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14/12/2017

Solitude et révolte

L’homme d’aujourd’hui se meurt hors de la société et il n’a jamais été aussi seul dans la société.

L’apprentissage de la solitude volontaire est l’apprentissage de la connaissance de soi, alors que la solitude dans la société entraîne la révolte ou l’inaction. Le monde d’aujourd’hui est un monde de solitaires par obligation, aussi n’y a-t-on jamais autant vu de révoltés et d’inactifs.

Le seul moyen de lutter contre la révolte ou l’inaction est de résister à la solitude involontaire. Elle est plus souvent morale que matérielle et est due au mouvement.

 

Redonner à la vie corporelle et spirituelle, la stabilité qu’elle a perdue,

Retrouver les valeurs immuables.

 

10/12/2017

Le professeur de philosophie et de physique

Ce professeur était un homme remarquable, à la fois professeur de philosophie et de physique dans les classes de terminale. Il maniait les concepts scientifiques avec autant d’aisance que ceux de philosophie. Sa salle de classe était une toute petite pièce disposant d’une fenêtre  qui donnait sur un puits de lumière, sans autre paysage que le mur d’en face à 2 m de distance. Les élèves étaient serrés ; des tabourets permettaient de s’assoir derrière des tables en fer gondolées. Mais peu leur importait, ils entraient dans le salon de Mme de Sévigné, dans la chambre d’un philosophe ou dans le laboratoire d’une université américaine.

Ils l’avaient surnommé Einstein. Il s’appelait Monsieur Moréas. Il portait comme le célèbre savant des cheveux crépus en envol autour de sa tête et se laissait pousser une petite moustache. Il marchait lentement en raison de son âge, un peu courbé, mais ses réparties étaient fulgurantes et drôles. Nous l’écoutions religieusement, subjugués par son verbe.

Il disserta un jour sur la femme enchanteresse du monde : « La femme est une amphore, serrée à la taille, s’élargissant aux hanches, sans angles droits, une courbure parfaite, façonnée pour la procréation. La femme est la poésie de la terre, elle nous donne le goût de vivre par sa simple beauté naturelle. » Ses camarades jeunes filles en rosissaient, quelque peu gênées, mais fières de cet hommage du vieux professeur.

Il éclairait sur l’origine du monde, leur parlant du Big Bang, étrangeté à l'époque, tout en gardant le mystère de la création présent dans son discours. Il les initia à la pensée logique, à l’imagination créatrice. Homme complet, il avait un sourire charmant dont il usait lorsqu’il disait quelque chose de personnel et le plus souvent en plaisantant. Sa pensée était profonde, mais il parlait comme s’il disait des choses banales et ses élèves ne soupçonnaient pas les trésors qu’il leur divulguait. Ils l’ont tous remercié à la fin de l’année.

Il n’a qu’un regret, c’est de ne pas l’avoir revu. La jeunesse oublie, préoccupée par son entrée dans la vie adulte.

03/12/2017

La création artistique

 

Il faut un thème à chaque création artistique, sinon l'art tombe dans la facilité de certains surréalistes et devient une sorte d'automatisme psychologique qui, bien que naissant d'une même aptitude à saisir les rapports, est opposé à l'art, car il ne possède pas cette réflexion qui doit épauler la création.

 

25/11/2017

Louange

Des couleurs à la non couleur… du bruit au silence bienfaisant…. Du mouvement à l’immobilité…

Et ces mouvements infimes de l’action à l’être ébranlent progressivement la certitude. Qu’est-ce que la vie ? Une étincelle. Entre les yeux, ce vide intense qui éclaire tout. Ce n’est pas le néant. Ce n’est pas le rien. C’est l’infini imaginaire, encore plus puissant que l’infini matériel. Une tornade impalpable qui tourbillonne, puis se calme pour devenir aussi tendre qu’un baiser. Et c’est la jonction entre ces deux infinis, quels qu’ils soient, qui produit l’étincelle.

 

L’émotion éprouvée par l’âme est faite de rires et de sanglots,

Parce que seule l’âme est sensible aux contraires

Et perçoit les différents aspects des choses.

01/11/2017

Salon du livre

Samedi prochain, à la Mairie du XV°, a lieu l’après-midi du livre des écrivains combattants au cours de laquelle les écrivains de l’association présentent et dédicacent leurs derniers livres. Cette après-midi est l’occasion de feuilleter les derniers livres d’auteurs très divers, politiques, industriels, chercheurs, journalistes et bien sûr écrivains. Une après-midi passionnante dans les entrailles des auteurs… J’y participe et serai heureux de vous recevoir à mon stand, sans aucune obligation d’achat.

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Les auteurs :

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30/10/2017

Coucher et marcher à la belle étoile

L’arbre pénètre de sa solitude la terre dénudée, l’herbe rare siffle entre les jambes, le soleil huppe de gaîté la cime des pins.

Dans ma tente, une maison de toile à l’ombre gigantesque au matin, je devine la nuit le bruit de l’arbre qui se gratte l’écorce, de la fleur qui minaude à l’ombre de la lune. J’entends aussi la quiétude des respirations, un dormeur qui se retourne sur son lit de paille, la toux d’un inquiet sous ses couvertures.

Souvenirs de manœuvre, quand dans la poussière, tu rêvais au calme d’une vallée où coule l’eau fraîche.

Brusquement, réveil. « Vite, debout, nous partons ! » Où, je ne sais. Pourquoi, encore moins. Mais c’est ainsi. Déjà les derniers hommes quittent le campement. Voilà, c’est bouclé ! Le sac arrimé sur le dos, la marche reprend dans la nuit. Il fait frais, mais bon. Je sens la fraîcheur de l’aurore qui sommeille encore avant de naître en douceur. Je ferme la marche. Devant, mon prédécesseur enfonce ses grandes jambes dans les herbes hautes. Je ne vois plus que son buste s’agitant bravement. Une route qui s’étire mollement entre les ombres arborescentes. C’est bruyant, mais la marche est simplifiée. On sait où le pied va, car sa résistance est toujours semblable. Elle berce la volonté et lui donne un fond de vérité tranquille, doucereux, plutôt qu’un combat permanent contre soi-même.

Je m’éveille complètement, léger, attendri par l’air rafraîchissant, allégé des miasmes de la nuit, aux aguets d’un jour nouveau, exaltant parce que différent des habituels matins. Les sens exacerbés, je vais au bout de moi-même, ouvert à tous les vents, délivré de ce moi qui me pèse et m’empêche de marcher. Le ciel est étoilé et un sentiment de profonde reconnaissance naît dans l’intimité de la solitude. Je pourrais marcher des jours dans cet état second où le rien devient tout.

26/10/2017

Vestale

Vestale flamboyante, tu joues avec le feu et danses sur les braises. Peut-être un jour saurons-nous briser la barrière de glace de l’aquarium et mêler leurs éléments divisés ? Le combat des chevaux contre les hydres marines prendra fin au lever du jour.

Ici, "pâlement" dépendant des murs gris de l’ennui, je rêve à une icône qui possède tes yeux. Elle éclaire le coin le plus sombre de la pièce où je réfugie parfois mon regard de souvenirs. Mais si j’allonge le bras vers elle, elle disparaît subitement à l’éclat des ongles qui sont autant de petits miroirs, vestiges de la réalité.

01/10/2017

L'artiste

Dans un petit livre intitulé Sur la falaise (Salvy éditeur, 1993), Gregor von Rezzori fait un constat amer. L’artiste expérimenté n’a pas d’autre objet que lui-même et pour entretenir cet objet, il bluffe. Certes, à un moment ou un autre, l’inspiration l’a sorti du lot. Il a trouvé la forme (il est sculpteur) parfaite, une forme jusqu’ici  jamais sortie du ciseau d’un artiste. Ce moment d’inspiration est devenu routine. Il reproduit la forme, les formes, sans que son public le remarque. Mais c’est toujours la même forme, unique, qui se défraîchit au fur et à mesure où l’envoûtement du public croît. L’artiste devient imitateur de lui-même. Il reproduit toujours la même idée qui peu à peu s’épuise et meurt. La forme devient sans forme, un tas de matière sans vie alors qu’auparavant elle rayonnait de puissance non feinte.

« Je connais trop bien l’art, c’est-à-dire les artifices, les astuces, dont ce sert un artiste pour produire quelque chose qui fasse figure d’œuvre d’art. Je connais l’art de donner un dernier coup de pouce qui fait la qualité ultime du produit, lui donne l’apparence d’être réussi », écrit Gregor von Rezzori. « Tout dépend de la qualité du bluff. »

Cet aveu semble sincère. L’artiste cache sa misère derrière l’arrogance de sa supériorité. Qui d’autre que lui pourrait faire de même, pense-t-il. Il se gonfle de sa présence ; la démultiplie, met en valeur son objet, lui-même, sous tous les angles, mais toujours lui-même, d’autant plus que l’objet artistique n’a rien à voir avec lui.

Quelle psychanalyse acerbe : je me regarde dans le miroir et ne vois que moi, toujours. Mais est-ce si vrai ? Ce pessimisme est-il le reflet de la réalité ? On pourrait penser au contraire que l’artiste donne au monde sa vision la plus détachée de lui-même, une vision qui lui semble universelle, loin de son petit personnage et de son moi encombrant. Il semble même que le véritable artiste doit être dépersonnalisé, c’est-à-dire si concentré sur son œuvre, qu’il s’en oublie lui-même. Alors, l’esprit du monde apparaît dans la forme particulière réalisée. La part de divin que détient chaque artiste, qu’il soit croyant ou non, transparaît, l’invisible devient visible par sa main. Ce n’est plus du bluff, mais l’effet de la grâce qui réalise l’œuvre parfaite qui non seulement contente l’artiste, mais également son public. Au-delà de l’ici et maintenant, apparaît l’absence qui rend plus présente la présence. Absence de soi, présence de l’autre, l’inconnu, le vide plein, le monde sans artifice.

30/09/2017

Un rêve

Un rêve est-il vrai ?
Ou plutôt, un rêve est-il réel ?
Comment répondre à cette question ?

Le rêve t’embarque et tu vas
Attentif aux personnes et aux biens
Mais sans pouvoir sur eux
Alors qu’eux abusent de toi
Le rêve t’impose son déroulement
Et choisit lui-même son rythme
Tu te souviens même avoir déjà vécu
De semblables circonstances
Qui, parfois, t’ont amené à d’autres réactions

Le rêve t’entraine en d’autres territoires
Où la volonté importe peu
Seul compte la ténacité et l’honnêteté
Le courage reflue en toi
Tu te sens invincible, mais précaire
L’ombre ne suffit plus à te cacher
L’opprobre t’accompagne malicieusement  
Jusqu’au point de rupture
Là, tu sors ton mouchoir et le tache
De ton sang rouge et brillant

Mais ton souvenir va au-delà
Dans l’azur bleuté de la liberté
Vers ce que certains pensent folie
Et que tu baptises vérité
Celle-ci serait-elle le vide
L’absence de pensées, voire d’existence ?
Oui, je comprends, quelle folie !

La liberté ? Ne plus avoir à choisir !    
Tout s’impose par soi-même
Le choix est contrainte et effort
Il faut peser le pour et le contre
Hésiter entre deux maux ou deux biens
Comment ne plus pouvoir choisir
Et, malgré tout, y être astreint
Quelle prison imaginaire…

Le rêve le plus réel pourrait-il n’être
Qu’un rêve vide d’images et de sons ?
Dans ce cas rêve et réalité se rejoignent

Finalement qu’est-ce qu’un trou noir :
Un passage entre le palpable et l’impalpable
Entre le zéro et l’infini
Entre le tout et le rien
Entre la réalité et le rêve ?
Qu’en sais-tu puisque personne n’en revient !

 

24/09/2017

L'ennui

L’ennui, cette maladie incurable de notre temps. Sans doute tient-elle à un défaut d’adaptation de l’âme au monde matériel. L’homme ressent souvent cette blessure ouverte sur l’immatérialité, mais il ne prend pas suffisamment la peine de chercher à la saisir et l’analyser. Lorsque cet univers nous est apparu une fois, plus rien ne saurait nous détacher de sa recherche permanente et il y faut de nombreuses heures où l’ennui n’a pas cours. L’ennui n’est donc qu’un effet de la pesanteur et son remède est dans l’allégement des pensées.

Comment peut-on s’ennuyer une fois qu’on a conçu l’incroyable travail qu’il reste à accomplir à l’homme pour se libérer de sa matérialité. D’abord la comprendre, puis la dominer pour accéder à une conscience ontologique de l’univers.

 

20/09/2017

Peinture et temps (2)

Dans la peinture, la recherche de l’énergie spirituelle passe par la transparence. Étaler des couleurs ne signifie pas être artiste. Engluées, les impressions sont noyées dans la masse dans laisser sortir l’étincelle de la réalité des choses. L’apparence est opaque, c’est un voile de matière dont il faut se dégager. Derrière se cache la réalité supérieure englobant la matière et l’esprit. La matière est alors plus libre, plus mouvante, gérée par de nouvelles lois où la pesanteur n’a rien à voir, elle possède alors une énergie intérieure. C’est le rôle de l’artiste  de créer cette énergie à partir de sa matière, tout comme le scientifique crée l’énergie à partir de l’atome.

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Accéder à la réalité des choses, c’est dévoiler l’apparence de la matière, découvrir la transparence de l’objet quotidien, de l’événement de tous les jours. Cette réalité de la matière est cachée par l’opacité que lui donne notre regard habitué à la masse des objets. Notre pouvoir de préhension a éduqué le regard et par là même l’esprit. L’œil ne sait plus percer comme le doigt dans un liquide la surface de l’objet. Il faut repartir de l’idée que le solide n’est solide qu’au toucher, mais peut devenir liquide à l’esprit. Alors la forme perd de son apparence, de sa masse, s’affaisse, se défait, se dilue dans l’espace et découvre sa vraie réalité. Le peintre doit traduire la forme par l’idée de la forme.

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19/09/2017

Peinture et temps (1)

« Le temps d’exécution d’un tableau peut intervenir dans la nature même de la forme. L’exemple topique de ce fait est l’œuvre de Nicolas de Staël dans les tableaux qu’il exécuta entre 1946 et 1947. Suivant la manière dont il pose la couleur, il peut accélérer ou ralentir la forme (le passage du pinceau laisse une trace visible dans l’épaisse couche de matière). Cette tension intérieure qu’il confère à sa composition n’est autre que le temps devenu espace sur la surface de la toile. Il s’agit alors de rechercher un accord possible entre les différentes tensions (on pourrait dire vitesse et même énergie) : les formes lentes qu’il réserve aux parties de la composition conçues en retrait, recouverte d’une surface lisse qui les rend presqu’immobiles en comparaison des autres formes. Celles-ci, souvent effilées, traversent le tableau en tous sens, chacun obéissant au rythme que la main du peintre et le pinceau ont imprimé dans la matière même de la couleur »[1]

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On ne peut dire bien sûr que le temps a été fixé sur la toile, mais on a accumulé sur celle-ci une certaine énergie qui est l’expression inconsciente du temps. Peut-être l’esprit sera-t-il capable un jour de fixer, de désolidariser les quatre dimensions du temps ; passé, présent, futur et être (l’existence est fonction de cette énergie elle-même issue de l’énergie divine).

 

[1] Dora Vallier, L’art abstrait, 1967.

08/09/2017

Torpeur

Étrange torpeur, comme un désintéressement morbide de toutes choses, sauf à l’action, une action primaire, mobilisant chaque geste possible du corps, occupation inutile, mais nécessaire pour ne pas sombrer dans l’ennui et le spleen. Et encore, l’ennui est-il possible à ce stade de détachement de la pensée, comme si tout ce que l’on a aimé, tout ce qu’on aime, ces idées manipulées avec délice, s’était évadé.

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Un grand besoin de paresse, d’hébétude, de torpeur qui entraîne inévitablement aux portes du rêve, un rêve permanent, qui n’a pas de motif, de sujet, mais seulement la consistance de l’anarchie turbulence de l’esprit qui s’en va en grandes glissades sur de pentes vertigineuses avec, seuls, quelques nuages pour accrocher son regard.

29/08/2017

Etre ou penser

Nous sommes trompés par les mots, car nous faisons du mot la chose. Une armoire à glace pour tout un chacun est une armoire à glace. En fait, c’est aussi la forêt, le sable des plages, les mines de fer, la laine des moutons. Une armoire à glace dans le désert ne serait plus une armoire à glace. Elle ne pourrait pas être. Une chose ne peut être en dehors de ses éléments et de son environnement.

De même l’homme. Il ne peut être et vivre qu’en son milieu. Et pourtant nous faisons de nous ce qu’est l’armoire à glace dans le désert, on s’oppose au désert en tant qu’armoire à glace alors que cette situation est réellement impossible.

Ce qui perd l’homme, c’est cet immense orgueil qui lui fait croire que parce qu’il pense, il est, face au reste.

Et pourtant, c’est bien dans l’évasion de leur environnement que se révèlent les génies !

 

26/08/2017

Le passé

Passé, instant de la séparation. On n’éprouve le poids du passé qu’au moment ou l’être ou l’objet partagé s’est séparé de nous ou inversement. La vie est faite de coupures de présent et à chaque coupure se forme une nouvelle page du passé. Et ces pages s’accumulent et se collent affectivement, oubliant toute chronologie. La vis sous sa forme dynamique est celle de l’instant. Le passé est la vie devenue statique. Accéder à la contemplation, c’est réunir ce deux formes de vie en une force neutralisante, résultante de l’inertie et de la dynamique.

19/08/2017

Les fourmis

La grandeur des arbres se perd dans l’enceinte de l’univers. Pourtant ce n’est pas leur taille qui nous illusionne, mais l’ignorance de l’enceinte. Nous ne sommes que des fourmis qui se disent bien-pensantes. Qu’est-ce au juste que penser ? Faire du monde des fourmis l’univers ? L’esprit y tourne en rond et ne peut en sortir.

La pensée, c’est de la fumée dans une bouteille de verre. Nous sommes comme ces marins qui construisent leur bateau dans une bouteille et la pose sur la cheminée pour la contempler. Si l’océan et le désert attirent l’homme, c’est qu’il y voit la possibilité d’une évasion. La pensée se noie ou meurt de soif en cours d’évasion.

Ce qu’il faut trouver, c’est la substance vitale qui traverse le verre. Alors la fumée s’échappera. Encore faudra-t-il procéder prudemment et ne pas rompre ce fil qui relie l’astronaute à sa cabine.

18/08/2017

Les confitures

Il y a deux jours, la fièvre culinaire s’empara de certains d’entre nous. Nous avions été invités à récolter les prunes d’un jardin du voisinage, tellement nombreuses qu’elles formaient un tapis de billes digne des garderies d’enfants des grandes surfaces. En cinq minutes, plus d’une dizaine de kilos furent ramassés, enfournés dans la voiture et ramenés à la maison. Les enfants en avaient mangé bien sûr. Ils s’étaient exclamés qu’elles étaient trop acides, frissonnant comme des phoques avant de les recracher en douce derrière un arbre. Les adultes n’y attachèrent que peu d’importance. On ne laisse pas tomber une telle aubaine sous le prétexte que les prunes sont acides. Mais germa dans l’esprit de certains l’idée de faire des confitures plutôt que de les manger telles quelles.

– A-t-on le temps ? Il était 6h du soir.

– C’est une affaire d’une heure maximum, précise l’un d’entre nous.

Sitôt dit, sitôt fait. Le partage des tâches fut organisé. L’un trie les prunes, car de nombreux fruits sont verts et acides, donc sans intérêt culinaire. Une à une, elles sont soupesées, admirées ou rejetées, selon sa souplesse au toucher. L’autre les dénoyaute. Quelle merveille que de prendre le fruit juteux et de l’ouvrir avec son couteau. La chair dorée résiste, attachée autour du noyau qui se révèle soudain d’un crissement de la lame qu’il faut reprendre à son compte et prolonger jusqu’à ce que le jus et les filaments de chair se détachent de l’origine et se perdent dans la marmite dont l’odeur devient de plus en plus tenace. Les ongles, les doigts, les bras même, sont couverts de chair sucrée, glissante et belle comme une robe de mariée. Tiens, une guêpe vient reconnaître ce qu’elle a humé de loin. Non, c’est interdit, sinon nous allons être envahis. Docile, elle s’éloigne, on ne la reverra plus.

Trois quarts d’heure plus tard, il ne reste rien dans le panier des prunes triées. Trois récipients sont à manipuler : la marmite aux trésors olfactifs, le plat creux où errent les noyaux devenus veufs, la caisse de prunes non employées parce que pas assez mûres. La première est mise sous le feu. L’alchimie commence. Comment ce brouet peu agréable à regarder va devenir une confiture à tartiner une tranche de pain devenue divine ? Ah, c’est vrai ! Il faut ajouter du sucre, autant de mélasse que de chair. Et pourtant cela ne double pas le volume. On remue doucement cette boue dans laquelle les mains se sont lavées, on se lèche les doigts, on se sent confits dans le sucre, submergés d’odeurs doucereuses et l’on rêve au geste de la guêpe, sucer délicatement du bout de ses lèvres pulpeuses, le jus intime des prunes comme la substance mystique qui ouvre les portes du paradis.

Cela fait maintenant une demi-heure que l’on tourne avec assiduité le brouet qui a pris entre-temps une couleur cuivrée et dont les vapeurs enchantent les narines. Cela semble cuit. « Mais non ! », rétorque l’autre. Elle est encore trop liquide. Le bras s’ankylose, la vue se brouille, les pieds traînent. « On va tourner encore longtemps », dit la petite, venue voir la confiture. Enfin, cela est à point. J’oubliais. Le troisième personnage de la pièce était en charge de préparer les bocaux. Nettoyage, essuyage, séchage des verres et des couvercles. Ils sont maintenant étalés en rang d’oignons prêts à recevoir le nectar coulant du bec de la casserole. Surtout ne pas goûter, on y laisserait le doigt, brûlé jusqu’au sang par la pulpe chatoyante, mais trop chaude. Premier bocal plein, puis le second, puis le troisième. Il y en a neuf, bien alignés, d’une couleur prune bien sûr. On les retourne après avoir bien fixé le couvercle. On les regarde, on s’extasie, on en approche les narines. Que ces bocaux sentent bon, même fermés. Les odeurs restent en nuages invisibles au-dessus de la table. Mettre un peu d’ordre tout de même ! dit avec un sourire l’aînée. Et chacun de prendre son ustensile, de le passer sous l’eau, de lui adjoindre la lessive, de faire mousser le fond jusqu’à ce qu’il devienne brillant de propreté, de l'essuyer et de le ranger dans le buffet. La cuisine est redevenue morne. Elle a besoin de repos après ce remue-ménage. Nous aussi ! Il est dix heures trente du soir. Ce fut plus long que prévu. Mais quelle excitation ! Oui, nous avons bien mérité un petit repos. Après un dernier coup d’œil aux pots étalés sur la table, nous éteignons et montons tout droit nous coucher.

La nuit fut peuplée d’odeurs, de goûts, de caresses collantes, d’éclatements des bulles sorties de la casserole. Un vrai feu d’artifice qui nous obligea  à nous lever tôt le matin pour venir voir le résultat de notre travail. Oui, la confiture fut une passion d’un jour qui restera dans les mémoires comme un jeu ensorcelant et collant.

07/08/2017

L'origine

Il n’y a pas d’espace ni de temps, seulement un être vivant qui se meut, et l’espace-temps naît avec lui.
François Cheng, Le dit de Tianyi,
1998, Albin Michel (chap. 3, p.27)

 

 On a tendance à penser que l’espace et le temps sont des concepts indépendants et précèdent en tant que concepts le mouvement. Ce n’est que récemment que les deux premières notions sont apparues dépendantes du mouvement. Sans mouvement, ni espace ni temps. Un changement d’espace (de lieu) implique un certain temps pour l’accomplir. Plus subtilement, un changement de temps implique également un changement de l’espace environnant, mais à une échelle beaucoup plus grande. Même si je reste au même endroit, cet endroit évolue dans l’espace cosmique, les objets évoluent, vieillissent et même meurent.

Il y a cependant une grande différence entre l’espace et le temps. Le premier peut se parcourir dans les trois sens, largeur, longueur, hauteur. Le second ne s’écoule que dans un sens. Mais ceci n’est vrai que physiquement. Psychiquement, le temps se parcourt dans tous les sens, comme l’espace et aussi instantanément. A la limite, psychiquement, le mouvement n’est plus nécessaire pour changer d’espace ou changer de temps. Jusqu’à un certain point cependant. Sans la mémoire, ce changement sans mouvement deviendrait dangereux.

Alors, contrairement aux idées reçues, on s’aperçoit que c’est le mouvement qui engendre le temps et l’espace. Sans lui, le monde, figé, s’écroulerait irrémédiablement. Mais le mouvement n’existe que par les objets, c’est-à-dire la matière. Sans matière pas de mouvement, sans mouvement, ni espace ni temps. La matière elle-même n’existe que par la lumière. La lumière est composée de grains de matière qui naissent, se meuvent et meurent par entropie. Rien ne peut se déplacer à la vitesse de la lumière. Mieux même, la lumière est à l’origine du mouvement (elle est ondulatoire) et de la matière (elle est corpusculaire).

On peut interpréter la parole de François Cheng de différentes manières. En premier lieu, l’espace et le temps sont des concepts humains. Seul existe le mouvement et, selon l’être humain, l’espace et le temps varient, car c’est lui qui les invente.

Mais François Cheng va au-delà. Il prétend que chaque être vivant crée son propre espace et son propre temps puisqu’ils ne sont qu’imaginaires. Et seul compte dans cette phrase énigmatique le terme vivant. L’être en tant qu’être vivant est plus que simple matière. Il engendre un processus nouveau et salvateur qui permet de construire un monde cohérent et qui donne sens à l'existence de l'univers.

12/07/2017

Coucher à la belle étoile

L’arbre pénètre de sa solitude la terre dénudée, l’herbe rare siffle entre les jambes, le soleil huppe de gaîté la cime des pins.

Dans ma tente, une maison de toile à l’ombre gigantesque au matin, je devine la nuit le bruit de l’arbre qui se gratte l’écorce, de la fleur qui minaude à l’ombre de la lune. J’entends aussi la quiétude des respirations, un dormeur qui se retourne sur son lit de paille, la toux d’un inquiet sous ses couvertures.

Souvenirs de manœuvre, quand dans la poussière, tu rêvais au calme d’une vallée où coule l’eau fraîche.

Brusquement, réveil. « Vite, debout, nous partons ! » Où, je ne sais. Pourquoi, encore moins. Mais c’est ainsi. Déjà les derniers hommes quittent le campement. Voilà, c’est bouclé ! Le sac arrimé sur le dos, la marche reprend dans la nuit. Il fait frais, mais bon. Je sens la fraîcheur de l’aurore qui sommeille encore avant de naître en douceur. Je ferme la marche. Devant, mon prédécesseur enfonce ses grandes jambes dans les herbes hautes. Je ne vois plus que son buste s’agitant bravement. Une route qui s’étire mollement entre les ombres arborescentes. C’est bruyant, mais la marche est simplifiée. On sait où le pied va car sa résistance est toujours semblable. Elle berce la volonté et lui donne un fond de vérité tranquille, doucereux, plutôt qu’un combat permanent contre soi-même.

Je m’éveille complètement, léger, attendri par l’air rafraîchissant, allégé des miasmes de la nuit, aux aguets d’un jour nouveau, exaltant parce que différent des habituels matins. Les sens exacerbés, je vais au bout de moi-même, ouvert à tous les vents, délivré de ce moi qui me pèse et m’empêche de marcher. Le ciel est étoilé et un sentiment de profonde reconnaissance naît dans l’intimité de la solitude. Je pourrai marcher des jours dans cet état second où le rien devient tout.

07/07/2017

Le mystère du mariage

Le mystère du mariage, c’est la réalisation de l’être propre de chacun par la découverte, puis l’assimilation intérieure de ce qu’est l’autre.

Les temps successifs :

1. Amour-passion : domaine de l’émotion et du sensuel avant tout ;

2. Amour-sentiment : idée de quelque chose à faire ensemble ;

3. Déclin de l’amour-passion, naissance du mystère : découverte de l’autre en tant qu’être différent dans sa conception du monde et de la vie, dans sa perception des événements. C’est ici le point délicat  qui peut se traduire par :

. Une rupture si l’on veut garder sa propre conception et refuser l’autre ;

. Un enrichissement si on ne se laisse pas agacer par la vision de l’autre et si, au contraire, on voit en quoi elle élargit la nôtre.

4. Transformation progressive de l’être de chacun par l’assimilation inconsciente de ce qu’est l’autre :

. Les réactions du couple face aux événements deviennent coordonnées ;

. L’homme naturellement tourné vers l’extérieur, agissant et raisonnant, apprendre à regarder en lui, à laisser parler ses sentiments et à contempler ;

. La femme acquiert la force et la stabilité, n’est plus soumise à la lui de ses sentiments changeant et a une vision plus apaisée des choses.

5 Prise de conscience comme que c’est le mariage qui va permettre à chacun de réaliser sa vie pleinement parce qu’il sort chacun de lui-même pour l’obliger à acquérir une nouvelle vision des choses. L’assimilation de ce qu’est l’autre va permettre de découvrir le but ultime de l’être : sortir de lui-même pour s’harmoniser pleinement à la création.

6. Élaboration d’une ascèse conjugale, règle de vie ou stratégie permettant à chacun d’aider l’autre à se réaliser. Cette élaboration se fait plus ou moins consciemment. Elle a pour but une transformation consciente et volontaire de l’être pour acquérir l’unité intérieure et l’harmonie avec l’extérieur. Les événements ne sont plus appréhendés comme bons ou mauvais, agréables ou désagréables, mais comme un défi posé à nous-mêmes et au couple. L’amour centré d’abord sur l’autre, puis sur la famille s’élargit. De convergent, tendu vers un être, il devient divergent et chacun aide l’autre à élargir sa capacité d’amour.

7. L’amour humain devient amour divin. Il embrasse l’univers et Dieu, le couple de vient icône, il réalise le sacrement du mariage.

Ainsi le mystère du mariage et la réalisation entre deux êtres d’une osmose créant, par une alchimie intérieure, d’abord inconsciente, puis qui doit devenir consciente, une image du royaume de Dieu sur terre.

C’est un sacrement en ce sens que, bien compris, il est créateur de la réalisation spirituelle des deux membres du couple, l’un à travers l’autre.

25/06/2017

Un singulier souvenir

Brusquement, un souvenir autre lui revient, tellement différent qu’il ne sait plus de quand il date. Sa volonté est tendue comme un arc, son être entier se concentre. Jérôme est allongé dans son lit. Rien d’autre n’existe. Il ne sait où il est. L’univers se résume à ce lit sur lequel il repose. Non, le terme est mal choisi : sur lequel il est tendu à l’extrême. C’est bien une sensation corporelle et non un simple effort mental : chaque partie du corps collabore à cette tension et y participe. Le corps auparavant eau, donc flexible et prenant les positions que la conscience lui demande de prendre, se gélifie, devient progressivement rigide, rigoureux, de manière inflexible. Et cela dure, dure. Il ne sait combien de temps. C’est un effort de volonté extraordinaire qu’il effectue sur lui-même, qu’il ne peut s’empêcher de tenter, car il sait qu’il va le conduire vers une expérience qu’il n’a jamais faite. Allez, cherche, concentre-toi, encore, et encore… Et tout à coup, il s’élève au-dessus de son lit sans quitter son corps. Celui-ci, toujours rigide, s’est allégé et ne pèse plus. Il flotte. Il se sent libre, aérien. La mémoire lui revient. Pas la reconnaissance d’un lieu, celui de sa chambre habituelle, mais un vague souvenir terrestre. Oui, il est bien toujours dans ce monde où la pesanteur est contraignante, mais il peut par un effort de volonté important, y échapper et contempler le monde de plus haut. Il est bien toujours dans la même position, à plat dos ; mais il voit sol, l’horizontal et le plafond comme si ses yeux pouvaient fonctionner de tous côtés, sans contrainte d’orbite limitant à une vision droit devant elle. Tente de t’éloigner, a-t-il l’impression d’entendre. Alors il fixe un point peu éloigné et sa conscience l’emmène là, d’abord lentement, puis de plus en plus rapidement. Il ne s’agit d’abstraction à l’espace, mais d’une capacité de voyage par l’esprit. Elle est toutefois limitée à quelques mètres. Il ne voit pas son corps puisqu’il est avec lui, hors du sol, mais dans le même temps, il ne se sent plus lourd, encombrant, refusant tout mouvement que la pesanteur lui interdit. Une sensation irréelle et pourtant présente. Une sortie des conditions habituelles d’existence.

Brutalement, une grande fatigue, il ne maîtrise plus sa conscience qui se libère de cette tension. Comme un pneu qui se dégonfle, il se sent redescendre, se réinstaller dans le poids du corps, retrouver le tassement des draps et du matelas sous l’effet de sa masse. Le goût d’un air autre, cette sensation d’un vide en soi, comme un gaz lui donnant un pouvoir d’abstraction, s’efface progressivement. Il regagne sa condition humaine, il se réinstalle dans la vie quotidienne.

01/06/2017

Parole

L'orateur s'agite derrière la vitre. Un bourdonnement me parvient, mais l'horloge des pensées tourne sans grincement.

Son estrade? Une maison de verre qui l'isole de la foule assise. Une main dans la poche, le regard ailleurs, il agite l'autre main dans un geste d'évidence.

Ecoute-t-on la parole connue ?

24/05/2017

Sentence

Nous ne sommes rien,

parfois seulement désir d'être.

 

23/05/2017

Musée de province

Musée des hospices civils… Errance de chapiteaux et de cloîtres voûtés… L’odeur de la pénicilline mêlée à celle des transpirations… De vieilles femmes montent ou descendent les escaliers en portant des baquets remplis d’éponges et d’eau sale, quelques malades en pantalon de laine brune s’allongent paresseusement sur les bancs. L’apothicaire principal a oublié ses lunettes et sort de l’hospice… Musée de reliques vieillies, musée humain d’os et de chairs malades que l’on meurtrit de poussière et d’obscurité. A travers la grille sombre des fenêtres hautes parvient le bruit de la ville, bourdonnement continu entrecoupé de plaintes passives. Je vois là, les mains liées, le malade emporté par la peste dans la chambre nue des contagieux. Une lampe pend au plafond et projette sa lueur vacillante vers le lit de fer dont les barreaux  mêlent leur ombre à celle de la fenêtre grillagée. Là gisent les morts en puissance, morts avant l’agonie dans la chambre nue des pestiférés.

18/05/2017

Humilité

Perdre le poids de ses fausses richesses, c’est-à-dire celles de l’imagination et du moi qui sans cesse nous ramènent à notre petit personnage. À peine les a-t-on quittés qu’ils reviennent imperceptiblement par une autre porte.

Si le moi nous permet de nous ancrer dans le quotidien et la vie physique, l’imagination nous fait entrer dans une noosphère souvent trop déconnectée de la réalité. Y a-t-il un juste milieu entre les deux ? Très probablement non, parce que le moi fonctionne également dans l’imagination. Il y est même seul et sans limites. Le juste milieu est donc ailleurs. Mais où ?

Seule l’absence de dialogue intérieur (habitude permanente pour chacun d’entre nous), peut nous délivrer de ce moi prenant. Cette absence est ce que les chrétiens appellent l’humilité, la vraie, pas celle qui vient de concepts appris. Tant que l’humilité est pensée, voulue, recherchée, elle n’est pas humilité. L’humilité, c’est la pureté de l’esprit.

10/05/2017

Blessure de l'âme

En un mot, en un acte commis malencontreusement, sans la réflexion nécessaire qui devrait exister pour chaque geste, issu d’une impulsion passagère et irraisonnée que l’on regrette ensuite, mais qui déjà est passée, je détruis souvent la trame bâtie avec patience dans l’esprit d’un être qui m’est cher, cette trame tissée de gestes ou de paroles insignifiants, dont j’ai pressenti chacune des ramifications  qui poussaient lentement après chaque rencontre, dont j’ai perçu le bourgeon qui, né au hasard d’une conversation, sur un mot peut-être, a muri lentement, s’est gonflé et a éclaté un jour apportant à mon travail un heureux avancement.

Je ne m’en rends d’abord pas compte. Le geste se fait naturellement, dans l’ivresse d’un instant de plaisir, dans l’incertitude passagère qui survient toujours à quelque moment et à laquelle on ne prend pas garde. Ce n’est qu’ensuite que sur une parole de l’être blessé ou sur celle d’un autre qui lui est proche, que se dévoile, comme dans un orchestre est souvent voilé par les autres instruments le jeu de la harpe et qu’un silence voulu du compositeur met un moment en valeur, cette blessure invisible et saignant doucement , détruisant peu à peu chacun des fils de la trame, du côté où ils se rattachent à l’affection et ne leur laissant comme attache que le côté de la mémoire pour les faire entrer doucement dans le domaine du souvenir, où, emmêlés avec les fils ténus d’autres souvenirs, ils passeront dans celui de l’oubli inconsciemment, mais infailliblement.

 

05/05/2017

La minute présente

Ne jamais trouver cette satisfaction intérieure de l’âme et toujours se dire, après avoir éprouvé un certain bonheur alors que j’avais le choix entre plusieurs, et hélas il faut bien choisir l’un d’eux faute de pouvoir les goûter tous à la fois, que j’aurais peut-être été plus heureux à ce moment si j’avais choisi un autre lieu et d’autres personnes pour écouler ces instants.

De même avant le choix, malgré cette philosophie que je me suis créé et que je proclame car je la crois juste (goûter à chaque instant la joie de la minute présente sans penser au futur ou au passé), je vacille entre plusieurs côtés dans l’incertitude totale, me posant mille questions quant à l’opportunité d’un choix plutôt qu’un autre, questions qui restent d’ailleurs inutiles puisque j’en connais d’avance la réponse, la faisant osciller certes, mais sans arriver à la faire toucher terre d’un côté. Et toujours j’essaie de penser à l’instant présent, d’en goûter la suavité, toute la délicatesse d’une chose palpable et vivante en moi. Déjà je pense à l’autre côté du choix, à ce plateau de la balance qui, par ma volonté même, non pas objective ou subjective, mais hasardeuse et involontaire bien que dépendant uniquement de moi-même, est resté suspendu en l’air chargé de volutes d’espoir et de regret, de bonheur promis en nuages colorés et parfumés par l’imagination. Incertitude, ce mot qui enveloppe souvent la tristesse de l’homme, tissant par cet étrange cheminement du cerveau dans un labyrinthe qui possède parfois plusieurs sorties connues, mais qu’on ne peut choisir, une toile compliquée et fragile autour de l’âme, l’empêchant de respirer de tous ses poumons la joie du monde.

 

26/04/2017

L'apprentissage de la chasse

La chasse restait un des passe-temps favoris des vacances. Depuis longtemps déjà, Jérôme participait aux chasses familiales. Vint le moment de recevoir un fusil et de pouvoir chasser légalement. C’était le fusil de sa mère qu’elle lui prêta pour faire ses premières armes, un bon vieux Darne, dont tout le mécanisme se trouvait dans le bloc culasse actionnée par une clé levier qui permettait l’armement et le verrouillage. Le fusil se tenait toujours droit, jamais cassé. On ouvrait la culasse pour franchir une barrière ou traverser une haie.

Il avait bien sûr déjà tenu un fusil, tiré sur des objets fixes, été surpris par le départ du coup et, la première fois, meurtri à la pommette par le tressautement de l’arme. On lui avait expliqué l’importance de de la précision gestuelle du jeté qui doit toujours être identique. Il s‘était entraîné de façon à  bien jeter son fusil de la hanche à l’épaule et le fait qu’en levant le coude à l’horizontale s’alignaient quasi automatiquement le guidon de visée et le point de mire. C’était facile à dire, mais plus difficile à faire. Il s’exerça longtemps devant une glace jusqu’à obtenir un tir instinctif à peu près juste. Cela devint moins évident dès lors qu’une cartouche était glissée dans le canon. Il lui fallut s’habituer au bruit assourdissant de départ de coup et à la secousse qui l’accompagnait, faisant légèrement dévier l’arme avant que les plombs ne sortent du canon. Tout devenait différent. L’habitude finit par apparaître. Il était prêt à marcher à sa place, à tenir son rang et à pouvoir tirer si un gibier se présentait devant lui. On avait omis de lui dire que le simple départ d’un perdreau sous ses pieds procurait un choc émotionnel qui brouillait totalement les cartes. Comment penser en une ou deux secondes l’ensemble des gestes alors que le simple fait de l’envol faisait cogner son cœur comme après un mille mètres ? La maîtrise était d’autant plus difficile à acquérir qu’il fallait forcément être en situation pour la vivre. On tire toujours trop vite lors des premiers coups de feu et les plombs passent derrière la trajectoire de l’animal. Ne pas tirer sur la silhouette, mais devant. C’est relativement simple à comprendre lorsque le gibier passe de droite à gauche ou inversement devant vous, mais lorsqu’il prend son envol et s’élève en prenant de la vitesse cela devient une gageure. De plus, rien de tout cela n’est prévisible. Vous ne pouvez savoir quand un lièvre va sortir de son gîte pour filer à toutes jambes.

Bref, au royaume de l’imprévu, anticiper devient un art et tous savent que l’art commence par l’artisanat, c’est-à-dire de longues années d’apprentissage. Jérôme n’en était qu’à ces débuts, une succession de battements de cœur et de coups ratés et une déception toujours vive de voir s’enfuir l’animal. Il semblait rigoler en tournant la tête après le départ du coup. Puis, il montait dans les airs avec un clignement d’ailes.

20/04/2017

Passé, instant de la séparation

Le passé commence à l’instant de la séparation. On n’éprouve le poids du passé qu’au moment  où l’être ou l’objet partagé se sépare de nous ou nous de lui. La vie est faite de coupures de présent et à chaque coupure ce temps devient une page du passé et ces pages s’accumulent et se collent affectivement, oubliant toute chronologie.

La vie sous sa forme dynamique est celle de l’instant, le passé est la vie devenue statique. Accéder à la contemplation, c’est réunir ces deux formes de vie en une force neutralisante, résultante de l’inertie et de la dynamique.

13/04/2017

Petitesse et grandeur de l'homme

Nous sommes infiniment petits et notre pensée procède de ce micro monde.

L’homme se fait une fierté d’être un être pensant, mais qu’est-ce que cette pensée dans l’immensité du temps et de l’espace que nous n’arrivons même pas à concevoir. L’être pense. Mais que veut dire penser ? C’est une fonction du corps inhérente à l’homme, qui lui permet peut-être de comprendre certaines relations d’homme à homme, d’homme à nature, mais qui ne peut lui permettre de saisir la finalité de ses relations, le pourquoi des choses.

Songeons que notre vie n’est qu’une poussière de l’éternité. Un homme meurt, un autre le remplace, il n’en reste rien, si ce n’est que le souvenir que l’on en garde. L’homme fait partie de la nature. Il est comme un arbre, un rat, un champignon, éphémère et toujours renouvelé, sans qu’au fond cela change le monde. Penser, c’est  transformer l’état des choses et des êtres pour les mettre à la mesure de l’homme. L’homme transforme, c’est en cela qu’il domine la nature et son existence, mais il ne crée pas et reste un animal tributaire de la nature.

(écrit le 10 octobre 1967)

Cinquante ans après, écrirais-je la même chose ? Non, je crois que le propre de l’homme est justement la capacité de créer à partir de la nature, c’est-à-dire de penser autrement que ce qu’il connaît et de l’accomplir, c’est-à-dire d’en faire une réalité vivante qui parle aux autres. C’est la grandeur de l’homme et son originalité parmi les autres êtres vivants.