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04/09/2015

Mémoires d’un rebouteux breton, écrites par Catherine Ecole-Boivin

Personnalité émotive, réfléchie, sous une allure en retrait, sérieuse et un tempérament en ébullition, il était considéré durant son enfance comme un garçon agité, nerveux et remuant. Il possède cependant une disposition phénoménale pour le calcul. Le calcul mental, les mathématiques, sont, avec ce que nous ne calculons pas, l’infini de l’homme, sa géométrie.

Portrait, biographie, histoire et mémoire d’un rebouteux. C’est un livrepaysan,rebouteux,vis,société d’impressions, de sensations, plus que de sentiments ou d’idées. On sent la main qui ausculte, qui palpe, qui caresse, qui remet à leur place tendons, muscles, articulations, avec douceur. (…), lui, guérit avec ses mains. Il se sert de l’imperceptible, de l’invisible qui produit le sensible, mais aussi la logique du corps. La vie en lui bouillonne à flots, encore aujourd’hui, cette énergie qui l’habite en continu. Etrange impression de force qui le tenaille depuis le départ. Il bouge constamment, il est comme toujours animé, électrique. Pour lui, le corps n’est pas une prison, ni un tombeau, le corps est le vivant de l’esprit. Les deux sont liés.

Et commence son histoire, l’histoire d’un petit garçon dont la passion est de regarder son père, rebouteux, masser et soigner dans ce monde paysan à mi-chemin entre la Bretagne et la Normandie, près du Mont Saint-Michel. Je suis un enfant, c’est-à-dire un être non pensant (…). Un être inapte aux souvenirs et à élaborer sa propre pensée, un invisible. Les gestes de mon père se répètent, il tourne les membres, les étire, les plie d’une certaine façon. Je remarque une pression, puis une autre. J’enregistre le mouvement. Les gens crient un peu, retiennent leur surprise, dans un vagissement venant des profondeurs. Le soulagement presque instantané de ceux qui sont passés entre ses mains leur redonne confiance. Pendant qu’il les raccommode, tous parlent avec leur soigneur, des semailles, des travaux à finir le lendemain, de leurs bêtes, de leurs affaires, des ventes et des locations de terre. Aussitôt rassérénés, ils repartent avec tellement de joie. Mon père n’en éprouve visiblement pas de fierté. Je suis fier à sa place.

Une vie rude, dure au départ, et, en permanence, la puissance du dedans qui soutient l’homme, le modèle, l’entraîne toujours plus avant dans la compréhension des corps. Notre métier de rebouteux n’a rien à voir avec le magnétisme, pas de fluide. (…) C’est l’usage qui fait la différence et le palper. Rebouteux, c’est un travail manuel, pas de la sorcellerie. Là on doit agir, on passe notre main et ça grésille sous le doigt, la tension de la douleur de l’autre, celui qui se croit abandonné par la chance, nous résonne dans les doigts. (…) Je vois avec les mains. Le vide qui existe entre nos mains et la peau du souffrant, on en fait quelque chose : « Après tout : le diplôme à celui qui guérit. »

Au fil des chapitres, on revit sa vie : garçon boucher, béret rouge, boxeur, maquignon, rebouteux enfin. On apprend sur les dons, don du zona, don du remaillage des articulations, don de réparation des corps-machines, toutes sortes de don, avec celui de la douceur physique et de la chaleur des mots.

Quatre-vingt-cinq ans. Une vie dans les mains, des milliers de patients rafistolés, et toujours l’espoir. La preuve : il se remarie une troisième fois à soixante-dix-neuf ans.

Merci à l’auteur qui nous fait entrer dans ce monde de notre enfance où les paysans avaient du bon sens et non du savoir.