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17/07/2019

Locédia, éphémère (11)

_ Alors, écoutes bien, car c'est là qu'est le drame, j'avais faim. Je n'avais rien pêché depuis huit jours, j'avais livré combat, j’avais vaincu et j'avais faim.

Je suis descendu dans la cale et j'ai coupé un morceau de solitude. Bien sûr, c'était un petit morceau. Il n'en faut pas beaucoup d’habitude pour nourrir un marin. Et j'ai mangé la solitude, je l'ai dévoré à pleines dents, je m'en suis barbouillé les mains, les joues, le nez. J'ai respiré son odeur, j'ai gouté sa chair mauve. Et j'avais faim et j'ai repris un morceau de solitude.

J’avais faim et je me suis déchiré les dents sur mon filet, écorché les mains sur les mailles. J’avais encore faim et j’étais prisonnier du filet. J’étais devenu la pelote, le cou, les mains, les jambes, les pieds prisonniers de chaque trame, de chaque nœud.

Alors l’esprit de la solitude m’a parlé. Il a tourné le treuil que j’avais tourné, il a refait en sens inverse les gestes que j’avais faits, il m’a élevé dans les airs, je suis passé de l’obscurité de la cale à la lueur de la nuit. J’ai franchi le pont ou j’avais marché, le bastingage sur lequel je m’étais appuyé, les hublots de la cale d’où j’avais contemplé l’océan.

Il m’a pénétré de l’eau froide, il m’a dénoué du filet, il m’a déshabillé de sa trame et m’a laissé seul dans le froid, le noir, le silence en riant. »

Pourquoi ce récit m’a-t-il autant impressionné ? Étais-ce l’air de sincérité malheureuse du marin, le langage qu’il avait employé et qui n’avait pas manqué de me surprendre ? Toujours est-il que je suis sorti fatigué du bistrot et que je dus m’appuyer sur un des piliers de fer qui empêchaient la chaussée de suivre la pente vers le fleuve. Après quelques instants d’hébétude passés à contempler les taches de rouille du pilier, j’ai descendu lentement les marches de l’escalier vermoulu. Ses marches étaient à l’envers, mais comme deux marches à l’envers font une marche à l’endroit, on n’avait aucun mal à l’emprunter, si ce n’est qu’on descendait deux fois moins vite.

Je me suis promené le long du fleuve comme ce jour où je suis venu pour la première fois te voir à Cipar. Non, ce n'était pourtant pas la première. C'était lors d'un de tes retours de voyage, quand tu m'avais téléphoné alors que je croyais que tu m'avais oublié. Tu devais rentrer incessamment et cet incessant retour avait duré, duré des semaines ou des mois. J'entends encore le son de ta voix dans l'appareil. Je devais le presser un peu contre l'oreille, car le bruit environnant couvrait tes paroles. « Salut.  Je suis revenu, disait-elle. J'ai envie de te revoir. Tu me manques beaucoup. » Je reconnaissais ta voix au timbre musical de l'appareil dont la plaque vibrait patiemment avant de cesser sa plainte. Je ne comprenais plus ce que tu disais, attentif simplement à recueillir ces tressaillements rapides de la plaque vibrante qui transmettait ta voix. « Locédia, j’arrive et pose mes lèvres à cet endroit du cou où se forme un creux de chaleur tiède. »

16/07/2019

Attention

Une extrême attention, l’œil rivé à la ligne,
Il ne pense qu’à ça, le cerveau pétrifié.
La ligne est son guide, même si curviligne.
Elle fuit à l’horizon, jusqu’où va-t-il aller ?

Il fit ainsi le tour d’un monde artificiel,
Entraîné par l’élan d’une droite sans fin
Qui reste toujours une, ô jamais plurielle,
Avenir solitaire jusqu’à l’étrange fin.

Et pendant ce temps-là, d’autres peintres concourent,
Penchés sur la ligne, préparant leur discours,
Ils oublient la droite et entament le cercle.

Est-il vraisemblable que l’homme tourne en rond,
Que le ciel l’enferme tel un tâcheron,
Le contraignant à mourir derrière un couvercle ?

©  Loup Francart

15/07/2019

toujours la peinture !

Celui-ci est réalisé à Paris. Il est presque fini, mais mérite encore quelques améliorations.

 

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14/07/2019

Chiffres

Les chiffres ont-ils une qualité ?
1 homme ou 1 femme ont-ils la même valeur ?
2 hommes ou 2 femmes sont-ils égaux à 1 homme plus 1 femme ?
Finalement, leur somme est-elle toujours égale à deux ?

Les esprits malins prônent l’égalité
Mais l’égalité suppose les mêmes qualités
Et celles-ci n’ont pas la même valeur
Selon les différences de nature
La dualité induit-elle une trilogie
Ou celle-ci ne reproduit-elle qu’une face du dualisme ?

Il réfléchit longtemps
Et ne sut rien produire
1 + 1 est toujours égal à 2

Elle rêva longtemps
Attendit patiemment
Et fit un miracle
1 + 1 égal 3

Les chiffres ont bien une qualité
Mais celle-ci n’a rien à voir
Avec la comptabilité

©  Loup Francart

13/07/2019

Locédia, éphémère (10)

J'avais soif de la poussière de la basse ville qui enduit les chaussures d'une légère couche blanchâtre et frappais à la porte d'un bistrot pour m'en débarrasser. C'était un de ces bistrots crasseux de la vieille ville, surmonté de charpentes de bois mal équarries, aux vitres jaunes de poussière et parfois remplacées par un morceau de carton découpé dans un vieil almanach. Dans la rougeur vaporeuse de la pièce, je distinguais du bout des doigts le bar vertical et rigide où les clients s'étendent pour consommer. Il était muni de petits accoudoirs et d’oreillers en cuivre mat pour le rendre plus confortable. Au plafond, sur la passerelle métallique, trônait le patron à la tête de ses robinets. Il y en avait de toutes les formes : carrés ronds, coniques, à tête de bélier, à tête de loup ou à tête d’épingle. Sous chacun d'eux luisait un petit voyant rouge dans la transparence duquel se lisait le nom des boissons. Appuyant sur un des boutons du pupitre de commande après avoir introduit une pièce et tournant le doseur sur petites giclées, j'attrapais avec la bouche le tuyau à bec chromé descendant de la passerelle et savourais lentement le breuvage rafraichissant.

Désaltéré, je pus regarder autour de moi les rares clients étendus sur les bars. Parallèlement au mien, à trois mètres environ, coiffé d’une casquette verte et décolorée, déglutissait un marin. Je l'enviais un peu d'avoir atteint ce stade de la soif où le patient tente de boire l'atmosphère à grands gestes de possession. Je n'osais pas trop me pencher vers lui de peur d’être aspiré par le lobe de l'oreille dans un de ses mouvements. Mais voyant que je m'intéressais à lui, il tenta de m'aborder au prix d'efforts immenses pour déplacer l'air et attirer mon bar. Je me tournais promptement vers le tuyau chromé pour aspirer quelques giclées bienfaisantes en poussant vers la droite la poignée du doseur. A travers le périscope du bar, le marin apparaissait allongé, ténu, déglutissant, la face ravagée par l'ennui. Il avait visiblement envie de parler. Je tournais vers lui le pavillon du bar et lui fis comprendre du regard que j'étais prêt à l'écouter. Il parla d'une voix altérée par la déglutition en entrecoupant son récit de fréquentes lampées sur le bec chromé.

_ J'ai vu la solitude. Je la tenais dans mes filets, étendue mauve, molle, secouée par les flots, abandonnée par sa force. Je la tenais prisonnière et mon cœur éclatait en rires. J’ai mis toute mon âme à fermer le filet. J’ai plongé dans l’eau verte à côté de la forme mauve. J'ai pris un bout du filet et nagé pour chercher l'autre bout. J'ai tourné ainsi trois fois en plongeant pour bâtir ma pelote de mailles, une pelote ronde, mauve et molle. Quand j'eus bien fermé la pelote, je remontais sur le bateau, je manœuvrais le treuil, j'attachais le câble au filet, j'ouvrais les cales au centre du bateau et y déposais la pelote dégoulinante d'eau. Épuisé, je me couchais sue le pont et sombrais dans un sommeil profond.

12/07/2019

Et ce n'est pas fini

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Et ce n'est pas fini !

11/07/2019

Mozart : Concerto pour piano et orchestre n°9 "Jeune homme" joué par David Fray

Toujours la même fraicheur, le même entrain

 

10/07/2019

Silence

Peu à peu, le silence l’envahit
Un rien d’absence, une note grêle
Résonne dans la folie du monde
Le ventre de l’obscur se dévoile

Chape de plomb sur les têtes
Pas un mot plus haut que l’autre
Sa majesté passe dans les rangs
Rien ne dépasse, tout se prélasse
Dans l’ignominie du mutisme

Bouillie collante de l’infortune
Qui dérive sur les nuages tièdes
De l’incertitude et de la morgue
Serait-elle morte l’affirmation
D’une innocence épinglante
Déchirant de rouge la poitrine

Le bourrage touche à son comble
Suffocation des engloutis
L’élite se doit d’être prudente
Il faut rester de taille
A s’affranchir de l’aveulissement
Seul le mystère doit demeurer

Terre-toi dans ta détermination
Poursuis ton œuvre inconnue
Laisse s’accumuler l’ombre
De tes rêveries et passions
Sur de modestes papiers
Dédiés aux générations futures
Ou, tout simplement, à l’oubli

©  Loup Francart

09/07/2019

Locédia, éphémère (9)

En relisant cet article du catalogue, acquis au son d'une pièce dans une petite sébile à la bouche pendante, je ne pouvais m'empêcher de lire « L. Locédia. Caractère contemplatif des grands fonds subconscients. A la particularité de voir l'envers des objets. Ne perçoit pas l'atmosphère quotidienne. Ne sait plus vivre seule et pas encore à deux. »

L'aquarium municipal découpait sa carcasse de plastique et de verre sur le ciel atténuant à travers ses ouvertures l’éclat verdâtre de l’horizon. Le poisson continuait sa lente digestion d’épinards que les visiteurs pouvaient acheter à l’entrée. Il distrayait ces gens qui venaient assister à la transformation naturelle et à ciel ouvert d'une feuille en purée. Le spectacle était d'autant plus amusant que le Licarpagus ne voyait bien que la nuit et tâtait désespérément l'eau claire de sa bouche à fanes jusqu'à trouver une feuille d’épinards. De jour, on ne pouvait observer ce travail passionnant qu'en empruntant les escaliers en colimaçon qui gravitaient autour de l'aquarium entouré d’une devanture d'acier rabattable pour maintenir une semi-obscurité à l'intérieur. Privilégié, je regardais le poisson de la rue, car il fallait pendant la nuit laisser respirer l’eau à la lumière nocturne.

Abandonnant le poisson à sa digestion, après être passé à un carrefour revêtu d'une guirlande de réverbères, je me dirigeais vers la basse ville. Elle constitue ce qui est appelée la ville pauvre, peut-être parce qu'elle est plus vieille que l'autre ou moins lumineuse. Les madriers soutenant les murs s'enchevêtrent aux poutres des plafonds et les béquilles se mêlent aux vieillards pour soutenir leur ennui. Entre deux poutres diagonales, un de ces vieillards cloue parfois quelques planches pour abriter sa paille et évoque à travers l'arête rouge de sa bouteille le temps où les chevaux tiraient les cadavres gonflés du fleuve. Un peu plus bas, toujours dans la ville pauvre, on peut voir le fleuve et le cimetière encombré de monticules bossus à l'endroit où le ventre gonflé repousse la terre fraîche. Un gardien veille sur la santé des fleurs de deuil qui recouvrent les monticules de leur végétation d'encens. Chaque matin, d'un arrosoir en panse de chevreau, il laisse tomber au creux de leurs pétales violacés une goutte d'eau morte qu'il perçoit tous les mois à la citadelle. Le soir, à la sortie des classes, quelques gamins rapiécés et bariolés jouent à la noyade en tirant à la courte-paille. Le jeu est d'autant plus amusant qu’i1 leur arrive fréquemment de manquer les classes pour assister à l'enterrement d’un de leurs camarades malchanceux.

08/07/2019

Envol

Regard dans la nuit

Le vide envahit le corps

Émoi de l'âme

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07/07/2019

Sagesse et raison

 

La raison seule ne peut mener à la sagesse véritable,

car le propre de la raison et de se pencher sur elle-même.

 

06/07/2019

Fin rêvée

Elle avait rêvé longtemps de cette soirée à deux, dans cette douceur crépusculaire, côte à côte, sur le banc des accusés. Elle en avait imaginé le décor, soigné, net comme un tribunal, le bois ciré des murs, les fauteuils rouge carmin, l’appariteur chaussé d’espadrilles, une respectable chaleur régnant dans la salle. Assise sur le banc des prévenus, elle papillonnait gentiment, inconsciente de son avenir déchu. Elle répondait d’une voix égale, ni trop charmeuse, ni trop effondrée. Dans son malheur, elle résistait à la tentation de se laisser aller. La présidente sortit un moment, levant la séance pour faire face à une envie pressante. Elle regarda l’assemblée, sa mère qui pleurait dans son mouchoir, son père qui se tenait très digne, le dos raide, la nuque droite, l’œil sec. Ses frères, indifférents, semblant connaître la fin, restaient silencieux à côté de leurs épouses hautaines. Rien ne lui sera épargné, même pas le mot d'une de leurs filles qui disait sans arrêt : « C’est pas bien ! »

– Accusé levez-vous ! dit la greffière. Elle se leva dignement, l’air soudain fatigué. La présidente prit la parole, ajustant ses lunettes :

– Attendu que mademoiselle Trapolin n’a pas conscience de ses fautes qui sont pourtant bien prouvées, le tribunal condamne la prévenue à trois tours de piste à cloche-pied et à une amende de cent euros. 

– Je proteste, s’écria-t-elle d’une voix forte. Je n’ai fait qu’embrasser ce garçon blond et bien fait qui m’a rejeté vivement sans explications. Quel goujat ! Les hommes ne savent pas voir le cœur des femmes qui saigne tous les jours pour eux.

La petite fille se mit à pleurer. Elle avait mal aux mollets et n’avait pas un sou en poche.

Alors un homme dans la fleur de l’âge ouvrit son portefeuille, en sortit un billet et s’avançant vers elle, il chuchota à l’oreille :

– Voici pour ta prestation si digne et véridique. J’ai admiré ton maintien, bu tes paroles pleines de sagesse, reconnu ta clairvoyance. Juste une chose. La prochaine fois, n’oblige pas un aveugle à danser le guilledou.

05/07/2019

Locédia, éphémère (8)

3

Cette chambre était notre enfer, une ile déserte dont nous n'aurions pu nous évader. Il fallait vivre et nous supporter chaque jour bien que rien ne nous y obligeait. Chacun inventait n'importe quelle histoire pour s'excuser auprès d'amis d'autrefois qui insistaient pour le voir. Pourtant ces rencontres dans la chambre créaient un mélange de joie, d'inquiétude et d'énervement.

Elle ne parlait pas, ne souriait pas, le regard vague, perdu au-delà des murs jaunis, le visage immobile imprégné d'une tristesse profonde. Elle s'efforçait parfois de paraître gaie. Cette fausse gaieté la rendait vite silencieuse et elle jetait d'énervement ses bagues et ses boucles d'oreille. Cela se passait bien après que nous nous soyons connus, dans la ville morte, sous le soleil étouffant de l’été, quand la fenêtre entrouverte ne suffisait pas à rafraîchir l’air lourd de la pièce. J'essayais de parler, de rompre ce malaise en disant des mots qu'elle n'écoutait pas. Ces efforts étaient vains. Je me taisais et me levais pour regarder par la fenêtre le moutonnement des arbres de la ville en fleurs. Je regardais ses livres, je me coiffais de son chapeau, mais rien n’y faisait, elle restait inerte, indifférente à tout.

_ Mais enfin, qu’as-tu donc aujourd'hui ? Lui demandais-je exaspéré.

_ Rien, répondait-elle. Mais je sentais dans sa voix une certaine irritation. De même elle se dégageait vivement lorsque j'essayais de lui caresser le bras à cet endroit du coude où la peau légèrement bleutée est parfaitement lisse. Je me révoltais et lui demandais brutalement ce qu'elle voulait.

_ Écoutes, si tu ne veux plus me voir, dis-le-moi, mais je t’en prie, ne prends pas ces airs dédaigneux et absents. J’ai horreur de cela.

_ Si tu savais, me disait-elle, comme tu m’énerves à certains moments. Je prends peut-être des airs dédaigneux et absents, mais tu n’es pas drôle non plus avec tes prétentions de bonze africain (j’avoue avoir eu envie de rire à ce mot). Nous nous voyons trop. Moi aussi je suis triste et je vois bien que je t’agace. Nous sommes las 1’un de l’autre. Je t'ennuie et cela fait que tu m'ennuies. Nous ne pouvons plus nous supporter parce que nous n’arrivons pas à nous connaître.

Un soir, bien qu'elle me retint encore, peut-être par désir inconscient de nous déchirer plus encore, je suis reparti en jurant de ne plus la revoir. Elle m’agaçait lorsqu’elle se donnait des airs de faux dégout de vivre. Elle était trop satisfaite de vivre en paraissant malheureuse. Il faisait déjà noir et le ciel projetait sa lueur verte sur les murs arrondis, profanant le sommeil des habitants. Au niveau du sol, le square, qui paraissait une véritable forêt quand on le regardait de sa fenêtre, était minuscule et encombré de grillages, de gravier et de ronds en ciment. Je marchais lentement. Les pavés s'arrondissaient sous mon pied et j'associais l'équilibre de ma rancœur et de mon émotion à celui de mon corps à cheval entre deux pierres, à cet endroit où la semelle laisse le jour pénétrer sous son empreinte. En passant devant l'aquarium municipal, je regardais le découpage de ses morceaux de ciel, petits carrés de lumière si semblables au reste de la voûte que j’imaginais la couleur de l'horizon à travers ses montants de plastique jaune. Pourtant je ne percevais chacun de ces panneaux qu'à travers un filtre animal. Pendant la journée, on ne peut voir le ciel à travers l'aquarium. Ce soir-là, j'apercevais un poisson profiler sa silhouette entre les barreaux de l'horizon. Je ne regardai plus le ciel, mais ce poisson immobile qui m'observait aussi. Amère contemplation entre deux éléments qui ne peuvent se comprendre. Sur ces ouïes, un L majuscule phosphorescent donnait sa référence sur le catalogue de l'aquarium « L. Licarpagus. Espèce contemplative des grands fonds sous-marins. A la particularité de voir dans la nuit des grands fonds grâce à un projecteur de particules invisibles pour l'homme. Ne voit rien dans la clarté diurne. Vit en couple sans toutefois s'attacher à la femelle avant l'époque des amours. »

04/07/2019

Vocation

 

Un plan envoûte

Un éclat transperce l’œil

L'architecte est né

 

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03/07/2019

Soupe primordiale

Quel bouillonnement
La déchirure du temps
Au commencement…

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02/07/2019

L'envol

On ne sait comment te nommer
On sait encore moins t’appeler
On ne sait si tu entends nos cris
Qui se perdent dans l’espace
Le temps n’a plus d’emprise sur toi
Malgré la succession des vivants
Mais le poids de la gravité
Comme les échappées de la foi
Dévoile ta constance céleste

L’absence devient présence
Les secondes sont suspendues
L’amour abolit la distance
Un trou noir t’avale d’un trait

Broyé, tu ressorts divin
Sans savoir qui t’a engendré
Plus rien n’existe que lui
Il n’est ni plus grand ni plus présent
Il n’est qu’un parfum insaisissable
Qui envahit le tout
Remplace le néant
Et devient toi qui n’est plus rien

Il Est Celui qui Est
Hors de toute connaissance

©  Loup Francart

01/07/2019

Locédia, éphémère (7)

Nous avions parlé de ces longs silences où se mêle le rêve et ces poses ne la gênaient pas plus que moi. Elles étaient nécessaires comme peuvent l’être celles de la musique. Ces silences marquaient aussi les changements de mouvement, quand nous passions de ces premiers instants d’une nouvelle rencontre à l'adagio précédant la séparation. Nous découvrions à nouveau notre décor, cette chambre minuscule, aux murs biscornus, anguleux, qui semblaient toujours plus proches de nous. Je regardais la porte grise qu’on ouvrait avec difficulté entre 1’armoire débordant d’un fouillis inextricable et le lit toujours fripé, parce qu’il était le seul siège possible. Cette porte qu'il fallait franchir en se glissant de côté servait également de porte-manteaux où étaient accrochés un imperméable de peau, un chapeau de paille de riz, la bure qui lui servait de robe de chambre et un maillot de bain incroyablement jaune. Elle regardait par la fenêtre dissimulée derrière les pans de murs mal ajustés et qui ne pouvait s'ouvrir complètement parce que la table était engagée dans son réduit. Elle était faite de petite carreaux dont plusieurs avaient des défauts et laissaient entrevoir un paysage déformé.

Je me levais et regardais aussi à travers les vitres pendant qu'elle réordonnait méthodiquement sa chevelure. Les toits de la ville s'étendaient en tous sens, surmontés d'une forêt glacée d'antennes de toutes sortes, nickelées et luisantes au soleil. Au premier plan se dressaient les arbres du square, ces arbres aux feuilles si étranges qu'ils ressemblaient aux chapeaux des gardes municipaux. Vus d’en haut, les arbres municipaux, comme les appelaient les voisins, semblaient ne pas avoir de troncs et n'offraient à la vue qu'un nuage vert. Grâce à une trouée dans le feuillage, j'apercevais les enfants entassés dans des ronds de ciment remplis de sable, revêtus de combinaison anti-poussière de différentes couleurs. D’autres s’amusaient avec les lézards domestiques qu’ils tenaient en laisse. Quand l’un d’eux réussissait à sortir du collier, l’enfant rejoignait sa mère en pleurant et ne se consolait qu’à la promesse d'en acheter un autre.

Je riais et Locédia se penchait par la fenêtre pour indiquer au gamin ou se trouvait son lézard. Mais il s'échappait souvent avant qu’on ne le rattrape. Je me jetais sur le lit en riant et Locédia venait s'affaler à côté de moi après une pirouette devant la glace.

Les glaces la fascinaient et elle ne se lassait jamais de regarder son corps et son visage comme s’ils lui étaient étrangers. Elle n'avait pas menti lorsqu'elle m'avait dit à notre première rencontre quelle n’aimait qu'elle. J’en suis maintenant convaincu.

30/06/2019

Tableau suite

Cela avance certes, mais c'est long !

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29/06/2019

L et lui

La beauté envie ton maintien
Tu vas dans le monde sans savoir
Avançant à grandes enjambées
Me tirant d’une main ferme
Jusqu’au plus lointain chemin
Au-delà de l’horizon étale

Aimes-tu les cris pervers
Des fées enfouies dans leur quant-à-soi ?
Débarrasse-toi de tes vibrants voilages
Et va, nue, cachée aux regards
De la concupiscence brutale

Ouvre-toi aux caresses du vent
Et coule dans l’ombre du hasard
Jusqu’au plus parfait abandon

Alors, ouverte, tu chanteras la vie
Et ne craindra plus la mort
Qui fera demi-tour en toute sérénité

©  Loup Francart

28/06/2019

Paradoxe de la sainteté

Paradoxe de la sainteté : elle apporte une insatisfaction de soi de plus en plus grande et comble l’homme de la présence de Dieu parce que son amour est au-delà des fautes.

27/06/2019

Locédia, éphémère (6)

Je la regardais, frêle silhouette se détournant de moi pour se pencher vers la fenêtre où les gouttelettes glissaient sur le verre. Locédia, peut-être ce jour-là as-tu été sincère et t’es-tu offerte comme tu le pouvais, mais je cherchais autre chose derrière le désir de ton corps. Un autre désir, une infinie difficulté d'être nous jetait sur des chemins plus difficiles. Il eût sans doute été préférable de céder à la facilité et l’ivresse de l'instant. Mais nous avions tous deux connus le plaisir d’un moment et cette nausée indéfinissable qu’il diffusait ensuite. Le dégoût de nos corps ou même l'absence de désir était encore possible et nous n’en voulions pas.

_ Si tu le veux, je te donne mon corps. Je te le livre. Tu croiras me posséder sur ce lit de serge bleu. Je jouerai le jeu de l'amour et ensuite n'éprouverai plus rien poux toi. Je te désire. Je désire ton corps, mais je veux que ce désir enfle, qu'il devienne une vague qui nous submergera. Je veux aussi te posséder, Tu n'aimes que mon corps. Tu as envie de moi et lorsque tu m'auras possédée, tu m'abandonneras alors que j'aurai besoin de ta présence. Je ne veux pas que tu m'abandonnes parce que je t'aurai contenté.

Poussé par le désir mutuel de nous déchirer, nous avions souvent de telles conversations sur nos rapports. Elle sautait sur le lit, s'étirait avec des bâillements de félin, puis contemplait d’un œil vague les cloques qui suppuraient au plafond.

_ Cette chère vieille chambre ! S’exclamait-elle.

Je m'asseyais à côté d'elle et nous restions de longues minutes sans rien dire ou sans oser aborder le sujet qui nous enfiévrait tous les deux. Je jouais avec ses mains élancées et potelées jusqu'à ce qu’elle les retire d'un geste agacé. Elle me laissait bouder, puis se jetait sur moi et m'attirait vers elle. Elle rompait bien vite ces étreintes de sincérité pour jouer encore, avec ses boucles d'oreille faites de dents de taupe ou ses bagues en poil d'éléphant.

26/06/2019

Fantasme

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A nous deux, nous ferons des merveilles

Je capturerai Orion

Tu t’empareras d’électron

Puis nous sombrerons dans le sommeil

Veux-tu ?

25/06/2019

Nouveau tableau en cours

Pendant qu'est peint en province le tableau précédant (voir le 30/05/2019), se dessine à Paris, en parallèle, une autre toile. Laquelle sera finie la première ?

 

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24/06/2019

Pourquoi ?

 

Indispensable

Le vide envahit ton cœur

Quel étouffement

 

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23/06/2019

Locédia, éphémère (5)

Je repars. Mon corps est revêtu de filaments transparents et visqueux arrachés au caillou. Ils se prennent dans les plantes et je m'efforce de les distendre et les faire céder, laissant sur mon passage une trainée de toiles desséchées. Les cailloux ont repris de leur consistance conne si le fait de m’élever au dehors de la forêt et de gravir la montagne leur donnait le sens d’une pureté matérielle. Il n’y a pas un être vivant. Le silence plane sur la montagne. Comment ferai-je pour monter encore ? A chaque pas la roche devient plus effilée. On a dû y planter autrefois quelques lames de rasoir qui se sont reproduites, heureusement en dégénérant. Les filaments qui s’effilochent encore par endroit en se teintant de rouge, me protègent et s’épanouissent en arc-en-ciel sur la matière noire du sol. Aurai-je la force de continuer ?

J’aperçois maintenant le sommet, semblable à une lame durcie au feu. La roche se couvre de pustules rouges et orangées qui m’aident à prendre prise. Le sommet est là, détaché sur le ciel verdâtre. Seule une auréole plus claire, un peu laiteuse, atteste de la présence du soleil. Il ne suffit pas à réchauffer le sol, mais ses formes arrondies s’éclaircissent jusqu’à prendre une teinte ocre jaune. Il n’y a pas un souffle de vent, pas un bruit, pas une ombre. Les battements de mon cœur et mes halètements se répandent dans l’atmosphère. Mes mains tremblent. Mon corps est saupoudré d’une fine poussière ocre arrachée à la montagne dans mes efforts. Autour des plaies se sont formés de petits ourlets écarlates et mousseux où se dépose la poussière. Je ne peux plus avancer. J’épouse forme de la roche, elle m’aspire, m’engloutit.

Ta connaissance est derrière la montagne comme un livre ouvert, inscrite en toutes choses.

 

Il neige, tu es blanche. Mes lèvres s’imprègnent de ta froideur sans parvenir à t’atteindre, je te regarde, translucide, et mes bras se referment sur le vide. Tu es impalpable et présente.

_ Regardes-moi, suis-je belle ? Je veux que tu me désires. Je veux te séduire, disait-el1e d/une voix enjouée, la tête haute, les cheveux rejetés en arrière.

Mais je ne suis pas le seul que tu cherches à séduire, répondais-je sur un ton d’indifférence feinte, parce qu’au-delà de tes paroles se cachait une certaine vérité que je découvrais peu à peu. Séduire, elle ne pensait qu’à cela. Elle regardait les hommes jusqu’à ce qu’ils frémissent de désir et ce seul frémissement lui suffisait. Elle ne voulait rien de plus. J’ai cru, je le crois encore, car c’est aussi la vérité, que tu cherchais en moi autre chose, une partie de toi-même, peut-être ?

_ Je suis l'image du monde et le monde est séduisant. Je suis faite pour te séduire, proclamait-elle, une main sur le cœur, une autre tendue vers moi.

_ Je te désire, Locédia, déclamais-je à mon tour en entrant dans ce jeu que nous poursuivions souvent, n'osant pas affronter la réalité. Je désire ton corps, la chaleur de ton ventre, la douceur de tes chevilles.

Elle me tendait sa main que je baisais lentement en la regardant faire la révérence, puis elle se dégageait en animal craintif qu'on ne peut flatter trop longtemps.

_ Crois-tu que tu m’auras possédée si je te donne mon corps, continuait-elle sur un ton subitement grave en détournant la tête pour caresser un objet familier et cacher son trouble. Tu n'auras rien, qu'une femme morte entre les bras. Tu connaitras la douceur de ma peau, la forme de mon ventre, la courbe de mes seins, mais je te serai aussi inconnue qu'auparavant. Je te serai étrangère et tu seras un de ces hommes que j’ai accueilli par ennui. Tu ne me connais pas encore, tu ne sais rien de moi. Tu aimes l'image que tu t'es formé de moi et cette image est ton propre reflet. Mais je ne suis pas cette image.

22/06/2019

Folie

A petits pas ridés, il parcourut la baie
Qu’avait-il à cacher ou même à dévoiler
Sur la tôle ondulée, il endure la paix
Sa marche se trouble, qu’a-t-il à protéger ?

Elle le suivit un temps, en retrait de trois mètres
Pieds nus dans l’eau de mer, sa robe défraîchie
Les yeux à l’horizon, le sourire aux lèvres
Elle courut un moment, laissant là ses soucis

Loin devant lui, sans fin, il avançait encore
Suivi de l’égérie, courbé sur sa tâche
Sans pouvoir se délier ni même tomber d’accord
Il marchait vers la mort, malhabile potache

Pourtant elle le troublait, où allait-il ainsi ?
Elle l’appela sans voix, bêlant sans scrupule
Il ne vit plus que l’eau et ses pieds engourdis
Il fit un demi-tour, et tint conciliabule

Qu’allons-nous découvrir au bord de l’horizon
Quand l’eau débordera effleurant tes lèvres
Et ma main sur tes seins arrondie de raison
Levant les obstacles d’une tendre fièvre ?

Ainsi finit la vie de ce couple charmant
Frôlant la vérité et voyant l’avenir
Qui un jour se donna au sein de l’océan
Et engloutit l’envie sans vouloir s’unir

 

21/06/2019

Renoncer à soi-même

Renoncer à soi-même, c'est renoncer au néant.

Seul celui qui a su pleinement renoncer à lui-même connaît la vraie joie. Si notre but n'est que de tendre vers Dieu, de voir Dieu en toute chose, l'âme brille alors d'une lumière qui l'envahit de joie. C'est la joie divine, c'est-à-dire une joie intarissable qu'aucune ombre n'atteint.

 

20/06/2019

Locédia, éphémère (4)

Chapitre 2

 

Ton nom, avais-je besoin de le connaître ? Cela impliquait une nouvelle rencontre, puis d'autres, chacune d'elles en appelant une autre. Pourquoi ai-je cherché à te revoir et pourquoi as-tu accepté ? Peut-être le parfum des fleurs, ta présence au milieu d'elles, ou l’air plus pur du jardin et ta gaieté. 0u encore cette entente immédiate entre nous.

Depuis, que de chemins parcourus ensemble, de paroles, de silences élargissant notre savoir, de gestes ébauchés et compris. Nous avons traversé d’étranges paysages, la main dans la main.

– Étaient-ils si étranges ? me questionnais-je.

– Quand tu connaîtras les paysages de ma solitude, tu seras effrayée, disait-elle parfois.

Et pourtant, depuis que tu es partie, ma longue transhumance ne fait que commencer.

J'erre dans le continent de ta présence. Paysage dépravé, tu m’entraînes vers les sources de mon achèvement. Je ne m'étonne plus de ces montagnes granuleuses et lointaines, parsemées de forêts cendrées dans lesquelles je m'enfonce jusqu'aux genoux. Je repousse de la main les arbres qui laissent échapper un petit cri plaintif, aigu, émouvant, Leurs feuillages de caoutchouc s'entrelacent plus étroitement jusqu'à obscurcir mon chemin et je dois porter vers l'avant mes mains ouvertes et jointes, paume contre paume, pour écarter du bras les branchages élastiques. La mousse confère un tapis moelleux à la naissance de l’herbe. Haute, légèrement piquante, je m’y enfonce jusqu'aux chevilles, éprouvant parfois sous le pied la dureté arrondie et fuyante d’une racine. Lorsque je relève la jambe, elle vient à moi après une petite résistance dans un bruit de succion.

Si je restais longtemps au même endroit, peut-être m'enfoncerais-je dans le sol et pousserais-je, les bras tendus vers le ciel. Je perdrais la consistance de mon corps. Les mains refermées sur les branchages de la voûte, je m'amollirais jusqu'à ne plus posséder qu’un corps visqueux et froid semblable à ces plantes que j’écarte avec dégoût. Ne pas s’arrêter, ne pas abandonner. Peut-être est-elle derrière la montagne ?

Il y a maintenant de gros cailloux qui sont des obstacles difficilement franchissables pour mon corps fatigué. Certains, les plus vieux, probablement dégénérés, sont devenus mous et ventrus. Je fais des efforts désespérés pour me hisser dessus et ne rencontre qu'une matière gluante et tiède sur laquelle je n’ai aucune prise. Je dois alors faire un détour pour trouver des cailloux plus consistants. Il y a heureusement quelques arbres élastiques qui me servent d'appui et me repoussent plus avant dans ma démarche incertaine. Mais ces arbres se font de plus en plus rares et sont remplacés par de petites plantes rougeâtres à l'odeur de chanvre, portant des fleurs de lèvres. Fatigué, je m’assois sur un caillou mou et regarde leurs pustules écarlates respirer avidement l’air de la forêt. La pourriture rend leur beauté charnelle, mais je n'ose pas les toucher. Je n’aime pas cette plante écarlate â la peau flétrie et me demande comment d’aussi délicates fleurs de lèvres peuvent pousser sur un corps aussi disgracieux. La pourriture engendre une certaine beauté comme les vices engendrent l'amour. Je ne dois pas rester assis sur ce caillou, je ne pourrai bientôt plus m’en décoller. Là-bas derrière la montagne ...

19/06/2019

La complétude

Plus l’homme aspire à la perfection, plus il a conscience de ce qui lui manque et plus grande sera sa capacité d’amour, car ce sera dans l’être aimé qu’il projettera ce qui lui manque pour se compléter.

« Aimer l’autre comme soi-même », c’est l’amour le plus riche puisqu’on aime et qu’on trouve en l’autre toutes les perfections que l’on pressent en nous, mais qu’on ne peut développer seul. Se perdre dans l’autre pour trouver son achèvement et son unité. Cela semble logique puisque les qualités de l’homme et de la femme se complètent et qu’il est pratiquement impossible à l’un seul des deux de posséder toutes les qualités de l’autre, à moins de ressentir pleinement et de réaliser l’amour de Dieu.

 

18/06/2019

Place des Vosges

Cris des enfants libérés
Bruissement des feuillages
Crissement des pas sur le gravier
Ronronnement des moteurs dans la rue
Et, malgré tout, le silence

Silence du bonheur de l’été
Silence des femmes glissant sur le pavé
Silence des nuages dans le ciel
Silence de l’intellect devant l’amour éternel

Paris, égal à lui-même
Sur les carrés d’herbe
De la place des Vosges

©  Loup Francart