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11/07/2014

L’absence de vision pour la France

Depuis plusieurs décennies les politiques sont devenus politiciens. Qu’est-ce à dire ? Ils n’ont pas de vision d’avenir pour la France, leur programme consiste en l’énumération d’un certain nombre de points, à la manière américaine, comme un marché à présenter à l’opinion pour être élu. Le passage du septennat au quinquennat a consacré cette indécision à choisir le style constitutionnel de la politique française.

Deux conceptions du pouvoir s’opposent. La première est celle de la politique ou politics pour les anglo-saxons. C’est le lieu des combats, des conflits, des divisions. La politique relève de la contingence. Elle n’est pas réductible à la lutte, car elle est aussi l’objet sur lequel le pouvoir porte ses préoccupations. La seconde est celle du politique ou policy : elle évoque le monde des essences[1] et est le lieu d’un discours rationnel, dégagé des contingences, sur le sens de l’évolution de la société.  « Le politique qualifie un certain arrangement ordonné des données matérielles d’une collectivité et des éléments spirituels qui constituent sa culture… Le politique est l’expression du groupe. [2] » Ce sont donc deux conceptions de la fonction présidentielle qui s’affrontent : une conception américain où le chef de l’Etat est acteur de la politique et en même temps visionnaire du politique, ou une conception européenne où la pérennité est assurée par un dédoublement des pouvoirs qui correspond aux deux aspects évoqués. La politique française flotte entre ces deux positions, sans choix, donc inefficace.

La thèse quinquennale est liée à celle d’un monde politique fondant sa décision sur le temps-espace ou la durée-mesure : la quantité est la norme décisionnelle au détriment de la qualité. Elle engendre l’immédiateté de la décision, l’emploi de la communication comme effet d’annonce, l’urgence de l’intervention politique dans tous les domaines et l’interférence normative et législative dans l’éthique et la vie privée. La thèse septennale et celle d’un monde où le rythme du vécu et de l’histoire est pris en compte pour instaurer la finitude dans la direction de la nation. Il s’agit d’utiliser le pouvoir non comme une succession de réaction aux événements, mais comme une durée finie pour mettre en place les éléments à la fois du changement et de la continuité.


[1]J. Freund, L’essence du politique.

[2]G. Burdeau, La politique au pays des merveilles.

02/05/2012

Le bien commun, ce que nous attendons d’un président

 

En ce lendemain du 1er mai qui avive les clivages français et à quelques jours des élections, il conviendrait de se référer à la notion de bien commun, telle qu’elle a été définie par Vatican II (Gaudium et Spes, 26) : ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée.

Trois points sont à souligner.

Le premier concerne le but du bien commun : Atteindre la perfection de la personne humaine, c’est-à-dire se réaliser pleinement, collectivement et individuellement. Certes, on doit se demander ce que signifie cette perfection. Est-ce l’avoir, ce qui signifie de gagner toujours plus d’argent, est-ce le pouvoir contre tel ou tel autre groupe, est-ce le savoir, avec la tentation suprême d’être maître du monde ? Ou ne serait-ce pas plus simplement, de manière plus évidente, être bien (en paix) avec soi-même et les autres par une juste répartition entre mes besoins et mes aspirations et ceux des autres ? Chacun de nous a une vocation particulière qu’il doit d’abord découvrir, accepter, puis contribuer à développer. C’est cette réalisation de soi-même, l’inconnu que le suis et que je dois construire, qui me conduira à la perfection. Et ne pensez pas que ceci est trop difficile. De nombreuses personnes y arrivent, qu'elles soient célèbres ou inconnues : les artistes, les chercheurs, les enseignants, les politiques même, tous ceux qui recherchent autre chose du travail qu’un simple moyen de survivre. Les métiers les plus anonymes sont également appelés à cette célébration : ouvriers, femmes de ménage, aides soignants, etc. Il nous suffit de chercher à bien faire ce que nous avons à faire.

Le second concerne le fait que cette réalisation de sa vocation concerne autant chaque personne que chaque groupe de personnes, qu’il s’agisse d’associations, d’entreprises, de partis, de syndicats ou de toutes sortes d’organisations publiques ou privées. Ces groupes peuvent être conçus pour défendre certaines catégories de personnes qui seraient lésées dans leur possibilité de s’épanouir librement, mais elles n’atteindront leur perfection que si elles agissent dans un juste milieu entre le bien individuel de ses membres, le bien collectif de leur groupe et le bien général de l’ensemble des groupes.

Enfin, le troisième point concerne les moyens employés, c’est-à-dire l’ensemble des conditions sociales, j’oserai même dire l’ensemble des conditions sociétales. Et c’est là la mission première du politique, organiser la société de telle sorte qu’elle donne à chacun la possibilité d’atteindre la perfection. C’est ce que nous attendons particulièrement d’un président : non pas qu’il défende un groupe contre un autre, la droite contre la gauche ou la gauche contre la droite, le public face au privé, le social contre le libéralisme. Cela signifie qu’il doit avoir une vision de l’avenir du pays, de la manière dont il peut lui faire atteindre sa perfection puisque le pays est lui-même un groupe, le groupe des Français qui veulent s’épanouir dans leur nation parce que celle-ci correspond à leur manière de voir le monde et de s’y réaliser.

 

Malheureusement cette campagne est triste, parce que focalisée sur les querelles et non sur la vision de ce que les Français veulent de la France dans cinq ans, voire dix ans. Quelle société recherchons-nous ? Certes, les candidats tentent de répondre à cette question par de grandes envolées lyriques ou non (la France forte, le changement). Mais qu’y a-t-il derrière ? Aucune réelle vision d’un avenir à construire dans lequel la France trouvera une place propre à elle-même parmi les autres nations.

 

 

15/03/2012

L’opinion publique

 

En ces moments d’élections, lorsque les médias s’enflamment journellement pour ces héros conspués qui se présentent au suffrage universel, il est important de savoir jusqu’à quel point le quatrième pouvoir exerce son influence.

Pour Alfred Sauvy, l’opinion publique est le for intérieur d’une nation, un arbitre, une conscience. L’opinion publique, cette puissance anonyme, est souvent une force politique, et cette force n’est prévue par aucune constitution [1].

On a longtemps pensé que les médias avaient un impact important sur l’opinion publique. La propagande, au milieu du XXe siècle, a largement utilisé ceux-ci pour influencer l’opinion. Il s’avère cependant, contre toute attente, qu'ils n’ont pas un impact aussi important que celui qu’on leur attribue en matière de formation de l’opinion.

Les expériences de laboratoire et les enquêtes sur le terrain ont en effet mis en évidence que la propagande portant sur des objets aussi différents que des élections ou le moral d’un ennemi produit peu de changement sur les opinions. L’image d’un auditeur passif auquel on fait ingurgiter des vérités prémâchées et que l’on peut manipuler aisément est fausse, comme l’ont clairement montré Paul F. Lazarfeld, Bernard Berelson et Hazel Gaudet à l’occasion de la première étude par panel d’une élection présidentielle (celle de 1940 qui opposait Roosevelt à Willkie) [2].

 

Dans la plupart des sociétés contemporaines, on peut distinguer cinq catégories d’influence :

§        Les décideurs qui sont ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique, administratif, judiciaire, militaire, policier, etc. Ils sont, dans les pays démocratiques, très sensibilisés aux réactions de l’opinion, doivent en tenir compte et sont parfois paralysés dans leur action pour cette raison. Dans le même temps, ils cherchent à faire évoluer l’opinion de façon à faire passer les réformes qu'ils jugent nécessaires, mais qui pourront être impopulaires.

§        Les leaders d’opinion sont ceux qui cherchent à faire valoir leur représentation du monde et leurs solutions aux problèmes de société. Il s’agit des chefs de partis politiques et d’institutions religieuses, des représentants de syndicats et de toutes sortes d’organismes fédérateurs ou d'associations. 

§        Les “ communicateurs ” ou professionnels des médias, qui tendent de plus en plus à se constituer en pouvoir autonome, indépendant économiquement, donc moins orienté politiquement qu’auparavant. Les anglo-saxons les appellent “ communicateurs professionnels ”, c’est-à-dire ceux qui maîtrisent une compétence spécifique dans la manipulation des symboles et qui utilisent ce talent pour nouer une liaison entre différentes personnes ou divers groupes. Pour P. Schaeffer, le communicateur remplit un rôle de médiateur, brisant la relation directe entre les décideurs et leaders d’opinion et le public. Il choisit parmi toutes les informations celles qu'il veut communiquer.       

§        Les instigateurs d’opinion, ou “ guides d’opinion ” pour les anglo-saxons, qui, in fine, modèlent l’opinion des membres du ou des groupes auxquels ils participent. Charles Horton Cooley, puis plus tard, Elihu Katz et Paul F. Lazarfeld ont fait ressortir l’importance de leur rôle. Ils servent de filtre entre les médias de masse et le reste du groupe (théorie du « Two steps flow of communications »).

§        Les groupes primaires, qui jouent également un rôle important dans la formation de l’opinion en raison des phénomènes de conformité et d’obéissance qu’ils fédèrent ou encore des phénomènes de déviance suscités.

Les opinions et les attitudes d’une personne dépendent en fait de celles de son environnement social. On ne peut pas vraiment parler d’influence, mais plutôt d’un processus qui lui permet de choisir entre la réalité objective et la réalité sociale constituée par les opinions de son entourage.

 

[1]  Alfred Sauvy, L’opinion publique, Que sais-je n° 701, Paris, Presses Universitaires de France, 1971, p.6.

 

 

[2]  Paul F. Lazarfeld, Bernard Berelson et Hazel Gaudet, The People Choice, New York, Columbia University Press, 1948.