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14/11/2019

Loi

Obéir à la loi parce qu’elle est la loi et non parce qu’elle est juste. La loi n’est pas juste, mais elle est nécessaire. Elle ne peut que tendre vers la justice à travers l’ordre. Et l’ordre est nécessaire à la justice et à son amélioration.

La loi, à travers l’ordre, vise la justice sans l’atteindre.

 

13/11/2019

Opposition

indépendance ?

Un ne peut devenir Deux

l'attraction déroute

mais Deux peut redevenir Un

Brisure du temps !

 

penrose,géométrie,expension

 

12/11/2019

Hiver

Ici, la terre s’endort bordée des dernières fleurs
L’obscur moineau sautille et plonge son bec en terre
L’eau s’évade sans bruit, s’écoulant sans douleur
Les pas marquent le sol d’un œil protestataire

La douceur rougit seule sous le froid égrainé
La femme se couvre et l’homme fait le dos rond
L’écureuil réjoui crée son garde-manger
Seul le poisson file et échappe au héron

S’instaurent le non-être et l’absence de bruit
L’ombre ne profile plus la présence d’autrui
L’herbe devient fouillis et va sans "verdoyance"

Peu à peu vient la mort, la nature s’effeuille
Afin de survivre ouvre ton portefeuille
Et laisse aller ta peine jusqu’à la bienveillance

©  Loup Francart

11/11/2019

Locédia, éphémère (35)

_ Moi, je veux connaître chaque jour le bonheur. Personne ne m'en empêchera, pas même toi, disait-elle d'une voix de petite fille gâtée pour qui chaque exigence nouvelle devenait réalité. Elle parlait posément, comme si elle avait beaucoup réfléchi pour énoncer ce lieu commun. Elle regardait ses mains qui jouaient avec les miennes de même que l'enfant joue avec la craie lorsqu'il passa au tableau pour exposer une leçon devant ses camarades. Ses yeux m'étonnaient souvent par la multitude de leurs expressions. Ils semblaient contenir plusieurs individualités. Ils erraient de ses mains aux miennes, remontant sur mon bras pour s’arrêter à la naissance du cou ou un peu plus haut derrière l'oreille, à l'endroit où les cheveux commencent à se lover en spirales. Ils se concentraient ensuite sur mon regard, un peu plus éveillés, un peu plus tendres aussi.

Pourquoi parler d'une chose qui n'existe pas. « Connais-tu des gens qui s'aperçoivent de leur bonheur ? Ils le rêvent dans leur vie passée, comme le présent qu'on ne peut vivre parce qu'il est déjà du passé, » lui répondais-je. J'étais agacé par cette recherche enfantine du bonheur qu'elle n'avait cessé de poursuivre jusqu'au jour où, bien après cette conversation, elle avait découvert les jardins aux fleurs de lèvres et l'employé débonnaire qui l'avait initiée. Il est possible que ce soit cette découverte qui créa par interposition l’événement que nous avions fini par attendre, imprévisible, inconnu, révélé à la dernière minute, indescriptible. Sans doute n'a-t-elle pu trouver d'autres raisons d'exister une fois sa découverte exploitée et ternie par le temps.

_ Dieu que tu es triste, que l'humanité est triste. J'en ai assez de côtoyer des pleurants et de les soigner comme les plantes grises. Je me demande ce qu'ils foutent tous sur terre. Ils feraient mieux de la quitter tout de suite.

_ Qui ils ?

_ Tout le monde. Tous les gens sont tristes. Moi aussi, constatait-elle avec un petit mouvement de dégout envers elle. Elle réfléchissait : je suis triste aussi, mais ce n'est pas la même tristesse, pas le même désespoir. J'ai trouvé avec toi une parcelle de bonheur et je ne veux pas la perdre. Les gens me rendent heureuse en participant à mes jeux. Quand je m'ennuierai avec toi, je m'en irai.

_ Et je deviendrai un cadavre que tu viendras contempler pour jouir de ton bonheur. Les mains jointent sur la poitrine, je serai jaune et vert, ma barbe aura poussé et tu te diras : « je suis heureuse. »

_ Tu n'as pas de barbe, constatait-elle en souriant.

_ Évidemment, je me rase tous les matins. Tu ne te rases pas, toi ?

_ Si, tous les jours, entre les seins.

Et elle éclatait de rire en me prennant la main ou en posant la sienne sur un de mes genoux. Elle riait longtemps, très longtemps, avant de redevenir instantanément sérieuse. Elle était persuadée, avec une de ces intuitions féminines que nous ne possédons pas, que ces instants ne dureraient pas, que nos rencontres étaient éphémères. Je sentais qu'elle avait peur de me perdre. Elle savait que cela arriverait un jour ou l'autre. Elle me regardait tristement, la main posée sur mon genou et fermait les yeux en levant son visage vers moi. Et je ne pouvais que l'embrasser lentement, les yeux ouverts, comme on embrasse une déesse de bronze.

_ Salaud ! Tu profites de ce que j'ai les yeux fermés pour m'embrasser. Tu ne penses qu'à cela, me tripoter. Tu ne m'aimes pas.

10/11/2019

Foi

Il y a trois formes de foi :

* la première est la foi pratique, celle du charbonnier. C’est la foi de celui qui croit parce qu’il désire croire sans avoir à se poser des questions. Elle établit un marché avec le monde divin : sauvé au prix d'un sacrifice.

* La deuxième est la foi logique, étayée par la théologie et un raisonnement intellectuel. Elle n’est pas forcément meilleure que la première et s'attache aux preuves de l'existence de Dieu. Là aussi l'amour n'est pas don.

* La troisième est la foi mystique. Elle est exigeante, car c’est la foi du renoncement et de l'amour.

Renoncer, oui, non par ignorance, non par connaissance, mais accepter le nuage d'inconnaissance et se laisser bercer.

09/11/2019

Silence des nuits sans sommeil

Silence des nuits sans sommeil
Où le cœur marque inexorablement
L’écoulement des heures figées
Dans la pose de l’enfant endormi
Et que dehors, dans l’obscurité mouvante
La lune accomplit son périple immuable

Chaleur fade du poids de la veille
Dans la moite activité imaginaire
Des rêves du premier sommeil

Se lever et marcher sans l’obscurité
Sentir le carrelage froid sous le pied
Et l’odeur persistante du jour
Qui imprègne encore les pièces vides
Jusqu’à ce que la paupière lourde
Les membres las et la tête vide
Le corps replonge dans l’élément de son absence

©  Loup Francart (18 mai 70)

08/11/2019

Liberté

19-11-06 Pictoème nov.jpg

 

Au cœur de la glace palpite la liberté
volcan des humeurs, privilège de la fuite
elle s’engorge de contradictions
mais toujours éclaire celui qui la porte

Dans le noir de l’être survit encore
le fer rouge du bonheur

 

07/11/2019

Locédia, éphémère (34)

Un seul employé, étranger au pays, s'occupait de la machine à distiller le bonheur, une petite machine chaudière chauffée au charbon de bois et entourée de tuyauteries en colimaçon où se formaient de fines gouttelettes de parfum. Il habitait une petite maison envahie de lierres au fond de l'un des jardins et ne sortait que le soir pour s'assoir paisiblement sur le pas de la porte. La salle de la chaudière était formée de grandes baies vitrées et dépolies qui permettaient un éclairage permanent des différents cadrans de pression et de pourcentage d'acide. Les pupitres de commande en occupaient la majeure partie. La chaudière était reléguée sous une sorte d'auvent destiné à aspirer les effluves dangereuses. Les études prolongées des plus grands "psychochimistes", restées secrètes, étaient à l'origine du parfum d'amour. Ils avaient remarqué et isolé chez les autres vivants inférieurs cette drogue parfumée que distille la femelle au moment des amours en butinant de longues fleurs de lèvres. Elles poussaient en buissons sauvages aux feuilles irritantes. Ceux, qui parvenaient à en cueillir la fleur et à en respirer le parfum tenace étaient pris d’un vertige incomparable. Le célèbre Andropire, à qui un monument est dédié dans un autre coin du jardin et dont l'inauguration donna lieu à des réjouissances enivrantes, eut un jour l'idée, en distillant une betterave pour sa ration quotidienne de sucre, de distiller le fruit gluant de la plante pour en faire une eau au goût fade, mais aux effets concluants. D'autres chercheurs transformèrent 1'eau en parfum. Depuis ce temps-là, l'activité du pays tourne autour de la fleur de lèvres : plantation, culture, distillerie, parfumerie, étude d'hybrides à autres effets.

Cet employé, dont Locédia avait fait connaissance par la suite, était le maitre débonnaire du pays, craint et respecté par tous. Il n'utilisait qu'une seule sanction envers les fautes commises contre la morale sévère du pays : priver le fautif de sa dose quotidienne de drogue. Les heures atroces que passent l'esprit et le corps dans l'attente du bonheur suffisaient pour que la faute ne se renouvelle pas. Quelques vieux malins, vicieux ou misanthropes, recherchaient cependant la punition peur mieux profiter du bonheur après une attente prolongée. Ils constituaient une caste exceptionnelle qui n'arrivait à ces considérations sur l'absorption du bonheur qu'après une lente et difficile réflexion dans ces jardins les plus sobres et les plus enchanteurs que nous ayons pu voir. La forme galbée et arrondie de chaque arbre à femmes, le geste gracieux de leurs branches étaient exceptionnels. Un arbre mort aux membres décharnés coupait parfois l'harmonie de la végétation. Jardins enchanteurs, mais dangereux puisque chaque arbre possédait un pouvoir de préhension sur les promeneurs qui, cela arrivait peu après l'absorption de la drogue, se jetaient dans les bras tentaculaires des arbres à femmes. Le gardien du square les délivrait en coupant quelques branches. S’il tardait trop, le malheureux promeneur disparaissait dans un fouillis inextricable de pieds et de mains. Cette subite disparition ne troublait en aucun cas la béatitude du reste de la population affairée à humer les relents de parfum d'amour poussés par le vent. Drôles de gens que ces habitants marchant le nez au vent.

 

06/11/2019

Envol

Entre les feuilles fraîches et maladroites
Restent les serviteurs de l’année écoulée
Noués comme une canne de vieillard fatigué
Ils laissent encore passer le suc de la jeunesse
Tu m’as donné les meilleurs jours
Environné de désespoir, j’errais dans l’ombre
Fantôme détrôné à l’esprit déraciné
Me heurtant aux piliers du qu’en-dira-t-on
Tu es venu tendrement tel un nuage
Et tu m’as pris dans ton haleine vaporeuse
L’odeur de la vie m’a submergé et conquis
Ouvrant béatement le puits sans fond
Où j’ai pu jeter mon embarras et ma folie
Sais-tu que j’ai gardé longtemps ce parfum
Au creux de mes tempes endolories, muet d’étonnement
Je chevauchais la lune, bordé de garde-fous
L’œil acerbe sur les propres défaillances
Ressentant au plus profond l’effondrement du personnage
Et le souffle vital du renouvellement
Quelle piste d’envol pour l’enivrement
J’ai tout perdu, fort la vie
J’ai trouvé l’âme, ce nid de plumes
Qui pépie et brûle les doigts
Et j’ai atteint le lieu de transparence
Où le cœur n’a plus ni attaches ni souvenirs

©  Loup Francart

05/11/2019

Mondes

Par nature, l'homme se situe entre trois mondes : le monde physique, le monde psychique et le monde spirituel.

Ces trois mondes se côtoient :

* Le monde physique comprend la terre (qui elle même comprend la barysphère, la lithosphère, l'hydrosphère et l'atmosphère ainsi que la biosphère), le système solaire avec le soleil et ses planètes, la voie lactée, les autres galaxies et d'autres phénomènes tels que les trous noirs ;

* Le monde psychique ou noosphère comprend la psychosphère, individuelle, et la sociosphère. "La conscience est de même une résultante de millions d'autres consciences concordant à un même but. La cellule est déjà une petite concentration personnelle ; plusieurs cellules consonant ensemble forment une conscience au second degré (homme ou animal). Les consciences au second degré, en se groupant, forment les consciences au troisième degré, consciences de ville, consciences d'Église, consciences de nation, produites par des millions d'individus vivant d'une même idée, ayant des sentiments communs" ;

* Le monde spirituel ou monde invisible, c'est-à-dire inaccessible aux sens. Ce monde se divise, au minimum, en monde des esprits et monde divin.

 

 

04/11/2019

La malemort

Quelle est cette part de rêve qui te prend comme la malemort ?

Chaque nuit prend le rêve, est-il fort comme la mort ?
Transpercé d’inconnus, j’erre dans un vide sans fin
Il est certes plaisant cet espace sans tort
Peut-on imaginer un néant aussi plein ?

Le réveil est glacé, où va donc ton esprit ?
Il est parti si tôt, qu'a-t-il fait entre temps ?
C’est donc cette part de rêve qui comble tes nuits
Et t’empêche de vivre le jour pleinement

Aussi demain, c’est promis, je ne viendrai plus
Tourmenter tes journées de rêves insensés
Je resterai bien calme dans oser ces abus
Qui ont comblé mes nuits et mes jours enchanté

©  Loup Francart

03/11/2019

Locédia, éphémère (33)

Dernier étage lentement révolu, ouvert sur la porte sans battant, sur un palier obscur où j'avais déjà vainement cherché un interrupteur. Il fallait deviner d'un pas hésitant, parallèle au sol, le départ d'une nouvelle série de marches plus abruptes, écrasées entre deux murs tachés de gris. Ce nouvel escalier ne sentait pas la cire, mais dégageait une vieille odeur de grenier, une odeur de bois vermoulu et poussiéreux, usé par les chaussures de plusieurs générations de collégiennes qui ont pris la désagréable habitude de dévaler ou de grimper, les marches deux à deux. Le nombre ces marches était impair, ce qui rendait égale l'usure de leur planche horizontale.

Dernière marche, plus usée que les autres puisqu’elle servait de marche de départ pour descendre ou de marche d'arrivée dans le mouvement inverse. Je m'arrête, essoufflé, les jambes molles. Qu'étais-je venu faire ici ? Etait-ce bien elle que j'allais retrouver ? Ne verrais-je pas apparaitre une étrangère qui posséderait ton visage ? Je frapperais à la porte qui s'ouvrirait sur un placard biscornu avec une minuscule ouverture sur la rue, un judas en plein-air, et elle rirait dans mon dos en disant : « Emmènes-moi. Je n'ai plus de chambre. Elle est devenue trop petite pour nous et je me cogne à chaque proéminence. » Elle prendrait un livre et ses disques, peut-être aussi ce chapeau de paille qui lui allait si bien.

Je frappe à la porte. Elle apparait nonchalante, parée de bijoux. Elle me regarde sans rien dire, la tête légèrement inclinée sur l'épaule. Elle me tend les deux mains : « Salut. Entre vite, j'ai tant de choses à te raconter. »

Est-ce ce jour-là ? Sans doute est-ce ce jour là, je ne sais plus, que tu m'as raconté ta visite au jardin des parfums, dans ce pays où la plante gagne certaines consistances de l'homme alors que celui abandonne sa vertu au parfum de la déraison. L'odeur subtile des plantes pénètre le corps d'attitudes bizarres que nous avions en vain cherchées ailleurs. Tu avais découvert par hasard au cours de ce voyage une nouvelle raison d'espérer.

01/11/2019

Trop !

Le printemps parti

Il fit un rêve étrange

C'est vrai, trop c'est trop !

 

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31/10/2019

Parution de "Flâneries campagnardes"

Il est paru après une naissance longue, mais heureuse.

 « Les jours passaient dans l’indolence et la création, avec pour seul plaisir la contemplation d’une nature riche, parfaite parce qu’imparfaite, dans laquelle je pouvais me rouler jusqu’à pleurer de joie. »

 19-09-27 1° Couv FC VD.jpgÀ la campagne, l’esprit erre dans les champs et les bois, au bord des rivières, sous les arbres et près des calvaires. La certitude du visible s’accompagne toujours d’un doute que ressentent, sans savoir pourquoi, ceux qui laissent parler leur imagination. Qui d’entre vous n’a jamais ressenti ce mouvement du cœur qui vous fait prendre du recul et voir les choses autrement ? La nature ouvre les yeux à l’indicible beaucoup mieux que le macadam. Et… elle a le plus souvent raison.

Alors, rêvez, méditez, laissez-vous transcender par les images, les bruits et les effleurements d’un terroir toujours à redécouvrir. Qu’ils vous enchantent et vous enrichissent.

 

Consulter les extraits en pièces jointes.

Broché: 174 pages, en Français, ISBN-10: 1687450439

19-09-28 Extraits Flâneries campargnardes.pdf

 

Vous pouvez le commander directement sur Internet au :

 https://www.amazon.fr/Fl%C3%A2neries-campagnardes-Picto%C...

 

Alors, merci pour l'achat et bonne lecture à tous !

 

 

30/10/2019

Feu de bois

Te souviens-tu des flammes et de la fumée bleue, comme si les bûches eussent été des tuyaux où flambaient l'âme de la forêt et qu'à leurs extrémités les bulles de fumée encensaient cette suprême cérémonie. Elles accomplissaient tranquillement leur sacrifice pour le bonheur de nos yeux.

Encore une fois, la vie enchante d'un rien qui devient une lumière plus pénétrante que celle du jour.

 

 

29/10/2019

Locédia, éphémère (32)

J'ignore combien de temps dura cette trajectoire vers ton retour, vers le vide de tes bras ouverts. A la sortie, je fus ébloui par la présence du soleil qui tombait en oblique sur le trottoir. J'étais émerveillé par la réalité de la ville qui m’avait semblé un moment n'exister que dans l'imagination de la foule enfouie dans des couloirs sans fin. Quelques minutes à l'intérieur du sol, à l'intérieur d'une machine sans communication avec la véritable nature de la surface terrestre, qu'elle soit vierge ou entièrement corrigée par la main des bâtisseurs, donne l'illusion des souffrances de l'éternité. Le temps se fige par une glaciation soudaine, un grippage inattendu de toutes les horloges ainsi que des planètes sur lesquelles se règlent celles-ci. J'aurais pu te revoir, Locédia, mais je me suis figé dans une cage capitonnée. J'allais te revoir, frôler tes cheveux, baiser longuement tes mains, caresser ton visage et l'élever entre mes paumes comme une offrande vers le ciel. Tu te laisserais immoler, esclave, reine, parée de ta beauté. Tu me demanderais d'une voix d'enfant : « Est-ce que tu m'aimes ? »

Je t'aime et je monte vers toi dans la rue éblouissante, silencieuse. La ville n'avait qu'une rue. Elle n'avait plus qu'une maison et je me pénétrais de la fraicheur de l'entrée. La lourde porte se refermait d'elle-même. La même lueur diffuse était propagée des lucarnes bancales vars la cage d'escalier qui répandait la même odeur de cire et de vieux cuir. Les marches avaient dû être allongées depuis ma dernière visite. Peut-être la maison avait-elle grandie ? J'aurais dû regarder au dehors si la longueur de son ombre atteignait encore le crâne lisse des bustes de carton bouilli dont le chapelier se servait pour exposer ses casquettes sur le trottoir d'en face. Peut-être était-elle montée à hauteur du premier étage, au dessus de l'enseigne, jusqu'à cette fenêtre où nous avions vu une femme dévêtue injurier les passants, quelques vieillards et enfants qui se rendaient au jardin ? Peut-être aussi m'étais-je rapetissé en traversant les couloirs étouffants du métropolitain ? Fort heureusement le tapis rouge m'empêchait de glisser et je m'aidais de la rampe de fer forgé, bien que l'inclinaison des escaliers au milieu de la cage fût impressionnante. A la fin de chaque étage, au niveau d'un palier, je devais me tirer vers l'autre côté des marches, celui qui était contre la cloison, car leur étirement s'accentuait pour rejoindre le chemin perdu avant de retrouver l'horizontalité.

28/10/2019

Voyage

Un mot seul met en route…
Lancinant le bruit de la scie
Sur les chemins de la mémoire…
Allers et retours différents
Mais confondus au fil des ans

Ferme les yeux : la mémoire coule
Ce sont les lambeaux d’une vie
Ce qui reste de tant d’années
Auxquelles il s’était attaché

Ils s’effeuillent prestement
S’envolent dans les rêves passés
Tombent au bord de la rivière
Et s’en vont au fil de l’eau
Pour s’engloutir au barrage final

Chaque être emporte avec lui sa réserve
De souvenirs, bons ou mauvais
Qui s’appauvrit au cours du temps
Fades deviennent les jours
Glauques sont les nuits embués

Mais toujours on avance à pas feutrés
De plus en plus silencieux
Jusqu’à la dépose du sac trop lourd
Quand vient le jour heureux
Où rien n’empêche de fermer les yeux
Sur une vie, somme toute
Ouverte sur un vide sans fin
Qui la rend si agréable à explorer

Le mystère reste entier
Il pousse chacun à le parcourir
Pour le meilleur et pour le pire

©  Loup Francart

27/10/2019

Habitude

 

Le monde vit d’habitudes.
Il a pris l’habitude de l’habitude.
Toi, tu dois désapprendre l’habitude !
Jette-toi dans le chaos de l’existence
sans y chercher le renoncement de l’habitude.

 

26/10/2019

Toots Thielemans à l'harmonica


L'harmonica peut se révéler un instrument soliste de concert.La beauté de ses sons peut bouleverser musiciens et public et enchanter l'âme.

25/10/2019

Locédia, éphémère (31)

Une de ces affiches représentait une femme aux dents écarlates tenant à la main une brosse à dents. Elle s'écriait en lettres noires : « Ne vous brossez pas les dents avec n'importe quoi ! » A la suite de ces mots, on pouvait voir une brosse à dents électrique vibrante revêtue de ses pare-gencives. Pourquoi cette affiche anodine me fit penser à toi, Locédia ? Ce n'était ni la brosse à dents en elle-même, ni la couleur des cheveux de la femme, ni ses yeux d'ampoules noircies. Perdu dans la contemplation de cette femme au sourire carmin, arrivé au niveau du transporteur et bousculé par les enfants qui se pressaient pour monter les premiers, je redescendais déjà de l'autre côté de la station sans avoir pu monter dans la boite capitonnée, quand je découvris la raison de cette réminiscence bizarre ? Un soir, tu t'étais lavée longuement les dents et tu m'avais regardé en tenant en l'air ta brosse à dents, du même geste que la femme sur l'affiche.

_ N'est-ce pas que je suis belle ? Aimes-tu mes dents ?

_ Tu as les dents d'un jeune chien, lui lançais-je en riant.

_ Pourquoi ? Non, j'ai les dents d'un enfant.

Tu semblais vexée de cette réponse que j'avais faite en pensant à autre chose, absorbé par la contemplation du vent sur la chevelure feuillue des arbres municipaux.

_ Et tu es une enfant qui a vingt ans, remarquais-je. Ou sans doute es-tu une femme de quarante ans ou encore une grand-mère qui a quatre-vingt ans et les dents d'une enfant. Quand tu avais les cheveux gris, je te baisais la main. J'embrasse, Madame, la dentition de votre descendance.

Tu riais de ma folie, les dents rayées de tes cheveux que nous mêlions à nos jeux, ces cheveux que tu avais voulu teindre le jour où je t'avais dit que tu n'aurais les dents blanches que lorsque ceux-ci auront vieilli.

Je m'étais perdu dans la foule descendante. Comme les particules d'un fleuve déchainé, j'étais repoussé par la masse des autres contre une berge, comprimé entre deux racines, ralenti par le frottement familier de l'écorce et ramené ensuite par les lois de la gravité vers le milieu des flots. Je dus traverser d'interminables couloirs sonores, monter des escaliers tortueux, choisir une route dans ce labyrinthe, redescendre des marches rugueuses et attendre une place dans la file ininterrompue du tapis roulant. Je te revis à nouveau, verte, lumineuse, réclame impitoyablement humaine.

24/10/2019

Voir

 

L’ombre plus forte que la nuit
Lune plus lumineuse que le jour
Ainsi va le monde et la nature
Quand on marche les pieds en l’air

Il faut cependant s’y habituer
Le poids de la pesanteur
Attire l’œil vers le bas
Et les pas de la belle
Sur les nuages de la gloire
N’empêchent pas l’exaltation
Mal venue des voleurs

Bref, va et ne regarde pas en arrière
Rien de pire que la tentation de voir !

 

©  Loup Francart

23/10/2019

Apercevoir

Glissé entre deux

Venu d'un autre monde

jaillit le mystère

 

19-10-23 (13-03-07) Briques assemblées 1mx1m.jpg

Anodin est-il ?

Formes et couleurs semblables

Mais il est autre !

 

Le mystère est son bonheur

 

22/10/2019

Beauté

 

La beauté d'un temple grec ne se bâtit pas sur la grosseur d'une colonne par rapport aux autres,

mais sur l'harmonie des colonnes entre elles et leur agencement dans l'espace.

 

21/10/2019

Locédia, éphémère (30)

Le temps passait. Pourquoi cette flânerie esquissée ? Je m'obligeais à une quiétude apparente et m'interdisais de me hâter vers l'entrée du métropolitain. A son abord, les passants se faisaient plus denses. Je fus happé par une sorte de fleuve en furie. Les corps rembourrés des hommes et des femmes, projetés à droite et à gauche, semblaient attirés par une force invisible. Tantôt avalé, tantôt rejeté, je m'étais tant bien que mal trainé devant une cage de verre où évoluaient d'insolites monstres : des femmes tronçonnées dont le corps coupé à hauteur du nombril ou à la base de la boursouflure des seins, reposaient sur le comptoir comme un buste sur la cheminée d'un salon empire. Poussé par la foule, je défilais devant la cage de verre où une de ces femmes, d'un geste précis et sévère, avala de sa main ouverte les pièces que j'avais jetées tandis qu'un billet sortait de la gueule béante du comptoir argenté et froid. Le fleuve furieux des corps m'entrainait irrésistiblement. J'eus à peine le temps de voir le sens que je voulais prendre sur l'écran lumineux suivi d'une longue flèche aux formes tourmentées. Depuis la découverte de nouvelles lois relatives à l'orientation des corps dans l'espace, le mot direction avait été interdit par la Société des Sciences qui considérait comme anormale cette appellation du lieu où un individu est en instance de se rendre. Je me souviens encore du décret lu à la Voix Officielle et des transformations que cela avait entrainées dans la vie urbaine.

« La Société des Sciences et de ses Applications Morales décrète officiellement qu'à partir de ce jour, en vertu des récentes découvertes concernant la gestion des mouvements des corps dans l'espace métropolitain, il est interdit d'employer le vocable direction à propos des mouvements possibles du corps humain dus à l'aspiration spatiale du moment. En conséquence, seront punis d'une peine équivalente à un mois d'inaction forcée les contrevenants usant de ce vocable impropre. L'application de ce décret est confiée aux agents techniques de la Société des Sciences et des Applications Morales en relation avec la Police de la municipalité ciparsienne. »

Ce décret avait fait beaucoup de bruit, mais le bon sens des gens avait convenu qu'une direction ne pouvait avoir de sens, alors que deux sens pouvaient avoir une même direction.

On avait également découvert il y a plusieurs années que la principale perte de temps durant le trajet était due aux arrêts obligatoires à chaque station. Il fut décidé d'abolir ces arrêts. Comme il était néanmoins indispensable pour la bonne marche de l'entreprise que les clients montent dans le transporteur, celle-ci avait inauguré un système de tapis roulants progressifs, à étages accélérateurs pour être plus exact, qui permettait de monter dans le transporteur ralenti légèrement à l'abord de la station. A la suite de plusieurs essais, les ingénieurs s'étaient aperçus que les cobayes employés pour l'expérimentation, qu'on avait pris parmi les condamnés au peloton de cobayes, perdaient l'équilibre en raison de l'impression d'accélération qu'ils subissaient. Une étude approfondie révéla que le phénomène était psychique et dû uniquement au fait de voir défiler les murs à une vitesse toujours plus grande. Ils eurent alors recours à un trompe-l’œil utilisé jusque là dans les affiches et consistant à créer des bandes lumineuses mobiles sur un fond d'ampoules électriques. En faisant concorder la vitesse des bandes successives avec celle du tapis, ils annulèrent l'impression d'accélération puisque l'ensemble restait fixe par rapport au sujet transporté. Depuis, le système lumineux s'était perfectionné et il avait été possible de créer de véritables affiches.

20/10/2019

Fin

Le monde se ferme, ses mâchoires l’enserrent
Telles celles d’une huître, la pierre l’écrase
Il ouvre encore un œil, se croit toujours sincère
Les yeux bordés de larmes, il se noie dans la phrase

C’est fini, il n’est plus. Rien ne vient à nouveau
Le nuage de fumée s’enfuit dans l’espace
Ce n’est plus qu’une ombre qui part les pieds dans l’eau
Qui fait un entrechat, dernier tour de passepasse

Il erra longuement, oublieux du destin
Il marchait sans raison, lourdeur du clandestin
Un pas devant l’autre, en toute ignorance

Il s’arrêta enfin, raidi de toutes parts
Trou dans l’air épanoui à l’abri du rempart
Et mourut là sans fard, loin de toute espérance

©  Loup Francart

18/10/2019

Vrille (pictoème)

tourne le moulin

sans un regard vers l'arrière

vrille ton destin

 

19-10-18 Vrille A.jpg

 

de pourpre et d'or

va au centre

et montre-toi

17/10/2019

Cauchemar

Est-elle droite ou raide ?
Est-elle faite de roseau
Ou casse-t-elle au moindre coup de vent ?
La femme est ainsi faite
On s’y enfonce en plume
Jusqu’à tomber sur la tranche

Frappé de cécité
Je ne sens pas venir le coin de table
Je repars en boitant
L’âme pendouille et flotte
Dans l’air vicié de l’humanité
Froid des rencontres et chaud du large !

Revoici le début ou la fin
Début des illusions perdues
Fin des rêves impossibles
Il courut longtemps sans joie
Il perdit haleine dans la brume
Mais garda toujours confiance en lui

Elle se tient maintenant à la pointe du diamant
Là où rien n’évolue sans chute
Porté sur l’annulaire, la tache de bonheur
Imprime son indécente innocence
Au cœur même des passions humaines
Le regard au loin, marche jusqu’à l’abîme !

Depuis, rien ne varie
Ni la joie ni la peine
N’encourage l’ombre
Et ne force la couleur
A ternir l’avancée
Jusqu’à la noyade

Il est probable qu’un jour
Elle reviendra épanouie
Vêtue de pourpre
Elle ira devant elle
Et ne rougira plus
De se voir ainsi

Va biquette et...
Ne rue pas dans les brancards !

©  Loup Francart

16/10/2019

Locédia (29)

On avait recouvert le cours du fleuve le jour où la municipalité, devant la surpopulation des cimetières, avait décidé d'immerger les corps des moins riches. Le problème de la planification des cimetières l'avait longtemps préoccupée. Il devenait plus coûteux de loger les morts que d'entasser les vivants. Cependant les vivants se contentaient plus facilement que les morts ; ces derniers ont le grand désavantage de ne pouvoir se déplacer sans installations spéciales et onéreuses. On avait pensé à plusieurs étages souterrains, sortes de catacombes, mais les tentatives d'enfoncement des corps par forage échouèrent en raison de la dureté du sol. Un architecte avait alors suggéré d'immenses buildings à air conditionné munis de salles de repos pour les visiteurs, de salles de jeu pour les désœuvrés et d'un système spécial de surveillance des enfants avec œil électronique. Mais les habitants, après un référendum, avaient protesté contre l'édification d'un édifice de couleur noire et surtout contre les hublots des tombes, ouverts sur la ville. Ils s'étaient finalement contentés d'une solution intermédiaire, d'une conception agréable à l'œil et qui ne choquait pas l’idée conventionnelle qu'ils avaient des cimetières. Malheureusement la solution était insuffisante. Les morts qui déjà de leur vivant ne pouvaient se payer un toit, devaient se contenter d'être immergés, accrochés à une pierre tombale où leur nom était gravé. Le cimetière fluvial comme l'appelait avec un petit air de dégout la société établie de la ville, avait élu domicile en amont des faubourgs. Constitué d'une sorte de jetée avançant dans le cours du fleuve, il était décoré les jours d'enterrement de mâts sur lesquels flottaient des pavillons noirs. A l'entrée, un employé des pompes fluviales percevait quelques sous de ceux qui désiraient assister à l'immersion. Des difficultés commerciales avaient empêché son installation en aval, malgré les recommandations des experts de l'hygiène municipale. Le comité des mariniers avait décidé une grève illimitée si le projet aval était voté. Depuis nous nous promenons tranquillement sur les morts, l'âme en paix, approuvant la bienheureuse gestion des affaires de la ville. Parfois, la nuit, par temps clair, lorsque les gens sont enfermés dans leur appartement, on entend le roulement d'une pierre tombale poussée par le courant. On peut voir à la surface de l'eau quelques bulles irisées indiquant la présence des corps.

15/10/2019

L'oeil rouge

 

L’œil rouge du fantôme erre dans ta mémoire
Tu ne peux le saisir, le pourpre t’envahit
Oh ! Combien est longue la liste des déboires
Accumulés en toi. Tu en restes ébahi

Dans l’angle du cerveau, au pied de masses informes
Se fabriquent les mots en désirs et hasard
Prends donc une pincée, mélange les formes
Élance ta colonne, façonne ton regard

Depuis des mois déjà, tu t’ouvres à tes fantasmes
Car verts sont tes rêves et blond ton enthousiasme
Et ses cheveux de rêve t’entraînent au pinacle

Aussi erres-tu en vers et dresse ta misère
Dans les acrostiches pour être plus disert…
Les mots chutent de haut sans te faire obstacle !

©  Loup Francart

 

14/10/2019

Passions et détachement

 

Les passions sont cause de la fugacité du temps.

Sans passion, une heure pourrait être une minute ou un jour,

Mais cela suppose le détachement face aux événements et à leur contexte.