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02/09/2015

Coup-de-fouet, roman de Bernard du Boucheron

Est-ce un roman ou une biographie, l’histoire d’un homme ou d’un affrontement entre deux hommes, le lieutenant et le piqueux, la fin d’une société qui n’a plus sa place dans le monde moderne ? C’est sans doute un peu tout et cela complique quelque peu la compréhension du livre.

L’auteur connaît bien le monde de la vénerie. Il s’en régale, la décrivant de15-09-02 Coup de fouet, B du Boucheron.jpg courtes phrases, rapides comme le galop du cheval favori du lieutenant Hugo de Waligny, Diamant Noir. On s’y parle courtoisement, mais avec sécheresse. C’est un peu forcé, mais c’est assez proche de la vérité. Un monde d’une autre époque, mais qui existe encore, comme un reflet dans une vitre. Le lieutenant ne brille que par exagération, dans sa manière de chasser, de monter, de parler aux femmes, d’affronter le peuple. C’est une caricature, mais cela existe.

L’auteur connaît moins bien le monde de la vraie l’équitation, sinon de manière mondaine. Le chapitre 10, compte-rendu de diverses courses montées par le vicomte, fait plus amateur que professionnel. C’était le monde des gentlemen riders d’autrefois. Depuis, ils sont devenus des quasi professionnels.

L’auteur parle de la guerre, mais une guerre à cheval, de la première année de la première guerre mondiale. Elle semble irréelle, comme un rêve qui passe dans l’affrontement titanesque entre le maître et le piqueux Jérôme Hardouin, dit Coup-de-Fouet. Ils se valent, se regardent et chacun veut en faire plus que l’autre. Cela se termine par un drame, le sacrifice d’un escadron de deux pelotons et la survie d’un seul, le capitaine de Waligny. Mais celui-ci est fou ou considéré comme tel.

La vie décline progressivement dans le corps de ce militaire dont la femme, la belle reine des amazones, rivalise avec lui d’échanges amères. Triste fin que celle de ce cavalier. Méritait-il celle-ci ?

C’est un beau livre, un peu pédant, un peu envoûtant à la manière du Grand Meaulnes, mais plus incisif et masculin. Dans toutes ces actions, on a du mal à s’y retrouver.

La vie s’en va, mais qu’est-elle ? On ne sait. C’est un théâtre auquel se confronte l’homme. La femme n’y est que décor, ce qui semble passé de mode.

14/08/2012

Une forme de vie, roman d’Amélie Nothomb

« Chère Amélie Nothomb, Je suis soldat de 2ème classe dans l’armée12-08-10 une-forme-de-vie.jpg américaine, mon nom est Melvin Mapple, vous pouvez m’appelez Mel. Je suis posté à Bagdad depuis le début de cette fichue guerre, il y a plus de six ans. Je vous écris parce que je souffre comme un chien. J’ai besoin d’un peu de compréhension et vous, vous me comprenez, je le sais. Répondez-moi. J’espère vous lire bientôt. »

Ainsi commence le roman dont le prétexte est l’obésité et l’objet réel l’art de la correspondance et ses inconvénients.

Se dévoilant peu à peu, Melvin annonce sa corpulence, réconfort permettant de lutter contre la terreur du combat : Je me suis enrichi d’une personne énorme depuis que je suis à Bagdad. Puisqu’elle m’est venue ici, je l’appelle Schéhérazade. (…) Elle parle des nuits entières. Elle sait que je ne peux plus faire l’amour, alors elle remplace cet acte par de belles histoires qui me charment. (…) Lorsque je rentre à fond dans cette fiction, j’entends sa douce voix féminine qui murmure à mon oreille des choses ineffables. Alors mes gros bras étreignent cette chair et la conviction est si puissante qu’au lieu de sentir mon gras, je touche la suavité d’une amoureuse. Et Amélie s’extasie : Qui veut faire l’ange fait la bête, on le sait depuis Pascal. Melvin Mapple ajoutait sa version : qui veut faire la bête fait l’ange.

Au fil des jours, elle apprend que cette obésité est devenue l’œuvre de Mel. Elle lui propose d’être sa marraine pour une exposition de body art. Elle lui demande une première photo. C’était une boursouflure en expansion : on sentait cette chair en continuelle recherche de possibilités inédites de s’étendre, d’enfler, de gagner du terrain. La chair fraiche devait traverser des continents de tissus adipeux pour s’épanouir à la surface, avant de s’encrouter en barde de rôti, pour devenir le socle du gras neuf. C’était la conquête du vide par l’obésité : grossir annexait le néant.

 Elle poursuit néanmoins sa correspondance jusqu’au jour où elle demande une photo en uniforme. Pas de réponse. Après de nombreuses recherches, elle renoue et apprend que Mel n’est pas soldat et qu’il vit à Baltimore dans la grange de ses parents qui ne savent que faire de lui. Il menace de se suicider. Alors Amélie prend l’avion sans réfléchir. Mais elle finit par trouver un subterfuge pour éviter cette rencontre désolante, celle d'une victime devenue bourreau d’Amélie, trop faible pour se révolter de tant d’impudence.

Au-delà de l’histoire et du prétexte, Amélie se livre à une réflexion sur la correspondance et son intérêt. D’abord la forme : J’ai développé une théorie instinctive et expérimentale de l’art épistolaire. Ainsi, j’ai observé  que les meilleures lettres ne dépassent jamais deux feuilles A4 recto verso.

Puis, l’intérêt : On rencontre quelqu’un, en personne ou par écrit. La première étape consiste à constater l’existence de l’autre : il peut arriver que ce soit un moment d’émerveillement. (…) Et soudain, l’autre est là, devant la porte. Dessoulé d’un coup, on ne sait comment lui dire qu’on ne l’y a pas invité. (…) Les gens sont des pays. Il est merveilleux qu’il en existe tant et qu’une perpétuelle dérive des continents fasse se rencontrer des îles neuves. Mais si cette tectonique des plaques colle le territoire inconnu contre votre rivage, l’hostilité apparaît aussitôt.

Enfin, le fond du livre : Le langage est pour moi le plus haut degré de réalité. – Le plus haut degré de réalité, c’est de retrouver dans un entrepôt à pneus de Baltimore un obèse mythomane. Compagnie et destination du rêve. Tout çà pour une absence de prétérition.

Et la confession sublime : Depuis que tu as commencé à écrire, quelle est ta quête ? Que convoites-tu avec une si remarquable ardeur depuis si longtemps ? Pour qui écrire, qu’est-ce que c’est ? Tu le sais : si tu écris chaque jour de ta vie comme une possédée, c’est parce que tu as besoin d’une issue de secours. Être écrivain, pour toi, cela signifie chercher désespérément la porte de sortie. La porte de sortie choisie cette fois-ci par l’auteur est assez surprenante : un pied de nez à l’administration américaine.

 

Pour finir, le livre est-il aussi passionnant et drôle que les livres qu’elle a écrits sur sa jeunesse ? Non, il faut bien le dire. Il y a certes de nombreux traits d’esprit : Je pensais qu’on était en guerre contre l’Irak, je découvre qu’on est en guerre contre le latex. Mais les descriptions de bouffe et d’engraissement rendent le livre un peu indigeste. On finit le livre en voulant se mettre à la diète. C’est d’ailleurs peut-être le cas d’Amélie, vu sa tête sur la couverture de son livre. Donc, appréciation mitigée : belle performance littéraire, mais sur un sujet qui manque de fond.