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20/11/2021

La vie : un voyage

Que choisis-tu ?
La ligne des rails qui se perd dans le lointain
Ou l’embouchure d’un fleuve ouvert sur les eaux ?

Le premier te conduit vers la réussite
Qui se referme sur l’horizon
Et devient un point sans consistance
Qui disparait aux yeux des hommes

Tu ne peux embrasser le second
Tes bras et ton cœur ne suffisent pas
Tu te noies dans l’étendue du monde
Et cherches toujours où tu atterris 

Les petits malins passent sous le visible
Ils s’enfouissent et marchent sans relâche
Mais peu à peu baissent la tête
Puis se laissent tomber à genoux

D’autres montent sur le dos d’un oiseau
Et chaussent leur longue vue
Mais ils ne connaissent que l’aéroport
Et ignorent les pétales du voyage

Il leur arrive de se gratter la hanche
Ou de pleurer des yeux sans voir derrière
Ils ont raté leur passage sans voir
L’immensité de la vie et de la mort

Alors que vaut-il mieux : 
Agir avec passion ou être sans partage ?
Personne ne le sait, c’est bien le but
Qui t’attire, mais lequel !

06/06/2018

Le temps politique (5)

L’usage du temps n’est pas seulement social et culturel, il est aussi, dès l’origine, politique.

 

1. Le temps comme facteur de légitimation du pouvoir

La maîtrise du temps revêt indéniablement quelque chose de démiurgique. A l’origine, le temps est lié au divin, que ce soit pour sa création (mythe fondateur, création du monde) ou pour la mesure du temps (souvent en lien avec les fêtes religieuses). En Mésopotamie, seul le roi pouvait décréter l’ajout d’un mois supplémentaire. Mircea Eliade explique ainsi le caractère sacré du temps : « Le mythe est donc un bref récit fictif qui, mettant en scène des créatures surnaturelles, renvoie à un Temps originel, celui de la Fondation de la communauté, un Temps Sacré : le mythe est censé exprimer la vérité absolue, parce qu’il raconte une histoire sacrée, c’est-à-dire une révolution transhumaine qui a lieu à l’aube du grand temps, dans le temps sacré des commencements. Étant sacré et réel, ce mythe devient exemplaire et par conséquent répétable, car il sert de modèle et conjointement de justification à tous les autres humains[1] ».

Très souvent, la motivation d’entrée en conflit est liée aux mythes, c’est-à-dire à une vision plus ou moins idéologique de la réalité. Un des objectifs du politique sera donc la démystification de l’idéologie adverse. Cette démystification demande du temps, des moyens, et une volonté. La démystification peut se faire de manière brutale, dans le cadre d’engagements en coercition (le mythe du démiurge tombe brutalement dans l’esprit de ses partisans) mais inversement, dans le cadre d’opérations de stabilisation, seul le temps permet l’évolution des esprits et l’évacuation du mythe.

Tout système dynastique fonde sa légitimité sur la durée.

 Désormais, la légitimité est plus complexe, car le changement est aussi perçu comme positif. Le pouvoir peut donc se prévaloir du changement, de la rupture, comme facteur de légitimité. La philosophie des Lumières a particulièrement contribué à véhiculer l’idée de progrès, que la Seconde Guerre mondiale et la barbarie du nazisme, en particulier, ont fait voler en éclat[2].

Les sociétés modernes sont donc sans cesse traversées par la dialectique rupture / continuité. En France, les débats autour du passage du septennat au quinquennat ont illustré ces deux légitimités possibles. Comme le décrivait Raoul Girardet[3], on peut désormais lire la vie politique comme une opposition permanente entre les « héros de la normalité » et les « héros de l’exception ».

 

2. La rupture : le temps du changement

Le temps des médias est un temps du changement permanent et de l’urgence : en effet, il est plus facile de retenir l’attention des lecteurs en traitant de ruptures qu’en parlant de continuités. Rony Brauman, ancien Président de Médecins Sans Frontières, constatait ainsi que la connivence existant entre médias et acteurs de l’humanitaire d’urgence pouvait s’expliquer par une similitude de tempo.

Il est intéressant de noter que la fonction du politique aujourd’hui diffère grandement des fonctions coutumières du pouvoir. En effet, dans la plupart des civilisations anciennes et même récentes, la fonction du politique est de préserver la stabilité. La Chine se pense par exemple sur ce mode et ne commencera à en changer qu’avec la révolution maoïste.

C’est que le changement court le risque de la trahison : si l’avenir ne ressemble pas au passé, la société est en danger. Préserver la tradition, c’est préserver le message et l’ordre voulu par les Dieux. Le passé est l’exemple.

A contrario, dans les sociétés modernes, le changement est perçu comme une qualité en soi. Le rapport au temps, qui a à la fois perdu son lien avec le sacré et avec la nature (il est dé-naturé, au sens propre), est un rapport de propriétaire et maître (« j’ai du temps », « du temps libre »). Que le temps des saisons ou que le temps des autres, vécu sur un rythme plus lent, viennent interférer avec le temps tel que nous l’avons planifié, et cela est vécu comme une ingérence insupportable dans le quotidien si maîtrisé, à tel point qu’on en appelle au politique au plus haut niveau pour résoudre les contrariétés résultant des effets de la nature (neige, grêle, inondations, etc.). On parle d’ailleurs de « caprices » météorologiques, comme si les saisons, ne respectant pas les besoins humains, s’obstinaient à les contrarier…

  • La crise peut ainsi être due soit à la nécessité d’un changement et, dans ce cas, elle semble légitime, soit à des troubles extérieurs qui risquent de dérégler le système qui a besoin en réalité de stabilité.
  • Le rôle des forces (armées ou de sécurité) peut donc être soit d’assurer la stabilité face à des acteurs de violence, soit, par la coercition, d’introduire le changement dans un système politique en crise.

 

[1] ELIADE, Mircea. Mythes, Rêves et Mystères. Paris, Gallimard, 1957.

[2] STEINER, Georges. Dans le château de Barbe-Bleue. Gallimard, 1986.

[3] GIRARDET, Raoul. Mythes et mythologies politiques. Seuil, 190.

03/06/2018

Les approches culturelles du temps (4)

1. Trois conceptions du temps

* Le temps sinusoïdal

La première représentation du temps connue est celle produite par les Mésopotamiens. Cette conception est proche de celle du temps cyclique, à la différence que les « cercles » du cycle ne sont pas fermés. Les cycles se succèdent dans le temps, et parfois même, se chevauchent, car un cycle peut commencer avant la fin du précédent. Ce n’est donc pas exactement un nouveau monde qui se crée à la fin d’un cycle.

* Le temps cyclique

Il est immédiatement perceptible aux sens. C’est le temps biologique qui est lié au temps astronomique. Il se découpe en :

  • Jour-nuit ;
  • Saison ;
  • Age de la vie ;
  • Cycle de vie selon les espèces ;
  • Cycle de vie des cultures et des civilisations ;
  • Cycle de vie des planètes.L’homme ne peut qu’harmoniser son action dans ces cycles pour la rendre plus efficace.

La conception du temps cyclique impose souvent de penser le temps très long, souvent en lien avec des mythes. La plus ancienne des conceptions cycliques, celle des Védas (et dont héritèrent par la suite le brahmanisme, l’hindouisme et le bouddhisme) fonctionne ainsi sur les cycles de 12 000 ans. Mais cette conception d’un temps cyclique se retrouve aussi à l’échelle de l’homme, lequel serait condamné à se réincarner (ou à transmigrer d’une façon plus générale).

La cyclologie se retrouve dans nombre de sociétés archaïques, voire plus modernes. Dans cette théorie du temps cyclique, l'écoulement du temps n'est pas linéaire. L’histoire est conçue en cycles immuables pour ramener l’humanité face aux mêmes situations. La durée de ces cycles varie selon les traditions. La philosophie holiste dérive plus ou moins de la cyclologie. Elle explique les parties à partir du tout et devient synonyme d’approche systémique, de pensée complexe, et, de manière dérivée, d’approche globale. C’est un système de pensée pour lequel les caractéristiques d'un être ou d'un ensemble ne peuvent être connues que lorsqu'on le considère et l'appréhende dans son ensemble, dans sa totalité, et non pas quand on en étudie chaque partie séparément.

* Le temps linéaire

Le christianisme a véhiculé une conception linéaire du temps, qui va de la Création à l’Apocalypse. Avant la Création, le temps n’existe pas : Dieu crée le temps pour l’usage de l’homme. Le temps est à la fois linéaire et fini, et l’histoire se dirige vers une fin, ou au moins, une finalité. Cette conception du temps finira par l’imposer, au moins de ne même plus prêter à discussion. Elle sera ainsi reprise par des penseurs aussi divers que Condorcet (idée d’un avènement de la raison), Hegel (avènement de l’Etat comme manifestation suprême de l’Esprit et idée d’un progrès de l’Histoire), Marx (progrès à travers la lutte des classes et avancée vers la suppression des classes).

Cette conception du temps s’est accompagnée d’une vive dépréciation du « temps cyclique », considéré comme archaïque, anti-scientifique, opposé au progrès et politiquement réactionnaire.

2. Le temps calendaire et mathématique

Le temps calendaire est mesuré par division : siècle, décennie, année, mois, semaine, jour, heure, minute, seconde, nanoseconde. Les disciplines diverses se réfèrent généralement  à l’une de ces mesures, avec des visions cycliques différentes qu’il appartient au politique et à toute autorité d’homogénéiser.

Cette division du temps en unités d’égales valeurs remonte aux origines de l’histoire de l’humanité. Ainsi, les premières civilisations connues de Mésopotamie utilisaient-elles un calendrier de type luni-solaire de 12 mois et des semaines de 7 jours pour marquer le décompte de la durée, comme son étymologie l’indique (« calendrier » est issu du latin calendarium, « livre de compte »). Dans toutes les civilisations, la mesure du temps se base sur des phénomènes naturels observables : la lune (calendriers lunaires), le soleil (calendriers solaires) ou une combinaison des deux (calendriers luni-solaires).

Le temps calendaire n’est incompatible avec aucune des représentations du temps évoquée plus haut (cyclique, linéaire et sinusoïdal) : il est cyclique au départ puisqu’il se base sur les cycles de la nature (cycles solaires et lunaires), il est aussi linéaire dans le comptage des années, et il peut même être sinusoïdal lorsqu’il doit être aménagé pour mettre en adéquation les cycles solaires et lunaires (rajout d’un jour tous les quatre ans dans notre société, d’un mois tous les trois ans environ en Mésopotamie et en Chine).

De ces décomptes du temps naissent la conception mathématique du temps, conception défendue par Newton. Il envisage le temps comme un absolu mathématique, homogène, indépendant et linéaire. Aristote se demandait déjà si le temps dépendait de la conscience humaine ou s’il était indépendant. Le mouvement des choses, qui marque leur changement et leur corruption, est la preuve de l’écoulement du temps même en l’absence d’une conscience humaine pour l’observer.

3.  Le temps comme intuition et durée

Pour Bergson, cette conception mathématique qui découpe le temps en séquences identiques et séparées les unes des autres, est une conception strictement quantitative qui est trop limitée.

La perception du temps n’est en effet pas une évidence. Par exemple, si la plupart des civilisations se représentent l’avenir devant eux et le passé derrière, c’est l’inverse pour les Mésopotamiens comme pour certaines populations d’Amérique Latine (Aymaras en Bolivie, Quechuas) ou les Polynésiens. En effet, pour les premiers, la perception du temps à l’aulne de l’espace transparait à travers l’usage des adverbes ou prépositions : devant et avant sont liés, de même que derrière et après. Quand vous êtes devant quelqu’un, il est avant vous, quand vous êtes derrière quelqu’un, il est après vous. L’avenir étant après vous, il est derrière vous. L’alignement des notions d’espace et de temps est inversé. La manière de parcourir le connu et l’inconnu diffère donc grandement, puisque dans cette conception, on tourne le dos à l’avenir, parce qu’on sait le passé et qu’on peut le voir, alors qu’il est beaucoup plus difficile de concevoir et de visualiser l’avenir.

Il n’empêche, dans toutes les civilisations, le temps reste orienté, allant du passé vers le futur.

30/05/2018

Les concepts constitutifs au temps (3)

La mémoire dans la perception du temps

Prenons conscience que nous ne percevons le Chronos, c’est-à-dire le temps, que grâce à la mémoire. Sans mémoire, l’ordre temporel n’existe pas. L’on perçoit la simultanéité des évènements, mais leur succession est déjà difficile selon le type de perte de mémoire et les notions d’instant et de durée sont confondues dans un magma difficile à démêler.

Au-delà de la mémoire, la perception du temps est liée à la vision du monde que lui donne la compréhension des données accumulées dans la mémoire. Cette perception est donc culturelle, et, même si, de nos jours, l’adhésion à la culture scientifique fait que progressivement les perceptions se rejoignent, elles restent encore assez différentes selon les continents et les cultures.

L’expérience humaine du temps

La réflexion sur la notion de temps ramène donc l'homme à son expérience intime. Le temps n'est pas une chose qu'on peut saisir dans l'espace, c'est au contraire une sorte d'espace mental où se déroulent les choses. Cette expérience se déroule à plusieurs niveaux :

* Le niveau des rythmes biologiques et des réflexes. Mis en évidence par Michel Siffre, on constate que l’expérience consciente du temps est encadrée par notre fondement organique structuré autant temporellement que spatialement.

* Le niveau du présent psychique, où les relations de durée, de succession et de simultanéité ne sont pas seulement pensées, mais éprouvées et vérifiées.

* Le niveau de la réflexion qui double l'expérience du « présent » par la représentation objective du passé et de l'avenir et par l'estimation relative et quantitative de ces portions de temps reconnues comme absentes.

La subjectivité du passé

Dans le présent, grâce à la mémoire, puis la réflexion, je peux penser une réalité passée. Mais le souvenir ne correspond jamais exactement à l’événement tel que je l’ai vécu. Nos souvenirs sont toujours des interprétations, des reconstructions.

Ce qui importe dans le souvenir, ce n’est pas de se souvenir exactement d’un événement, mais plutôt de lui donner un sens selon ce que la vie a fait de nous. Évoquer le passé, c’est donc toujours lui donner un sens. Évidemment, le passé en soi ne change pas, c’est l’interprétation que nous en faisons qui peut évoluer en fonction de notre présent, de notre futur. Cela montre bien l’unité de notre existence : je pense mon présent comme résultant de mon passé et s’ouvrant sur mon futur. Il y a donc bien un lien entre l’existence et le temps.

Nous nous construisons par la mémoire : nous ne pouvons faire table rase de notre passé. En revanche, l’homme est libre en ce qu’il interprète librement son passé. Il peut toujours décider d’en faire un appui positif. Cette conservation du passé par la mémoire, aussi subjective soit-elle, nous constitue. Cela signifie aussi accepter la complexité de la vie : il n’existe pas de vérité une et stable, la valeur d’un événement, le sens qu’il prend peuvent évoluer au cours de notre vie.

Le futur

Le passé est l’accumulation des temps antérieurs, selon des rapports chronologiques (succession) et chronométriques (les durées relatives). L’instant physique n’existe à vrai dire pas, puisqu’il se réduit à une durée nulle. Chaque instant se résume à un passé dès le moment où l’on y pense. Par contre, l’instant psychologique a une durée propre qui dépend de l’état d’esprit de celui qui le perçoit. Le futur est l’ensemble des présents à venir. Seuls les contenus à venir, les événements futurs, sont susceptibles d’être encore modifiés. C’est ce qui fait que l’avenir n’est pas encore.

Le propre de la conscience humaine est de se projeter vers le futur. Or, la conscience de notre mortalité se pose comme une limite à nos projections dans le futur. La conséquence de cette prise de conscience, selon Heidegger, c’est le souci, autrement dit la préoccupation quant au sens que je vais donner à mon existence. C’est ce souci qui nous fait pleinement humains (les animaux n’ont pas ce souci du sens qu’ils vont donner à leur existence).

Se pose alors la question existentielle : C’est le grand sujet d’ordre politique. Peut-on agir sur le futur par des actions dans le présent ?

D’emblée répondons "oui", il est possible d’agir sur le futur et d’influencer le présent pour qu’il conduise à un avenir envié. Depuis peu, la recherche opérationnelle s’organise autour de ces problèmes. Il s’agit de maîtriser les éléments de la décision pour la rendre la plus efficace possible. En amont de la décision, on trouve différentes étapes : recueil de l’information, capitalisation du savoir, enrichissement par la connaissance, puis la démarche d’anticipation par la prospective. La décision s’exprime par la définition de ce que l’on veut, pourquoi on le veut, vers quoi cela va nous mener, les scénarios possibles dans le contexte et les actions à conduire pour l’atteindre. La difficulté est de disposer d’une vision globale du problème et des volontés opposées. C’est le propre de la stratégie, du grec stratos qui signifie « armée » et ageîn qui signifie « conduire ». La stratégie consiste à la définition d'actions cohérentes intervenant selon une logique séquentielle pour réaliser ou pour atteindre un ou des objectifs. Elle se traduit ensuite, au niveau opérationnel en plans d'actions par domaines et par périodes, y compris éventuellement des plans alternatifs utilisables en cas d'évènements changeant fortement la situation.

27/05/2018

Les concepts constitutifs au temps

Ne pouvant définir le temps en lui-même, il importe de se poser la question des concepts qui permettent son approche. Ils sont nombreux et donnent une vision élargie de la temporalité.

La notion de chronos

Le Chronos est le tout du temps, relatif au présent : « Hier était le jour précédent et demain sera le jour suivant parce que je suis aujourd’hui. ». Il est un point mouvant sur la flèche du temps qui définit les infinis à ses deux bornes.

Le chronos, ou temps historique, découpe le temps en trois périodes :

  • Le passé qui désigne l’espace du réel qui n’est plus, avant le présent ;
  • Le présent qui désigne l’espace du réel, entre le passé qui n’est plus, et le futur qui n’est pas encore ;
  • Le futur qui désigne l’espace du réel qui n’est pas encore, après le présent.

Les conséquences de la notion de chronos :

  • Compréhension de l’irréversibilité du temps : ce qui est vécu, est vécu.
  • L’amélioration des sociétés et de l’humanité se prépare dans l’avenir et se joue dans le présent. On ne peut revenir sur ce qui a existé.

Temps et espace

Cette représentation du temps est assez proche d’une représentation de l’espace en deux dimensions. Mais si dans l’espace, on peut se mouvoir dans les deux sens, sur l’ensemble de la droite, dans le temps, une seule direction est possible. Il n’y a pas de retour en arrière, ni même d’arrêt sur la droite. Temps et espace sont indissolublement liés dans notre monde.

Le rapport temps-espace se vérifie dans le mouvement. Celui-ci n’est pas seulement dépendant d’un espace défini, mais il ne peut se dérouler que dans un temps donné. Ainsi l’on mesure un déplacement soit en fonction de l’espace (kilométrage), soit en fonction du temps (durée). Le mouvement se fait donc dans la durée et si le temps venait à s’arrêter plus rien ne bougerait. Ce qui signifie que le temps suppose le changement.

L’homme moderne s’est donné comme objectif de maîtriser le temps des déplacements dans l’espace grâce à la vitesse. Il ne s’agit plus seulement de maîtriser les déplacements physiques de personnes ou de marchandises, mais également les déplacements de données, d’informations, qui doivent dorénavant suivre l’actualité en temps réel.

Changement et permanence

Le commun des mortels a bien conscience de ces changements subtils ou brutaux qui affectent notre monde : les objets et le vivant sont altérés par des évènements et ce processus s’intègre dans un temps partagé par tous ceux qui ont conscience de son cours. Mais, en parallèle, ces objets demeurent semblables, numériquement, malgré les changements qu’ils subissent. Le temps semble donc supposer à la fois changement et permanence. Un des grands rêves de l’homme est de pouvoir imprimer sa volonté sur ces deux facettes du temps : accéder à la permanence, c’est-à-dire la stabilité en maîtrisant le changement. C’est le rêve, le mythe ou peut-être la réalité du paradis, un monde sans changement, donc sans temps, qui signifie dans l’esprit de chacun un monde sans problèmes, dont un monde de parfait bonheur.

Simultanéité-succession, instant-durée

Le terme de simultanéité signifie qu’à un même moment se déroule conjointement de nombreux évènements en rapport ou sans rapport entre eux. En corrélation, si deux évènements ne sont pas simultanés, ils sont successifs et se suivent dans le déroulement du temps. Le concept de chronos se double d’une troisième dimension, la simultanéité le long de la droite du temps qui la transforme en espace temporel, dans laquelle les évènements se déroulent éparpillés, mais dans un ordre immuable celui de l’antériorité, de la postériorité et de l’en-même temps.

De ces notions on ne peut déduire l’instant, c’est-à-dire le moment du changement, du passage de la postériorité à l’antériorité, qui peut être, selon les évènements que l’on considère, un instant ou une durée, très variable en fonction des perceptions et de l’attente de chacun. Le philosophe Bergson oppose la durée pure, qui est le temps vécu, à la variable numérique T, qui est le temps spatialisé. Pour Bergson, la conscience, qui s'accroît sans cesse, ne sépare pas ces continuelles acquisitions. Or, c'est à elle qu'il faut demander l'origine de l'idée de succession, qui suppose la mémoire et qui ne correspond à rien de matériel ; il faut donc penser la succession sans distinction : c'est en cela que consiste l'intuition de la durée pure.

24/05/2018

La notion de temps (1)

Le mot « temps » provient du latin tempus, de la même racine que grec temnein, couper, qui fait référence à une division du flot du temps en éléments finis. Il est à noter que temples (templum) dérive également de cette racine et en est la correspondance spatiale (le templum initial est la division de l’espace du ciel ou du sol en secteurs par les augures). Enfin, « atome » (insécable) dérive également de la même racine.

Dans la vie courante, le terme a plusieurs acceptions :

  1. Durée dans laquelle se succèdent les évènements, les jours, les nuits… Ex : Le temps passe et rien ne change ;
  2. Durée mesurable (Synonyme : période) Ex : Combien de temps partez-vous en vacances ?
  3. Délai. Ex : Donnez-lui du temps pour payer ;
  4. État de l'atmosphère (Synonyme météorologie). E x : Quel beau temps !
  5. Moment propice, occasion. Ex : Le temps de la révolte a sonné.

Le temps est un concept plus qu’une réalité. Mais, simultanément, c’est la réalité qui nous donne notre conception personnelle du temps. Le concept permet de nous représenter la variation du monde : nous savons par expérience que l'univers n'est pas figé, il se compose d’éléments qui bougent, se transforment et évoluent pour l'observateur qu'est l'homme qui, lui-même est changeant.

On pourrait donc définir le temps comme un milieu indéfini où paraissent se dérouler, irréversiblement, les existences dans leurs changements, les évènements et les phénomènes dans leur succession.

Mais quelle est la nature intime du temps : est-ce une propriété fondamentale de notre univers, ou plus simplement le produit de notre observation intellectuelle, de notre perception ? Deux conceptions qui s’opposent sans que l’on puisse actuellement trancher.

C’est en ce sens que Saint Augustin écrit dans ses Confessions (XI, 14, 17) : « Ce mot, quand nous le prononçons, nous en avons, à coup sûr, l’intelligence et de même quand nous l’entendons prononcer par d’autres. Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne m'interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l'ignore. » Bien que l’intuition du cours du temps soit universelle, définir le temps en lui-même semble au-delà de nos capacités. D’ailleurs, conscient de cette difficulté propre à toutes les notions premières, Pascal estimait que le temps est de ces choses qu'il est impossible et même inutile de définir : « Le temps est de cette sorte. Qui le pourra définir ? Et pourquoi l'entreprendre, puisque tous les hommes conçoivent ce qu'on veut dire en parlant de temps, sans qu'on le désigne davantage ? » (De l'esprit géométrique).

27/03/2016

Pâques 2016

La vie ? Des flashs de bonheur dont les images éparses n’ont pas de cohérence thématique. Le bonheur n’a pas d’homogénéité. Il est, dans sa force, sa soudaineté et sa fuite. Il est l’instant pur, le moment où le ciel se confond avec la vie. Chacun d’entre nous vivons quelques instants magiques où le cœur se dilate et s’emplit d’une profondeur que nous n’avions jamais soupçonnée. Alors la lumière intérieure s’accroît. Une étrange envie de crier, de chanter, de danser prend le corps et l’âme. Il n’y a plus d’idées. Absence d’idées. L’idée n’est pas la chose. L’idée n’est pas bonheur.

Quel est le plus grand bonheur ? Je crois que c’est réaliser ses aspirations les plus profondes. C’est un bonheur à construire, difficile à assumer, car le monde s’obstine à vous faire dévier de cette vocation qui est une lumière dans les jours. Quel bonheur de vivre l’instant présent dans la campagne, marchant dans cette terre chaude, odorante, fumante des jours de printemps. Oui, la nature comble le vide de l’âme par sa présence sensuelle. Le bonheur est dans cette rencontre de l’âme et du corps, de l’aspiration et de la sensation, de l’idée de l’amour et de l’amour lui-même. L’amour est cette transformation mystérieuse, inexplicable, de notre vision du monde. La pesanteur des jours devient apesanteur des instants. Alors, le bonheur, intemporel ! Chacun de ces instants ne constitue pas le temps. Ce sont des trous dans le temps, des îles sur les flots de notre histoire personnelle, le passage au-delà du miroir de nos opinions.

Et chaque jour ces instants sublimes de bonheur nous donnent une idée de la résurrection : un trou d’air qui s’éternise !

16/08/2015

Deux pigeons

Ils étaient deux, rien de plus… Dans le reflet de la vitre je les vis, indifférents, presqu’hautains, volant en imagination, sans l’ombre d’un regard pour l’autre. Ils se tenaient sur la corniche du toit d’en face, les pieds sur le zinc, prêts à se lancer dans le vide, tassés un peu sur eux-mêmes. Ils ne se regardaient pas, chacun dans son monde. Je ne sais pourquoi je les regardais. Ils étaient semblables aux autres pigeons, rondouillards, se haussant du col, marchant comme un commerçant ayant fait fortune (enfin, à la hauteur de ce qu’un commerçant peut gagner !), l’air digne, trop sans doute. Peut-être avaient-ils une sorte de retenue, d’imprévisible, mais sans plus, comme une ombre qui les suivait sans qu’on puisse dire ce qu’elle représentait. C’étaient deux silhouettes se détachant du ciel voilé, comme des ombres chinoises à côté de l’allongement étiré d’un sapin deux toits plus loin. Trop absorbé par leur contemplation, je ne pensais pas à prendre mon appareil de photos. Soudain, je les vis se tourner l’un vers l’autre. Oh, pas trop, un peu, se regarder mollement, picorer quelques miettes d’on ne sait quoi, se regarder à nouveau, l’air de rien. Puis ce rien devint dans leur esprit le tout, l’être Pigeon, du sexe opposé, le mâle ou la femelle, selon l’opposé. Une sorte de tendresse les envahit soudainement. Leur corps se fit plus ferme, plus chatoyant, plus altier. Ils se regardaient maintenant avec gentillesse, l’œil dans l’œil, sans oser encore se toucher, ni même se rapprocher. Mais le cou tendu, l’air droit, franc du collier, attirés l’un par l’autre, sans le dire. Pas de parole aimable comme pour les hommes. Juste le regard, autre, égaré déjà, noyé de pensées amoureuses. Elle, bien sûr, ne bouge pas. Elle le laisse venir. Elle sait qu’il viendra maintenant qu’elle l’a piégé. Elle tourne la tête de l’autre côté, faisant semblant de ne pas voir, de ne pas comprendre, de ne pas désirer.

Il s’avance d’un pas, gonflant son gésier, haussant le col, la tête haute, tendue, s’offrant dans toute sa puissance de mâle. Elle ne dit rien, mais l’on sent également sa tension. Elle s’arrondit, émousse ses plumes pour paraître désirable, tente de pousser un roucoulement qui s’éteint à la gorge, penche la tête de côté, comme une femme coquette peut le faire avec un homme qu’elle désire. Il a compris. Il n’est pas rejeté. Il fait un pas, puis deux, en direction de la rougissante, petite touffe de plumes émoustillées, tremblante sous le regard de l’autre, puissant et fier. Il s’approche et tend le cou. Il se fait tendre, il caresse de ses plumes dressées le cou de sa compagne. On peut bien l’appeler ainsi maintenant. Elle se tortille et courbe le sien vers son compagnon. Elle minaude, l’air de rien. Mais je la vois sourire de contentement, remuant doucement une queue relevée. Il ose un baiser, bec à bec, buvant à ses lèvres d’acier le plus attractif de son souffle et de sa salive. Ce premier baiser a le goût de l’interdit. Il en entraîne d’autres, plus osés, plus libres également, moins officiels et plus chargés de non-dit. C’est un véritable dialogue, fait de gestes et de mimiques, à la manière de deux êtres humains tendus l’un vers l’autre, le désir au ventre. Ils s’enlacent, se bécotent, se caressent du cou, du bec, de l’œil, s’emplissant de rondeurs délicates, déjà presque plus qu’un. Cela dure. Les préliminaires sont toujours les meilleurs moments. Il faut savoir attendre, se détendre, ne pas se méprendre, ne pas sauter l’un sur l’autre, impatients et malhabiles. Que ces instants leur semblent bons, irradiant d’un désir devenu réalité, tension, arc électrique.

Elle s’offre alors, lui tournant le dos avec élégance et délicatesse. « Regarde ce que tu me fais faire ! », semble-t-elle lui dire. Et lui, sans penser à rien, lui saute sur le dos, enfonçant son bec dans le cou de la bien-aimée, le mordillant. Un bref sursaut, une sorte d’éclair des corps, un soulagement des muscles et des consciences.

C’est fini. Plus de baisers, plus d’amour, pourrait-on dire. Une indifférence qui étonne un humain habitué à plus de chaleur et de baisers de lassitude et de remerciements. Rien, ils n’appartiennent plus au même monde. Ce amour,société,civilité,instantcontentement du corps refroidit en un instant leurs sentiments. Les sensations sont mortes, ayant épuisées leur réserve de douceur et de contentement. Le mâle redevient hautain, la femelle indifférente. Pourtant, un instant, ils regardent dans la même direction. Cela signifie-t-il qu’ils s’aiment, comme le disait Antoine de Saint-Exupéry ? Le samour,société,civilité,instantaura-t-on jamais ! Il plonge dans le vide, se laisse glisser dans l’air, s’éloignant comme si de rien n’était. Il s’en va voler haut dans le ciel, d’un battement d’extase comme un feu d’artifice après ce plongeon audacieux. Elle reste seule, s’interroge, semble se réveiller, s’ébroue, nostalgique. Elle ne tarde pas à se laisser tenter par le vide et, d’un coup d’ailes, part à la conquête du monde.

Et moi, là, devant ce spectacle d’une nature plus vraie que nature, je reste rêveur. C’était un instant de la naissance du monde, la rencontre de deux êtres attirés l’un vers l’autre, qui se croisent et se donnent l’un à l’autre, en toute connaissance.