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13/10/2019

Acédie

Plus rien ne sort de ta boîte secrète
La porte s’est refermée un soir d’automne
Pas moyen d’y glisser même un feuillet…
Lit à sec d’un ruisseau sans éclat…
Ton esprit s’égaille dans l’ombre…
Mais rien ne sort de cette boîte
Dans laquelle les idées sont immobiles
« Ferme les yeux, camarade
Le jour point, la vie va reprendre
Alors laisse aller ta caisse
Laisse-la souffler quelque temps
Et réjouis-toi de ta santé
Tu reprendre ta tâche demain
Ou peut-être jamais…
Mais garde les yeux ouverts ! »

©  Loup Francart

12/10/2019

Locédia, éphémère (28)

 

 

Il lui arrivait de disparaitre brusquement. Elle se retirait en un endroit perdu ou encore se mêlait aux foules turbulentes pour rivaliser avec les plus extravagantes. Y cherchait-elle d'autres pièges à séduire ou un vain délassement de l'esprit ? Sans doute était-ce sa seconde nature : une Locédia infernale qui se dévoilait derrière son apparente quiétude. A-t-elle trainé de café à en café, de bras en bras, depuis ceux des marins en escale jusqu'à ceux des voyous de la ville basse ? A-t-elle erré des nuits entières entre les poutres mal équarries des dernières maisons de la jetée, dans les arcades sonores de la place Saint Traminède, dans les chambres sales des hôtels de la vieille ville ? Je souriais à ces récits qu'elle me faisait par bravade les jours de mauvaise humeur. Ils me semblaient d’une incroyable candeur et dénués de tout fondement. Me disait-elle une partie de la vérité ?

Tu me téléphonais après quelques temps. Je reconnaissais le son grave de ta voix, un peu musical, que j'avais en vain tenté de recomposer. Pendant que tu parlais, je retenais une phrase et m’efforçais de la répéter pour m'imprégner de sa tonalité. A ton flot de paroles, d'explications, je répondais par monosyllabes, sans même chercher à comprendre ce que tu disais. Je me laissais envahir par la musicalité de ta voix qui résonnait dans l'écouteur. Comme je restais silencieux, tu me demandais ce que j'avais. Rien. Je ne pouvais te l'expliquer. C'eut été trop long et j'étais las de maintenir l'appareil contre mon oreille.

Pourquoi hésitais-je à te revoir ? Une immense fatigue m'envahissait. Il fallait parcourir la ville, monter à travers les rues chaudes, entre les maisons vides, gravir des escaliers tordus, m'engager dans d'étroits couloirs, ouvrir de lourdes portes, en refermer, redescendre d'autres escaliers, parcourir une ville hirsute, inégale, boursouflée par la chaleur. Avais-je encore envie de te revoir ? Peut-être ton souvenir me contentait-il plus que ta présence ? Ce sentiment de gène, d'inquiétude, d'inachevé que j'avais parfois face à ton immatérialité m'envahissait à nouveau. Qu'allais-je retrouver ? Ton indifférence, ta tendresse, la complicité que nous avions en commun. Je ne savais plus. J'hésitais. J'avais peur. De quoi allions-nous parler ? Je ne savais plus ce que je voulais te dire. Était-ce l'envie de revoir ta maison, de parcourir ces escaliers, ces couloirs, ces soupentes que je connaissais si bien, qui m'avait décidé ?

J'ai lentement longé la palissade du terrain vague en suivant de la main les anfractuosités des planches, comptant leurs jointures et cherchant dans ces interruptions une symétrie avec les dalles qui composaient le trottoir. Le bruit des pas sur les dalles. A croire qu'elles étaient creuses. Résonance des dalles en accord avec les battements du cœur. Le gardien était toujours là, assis sur sa chaise, une casquette crasseuse vissée sur la tête. Nous nous fîmes un petit signe de reconnaissance. Je n'osais m'approcher de peur de devoir engager une conversation. J'avais besoin d'être seul, de me préparer à cette nouvelle rencontre. Descente vers le fleuve, acheminement vers la grande avenue où circulait une multitude de personnes au dessus de l'eau. Autour des ouvertures carrées entourées de balustrades qui permettaient aux promeneurs de voir l'écoulement du fleuve, s'aggloméraient des gamins, les chaussettes sur les chevilles. Ils laissaient tomber de petits bouts de papier dans une ouverture et courraient en grappes, bousculant les passants, à la trouée suivante pour les retrouver imbibés d'eau. Combien de passants comme moi ont noyés leurs pensées dans ce lent voyage des eaux, appuyés au dessus du parapet, le regard vide. Hypnose de leur écoulement, plus subtile que celle du feu en raison de sa lenteur.

11/10/2019

Notre Père

 


L'enregistrement mériterait une meilleure prise de son, mais, malgré tout, la beauté reste là, présente, et envahie l'être.

10/10/2019

Pantins

Pantins ivres, désespérés
Perdus dans l’immensité de l’espace
Couverts sur les étoiles
Fermés sur l’orage déchaîné
Tout vibrait dans le calme des ténèbres

Écoute le chant des violons dans la nuit, comme ils savent pleurer sur la solitude infinie des jours monotones. Les arbres tendent leurs membres échevelés au cœur des déserts de l’obscurité où nous jetions nos pas incertains et les danses de l’ivresse. Les rues éclairent leurs grands corps fermés sur les volets de l’ennui. Le jour, la nuit, tout se confond suer les fils noirs et soyeux qui entourent le velours nacré de tes joues.

Je suis lourd, harassé, perdu dans la vague ; tu es là, couchée, debout, assise, les mains sur ton cœur ou sur la pesanteur de leurs doigts de verre. Tu es toi, je suis moi, et soudain tu deviens moi et je suis toi. Nous sommes un. Et je vois tes yeux noirs luire de l’éclat des miens pour se pénétrer des vérités qu’on croit lire dans le miroir des larmes noires. Le rire des creux de ton cou affronte mon sourire étonné qui remonte à la source de ton souffle. Je ne pense plus, je ne sais plus ; je suis tourné vers toi, bras ouverts au silence de l’oubli.

09/10/2019

Sens cosmique

 

Le sens cosmique, c’est le sens de l’affinité des éléments entre eux et par Dieu.

C’est le sens de l’amour universel à travers l’amour des particuliers.

 

08/10/2019

Locédia, éphémère (27)

Ce matin, Locédia, je me suis enfoncé dans la brume. Plus encore que les autres jours ton souvenir s'appesantissait en moi et me forçait à une constante attention, des trainées lumineuses qui flottaient en troupeaux épars. C'était à l'heure où les prés sont encore bleuis par le souvenir de la nuit, avant que le véritable jour leur redonne leur verdure. Je regardais les vaches noircies par le soleil de l'après-midi. Pourrais-je comme elles me coucher dans l'herbe et attendre patiemment que l'ombre de la lune s'oppose à celle du soleil ?

Le soir, souviens-toi, je cueillais tes cheveux sur l'herbe. Tu riais de ce jeu et remuais la tête pour me voir courir d'une touffe à l'autre sans parvenir à cueillir celle sur laquelle ils se posaient. Je me dépensais en efforts inutiles dont tu te moquais. Enfin tu me laissais, épuisé, cueillir une touffe de graminée. Solennellement, j'allais la repiquer à l'ombre de la lune. Je devais chercher une motte de terre plus fragile que les autres ou le cratère arrondi d'une taupinière. Alors nous regardions se noyer le disque rouge du soleil entre les vagues figées de la forêt. Tu prédisais pour le lendemain une mer houleuse selon la frénésie de l'écume à la cime des arbres. J'inscrivais sur le journal de bord ces réflexions ainsi que le nombre de rayons que portait la lune au même instant. Le silence régnait dans la clarté lunaire. Je regardais tes lèvres closes. Tu écoutais monter peu à peu les bruits inaccessibles au jour. Nous avions appris à reconnaitre le murmure du réveil des limaces, le bâillement fatigué des grenouilles, le grincement de dents des rats contre les brins de paille. Parfois un bruit nouveau troublait notre silence et tu m'interrogeais du regard pour en connaitre l'origine. L'ombre de ton corps s'amincissait peu à peu sous la lune et m'offrait une plus complète connaissance de toi.

Mais déjà tu te levais en souriant et m'entrainais avant que je ne puisse m'emparer de ta véritable forme sur l'herbe tiède. Je ne devais, disais-tu, arriver que lentement à ta connaissance et tu t'efforçais de te soustraire à mon avidité, n’accordant qu'avec parcimonie chaque morceau du puzzle que je cherchais à reconstituer.

_ A quoi te servira la connaissance fugitive de mon intimité, m'avais-tu dit, si c'est pour la perdre aussitôt. Tu n'auras qu'un souvenir déformé de moi-même après ton assouvissement.

Que pouvais-je répondre à tes raisonnements. J'avais d'abord cherché à lutter contre ces propos relatifs à notre entente.

_ Peut-être as-tu raison, disais-je, mais nous pourrions aussi aller plus vite si tu consentais à t'abandonner à tes sentiments.

Tu trouvais alors de nouvelles raisons et je devais m'incliner bien qu'il subsistait en moi un sentiment de malaise fait de regret et d'insatisfaction.

07/10/2019

Trinité

 

L’homme possède sa propre trinité
Il est, lui aussi, trois personnes en lui

L’homme brut ne se perçoit que dans son corps
Ses émotions sont immédiates
J’aime ou je n’aime pas
Le palpable est son évangile
Il croit et ne soutient que le présent

L’homme accompli se perçoit autre
Il sent en lui la légèreté de la réflexion
Prisonnier, il peut se sentir libre
Libre, il s’élève hors de l’immédiat
Et contemple la vie en créateur

L’homme spirituel fait un avec le cosmos
Il perçoit sa propre transcendance
Mais également, directement, l’immanence
Il sait que sont être tout entier
N’est qu’une fragrance de toute chose

Cette conscience de la conscience
Fait que le un se révèle trois
Et que le trois n’existe que par dualité
En complétude masculin-féminin
Devenant neutre par grâce

©  Loup Francart

06/10/2019

Nuit

 

Ombre dans le noir
Sur la pointe de l’âme
Danse l’inconnu

 

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05/10/2019

Vie de David Hockney

Je termine La vie de David Hockney, un des livres de Catherine Cusset de 2017. Un très beau livre. On entre dans la vie du peintre par une porte dérobée, on en ressort sur la terrasse de la vie, ouverte sur le monde. Et ce monde est vaste. On s’y promène de Bradford à Londres, puis à l’Amérique, New York, Los Angeles, puis le monde entier, sans véritables attaches. Une seule constante : la peinture, l’amour et la passion, c’est-à-dire un travail acharné à dix ou quinze heures par jour.littérature,peinture,dessin,vie,amour

En toile de fond, une certaine analyse de la peinture, non pas académique, mais plus sensuelle, plus proche des petits riens qui font d’un paysage apparemment anodin un petit chef-d’œuvre inédit qui fait battre le cœur. Quelques rappels aussi de grands peintres dans quelques détails : perspective inversée, arbres rouges, piscine aux reflets incertains.

Depuis ses promenades dans Holland Park en avril 2002, depuis qu’il avait été touché par la grâce – car s’était bien de cela dont il s’agissait : de grâce, religieuse, spirituelle_, le sujet ne cessait de se préciser. Il brûlait, comme on dit dans ce jeu un l’enfant aux yeux bandés s’approche du but. Des champs cultivés il passa aux arbres. Un chemin bordé d’arbres, dont les branchages se rejoignaient en formant une voûte naturelle, lui plaisait particulièrement et il le peignit à chaque saison, en enregistrant chaque variation de lumière et de couleur. Rien n’était plus beau que les saisons. Elles étaient l’essence même du changement. La vie. (p. 163, Gallimard).

 

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04/10/2019

Locédia, éphémère (26)

Non, je ne me suis pas vraiment endormi. Ce n'était pas le sommeil. Ce ne fut pas non plus une veille. Etat de somnolence qui, à un certain niveau, influence la perception extérieure jusqu'à provoquer l'évènement. J'étais, Locédia, entre toi et moi. T'avais-je oublié ou m'oubliais-je ? Je ne sais plus. Non… Ce n'était pas l'oubli, mais l'absence, une absence totale de pensées. Et soudain te voilà. Je reviens, je reviens très vite. Pourquoi attendre, pourquoi prétendre une telle attente, pourquoi vouloir une telle absence ? Je suis là, à bout d'absence et d'incompréhension.      

Peut-être un jour n'aurai-je plus besoin de toi ? Peut-être un jour aurai-je horreur de toi ? Nous errerons côte à côte, sans même nous reconnaitre.

Lorsque tu seras là, étendue, humaine, pitoyable à mes côtés, seras-tu autre chose qu'une forme de chair, un amas de viscères écarlates. Conserverai-je ce désir qui me dévore pour l'instant ? Tu es là, compagne de solitude, faiseuse de silence, lumière et ombre.

Je guette un souffle tiède sur tes lèvres endormies. Tu dors comme les enfants, repliée sur toi-même. Tu cherches l'affection de ton corps refroidi et je ne suis plus celui qui le réchauffera. Tu t'étais déshabillée sans fausse pudeur, sûre de toi et de moi, en babillant. Tu t'étais glissée dans les draps peur y gouter la volupté de leur fraicheur. Tu les avais réchauffé de ton corps et je te contemplais, immobile et ramassée comme une chienne. Seras-tu ainsi ? Etrangère.

Tu t'étais endormie. Je guettais le mouvement de tes doigte inconscients sur ma main, le tressaillement de tes jambes lointaines. Comment placer ma tête pour qu'elle se repose de ta présence, où donc mettre ces bras qui sont deux protubérances gênantes de mon corps ? Je n'étais plus que ces mains posées sur les tiennes. Je m'accrochais à l'immobilité de ton corps, à la passivité de tes poignets, comme si ce corps eût pu m'empêcher de tomber dans le puits de ma pesanteur imaginaire. Cette sensation de chute s'accompagnait d'un incompréhensible allégement du corps, d'une impossible aération des tissus que seul le poids de tes mains retenait cloués au lit. Peut-être à ton réveil m'aurais-tu retrouvé collé au plafond, incapable de redescendre sans ton aide, m'efforçant de repousser avec les bras l'incroyable pesanteur inversée du plafond qui eût gêné ma respiration. Je vérifiais l'étroit encerclement des couvertures et en enfonçais profondément les coins entre le matelas et le sommier de façon à être retenu si le sommeil me laissait sans force. Locédia, savais-tu que tu possédais un tel pouvoir de pesanteur ? J'étais comme ces ballons de caoutchouc retenus par la fine cordelette encerclant Is poignée d'une fillette qui se promène dans le jardin ensorcelé de ses rêves diurnes.

Locédia, je t'ai contemplé morte, étendue pour toujours sur l'herbe, sur le sable, sur la neige, sur la pierre froide.

Je t'ai contemplé morte. J'ai pris du plaisir à ma peine. Tu m'appartenais maintenant. Ton corps immobile et blanc avait retrouvé la consistance et l'inertie de la matière.

03/10/2019

Feu (pictaïku)

 

Feu dans la tête
Cœur battant la chamade
L’univers s’offre

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Réjouit l’âme
Lueur de l’invisible
Donne-nous la paix

 

NB. Un pictaïku, comme le pictoème, est l'association d'un haïku à un dessin, tableau, photo. Plus encore que le pictoème, il se doit d'être incisif et constitue un flash mêlant la vue et la voix.

01/10/2019

Vivaldi : «Filiae maestae Jerusalem»(RV 638)

Vivaldi : «Filiae maestae Jerusalem», interprêté par Ph.Jaroussky et l'ensemble Artaserse


 

Vivaldi est le plus souvent joué pour sa musique endiablée. Mais ce morceau n'est-il pas un des plus beaux qu'il ait composé.
 
 
 
 

30/09/2019

Camille

Cheveux blonds et regard clair
Dans la transparence de l’instant
Visiblement, je voyais au travers
Et l’invisible se donnait du bon temps

C’est vrai, j’admirais ta grâce
Que toujours tu cherchais à cacher
Tu te réfugiais sur la terrasse
Sans jamais montrer que tu étais fâchée

Je me souviens de tes yeux tendres
Dans les larmes silencieuses du mal
Que je n’avais pas su comprendre

Et du jour où je t’ai délivré
De ce tiens-toi déloyal
Tu riais, joyeuse et soulagée

Alors, blottie comme un petit animal
Sans un mot, tu me fis ce bonheur partager

©  Loup Francart

29/09/2019

Locédia, éphémère (25)

Le premier jour du printemps, quand la sève nouvelle travaille le corps, les cadavres d'amour étaient enterrés au cours d'une grande fête. De grosses pipes, utilisées une fois l'an pour la circonstance, mues par des soufflets de forge, éclairaient le puits de leurs flammes violacées tandis que le fossoyeur opérait la mise en bière des cadavres. Bien payée, il ne travaillait qu'un jour par an. Le reste du temps, il allait de maison en maison établir sa clientèle. Puis on procédait à la mise en tombe. Ce soir là, la place était creusée de cratères quinconcés. On les franchissait à l'aide de petites échelles de bois rare courbées. Le soufflet des pierres tombales, empilées les unes sur les autres, se dégonflait peu à peu au rythme des flammes des pipes. Les derniers cadavres d'amour, moins chanceux que les autres, n'avaient pas la joie dernière d'être enterrés à la lumière. Souvent même le dernier, enterré dans le noir complet des nuits montagnardes, laissait échapper un bras ou un pied hors de sa tombe, légèrement écrasé par la dalle.

Hier, seul un arbre à femme mort coupait l'horizontalité de la place, comme un épouvantail posé là pour empêcher les enfants de jouer sur les tombes. Un étroit tunnel lumineux y prenait naissance et s'enfonçait en pente douce dans le flanc de la montagne. Après une demi-heure de marche, je débouchais au pied d'une colline, dans une vallée envahie de plantes piquantes et de pierres empilées. De longues ronces se déroulaient aux alentours du chemin caillouteux et s'enchevêtraient en un amas inextricable. Quelques fleurs noires égayaient leurs touffes. Ces fleurs se nourrissent d'insectes en les attirant avec le parfum d'amour dont se revêt la femelle à la période nuptiale. Elles les digèrent lentement, déchiquetant peu à peu de leurs courtes dents poilues l'aile, puis l'abdomen du mâle, rejetant la tête et les pattes trop velues à leur goût.

Au fond de la vallée habitée de pierres difformes, j'aperçus une ferme dont la ruine abritait ses dernières poutres sous des arbres décharnés. Soucieux d'un abri pour la nuit, j'avançais péniblement, escaladant les pierres. A ma grande surprise, une forte odeur de vie régnait dans l'une des pièces, la seule dont le plafond n'était pas défoncé. Dans la cheminée, quelques braises de bois dur gisaient éparses, grisonnantes au-dessous d'une bassine de cuivre verdâtre. Des herbes avec leurs tubercules y flottaient dans une eau trouble. Dans un coin, un lit de bois étirait ses pieds, revêtu d'une cretonne trouée comme un gruyère, tandis qu'à son chevet un fauteuil basculant à dents de scie naviguait sur le carrelage terreux. Je m'étendis douloureusement sur le lit boursouflé et m'endormis.

28/09/2019

Chute

 

Il chut sans crainte
Le blanc de l’éternité
Le noir de la mort

 

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26/09/2019

Métropolitain

Un pied en avant, deux valises à trainer
L’autre le rejoint, mais le premier est déjà loin
Derrière la poignée des valises, loin
Probablement trop loin
Je tire à moi ce poids qui résiste
Il ne vient pas et me freine
Mais mes pieds partent avec l’escalier roulant
Je pars en avant montant imperturbablement
Je pars en arrière tenant les valises
Me voici dissocié, le corps étiré
Je pars à reculons et plane une seconde
Où sont le haut et le bas, l’avant et l’arrière ?
Je suis sans référence ni attache
Une plume dans l’espace autour des corps
Je pars, je suis parti, les pieds trop haut
Le buste glisse au long du tunnel montant
Je franchis les valises prestement
La tête effectue une courbe parfaite
Le corps écrase mes bagages
Les corps des autres s’échappent en avant
Un coup de gong achève la chute
Je vois les jambes de ceux qui montent
Je vois les regards étonnés et curieux
J’entends un mouvement et un cri
Je suis toujours entraîné vers l’avant
Propulsé par le sol qui monte inexorablement
Ne laisse pas traîner tes doigts, me dis-je
Les pieds en l’air, planquant mes extrémités
Empêtré dans mes valises mouvantes
Je réfléchis dans le brouillard épais
J’entends les cris de la foule impressionnée
Ça y est, je reconnais le haut et le bas
La gauche de la droite, moi-même et l’autre
Je me redresse, malgré tout désorienté
Les images tournent et se succèdent
L’escalier avance, imperturbable
On arrive en haut, je vois la fin du calvaire
Les rayures, les marches qui entrent dans le sol
Je me redresse enfin avant l’entrée
Dans cette porte dentée qui s’enferme
Et broie présence et souvenirs
Un pied en avant ; l’autre qui le rejoint
Le corps debout, la tête en place
Les têtes autour de moi, anxieuses
Je suis infirmière, me dit l’une d'elle
Elle me tâte le haut du crâne
D’autres veulent appeler les pompiers
Je prends conscience de ce désordre
Je me cale les pensées et remercie
Fuyons ce brouhaha, cela ira mieux
Repartir comme si de rien n’était
Poursuivre la lente remontée dans le couloir
Jusqu’à la sortie de la pesanteur
Et l’échappée vers l’air libre
La liberté malgré le dépaysement
Deux jours plus tard, la tête va bien
Mais une côte vacille et étire sa douleur
Lorsque je me couche et ne peux dormir
Le silence de la nuit à côté de celle
Qui est là, toujours et encore
A m’entourer d’un baume fluidifiant

©  Loup Francart

25/09/2019

Affection

Immensité de la terre ou petitesse, selon la place qu'occupe dans le cœur l'être dont la distance nous sépare.

Sans doute est-ce parce que la pensée est plus vaste que l'univers qu'elle est aussi facilement vide. On oublie un être qui vit à côté de nous, mais un autre que l'on chérit reste beaucoup plus proche malgré la distance.

 

24/09/2019

Locédia, éphémère (24)

Mon âme ensevelie.

Descendu vers toi, je tends les bras à l'oubli et les bulles de souvenir éclatent au bout des doigts. D'autres m'échappent et m'ensevelissent. Partagées entre toi et moi, elles créent notre séparation. Je ne vois plus que l'herbe noire de tes cheveux et le contour de tes chevilles.

Hier, lassé du dédale incohérent de nos voyages, je suis retourné à ce village où Locédia m'avait fait venir après plusieurs semaines de silence. Il a vieilli. Haussé sur son bloc de pierre, il est devenu inaccessible. Une échelle de corde au pied d'un caillou mou et ventru pour protéger des chutes constitue maintenant la seule voie d'accès. Faite de fibres de limace, elle est légère et souple. Je dus me munir des gants de crin que j'avais dans le coffre de la voiture pour l'empoigner. Elle mène au soupirail d'une maison à moitié taillée dans le roc. Après de vigoureuses tractions des bras, je m'y laissais glisser. Aveuglé, je ne vis d'abord qu'un trou noir. Je m'aperçus ensuite que la pièce montait en colimaçon vers une porte de bois vert qui donnait sur l'étable à chats. Je me souviens de mon étonnement lorsque Locédia, habituée du village, m'avait appris qu'on n'apprivoisait pas les chats pour s'en faire des amis. On les domestiquait pour les détruire. Les montagnards qui les avaient longtemps combattus, jugeaient plus facile de les élever, puis de les tuer au moment où ils parvenaient à leur période nuisible. Un vieillard, aidé de jeunes enfants, suffisait à cette tache d'utilité publique (songez donc aux maisons envahies par les chats. On arrivait à peine à apprivoiser les souris blanches !).

Traversent la chatterie, j'arrivais à un épais corridor donnant sur une pièce en forme de puits où la lumière descendait en cascades rebondissant sur les pierres de mica. Je me regantais pour emprunter une nouvelle échelle de corde et débouchais sur la place du village. Locédia m'y avait conduit pour la fête du printemps. Je la reconnaissais difficilement. Elle servait de cimetière. Les dalles ondulaient entre les herbes bleues dont la barbe moussait aux jointures des pierres. Leurs fleurs de lèvres rouges émettaient un crissement de baisers lorsqu'elles se rencontraient. Seuls les morts d'amour, assez nombreux dans le village où la solitude des mois d'hiver encombrait les corps, y étaient enterrés. Durant ces mois, les cadavres d'amour, livides de plaisir, étaient entreposés dans une petite glacière réservée à cet effet. Creusée dans la roche, à l'abri des regards tentateurs, elle laissait apparaitre sur un rayon de soleil quelques mains ou jambes décolorées parmi les cristaux de neige. Le soir, à la veillée, les vieux du village venaient y fumer leur pipe qui dégageait une petite flamme violette s’ils se penchaient au-dessus du puits de la glacière. Aussi disait-on dans le pays que l'âme des morts d’amour a le pouvoir de transmettre la flamme aux mortels communs,

 

23/09/2019

Cubécar

 

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Douce comme toi

Le cœur tendre ou la peau dure

Aiguë comme lui

 

22/09/2019

Maxime

 

Faire de l'être aimé la source de ses pensées et non leur aboutissement.

Tourner sa pensée vers les autres et le monde  à travers celle de l'être aimé.

 

21/09/2019

L'oeil de douleur

 

Il y a quelques jours, au moins une côte fêlée…

Un œil de douleur, le dos du malheur
Raide le poids des ans, doux lit accueillant
Blanche est la chaleur, noir est l’humeur
Le corps suppliant, je veille en baillant

A quand le retour sans aucun détour
Des courses vertes, la route ouverte
Vers le carrefour, au son du tambour
En découverte, sans une perte

©  Loup Francart

20/09/2019

Locédia, éphémère (23)

Chapitre 7

 

Locédia, nous avons vécu de merveilleuses heures dans la contemplation et la joie. Hors du temps nous fumes dévêtus de nos désirs et baignés de naïveté.

Quand tu lisais assise, un genou replié sous toi et que je regardais au-delà du sable de la dune l'étalement des eaux, tu riais de mes regards et te jetais sur moi à grands cris comme un jeune chien. Nous errions, de galet en galet, les pieds au bord de la frange houleuse des vagues. Je regarde maintenant mon personnage vieilli qui me rappelle certaines attitudes de mon père assis à son bureau. Je me vois dans le reflet de la fenêtre et je te vois, étendue sur le divan qui a conservé les mêmes rayures rouges et vertes, une jambe pendant dans le vide, rêveuse. Lorsque tu étais le reflet de mon rire, le miroir de ma tristesse, lorsque tes yeux cherchaient dans le vide des objets les plus secrètes pensées, je te contemplais et souriais à tes paroles. Tu croyais toujours que je me moquais de toi.

_ Au diable le sérieux, Locédia. Amusons-nous !

Nous avons visité des lieux perdus et d'autres lieux comme les caves de la réflexion où le promeneur s'enfonçait dans un labyrinthe de pensées. Une feuille perforée, préparée à l'avance par la machiniste de l'escalier qui accédait à la première cave, donnait le thème de la réflexion quand on l'introduisait dans la fente d'une des portières électroniques ouvrant sur les autres salles. Il n'y avait plus qu'à se laisser porter dans le labyrinthe. Ceux qui ne parvenaient pas à démêler les réflexions virtuelles renvoyées par les miroirs hyperboliques, des réflexions réelles qui permettaient de s'enfoncer un peu plus dans l'obscurité jusque vers la lumière, restaient plusieurs heures dans les caves. Ils étaient recueillis à la fin de la journée par le charriot balayeur qui nettoie les miroirs ternis par les pensées de certains clients. Distrait par ta présence à mes cotés, présence que je devinais, quand au terme d'une étape, tu posais doucement te main sur la manche de ma combinaison, je laissais échapper le fil de nos pensées et confondais les images. Avec angoisse nous reprenions en sens inverse le chemin des raisonnements pour trouver l'erreur à l'un des carrefours du labyrinthe.

Musée des hospices civils que nous avons connu également un soir de désœuvrement. Errance de chapiteaux et de cloitres voutés, l'odeur de la pénicilline mêlée à celle de la sueur. De vieilles femmes montaient ou descendaient les escaliers en portant des baquets remplis d'éponges et d'eau sale. Quelques malades en pantalon de laine brune étaient allongés paresseusement sur les bancs. L'apothicaire principal avait oublié ses lunettes et sortait de l'hospice. Musée de reliques vieillies, musée humain d'os et de chairs malades qui se nourrit de poussière et d'obscurité. A travers la grille sombre des fenêtres hautes parvenait le bruit de la ville, un bourdonnement continu entrecoupé de plaintes passives. Nous vîmes un malade emporté par la peste dans la chambre nue des contagieux. Une lampe pendait au plafond et projetait une lueur vacillante vers le lit de fer dont les barreaux mêlaient leur ombre à celle de la fenêtre grillagée. Là gisaient les morts en puissance, morts avent 1'agonie dans la chambre déserte des abandonnés.

 

19/09/2019

Univers

 

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Dans la grisaille du bouillon de matières inorganisées

Naissent peu à peu au commencement de l’univers

Entente et coopération

Pour créer des particules organisées

Qui feront du cosmos ce qu’il est

Un Tout conscient et évolutif

Construisant le réel à partir de l’imaginaire

 

18/09/2019

Chicaneurs

 

L’ombre du bonheur retenait le malheur.
Le froid intense retournait les sens.
Tous les chicaneurs devinrent chineurs.
Quelle transparence dans ce contresens !

 

©  Loup Francart

17/09/2019

Transparence

Devant toi, je suis nu…
J’ai même abandonné la peau
Que j’entretiens chaque jour
Pour qu’elle reste tendue

Parfois elle se relâche

Alors, je redouble d’efforts
Pour la gratifier d’attention
La chair à nu, je suis plus vif
Comme un poisson sorti de l’eau
Qui gigote pour y revenir

Mon sang devient plus fluide
Je le vois courir dans mes veines
Sans jamais prendre un sens interdit
Après s’être chargé de nourrissants déchets
Transparents et de petites vertus

Je me dresse pour voir au loin
Mais ce n’est qu’une plaine sans fin
Un désert clame et plat
Qui m’entraine à la sagesse

A quoi sert ce coup d’œil
Sur la vie lointaine et inconnue
Limite-toi au doux connu
A cette partie de toi-même
Qui glisse sur ton corps
A ce zéphyr calme et tranquille
Qui t’entraîne vers la fin

Avec la douceur d’une caresse d’enfant
Je me laisse m’insinuer
Dans les plis d’un corps devenu autre
Ragaillardi de tant d’audace

Avance, mais petitement
Dans la connaissance de toi
Jusqu’à ne plus connaître
Que le reflux persistant d’un bonheur
Sauvage et enivrant

La vie n’est-elle que le passage
D’une bille d’air dans les veines
D’un inconnu qui l’emporte ?

©  Loup Francart

16/09/2019

Habitude

L’habitude, une grande dame
Qui fait courir au-delà du possible
Pour la seule joie de se retrouver

On ne peut toujours inoculer
La nouveauté au cœur de l’être
Le corps se lasse et le mental s’épuise

Alors on se repose sur l’acquis
Comme le chameau traverse le désert
Et on amène ce que l’on connait

Se laisser glisser dans le connu
Sans effort, en convergence
Avec la connaissance

La boucle se boucle
Le connu étouffe
Crève le trop-plein

On imagine, on batifole
On ouvre l’œil sur la vie
On largue le bagage des mots

C’est une nouvelle naissance
Le froid de l’inconnu
Prend à la gorge le voyageur

La boucle se reforme
Enrobée sur elle-même
Un autre cycle commence

Et ainsi de cycle en cycle
Jusqu’au dernier vécu
Avant l’ouverture à l’inconnu

©  Loup Francart

15/09/2019

Locédia, éphémère (22)

Je t'ai retrouvée, nonchalante aux regards des hommes. Nous nous sommes assis au fond d'un café circulaire, au dernier rang des fauteuils tournés vers la baie vitrée qui sépare de la rue et avons contemplé la lente promenade des passants. Assis presqu'au centre de gravité de la circonférence en mouvement du café, la vitesse de rotation de l'ensemble nous paraissait et permettait de suivre du regard les gens qui passaient dans le même sens. Tu regardais aussi, lointaine, la tête rejetée en arrière, abandonnée sur l'ombre de la banquette. Il n'y avait pas à proprement parié de silhouette, mais une multitude d'interférences lumineuses qui s'enchevêtraient en formes imprécises sur les murs envahis de glaces. Ton ombre se divisait, se pétalisait autour de ton corps, envahissait la salle. Je suivais d'un regard chaque ligne des formes que tu prenais dans l'espace, la courbe de ta nuque lorsque tu relèves tes cheveux, l'élancement arrondi de ton buste, image parfaitement symétrique à droite et à gauche. Je te voyais de face et de dos, je poursuivais la marche lente de tes mains courbées sur les objets, sur les gens assis. Tu caressais tour à tour la joue d'une petite fille tachetée qui buvait avidement un breuvage vert bouteille, le cou maigre d'un homme endormi sur une chaise basculante.

J'assimilais tes gestes, je m'en pénétrais laborieusement. Je te possédais dans tes formes multiples, mais si je voulais rétablir l'équilibre de nos deux formes st les fondre ensemble, je ne rencontrais que le vide et l'amertume. Nos deux silhouettes se superposaient, se déformaient, se reformaient sans qu'elles arrivassent à se confondre dans toutes leurs multiplications. Peut-être est-ce ce jour que je compris que tu resterais pour moi aussi inconsistante et fuyante que tes ombres. Tu ne t'abandonnais que pour redonner des formes à l'ombre que je poursuivais, pour m'emplir l'esprit de la réalité de tes contours, pour que le renforcement du contraste de ton image s'imprègne en relief plus prononcé dans mon imagination. Lorsque tu voyais que la lente érosion du temps avait presque comblé l'émouvante gravure que je m'étais fabriqué, tu t'éloignais pour creuser de nouveaux mirages. A quoi d'ailleurs t'abandonnais-tu ? Longtemps j'ai cru que c'était à moi, mais je ne sais plus. Tu t'abandonnais à une idée, à un rêve poursuivi inlassablement.

L'abandonnée ! Tu étais l'abandonnée du désir. Tu t'énonçais pesamment dans la torpeur de la multiplicité, lasse d'un jeu perpétuel que tu n'avais plus la force de jouer. Tu ne disais rien. Tu ne voyais rien. Tu m'oubliais et je me détachais à mon tour de toi. Je n'avais plus qu'un sentiment inconscient de ton existence à mes côtés. Le café tournait lentement sur la rue où une faune bariolée de mains, de pieds et de visages curieux défilait à pas lents. Un promeneur avançait pendant quelques instants à la même vitesse que celle de la rotation de la salle et nous le regardions se mouvoir sans avancer. Il allait comme une marionnette suspendue à ses ficelles, brassant l’atmosphère de ses bras et de ses jambes, tournant la tête vers nous, nageant un ballet étouffant. Nous nous attendions à tout instant à voir cette tête s'affaler sur sa poitrine, puis son corps se disloquer sur la chaussée avant d'être emporté au petit matin par les boueux.

14/09/2019

Universalité de l'amour

 

L'amour procède de l'universel.

Se tendre tout entier vers l'universel à travers le particulier.

Alors, la somme des particuliers sera accessible à notre amour.

 

13/09/2019

Portes

Après un instant de sidération
Il franchit la première porte
Le noir, lueur de l’espoir

La seconde céda d’effroi
Le brouillard l’environna
Tends les bras et marche !

La troisième dansa sous ses yeux
Tricherie, pensa-t-il, ce n’est
Qu’un point noir sur un halo de blanc

La quatrième ouvre sur un silence éperdu
Avance sur la pointe des pieds
Sais-tu seulement où tu vas ?

Enfin, la lumière, faible
Une rosée dans la nuit obscure
Pointe fichée dans le cœur

Entré dans la cour du vide
Il la trouva vivante
Emplie du mystère de l’absence

©  Loup Francart

12/09/2019

Flash sous forme de haïku

 

19-09-11 Losancheng A.jpg

 

La lumière naît

Mesure les ténèbres

Voile ta face

 

Rien n'est révélé

Cercles et angles sont présents

Éclair primordial