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17/11/2022

Moi, soi

Oui, il est là !
Où donc ?
Derrière-toi !
Mon Dieu, où est-il ?
Autour…
Où ?
Là !

L’autre lui montra
L’air environnant
La chaleur de l’été
La douceur des sourires
L’ombre de l’amitié
Les pleurs des enfants
La grandeur de la solitude
Et quoi d’autre ?

Ce vide dans la poitrine
Cette tête d’épingle
Qui se tient en toi
Et te maintient droit

Ne plie pas
Reste toi-même, 
Mais un toi
Devenu soi, autre
Ne le laisse pas s’échapper
Il est ton seul bien

25/06/2022

suis-je ?

Encore une fois, devant la page vide
Elle va se livrer à son jeu favori :
Qu’ai-je à dire sur ce que je vis
Qu’ai-je à dire sur ce que j’ai vécu
Qu’ai-je à dire sur ce que je vais vivre ?

Longue réflexion, brouillonne
Emplie de trous, de vides et d’obstacles
Est-ce lié à ma personnalité, à mon sexe
À mon histoire, à ma famille
Plus j’avance, plus cela me semble faux

Suis-je même quelqu’un ?
Un de ces bougres que l’on voit de la rue
Assis sur le trottoir, l’œil vague
Même plus capable de rêver
Juste de continuer à vivre

Je suis cependant femme,
Le cœur sur la main, pleurant
Regrettant les jours passés
Attendant des jours à venir
Mais rien ne vient. Suis-je encore ?

 

04/05/2022

Au bout

Aller au bout de soi-même, qu’est-ce ?
Installez-vous dans le noir
Vous ne voyez rien, n’entendez rien
Vous ne savez plus où sont vos membres
Vous flottez sur votre matelas 
Où êtes-vous ? Vous ne savez !

Mais il faut entretenir cette impression
S’efforcer de ne penser à rien
Vous voyagez dans un tube à essai
Et vous vous enfoncez en vous-même
Où ?

Eh bien, en vous-même !
Mai vous n’avez pas de vous-même
Vous tombez dans le vide
Et… Vous n’êtes plus

27/04/2022

Mouvement et vie

Le souffle vivant
fait jaillir la vie
Seul le mouvement produit l'espace et le temps
et crée le cosmos

30/03/2022

Lui

Il s’entortille et se zygote le vers
Les cheveux en bataille il est circonspect
Où donc va-t-il chercher ces mots
Qui tremblent et s’acheminent
Comme une colonie d’insectes

Il en a vu des membres
Courir sur la tôle verte
Et fuir dans l’ombre

Courez donc les bêtes
Mais ne touchez pas
Au vivant qui parle
Et prescrit d’une voix forte
Qu’il est d’un autre genre

Sa tête lui donne 
Ce que les autres n’ont pas
L’évaluation de ce qu’il n’est pas

10/03/2022

L'éternité (2)

Mais aujourd’hui, rien ne sort d’eux-mêmes. Ils sont comme transparents dans le monde. Les images les traversent sans s’imprimer, ils avancent comme des fantômes dans un jeu imaginaire et ne se reconnaissent pas eux-mêmes. Je comprends cette attitude dans une vision nocturne. Je vais retourner me coucher après avoir écrit mes quelques pages quotidiennes. En levant les yeux vers la fenêtre, je vis les filaments touffus de la vigne vierge se pressant aux vitres. Un aquarium, me dis-je. Tels des tentacules, les tiges se pressent pour contempler le bureau éclairé. Ici la vie ; derrière, le sommeil ou la mort pour la nuit. Il faut attendre le lever du jour pour que reparte le mécanisme invisible du mouvement accompagné de bruits, d’odeurs et de goûts. Et eux, ce couple qui se dénote parmi les autres couples, restent immobiles, frileux, englobés de terre glaise, incapables de faire un pas devant l’autre. Ils ont toujours leur lumière, elle rayonne avec la même intensité ; mais elle ne peut franchir la frontière de leur moi et se propager au-delà d’eux-mêmes. Il faut la lumière du monde pour qu’ils puissent rayonner. Sans elle, rien ne franchit la barrière de leur existence.

09/03/2022

L'éternité (1)

Constant dit, en se regardant dans la glace :
– Il est des jours où rien ne nous distingue des autres mortels.
Pourquoi une telle interrogation ? Peut-être le ciel grisâtre qui s’étendait à l’infini au-dessus d’eux ou le flot de paroles échangées sur le même ton ou encore les yeux voilées de celle à laquelle il s’adressait. 
Elle ne répondit pas, le regard vague, un geste de la main commencé et non achevé. Elle pensait à ses vacances raccourcies comme un soufflé qui s’effondre sur lui-même. Ses yeux se voilèrent d’une légère brume, sa voix elle-même ne répondait plus avec netteté. 
– Oui, c’est vrai, nous sommes deux mortels qui se regardent sans se voir, qui se parlent sans de connaître, qui se caressent sans rien sentir.
Elle lui toucha le bras, avec douceur, comme une femme en manque d’affection, un sourire aux lèvres, penchée vers l’éternel masculin, elle, l’éternel féminin. Il est vrai que leur couple formait un duo agréable. Il la regarda avec tendresse, souriant ; elle le caressa distraitement, le cœur soulevé. Il était beau, mais d’une beauté d’un autre âge. Il n’avait rien à voir avec l’homme stylisé que prodiguent les journaux de mode. En fait, c’était un homme ordinaire, mais dont l’énergie se lisait dans le regard. Ses yeux étaient de braise, étincelants et fiers. Eux seuls le différenciaient des autres mortels. Elle, le visage rieur, laissait une impression de sensualité italienne, retenue, mais réelle. C’était leurs deux regards qui les distinguaient des autres humains, regards comme des épées, acérés et chargés d’électricité. Mais comme par un fait exprès, ils ne se voyaient pas ainsi et aujourd’hui, une certaine langueur anéantissait l’éclat de leurs yeux. Tout leur paraissait terne, sans saveur, comme une longue journée tiède d’automne trainant des nuages gris sur des bois verdâtres.  Pourtant Aigletine, c’était son prénom, le rappelait à lui-même, l’enfermait dans son imaginaire, l’ouvrait à une vision mystique de la vie et de la rencontre entre deux êtres.

05/01/2022

La vie

vie,existence,bien-être

Tu es, mais quoi ?

Celui qui s’efforce de paraître
Celui qui essaie de penser
Celui qui tente d’être
Celui qui croit vivre

Mais la vie n’est-elle pas plus large ?

La vie dépasse les étoiles
La vie est au-delà de la vue
La vie, c’est Toi
En Toi, je deviens moi
Que je ne reconnais pas

C’est un Soi sans moi
Qui n’est plus
Et qui est

derrière l’insaisissable

18/12/2021

Double vie

Elle était là.
Il ne la vit pas.

Il avançait tranquillement
Sans s’inquiéter une seconde
De son rythme effréné à ses côtés
Il entendit ses halètements
Et son souffle exsangue
Puis, plus rien  
Pas le moindre souffle

Elle s’arrêta, asphyxiée
Qu’on la laisse là
A l’ombre des palmiers
Devant une mer lisse
Et un soleil de plomb

Ainsi finie la vie
De celle qui ne savait pas
Qu’elle vivait dans la poche
D’un autre être qui la laissa
Un jour sur le chemin d’un cimetière 
En bord de mer

17/12/2021

Être ou ne pas être

– Qui es-tu ?
– Toi
– je ne sais qui je suis. Toi, sais-tu qui tu es ?
– Pourquoi le saurais-je ? Je suis sans être.
– Seul celui qui n’est rien sais qui il est

– Y a-t-il ici quelqu’un qui n’est rien ?
– N’être rien, c’est déjà être quelque chose
mais pas forcément quelqu’un 

 – Y a-t-il quelqu’un qui sait qu’il est ?
– Être ou ne pas être, qu’est-ce ?
– seul celui qui n’est pas ne sait pas qu’il ne sait pas 

 – Y a-t-il quelqu’un qui sait qu’il n’est pas ?
On ne s’échappe pas de ce que l’on n’est pas

 – Y a-t-il quelqu’un qui ne sait pas qu’il n’est pas ?
– Oui, moi
– Si tu n’es pas, tu ne sais pas que tu n’es pas
– Mai si tu es, sans savoir que tu es sans être
Quoique tu fasses, tu ne sais qu’être réellement
Dans le vrai et le faux, étant ou n’étant pas

– Je sais quelqu’un qui sait qu’il n’est pas
Car il sait en même temps qu’il ne sait pas qu’il est
Mais celui qui sait qu’il ne sait pas qu’il sait
Devient néant pire que celui qui n’est pas

29/10/2021

Prison

Tu es là, présente à toutes choses
Tu ne bouges plus, es-tu ?
Tu es emplie de bruit
Et l’espace se rétrécit
Y a-t-il encore quelque chose ?
Tu ne sais, tu grattes la page
Tu distingues l’essentiel
Qui s’enfuit vers le lointain  
Tu l’appelles : rien
Elle part en toute liberté
Et fuit cet espace entrevu
Dans les plis du temps
Qui es-tu, lui ou elle ?
Tu ne sais qui tu es
Tu es seul, devant toi
Ou peut-être derrière toi
Ou en toi, dans le noir
Invisible aux yeux du monde
Mais bien présent
Adieu beau prétendant
L’absence te recouvre
Et t’enferme dans sa prison

24/09/2021

Être

Je ne suis plus et je suis
Je ne suis plus ce que j’étais
Et je suis pleinement tout l’univers
Tu n’es plus et tu es, totalement
S’oublier pour être
Être pour fermer le cercle
L’existence est absence
L’absence est présence
Je suis parce que je ne suis plus

 

16/09/2021

Existence

Que veut-il, l’homme sans corps ?
Il a traversé les ans sans voir les années
Il n’était pas là, on ne le voyait pas
Il méditait sur le monde sans relief

L’horizon plane, une feuille blanche
Un rien vêtu d’absence, sans volonté
Il rayonnait d’obscurité, de froid
Et clignait de ses yeux vides

Les gens passaient sans le voir
Peut-être ressentaient-ils un frisson
Qui secouait leur dos velu
Mais personne ne se plaignait

Ne sachant d’où venait cette sensation
Étrange est-elle, avançant sans bruit
Fermée sur elle-même, tel un courant d’air
Pleurant sur le rien qu’elle est
Espérant simplement, qu’un jour
Elle jouira d’une existence libre

23/08/2021

Le monde

Le vide est-il néant ?
Le néant existe-t-il ?
Sûrement pas.
Ce n’est qu’un mot sans consistance
Et sans le moindre bout de matière

Le néant n’est rien
On ne peut qu’énoncer sa non-existence
Le vide est un tout, petit certes 
Qui existe par son absence de matière

Je suis, et toi, es-tu ?
Tu n’es que parce que tu me vois
Mais moi, je ne me vois pas
Alors, je ne suis rien, un néant

Il m’arrive de passer devant une glace
Je vois un être sans consistance
Un long fil sans fin et sans membres
Qui divague dans l’air et la rosée

Le néant est-il vide.
Le vide est-il néant ?
Je ne sais plus
Rien ne va en ce bas monde

 

05/10/2020

Être

jE NE PENSE PAS, DONC JE SUIS

JE NE SUIS PLUS, DONC JE SUIS

Ce n'est qu'au-delà de la pensée que se manifeste la perception de l'être, lorsque, en nous, est mort ce qui constitue le moi, que nous pouvons dire Je Suis. Alors la déité se manifeste, l'existence devient lumière et nous irradie de bonheur. Je suis parce qu'Il Est en moi.

06/07/2020

la vie : Qu’est-elle et pourquoi ?

Le chat de Schrödinger est-il mort pour rien
Ou a-t-il trouvé une échappatoire à son destin ?

Il y a deux façons d’envisager sa vie :
Qu’est-elle et pourquoi est-elle ?
La suite des questions découle de ces deux premières

L’actif s’interroge sur le quoi :
Que vais-je faire de cette vie offerte ?
Les uns répondent sans difficulté : « Je veux faire… »
D’autres s’interrogent : « Pour quoi faire… »
La première réponse est concrète
« Je veux être… » Une réponse qui évolue sans cesse
Qui change selon le temps et le lieu
Qui évolue selon l’être qui porte l’interrogation
Jusqu’au dernier ajout sans trouver de réponse

Le second, disons le passif ou le méditant
Se questionne sur le pourquoi :
Pourquoi cette vie m’est-elle offerte ?
Les réponses sont plus évasives
Mais tout aussi intéressantes
Et pleines d’interrogations cachées
Sans fin, ni même de commencement
Tout cela a-t-il un sens ?

Souviens-toi de la réponse d’Albert Einstein :
Il n’y a que deux façons de vivre sa vie
L’une en faisant comme si rien n’est un miracle
L’autre comme si tout est un miracle

Mais le miracle est-il une question ou une réponse ?

©  Loup Francart

15/12/2019

Joie

C'est en passant d'un sommet à l'autre que se trouve la joie

et non en suivant les courbes de niveau de l'existence.

 

27/10/2019

Habitude

 

Le monde vit d’habitudes.
Il a pris l’habitude de l’habitude.
Toi, tu dois désapprendre l’habitude !
Jette-toi dans le chaos de l’existence
sans y chercher le renoncement de l’habitude.

 

08/04/2019

Votre double

Accoutumée à se défier tout autant des sentiments qu’elle ressentait que de ceux qu’elle suscitait chez les autres, la jeune fille marqua devant moi un temps d’hésitation. (…)

Je ne dispose pourtant pas des mêmes qualités qu’elle. De vingt ans son aimée, sans prétention de beauté, vêtu comme un valet de ferme qui rentre les foins, aucun signe ne lui permettait de savoir qui j’étais ; je ne pouvais faire impression sur elle par aucun pouvoir ni artifice. Et pourtant, je le sais, elle a dans cet instant éprouvé un profond sentiment pour moi.  (…)  L’explication qu’elle m’a donnée n’a guère éclairci le mystère. Elle m’a, d’après ses dires, reconnu immédiatement  « comme son double ». C’est un mot bien étrange, je vous l’accorde, et jamais double ne fut plus dissemblable. Mais elle vivait dans un monde qui lui appartenait en propre et auquel le monde réel ne participait que peu. Sans doute était-ce le refuge qu’elle s’était créé pour se protéger des agressions de la vie. En tout cas, seuls entraient dans ce monde ceux qu’elle élisait en secret et j’eus le privilège douloureux d’y prendre une place éminente dès notre première rencontre.

Jean-Christophe Rufin, Le grand cœur, Gallimard, 2012, Folio p.322

 

C’est un sentiment violent que celui éprouvé en un instant pour quelqu’un que l’on n’a jamais vu et qui se révèle comme son double. Peut-être n’est-ce pas le mot juste. Mais existe-t-il un mot qui vous donne ce sentiment inconnu jusque là de connivence et d’aisance envers une personne de sexe opposé qui vous fait penser que vous la connaissez depuis toujours et qui vous attire avec autant de force et de mystère. Ce contact vous submerge de transparence. Vous changez d’être physiquement et moralement tout en ressentant l’impression de déjà vu, déjà entendu, déjà vécu avec cette personne, même si rien ne vous permet de dire quand et où vous pourriez l’avoir rencontré et aimé.

Elle avait quarante ans de moins, peut-être même un peu plus. Adolescente, elle n’était pas encore femme au plein sens du terme. Elle était vive comme l’éclair, discrète comme un poisson, indépendante comme un sauvage. Au premier coup d’œil, nous nous comprîmes, une étincelle au fond de l’être nous anima sans cependant qu’aucun n’ait un mouvement vers l’autre. Pas besoin de rapprochement, nous savions que l’autre était notre double intérieur : même sentiments, même réactions, même vision de son avenir, même respiration venant du cœur et de la pensée, même si notre vie extérieure est si profondément différente.

De telles intuitions sont rares. Elles n’arrivent qu’une ou deux fois dans la vie. Vous découvrez votre double qui vit une autre vie dans un autre contexte. Mais vous savez qu’il est vous-même. Quel choc ! Des années après vous vous en souvenez et ressentez un trou dans votre poitrine, un ouragan qui vous impressionne, vous dévaste et vous fait du bien malgré tout. Vous avez entrebâillé une porte inconnue et regardez ce que vous n’êtes pas normalement autorisé à connaître : le mystère de l’être avant la naissance et après la mort. Oui, vous n’êtes pas seul au monde. Des liens indéfinissables vous relient à d’autres dimensions dépassant vos capacités d’appréhension du mystère de la vie au-delà de la simple existence individuelle.

 

03/10/2018

Être

 

« Je suis celui qui est »

 Ramener toute chose à l’être, car, s’il n’y avait pas d’être, il n’y aurait pas de pensée.

C’est pourquoi il est nécessaire de se dire en face de chaque personne : « Il est », de la même manière, avec la même intensité que l’on se dit : « Je suis ».

En poursuivant cette démarche, on en viendra à dire :

« Je suis parce qu’il est ».

 

12/04/2018

Moi et la vie

On a l’habitude de dire : « C’est la vie », lorsqu’une contradiction se présente et que l’on refuse de se laisser préoccuper par elle. Mais pourquoi faire de la vie quelque chose d’extérieur dont il faudrait accepter la fatalité ? Ce que l’on appelle prendre la vie avec philosophie n’est qu’un renoncement à être. On renonce à notre propre réalité.

Note système éducatif est élaboré  pour faire face à la vie, si bien que l’homme finit par croire qu’il y a deux choses : lui et la vie, c’est-à-dire le monde. Pourtant, le monde n’est pas plus la vie que lui. Le tout est la vie, car la vie est ce qui est.

Descartes a trompé l’homme lorsqu’il a dit : « Je pense, donc je suis ». Par cette simple phrase, il a dissocié la pensée et l’être, argumentant en faveur du fait que la vie de l’homme est en dualité permanente entre la pensée et l’être. Il a mis la pensée avant l’être. Pour lui, l’être n’est que parce qu’il pense, alors qu’en fait, en dehors de tout système philosophique, la pensée n’existe que parce que j’existe. Elle n’est qu’une des manifestations de l’être, comme l’amour. « Je suis, donc je pense » ?

Alors la dualité disparaît, le dualisme du sujet et de l’objet s’évanouit. Nous ne cherchons plus à saisir, car nous sommes ce que nous saisissons, le soi et le monde constitue une unité.

29/06/2017

"Je suis celui qui suis"

Dieu ne se nomme pas lui-même. Il n’est que celui qui est. Il est le seul qui sache qui il est.

L’homme se cherche en permanence sans jamais se trouver. Il se cherche à l’extérieur de lui-même, sans cesse aux aguets. Puis il se cherche en lui. Mais qui cherche qui ? Débarrassé de son moi, il continue de se chercher. Dieu devient Toi et non plus Il. L’autre est peut-être la réponse à cette interrogation. Mais cet autre n’est pas moi, juste un double de moi-même qui ne sait qui il est. Dans un troisième temps, je parle à Dieu et l’écho résonne dans la caverne de l’univers, puis, au-delà, du vide. Ce vide est-il le néant ou autre chose, Dieu peut-être ?

Ainsi, je suis homme et je suis par celui qui « suis ». En fouillant au fond du moi, l’homme trouve le soi. Mais s’il cherche à nouveau au-delà, il découvre que le soi n’est que le suis de celui qui est. Je ne sais qui je suis, mais je sais que je suis semblable à celui qui est, de toute éternité.

Dieu n’a pas de nom ou, plutôt, il a tous les noms. Dépouillé de moi-même, je n’ai plus de nom et je deviens tous les noms, sauf le seul qui est « Je suis ». Et je ne peux dire je suis parce qu’il est en moi, au plus profond de moi-même. Je ne suis plus parce qu’il est moi. Alors lui seul peut dire « Je Suis ».

Parce qu’il dit « Je Suis », le vide devient plein, le néant devient le tout, l’obscurité devient lumière. Il n’y a plus ni extérieur ni intérieur, il y a « Je Suis » qui est Lui, Toi et Moi, c’est-à-dire Soi.

Voilà pourquoi Dieu ne peut être la propriété des croyants d’une religion, quelle qu’elle soit. Dieu m’est si intérieur et je suis si unique, si singulier, que je ne peux dialoguer avec lui qu’en bannissant le moi. Alors, je suis parce que Je Suis est en moi.

22/06/2017

Lettre ouverte à un jeune homme, d’André Maurois

Quatre règles de vie :
•    Il faut vivre pour autre chose que pour soi ;
•    Il faut agir ;
•    Il faut croire à la puissance de la volonté ;
•    Il faut être de ceux qui ne déçoivent jamais.

Les obstacles :
« Il faut se dire chaque matin : aujourd’hui j’aurai à faire à un important, à un ingrat, à un brutal, à un fourbe » (Marc-Aurèle).
Ne répondez pas à la haine par la haine.
Pardonner en expliquant le pardon, n’est pas pardonner.
Vivons avec ceux qui nous aiment.

L’objectif :
Je suis capable de gentillesse. Je ne savais pas refuser durement, ce qui est la seule façon de refuser.
Choisissez bien le point d’application de vos efforts ; puis, le choix fait, il suffit que vous soyez tout entier derrière votre décision.
Il faut apprendre à faire la moindre chose de la façon la plus grande.
L’objectif, c’est d’être heureux.

Les loisirs :
Il faut choisir très jeune un sport et y exceller.
Acquérir une culture artistique.

Votre carrière, le chef, la conduite des hommes :
Deux attitudes, soit vivre dans l’ombre, un des chemins de bonheur, soit se jeter dans la mêlée.
Il n’y a point de faveur imméritée qui puisse durer. La chance sera fragile, si au temps du jeu ou de l’amour, ne succède le temps du travail.
Les vertus du chef : l’objectivité, une ardeur passionnée, le respect par la rigueur envers soi.

Les femmes :
Faites-vous une jeunesse tendre et passionnée.
Les femmes ont besoin qu’on s’occupe d’elle, qu’on leur parle.
Le temps passé auprès des femmes n’est jamais perdu.
Ne cherchez à tenir une femme que de sa propre volonté.

Le bal masqué :
La vie est un bal masqué. Faut-il toujours y porter le même masque ? Cela dépend du masque… et de vous. Mais attention ! Le masque fera pour vous le bal.

L’entraînement :
Commencez par le plus facile.
Au début, écrivez des choses courtes.
Prenez confiance en vous. Et surtout, ne dites jamais du mal de vous-mêmes. On vous croirait.

On peut ne pas être d'accord sur tout. Mais André Maurois reste un fin observateur de la vie !

 

16/11/2016

Etre

« Il y a trente ans, participant à un colloque, je séjournai à Royaumont. Dans un environnement si propice à l’entente, nous étions sensibles au fait que, devenus des êtres de langage, nous avions naturellement vocation au dialogue.

Pourtant, au cours de ce colloque dont le thème était l’échange interculturel, j’ai pu mesurer combien un vrai dialogue entre les êtres et, a fortiori, entre les cultures est difficile. S’il ne se contente pas de propos superficiels, un dialogue exige des intervenants qu’ils dépassent les apparences et qu’ils acceptent de plonger dans la profondeur de leur être, là où résident les quelques questions fondamentales, donc universelles, qui se posent aux humains. La sincérité de la réponse en constitue l’intérêt. A  charge pour les interlocuteurs de constater, si possible avec humilité, la part d’identité ou de différence entre ces réponses, et d’en tirer profit. »

(François Cheng, L’éternité n’est pas de trop, Albin Michel 2002)

 

Tout d’abord, sommes-nous des êtres de langage, c’est-à-dire des êtres suffisamment ouverts pour participer à un dialogue ? Apparemment oui. Nous devisons facilement avec les gens dont nous avons fait connaissance et n’hésitons pas à engager une conversation avec des inconnus, même si les femmes sont plus douées que les hommes à ce genre d’exercice.

Comment cela marche-t-il ? Le corps de l’homme a une peau qui protège ses organes internes de toute atteinte et constitue une enveloppe permettant d’identifier aussitôt la personne grâce à son apparence. De même, l’être pensant dispose d'une protection, le moi, qui lui aussi permet d’identifier la personne facilement à travers un certain nombre de caractéristiques. Ce moi, selon sa force et son étendue culturelle et psychologique, lui donne sa personnalité. Fréquemment, plus celui-ci est développé, plus il est difficile de percer cette protection psychique et d’accéder à la profondeur de leur être. L’homme s’enorgueillit de ce qu’il a développé avec tant de difficulté et de volonté. Son moi est sa richesse et ne veut pas en démordre. Mais cette richesse constitue un grave handicap pour se lier intimement avec un autre être et établir un véritable dialogue. A toute interrogation de l’autre, il oppose sa vision des choses qui peut être travaillée ou toute faite. Mais rarement il accepte d’entrer en véritable dialogue pour tenter de comprendre l’autre, car cela suppose de se défaire de ce moi pour se laisser atteindre non pas par le moi de l’autre, mais par ce qui se cache derrière, c’est-à-dire cet infini insondable constituant l’être véritable. Alors le dialogue devient possible. Mais, vous le savez bien, la plupart des personnes refusent de se mettre dans cet état d’être d’ouverture parce qu’ils se sentent trop vulnérables. Ils mettent nus devant l’autre et cela le gène, de même que se mettre nu physiquement devant un autre, est une intimité inacceptable pour la plupart d’entre nous. Le maître-mot de cette attitude : la pudeur. La pudeur a du bon, elle protège l’être de son environnement et lui permet de survivre dans le bouillonnement des échanges. Mais l’excès de pudeur devient vite un obstacle pour celui qui cherche atteindre l’autre dans sa réalité profonde. Je me souviens d’une personne avec laquelle j’avais engagé un dialogue sur la littérature. Elle m’avait qu’il était impossible à la plupart des gens d’écrire avec le fond de l’âme, car c’est effectivement se mettre nu. Ainsi la poésie lui était interdite, parce que, par son style de langage, elle impliquait trop fortement l’être tout entier.

Heureusement, il y a des circonstances qui facilitent cet état d’être. La première est l’amour. « L'amour est patient, il est plein de bonté; l'amour n'est point envieux, il ne se vante point, il ne s'enfle pas d'orgueil. [...] Il se réjouit de la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. » (1 Corinthiens 13:4-7) La plupart des êtres humains expérimentent cet état dans lequel nous nous mettons à nu. Cela leur tombe dessus et ne peut s’y opposer. Au contraire, ils s’en réjouissent et découvrent l’autre comme un autre lui-même et pourtant ô combien différent, physiquement et psychiquement. De même, certaines personnes, en voyage dans un autre pays, sont capables d’entrer psychologiquement en osmose avec la culture du lieu. Certes beaucoup moins profondément, mais suffisamment pour éprouver les mêmes sentiments de bonheur dus à la perte momentanée de ce moi si encombrant.

Ainsi, ce qui permet cet échange nouveau, plus profond, plus intime entre les êtres, ce n’est le plus souvent pas la volonté délibérée d’établir un vrai dialogue, car cette volonté vient du moi qui s’y oppose. Ce sont plutôt des circonstances insolites qui vous y poussent. Autre exemple, l’émotion artistique ou esthétique, ou une peur suite à un accident dans lequel il y avait risque de perdre la vie. Alors l’être se met à nu, s’ouvre et communie avec l’autre pour lui communiquer sa peine ou sa joie.

Alors ne résistons pas à l’inconnu, ne cherchons pas l’indolence de l’habitude. Au contraire, recherchons les extrêmes, les circonstances qui vont dévoiler le soi derrière ce moi encombrant. Dans ce vide aspirant, on découvre notre être véritable, comme une bouffée d’oxygène respirée dans une cave toute noire.

25/08/2016

Méditation

 

Un bruit seul suffit

Pour éveiller tes tourments

Laisse aller les battements de ton cœur

Qu’ils couvrent les plaintes de ce monde

Et ne résonnent que de ton absence

 

©  Loup Francart

17/08/2016

Savoir être vieux

Peu de gens savent être vieux.

(La Rochefoucauld)

 

Oui, c’est vrai, et pourquoi ? Il n’y a pas une réponse, ni même deux, mais une multitude. Pourquoi ? Parce que chaque homme a son histoire secrète et que celle-ci est ce qui conduit à la vieillesse.

Tout d’abord, de nombreux hommes arrivent à un âge avancé sans se savoir vieux. Ils font des projets, poursuivent ce qu’ils ont commencé sans qu’il leur vienne une seconde l’idée d’arrêter. Ce sont des actifs qui poursuivent sur leur lancée leur rêve de vie et n’ont jamais eu l’idée de faire autre chose que ce qu’ils ont toujours fait. Ils le font bien, à leur manière ; mais ne savent faire que cela et s’enlisent dans ce rêve sans comprendre l’’importance d’en sortir. Savent-ils vieillir ? Non, ils ne savent pas ce que vieillir veut dire.

Pourquoi les hommes plus que les femmes ? Parce qu’une femme a la sagesse du corps. Elle a connu l’amour humain sous toutes ses formes : chaste (plus que les hommes en général), fou (éros, matrimonial ou autre), maternel (ce qu’aucun homme ne connaît), familial (storgê, la femme étant la préservatrice de la famille), sociétal (philia en tant que lien social) et souvent, par ce fait, l’amour inconditionnel (Agapè, proche de l’amour divin). Alors une femme sait vieillir, cela lui vient naturellement, au travers des enfants et petits-enfants qu’elle choie comme s’ils étaient ses propres enfants, même s'ils ne lui appartiennent pas.

Inversement un certain  nombre se sentent vieux avant même d’arriver à la vieillesse. Leur phrase favorite : « Comme les vieux… » Ils sont perclus de maux, ne vivent que dans leur passé qui est généralement pauvre et c’est pour cela qu’ils n’ont jamais rêvé le poursuivre à un âge avancé. Ils écoutent leur corps, à la recherche du moindre grincement des bielles et consultent le médecin avec une régularité d’obsédé.

Plus rares sont ceux qui, lorsque la vieillesse arrive, se disent qu’il est temps de changer de vie et de s’intéresser à ce dont leur jeunesse a rêvé ou ce qu’ils ont entrevu à ce moment sans avoir eu le temps de l’approfondir. Ils se découvrent un hobby qui les maintient en activité jusqu’à un âge avancé. Il peut être futile ou tout ce qu’il y a de plus sérieux. Il peut être exercé en amateur, mais aussi en professionnel et conduire à une nouvelle carrière. Mais si c’est le cas, ils se classent alors dans la catégorie des gens qui deviennent vieux sans le savoir.

On trouve aussi des gens, plus rares il est vrai, qui ont passé leur vie à s’exercer à de nouvelles approches de la vie, passant d’un métier gagne-pain à un métier hobby sans jamais se fixer, dévoreurs d’activités sans pouvoir choisir ou échouant à chaque nouvelle proposition apportée par le destin. Ce sont des indécis, des girouettes et ils aiment cette incertitude de l’avenir comme étant une ouverture permanente sur la vie et les autres. Ce peut être également de gens qui ne savent se fixer et qui en sont extrêmement malheureux, même s’ils ne le disent pas.

Enfin, il y a des personnes qui choisissent une activité (et pas forcément un métier), qui l’exercent à fond, puis choisissent de changer parce qu’ils en ont fait le tour et n’ont plus rien à apprendre. Ils exerceront ainsi trois ou quatre passions, voire plus, et sauront le moment venu en changer avant d’en être totalement lassés. Malheureusement, ceux-là ne savent pas non plus vieillir. Ils sont comme les premiers, dévorés par l’activisme.

Alors, effectivement, peu de gens savent vieillir, donc être vieux. Ils se retrouvent vieux, dans la peau d’un autre, mal à l’aise et amoindri par cette infirmité plus psychologique que physique, sans savoir se comporter comme leur âge le laisse supposer. Généralement, leurs défauts s’accentuent, leurs qualités s’amenuisent, mais aucun fait nouveau ne vient modifier leur façon d’être.

Mais au fond, qu’est-ce qu’être vieux ?

C’est avoir découvert ce qu'on a toujours pressenti au fond de soi-même, cette essence de l’homme derrière l’existence, l’invisible derrière le visible et le donner aux autres à travers ce qu’on fait, crée, produit, engendre, pense. Et c’est un secret différent pour chacun de nous qu’il nous faut découvrir et cultiver pour le partager.

05/08/2016

La mue (12)

Je sors avant qu’elle n’ait le temps de refermer. Oui, je la connais Joséphine, elle est juste un peu lente. Non, cela ne se voit pas, mais c’est suffisant pour me permettre, moi qui la connais, de me glisser dehors. Elle est furieuse, mais n’ose encore pas le montrer. Elle m’appelle :

– Rémi, comment vas-tu ? Comme tu le vois, je t’ai préparé ton diner. Tu ne veux pas le prendre ?

Je fais non de la tête et lui pépie mes conditions. Je dois pouvoir ouvrir la cage quand je le veux. Elle doit me montrer comment je peux ouvrir. Elle fait semblant de ne pas comprendre. Mais devant mon insistance, elle finit par céder. Elle me montre comment je peux ouvrir. C’est simple. Mais a-t-elle le pouvoir de bloquer le système. Oui, je le vois bien. Alors, je me jette sur sa tête et lui cogne deux fois celle-ci avec mon bec. Elle comprend et supprime sa possibilité. Je suis maintenant libre comme je le veux, tout en étant protégé par Joséphine. Que demander de mieux ?

Nous avons chacun pris notre indépendance tout en nous respectant mutuellement. Je prends garde de ne pas faire trop de bruit le matin alors que je suis réveillé tôt. Elle m’apporte chaque jour mes repas avec assiduité. Elle écoute parfois de la musique. Heureusement, elle a de l’oreille et du goût et ne consomme que de la musique classique. J’aime, particulièrement depuis que j’ai mué, la musique de Janequin (Le Chant des Oiseaux) ou Joseph Haydn avec La Poule. Elle me fait plaisir à petits prix et je peux m’exercer à triller tant et plus. Pendant la journée, j’ouvre la cage et je me promène dans l’appartement. Je dois faire attention de ne pas me laisser aller. Il y a deux jours, j’ai lâché une crotte au cours de mes vols et Joséphine était furieuse. Elle m’a recouvert d’un voile opaque pendant la journée et je n’ai rien pu faire. En rentrant le soir, elle m’a dit :

 – J’espère que tu as compris. Sinon je serai obligé de t’enfermer définitivement.

Je me suis mis en posture de soumission sur le nid et elle a paru rassurée.

02/08/2016

La mue (11)

Je lui explique par un vol imagé ma promenade dans la ville. Évidemment, je ne lui dis pas que je l’ai suivi ce matin. Elle fait semblant de comprendre, sourit et me prends dans ses mains. Comme c’est bon, presque autant que l’amour. Elle me fait entrer dans l’appartement, m’ouvre la cage qu’elle a achetée en prévision de ce qui s’est passé. Elle y a installé un petit nid douillet, un réservoir plein d’eau et un bac à graines qui est déjà rempli. Quel luxe. Lorsque j’ai fini, je mets mon bec au creux de la commissure de ses lèvres. Elle me prend, me dépose dans la cage et… elle referme. Je suis prisonnier. Je proteste doucement, puis un peu plus énergiquement en tapant du bec sur les barreaux. Mais rien n’y fait. Elle m’a déjà tourné le dos et se prépare son diner, un délicieux plat de pâte avec une sauce tomate italienne que je connais bien. Il ne me reste à moi que les graines et quelques gouttes d’eau. Je pépie, je pousse de petits cris, je piaille. Rien n’y fait. Je reste seul. Oublié Rémi. Il ne compte plus. Ce n’est qu’un oiseau de compagnie à qui l’on donne quelques graines pour qu’il vous enchante les oreilles.

Je rumine, je rumine. Il faut que j’apprenne à ouvrir cette cage, sinon je vais devenir fou. Je dois faire attention quand elle viendra remettre de l’eau ou des graines. Quand je pense qu’auparavant c’est moi qui allais faire les courses ! Joséphine, que se passe-t-il ? Tu as toujours été tendre avec moi. Tu m’attendais le soir dans le lit et tu l’ouvrais à mon arrivée. Je me jetais dans tes bras et nous partions ensemble au septième ciel. Quelle froideur tout d’un coup. Je ne comprends pas. Que s’est-il passé ? Oui, c’est vrai, j’ai un peu changé, mais je suis toujours Rémi, ton amant, ton petit ami, ton compagnon, ton presque mari. Alors ?

Rien. Elle m’ignore. Je n’existe plus, ma parole. Vite, mangeons toutes les graines, qu’elle soit obligée de les remplacer. De même pour l’eau. Un quart d’heure après, je m’installe dans mon nid, le ventre lourd, la démarche peu assurée. Oui, j’ai trop mangé. Mais c’est pour la bonne cause. J’attends. Le soir est tombé. Elle a allumé la lampe au plafond. Elle est trop puissante et m’aveugle quelque peu. Peu importe. J’attends. Je l’entends entrer dans la salle de bain. Elle ne ferme plus la porte. Elle chantonne, revient dans la chambre, retourne se regarder dans la glace et, tout d’un coup, réapparaît nue, tranquille, comme si elle était seule. Elle passe sa main sous les bras : non cela peut attendre, je me raserai dans deux ou trois jours, semble-t-elle se dire. Enfin, elle vient vers la cage, constate le  manque de nourriture et d’eau, va à la cuisine et ouvre la cage pour y glisser les deux contenus.

31/07/2016

La mue (10)

Effectivement, elle est entrée dans l’immeuble où elle travaille. Je n’ai jamais su exactement ce qu’elle fait. Elle me parle tantôt de communiqué, tantôt de messages publicitaires, tantôt d’avertissement, de quoi, je ne sais pas. J’attends, je vais probablement la voir à l’une des fenêtres. Je fais le tour du bâtiment, étage par étage. Ah, ça y est, la voilà ! Elle parle avec une copine tout en s’installant à sa table de travail. C’est drôle d’imaginer que je peux maintenant la voir au travail, l’air de rien. Elle rit. Oui, elle m’avait dit qu’elle s’amusait bien au travail et que les gens étaient sympas. Bon, je ne vais pas rester là toute la journée à l’attendre. Que faire ? Je décidais de faire un tour de la ville avec la vision "Vue de Haut". Cela change tout. Vous voyez les gens beaucoup moins importants qu’ils ne le paraissent vus du sol. Il y a trois sortes de personnes : les chauves, comme un point blanc ou rose qui se promène sur le trottoir ; les chapeautés, surtout des femmes, mais on trouve aussi des hommes ; les chevelus, noirs, châtains ou blonds. De haut, on ignore leur condition sociale, hormis ceux qui tirent une charrette ou portent quelque chose sur leur dos. Ils s’agitent tous comme des fourmis. Ils entrent et sortent sans cesse d’un immeuble, d’un autobus, de la bouche du métro. Seuls les sages se tiennent assis au café. Oui, une ville ne ressemble pas à ce que nous connaissons lorsqu’on la regarde d’en haut. On dirait une pelouse bien tondue, avec des immeubles, voire des gratte-ciels, entre lesquels les insectes remuent avec célérité. Nous, les oiseaux, avons l’avantage de pouvoir nous trouver où nous le voulons, en hauteur et en largeur, pas en profondeur, car nous n’aimons la terre que parce qu’elle nourrit les vers. Tiens ! C’est la première fois que je pense en tant qu’oiseau. Ça va assez vite finalement !

C’est le milieu d’après-midi, je suis las. Je décide de rentrer à l’appartement, pour me reposer si je trouve une fenêtre ouverte, ou, au moins, pour attendre Joséphine. Malheureusement, tout est fermé. Je m’installe sur l’arbre face à l’entrée de l’immeuble et attends. Je repense à tout ce qui s’est passé en quinze jours. Quel bouleversement. J’ai réussi à tenir psychologiquement, mais non sans mal. Ce qui me chagrine le plus, c’est Joséphine. J’ai l’impression qu’elle se détache. Pourquoi m’a-t-elle fermé la porte au bec ? Ce n’est pas très gentil. Ah, elle arrive. Je prends mon envol et fait des tourbillons autour d’elle en pépiant. Elle finit par me reconnaître :

– Rémi, qu’as-tu fait de ta journée ?

29/07/2016

La mue (9)

Je pépie et trille à qui mieux mieux en agitant ma tête de haut en bas, une vieille habitude humaine pour acquiescer à ce que dit quelqu’un. Elle émet quelques larmes, m’embrasse sur le bec, me caresse à nouveau, puis me pose sur le rebord de la fenêtre et ferme celle-ci. Je suppose qu’elle va faire sa toilette et il ne faut pas la déranger, que l’on soit humain ou animal. Alors j’attends. Je l’imagine nue devant sa glace, auscultant les points noirs sur son nez ou le bouton sur son cou qui la gêne ou encore le bleu sur sa cuisse qu’elle s’est fait dans le métro. Elle sort sa trousse de maquillage, prépare les bons flacons et les crèmes ad hoc et se prépare un corps de rêve, celui que j’ai apprécié les jours passés. Elle finit par quelques projections de parfum derrière l’oreille et sous les bras, noue son soutien-gorge sous les seins, passe l’attache dans son dos en le faisant tourner autour de son buste et le fait remonter de façon à les empaqueter et se sentir à l’aise. Elle enfile sa jupe et noue les boutons qui la maintiennent à la taille ; enfin elle revêt un corsage immaculé. Ah, elle devrait sortir. Que fait-elle ? Cela dure plus longtemps que prévu. Enfin, la voilà. Elle se jette encore un coup d’œil dans la glace de la chambre, prend son sac et sort sans même regarder dans ma direction. Je crie intérieurement, mais ne sortent que quelques pépiements qu’elle n’entend bien sûr pas.

Je décide de la suivre. C’est facile pour un oiseau de surveiller un adulte marchant dans la rue et même entrant dans un immeuble. À un moment ou un autre, il réapparaîtra à une fenêtre pour contempler le temps qu’il fait ou surveiller un point précis dans la rue. Cela vous arrive souvent d’aller vers la fenêtre en pleine réflexion et de regarder sans voir les mouvements de vos contemporains. Pendant ce temps, votre esprit travaille, broie les idées, les fait passer dans des filtres, jusqu’à ce qu’elles ressortent taillées comme un diamant, rutilantes et faisant envie. Vous pouvez ensuite, en toute quiétude, vous emparer du clavier de votre ordinateur et taper sans difficulté jusqu’à l’épuisement de votre découverte. Aïe, c’est vrai, je ne peux plus le faire, à moins de taper avec le bec, ce qui est long et risque de le fissurer. Je dois garder en moi mes impressions, sentiments, raisonnements et attendre, plein d’idées qui ne pourront être mises en valeur. La vie d’oiseau est incomplète, surtout lorsqu’on est un intellectuel !