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23/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 8)

Je ne réalisais que plus tard, dans la journée, l’importance de l’information. Pourquoi s’introduire dans notre base de données ? Je me dis d’abord que tous pouvaient faire la même chose : chercher sur Internet les informations concernant les aspects philosophiques, scientifiques, ésotériques, des nombres et concepts liés à la numération. Alors pourquoi nous pirater ? Certes, tout est rassemblé, ce qui évite les recherches auxquelles nous avions déjà consacré beaucoup de temps. Mais est-ce une réelle motivation de piratage ? Sûrement pas. Il doit y avoir autre chose. Mais quoi ? 

Nous nous étions bien douté que ce nombre manquant détenait vraisemblablement un pouvoir important. Celui qui le découvrirait aurait sans doute accès à des capacités d’action jusqu’ici insoupçonnées. Pensez donc : créer un pont entre le connu et l’inconnu, ou plutôt avoir accès à l’inconnu, tous les inconnus, grâce à une nouvelle manière de compter. Tout homme détenant un tel secret ne pourrait que chercher à l’utiliser et ne pourrait le garder pour lui. Il deviendrait aussitôt la proie d’une telle concupiscence  qu’il devrait être protégé en permanence, donc enfermé au secret. Je comprenais que nous n’avions jamais réfléchi aux conséquences de nos travaux. Nous faisions cela de manière entièrement désintéressée, comme une sorte de hobby ou comme un défi à relever. Mes réflexions à ce propos étaient jusque-là assez embrouillées. La nuit suivante me permit de placer dans les différentes cases les éléments d’analyse. Cela me sauta aux yeux pendant mon jogging matinal, le lendemain. Comme quasiment tous les matins, je courais dans les rues de Paris, soit le long des quais, soit dans les jardins. J’en profitais pour réfléchir le plus sérieusement possible à mes préoccupations insolubles. Je courais, je regardais la vie s’écouler à la vue des passants et tout d’un coup me venait une idée en rapport avec mes réflexions. Elle était le souvent insolite et pas forcément très claire, ou plutôt, elle n’était pas immédiatement en rapport avec celles-ci. Mais très vite, j’entrevoyais des rapprochements insolites. A peine rentré, je consignais par écrit mes intuitions. Auparavant, il m’était souvent arrivé d’oublier ce que j’avais entrevu. C’était perdu pour toujours, bêtement, par négligence ou parce que j’étais pris par quelque chose de plus urgent. Ce jour-là, je n’eus nul besoin de noter. L’inquiétude me frappa instantanément : notre engagement avait des côtés dangereux et nous devions nous tenir sur nos gardes.

Je pensais d’abord à Vincent, le hacker. Comment l’avions-nous inclus dans nos travaux ? Etait-il quelqu’un de fiable ? Je ne savais quoi répondre à cette interrogation. Et même, Mathias ? Ah, oui, lui me semblait sans faille. Nous avions conçu ensemble ce projet et il avait autant, sinon plus, d’idées que moi. Il me sembla que c’était une preuve suffisante. Ma femme ? Non. Elle m’avait mis en garde elle-même de manière assurée. Je me demandais maintenant si elle n’avait pas raison. Il faudra que je lui en parle, mais doucement. Ne pas éveiller de crainte en elle ! Le professeur Foiras ? Nous ne lui avions rien dit de nos recherches. Nous l’avions juste interrogé sur ce qu’il avait avancé plusieurs fois concernant la matière noire et l’immensité de notre ignorance. Il s’en tenait à un simple constat, une évidence au regard de ces observations, et ne s’intéressait pas spécifiquement à l’accès à ces données inconnues. Non, nous ne connaissions personne à qui nous aurions pu mettre la puce à l’oreille, même involontairement. Peut-être Vincent. C’est tout. Il faudrait en avoir le cœur net.

Soudain, alors que j’amorçais mon retour vers notre appartement, je pensai à une femme qui m’avait abordé à la bibliothèque de Beaubourg. Elle avait vu les trois livres que j’étudiais et s’était intéressée à moi en prenant prétexte des titres de ces livres. J’étais dans ma période mystique, pensant trouver des éléments intéressants dans ces documents peu lus et encore moins étudiés. Il s’agissait du « Livre des secrets », de Bhagwan Shree Rajneesh, de « Le centre de l’être » de Karlfried Dürkheim et de « La voie de la perfection » de Bahrâm Elâhi. Cet éclectisme la surprenait. Nous avions parlé assez longuement de ces enseignements. Elle voulait savoir ce qui me motivait dans ces recherches. Je lui avais répondu que seules les interrogations que je me posais sur la vie, la mort, le monde me poussait à chercher des réponses. Elle devait avoir un peu moins de la quarantaine, elle était jolie, fine, peut-être un peu effacée ou, tout au moins, son apparence n’était pas sa préoccupation première. Elle semblait intelligente, posait des questions argumentées, ne perdant pas le fil de ses pensées. Nous avions échangé nos cartes avec nos adresses-mails respectives. Mais nous ne nous étions pas recontactés, remettant chaque jour à plus tard l’envoi d’un message nous permettant de poursuivre notre conversation. Oui, il est possible que disposant de mon adresse-mail elle ait pu entrer dans nos échanges avec mes deux autres compagnons. Mais comment ? N’étant pas informaticien et encore moins hacker, j’étais incapable de savoir si cela était possible. Encore un point à vérifier.

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