Le poète fou (05/04/2014)

Cette nuit lui vint une idée farfelue. Comment faire côtoyer l’ensemble de règles concrètes et rationnelles devant régir la production poétique avec la réflexion esthétique c’est-à-dire la perception de la beauté ? C’est toute l’évolution poétique des XVIIIème et XIXème siècles. En effet, soit le poète met l’accent sur la règle et avant tout sur la rime, soit il écrit en vers libre et recherche les images plutôt que la forme. Comme il laissait encore errer sa pensée, et c’était bien normal en raison de l’heure, lui vint cette idée stupide : la rime est toujours à la fin de deux ou plusieurs vers, pourquoi n’y a-t-il pas de rime en début de vers ? Serait-ce plus choquant d’établir la musique des mots d’emblée plutôt que de la noyer dans le brouhaha de l’expression ? En musique, le plus souvent, la mélodie est exprimée de prime abord, puis modifiée au fur et à mesure du développement du génie du compositeur. Elle est courte, simple et donne la mesure de celui-ci.

Alors, essayons-nous à ces rimes à l’envers ! Il note d’abord que c’est plus simple à faire : lorsque la rime ne vient pas, il suffit d’ouvrir le dictionnaire pour trouver de nombreux mots qui commence par les mêmes sons : ainsi le mot abeille, poétique en soi, rimerait avec abécédaire, aberrance ou même abêtissant. L’image créée par la conjonction des deux termes manque certes d’attrait, mais on peut trouver mieux : loup, louvoyer, loufoque, louper, louer, louange, loupe, etc. En tentant de vérifier cette évidence de rime à l’envers, il en vint à chercher une strophe.

Il lui apparut aussitôt que ce n’était pas aussi simple que cela, parce que la plupart des phrases commence par un article : un, le, la, des, etc. Leur suppression laisse une impression bizarre sur la langue, comme un petit caillou dans un plat de lentilles. Il est certes possible de commencer par un verbe et d’en faire des injonctions telles que sautez… chantez…, mais cela limite déjà singulièrement l’usage de la langue française. Il aussi possible de commencer par un adjectif : lumineux était le soleil du matin. C’est une forme poétique assez courante, alors pourquoi pas ? On peut même aborder un vers par un nom : Crépuscule combien de poètes exploitent ton nom ! Mais tous ces subterfuges ne sont que des tromperies de langage. Comment parler d’images évocatrices en n’utilisant que ces formes désuètes ?

Pacte tenu un jour

Pactole assuré toujours !

Ah oui ! C’est une forme de langage qui convient bien au proverbe. Le vers frappe, mais s’agit-il d’une image poétique ? C’est moins sûr.

Il est encore possible de compliquer un peu cette réflexion. Un rime au début et à la fin d’un vers. Cela nécessite une gymnastique plus périlleuse, mais combien plus captivante :

Glauque est l’océan

Global le mécréant

Mais on reste dans le proverbe maquillé ou dans l’injonction désordonnée.

 

Là-dessus, il endossa le vêtement du sommeil

Lapidaire, il s’endormit en rêvant à l’abeille

© Loup Francart

07:27 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature, art |  Imprimer