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25/12/2019

Noël et liturgie

C’était un dimanche. J’avais quinze ans. Ce jour-là, j’entrais au Val de Grâce pour assister à la messe. Seul, contrairement aux habitudes familiales, peut-être pour y échapper. Dans cette chapelle, en une heure qui me parut cinq minutes, je fis l’expérience du mystère : mystère de la liturgie intérieure, mystère de l’embrasement cosmique, découverte intime de l’Esprit au-delà de la fine pointe de l’âme. Cette heure fut pour moi une des grandes expériences spirituelles que chaque être fait dans sa vie, consciemment ou non. Expérience qui donne la perception de l’infinie valeur que chaque homme a aux yeux de Dieu ; expérience qui, en même temps, permet de saisir notre pauvreté et petitesse, quand manque en nous le souffle décapant de l’Esprit.

Ensuite, les chemins de la vie m’égarèrent vers d’autres directions, m’enracinèrent dans d’autres ambitions. Le monde resserre ses doigts sur ceux qui doivent trouver leur place dans la vie active. Il presse ceux qui se concentrent sur le visible en oubliant l’invisible. Même lorsque l’infini se dévoile de nouveau au détour d’un sentier, ceux-ci poursuivent leur chemin sans lever les yeux. Et pourtant, toujours au fond de mon être, cette aspiration intense, cette espérance lancinante d’une beauté ineffable qui nettoie, qui purifie, qui éclaire le regard dans les larmes de l’émerveillement. Attente rarement comblée par les liturgies vécues au fil des déménagements, liturgies tristes où le visible fait semblant et d’où l’invisible a disparu. La liturgie terrestre n’est l’écho de l’éternelle liturgie céleste que lorsque louange et beauté ouvrent le voile de l’humain et font percevoir le vrai. La beauté manifeste la splendeur du vrai (Platon), le rayonnement de cet infini qui travaille l’âme et l’ouvre à l’Esprit.

            Malgré l’avertissement visionnaire de Dostoïevski (la beauté sauvera le monde), notre siècle a longtemps pensé que la science sauverait le monde et donnerait un sens à la vie humaine. Pourtant, notre société étouffe du manque de sens. Elle le cherche dans le bruit et la fureur des spectacles, dans les combinaisons rationnelles de l’informatique, dans l’exaltation de l’aventure aux extrêmes, elle ne le trouve pas dans le discours « politiquement correct » de nombreux responsables, dans l’aride réalisme des courbes économiques ou dans la fraternité sur commande des cérémonies religieuses ou civiques. Elle aspire au feu divin sans oser le nommer. Cependant, la science, comme auparavant la théologie spirituelle, a mis en évidence ce « nuage d’inconnaissance » au-delà de la connaissance et a fait des vrais savants les êtres les moins dogmatiques qui soient parce qu’ils communient avec l’infinie beauté du mystère de l’univers. Il nous appartient, dès maintenant, d’œuvrer ensemble pour que ce XXI° siècle naissant soit spirituel, pour que l’essence même de la religion se dévoile au-delà de ses manifestations visibles, pour que l’être humain devienne liturgie vivante, c’est-à-dire prenne part à l’œuvre de Dieu.

C’est une aventure difficile. Elle constitue l’enjeu des vingt cinq prochaines années. Elle est difficile, car il faut affronter l’inertie et la pesanteur d’une intelligentsia au pouvoir dont l’autorité se fonde sur un consensus de circonstance. Elle est enivrante parce qu’elle oblige à dépasser le vieil homme, à puiser son énergie dans le souffle de l’Esprit. Elle est visionnaire, car elle croit à la capacité pour chaque homme de s’accomplir au-delà d’un accroissement du quotient intellectuel ou d’un formalisme religieux et moralisant.

Expression essentielle du christianisme, renouvelant sans cesse le don du Christ, la liturgie devrait constituer le fondement de notre sens de la vie. Puisant aux sources même de notre être, elle existe pour nous renouveler, nous faire passer du vieil homme à l’homme nouveau, nous faire pénétrer dans le royaume auquel nous aspirons. « Seigneur, je crie vers toi », chante le psalmiste, et la réponse se trouve dans le cantique des cantiques : « Lève-toi, ma bien aimée, viens ! »

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