Mont Saint Michel (03/03/2012)
Quel jour curieux : brume et soleil, obscurité et lumière, caché et voilé, le noir et le blanc, le silence et les bruits ! En quelques instants tout change. Perdu ou sauvé, dans une inconsistante bataille entre le paradis et l’enfer, nous avançons dans le froid relatif à la rencontre du rocher, énorme bloc que l’on ne voit pas, qui nous submerge cependant de sa hauteur. Il apparaît tout à coup, et sa silhouette magique s’imprime sur nos rétines, inoubliable.
C’est un voyage entre terre, eau et air, aérien, léger comme le vol d’un oiseau et pourtant les pieds dans la boue, collante, ferme et glissante à la fois. Le regard ne sait plus ou s’accrocher. Les couleurs se fondent, se confondent, s’effondrent même là où la marée, qui commence à remonter, creuse le sable de longs sillons profonds. Votre corps se dilue entre ces trois éléments, vous vous sentez entraîné avec la montée des eaux, enrobé de grains de sable, et vous gardez les yeux ouverts sur ce trait incertain qui marque l’horizon, comme un noyé regarde une dernière fois le ciel avant de sombrer dans l’abîme. Tout est pâle, atone, ouaté et peu à peu votre cerveau lui-même ne réagit plus, vos yeux se voilent de ce blanc qui envahit tout. Le regard du fiancé le jour du mariage qui voit le monde à travers le voile immaculé de sa promise. Quelle éblouissante vision !
Mais il faut bien avancer, monter à la rencontre du vaisseau qui ouvre ses flancs aux touristes tout en restant impavide et serein. Entrée encombrée de chinois, jeunes, riant, se bousculant, heureux de voir cette merveille, même s’ils n’en saisissent pas forcément le sens. Nous découvrons même, le comble du tourisme chinois, une échoppe, tenue par une chinoise, bien sûr, qui vend le mariage chinois, façon française, au Mont Saint Michel. Comme ils ont l’air heureux ces chinois qui viennent en France vivre le rêve de leur vie dans cette petite île, entre ciel, mer et terre, et contempler leur ascension dans les yeux de l’autre !
Alors nous prenons par les remparts pour éviter l’agitation commerciale de la rue principale, seule, unique, pavée de cartes postales, de bonbons et de colifichets multiples, inqualifiables, luisants et colorés. Ecrasés par la masse énorme de l’abbaye qui sans cesse se rappelle au pèlerin, nous montons dans cet enchevêtrement de maisons, un peu comme les pèlerins de la cathédrale de Chartes qui progressent à genoux sur le dallage du labyrinthe.
Nous n’entrons pas dans le temple de pierre : trop de gens sortis d’eux-mêmes. Nous préférons en faire le tour par le dédale des ruelles et toujours, en levant les yeux, sentir la main de Saint Michel caresser nos rêveries enfantines.
Retour à l’horizontale et première vision du rocher en entier, altier et délicat, comme un veilleur au cœur des troubles humains.
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