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08/04/2014

Est-ce vrai ?

Cette photo (rephotographiée) se trouvait au 104 (Le CENTQUATRE-PARIS,  5 rue Curial 75019 Paris). Je ne me souviens pas quelles explications étaient données, mais elle me fit rêver. 

Pierre était un grand marcheur. Il adorait sortir en fin d’après-midi de son appartement, après s’être réconforté d’un sandwich et d’un verre de bière au retour du travail. C’était sa récompense d’une journée bien remplie. Peu lui importait qu’il pleuve, qu’il y ait du soleil ou même qu’il neige. Il partait et visitait la ville, jour après jour, jusqu’à en connaître les moindres détails. Il avait bien sûr exploré les nombreuses caves qui communiquaient entre elles par des tunnels et qui débouchaient sur d’immenses salles avec d’énormes piliers. Elles avaient été creusées quand il y avait eu, au XIXème siècle, un besoin important de pierres pour construire les immeubles. La pierre de gypse y était également exploitée, emplissant ces grottes artificielles d’une épaisse couche de poussière blanchâtre dans laquelle les pas s’enfonçaient. Il aimait marcher sans bruit dans ces couloirs sans fin, découvrant de nouvelles excavations, des blocs taillés et jamais extraits et même, au coin d’un tournant, de petites sculptures anodines faites par un carrier en mal de création. Il lui arrivait également d’explorer les toits de la ville. Il montait les escaliers d’un immeuble jusqu’à l’accès au toit par une lucarne qui s’ouvrait sur le ciel. De là, il marchait pendant des heures, montant ou descendant des échelles, sautant parfois une ruelle étroite pour poursuivre dans un autre quartier sans jamais remettre les pieds à terre. Il explorait aussi les jardins, petits ou grands. On y trouve toujours des coins inconnus, insoupçonnés du grand public que seuls les employés municipaux utilisent pour se reposer, boire un coup ou même faire une petite sieste après le repas.

Mais ce jour-là il marchait le long des trottoirs, dans les rues fraiches, mais pas trop, d’une soirée de mai. Rien ne semblait vouloir apporter une surprise dans cette flânerie sans but, dans le simple plaisir de sentir ses jambes aller et venir comme un métronome bien réglé. Le temps était nuageux, mais sans trop. Les personnes qu’il croisait parlaient entre elles ou se pressaient de rentrer dans leurs appartements. Aucun signe d’insolite ou de nouveauté n’apparaissait dans cette promenade tardive. Il lui restait deux heures avant que le soleil ne se couche et il se laissait aller en songeant à sa journée. Arrivé au bout de la rue qu’il suivait, dans une de ces carrefours assez rares en forme de T, il prit à gauche sans attention particulière. Le paysage changea subitement. Il se trouvait au bord d’un parc, voire même d’une campagne implantée dans la ville, dans une rue montant légèrement et dominée par une colline. Il y avait peu de passants, mais ceux vaquaient à leurs occupations sans souci. Tout était naturel. Il croisa un jeune garçon chaussé de patins à roulettes qui descendait en se laissant glisser. Au loin quelques personnes devisant suivaient le trottoir. Ils rentraient du travail. Une voiture descendait de la rue, à allure modérée, le conducteur un coude sur sa vitre ouverte, écoutant une musique pas trop bruyante, respirant l’air du soir. Rien ne semblait vraiment différent jusqu’à ce qu’il s’aperçut que les maisons n’étaient que des façades, droites, minces, raides, qui montaient dans le ciel et semblaient tenir debout par miracle. Derrière la porte d’entrée rien que la campagne, une grande prairie fauchée, verte, dans laquelle on avait envie de se coucher et de flemmarder. Quelle drôle de rue pensa-t-il sans encore comprendre l’illogisme de cette architecture urbaine. Il continuait à avancer de son pas entraîné, montant vers le jardin, heureux d’avoir découvert un nouveau havre de paix qu’il pourrait explorer plusieurs jours de suite. Certaines façades semblaient des logements, mais toutes les fenêtres étaient fermées et vides d’habitants. D’autres semnlaient plutôt des bâtiments techniques, voire même des sortes de petites usines. Aucun personnel ne se montrait, mais tout semblait normal, conforme à l’heure tardive, après la sortie des bureaux. Il fut cependant frappé par le silence qui régnait dans cette partie de la ville. Les sons étaient étouffés, la voiture passa près de lui avec un très léger ronronnement, pas de cris d’enfants, pas de ce brouhaha urbain qui est le lot de toute les cités. Un calme ouaté, comme le ralenti d’une musique que l’on devine, mais que l’on n’entend pas encore. Il continuait à monter vers la colline, pas à pas, avec cette démarche habituée au grand trajet, comme un automate bien réglé, sûr de lui, à l’aise dans ce paysage nouveau qui ne l’inquiétait pas encore.  Passant devant une façade, il poussa la porte d’entrée. Elle s’ouvrit avec d’un maigre grincement. Elle donnait sur une petite entrée, avec un escalier et même un ascenseur. Montant quelques marches, puis un étage, il regarda par la fenêtre. Du vert, de l’herbe, de la terre, un chat marchant sur la pelouse. Il monta encore un étage et soudainement fut frappé par l’absence de portes sur chaque palier. Un arrêt dans la montée de l’escalier, une fenêtre ouverte sur cette campagne urbaine, rien d’autre. Il redescendit dans une demi-obscurité et regagna la porte d’entrée. Rien ne semblait anormal. Il la tira et se trouva à nouveau dans la même rue comme s’il sortait de chez un ami après avoir devisé et bu un verre. Mais il n’y avait rien qu’un vide caché, inaccessible et oppressant.

Il se sentit brusquement fatigué. Il ne parvenait plus à respirer correctement et avançait avec peine. La montée devenait plus raide, plus laborieuse. Les maisons semblaient se pencher vers la rue, laissant voir leur arrière nu, vide, ouvert sur les parterres. Il eut un léger malaise. Il ne comprenait plus cette irruption dans un quartier inconnu, dans lequel les maisons n’étaient que des façades, les piétons des spectres. Même l’herbe lui semblait trop vertes, les trottoirs trop macadamisés, les lampadaires allumées trop étincelants, les arbres de la colline trop jaunies alors que l’on était au printemps. Etait-il tombé dans une faille du temps ? Il se souvint avoir lu une telle histoire, un déni de réalité faisant irruption dans le cours habituel des événements sans crier gare. Il dut s’assoir par terre, sur la marche d’une porte, le visage transpirant. Il ouvrit son blouson, respira fortement, puis ferma les yeux et s’endormit. La ville autour de lui continuait à vivre, au ralenti certes, mais rien ne semblait extravagant, ni même objet de curiosité pour les quelques promeneurs de cette soirée de mai.

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