22/05/2013
Couleur du temps, récit de Françoise Chandernagor
Une plongée dans un autre siècle, celui des lumières. Ce n’est qu’une histoire imaginée, mais avec un tel réalisme que l’on pense qu’elle fut réelle et que le peintre V*** fut bien un peintre du Roi.
V*** fut-il un grand peintre ou un petit maître ? Un coloriste-né ou un fabricant sans génie ? Nous n’en savons rien : la postérité n’a pas rendu son arrêt. Tout juste peut-on dire que V*** était déjà mort de son vivant : lorsqu’il disparut, sa belle époque était révolue, sa mode démodée. Et pourtant il avait vécu, s’était fait connaître, avait obtenu le succès, avait négligé sa famille, voyageant partout où il était demandé pour peindre les grands de ce monde. Au-delà de l’histoire elle-même de sa vie, Françoise Chandernagor nous décrit à la fois la société de l’époque, sa conception de la peinture, la compétition entre les peintres pour obtenir les faveurs de la famille royale. Elle le fait d’une manière naturelle, introduisant dans le récit ces réflexions sur les événements d’une vie d’artisan-peintre.
Jeune, il ose : des jeunes gens impatients tirent le tapis. La guerre est finie, on veut s’amuser. Le tableau de bataille rebute, la peinture religieuse assomme, les grands sujets, les grandes idées ennuient les Français ; place au moi, place à l’intime, place au portrait ! (…) On voudrait tout entreprendre, tout oser…Mais les personnes bien nées, si elles ont du goût, hésitent encore à afficher la leur. Le jeune V*** trouva l’art de montrer ce qu’on tient caché sans choquer la décence : les dames de qualité n’avaient qu’à se faire représenter costumées. Pas en Madeleine repentante, évidemment ! Ni en Sainte Elisabeth. Costumées en dévêtues : une muse, une nymphe, une sultane, une allégorie. Il proposa du portrait déguisé « mythologique » ou « oriental ».
Bien sûr il se marie, a des enfants. Il a des instants de joie et des périodes de malheur. Sa vie est à découvrir dans la lecture même du livre. Au-delà, on s’intéresse à l’époque et à sa conception de la peinture.
Nous nous plaignons d’un siècle de courtisans, mais sachons qu’au temps de Voltaire et Diderot la flagornerie et la flatterie étaient obligatoires pour qui voulait se faire connaitre et obtenir des facilités.
A l’époque, l’art de la peinture est tout d’artisanat. C’est par la pratique qu’il pêchait, lit-on à propos du fils de V***. « Pas tant d’huile sur ton pinceau, Nicolas ! Ah oui, je sais : la couleur semble plus facile à étendre, elle est flatteuse, onctueuse, voluptueuse. Et puis, n’est-ce pas, on en a plus vite fini ? Solution de paresseux ! Qui se paie cher : ton tableau séchera, mais seulement en surface – dans dix ans sa peau craquera, il sera gercé de partout, tombera en morceaux. Alors chaque maître possède son atelier, ses apprentis, et le tableau se fait en équipe. Les uns peignent les mains, les autres sont spécialisés dans les pieds, les plus habiles, en passe de devenir maîtres à leur tour, les visages. Le maître met sa touche finale, alanguissant les membres, donnant de la vie aux joues ou à l’œil du sujet représenté. Cela donne une collectivité vivante, soudée, récréative, loin de la méditation individuelle de l’artiste d’aujourd’hui et du travail solitaire d’exécution. Sans doute retrouve-t-on maintenant cela dans certains genres de peinture, tels la production d’œuvres originales en plusieurs exemplaires, dites multiples, ou encore dans l’atelier de Vasarely où les petites mains peignaient inlassablement des ronds et des carrés. Il concevait les tableaux que d’autres exécutaient en grande partie.
Baptiste V*** aime les couleurs, le jaune en particulier. Il en parle avec son nouvel ami sur la fin de sa vie :
– Et qui t’a dit, Baptiste, qu’on peignait avec des couleurs ?
– Si l’on ne peint pas avec des couleurs, avec quoi peint-on ?
– On se sert des couleurs, mais on peint avec le sentiment…
– Le sentiment, Le sentiment ! Et pourquoi pas le naturel tant que tu y es !
Tout au long de sa vie, il conçoit et remanie le portrait de famille, fil directeur du récit. Après tous ses malheurs, il les rajeunit, reprenant les esquisses conservées. Il finit par se peindre lui-même en vieillard. Il l’expose et se retrouve en butte avec tous les critiques. A ce peintre qui ne vendait plus rien, que tout le monde avait cru mort, et dont le nom seul, entouré d’un vague respect, disait encore quelque chose au public, il fallait ôter ce qui lui restait : la renommée. « V*** est fini : Voici le titre. On assure que cet homme a été un bon portraitiste. Il n’est plus rien : le portrait de sa famille est faible, c’est-à-dire flou et léché.
Et ce livre s’achève avec l’interrogation, ma foi somme toute habituelle : V*** fut-il un grand peintre ou un petit maître ? Et d’ailleurs qu’est-ce qu’un grand peintre, qu’est-ce qu’un petit maître ? Vermeer fut un petit maître pendant trois siècles ; et Meissonier qui fut un grand peintre quand Béranger était un grand poète, n'est plus rien…
06:51 Publié dans 21. Impressions picturales, 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, récit, peinture, classicisme, temps | Imprimer
17/04/2013
Eurydice mourante, de L. Nanteuil
La galerie Colbert, rue Vivienne, ainsi dénommée parce qu’elle fut, à ses débuts, propriété de la famille du même nom, est splendide de néo-classicisme.
« Dans la première moitié du XIXe siècle, le quartier, profitant de l’animation des cafés, commerces et maisons de jeu du Palais-Royal, change de dimension : la rue Vivienne prolongée jusqu’aux grands boulevards assure désormais le lien avec ce secteur en développement. Il devient un des lieux privilégiés d’implantation des passages couverts, nouveaux espaces, à la fois publics et privés, offrant aux piétons des chemins protégés et aux marchands de nouveautés des vitrines. Les galeries Colbert et Vivienne constituent le premier maillon du réseau de passages qui relient le Palais- Royal au boulevard Montmartre. Sans raccourcir le chemin, elles permettent d’éviter les encombrements de la rue Vivienne, une des plus fréquentées de la capitale, ainsi que la boue et les crevasses qui sont alors courantes. » (Source : http://www.inha.fr/spip.php?rubrique273).
Elle abrite l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA). Elle est souvent déserte, alors que sa voisine, la galerie Vivienne, est un lieu de passage et d’achats.
Sous la grande verrière, au centre de la rotonde, se tient une reproduction d’Eurydice mourante, mais encore bien en vie puisqu’elle se tient debout. L’original est au Louvre et en marbre. Elle émeut d’être là, seule dans cette galerie déserte, n’ayant plus la force de lever la tête vers cette verrière qui donne sur le ciel bleu.
Son sculpteur est Charles-François Lebœuf dit Nanteuil ou Lebœuf-Nanteuil, né à Paris en 1792. Il est l'élève de Pierre Cartellier (1757-1831). Son marbre, "Eurydice mourante", réalisé à Rome en 1822 et présenté au Salon de 1824, est acheté par le roi pour le jardin du Palais Royal. A l'exposition de 1827, Lebœuf-Nanteuil obtient la médaille d'or de première classe. Il reçoit de nombreuses commandes pour Paris, notamment le fronton de Notre-Dame de Lorette, les bas-reliefs situés au-dessus des portes du péristyle du Panthéon et plusieurs sculptures pour la décoration du Louvre.
En aviez-vous entendu parler ? Et pourtant, elle est belle cette Eurydice. Elle n’a pas le corps parfait tel qu’on l’entend actuellement, mais elle a la grâce de sa pose et la singularité de son attitude. Statue classique, elle donne néanmoins une impression de modernité indéfinissable. Allez la voir, cela lui fera plaisir !
06:20 Publié dans 12. Trouvailles diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sculpture, classicisme, promenade, art | Imprimer