La mort est mon métier, de Robert Merle (27/05/2013)

Ce n’est pas un roman, plutôt un récit : la vie de Rudolf Hoess, le commandant d’Auschwitz, racontée sous le pseudonyme de Rudolf Lang.  Ecrit en 1952, Robert Merle a utilisé les notes du psychologue américain Gilbert. Le plus curieux est l’absence presque totale d’impression et de sentiments du narrateur Rudolf. Il n’a qu’un seul leitmotiv : les Allemands sont des soldats et les soldats obéissent sans discuter, ni même réfléchir.

Son enfance pourrait expliquer cette vie sans pensée propre. Il est complètement dominé par son père qui est lui-même excessif dans tous ses actes, dont sa pratique religieuse. Rudolf, depuis que tu es en âge de commettre des fautes, je les ai prises, l’une après l’autre, sur mes épaules. J’ai demandé pardon à Dieu, pour toi, comme si c’était moi qui était coupable, et je continuerai à agir ainsi tant que tu seras mineur. Je fis un mouvement, et il cria : Ne m’interromps pas !

Après un drame à l’école et devant l’attitude de son père, il tombe malade. Allant mieux, il prend un premier repas avec sa famille et son père dit : – Et maintenant on va faire la prière. Père entama un Pater. Je me mis à imiter le mouvement de ses lèvres et sans émettre un seul son. Il me fixa, ses yeux creux étaient tristes et fatigués, il s’interrompit et dit d’une voix sourde : – Rudolf, prie à haute voix. Tous les yeux se tournèrent vers moi. Je regardai Père un long moment, puis articulai avec effort : – Je ne peux pas.

Il perd la foi. Mais il devient brancardier et fait connaissance avec un Rittmeister (capitaine). Il finit par s’engager. Se bat, est blessé et découvre l’amour avec une infirmière. Rendu à la vie civile, il fait de nombreux petits boulots. Il découvre  les S.A. et prête serment au führer pour sauver l’Allemagne.

Il est engagé par un colonel pour s’occuper de ses chevaux. Il se marie. Il poursuit ses activités chez les SS. Désormais, par conséquent, tout était parfaitement simple et clair. On n’avait plus de cas de conscience à se poser. Il suffisait seulement d’être fidèle, c’est-à-dire d’obéir. Et grâce à cette obéissance absolue, consentie dans le véritable esprit du Corps noir, nous étions sûr de ne plus jamais nous tromper, d’être toujours dans le droit chemin. Il s’installe à Dachau avec sa famille, puis est muté à Auschwitz : Je vous ai choisi, vous, à cause de votre talent d’organisation… et de vos rares qualités de conscience. (…) Dans quatre semaines exactement, vous me ferez tenir un plan précis à l’échelle de la tâche historique qui vous incombe. (…) Pour les six premiers mois, vous devez prendre vos dispositions pour un chiffre global d’arrivages se montant environ à 500 000 unités.

Rudolf Lang se pose la question le plus rationnellement possible : comment faire pour éliminer des milliers d’unités ? Il trouve des solutions sans penser un seul instant qu’il s’agit d’êtres humains. Vint la fin de la guerre. Il apprend qu’ils ont arrêté Himmler et qu’il s’est suicidé au cyanure. La douleur et la rage m’aveuglaient. Je sentis Georg me secouer vivement le bras et je dis d’une voix éteinte : – Il m’a trahi. Je vis les yeux pleins de reproches de Georg fixés sur moi et je criai : – Tu ne comprends pas ! Il a donné des ordres terribles, et maintenant, il nous laisse seuls affronter le blâme… au lieu de se dresser… au lieu de dire : « C’est moi le responsable ! » (…) Il s’est défilé, lui que je respectais comme un père. (…) Il aurait dit : « C’est moi qui ai donné à Lang l’ordre de traiter les juifs. Et personne n’aurait eu rien à dire !

Il est finalement arrêté et trainé de prison en prison. Je pensais quelquefois à ma vie passée. Chose curieuse, seule mon enfance me paraissait réelle. Sur tout ce qui s’était passé ensuite, j’avais des souvenirs très précis, mais c’était plutôt le genre de souvenirs qu’on garde d’un film qui vous a frappé. Je me voyais moi-même agir et parler dans ce film, mais je n’avais pas l’impression que c’était à moi que tout cela était arrivé.

Un lieutenant- colonel l’interroge : – Êtes-vous toujours aussi convaincu qu’il fallait exterminer les juifs ? –  Non, je n’en suis plus convaincu. – Pourquoi ? – Parce qu’Himmler s’est suicidé. (…)– Par conséquent, si c’était à refaire, vous ne le referiez pas ? – Je le referais, si on m’en donnait l’ordre. (…) – Vous n’éprouvez donc aucun remord ? – Je n’ai pas à avoir de remord. L’extermination était peut-être une erreur. Mais ce n’est pas moi qui l’ai ordonnée. – Depuis votre arrestation, il vous est bien arrivé de penser à ses milliers de pauvres gens que vous avez envoyés à la mort ? – Oui quelquefois. – Eh bien, quand vous y pensez, qu’éprouvez-vous ? – Je n’éprouve rien de particulier.

Histoire d’un homme ordinaire, d’un Allemand qui croyait en son pays et à l’obéissance. Devenu bourreau sans s’en rendre compte, il a exterminé des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sans prendre conscience de ce qu’il faisait. Et ce n’était même pas l’idéologie qui le conduisait, mais la simple bonne conscience d’obéir.

 

Les militaires français ont maintenant l’obligation légale de désobéir à des ordres illicites concernant des actes contraires aux lois et  coutumes de la guerre, des actes qui constituent des crimes et délits contre la sûreté de l’Etat la constitution ou la paix publique, ou encore des actes portant atteinte à la vie, l’intégrité, la liberté des personnes, ou au droit de propriété, quand il ne sont pas justifiés par l’application de la loi.

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