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10/04/2014

La marche des hommes

De même que chaque homme est unique, chacun marche à sa manière, quasiment unique. Je ne l’avais jusqu’à présent pas remarqué vraiment.

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Hier matin, rentrant chez moi tranquillement, arrêté à un feu rouge, je regardais passer les badauds. Je vis un homme se déplacer sur le trottoir d’en face et me dis : « Tiens, quelle curieuse manière de marcher ! » Il avançait courbé vers l’avant comme s’il faisait face à un vent de force 5. Il n’avançait pas vite, mais il avait besoin de porte son poids vers l’avant pour pouvoir commencer à faire fonctionner ses jambes. Lorsqu’il s’arrêtait, il reportait son poids à la verticale comme tout un chacun. On savait le moment où il repartait. Il prenait l’attitude du coureur de 100m, avançait sa tête exagérément, laquelle entraînait le haut du corps jusqu’au moment où une jambe avançait automatiquement pour l’empêcher de tomber. Lorsqu’elle était en route, sa démarche était normale, sans à-coups, déroulant sa propagation avec raison. Mais comme était étrange cette attitude de pêcheur de crevettes pendant les grandes marées sous un vent de tempête.

Je reportais alors mes regards sur d’autres hommes cheminant sur le trottoir. Je souris, éberlué. Pas un ne marchait de la même manière. Tiens, regarde ce jeune homme. A chaque pas, il laisse tomber l’épaule opposé de quelques centimètres, puis la relève avant de laisser tomber l’autre en avançant la jambe opposée. C’est presqu’imperceptible, mais une fois qu’on l’a vu on ne peut s’empêcher de penser à un hochet à la surface de l’eau. Quelques mètres plus loin, je ne fus pas surpris de constater que l’inverse se produit également. Au lieu d’abaisser et de monter les épaules au rythme de sa marche, un autre badaud avance exagérément, et à tour de rôle, ses épaules vers l’avant, toujours au rythme de sa marche. Ah, mais bien sûr, c’est différent. Ce n’est plus l’épaule opposée qui fonctionne différemment. Cette fois, c’est l’épaule du côté du pied qui elle-même se porte avec vigueur vers l’avant comme pour aider la machine à fonctionner. Ce n’est cependant pas la démarche du baroudeur qui lui joue du buste et fait peur aux petits enfants. Ce n’est pas non plus la démarche de l’homme efféminé qui raccourcit volontairement ses pas, ce qui entraîne une symétrie obligatoire des épaules et ce mouvement non naturel, pointu et verglacé des clavicules. Non, c’est un tic imperceptible au premier regard, mais que l’on ne peut s’empêcher de contempler dès qu’on l’a remarqué.

Je m’amusais ainsi en cherchant l’erreur. Certes, tous les hommes ne sont pas remarquables dans leur démarche. Une bonne partie d’entre eux ne prête pas à redire. On n’y prend pas garde. Ils glissent le long des murs sans retenir l’attention. Ce ne sont même pas des fantômes. Non, ce sont les hommes normaux. Mais ils sont tellement normaux qu’on ne les remarque pas. Vous me direz qu’il existe d’autre manière de se faire remarquer qu’une démarche insolite. Oui, c’est certain. Mais ce jour-là, à cette heure-ci, c’était cela qui m’intéressait : comment fonctionne la carcasse du bipède qui marche dans la rue ?

Il est assez rare de voir des hommes dont les pieds se portent vers l’intérieur. Le mâle est stable par nature, c’est-à-dire projette ses pieds vers l’avant avec un léger angle du talon aux doigts de pied d’une vingtaine de degrés. Moins généralement, mais fréquemment, il attaque fortement le sol avec sûreté et même détermination. Vous allez voir ce que vous allez voir, affiche-t-il. Homme volontaire, prêt à affronter la vie à pleines dents jusqu’à ce qu’il s’en casse une en montant un trottoir.

Ce modèle perd cependant du terrain. La mode est à la nonchalance. On affiche une attitude j’m’en foutiste en conformité avec l’habillement : cravate dans la poche s’il en a une, chemise qui sort du pantalon dans le dos, voire slip, noir bien sûr, qui couvre encore chaque centimètre de peau (cela sera-t-il ainsi dans quelques années ?), baskets aux lacets dénoués rentrés entre le haut du pied et le tissu (mais est-ce du tissu ?) de la chaussure. La démarche est molle, fatiguée d’une journée qui commence à peine et qui s’annonce, à coup sûr, longue et peu exaltante. Ces jeunes hommes se reposent assez vite assis le long du trottoir, le haut du corps appuyé sur les murs sales, discutant avidement ou plutôt s’envoyant des invectives à voix forte ou encore riant fortement sans raison. Ils se font remarquer et c’est la seule forme de communication qu’ils connaissent, à l’imitation du comportement savant de l’Internaute en mal de reconnaissance.

Je ne ferai pas l’injure aux lecteurs d’une analyse psychologique de ces démarches et de bien d’autres. Cette analyse confine vite à la moquerie alors que ce passage soudain de l’inattention à la surprise d’un regard pointu est du domaine de l’impression. Et celle-ci prête à sourire, par pure poésie. Vous contemplez en rêve les humains en marche, ils glissent sur les trottoirs avec leurs petits tics gentils et vous font monter des bouffées d’amour pour cette humanité si drôle.

Mais… au fait… Je n’ai pas parlé des femmes, ni même regardé comment elles marchent. Ce sera probablement pour une autre fois. Et il y aura aussi beaucoup à dire !

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