les cités. Un calme ouaté, comme le ralenti d’une musique que l’on devine, mais que l’on n’entend pas encore. Il continuait à monter vers la colline, pas à pas, avec cette démarche habituée au grand trajet, comme un automate bien réglé, sûr de lui, à l’aise dans ce paysage nouveau qui ne l’inquiétait pas encore.  Passant devant une façade, il poussa la porte d’entrée. Elle s’ouvrit avec d’un maigre grincement. Elle donnait sur une petite entrée, avec un escalier et même un ascenseur. Montant quelques marches, puis un étage, il regarda par la fenêtre. Du vert, de l’herbe, de la terre, un chat marchant sur la pelouse. Il monta encore un étage et soudainement fut frappé par l’absence de portes sur chaque palier. Un arrêt dans la montée de l’escalier, une fenêtre ouverte sur cette campagne urbaine, rien d’autre. Il redescendit dans une demi-obscurité et regagna la porte d’entrée. Rien ne semblait anormal. Il la tira et se trouva à nouveau dans la même rue comme s’il sortait de chez un ami après avoir devisé et bu un verre. Mais il n’y avait rien qu’un vide caché, inaccessible et oppressant.

Il se sentit brusquement fatigué. Il ne parvenait plus à respirer correctement et avançait avec peine. La montée devenait plus raide, plus laborieuse. Les maisons semblaient se pencher vers la rue, laissant voir leur arrière nu, vide, ouvert sur les parterres. Il eut un léger malaise. Il ne comprenait plus cette irruption dans un quartier inconnu, dans lequel les maisons n’étaient que des façades, les piétons des spectres. Même l’herbe lui semblait trop vertes, les trottoirs trop macadamisés, les lampadaires allumées trop étincelants, les arbres de la colline trop jaunies alors que l’on était au printemps. Etait-il tombé dans une faille du temps ? Il se souvint avoir lu une telle histoire, un déni de réalité faisant irruption dans le cours habituel des événements sans crier gare. Il dut s’assoir par terre, sur la marche d’une porte, le visage transpirant. Il ouvrit son blouson, respira fortement, puis ferma les yeux et s’endormit. La ville autour de lui continuait à vivre, au ralenti certes, mais rien ne semblait extravagant, ni même objet de curiosité pour les quelques promeneurs de cette soirée de mai.

06/04/2014

La montée en puissance des superhéros

Metronews du mercredi 26 mars consacre sa page culturelle aux superhéros. Ils envahissent l’imaginaire des enfants, adolescents et même jeunes hommes, voire hommes mûrs. Qu’est-ce qu’un superhéros ? C’est avant tout un américain qui s’est emparé de la planète des enfants et adolescents par l’intermédiaire du web. Mais le mythe du superhéros existait déjà avant même la naissance de la nation américaine. Déjà les Grecs rêvaient de héros sublimes comme Hercule ou les Bretons avec Arthur et même les Français avec Roland. En fait chaque civilisation a besoin de se construire son ou ses superhéros. Celui-ci possède des super-pouvoirs, un peu comme les fées ou les sorcières de notre enfance. Il a unesociété,actualité,cinéma,littérature,bande dessinée force extraordinaire ou une vitesse fulgurante ou encore il vole dans l’espace et surgit sans crier gare (Batman). Certains se contentent de posséder un équipement hors du commun qui leur donne ces pouvoirs, tels l’anneau de Green Lantern ou l’armure d’Iron Man. Tous sont revêtus d’un costume particulier qui les singularise des personnes normales. Mais surtout le superhéros, au-delà de ses pouvoirs, a des intentions qui le distinguent de tous les autres hommes d’action. Il est justicier et cette particularité est le plus souvent inconnue de ses concitoyens. Il possède donc une double identité. C’est le cas de Zorro bien qu’il ne possède pas de super-pouvoirs. Le superhéros, c’est Dieu dans l’imaginaire enfantin, celui qui à l’école défend le faible face au fort. Il résout les problèmes de la vie ordinaire et disparaît dans une poussière de poudre d’or. Il permet l’évasion de ce monde où tout est difficile.

L’irruption du web, la mondialisation ont renforcé le mythe et ce mythe fait gagner beaucoup d’argent. Le livre d’abord, puis la bande dessinée et le cinéma, et maintenant les consoles de jeu et Internet véhiculent ce rêve et lui donnent de la consistance. Captain America (un patriote qui lutte contre les nazis), Batman, Iron Man surclassent largement Tarzan ou Zorro, même si LeBron James, le basketteur, comme Zorro, n’a pas de pouvoir particulier. Il saute plus haut, lance plus loin et vise mieux que les autres joueurs.

Dorénavant, l’homme ordinaire s’habille en superhéros pour accomplir des tâches normales telles que le nettoyage d’un lieu abandonné, le sauvetage d’un animal rare ou tout autre événement qui le fait sortir de l’ordinaire. Il y a aussi des superhéros dans la vraie vie, tel Phoenix Jones à Seattle qui seconde les policiers et arrête les criminels. Même les politiques s’y mettent : Antans Mockus, politique colombien, revêt parfois dans ses meetings le costume de Super-Citoyen.

Mais pourquoi cette mode qui transforme homme ou femme en justicier ?

Notons d’abord que notre société ne met guère en évidence de vrais superhéros. Nos médias ont plutôt tendance à nous montrer de vrais supervoyous, crapules, faussaires, tricheurs quels que soit le milieu d’où ils sortent : gangs, mafias, politiques, financiers, médecins, promoteurs, etc. Le public a besoin de sortir de ce monde que l’on veut à tout prix nous faire endosser. Comme l’idée de sainteté n’est plus d’actualité, mais que l’idée de bien subsiste, les superhéros l’incarnent. Mais comme notre époque est ambiguë, ils dépassent notre impuissance et satisfont également notre envie de dominer.

Et pourtant, comme le dit Iris, 10 ans : « j’aimerais aussi mettre en avant tous ceux qu’on ne voit jamais. » Le monde est plein de gens remarquables et jamais remarqués. Les superhéros sont le produit de la communication qui fabrique une réalité imaginaire. Ouvrons les yeux, regardons autour de nous, nombreuses sont les personnes héroïques qui ressemblent à vous et moi.

05/04/2014

Le poète fou

Cette nuit lui vint une idée farfelue. Comment faire côtoyer l’ensemble de règles concrètes et rationnelles devant régir la production poétique avec la réflexion esthétique c’est-à-dire la perception de la beauté ? C’est toute l’évolution poétique des XVIIIème et XIXème siècles. En effet, soit le poète met l’accent sur la règle et avant tout sur la rime, soit il écrit en vers libre et recherche les images plutôt que la forme. Comme il laissait encore errer sa pensée, et c’était bien normal en raison de l’heure, lui vint cette idée stupide : la rime est toujours à la fin de deux ou plusieurs vers, pourquoi n’y a-t-il pas de rime en début de vers ? Serait-ce plus choquant d’établir la musique des mots d’emblée plutôt que de la noyer dans le brouhaha de l’expression ? En musique, le plus souvent, la mélodie est exprimée de prime abord, puis modifiée au fur et à mesure du développement du génie du compositeur. Elle est courte, simple et donne la mesure de celui-ci.

Alors, essayons-nous à ces rimes à l’envers ! Il note d’abord que c’est plus simple à faire : lorsque la rime ne vient pas, il suffit d’ouvrir le dictionnaire pour trouver de nombreux mots qui commence par les mêmes sons : ainsi le mot abeille, poétique en soi, rimerait avec abécédaire, aberrance ou même abêtissant. L’image créée par la conjonction des deux termes manque certes d’attrait, mais on peut trouver mieux : loup, louvoyer, loufoque, louper, louer, louange, loupe, etc. En tentant de vérifier cette évidence de rime à l’envers, il en vint à chercher une strophe.

Il lui apparut aussitôt que ce n’était pas aussi simple que cela, parce que la plupart des phrases commence par un article : un, le, la, des, etc. Leur suppression laisse une impression bizarre sur la langue, comme un petit caillou dans un plat de lentilles. Il est certes possible de commencer par un verbe et d’en faire des injonctions telles que sautez… chantez…, mais cela limite déjà singulièrement l’usage de la langue française. Il aussi possible de commencer par un adjectif : lumineux était le soleil du matin. C’est une forme poétique assez courante, alors pourquoi pas ? On peut même aborder un vers par un nom : Crépuscule combien de poètes exploitent ton nom ! Mais tous ces subterfuges ne sont que des tromperies de langage. Comment parler d’images évocatrices en n’utilisant que ces formes désuètes ?

Pacte tenu un jour

Pactole assuré toujours !

Ah oui ! C’est une forme de langage qui convient bien au proverbe. Le vers frappe, mais s’agit-il d’une image poétique ? C’est moins sûr.

Il est encore possible de compliquer un peu cette réflexion. Un rime au début et à la fin d’un vers. Cela nécessite une gymnastique plus périlleuse, mais combien plus captivante :

Glauque est l’océan

Global le mécréant

Mais on reste dans le proverbe maquillé ou dans l’injonction désordonnée.

 

Là-dessus, il endossa le vêtement du sommeil

Lapidaire, il s’endormit en rêvant à l’abeille

© Loup Francart

04/04/2014

Jean Feugereux, dit Jean de Beauce

Qui connaît jean Feugereux ? Peu de gens. Moi non plus. J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un petit livre appelé J. Feugereux aux éditions Alphonse-Marré, acheté dans une brocante un jour de promenade.

Ce fut l’éblouissement. Ce peintre possédait une maîtrise extraordinaire de la couleur. Il peignait la Beauce, mais une Beauce qu’on ne voit pas, qu’on ne devine même pas, environnée d’or et de feu. Une Beauce pesante de sa terre, mais transfigurée par le regard du peintre :

Alors j’ai cherché à faire sa connaissance. Je n’ai malheureusement trouvé  que des descriptions de sa vie et des événements qui l’ont accompagné. Rien pratiquement sur sa peinture, sur son art. Pourquoi peignait-il les paysages de Beauce ainsi ? D’où lui venait cette vision enflammée des soirs d’été.

On entend la musique en regardant ses tableaux, une musique éclatante et discrète, faite de chatoiement, une symphonie de Beethoven, un hymne à la joie. Quelle merveille de luminosité, de mariage des couleurs, de gestes des épis ployés par le vent, de contraste léger entre l’immédiat et le durable du fond.

On a envie de plonger dans ces paysages, de se laisser engloutir dans ces couleurs pour ne plus penser et n’avoir que la sensation du soleil, du vent, de l’espace et de la terre.

Là une véritable évasion dans un ciel qui n’existe pas réellement, mais qui ouvre le regard et lui donne une dimension sinueuse, un glissement dans une espace vierge et plein.

Oui, jean Feugereux était un véritable artiste. Fils de paysan, mais dont la famille maternelle était musicienne, il n’a pratiquement jamais quitté la Beauce, sauf pour la Bretagne, dans laquelle il retrouvait la même luminosité.

« Pour peindre la Beauce, il ne suffit pas d’être un artiste confirmé, il faut encore, et surtout être un visionnaire, capable de percevoir, au-delà du visible, ou tout au moins, de suggérer, au-delà de l’horizon lointain, l’infini dans lequel se confondent le ciel et la terre et où commence le mystère de l’infini. » (René Gobillot, dans J.Feugreux, Editions Alphonse-Marré, 1985)

03/04/2014

Le feu

Le feu... Mais cubiste ! Il oscille à droite. Ce n'est qu'une illusion.

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02/04/2014

Jusqu’où peut-on aller ?

Jusqu’où peut-on aller lorsqu’au matin, dès le lever du jour, on part calmement faire un tour en bicyclette. Une envie soudaine d’air frais, de dégourdissement des muscles, de dénaturation des neurones. C’est décidé, on part sans savoir où l’on va, mais on y va. Il faut d’abord délivrer l’engin de ses nombreux liens qui bloquent les roues, attachent le cadre au support choisi pour sa solidité et empêchent toute prise de possession hasardeuse. On est parti, petitement au départ, car cela monte et les jambes ne sont pas chaudes, simplement prêtes à se dégourdir.

Peu de voitures, des camions sans doute et des bus. Ding, ding… je ne l’ai pas entendu arriver. Les conducteurs ont pris l’habitude d’avertir gentiment d’un petit coup de cloche. Ce n’est un repas servi. Juste un petit rappel : cette voie n’est pas la vôtre et je suis plus gros ! Bien sûr, on sursaute lorsqu’on ne s’y attend pas. Le conducteur fait un petit signe : « Je vous ai surpris, n’est pas ? » Mais il s’arrête à la prochaine station et on peut reprendre l’avantage. Une piste cyclable se profile. On est parti le long du canal de l’Ourcq, ni montée, ni descente. Le profil plat tranche avec les immeubles de plus en plus hauts, puis qui diminuent au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Paris.  On ne peut dire que le paysage est beau. Il est même quelque peu affligeant. Poussière, déchets, tags, trous dans la chaussée, un paysage de banlieue sans charme, mais à l’atmosphère si irréelle qu’elle laisse l’étranger sans voix.

Quelle liberté ! Plus de bruit, plus de voitures, mais des trains, un métro et un RER. Est-ce vraiment une piste cyclable ? Ne dirait-on pas une piste à chars ? Ah, ce sont les racines qui la gangrènent. Des serpents jonchent la route, l’enlacent par en-dessous. Heureusement les pneus s’amollissent à l’approche pour reprendre leur air gaillard une fois passée la grosse ficelle. Lorsque le chemin est bon, on pousse le vice jusqu’à se laisser guider par l’équilibre. On lâche les mains, on porte le corps en arrière et on appuie avec aisance sur les pédales. Cela repose le haut du corps. On croise de temps à autre d’autres cyclistes, d’une race fort différente. Nombreux sont ceux qui arborent un maillot rutilant de rouge, jaune, vert et noir, un bariolage de publicité. Ils portent des collants également participatifs et un casque pointu pour mieux fendre l’air (vous savez, un port à la manière des bérets basques). Ils vous doublent le nez sur le guidon, ils ne profitent pas du paysage qui, même s’il n’a rien d’extraordinaire, vaut parfois quelques coups d’œil. Beaucoup plus nombreux sont ceux qui roulent vers Paris comme aimantés par le devoir. C’est vrai le parisien se modère, utilise moins sa voiture et s’essaie à quelques tours de roues pour dire le soir, entre amis : « Moi, je roule écolo ! » Bientôt on entre dans le brouillard. C’est une sorte de couche plus humide probablement créé par l’eau du canal. On ne sait jusqu’où elle va, mais elle gène la progression, non pas physiquement, mais moralement, comme une couche de colle guimauve qui envahit l’environnement. On commence à ressentir la fatigue. Monte-t-on ? On ne sait, c’est le trou blanc. Ah, un vieillard qui court. Il va à petites enjambées, les coudes au corps, la tête haute levée, le sourcil broussailleux. Il fait un drôle de petit bruit à chaque foulée : « Schiiiite, schiiiite… » On le salue d’un signe de tête. Il s’arrête, regarde l’être étrange qui passe à côté de lui, mi-homme mi-roue, un cavalier de l’apocalypse, cahoté par les serpents.

Les kilomètres défilent comme sur un compteur d’eau, les flèches tournent et on pédale toujours, plein d’entrain, de hargne même. Aucun arrêt, même pas un ralentissement… La route d’huile file sous les roues, passant de pavés à l’asphalte, puis à la terre, tassée par les roues, ou encore au béton. Les ponts sont nombreux. On n’y fait plus attention. Mais là, on va être contraint de passer au-dessus pour reprendre la piste sur l’autre berge. Une grue barre le passage, le bras levé, la main acérée. On prend la place du vélo et lui se trouve juché sur l’épaule, les roues tournant dans le vide. De l’autre côté, après quelques pas sur place, on remonte sur la selle, on fait un tour de roues avant de repartir avec le même entrain, la même verve flottante jusqu’au bout du monde qui s’arrête dans un pays en révolution. Jamais un champ ne s’est profilé à l’horizon. Des constructions, en ruine, en construction, en location, à vendre. Des espaces non définis, mi-terrain vague, mi-terrain en attente d’implantation d’on ne sait quoi.

Et on poursuit le long du ruban grisâtre, dans ce couloir magique exempt de bruits où passent quelques fantômes sur roues, sans regard, pédalant et transpirant, chiens enragés de courses folles. Il est temps de faire demi-tour. On ne sait où l’on est, explorateur de terre hostiles, dans le froid des mers arctiques passant près des icebergs qui projettent leur ombre sur une mer d’huile.

01/04/2014

L'absurde... un premier avril

Quel mot délirant
Il n’a qu’une seule rime :
Kurde !
Un mot sans existence légale…

Abs… Cela commence mal
Comme l’absence ou l’abstrait
Joignez-les ensemble
Abs…urde… est-ce une langue
Oui, peut-être, mais qui fourche
C’est normal
L’absurdité est contraire à la raison
Alors… abs…tinence !

C’est ainsi qu’il se trouve seul
Environné de pommiers
Une couronne sur la tête
Pour déclamer les vers
D’un peintre en bâtiment...
L’entourent des êtres chers
Le renard sans queue
L’agneau poêlé bêlant bêtement
La jeune fille, encore jeune
Mais sûrement plus fille
L’enfant roi sans casquette
Qui hurle par plaisir

Rien n’existe, mais c’est là
Dans la tête, comme un gong
Quelle fièvre vous prend ?
Mais l’abs…urde n’est-il pas
Proche de l’abs…olu ?

On raisonne sur l’absolu
Mais on agit dans la réalité
La frontière des deux mondes
N’est-elle pas un absurde raisonnable
Entrer dans l’absurde irrationnel
Ou demeurer dans l’abs…sens
N’est-ce pas une frontière vague ?

Un système royal l’ABS
L’anti-blocage des roues
La raison s’en porte mieux
Les dents courent le long de la roue
Et empêchent la catastrophe
La raison tourne, dans le vide
Elle existe toujours, inutilement
Alors que l’absurde ne peut exister

Le fou n’existe pas dans l’absurde
Il a sa raison à lui
Elle court dans ses rouages
Qui tournent parfois à l’envers
Vous puisez dans le sac à idées
Mais rien de logique
Ne sort du broyage…
Quelle ineptie !

L’imaginaire n’est pas le non-sens
 C’est la voie royale
Pour pouvoir voler
Et s’évader d’un monde raisonnable…
En avril, découvre-toi
de tous les fils de la raison
et entre dans la fournaise
de l'absolu chimérique

© Loup Francart

31/03/2014

Danse des esprits bienheureux, Orphée et Eurydice, de Christoph Willibald Gluck, au palais Garnier

http://www.youtube.com/watch?v=oou2ywIbRxc

 

 

Une danse fondée sur une seule série de gestes, très simple. La main droite vient toucher le sol, en signe d’allégeance, puis ayant puisée dans ce geste une force nouvelle, elle s’envole vers le cœur et entraîne le corps sur sa gauche en une courbe rapide avant d’être portée à son visage comme si celui-ci respirait une fleur qui lui faisait lever les bras au ciel de reconnaissance.

On se laisse prendre par ce ballet répétitif et la musique de l’opéra Orphée et Eurydice composée par Gluck. On pourrait parler d’harmonie entre cette musique et la danse elle-même. Cette harmonie se retrouve directement dans le mouvement entre le groupe des esprits et chacune des danseuses qui en sortent. Même simplicité, même félicité, un calme heureux et aimable. En un instant vous passez de la raison au cœur et vous vous envolez dans l’azur pur sans pensée. Plus rien dans la tête. Votre cœur suit les mouvements et vibre en harmonie avec eux. Décollage vertical obligatoire !

L’avancée en âge affine les sensations et l’émerveillement devant la beauté du monde et ce que produisent les hommes. Lorsqu’on est jeune, après les années de découverte de l’existence qui sont également une période enchantée, on traverse la vie comme blasé, ou plutôt, incapable de voir au-delà des apparences ordinaires. Puis, lorsque travail et famille deviennent moins pressants, on se prend à nouveau à rêver le monde et à y apercevoir les signes d’une magnificence qui vous fait dire : « Quel bonheur de vivre et de contempler le monde invisible derrière le monde visible ! »

30/03/2014

Ida, film polonais de Paweł Pawlikowski (2013)

Deux femmes que tout semble séparer et qui vont se rencontrer et faire connaissance devant la mort. Anna est une jeune nonne que sa mère supérieure envoie, avant ses vœux, à Wanda, sa tante, ancienne juge rouge responsable de nombreuses condamnations. Elle apprend qu’elle est juive, qu’elle s’appelle Ida et que ses parents ont disparu pendant la guerre. Elles partent ensemble à leur recherche, dans une quête sinistre, mais qui devient une initiation à la vie pour Ida.

Elle s’ouvre à une vision différente de la vie religieuse, découvre l’amour filial, l’amitié, le désir et même le suicide de sa tante. Tout cela est vécu extérieurement de manière brutale, intérieurement presqu’au ralenti. L’art du metteur en scène accentue cette impression : de magnifiques images en noir, blanc et gris, des visages extatiques parfois, des paysages ouatés, des villes fantomatiques. Une atmosphère étrange et pesante, y compris lorsqu’enfin Ida fait son choix, le retour au couvent. On ne sait rien de ses réelles motivations, ni même des émotions qu’elle ressent à la découverte de son passé. Elle reste équilibrée, trop sage, même lorsqu’elle se donne au saxophoniste et que celui-ci lui dit :

– On pourrait  se marier, avoir des enfants… »

– Et après ?

– Après on aurait des problèmes.

Un très beau film, mais on ne le voit qu’après la projection, en arrière-plan de la mémoire, lorsque les images reviennent dans le désordre, Ida ou Anna, Wanda. Pas de morale, pas d’enseignement, rien que la vie qui coule lentement dans les corps et la mémoire.

 

29/03/2014

Autre peinture

Elle se tient debout, perchée sur l’échelle. Rien ne saurait la déranger. Elle manie son pinceau avec sérieux, enduisant de noirceur le portail défraichi. Il la revoie jeune fille, riante, le regardant d’un air effronté, comme disant : « Moi aussi, je peux faire ! » Elle y met tout son cœur, décidée à aller jusqu’au bout, à ne pas abandonner son pinceau à la main secouriste. Il la regarde et admire cette volonté subite, ce retour pour éblouir et danser ensuite de joie à l’idée d’un enjolivement dû à elle seule.

Elle se tient debout, perchée sur l’échelle. Ses cheveux flottent autour de sa tête. Elle écarte d’un geste de l’avant-bras ceux qui lui tombent dans les yeux. Elle vient de voir un barreau sans peinture, avance une main agile et presse les poils barbouillés sur la partie encore vierge. Elle est comme un dentiste devant une bouche ouverte. Elle glisse son instrument entre les dents du portail et lui assène sa couche de noir luisant jusqu’à l’étouffement. « Voilà, c’est fini ! »

Alors elle le regarde et il voit sa souffrance dans son corps. Perchée sur l’échelle, elle s’est donnée sans retenue. La main ankylosée, les reins vrillés, les pieds compressés par la minceur des barreaux, elle réserve encore sa fatigue pour tout à l’heure, lorsque pinceaux nettoyés, bidon de peinture rangé, échelle remisée, elle pourra enfin se laisser tomber sur une chaise et contempler son œuvre qui la comblera de bonheur.

Elle se tient assise et il est debout devant elle, attendri de sa constance et de sa joie enfantine. Elle a les larmes aux yeux, de fatigue, de satisfaction,  d’amour aussi. Quel beau cadeau lui a-t-elle fait ! Il lui prend la taille et l’entraine vers la maison. Qu’il est bon de rentrer chez soi, ensemble, après l’épreuve et les preuves d’un amour toujours vivant.

28/03/2014

Quelle différence ?

– Je suis femme et donc lasse
De n’avoir que mes yeux
Pour parler à ceux qui m’ignorent
Tout en me contemplant

– Je suis homme et donc prêt
A toute tentative de charme
Quand déjà ses yeux me fixent
Et me disent : Oserez-vous ?

– Adolescente, je contemplais sans honte
Les efforts sportifs des jeunes hommes
Et riais de les voir, rougeauds
Encore pleins de force virile

– Enfant, je me taisais
A quoi pensais-je donc
Lorsque la cousine me serrait
Et me pressait contre ses seins

– Tu m’as charmé de tes chants
Tu m’as donné ta vigueur
Et je suis devenue un rêve
Que je poursuis toute seule

– Et maintenant, après ces années
Je me gonfle d’importance
Pour croire encore à la vie
Et me dresser malgré moi

Oui, la vie est ainsi faite
Rien ne peut la changer
Surtout pas cette différence
Entre douceur et force

© Loup Francart

27/03/2014

Enchevêtrement

Plus vous le regardez, moins vous comprenez l'enchevêtrement des volumes. Un véritable labyrinthe dans lequel même les rats se perdraient. C'est un cauchemar à l'image du monde et de la vie. Il y a toujours, et encore, des surprises. Où aller ?

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26/03/2014

Concert par le chœur des deux vallées

 « Créé par Annie Couture dans le cadre du Conservatoire intercommunal des 2 vallées, le chœur des 2 vallées se réunit chaque semaine depuis 1999. Les chanteurs ont exploré ensemble des répertoires variés (chants béarnais, corses et argentins, musique baroque et renaissance, madrigaux italiens…). Ces expériences ont doté le chœur d’une conscience aiguë de l’importance de la transmission orale et du dialogue des cultures. Outre des pièces du répertoire classique, l’ensemble propose ses propres adaptations de chants traditionnels, ainsi que des créations inspirées des nombreuses influences musicales qui ont jalonné sa pratique. »

Un concert exceptionnel, comme on en rencontre peu, même à Paris. Environ 15 filles et 15 garçons chantant d’une voix parfaite des chants d’une beauté sublime issus de répertoires traditionnels, mais peu connus, béarnais et corses.

"Ce petit chœur d’amateur fait preuve d’une exigence, d’une justesse et d’une expressivité très rares, même dans le milieu professionnel. Les choristes sont des jeunes chanteurs du milieu rural. Ils ont voyagé de par la France et de par le monde pour perfectionner leur technique et apprendre aux contacts des chanteurs autochtones la musique de leur pays. Ils ont ainsi rapporté de ces périples initiatiques des chants du Béarn, des chants Corses et des chants d’Argentine. Le résultat est saisissant. On est stupéfait par leur technique sans faille, par leur concentration, par une justesse mélodique sans aucun accroc, une synergie, une communion éblouissante."

Malheureusement, il y a peu d’enregistrements de ce chœur. Voici le Chant Des Oiseaux de Clément Janequin. 

http://www.youtube.com/watch?v=qZpJLkNSc-I

 

Et maintenant un chant corse sur le battage du blé "Battez le blé, les bons bœufs, travaillons ensemble car le blé est pour nous mais la paille est pour vous".

http://www.youtube.com/watch?v=xhCniGe03bo

 

Oui, ce fut une belle après-midi, assis dans une église, parti en d’autres cieux, sous le charme de ces voix pures, justes, bouleversantes. Si vous voyez l’annonce d’un concert de ce chœur, allez-y , vous ne le regretterez pas.Ce ne fut pas beau, ce fut splendide et émouvant !

25/03/2014

La petite ceinture, côté nord (2)

Chaque tag a sa particularité. Il peut être ordonné, global et coloré, incompréhensible, fleuri, pimpant.

 

 

 

 

 

Ils s’enchevêtrent, se marchent dessus. C’est à celui qui se réserve une place de choix. Certains sont presque des dessins contemporains, du design pur et dansant.

 

 

D'autres sont même des dessins. Peu, car la liberté est dans l’abstraction, dans la singularité de sa propre signature, dans sa marque de fabrique que l’on affiche glorieusement, comme un trophée.

 

 

Allez, un coup d’œil à la gare. Enfin… Ce qu’il en reste.

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24/03/2014

L'heure sauvage

Trois heures trente, l’heure sauvage
Celle où rien ne pousse dans la tête…
Silence... On tourne autour de soi
Sans consistance et sans résultats…

C’est un autre monde, inédit
Qui ressort des pages bouleversantes
De cet entre-deux prenant la gorge…
Rien ne s’offre gratuitement…

Chaque nuit le même récit voilé
Le retournement des principes
Et la sûreté des geôles d’antan…
Un volcan sorti de la glace…

Mais toujours, simultanément
Vous prend cet immense désir
D’une évasion hors du monde
Jusqu’aux confins de vos songes…

A grandes enjambées vous parcourez
Les étendues désertiques de la pensée
Toujours plus loin, dans le lointain
Jusqu’au vide immuable de l’absence

Rien ne vous arrête… Un trou
Sans fin et sans parachute…
Vous fermez les yeux morts
Et ouvrez l’esprit au rêve…

© Loup Francart

 

23/03/2014

Le Mystère par excellence, d’Amélie Nothomb

Manuel est mon meilleur ami. C’est le meilleur des meilleurs amis. Nous nous sommes connus il y a dix ans, à la Faculté : nous avions dix-huit ans et nous avons vécu ce qu’il faut bien appeler le coup de foudre de l’amitié. Aussi, quand il m’annonça, il y a deux mois, qu’il venait d’éprouver son premier coup de foudre amoureux, cela me fit un choc.

– Elle s’appelle Hélène. Je l’aime, me dit-il avec ferveur.

 Ainsi commence ce court récit, concentré de dialogues et de réparties à la manière, inimitable, d’Amélie Nothomb. Quel est ce mystère ? Celui de l’amour d’un homme envers une femme ? Quelle banalité. Tellement banal que la nouvelle s’enlise. On sait ce qui va se passer, on le devine et cela arrive, jusqu’à la fin : ils s’aiment et vivent heureux, envers et contre tout et surtout à la stupéfaction du narrateur. Ainsi finit cette très courte nouvelle : Manuel est toujours mon meilleur ami ; le meilleur des meilleurs amis. Et il a épousé14-03-23 Le mystère par excellence.jpg Hélène. Il respire le bonheur. C’est à rien y comprendre, mais c’est comme ça. La seule chose que j’ai comprise dans cette étrange et banale histoire, c’est la phrase de Chardonne : « Le bonheur des autres fait pitié. »

Entre les deux, des échanges mi-figue, mi-raisin entre la belle (tout à fait ordinaire) et l’ami de l’amoureux, ce narrateur éberlué qui n’arrive pas à comprendre. Il va même jusqu’à tromper son ami pour voir jusqu’où elle ira. Et c’est d’une platitude !

Alors de quel mystère parle-t-on ? Certes le mystère de l’amour. Mais, au-delà, le mystère par excellence de l’engouement pour un auteur, quel qu’il soit. Cette nouvelle, en dehors du fait qu’elle a été écrite par Amélie Nothomb, est faite de clichés, de scènes sans rebondissement, de dialogues pauvres entre personnages sans consistance. Et cela fait un livre, petit certes en épaisseur, mais d’une triste qualité, à l’image de la secrétaire de direction dont il est question. Une seule phrase résume le livre : « Le bonheur des autres fait pitié. »

22/03/2014

La nuit en deux temps

Elle s’est levée au milieu de la nuit, réveillée parce que repue de sommeil. Elle est descendue à la cuisine, s’est fait un thé, est remontée, s’est laissée aller à la poésie. Quand tout fut fini, elle se tourne vers le lit où l’attend son autre moitié, celui qui donne au monde une autre chaleur, pleine de force et de paix.

Qu’il est bon de se laisser prendre dans ses bras et de refermer la vie dans ses filets. Elle se couche subrepticement, soulevant la couette d’une main agile, prenant garde à ne pas déplacer d’air. Il fait froid, ses cuisses découvertes recherchent le corps chaud. Encore un peu. La voici dans la bulle qui se forme et l’englobe de sa somnolence. Appuyée sur son épaule, elle entre dans son odeur personnelle et se laisse aller à la torpeur de ce miel chaleureux. La main gentiment se laisse aller dans le creux de la hanche, là où la courbe se fait plus tendre et creuse.

Elle caresse cette peau connue, aimée, jusqu’au moment où le sommeil s’empare d’elle. Sa main, inerte, l’a réveillé. Il se laisse bercer par la caresse, puis se rendort également. Ils se rencontrent dans leur rêve et se sourient.

Le lendemain, en ouvrant les yeux, ils lisent dans la page ouverte de l’autre l’amour qui les tient endormis, sûrs d’eux et de leur bonheur.

21/03/2014

La petite ceinture, côté nord (1)

Ils partirent en catimini, enfourchant leurs vélos, revêtus d’un jean, d’un pull camionneur et d’un anorak. Lampe de poche obligatoire ! L’un, jeune sur un vélo moderne (entendez par là qu’il n’a qu’un cadre, qu’un pignon, qu’un frein et que l’on est pratiquement couché sur cet assemblage), l’autre, plus âgé, plus droit sur un vélo allemand gris perle et pneus increvables. Près du boulevard circulaire, porte de Pantin, ils les attachèrent, se glissèrent entre deux clôtures et les voilà seuls dans un paysage à la Stalker, le film de film d’Andrei Tarkovski (1979, voir le 24 décembre 2011), les tags en plus.

La zone est un lieu interdit d’accès. Elle est devenue un lieu mythique. Au cœur de la zone, le tunnel. On l’atteint après une longue marche, difficile.  Chaque pas est mesuré, différent, chaotique, à la distance différenciée de chaque traverse.

Ils sont environnés de tags, signatures originales, propres à chaque « artiste », difficilement lisibles, environnées d’autres tags, enchevêtrées dans un réseau de signatures, comme une pétition en plein ciel, cachée aux parisiens qui ne connaissent pas les secrets des couloirs de fer abandonnés.

Ils traversent des lieux mixtes, entre zone et ville où certains cultivent leur jardin, en toute innocence.

 

paris intra-muros,street art,graffitis,tags,stalker,exploration

 

 

 

Voici le tunnel. Entrée dans le noir, la crasse, les détritus. Une odeur de renfermé, les pas soulèvent la poussière, pas un bruit ne vient troubler la marche. Ils tournent avec allégresse les moulins à éclairer (vous connaissez ces lampes de poche sans pile qu’une dynamo entraîne en tournant la manivelle). Parfois, un puits de lumière, tagué bien sûr, d’une statue sans relief, sorte de décor virtuel.


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Après cinq minutes, ils débouchent dans une ancienne gare. Un chef d’œuvre de Street Art, brouillon certes, mais c’est sa caractéristique. Promenade dans une cathédrale de couleurs violentes, d’herbes, de fer et de pierres… Les graffitis en sont le décor baroque qui envahit tous les murs, quel qu’en soit la hauteur.  Le cloître étire ses piliers, désert et silencieux. La méditation y est praticable, malgré les odeurs. Rien ne viendra troubler votre paix… Et vous contemplez des chefs d’œuvre.

20/03/2014

Hiver ou été ?

L’astre vous bourre de ses rayons
Tourné vers lui le visage s’ouvre
Chaque pore dégorge son eau
Vous ruisselez dans le froid de l’hiver

Les cris des enfants du village
Entament comme une scie obscure
Le solo patient et quotidien
D’une journée écrasée de rouge

Le portail ouvert, béant de fureur
Dont on nettoie les dents noires
Laisse passer les géants de la route
Ombres parasites et fugitives

Oui, c’est une après-midi soft
Un air de déjà vu et si bon
Vos genoux dissous dans la poitrine
Vous baignez dans votre jus amer

Vous ne bougez plus, le front altier
Vous laissez le temps s’en aller
Et vous regardez sans les voir
Ces arbres aux doigts tendus

La nature vous donne sa foi
Laissez-vous faire, ignares
Laissez votre intelligence au placard
Et croulez de bons sentiments

Encore quelques temps
Quelques pas de danse
Pour profiter de cette huile
Que donne la lumière du soir

Tout à l’heure, refroidi
Roulé en boule, respirant
La morsure de la glace
Le feu du soir vous ravivera

© Loup Francart

19/03/2014

Le prix de mon âme, notes pour servir à la vie d’un sculpteur, de Vincent Batbedat (Editions Alain Gorius, 2012)

Un livre écrit par un sculpteur, pour les sculpteurs et… les autres, ceux qui s’intéressent à la sculpture. C’est son sang, son combat contre l’adversité, le manque d’argent, la fête malgré tout et la réflexion sur la vie d’artiste. Cela semble ennuyeux au début, il se répète, s’étend sur sa vie et celles de ces amis, sculpteurs évidemment. Mais, en se forçant un peu (il m’a fallu deux mois !), on découvre la destinée d’un sculpteur, sa hargne à sculpter envers et contre tous, sa peine, ses joies et le respect de l’œuvre, infinie.

Une anecdote nous raconte qu’un amateur (un amateur est pour nous : celui qui aime), dans l’atelier de Giacometti, remarqua une sculpture sous une table et demanda au Sculpteur pourquoi elle était placée là. En était-il moins satisfait que des autres ? Pourquoi la reléguer, la dissimuler presque ? Là ou ailleurs, dit Giacometti, cela n’a aucune importance. Si cette sculpture possède assez de pouvoir, elle trouvera bien le moyen de se faire remarquer et de sortir de là. Oui la sculpture pouvait attendre et même attendre longtemps dans la poussière sous la table. Mais elle était prête, accomplie, finie, définitive. Une laborieuse finition de venait son accomplissement. De corvée, l'acte s'anoblissait. Ce travail ingrat, qui pouvait être accompli par n’importe lequel des hypothétiques manœuvres ou assistants que je n’aurai jamais, devenait essentiel. Ce n’était plus du temps perdu, du talent perdu. Le vieux disait : « Le prix de ton âme », et je commençai à saisir le sens de sa boutade. Et la lime devint véritablement mon amie.

Et moi aussi, j’appris alors le sens du retour à la tâche, au geste simple, tel que reprendre un livre pour en extraire son âme. Et peu à peu, à force de reprendre ce livre par petites phrases, j’en vins à l’apprécier, à y trouver des perles de vie, de petites choses qui semblent sans intérêt, mais qui font une vie de sculpteur ou de tout métier. Les petits riens sont l’essentiel d’une vie. Ils répondent de manière directe (mais cela se fait indirectement) à la question : Que cherches-tu ? Cette question fut un des phénomènes étranges de mon existence. D’où venait-elle ? Qui ou quoi me l’avait insufflée ? Elle vint se ficher dans ma tête comme un piquet, depuis mon enfance, je crois. Mais dans ma jeunesse, je ne lui prêtais guère attention car je croyais avoir trouvé la réponse : la Sculpture.

(…) Que cherches-tu, sinon à transgresser les limites de ton esprit à travers le moment où, dans le travail, ta pensée se dilue dans l’œuvre ? Su tu limes, ta pensée devient lime (…) C’est le moment où l’homme et l’œuvre s’unifient et ne font qu’un, où celui qui fait et celui qui est fait ne se distinguent plus ? Mais en réalité tu ne transgresses rien car l’esprit n’a pas de limites et les obstacles que tu trouves, ce sont ceux que tu dresses toi-même au devant de toi, parce que tu crains de découvrir un pan d’inconnu. Et l’inconnu est ce qui effraie le plus l’homme. Mais la liberté n’est qu’au prix de ce dépassement-là.  

18/03/2014

Arbres dénudés (3)

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Tel un squelette de femme, il se pavane dans les champs, faisant admirer ses membres, étendant ses bras et ses jambes pour mettre en évidence son harmonie. Oui, il est beau de symétrie, de rondeur, d’aisance. Admirez cet épanouissement serein qui se laisse voir nu, sans complexe, trônant dans le désert, s’ouvrant de son ventre enchâssé pour dévoiler ses cheveux défaits.

 

  

 

 

Celui-ci est torturé. Il crie de désespoir et n’est pas entendu. Il se tord les bras et les mains pour marquer notre manque d’attention. Il se gonfle la poitrine pour dire son étonnement. Rien n’y fait. Reste tranquille, continue de couvrir la campagne de ton ombre, tu es beau de sacrifice inutile.

 

 

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Le fantôme, les doigts levés, crie au monde sa solitude parmi ses frères. Il a mis ses mitaines et clame haut et fort sa différence. Mais rien n’y fait, il est là, levé dans une classe alignée, mais ne peut se faire entendre. Crie toujours, on ne sait jamais…

 

 

 

 

 

Solitaire, le vieil ours se montre à tous. Il ne craint pas le ridicule. Qui d’autre que lui peut se vanter de détenir une telle couverture ? Il se dresse debout et fait impression, quelle force compacte et majestueuse. Venez voir mes biceps, admirez ces pectoraux poilus. Rien ne me fera bouger !

 

17/03/2014

La meilleure part

Qui se diminue grandira ;
Qui se grandit diminuera

(Tao-tö King XLII)

 

Quiconque s'élèvera sera abaissé,
Et quiconque s'abaissera sera élevé.

(Mathieu, 23.12)


Les mêmes paroles à quelques 600 ans et plusieurs milliers de kilomètres d’intervalle… C’est réconfortant, non ? Deux civilisations totalement différentes nous disent la même chose, n’est-ce pas interpellant ?

Et aujourd’hui, qu’en pense-t-on ?

Tous nous souhaitons grandir, nous élever. Tous nous tentons de le faire. Certains réussissent, d’autres non !

Grandir, s’abaisser, est lié au pouvoir. S’élever, c’est rechercher le pouvoir temporel. S’abaisser, c’est ne rien chercher, mais accepter le pouvoir spirituel. Non pour soi, mais pour le bien commun.

Chacun a un pouvoir particulier, sa vocation intime qui lui permettra de se réaliser.

Le pouvoir spirituel, c’est apporter aux autres la capacité de s’accomplir en réalisant sa vocation intime. Quel beau pouvoir !

16/03/2014

Sa chambre est une gare

Sa chambre est une gare, une gare de province
Où l’on entre pour faire un long voyage
Aux pays ignorés de nouveaux princes
Qui règnent sur la géométrie de l’esprit de leurs pages.

On y voit des affiches couvertes de couleurs
Où l’Espagne s’ombre sur le sable des arènes d’or,
Où l’Escorial étale ses vertus de l’honneur
Dans la nuit des étoiles et des nébuleuses de la mort.

© Loup Francart

15/03/2014

Arbres dénudés (2)

 

De ce vieillard encore debout, que reste-t-il ? Quelques poils au menton, une béquille qui tient lieu de jambes, des bras noués et incontrôlables, un clin d’œil irraisonné au monde : « Voyez, je suis encore là ! Plus rien ne me retient, mais la vie coule en moi malgré mon âge et je ne renonce pas à quelques années supplémentaires ! »

  

Plus majestueux encore ce chêne invincible, fort comme un taureau. Il a souffert dans ses combats contre le vent, le soleil, l’eau, l’érosion, mais il est droit dans le ciel et semble régner sur le désert. C’est un quinquagénaire fort des Halles qui impose sa loi alentour. Ses membres tordus ne demandent qu’à vous prendre et vous enserrer dans ses mains immenses. Alors vous contemplerez du haut de sa majesté le paysage et pourrez dire : « Il n’est pas beau, manque d’harmonie, mais quelle force qui s’impose à tous. Il ne plie pas, mais ne cède pas non plus ! »

 

Celui-ci est enserré. Il a cédé à son environnement qui l’envahit. Mais il résiste. Ses pieds sont pris, mais ses bras s’agite encore librement et appelle au secours : « Je suis vivant, je n’en ai pas l’air, mais venez voir mon bois. Il peut encore vous chauffer et vous donner ce que vous recherchez. Alors, utilisez-moi. Ne suis-je pas beau, dans ce bleu du ciel voilé ! »

 

 

Quel contraste avec ce bébé joufflu qui s’épanouit au soleil. Jamais touché par la main de l’homme qui l’a planté là un jour, il  nargue les vieux par une jeunesse insolente et pleine de vie. Il en est des arbres comme des humains, la sève monte plus vite dans l’impatience de la jeunesse, mais le bras pacificateur de l’homme mûr s’étend également sur eux.

14/03/2014

Réunion

Vous entrez dans la salle. Une salle polyvalente, tellement polyvalente que vous la connaissez par cœur sans y être une seule fois entré. Elle tient de la salle de volley-handball-tennis, voire football et de la salle des fêtes, cinéma, voire théâtre amateur. Nous sommes peu nombreux. Mais peu à peu les participants à la réunion arrivent. On ne les entend pas. Sons étouffés et inaudibles, brouhahas dispendieux. Le président s’essaie à faire le calme et prend la parole. Tour de table habituel : XX, secrétaire de l’Association YY ; BB, « professeure » de l’école Machin ; PP, policier municipal, etc. Hétéroclite me direz-vous. Oui, ce sont les réunions fraiches de la campagne où chacun apporte l’odeur de son village et de sa spécialité. Après quelques mots de remerciement pour les présents et de regret pour les absents excusés, le président passe la parole à l’intervenant. La table est en U. Quinze mètres séparent les deux bras levés du U. Il parle. On voit sa bouche remuer. On entend un petit grésillement, comme les pas d’une souris dans le foin du grenier. Tous se regardent. Enfin, quelqu’un ose dire qu’il n’entend rien. L’intervenant reprend de sa voix de ténor exacerbée qui sort de la gorge sans passer par le masque. L’ordinateur est là, le vidéoprojecteur également. Les images apparaissent. Heureusement. Si on ne comprend pas les paroles, on peut lire les images.

Une dame lève la main. Elle parle d’un filet de voix si ténue que cette fois-ci tous réclament de passer d’un dialogue à deux à un échange plus convivial entre tous les participants. Elle fait un effort. Ses paroles sont maigres, mais presqu’audibles. La question est brève, la réponse dure. On revient trois diapos en arrière, on rebascule deux diapos en avant. La démonstration est refaite. La dame est rassérénée. On ne sait si elle a compris ou si elle abandonne par timidité.

Le temps des questions semble une détente, presqu’une récréation. Un peu de bruits : on change le croisement des jambes, on sort son mouchoir, on déplace son stylo sur la table, bref milles petits gestes qui traduisent l’impatience, un ennui dissimulé, un vague à l’âme d’être enfermé dans cette salle malodorante alors qu’il fait si beau dehors. La joute verbale commence. Les questions se font plus précises, les réponses plus embrouillées. Les représentants de l’administration en rajoutent. Pas d’explication, des impératifs sortis tout droit des arrêtés pondus quelques mois auparavant par une administration délirante qui ne songe qu’à réglementer, réglementer encore, réglementer toujours. Protestation de la part de certains. Réponse : « Nous ne faisons qu’appliquer les règles et ne sommes pas responsables de leur contenu ». Dans notre pays de fonctionnaires tranquilles, personne n’est responsable d’une situation complexe, embrouillée parce que les responsabilités sont diluées, noyées entre diverses couches hiérarchiques, techniques, juridiques, organisationnelles, communicationnelles. Qui fait quoi ? Il est difficile de le trouver. Qui est responsable de quoi ? Impossible d’approcher la vérité.

Vingt minutes plus tard, le président redonne la parole à l’intervenant qui reprend son discours toujours aussi persuasif et inaudible. Nouvelle récréation, nouveaux débats. Intervention du président. Celui-ci cette fois-ci, prend un ton raide et comminatoire. Il se tient sur sa chaise très droit, tendu vers la salle, un doigt sur la joue pour donner du poids à ses remarques : elles sont réfléchies et doivent faire preuve d’autorité. Quelqu’un ouvre la bouche. Rien n’y fait. Le président a parlé. Plus personne ne parle, même pour dire quelque chose d’intéressant. C’est la démocratie participative dans laquelle la seule participation est la présence à la réunion.

Trois heures plus tard, épuisés de devoir tendre l’oreille, les participants se lèvent après la conclusion du président. On se dérouille les jambes, on se permet de parler d’une voix forte, on échange sur quelques points, on parle de la pluie et du beau temps, des champs gorgés d’eau, des routes encombrées de boue et de mille autres potins qui façonnent bien sûr une conversation entre gens d’un même lieu, mais qui se connaissent peu.

Vous montez dans votre voiture. Quelques gouttes de pluie s’écrasent sur le parebrise. Vous vous demandez ce que vous êtes venu faire à cette réunion. Dire que vous auriez pu courir la campagne et cueillir ce qui vous tombe sous la main, en toute simplicité.