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04/08/2019

Locédia, éphémère (15)

Chapitre 5

 

Un jour, pour lui faire connaître mon métier, je décidais d’aller avec elle aux courses mécaniques. Après un long glissement sur une autoroute aux tournants multiples, nous nous arrêtâmes dans un champ parsemé de pancartes. En regardant la couleur du ticket d’entrée et le logo qui y figurait, nous avions trouvé notre emplacement, sous un arbre bleu aux feuilles racornies. Prenant nos jumelles, nous avions parcouru à pied les derniers mètres avant de nous retrouver assis sur une tribune glissante et mal commode, mais qui sentait le cheval, nous étions au courses, la rose, en raison des nombreuses femmes qui s’y tenaient, et les billets de banque, le jeu étant la principale motivation de ceux qui assistaient aux courses. Au loin, très loin, on distinguait des groupes de chevaux mécaniques, caractérisés par les mouvements saccadés de leurs membres et l’accompagnement chaotique de leur jockey. A la manière d’Edgar Degas, les chevaux piaffaient sans suffisance, attendant le départ, laissant aux cavaliers le temps de les ressangler. Instant de paix, dans la lumière rasante d’un soleil maigre laissant apparaître les cheminées d’usine à savon crachant une fumée vert pâle se confondant avec les nuages bleutés de l’horizon.

Pour cette circonstance, tu avais mis ton grand chapeau de paille rouge passé. Tu l’avais placé légèrement sur ton oreille gauche, comme un oiseau vacillant et tu le retenais avec ta main légèrement posé sur son rebord. Debout dans la tribune, grandie par l’ombre de ta coiffure, tu impressionnais les parieurs qui avaient déjà joué et attendais le départ. Point de mire, tu souriais et te remplissais de ces regards hésitants, comblée de cette convergence oculaire et des désirs secrets que cachait assez peu l’attitude des hommes. Pour cette première course, tu n’avais pas souhaité parier, mais simplement te repaître des couleurs, des mouvements, du bruit feutré du galop, des cris de la foule excitée.

03/08/2019

Influence

La proximité du sage rend sage et celui qui traîne le mal derrière lui le diffuse.

Chaque homme, comme chaque atome de matière, possède son propre champ d’influence qui se fait sentir sur ses proches. C’est pourquoi il est des gens qu’il faut fuir, malgré les obligations sociales, quand on ne se sent pas prêt à être plus fort qu’eux.

02/08/2019

Humanité

L’homme est un être à multiples facettes

Certains se content de ce qu’ils ont
Et s’inquiètent peu d’un au-delà
Ils exploitent ce qu’ils connaissent
Et tentent d’en tirer profit, en bien ou en mal

C’est déjà beaucoup leur demander
Ils s’efforcent d’acquérir du savoir
Accumulant les briques dispersées
Et les restituant pour s’affirmer

D’autres, moins tenaces et ardents
Se laissent vivre sans autres préoccupations
Ils glissent sur leur vie sans espoir
Ne cherchant que la satisfaction immédiate

Pour ceux-là, il n’y a ni bien ni mal
Et il leur faut des règles précises
Pour canaliser leurs impulsions changeantes
Qui les conduisent au trou noir de la fin

Quelques-uns sont des Cocottes-Minute
La pression et l’ébullition les conduisent
Ils ne cessent d’explorer l’inconnaissable
L’esprit aux frontières de l’existence

Certains choisissent un savoir à explorer
Les dieux les aident en les guidant
D’autres une connaissance à approfondir
Ou encore à élargir en permanence

D’autres encore, laissent l’intuition
S’emparer de leur être vide d’érudition
Et élucubrent des morceaux de création
Sortis tout droit de leur bouillie quantique

Seuls, quelques êtres baignent dans la lumière
Ils n’ont ni règles ni méthodes formelles
Ils vont dans l’inconnu et tendent leurs voiles
Pour explorer le soi, l’univers et l’infini

Ainsi avance le monde de la noosphère
Se raccrochant au monde physique
Espérant un monde spirituel
Qui toujours sera à découvrir en solitaire

©  Loup Francart

01/08/2019

Enjambement

Froideur, glaciation

Surfant d'une pierre à l'autre

Où doit-il sauter ?

 

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Il tomba dans l'eau

31/07/2019

Locédia, éphémère (14)

Après avoir dégringolé les marches en m'agrippant tant bien que mal au tapis rouge, je découvris un nouvel escalier au fond d'une cour. Ce n'était d'ailleurs pas une cour, mais un trou creusé dans la masse de l'immeuble, un de ces trous évidés avec une bêche bien carrée, semblable à ceux que font les jardiniers pour planter une fleur particulièrement rare. Sur la droite s'ouvrait une porte basse, vétuste, qui contrastait avec le reste de la maison. Je cherchais désespérément la minuterie, tâtant de la main gauche un mur froid et lisse sur lequel parfois une aspérité granuleuse me faisait frissonner. Je m'enfonçais un peu plus dans l'obscurité pour ausculter la partie droite voilée par la porte. Rien, sinon une désagréable sensation de poussière poisseuse à l'extrémité des doigts. Alors, d'un pas hésitant, parallèle au sol, j'avançais du bout des pieds à la recherche d’un escalier. Les mains tendues vers l'avant, je touchais d'abord le fer rugueux de la rampe avant de sentir la plinthe de la première marche. Hésitant, ne pouvant juger la hauteur de cette ébauche d'escalier, je levais exagérément l'autre jambe avant de porter mon poids vers l'avant. La désagréable sensation d'une chute à demi-consommée, me fit prendre plus de précautions pour les autres marches. Bien m'en prit d’ailleurs, car elles n'étaient pas toutes de la même hauteur, ni de la même largeur. A l'arrondi de la rampe, je traçais consciencieusement avec mon corps une courbe parallèle guidée par la longueur constante de mon bras tendu. Une légère lueur en face de moi et l'interruption de l'enchevêtrement de marches me fit comprendre que j'avais atteint le dernier étage. Une fenêtre sale et deux portes de bois vernis, sans plaque, clôturaient le palier, le dernier côté étant occupé par un nouveau départ de l'escalier. J'écoutais à travers chaque porte, docilement, tout en ayant l'impression que ce ne pouvait être là que tu habitais. L'odeur de cire moite mêlée à des effluves de cuisine était incompatible avec la tiède chaleur de ton corps dont je m’étais imprégné au cours de nos rencontres. Je montais plus vite les autres étages, habitué à l’irrégularité de leur découpage. Arrêt, quête sourde d'un bruit indiquant ta présence. Voix de femmes, voix d’hommes ou d’enfants dont aucune ne pénétrait jusqu'à l'endroit où se cache dans ma mémoire le souvenir de tes paroles.

Maintenant même, quand je pénètre dans ce musée respectable et fou qu'est le souvenir des sons et des voix, je n'arrive pas à en extraire la sonorité juste d'un mot que tu aurais prononcé. Je cherche un de ces mots qui retiennent l'attention au cours des conversations, un mot clef qui envelopperait le souvenir et me donnerait le premier maillon de la chaine des consonances de ton langage. Je n'en trouve pas. Peut-être même en trouverais-je un, serait-il le même que celui que tu as prononcé et posséderait-il les mêmes vertus rythmiques et sonores ?

Descente folle de la lumière à l'obscurité, freinée progressivement par la densité de l'ombre jusqu’aux dernières marches hésitantes. A nouveau la nuit ouverte dans le corps de l'immeuble. Je tirais péniblement la porte de chêne avant de retrouver le soleil et les rumeurs de la rue, avant de me défaire de l'odeur de la poussière, avant de longer le square encombré de grillages, de gravier et de ronds en ciment, avant de descendre lentement vers la vieille ville. Quand te reverrai-je ?

30/07/2019

Rendez-vous

Un sourire, puis départ sans un regard
Qu’a-t-elle à dire à cet homme ?
Mais, elle a souri tout de même
Avec douceur, presque tendresse
De ses lèvres charnues
Il la suit des yeux, tremblant quelque peu
Elle le sait, mais n’en a cure
Il la suit sans la regarder
Elle l’observe sans dire mot
Ils marchent vers la colline
Où un seul arbre règne,
Les branches basses et veloutées
Elle avance comme une reine
Et entre sous les frondaisons
Il n’ose s’approcher, puis fait un pas
Il la contemple derrière le feuillage
Elle pleure sans un tressaillement
Les larmes la mouillent
Elle lui sourit
Il fait encore un pas
Elle lui tombe dans les bras
Ce jour-là, ils n’allèrent pas plus loin
Mais le lendemain, elle n’était plus là
Il lui fallut une année
Pour ne plus venir l’attendre

©  Loup Francart

29/07/2019

Pénétration ?

La vue se trouble

Points et traits organisés

Pénètre au-delà !

 

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28/07/2019

Absence

Un simple bout de papier
Une mince feuille qui vole
Et le voilà parti
Dans les rêves les plus fous

Rien ne l’en fera sortir
L’œil fixe, enrobé de douceur
Il laisse ses mains jouer
Et ses pieds batifoler
Sa tête est ailleurs
Dans les champs et rivières
Elle rêve d’elle-même
Et se regarde vivre

Cela lui plaît, cette vie désincarnée
Il vit d’ailleurs plusieurs vies
Et se contemple sur toutes ses faces
Luisant comme un paon
Attaché à ses personnages de verre
Plus bouillonnant qu’un volcan
Et fragile comme une poupée

Avance donc dans la folie
Marche sur tes chaussures
Cours dans ta tête ébranlée
Fais de ton être entier
Un hommage à l’humanité

La folie m’a rattrapée
Plus rien ne me sauvera
Que la contemplation de l’absence
Et la découverte de l’autre

©  Loup Francart

27/07/2019

Locédia, éphémère (13)

Au troisième étage, après une montée plus pénible, je m’arrêtais sur un palier incliné vers une porte basse d'où s’échappait la rumeur aigrelette d’une voix de femme troublée par le sourd bourdonnement d’un homme. Elle est là. Tu es là et tu n'es pas seule. Tu es là, si près de moi que je sens déjà le grain souple de ton bras. Tu parles. Tu ne me regardes pas. Tu ries et ton rire me transperce. Tu ne ries pas pour moi, tu ries pour l’inconnu, un bourdon qui tourne autour de ma tête, me pénètre les oreilles et grignote ma raison. Pourquoi cries-tu tout à coup ?

Non, ce n’est pas toi. Tu ne cries pas ainsi. Tu cries pour rire, pour faire du bruit et rompre l’enchantement. Une autre femme est là. Elle a crié, juste assez pour que je l’ignore. On ne peut pas s’intéresser aux cris des gens.

Je repars, je reprends ma quête ascendante. Cinquième étage lentement révolu. J’aborde le sixième. D’un coté, à droite, une porte peinte, bien pleine, bien fermée, cloisonnée entre ses murs. Tu ne peux habiter là. De l’autre côté, à gauche, un linteau de perles ouvert sur l’obscurité. Je cherche en vain le bouton d’éclairage. Après quelques instants, je distingue le départ d’un nouvel escalier, plus étroit, plus bancale, écrasé entre deux murs tachés de gris. Il ne sent pas la cire. Il dégage une vieille odeur de grenier, une odeur de bois vermoulu, poussiéreux, usé par les chaussures. Il tourne aussi, mais s’enroule en fait à l’extérieur de la cage du premier escalier. Beaucoup plus raide que l’autre, il monte vers un corridor éclairé par une vitre posée à même le toit. Ce corridor serpente à son tour dans les recoins du grenier transformé arbitrairement en chambres dissymétriques et bossues.

Ne m’avais-tu pas dit une fois que ta chambre était minuscule, si petite qu’il fallait s’asseoir sur le lit pour écrire sur la table, s’y agenouiller pour faire sa toilette. Ne m’avais-tu pas dit que le plafond était fait de fentes multiples, de recoins, de méplats, d’ombre et de clarté. Je t’imaginais épousant de ton corps les aspérités du plafond, comprimée par l’épaisseur molle du lit, rampant maladroitement vers la seule issue possible, une petite entrée découpée au creux d’un mur. La table, le lit, le lavabo cernaient la porte et interdisaient son ouverture. Le rêve s’arrêtait là. La suite devenait sans importance, perdait son intérêt à côté de tes efforts désespérés pour glisser entre les aspérités du plafond. Qu’importait l’aboutissement. Seul me passionnait l’effort, la lutte contre les murs, les petites gouttes de transpiration qui perlaient au-dessus de ta lèvre supérieure, le désordre de tes cheveux.

Je cherchais ta présence derrière chaque porte grise, anonyme, semblable aux autres. Je guettais le son d’une voix féminine, l’odeur de ton parfum, la résonance de tes pas. Le corridor était revêtu de carrelage rougeâtre, lui-même emmitouflé dans une épaisse couche de poussière élimée vers le centre, à l'endroit où les pieds s’impriment.    Les tuiles laissaient s’écouler les gouttes de pluie qui formaient à certains endroits une sorte de mare dans le paysage poussiéreux et inégal du carrelage. On y marchait avec répugnance au début, puis avec volupté, le tapis moelleux de la poussière envoûtant la réception des pas. De la main, je suivais le cheminement inégal des murs, m’arrêtant plus longuement devant l’encoignure des portes, y cherchant une plaque, une carte de visite, un bout de papier portant un nom. J'eus vite parcouru les deux extrémités du couloir fermées sur un mur à la peinture écaillée. Rien, tu n'étais pas là. Si encore je connaissais ta porte. Pourquoi n’y as-tu pas laissé un signe ?

26/07/2019

Vie

 

Insuffisance de la pensée :

Nécessité de l’action, c’est-à-dire de la vie.

L’amour est l’expression la plus forte de la vie.

 

25/07/2019

La déité

La déité ne proclame pas
La déité ne livre pas bataille
La déité n’explique pas
La déité ne dit mot
La déité n’est pas du monde

Et pourtant...
Elle Est

Elle est la bise qui te berce
Elle est la vague qui t’emporte
Elle est celle qui t’embrasse
Elle est celui qui t’enseigne
Elle est l’enfant qui te tend la main
Elle est le vieillard qui te conseille

Elle est pouvoir sans vouloir
Elle est connaissance sans savoir
Elle est agir sans mouvement
Elle est amour sans désir

La déité n’a pas de nom
Mais elle sait tous les noms
La déité imprègne l’univers
Mais elle n’est pas du monde

La déité est le vide
Qui emplit le cosmos
La déité est la force
Qui créa la matière
La déité est le mouvement
Qui engendre la vie

La déité est le tout
Qui est en tout
Mais qui est hors du tout

La déité est le rien
Qui n’est ni ici ni maintenant
Et qui ne se dévoile à l’être
Que s’il s’oublie lui-même
Hors de l’étendue et de l’instant

©  Loup Francart

24/07/2019

Zéro

« Chaque nombre, jusqu'à l'infini, a jailli de 1 et, par conséquent, de 0. En ceci réside un profond mystère ».

Codex des moines de l'abbaye de Salem, fin du XIème siècle

 

 

Quel est le premier des nombres: le Un ou le Zéro ?

On pourrait penser bien sûr que c’est le Un. Le Un est un monde à lui seul. Il englobe une totalité. Il fait passer de la physique à la métaphysique, de l’individu à la personne, de la matière à l’esprit.

Le Zéro n’est rien. Il est vide, non qualifiable et non quantifiable puisqu’il n’existe pas. Pourtant l’homme l’a conçu, de même que l’infini qui est le tout du monde connu et inconnu, mais seulement materiel. Le monde spirituel n’est pas englobe dans cette comptabilité. Il est au-delà, dans la rencontre du moins et du plus, non pas par le zéro, mais par un nombre qui réunit les contraires en les conciliant et non en les opposant.

Alors, et alors seulement, le Zéro devient créateur du Un et du monde matériel, comme l’a démontré le mathématicien Cantor.

23/07/2019

Locédia, éphémère (12)

Chapitre 4

 

Ce soir-là, j’étais revenu à Cipar. Elle était absente depuis longtemps, Partie, son absence m'avait paru moins pénible, car j’oubliais peu à peu les lignes de son visage et, seul, parfois, le toucher d’un fruit mûr ou celui du velours de mon couvre-lit me rappelait sa présence. Chaque objet prenait alors un visage nouveau, une transparence compréhensible, qu'il ne possédait pas habituellement. Je découvrais sous le vernis sale qui les recouvre en permanence, une sonorité cristalline, une réalité invisible. Ils ne communiquaient pas à mon regard un nouveau pouvoir, mais tous mes sens se trouvaient soudainement aiguisés par cette réminiscence.

Debout elle se grandissait sur les jambes à la manière des héros de western et, laissant pendre ses bras, les épaules en arrière, elle se tournait vivement vers moi. Cette brusque volte du haut du corps entrainait les bras en un geste inarticulé, comme le pantin de carton bouilli qui refuse la dictature des ficelles. Alors elle riait en rejetant ses cheveux sur le dos, la gorge tendue et ses mains se levaient lentement pour enfin étouffer ce rire, un rire que j’attendais et qui chaque fois ne gênait. D'autres fois, elle tendait l’arc renversé de son corps et prenant ses seins à pleines paumes, elle déclarait, mi-rieuse, mi-sérieuse :

_ Ils sont beaux. Ne suis-je pas belle ? Et je souriais de cette adoration qu'elle portait à son corps.

_ Je veux te séduire, disait-elle encore on se penchant vers moi les yeux fermés et les lèvres offertes. Mais si je profitais de cette offrande, elle m'accusait d'abuser du fait qu'elle avait les yeux clos pour l’embrasser.

Où donc est la vérité ? Se moquait-elle ? Se contenait-elle ? Ce soir-là, elle s’est absentée si longtemps.

Je l'avais cherché dans la ville. Elle avait dû partir en voyage avec des gens qu’elle avait rencontrés au hasard de ses promenades. Elle n'appréciait la compagnie que de ceux qu'elle ne connaissait pas. Quand elle les connaissait vraiment, elle ne voyait plus que leurs défauts et souvent leur qualité première se métamorphosait en défaut exécrable pour elle. Aussi partait-elle à la découverte des êtres et cueillait-elle dans ce jardin anatomique de grandes brassées d'amis qui se fanaient plus ou moins vite selon la saison et son humeur. Si les fleurs savaient seulement empêcher qu’on les cueille au lieu d'offrir leurs longues tiges aux mains.

Je ne connaissais que le numéro de la rue et celui de la maison qui se dressait dans un des quartiers de la ville haute, émergeant au soleil. Promenade au long de murs de pierres blanches, des portes cochères vernies sous l'écrasant éclat du soleil de l’après-midi. Difficile pénétration de l'ombre derrière la porte de bois. Une lueur diffuse se propageait des fenêtres bancales de la cage d’escalier. Celui-ci s'entortillait sournoisement autour de murs lisses et les marches étaient si grandes que je devais m’y hisser à l’aide du tapis rouge dont les plis me servaient de point d’appui. La rampe de fer forgé tenait miraculeusement par quelques volutes de métal qui prenaient appui sur les marches. L'odeur de la cire envahissait le moindre recoin de celles-ci et les rendait glissantes. Les premiers étages étaient facilement accessibles et je guettais en équilibre sur une marche les bruits qui pouvaient passer au-delà des portes. Mêlés aux battements de mon cœur et aux halètements retenus de ma respiration, je percevais l’agitation des cuisines, le repos de vieux meubles dont les os craquaient de temps à autre, la criarde mélodie d’un poste radio à travers l'épaisse cloison intérieure, une rumeur de marée où se distinguaient les chants des naufragés. Certains dessous de porte renflouaient une odeur de rôti, d’autres le parfum inconnue d’une femme que j’imaginais dans ses gestes quotidiens, grande et blonde, ou peut-être rousse.

22/07/2019

Valentine

La course du temps a de bien doux effets
La hanche s’arrondit, le sein se raffermit
L’adolescente se contemple, stupéfaite
Et n’ose regarder les courbes de ses amies

Ce passage si bref, de l’enfant à l’adulte
Se laisse enjoliver d’épines et de roses
Aujourd’hui, elle tente de vouer un culte
A ceux qui passent des caresses à la chose

Osera-t-elle braver l’opprobre du monde
Et chanter la liberté de l’immonde
Au bénéfice de ses jambes mutines

Au dernier moment, elle se referme
Et s’éloigne du tremblement de l’épiderme
Ce sera pour plus tard, Valentine

 

poésie,écriture,littérature,poème

©  Loup Francart

20/07/2019

Lever de soleil

L’œil pointe son nez

va-t-il vouloir se cacher

plus haut dans la ouate

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19/07/2019

Unique ?

Profondément dépendant du reste de l’humanité, de plus en plus dépendant de la matière ambiante, l’homme ne peut plus chercher à lutter en tant qu’individu unique, constituent un tout indépendant. Comme la matière a tendance à se complexifier en molécules plus élaborées, l’homme dans son ensemble est soumis à la même évolution. Il doit en prendre conscience, non pas sur le plan d’un savoir intellectuel, mais en lui-même et doit s’efforcer d’orienter sa volonté individuelle dans le sens d’une clairvoyance de la volonté collective.

17/07/2019

Locédia, éphémère (11)

_ Alors, écoutes bien, car c'est là qu'est le drame, j'avais faim. Je n'avais rien pêché depuis huit jours, j'avais livré combat, j’avais vaincu et j'avais faim.

Je suis descendu dans la cale et j'ai coupé un morceau de solitude. Bien sûr, c'était un petit morceau. Il n'en faut pas beaucoup d’habitude pour nourrir un marin. Et j'ai mangé la solitude, je l'ai dévoré à pleines dents, je m'en suis barbouillé les mains, les joues, le nez. J'ai respiré son odeur, j'ai gouté sa chair mauve. Et j'avais faim et j'ai repris un morceau de solitude.

J’avais faim et je me suis déchiré les dents sur mon filet, écorché les mains sur les mailles. J’avais encore faim et j’étais prisonnier du filet. J’étais devenu la pelote, le cou, les mains, les jambes, les pieds prisonniers de chaque trame, de chaque nœud.

Alors l’esprit de la solitude m’a parlé. Il a tourné le treuil que j’avais tourné, il a refait en sens inverse les gestes que j’avais faits, il m’a élevé dans les airs, je suis passé de l’obscurité de la cale à la lueur de la nuit. J’ai franchi le pont ou j’avais marché, le bastingage sur lequel je m’étais appuyé, les hublots de la cale d’où j’avais contemplé l’océan.

Il m’a pénétré de l’eau froide, il m’a dénoué du filet, il m’a déshabillé de sa trame et m’a laissé seul dans le froid, le noir, le silence en riant. »

Pourquoi ce récit m’a-t-il autant impressionné ? Étais-ce l’air de sincérité malheureuse du marin, le langage qu’il avait employé et qui n’avait pas manqué de me surprendre ? Toujours est-il que je suis sorti fatigué du bistrot et que je dus m’appuyer sur un des piliers de fer qui empêchaient la chaussée de suivre la pente vers le fleuve. Après quelques instants d’hébétude passés à contempler les taches de rouille du pilier, j’ai descendu lentement les marches de l’escalier vermoulu. Ses marches étaient à l’envers, mais comme deux marches à l’envers font une marche à l’endroit, on n’avait aucun mal à l’emprunter, si ce n’est qu’on descendait deux fois moins vite.

Je me suis promené le long du fleuve comme ce jour où je suis venu pour la première fois te voir à Cipar. Non, ce n'était pourtant pas la première. C'était lors d'un de tes retours de voyage, quand tu m'avais téléphoné alors que je croyais que tu m'avais oublié. Tu devais rentrer incessamment et cet incessant retour avait duré, duré des semaines ou des mois. J'entends encore le son de ta voix dans l'appareil. Je devais le presser un peu contre l'oreille, car le bruit environnant couvrait tes paroles. « Salut.  Je suis revenu, disait-elle. J'ai envie de te revoir. Tu me manques beaucoup. » Je reconnaissais ta voix au timbre musical de l'appareil dont la plaque vibrait patiemment avant de cesser sa plainte. Je ne comprenais plus ce que tu disais, attentif simplement à recueillir ces tressaillements rapides de la plaque vibrante qui transmettait ta voix. « Locédia, j’arrive et pose mes lèvres à cet endroit du cou où se forme un creux de chaleur tiède. »

16/07/2019

Attention

Une extrême attention, l’œil rivé à la ligne,
Il ne pense qu’à ça, le cerveau pétrifié.
La ligne est son guide, même si curviligne.
Elle fuit à l’horizon, jusqu’où va-t-il aller ?

Il fit ainsi le tour d’un monde artificiel,
Entraîné par l’élan d’une droite sans fin
Qui reste toujours une, ô jamais plurielle,
Avenir solitaire jusqu’à l’étrange fin.

Et pendant ce temps-là, d’autres peintres concourent,
Penchés sur la ligne, préparant leur discours,
Ils oublient la droite et entament le cercle.

Est-il vraisemblable que l’homme tourne en rond,
Que le ciel l’enferme tel un tâcheron,
Le contraignant à mourir derrière un couvercle ?

©  Loup Francart

15/07/2019

toujours la peinture !

Celui-ci est réalisé à Paris. Il est presque fini, mais mérite encore quelques améliorations.

 

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14/07/2019

Chiffres

Les chiffres ont-ils une qualité ?
1 homme ou 1 femme ont-ils la même valeur ?
2 hommes ou 2 femmes sont-ils égaux à 1 homme plus 1 femme ?
Finalement, leur somme est-elle toujours égale à deux ?

Les esprits malins prônent l’égalité
Mais l’égalité suppose les mêmes qualités
Et celles-ci n’ont pas la même valeur
Selon les différences de nature
La dualité induit-elle une trilogie
Ou celle-ci ne reproduit-elle qu’une face du dualisme ?

Il réfléchit longtemps
Et ne sut rien produire
1 + 1 est toujours égal à 2

Elle rêva longtemps
Attendit patiemment
Et fit un miracle
1 + 1 égal 3

Les chiffres ont bien une qualité
Mais celle-ci n’a rien à voir
Avec la comptabilité

©  Loup Francart

13/07/2019

Locédia, éphémère (10)

J'avais soif de la poussière de la basse ville qui enduit les chaussures d'une légère couche blanchâtre et frappais à la porte d'un bistrot pour m'en débarrasser. C'était un de ces bistrots crasseux de la vieille ville, surmonté de charpentes de bois mal équarries, aux vitres jaunes de poussière et parfois remplacées par un morceau de carton découpé dans un vieil almanach. Dans la rougeur vaporeuse de la pièce, je distinguais du bout des doigts le bar vertical et rigide où les clients s'étendent pour consommer. Il était muni de petits accoudoirs et d’oreillers en cuivre mat pour le rendre plus confortable. Au plafond, sur la passerelle métallique, trônait le patron à la tête de ses robinets. Il y en avait de toutes les formes : carrés ronds, coniques, à tête de bélier, à tête de loup ou à tête d’épingle. Sous chacun d'eux luisait un petit voyant rouge dans la transparence duquel se lisait le nom des boissons. Appuyant sur un des boutons du pupitre de commande après avoir introduit une pièce et tournant le doseur sur petites giclées, j'attrapais avec la bouche le tuyau à bec chromé descendant de la passerelle et savourais lentement le breuvage rafraichissant.

Désaltéré, je pus regarder autour de moi les rares clients étendus sur les bars. Parallèlement au mien, à trois mètres environ, coiffé d’une casquette verte et décolorée, déglutissait un marin. Je l'enviais un peu d'avoir atteint ce stade de la soif où le patient tente de boire l'atmosphère à grands gestes de possession. Je n'osais pas trop me pencher vers lui de peur d’être aspiré par le lobe de l'oreille dans un de ses mouvements. Mais voyant que je m'intéressais à lui, il tenta de m'aborder au prix d'efforts immenses pour déplacer l'air et attirer mon bar. Je me tournais promptement vers le tuyau chromé pour aspirer quelques giclées bienfaisantes en poussant vers la droite la poignée du doseur. A travers le périscope du bar, le marin apparaissait allongé, ténu, déglutissant, la face ravagée par l'ennui. Il avait visiblement envie de parler. Je tournais vers lui le pavillon du bar et lui fis comprendre du regard que j'étais prêt à l'écouter. Il parla d'une voix altérée par la déglutition en entrecoupant son récit de fréquentes lampées sur le bec chromé.

_ J'ai vu la solitude. Je la tenais dans mes filets, étendue mauve, molle, secouée par les flots, abandonnée par sa force. Je la tenais prisonnière et mon cœur éclatait en rires. J’ai mis toute mon âme à fermer le filet. J’ai plongé dans l’eau verte à côté de la forme mauve. J'ai pris un bout du filet et nagé pour chercher l'autre bout. J'ai tourné ainsi trois fois en plongeant pour bâtir ma pelote de mailles, une pelote ronde, mauve et molle. Quand j'eus bien fermé la pelote, je remontais sur le bateau, je manœuvrais le treuil, j'attachais le câble au filet, j'ouvrais les cales au centre du bateau et y déposais la pelote dégoulinante d'eau. Épuisé, je me couchais sue le pont et sombrais dans un sommeil profond.

12/07/2019

Et ce n'est pas fini

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Et ce n'est pas fini !

11/07/2019

Mozart : Concerto pour piano et orchestre n°9 "Jeune homme" joué par David Fray

Toujours la même fraicheur, le même entrain

 

10/07/2019

Silence

Peu à peu, le silence l’envahit
Un rien d’absence, une note grêle
Résonne dans la folie du monde
Le ventre de l’obscur se dévoile

Chape de plomb sur les têtes
Pas un mot plus haut que l’autre
Sa majesté passe dans les rangs
Rien ne dépasse, tout se prélasse
Dans l’ignominie du mutisme

Bouillie collante de l’infortune
Qui dérive sur les nuages tièdes
De l’incertitude et de la morgue
Serait-elle morte l’affirmation
D’une innocence épinglante
Déchirant de rouge la poitrine

Le bourrage touche à son comble
Suffocation des engloutis
L’élite se doit d’être prudente
Il faut rester de taille
A s’affranchir de l’aveulissement
Seul le mystère doit demeurer

Terre-toi dans ta détermination
Poursuis ton œuvre inconnue
Laisse s’accumuler l’ombre
De tes rêveries et passions
Sur de modestes papiers
Dédiés aux générations futures
Ou, tout simplement, à l’oubli

©  Loup Francart

09/07/2019

Locédia, éphémère (9)

En relisant cet article du catalogue, acquis au son d'une pièce dans une petite sébile à la bouche pendante, je ne pouvais m'empêcher de lire « L. Locédia. Caractère contemplatif des grands fonds subconscients. A la particularité de voir l'envers des objets. Ne perçoit pas l'atmosphère quotidienne. Ne sait plus vivre seule et pas encore à deux. »

L'aquarium municipal découpait sa carcasse de plastique et de verre sur le ciel atténuant à travers ses ouvertures l’éclat verdâtre de l’horizon. Le poisson continuait sa lente digestion d’épinards que les visiteurs pouvaient acheter à l’entrée. Il distrayait ces gens qui venaient assister à la transformation naturelle et à ciel ouvert d'une feuille en purée. Le spectacle était d'autant plus amusant que le Licarpagus ne voyait bien que la nuit et tâtait désespérément l'eau claire de sa bouche à fanes jusqu'à trouver une feuille d’épinards. De jour, on ne pouvait observer ce travail passionnant qu'en empruntant les escaliers en colimaçon qui gravitaient autour de l'aquarium entouré d’une devanture d'acier rabattable pour maintenir une semi-obscurité à l'intérieur. Privilégié, je regardais le poisson de la rue, car il fallait pendant la nuit laisser respirer l’eau à la lumière nocturne.

Abandonnant le poisson à sa digestion, après être passé à un carrefour revêtu d'une guirlande de réverbères, je me dirigeais vers la basse ville. Elle constitue ce qui est appelée la ville pauvre, peut-être parce qu'elle est plus vieille que l'autre ou moins lumineuse. Les madriers soutenant les murs s'enchevêtrent aux poutres des plafonds et les béquilles se mêlent aux vieillards pour soutenir leur ennui. Entre deux poutres diagonales, un de ces vieillards cloue parfois quelques planches pour abriter sa paille et évoque à travers l'arête rouge de sa bouteille le temps où les chevaux tiraient les cadavres gonflés du fleuve. Un peu plus bas, toujours dans la ville pauvre, on peut voir le fleuve et le cimetière encombré de monticules bossus à l'endroit où le ventre gonflé repousse la terre fraîche. Un gardien veille sur la santé des fleurs de deuil qui recouvrent les monticules de leur végétation d'encens. Chaque matin, d'un arrosoir en panse de chevreau, il laisse tomber au creux de leurs pétales violacés une goutte d'eau morte qu'il perçoit tous les mois à la citadelle. Le soir, à la sortie des classes, quelques gamins rapiécés et bariolés jouent à la noyade en tirant à la courte-paille. Le jeu est d'autant plus amusant qu’i1 leur arrive fréquemment de manquer les classes pour assister à l'enterrement d’un de leurs camarades malchanceux.

08/07/2019

Envol

Regard dans la nuit

Le vide envahit le corps

Émoi de l'âme

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07/07/2019

Sagesse et raison

 

La raison seule ne peut mener à la sagesse véritable,

car le propre de la raison et de se pencher sur elle-même.

 

06/07/2019

Fin rêvée

Elle avait rêvé longtemps de cette soirée à deux, dans cette douceur crépusculaire, côte à côte, sur le banc des accusés. Elle en avait imaginé le décor, soigné, net comme un tribunal, le bois ciré des murs, les fauteuils rouge carmin, l’appariteur chaussé d’espadrilles, une respectable chaleur régnant dans la salle. Assise sur le banc des prévenus, elle papillonnait gentiment, inconsciente de son avenir déchu. Elle répondait d’une voix égale, ni trop charmeuse, ni trop effondrée. Dans son malheur, elle résistait à la tentation de se laisser aller. La présidente sortit un moment, levant la séance pour faire face à une envie pressante. Elle regarda l’assemblée, sa mère qui pleurait dans son mouchoir, son père qui se tenait très digne, le dos raide, la nuque droite, l’œil sec. Ses frères, indifférents, semblant connaître la fin, restaient silencieux à côté de leurs épouses hautaines. Rien ne lui sera épargné, même pas le mot d'une de leurs filles qui disait sans arrêt : « C’est pas bien ! »

– Accusé levez-vous ! dit la greffière. Elle se leva dignement, l’air soudain fatigué. La présidente prit la parole, ajustant ses lunettes :

– Attendu que mademoiselle Trapolin n’a pas conscience de ses fautes qui sont pourtant bien prouvées, le tribunal condamne la prévenue à trois tours de piste à cloche-pied et à une amende de cent euros. 

– Je proteste, s’écria-t-elle d’une voix forte. Je n’ai fait qu’embrasser ce garçon blond et bien fait qui m’a rejeté vivement sans explications. Quel goujat ! Les hommes ne savent pas voir le cœur des femmes qui saigne tous les jours pour eux.

La petite fille se mit à pleurer. Elle avait mal aux mollets et n’avait pas un sou en poche.

Alors un homme dans la fleur de l’âge ouvrit son portefeuille, en sortit un billet et s’avançant vers elle, il chuchota à l’oreille :

– Voici pour ta prestation si digne et véridique. J’ai admiré ton maintien, bu tes paroles pleines de sagesse, reconnu ta clairvoyance. Juste une chose. La prochaine fois, n’oblige pas un aveugle à danser le guilledou.

05/07/2019

Locédia, éphémère (8)

3

Cette chambre était notre enfer, une ile déserte dont nous n'aurions pu nous évader. Il fallait vivre et nous supporter chaque jour bien que rien ne nous y obligeait. Chacun inventait n'importe quelle histoire pour s'excuser auprès d'amis d'autrefois qui insistaient pour le voir. Pourtant ces rencontres dans la chambre créaient un mélange de joie, d'inquiétude et d'énervement.

Elle ne parlait pas, ne souriait pas, le regard vague, perdu au-delà des murs jaunis, le visage immobile imprégné d'une tristesse profonde. Elle s'efforçait parfois de paraître gaie. Cette fausse gaieté la rendait vite silencieuse et elle jetait d'énervement ses bagues et ses boucles d'oreille. Cela se passait bien après que nous nous soyons connus, dans la ville morte, sous le soleil étouffant de l’été, quand la fenêtre entrouverte ne suffisait pas à rafraîchir l’air lourd de la pièce. J'essayais de parler, de rompre ce malaise en disant des mots qu'elle n'écoutait pas. Ces efforts étaient vains. Je me taisais et me levais pour regarder par la fenêtre le moutonnement des arbres de la ville en fleurs. Je regardais ses livres, je me coiffais de son chapeau, mais rien n’y faisait, elle restait inerte, indifférente à tout.

_ Mais enfin, qu’as-tu donc aujourd'hui ? Lui demandais-je exaspéré.

_ Rien, répondait-elle. Mais je sentais dans sa voix une certaine irritation. De même elle se dégageait vivement lorsque j'essayais de lui caresser le bras à cet endroit du coude où la peau légèrement bleutée est parfaitement lisse. Je me révoltais et lui demandais brutalement ce qu'elle voulait.

_ Écoutes, si tu ne veux plus me voir, dis-le-moi, mais je t’en prie, ne prends pas ces airs dédaigneux et absents. J’ai horreur de cela.

_ Si tu savais, me disait-elle, comme tu m’énerves à certains moments. Je prends peut-être des airs dédaigneux et absents, mais tu n’es pas drôle non plus avec tes prétentions de bonze africain (j’avoue avoir eu envie de rire à ce mot). Nous nous voyons trop. Moi aussi je suis triste et je vois bien que je t’agace. Nous sommes las 1’un de l’autre. Je t'ennuie et cela fait que tu m'ennuies. Nous ne pouvons plus nous supporter parce que nous n’arrivons pas à nous connaître.

Un soir, bien qu'elle me retint encore, peut-être par désir inconscient de nous déchirer plus encore, je suis reparti en jurant de ne plus la revoir. Elle m’agaçait lorsqu’elle se donnait des airs de faux dégout de vivre. Elle était trop satisfaite de vivre en paraissant malheureuse. Il faisait déjà noir et le ciel projetait sa lueur verte sur les murs arrondis, profanant le sommeil des habitants. Au niveau du sol, le square, qui paraissait une véritable forêt quand on le regardait de sa fenêtre, était minuscule et encombré de grillages, de gravier et de ronds en ciment. Je marchais lentement. Les pavés s'arrondissaient sous mon pied et j'associais l'équilibre de ma rancœur et de mon émotion à celui de mon corps à cheval entre deux pierres, à cet endroit où la semelle laisse le jour pénétrer sous son empreinte. En passant devant l'aquarium municipal, je regardais le découpage de ses morceaux de ciel, petits carrés de lumière si semblables au reste de la voûte que j’imaginais la couleur de l'horizon à travers ses montants de plastique jaune. Pourtant je ne percevais chacun de ces panneaux qu'à travers un filtre animal. Pendant la journée, on ne peut voir le ciel à travers l'aquarium. Ce soir-là, j'apercevais un poisson profiler sa silhouette entre les barreaux de l'horizon. Je ne regardai plus le ciel, mais ce poisson immobile qui m'observait aussi. Amère contemplation entre deux éléments qui ne peuvent se comprendre. Sur ces ouïes, un L majuscule phosphorescent donnait sa référence sur le catalogue de l'aquarium « L. Licarpagus. Espèce contemplative des grands fonds sous-marins. A la particularité de voir dans la nuit des grands fonds grâce à un projecteur de particules invisibles pour l'homme. Ne voit rien dans la clarté diurne. Vit en couple sans toutefois s'attacher à la femelle avant l'époque des amours. »

04/07/2019

Vocation

 

Un plan envoûte

Un éclat transperce l’œil

L'architecte est né

 

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