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14/11/2014

L'individualisation de la société

Il existe deux grandes catégories de pensée parmi les hommes : ceux qui estiment que la valeur d’un homme tient à sa capacité à s’intégrer dans la pensée de la société dans laquelle il vit, et ceux qui, au contraire, pensent que leur valeur tient à leur capacité à créer une vision du monde personnelle. Caricaturalement, on peut comparer ces deux tendances à la différence de pensée entre l’Occident et l’Orient. Le premier met l’accent sur l’individu, le second privilégie le sociétal. Si l’on va plus loin, ceux qui réfléchissent à cette dichotomie estiment, pour la plupart, dans une théorie évolutionniste, que le progrès conduit de la première tendance à la seconde, c’est-à-dire que l’humanité s’enrichit par l’individualisation alors qu’auparavant elle s’enrichissait par le collectivisme. Où se situe ce croisement des tendances et qu’implique-t-il ?

En permanence, en Occident, la lutte entre les deux tendances a privilégié l’individualisation. On peut dire que le christianisme est une religion qui induit au cœur même de la croyance la valeur de l’homme individuel à travers le concept de sainteté ? Pour le chrétien, l’homme a non seulement la possibilité, mais le devoir, de s’extraire de ces tendances et habitudes véhiculées par la société, pour individuellement, se rapprocher de Dieu par ses efforts personnels à la sainteté. En Orient, la première qualité d’un individu est sa capacité d’intégration dans le système social : on doit faire comme ceci, et ne pas vouloir le faire est un péché d’orgueil.

Remarquons cependant que l’on pourrait démontrer l’inverse : le bon chrétien social est celui qui se plie justement à la vision du monde qu’impose l’église ; le bon pratiquant du zen est celui qui s’abstrait des contingences sociales (l’obligation de créer une famille, de produire du travail, etc.) pour trouver en lui-même sa propre raison de vivre.

Cependant, si l’on y réfléchit quelque peu, on constate que cette vision inverse est fondée sur un a priori, la supériorité de la société par rapport à l’individu. Le christianisme originel mettait l’accent sur l’accomplissement spirituel de chaque homme. Mais l’adoption par l’Etat romain du christianisme avec Constantin 1er a changé la vision du chrétien. Désormais, la sanctification du chrétien est liée à l’obéissance aux préceptes de l’église. Ce lien entre l’individu et la société a commencé à se fissurer au siècle des lumières et avec l’apparition de la science. Un homme seul peut avoir raison contre tous comme l’avait démontré Galilée bien avant le XVIIIème siècle. De même pour la tendance orientale, on constate là aussi qu’elle n’est pas aussi tranchée qu’elle en a l’air. En Orient, l’homme gagne en maturité et accomplissement de soi par sa capacité non pas s’intégrer dans la société, mais plutôt à s’en abstraire par une fusion dans le Tout.

Il est possible que notre temps soit celui du croisement entre les deux tendances : deviendrait prédominante la tendance à l’individualisation par rapport à celle de la socialisation.

L’inconvénient est que tout ceci entraîne des troubles à la fois pour chaque individu et pour la société dans laquelle il vit, et ceci est vrai tant pour ceux qui penchent vers l’individualisation que pour ceux qui prônent l’importance de la socialisation (évidemment pas au sens de vision socialiste, mais de prédominance de la société sur l’individu). Pour beaucoup cela se solde par une impression d’ordre ou de désordre, l’ordre étant du côté de la société et le désordre du côté de l’individu. Par exemple, le gouvernement actuel a plutôt tendance à comprendre les partisans de l’individualisation et à lutter contre les « clichés sociaux » qu’impose la famille. Alors il tente d’imposer une nouvelle manière de penser avec l’introduction du langage politiquement correct. Le sens des mots doit évoluer et au besoin on change les mots qui ont des connotations culturelles. Cela va de l’aveugle au non voyant, des noirs aux hommes de couleur, langage qui lui-même avait déjà évolué de nègres à noirs. Qui ne respecte pas ce langage n’est pas un bon citoyen et doit être rééduqué. En Orient, et plus particulièrement en Chine, malgré la montée en puissance d’une individualisation par l’économie et l’art, la pensée politiquement correcte ne peut que faire confiance à la direction politique du parti et toute tentative de critique ouverte est combattue. Le politiquement correct reste sociétal. Il en est de même dans la guerre ouverte entre l’Occident et l’Islamisme radical, une guerre sociétale et non purement religieuse, la société traditionnelle tournant autour de la religion et de la famille avec leurs interdictions plus issues de l’histoire plutôt que du Coran.

Cette période sera longue et engendrera des affrontements sur les formes de la société, du gouvernement, de la culture. Ce n’est que par une osmose inconsciente des deux tendances que, progressivement, un juste milieu sera trouvé, ni dictature de l’individualisme, ni tyrannie de la socialisation. Mais comme le juste milieu est la chose la moins bien partagée, répétons-le, la guerre sera longue.

26/10/2014

Nuit et changement d'heure

Assis devant ma table de travail, je m’interrogeai sur ce que j’allais bien pouvoir faire, toujours un peu tendu à ces moments-là, quand l’inquiétude se mêle au bonheur de l’écran blanc. Oui, on ne parle plus de page, même si celle-ci apparaît encore, virtuellement, sous vos yeux. Je ferme les yeux et me voilà parti, monté sur la planche à surf, pourvu d’un coup d’accélérateur, comme une glissade impromptue sur une plaque de verglas.

– Attend ! Où vas-tu ? Tu pars sans savoir.

– Oui, et alors ? N’est-ce pas le propre de la vie que d’errer sans but dans l’immensité des possibilités ?

– Que d’égarements, de doublons, d’insuffisances. Maîtrise ton énergie ! Tu t’engages dans le vide et te laisse basculer dans l’inadvertance.

– J’aime l’inconnu des nuits sans sommeil, quand vers trois heures, après m’être réveillé d’un café fort, je monte dans mon antre et pars en fumée dans un ciel étoilé, sautant dans le vide, les pieds coincés sur mon snowboard. Que se passe-t-il alors ? Je ne sais. Je reviens échevelé, la tête pleine de brouillard vert, les yeux rougis, les muscles las, les oreilles tombantes. Où suis-je allé, je ne sais. Mais quel bienfaisant repos de l’esprit, quelle réjouissance du cœur, lorsque s’accumulent dans ma besace les phrases moelleuses qui gonflent mon égo et lui donne de la consistance. Sont-elles bonnes ces heures inutiles de pas de danse de l’esprit, lorsque vous perdez votre image corporelle et que tous les grains de l’existence se rassemblent en un lieu secret, inconnu des autres et même peut-être de vous-même. Je m’enfonce dans le noir des nuits d’espérance et plus les ans passent, plus ce refuge prend de l’ampleur. Un instant ouvert sur le monde. Non… Ouverture sur un autre monde, sans paysage et sans matière, où le seul plaisir est ce vide étrange qui m’attire, chatoyant, mais sans existence réelle.  

– Illusion ! Tu te laisses égarer. Regarde la consistance de ta table et même de ton écran. Il vit. Les mots s’inscrivent tous seuls sur la ligne. Seul ton rêve te fait croire à l’existence de ce monde d’illusion où rien n’est comme tu l’expérimentes chaque jour.

– Mais j’aime, j’adore ces moments de repos complet de l’esprit, lorsqu’il effectue une montée spectaculaire vers l’infini. Je descends mon centre de gravité et me penche légèrement vers la droite pour amorcer un virage et éviter une planète qui me frôle. Je sens son souffle me rafraîchir. Je pourrai la cueillir, la porter à ma bouche et prendre la fièvre de l’absence, me vider totalement de mon être et devenir une coque transparente errant dans l’éther comme une bulle d’air prise dans le courant d’une eau pétillante. Et je monte, je monte toujours plus haut. Ah, attention ! Ne pas trop se laisser entraîner, la bulle risque d’éclater. Je m’interroge. Je ne serai plus, mais n’aurai pas non plus atteint la limite de la matière. Tiens bon, ouvre les yeux, attache-toi à ton corps, qu’il continue de respirer et de penser en acteur illégal, mais bienvenu.

Deux heures que je suis là. J’ai perdu la notion du temps à vagabonder dans un espace sans limite. Je me suis laissé entraîner dans l’entonnoir des réflexions qui semble faire un trou sur la couverture de l’existence. Dieu soit loué, je me suis récupéré dans ce lit douillet et chaud, comme baignant de saveurs de baisers doucereux, un peu alangui de ce voyage au-delà du temps et de l’espace. Comme sur un nuage je me suis posé et je contemple en bas la vie qui reprend. Le jour se lève, petite lueur pleine d’espoir sur une journée nouvelle. Qu’elle était bonne cette fin de nuit parmi ce rien qui est tout et qui conduit à l’immortalité. Devenu invincible, je ris à mon corps qui continue de vieillir. J’ai revitalisé ma jeunesse et mes espérances sont plus vives que jamais. Quel élixir : deux heures d’absence du monde et je peux maintenant affronter ce jour qui s’annonce pur et vierge, comme une larme de bonheur entre deux morceaux de pain noir. Ce sandwich est le bienvenu.

Un changement d’heure acidulé…

13/10/2014

Vernissage

Quelle confusion. Que de monde tournant en rond, le nez en l’air, l’air égaré. Ils regardent sans voir réellement et ceux qui voient réellement sont dérangés. Où va le regard ? Doit-il partir vers la droite comme le suggère l’assemblage cubiste qui semble monter vers eux. Mais lorsqu’il remonte vers la gauche, il constate un mouvement inverse qui le conduit à penser que le monde bascule. Alors il tente un coup d’œil d’ensemble. Quelle montagne tortueuse qui ne tiendrait pas debout dans la réalité. Peindre en deux dimensions pour donner l'illusion de trois dimensions c’est pourtant l’enfance de l’art. La perspective a été inventée pour tromper l’œil et lui donner une assise confortable alors qu’elle permet des positions d’objets impossibles dans la réalité. C’est pourquoi tous ces visages, toutes ces mains, toutes ces jambes se mélangent dans la pensée et font de vous un fourre-tout où se mêlent souvenirs des uns, reconnaissance des autres, identification de nouveaux visages, caresse lente  et sourde d’une valse d’images qui tournent autour d’un axe, celui de vos rêves et de vos cauchemars.

Dans le même temps vous prenez du recul, vous vous rendez au point de fuite de toutes ces perspectives et vous contemplez avec étonnement  ces trois pièces qui s’enfoncent dans l’immeuble jusqu’au confortable nid douillet de vos certitudes. Lui, connu il y a quarante ans, qui n’a pas changé, toujours rieur et moqueur, content de lui malgré son manque d’envergure. Lui encore, grand, qui se voûte quelque peu, dont le sourire sympathique s’ouvre sur un visage anguleux et dont le regard semble devenu las. Ne voit-il que la laideur du monde ou les profondeurs ailées des parts de ciel que donnent les tableaux ? Elle qui sût charmer de sa voix d’or mes oreilles musiciennes, mais dont le visage est toujours découpé en lamelles divergentes. L’autre devenue plus femme que femme, couverte de bijoux et passablement maquillée, riant fort sans remarquer les regards désapprobateurs. Toutes ces images, tous ces sons, toutes ces impressions, sentiments, réminiscences, en même temps, en un même lieu, dans cette grotte devenue l’impact du monde pour un moment, le lieu d’un formidable raccourci, comme un regard de fin qui se prolonge à l’infini.

Vous êtes passé derrière les tableaux, dans cette perspective cachée des yeux du passé et de l’avenir, là où plus rien ne vous touche, ne vous étreint, ne vous bouscule. Dans ce calme étonnant du passage, vous restez froid, l’œil ouvert, l’ouîe en éveil, la main en l’air comme pour saluer une dernière fois votre être qui se pavanne immanquablement secoué de rires et de sanglots. Adieu chers amis, je pars dans le pays des songes, je m’élève ou je m’enfuis dans les profondeurs terrestres. Bref, je m’éloigne de ces préoccupations bavardes pour redevenir l’être perdu, vierge et tendre tel un champignon hallucinogène.

10/10/2014

La volonté est-elle toujours positive ?

Staline : « Quelle est, camarade Jdanov, la première propriété d’une volonté ? »

Jdanov se tait et Staline répond : « Sa liberté. Elle peut affirmer ce qu’elle veut. Passons. La vraie question est celle-ci : il y a autant de représentations du monde qu’il y a de personnes sur la planète ; cela crée inévitablement du chaos ; comment mettre de l’ordre dans ce chaos ? La réponse est claire ; en imposant à tout le monde une seule représentation. Et l’on ne peut l’imposer que par une seule volonté, une seule immense volonté, une volonté au-dessus de toutes les volontés. Ce que j’ai fait, autant que mes forces me l’ont permis ; Et je vous assure que sous l’emprise d’une grande volonté les gens finissent par croire n’importe quoi !

Milan Kundera, La fête de l’insignifiance, Gallimard, 2013

 

Le personnage de Staline dans ce roman de Kundera reflète bien la définition du dictionnaire : « Faculté de l'homme de se déterminer, en toute liberté et en fonction de motifs rationnels, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Et si l’on va plus avant dans le texte ci-dessus comme dans le dictionnaire, une autre définition apparaît aussitôt : « Décision ou détermination ferme de l'individu d'accomplir ou de faire accomplir quelque chose ».

Dans le premier cas, la définition est positive et donne à l’homme le moyen de s’accomplir grâce à sa volonté. Dans le second cas, elle peut devenir négative et plonger l’homme dans l’esclavage mental. C’est la différence entre l’argumentation et la manipulation. L’argumentation est une forme d’expression visant à convaincre un autre de la justesse d’une idée. Elle laisse cependant libre celui qui la reçoit. La manipulation vise à contraindre un autre à adopter une idée en utilisant des moyens de pression divers.

Alors que chacun de nous s’interroge sur sa volonté vis-à-vis des autres, même sous le prétexte de faire le bien. L’enfer est bien pavé de bonnes intentions.

09/10/2014

Expériences de mort imminente

https://www.youtube.com/watch?v=Hxs7WPaBiZo

Intéressant montage sur des expériences de mort et de retour à la vie. Un voyage hors du monde, reconstitué par des expériences multiples sur lesquelles la science s’est penchée. Mais ce qui est encore plus intéressant est l’explication que tente d’en donner l’Institut national de recherche sur le cerveau aux Pays-Bas.

Le promoteur de cette nouvelle théorie distingue le cerveau, cette masse matérielle blanche et grise, de l’esprit, le bio-ordinateur électrochimique de la psyché subjective. L’esprit n’est pas indépendant du cerveau, mais il est également en relation avec un autre plan. Il estime que le monde physique n’est que la surface d’une réalité plus profonde comme la surface de l’océan sur laquelle nous flottons lorsque nous sommes en bateau. Les profondeurs de la pensée nous réservent encore bien des surprises, comme les profondeurs de l’océan.

Certes, la théorie ne va pas plus loin. Elle entrouvre une porte sans que l’on puisse pénétrer à l’intérieur. On perçoit une fente qui n’explique rien, mais qui dévoile une autre réalité. Est-ce une région du cerveau qui permet ce voyage ou autre chose ? La science ne le sait, pour l’instant. Mais quel pas par rapport à ce que les scientifiques pensaient il y a encore peu de temps.

30/09/2014

Optimisme

La principale objection à l’optimisme ne teint pas à la réalité du monde, mais à un certain positionnement intellectuel. Le pessimisme est plus avantageux : annoncer le pire et, à la moindre catastrophe, se vanter de l’avoir prévu, est simple et stratégiquement payant. L’optimisme est plus périlleux, puisqu’il exige de regarder l’horizon, de déceler la tendance au-delà des accidents, tout en courant le risque de passer pour Pangloss, si bien ridiculisé par Voltaire parce qu’il estimait que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. L’optimisme est guetté – comme tout prisonnier d’une idéologie explicative du monde – par la tentation de rejeter les événements inattendus qui ne corroborent pas sa théorie de départ. A chaque instant l’optimiste devra se demander s’il est bien raisonnable de le rester. Oui, pour l’instant…

Guy Sorman, Journal d’un optimiste, Fayard, 2012

 

L’optimisme est-il une maladie rare ? On pourrait le croire à en voir l’image de la France à l’intérieur comme à l’extérieur, dans la vie quotidienne comme dans la tête des gens. Le pessimisme envahit la planète France que l’on soit sous le règne de l’un ou l’autre président qui font tout dans le verbe pour paraître optimiste, mais dont les actes laissent un goût étrange de « n’y revenez pas ».

Qu’est-ce qui différencie l’optimiste du pessimiste ? L’espoir en l’avenir pour soi-même, les sociétés et le monde en général. Le plus important est bien l’espoir pour soi-même. Il conditionne le reste. Le psychanalyste Cyrulnik a promu le terme résilience que l’on peut résumer comme la capacité pour une personne, un groupe ou une société à s’adapter à un environnement changeant. Depuis maintenant plus de dix ans, les politiques ont monopolisé ce mot et l’ont inscrit dans le marbre des documents officiels, tels que le Livre blanc pour la défense et la sécurité de 2008, puis de 2013. Mais ils l’ont transformé en capacité à gérer une crise. La résilience est devenue une organisation promue par l’Etat pour être capable de faire face à une crise, quelle qu’elle soit. Bel exemple de pessimisme. On organise la société pour malgré tout s’en tirer dans les crises de plus en plus nombreuses qui peuplent le monde.

Pour Cyrulnik, il s’agit bien d’une force intérieure, personnelle et indivise, qui permet à l’homme dans l’adversité, de faire face et de surmonter les circonstances pour rebondir. Que faire lorsque tout est perdu ? Non pas attendre que l’Etat vous assiste, mais se prendre en main et surmonter son désespoir au lieu de l’entretenir et de laisser les autres le déclarer seule vérité.

La résilience, c’est la grâce devenue réalité.

27/09/2014

Culture

Dans un premier sens du terme, la culture est la mise en valeur d’une terre pour y faire pousser  de quoi nourrir les êtres. La culture a donc pour fin la nourriture et l’épanouissement du corps de l’homme. Ce fut un progrès considérable que ce passage de la cueillette à la culture. L’homme s’y enrichit non seulement matériellement, mais également conceptuellement. Il passe par un intermédiaire qui devient indispensable et qui mérite tous ses efforts, la terre, pour enrichir son environnement et le rendre plus apte à l’enrichir lui-même.

Progressivement le sens du mot s’est élargi à un environnement général favorable au développement d’une espèce. C’est ainsi que l’on parle de bouillon de culture pour désigner un milieu nutritif approprié au développement des microbes. Pour l’homme on parle également de la culture physique en tant que pratique d’exercices et de mouvements permettant d’assurer le développement harmonieux du corps.

Enfin, le terme culture en est venu à désigner un ensemble d’activités et de processus mentaux permettant à un ensemble humain de s’élever au-dessus de sa condition purement naturelle et de se distinguer d’autres groupes. Ainsi la culture s’acquiert et n’est pas de l’ordre du naturel. L’Unesco en donne une définition intéressante : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » (Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982).

Plus récemment on a distingué la culture individuelle de la culture collective. La première, dite culture générale, correspond à l’ensemble des connaissances qu’un être humain a sur le monde. Elle inclut des connaissances très diversifiées qui donne une valeur à chaque être d’une manière différente de l’avoir. Elle lui donne un surplus d’être au-delà des richesses matérielles. Certes, certains y voient  une conception élitiste de la culture qui s’oppose plus ou moins à la conception collective de la culture qui permet le vivre ensemble en harmonie et, in fine, de créer une civilisation propre qui se distingue des autres. Disons que la culture collective est un système de croyances, de valeurs, de coutumes et de comportements se transmettant de génération en génération et qui permet d’affronter les autres et de s’épanouir dans le monde. La civilisation englobe la culture et montre le résultat de celle-ci dans les réalisations matérielles et immatérielles qu’elle laisse en héritage.

Mais allons un peu plus loin. Comme l’explique Jean-Paul II (discours à l’Unesco à Paris, le 2 juin 1980), la culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient d’avantage homme, « est » davantage, accède davantage à l’ « être ». La culture élève l’homme au-dessus de sa réalité naturelle pour lui faire découvrir sa réalité surnaturelle. La culture spiritualise la matière, la soumet aux forces spirituelles de l’homme et, dans le même temps, lui permet d’incarner matériellement sa spiritualité. Elle procède ainsi d’un double mouvement entre le naturel et le surnaturel dans lequel l’humain est à la fois acteur et spectateur.

Et pour revenir à la définition première de la culture, il s’agit d’un terreau qui facilite l’épanouissement de l’homme grâce à l’apport des générations passées et de la société spécifique dans laquelle il vit. Ce terreau collectif lui permet de participer lui-même à cet enrichissement de la société grâce à son enrichissement personnel. Ainsi culture générale d’un individu et culture collective ne s’oppose pas, contrairement à ce que prétendent certains sociologues, mais se complètent et s’enrichissent mutuellement.

20/09/2014

Jeu

Hier, il a rechaussé les lunettes de l’enfance. Mieux, il a repris les attitudes et même le comportement d’un enfant. Il était libéré et asservi tout à la fois : libéré de toute réminiscence d’adulte (le poids de la responsabilité en particulier) et asservi à la volonté d’un autre pour entrer dans le jeu. Il a retrouvé en un instant cette âme d’un gamin de cinq ans avec son immédiateté et ses émotions. Ils sont partis, une petite fille de cinq ans, vive et autoritaire, un garçon de quatre ans, encore un peu pataud, les joues rondes, les cheveux poils de carotte, et lui-même garçon sans âge, plus petit qu’elle qui voulait commander. Cet instinct de l’autorité est quelque chose d’inné. Peut-être ne restera-t-il rien plus tard, lorsqu’elle atteindra l’âge de raison ou l’adolescence ou encore l’âge adulte. Mais aujourd’hui, elle est à son affaire.

Ils sont sortis du domaine de référence, le jardin aux murs clos pour explorer une jungle située à dix mètres, mais perdue dans un inextricable encombrement de végétation. L’avant-veille, une équipe de la ville était venue faucher l’espace municipal envahi d’herbes et de branchages. Ceux-ci étaient encore à terre, feuilles fanées, tiges cassées, fruits écrasés. Ayant franchi cet obstacle à petits pas incertains, ils arrivèrent près du lit du ruisseau, peu fourni en eau, empli de déchets végétaux amenés par la pluie d’orage de la veille. Ils se glissèrent sous les branches et mirent les pieds dans l’eau, marchant sur les cailloux, sautant de rocher en rocher avant de s’arrêter devant un mur d’épines qui bloquait le passage. Ordre du chef : demi-tour, nous recherchons un autre passage. L’obligation de respecter l’ordre de préséance, la fille, le garçon et l’adulte (eh, oui !), les contraignit à une volte-face complexe qui faillit bien les mouiller en entier.

Retour à l’espace aplani. Ils en profitèrent pour prendre des bâtons tout coupés, le plus gros revenant à la reine Cléopâtre, le plus petit au premier guerrier, le moyen au second. Cléopâtre ouvrait la marche, d’un air digne, avec sérieux, exigeant d’eux de marcher presqu’au pas. Devenue reine, elle estimait que chacun devait se conduire en serviteur. Il fallait porter son arme tantôt à droite, tantôt à gauche, avec assurance et détermination. Retour au jardin. Cette fois-ci, ils passent par-dessus le grillage et ils s’engagent dans le petit bois qui descend vers le ruisseau. Seuls quelques lapins doivent emprunter le trajet étroit et couvert de branches en hauteur. La reine exigea qu’on lui ouvre le passage afin de ne pas avoir à se baisser. Ce qui fut fait.

Qu’en retenir ? Certains enfants ont foi en eux-mêmes. Ils ont des idées, ils les mettent en scène et grandissent de leurs caprices. D’autres suivent, s’amusent sans sérieux et n’acceptent l’autorité d’un seul qu’à condition qu’il satisfasse leur vision du monde. Ainsi s’oppose le jeu sérieux et le jeu tout court. Pour les uns, ils mettent leur vie en jeu. Pour les autres, ils passent un bon moment et c’est tout.

18/09/2014

La vie et le multiple

Assis devant sa table de travail, il ne sait que faire. Elle est jonchée de papiers et chacun d’eux est un morceau d’être : des cartes de visite à l’image de leur propriétaire, la présentation d’une exposition, les fils des nombreux appareils permettant de rester en contact avec le monde, des dossiers, une statuette africaine, un étui à lunettes et beaucoup d’autres choses encore.

La vie est semblable à cette multiplicité. Le plus souvent nous sommes fixés sur un but et ne voyons plus cette multitude inopportune. Mais si nous fouillons dans les poubelles, nous comprenons comment nous fonctionnons. D’ordinaire, nous rejetons ce qui ne nous intéresse pas. Parfois aussi, nous rejetons ce qui nous intéresse et que nous avons accumulé. C’est le grand ménage.

Alors la vie passe devant nous, nous la contemplons, nous lui disons adieu et nous ouvrons les yeux sur un monde nouveau.

11/09/2014

Courir la nuit

Courir la nuit laisse toujours un arrière-goût d’enchantement. Il ne naît pas du fait que l’on ne voit pas ses pieds, mais du fait que l’on se situe difficilement dans l’espace. Même sensation que lorsqu’on prend une douche les yeux fermés et que l’on se tient sur un pied pour savonner l’autre enfermé dans la boite de projection de l’eau. Où suis-je ? Il vous arrive de croisez quelques spectres qui, comme vous, au lieu de compter les moutons dans leur lit se détendent en courant. Mais ils glissent à la surface de votre perception et disparaissent de votre mémoire à la vitesse d’un écureuil. Alors vous courrez seul, sans maître ni esclave, dans le noir, le gris, sans couleur, sans chaleur, mais avec verdeur et entrain. Vous aimez le bruit des semelles plates de vos chaussures ultralégères, à tel point que vous vous demandez parfois, dans le noir, si vous n’avez pas oublié de les chausser. Sans cesser de courir, en ralentissant un peu, vous tâtez un de vos pieds et vous avez l’impression d’être les pieds dans la glaise. Ce ne sont que vos chaussures.

Vous repartez en vous essuyant dans votre maillot qui déjà retient votre transpiration. C’est le moment où vous laissez aller votre imagination. Elle démarre seule, puis vous rejoint en vous entraînant dans une ronde folle bien que vous ne courrez pas si vite que cela. Elle vous précède toujours. Dans un coin plus obscur que les autres, vous tendez les bras en avant pour vous protéger de chocs ou de rencontre avec de mauvaises idées. Mais elles s’écartent, vous laissent passer en vous saluant d’une main. La foule s’intensifie. Vous reconnaissez même des gens connus : votre ancien professeur, le chat de la voisine, le boucher dont le couteau est engagé dans la ceinture, le juste qui fredonne sa chanson sans parole. Vous vous dégagez en douceur pour poursuivre votre course folle entre les maisons, les voitures, évitant les arbres et les déjections de chiens. Vous souriez de cette fin de nuit aussi belle que le lever du jour qui commence à poindre. Vous distinguez quelques couleurs : jaune léger, vert pomme, bleu marine. Vous voici près de la basilique de Montmartre, comment y êtes-vous monté, vous ne le savez plus, engourdi dans vos pensées qui vous engluent comme une chrysalide et restreignent vos foulées. Allez, vous avez bien mérité une petite pause ! Vous poursuivez en marchant, respirant l’air du matin, frais, désaltérant comme une eau de source. Vous ouvrez les yeux sur la danse sociale de chaque matinée : saluts empressés du boucher à la boulangère, bruits assourdissants de la poubelle sortie par la concierge, miaulement du chat du quartier, le blanc que l’on commence à entrevoir dans la légère lueur de l’aube. Vous dépassez le balayeur qui agite ses poils de plastique au bout du manche et repousse vers le filet d’eau les quelques papiers poussés par le vent. Vous arrivez à la limite que vous vous êtes fixé. Alors vous faites demi-tour en tournant trois fois autour de l’arbre. Ah, aujourd’hui j’ai failli repartir dans l’autre sens, prolongeant ma promenade. La rue s’éclaire, les voitures commencent à encombrer la chaussée. Cela se sent, car vous ne courrez pas avec le masque des japonais comme des chirurgiens empressés de se rendre au travail. Ce n’est pas le brouillard de Tokyo, mais l’odeur spécifique de la civilisation qui s’éveille et commence sa ronde qui va durer la journée, en attendant la nuit qui calmera les ardeurs (ou les libérera).

Ce matin est un jour comme les autres. Il a commencé tôt, peut-être un peu trop. Mais quel bonheur que ces matins seul dans la nuit, les yeux écarquillés, courant après son imagination sans jamais arriver à la rattraper. Peut-être que par un mouvement inverse, le jour où j’arrêterai de courir, elle restera près de moi.

08/09/2014

Soyez naturels

On entend souvent cette expression : « Soyez naturel ! » Quoi de plus naturel que de l’entendre dans la bouche d’un photographe, d’un professeur, d’un éditeur, d’un metteur en scène et de bien d’autres encore. L’entendant l’autre jour à propos de recommandations faites à des jeunes mariés, je me suis demandé ce qu’elle signifiait. Qu’est-ce qu’être naturel ?

Le vieux geste des français, dit cartésiens alors qu’ils sont généralement le contraire, est d’ouvrir le dictionnaire au mot naturel. « Qui appartient à la nature ; qui en est le fait, qui est le propre du monde physique par opposition à surnaturel » (Larousse). Là il me semble que nous sommes tous naturels, ou tout au moins la très grande majorité des gens. Seuls quelques mystiques baignent naturellement dans le surnaturel. Alors quelle idée de nous demander d’être naturel. Nous le sommes tous.

Poussons donc nos investigations un peu plus loin. « En grammaire, le genre naturel désigne l’opposition de sexe mâle-femelle » (CNRTL). Tiens, quel étonnement ! La théorie du genre s’oppose à cette opposition naturelle. Elle prétend justement qu’elle n’est pas naturelle : nous sommes tous du même sexe à la naissance. Mais on nous dit dans le même temps que « le naturel n’est pas le produit d’une pratique humaine » et que ce produit  « n’a pas été acquis ou modifié ». Avouons qu’il est difficile de s’y retrouver.

Trêve de plaisanterie : le naturel est ce « qui est conforme à l’ordre normal des choses, au bon sens, à la raison, à la logique » (Larousse). Là, il est vrai, il devient difficile d’être naturel. D’abord, tout le monde n’a pas forcément du bon sens et encore moins de raison et de logique. Et puis la notion de bon sens n’est pas la même pour tous. Le bon sens d’un chinois n’est pas le bon sens d’un africain. Et même s’il s’agit d’un « Ensemble des manières habituelles de sentir et de réagir » comme le prétend l’Office québécois de la langue française. On constate bien que cet ensemble est assez varié sur terre. Le bon sens et la raison ne sont que très rarement naturels, de même que la manière habituelle de sentir et encore plus de réagir.

Qu’en conclure ? Qu’il n’est justement pas naturel d’être naturel. Etre naturel est plus qu’un apprentissage, c’est le résultat de toute une vie. Je me débarrasse de mon manque de naturel parce que je me suis débarrassé de moi-même. Je suis naturel parce que j’ai laissé mon personnage à la porte de ma vie et que je m’éloigne seul sans mon ombre à mes côtés. Quel soulagement. Je peux courir sans fatigue, je peux penser sans  béquille, je peux vivre sans mémoire et m’envoler vers l’avenir ou le tout ou le rien sans regret du passé. Mais est-ce si naturel que cela ? Non. S’il m’arrive parfois de faire abstraction de moi-même pendant quelques instants, la plupart du temps, mon premier réflexe est bien de tout ramener à moi-même pour prendre position dans le monde et m’y maintenir. D’ailleurs, admirons tous les portraits de peinture jusqu’à l’apparition de l’abstrait, mouvement né lui-même de l’apparition de la photographie. Sont-ils naturels ? Ils s’efforcent d’en avoir l’air et pas le fait même ils manquent de naturel. Les premières photographies également. Elles sont figées dans un immobilisme de bon aloi, contraire totalement au naturel. Il y manque le mouvement, il y manque la vie.

Ah ! Là nous avons abordé un point important. Le naturel est dans le mouvement. Etre naturel, c’est ne pas arrêter de faire, mieux : d’être. L’homme, naturellement, cherche la plupart du temps à s’arrêter. Il a besoin de se contempler lui-même pour exister. Il doit se voir dans le monde et prendre sa distance pour se savoir vivant. L’animal est naturellement naturel. Il mange, dort, défèque avec naturel. Il ne cherche pas à se situer dans la nature. Il y est et cela lui suffit. L’homme procède inversement. Son naturel est un apprentissage de vie et le résultat de l’atteinte d’un état quasi mystique. Être naturel suppose que l’on soit bien avec soi-même, avec les autres et avec notre environnement, c’est-à-dire avec la nature. Or ce qui empêche cet état, c’est moi. C’est mon moi qui me fait me contempler sans cesse, me situer parmi les autres, chercher ma place dans un monde où tous cherche une place et veut très souvent la place du voisin. Et cela est vrai dès la naissance. Le jeune enfant ne voit que lui, ne connaît que lui et cela lui demande de nombreuses larmes avant de comprendre qu’il n’est pas seul au monde et qu’il doit faire de la place aux autres, voir leur céder la place.

Être naturel suppose l’oubli de soi. Être naturel consiste à se débarrasser de tout ce qui nous empêche d’être naturel. C’est le contraire du naturel animal, c’est une perfection difficile à acquérir. Les jeunes mariés ont encore beaucoup à faire pour devenir naturels et les mariés et les plus âgés ont trop souvent encore plus à faire pour atteindre cet état idéal qui n’a rien à voir avec le naturel de la nature.

04/09/2014

L'art contemporain : se faire remarquer n’est pas être remarquable

"L’essentiel, dans ce déluge d’imprimés, est de réussir à se faire remarquer. De tout temps difficile, la tâche devient impossible. Le jeune auteur n’a guère d’autre choix que d’écrire à tout prix de l’explosif et de l’original. Si c’est pour imiter en moins bien ceux d’avant, le jeu n’en vaut pas la peine. (…) Que faire ? Autre chose. Mais quoi ? Tout le monde aujourd’hui est original, explosif et nouveau. Et rien n’épate plus personne. Imiter est inutile, innover est illusoire. Ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est quelque chose d’assez hardi pour ouvrir des voies qui n’aient pas été empruntées, s’il en subsiste encore, et quelque chose de capable en même temps d’attirer le grand nombre qui répugne à ce qu’il ne connaît pas."

 Jean d’Ormesson, C’était bien, Gallimard, 2003, p.110

 

Telle est la situation de l’écrivain.

En fait, Jean d’Ormesson ne décrit pas seulement le cas d’un écrivain, mais celui de la grande majorité des artistes ou de ceux qui se prétendent tels, quel que soit le domaine et le type d’expression employé. On voit des peintres qui peignent avec un parapluie, des musiciens qui mettent des pièces de monnaie sur les cordes de leur piano, des comédiens qui ne parlent pas, des danseurs qui ne bougent pas. C’est le nouveau mode : faire semblant de ne pas faire ce pourquoi on est là. Quel affairement. Cela nécessite toute une mise en scène pour montrer qu’il n’y a aucune idée préméditée. Tout doit paraître naturel. Sortons nos mouchoirs et mouchons-nous en chœur !

Au-delà de la plaisanterie, interrogeons-nous. A quoi tient cette surenchère de la médiocrité sous prétexte d’originalité ? C’est vrai, seule l’originalité permet de sortir du magma médiatique et de montrer à la face du monde entier sa brillance et sa maturité. Salvador Dali avait déjà saisi cette frénétique agitation devant des journalistes ébahis. Tout ce qui sort du déjà vu doit être montré. Mais si vous avez le malheur de peindre comme un peintre, de pratiquer la musique comme un musicien, d’écrire comme un écrivain, les médias vous dédaignent. Déjà vu, donc sans intérêt !

Premier point : les médias ne se satisfont plus des médiums connus. Seuls ceux qui utilisent un matériau inhabituel sont dans le vent. Le tableau inscrit dans une toile ne vaut que si celle-ci est déchirée, l’accordéon ne joue que s’il produit des sons inusités, etc. Donc le médium rend médiatique. Il est généralement de matière insolite : déchets, excréments, polystyrène, chutes de bois, etc. Il peut également n’être pas, c’est-à-dire briller sans support autre que les situations ou l’environnement ou un projet qui ne finit jamais. Mais la préférence actuelle va au médium virtuel : Net art, musique en réseau, web art, etc.

Deuxième point : On passe du médium à la médiation. L’art est devenu un dialogue entre l’artiste et son public. Sans médiation il n’est qu’un objet mort dont l’auteur lui-même, vivant dans son atelier, est mort. Il faut non seulement bouger, se montrer, s’exhiber, se délurer devant ses fans. Il convient également de faire participer le spectateur qui doit construire l’œuvre au travers du médium choisi. Telle est la médiation aujourd’hui.

C’est le nouveau syllogisme : Tout artiste est un homme. L’homme se caractérise par son sens artistique. Donc tout homme est artiste. Démonstration !

03/09/2014

une femme... forte (2)

Dommage ! J’aimais bien ce jeune homme à la mâchoire forte. Que faire ? Je m’interroge face à cet être hybride. Vais-je tenter de nouer une conversation ? Mais, comment ? Autour de nous, personne ne semble en proie à un tel questionnement. Ma voisine regarde sa tablette magique sur laquelle elle trace des signes cabalistiques d’un air inspiré. De l’autre côté du couloir, ligne de démarcation infranchissable une fois le train partie et les places attribuées, deux hommes sont en conversation d’affaires regardant une feuille sur laquelle sont alignés des chiffres.

– Tu as oublié de prévoir la commission de la banque ?

– Quelle commission ?

– Elle prend un risque.

– Ah, lequel ?

– Le risque d’être cité si l’affaire tourne mal ou si notre associé rompt le contrat.

– Et cela mérite une commission ?

– Une banque ne travaille jamais pour rien !

Et ils poursuivaient à voix haute et intelligible pour l’ensemble de la voiture leur tripatouillage de commerçant. Une jeune fille d’environ vingt ans, qui avait l’air d’un oiseau sorti du nid, lisait un livre à la couverture colorée dont je ne pus lire le titre. Elle levait parfois les yeux d’un air excédé vers son voisin et son vis-à-vis, ce qui ne troublait nullement les deux bavards. Je n’arrive toujours pas à comprendre pour quelle raison on interdit le plus souvent l’usage du téléphone portable dans les trains, mais on ne peut rien dire contre deux bavards à la voix haute qui discutent sans aucune gêne de problème d’argent, d’amour ou de sport. Ils semblent seuls, perdus dans leur faconde, ignorant le peuple qui s’agite autour d’eux. Et si l’un de nous se décide et leur dit d’une voix doucereuse, mais poli, de parler moins fort, ils haussent le ton d’un décibel pour déclarer qu’ils ont le droit de parler comme ils l’entendent et aussi longtemps qu’ils le désirent.

Je regardai alors mon égérie. Pour la première fois, je vis l’ombre d’un sourire sur son visage glabre. Tiens, me dis-je, ce n’est pas une statue. Elle semble avoir quelque sentiment ou du moins réagir à ce qui arrive à d’autres. Je lui répondis d’un demi-sourire avec un petit hochement de tête. Elle en profita pour me glisser à mi-voix :

– Il n’y a malheureusement rien à faire !

Ce qui me surprit, ce n’est pas le contenu de ce qu’elle avait proféré, mais le timbre de sa voix. Une voix de jeune fille, nette et douce, qui contrastait singulièrement avec son apparence. Et elle agrémenta d’un sourire enjôleur, avec fossette, ses paroles. J’en restais bouche bée. Comment un corps aussi puissant et musclé, pouvait-il proférer des sons aussi purs et féminins. Je croyais avoir une voix charmante et parfois séductrice pour certains hommes, mais celle-ci surpassait mon organe de mille coudées. Elle avait le parfum d’une rose épanouie, la couleur d’un mirage en pleine désert. Elle avait déjà repris sa rêverie douloureuse et sa façon de se réinstaller dans son silence m’empêcha de poursuivre cette conversation entamée. Je replongeais dans mon ordinateur que je fis semblant de consulter avec un intérêt extrême, sans toutefois lire quoi que ce soit. L’écran a l’avantage de n’être qu’une glace face à soi-même. L’interlocuteur ou même le spectateur ne voit que la face de celui qui le regarde. Il croit deviner le contenu de l’écran, mais celui-ci peut être cependant assez différent de son impression. C’est le mystère de l’informatique. On peut jouer avec un sérieux imperturbable ou travailler en simulant de jouer. Et cela convient à tous, les réalistes comme les rêveurs.

Suite à une nouvelle montée en puissance de la conversation de nos voisins, je tentais de ralentir leurs errements verbaux :

– Pourriez-vous, s’il vous plaît, parler un peu moins fort pour que nous aussi puissions profiter de ce voyage ?

Cette remarque entraîna aussitôt la réponse cinglante d’une des deux comparses :

– mais Mademoiselle, il n’est pas interdit de parler dans un train. D’un point de vue culturel, c’est même très bon d’échanger plutôt que de se confiner dans ses pensées.

Tout cela dit à voix haute et moqueuse qui fit se retourner une partie du wagon. Les yeux s’allumèrent, les conversations devinrent encore plus intimes, voire s’arrêtèrent. Je sentais monter sur mes joues une rougeur caractéristique. Je pris le parti de regarder mon interlocuteur comme s’il n’existait pas. Mon regard le traversait et admirait l’horizon sans que rien ne l’arrêtasse. Sa réplique résonna dans le vide, sans écho et, après un instant de déception, il ouvrit son ordinateur et s’installa dans une contemplation de son écran qui sembla le captiver. Ma rougeur s’estompa, mon cœur battit moins fort. Je me demandais ce qui m’avait poussé à une telle réaction, moi qui a horreur de me donner en spectacle et d’intervenir dans des situations collectives. Une minute plus tard, je levais les yeux sur le jeune homme ou la femme forte assise en face de moi. Elle se tourna vers moi et me fit un vrai sourire, une sorte de rayon de soleil reflété sur un lac de haute montagne. Cela me fit du bien, je m’enhardis à lui rendre son sourire, sans rien dire. La connivence s’était installée entre nous, sans une parole. Le TGV commença à ralentir. On arrivait à la gare où je devais descendre. Je fermais mon ordinateur, me levais et m’aperçus que ma voisine faisant de même.

– Vous descendez-là ?

–Oui, c’est ma destination, dit-elle le plus calmement du monde. Vous aussi d’après ce que je vois. Sa voix restait délicieusement pure, une voix de soprano qui a travaillé pendant plusieurs années pour atteindre diction et timbre quasi parfaits. Serait-elle chanteuse ? Cela me parut peu vraisemblable, mais sait-on jamais.

31/08/2014

Une femme… forte

Il entre dans la voiture avec peu de bagages : un petit sac et une sacoche pour ordinateur. Il regarde le numéro de sa place, dépose ses affaires et... se révèle être une femme. Au premier abord, j’ai cru voir un jeune homme sportif, baraqué. Elle a des bras puissants. Certes ils ne sont pas velus, mais la musculature est proéminente, sans exagération cependant. Ce n’est visible que lorsque certaine d’être à sa place (elle a vérifié sur son billet) elle retire son blouson de cuir brun qui lui moule le buste. Elle révèle un haut du corps charpenté, les épaules droites, rembourrées, pleines de muscles proéminents, bref une lutteuse. Un moment je me demande si il ou elle a des seins. Oui. Ce ne sont pas des seins féminins, montant haut et pointant en avant ; ce sont de petits bouts  de sein, fluets, tendres, mais peu visibles. Des seins de fille encore pubère, plats, plaqués sur un buste de garçon. J’ai pensé à un jeune homme ayant pratiqué la musculation des pectoraux pendant plusieurs années. Elle est moulée dans un tee-shirt  gris ou beige, très masculin, peu attirant, et ses bras aux biceps avantageux nous la montrent en pleine force de l’âge. Cependant aucun champ de poils, ni même quelques brides de points noirs, ne laissent entendre un rasage immodéré des avant-bras. Je n’ai pu descendre plus bas, étant assis en face d’elle. Peut-être se dévoilera-elle demain, mais je ne serai plus là.

Son visage ? Car c’est bien principalement par le visage que l’on distingue une femme d’un homme. Ben… Cette fois-ci, ce n’est pas le cas ! Un jeune homme, musclé des gencives, la mâchoire proéminente, le visage en trapèze, plus étroit en haut qu’en bas, taillé à la hache, avec au sommet du crâne une petite touffe de cheveux, coupés courts, blonds, ne dépassant pas deux ou trois centimètres de longueur. Certes, elle a bien des sortes de petites rouflaquettes qui descendent presque jusqu’aux bas des oreilles, mais combien de garçons en mal de reconnaissance et d’originalité se font une chevelure quasi féminine pour faire contraste avec leur masculinité. Le visage n’est pas fermé. Il est naturel, mais sans sourire. Comment pourrait-elle avec des lèvres fines en forme de traits fermés des deux côtés par des guillemets marqués. Le menton lui-même ne laisse aucun flou. Il est à l’image du reste, fort, comme un morceau de brique sortant du reste de la mâchoire. Entre les deux salières des clavicules, il apparaît le moteur de la volonté. Les yeux enfin, reflet de la personnalité. Petits, marrons, aux cils courts, un peu enfoncés dans leurs orbites, encore jeunes, alertes, mais finalement durs, car peu mobiles, regardant en eux-mêmes, sans compassion pour les autres, ni même intérêt.

Ah ! Elle tourne la tête vers la vitre et regarde défiler les champs dans la campagne. Quelle mâchoire, bien dessinée, bien musclée, avec une boule sous l’oreille comme si elle passait son temps à faire grincer la dentition du dessous avec celle du dessus.  Vu de côté, ses yeux sont gris avec un rien de blondeur. Enfin, sans aucun doute, des gestes et de attitudes masculines, décidées, sans ambiguïté ni partage. Elle est chez elle, à cette place, sans que cela ne puisse se discuter. Elle étale sa jambe droite sur le second siège inoccupé, se laisse aller sur l’accoudoir et le protège-tête et ferme les yeux. Oui, c’est bien une femme. Elle n’a pas la noirceur des joues propre à la gente masculine, mais elle ne sourit jamais. Elle garde les lèvres serrées, minces comme deux feuilles de papier de cigarettes qui attendent qu’on les humecte pour se coller ensemble. L’oreille, celle que je vois, est ferme, grande, bien tourbillonnée. Palpite sous la peau du cou, bien planté, charnu, un mince tremblement qui fait état de sa nervosité qui n’est pas dû à mon regard inquisiteur et étonné. Non, cette femme, en apparence calme, équilibrée, cache quelques inquiétudes. Mais lesquelles ? Rien ne transparait.

Elle a cependant la beauté d’une jeunesse encore vive. Elle doit avoir environ trente-cinq ans. Elle a perdu son innocence de jeune fille, peut-être ne l’a-t-elle même jamais eu. Mais elle conserve un corps d’athlète, développé, fait pour l’affrontement. Tiens ! Je vois ses pieds. Ils sont chaussés de ballerines et ne sont pas trop grands. Serait-elle féminine non pas jusqu’au bout des doigts de pied, mais  dans sa deuxième moitié, celle que je ne peux voir ?

27/08/2014

Le charme 2

Disons tout de même que certains attraits physiques aident à donner du charme à telle ou telle personne. Rappelez-vous la voix de Delphine Seyrig dans les films d’Alain Resnais ou de Marguerite Duras. Une voix caverneuse, enrouée, presque masculine, qui fit dire à Antoine Doinel dans « Baisers volés » : « Ce n’est pas une femme, c’est une apparition ». De même les gestes élégants et les bons mots de l’acteur Sacha Guitry le font plus que charmeur lorsqu’il dit : « Il faut courtiser sa femme comme si jamais on ne l'avait eue… il faut se la prendre à soi-même. » Mais les acteurs sont-ils les seuls à avoir du charme. Certainement non ! Le charme est un plus naturel qui échoue à certains. Il ne doit pas être confondu avec la séduction qui est bien souvent le lot des artistes et plus particulièrement des acteurs. On peut même dire que le vrai charme ne se voit pas le plus souvent. C’est par un heureux hasard, une circonstance particulière que l’on remarque le charme d’untel ou d’unetelle. Il se dévoile subrepticement et vous fait l’effet d’une vaporisation de parfum qui vous rafraîchi le visage. Je  connais une petite fille qui par son expression et sa manière de vous regarder, agrémentée d’une fossette qui se dévoile à ce moment-là, vous met à genoux. Ce n’est pas un charme permanent, mais lorsqu’il apparaît vous craquez. Le charme est dans la voix, nous l’avons vu, mais il peut aussi être dans l’élocution. Une voix normale charme si elle a un accent particulier (l’accent français pour les Américains, l’accent russe pour les Français, par exemple).

Plus discret encore est le charme des attitudes. Vous pouvez tomber sous le charme d’une femme parce qu’à un moment elle s’est immortalisée dans une attitude que vous ne pourrez vous empêcher de revoir sans cesse. C’est sa marque de fabrique, son logo même, et son évocation jette un voile noir sur vos souvenirs. Elle est devenue statue immobile qui vous lance des éclairs charmeurs dans le capharnaüm de votre mémoire. Il y a enfin un charme plus subtil, c’est celui de l’innocence et de la transparence. Peut-être avez-vous connu de telle créature qui n’affiche aucune prétention de paraître ou même de faire semblant d’être. Elle est, surnaturelle d’inconscience de son passé et de son présent, intemporelle d’authenticité, bouleversante de fraîcheur. C’est un papillon qui virevolte devant vous en toute simplicité, sans conscience de sa provocation. Ce charme est difficile à émettre volontairement. Il est naturel ou il n’est pas. Il est le plus souvent propre à l’enfance, mais se prolonge à l’adolescence, voire quelquefois à l’âge adulte. Mais très vite, sa prise de conscience chez celui qui l’exerce, dénature ce charme, le transforme en séduction, ce qui lui fait perdre tout ses effets.

Oui, le charme est intemporel, inconstant, inégalement partagé. C’est un don du ciel qu’il ne faut pas dévoyer. Le charme n'est cependant qu'une information et rien de plus. Ce n’est pas un complément de communication comme semble vouloir l’imposer les publicitaires, les voyeurs sur Internet ainsi que les profiteurs de toutes espèces. Le charme est un frisson tendre qui retourne celui qui en éprouve l’effet, mais il peut être une explosion de paillettes ou un voyage garanti dans la vie.

Alors le charme est-il imprévisible ? Ne peut-on, l’apprivoiser ? Le charme c’est la lumière de la grâce qui rayonne en l’être. Il peut être permanent, il peut être occasionnel. Il se révèle aux autres par un lieu du corps ou de l’esprit. Ce peut être une fossette à la joue, ce peut être un geste particulier ou quelques traits d’esprit ou encore des attentions particulières envers telle ou telle catégories de personnes. Le charme fuse alors en pression régulière ou irrégulière par ce défaut de la cuirasse et donne à l’être cette présence charmante que l’on découvre ébloui. Lui-même ne le sait pas et heureusement. Son innocence en esprit lui permet d’être égal à lui-même, en toute quiétude.

26/08/2014

Le charme 1

Hier, suite à une réception, nous nous sommes demandés ce que signifie avoir du charme. Qu’est-ce ? Comment se manifeste-t-il ? Comment agit-il ?

Si l’on recherche dans l’histoire et la psychologie ancienne, le charme serait une puissance magique. Il hypnotise celui qui tombe sous sa puissance et le rend inapte au jugement rationnel. Les contes d’enfants parlent de charmes qui rendent incapables d’agir ceux qui le subissent. On dit, de manière plus imagée, qu’un homme est sous le charme de telle femme, alors qu’elle n’est ni belle, ni intelligente. Mais parlons-nous réellement de la même chose ? Il semble que dans les cas cités, les effets du charme soient totalement personnels, c’est-à-dire émanant d’une personne vers une autre personne et une seule dans un but déterminé : séduire, envoûter, manipuler. Dans ce cas, il s’agit d’une relation entre deux, l’exercice d’une influence de l’un vis-à-vis de l’autre.

L’on dit également qu’untel est charmeur, ce qui se traduit le plus souvent par une parole toute orientée vers la séduction ou même la suggestion. Cela se sent le plus souvent et laisse un arrière-goût d’écœurement, voire de malaise, parce que cette ruse n’a qu’un but, obtenir l’objet de son désir quel qu’il soit.

Mais si, de manière générale, l’on dit de telle personne qu’elle a du charme, il s’agit d’autre chose, quelque chose qui est reconnue par un grand nombre de personnes et qui dépasse le caractère volontaire de celui qui l’exerce. Ce n’est plus un pouvoir au but égocentrique, c’est un état de fait, conscient ou inconscient, qui fait dire à la majorité ce qu’elle ressent devant telle personne, mais aussi tel paysage ou tel objet. Le charme est alors en corrélation avec l’adjectif charmant. Cette vision du charme reste attachée à une impression romantique, un amollissement du cerveau qui fait perdre tout jugement rationnel. C’est une sorte de piège dans lequel tombe la majorité par indolence.

Cessons donc de tourner autour du pot et posons-nous personnellement la question du charme d’une personne, cas plus restreint que celui du charme en général qui peut être dévolu à un site, un château, un village, une œuvre d’art, un morceau de musique. Le charme ne peut être assimilé à la beauté. L’expression de Pierre Jean Jouve dans « La scène capitale » (Elle avait serré ses charmes dans un corset majestueux), n’est qu’un exercice de style qui n’a rien à voir avec ce que nous recherchons. Le charme est plus secret que l’attrait physique, moins voyant, moins réel également. Il ne se remarque pas de prime abord et se dévoile progressivement. Une photographie permet difficilement  de reconnaître le charme d’une personne, excepté dans son attitude et c’est là un clic fortuit plutôt que provoqué, qui le permet. Les photographes professionnels prennent des centaines de portraits d’une personne pour n’en conserver que quelques-unes. Celles-ci ont saisi le charme de la personne et d’autres non. Pourquoi ?

En cherchant sur Internet ce que pensent les uns et les autres du charme, je suis tombé sur un site destiné aux échanges entre jeunes et ai trouvé un article qui m’a semblé intéressant par la concision de la définition, même si celle-ci reste la vision d’une jeunesse qui ne s’encombre ni de la manière de dire les choses, ni de la manière de les écrire : 

le charme dépend d'un comportement, d'un caractere, il refléte ta personnalité!
c'est plus interieur, qu'exterieur, mais en même temps les deux ce conjuguent!
c'est une façon de dire, j'ai envie de te faire l'amour sans le dire, mais avec un regard si profond qu'on en tomberait!
c'est un regard qui te dis je t'aime, sans rien dire, et dont le corps s'exprime a lui tous seul!
c'est un regard enivrant dans lequel tu as envie de te noyer, et tu es hypnotisé par celui-ci, car il révele toute sa beauté interieur!
c'est une façon de dire non! en souriant, avec un regard en coin!
bref une personne qui a du charme, c'est un être: sensuelle, intelligent, attendrissant, doux et piquant a la fois! mi ange mi demon! avec un côté sauvage..................
avec pourquoi pas un beau petit cul en prime!
From : http://www.comlive.net/Avoir-du-charme,37664.htm (23/08/2014)  

On peut ne pas être d’accord avec cette définition claironnante, mais elle révèle néanmoins de manière très juste que le charme n’est pas dans l’apparence d’une personne (sa beauté, sa volonté, son intelligence, etc.). Il est d’origine plus intérieure. Il dépasse même les impressions de prestance, d’attrait, de suavité, d’élégance, de délicatesse. Contrairement à ce que semble dire celle qui a écrit ce billet, le charme n’est pas un attribut destiné à éveiller le désir sexuel, même si ses effets conduisent souvent à des situations de cet ordre. C’est autre chose, mais quoi ?

 

23/08/2014

Confusion

Il est des périodes où l’homme est tout entier tendu vers un but qui l’accapare, le guide et lui donne force. Cette tension permanente lui permet de créer, en toute liberté, et de construire du nouveau sans reproduction de l’existant.  Ces périodes sont des moments de grâce sans que l’on en ait conscience, trop occupé à faire progresser vers le but l’objet de son obsession.

A quel moment commence le recul de soi ? A quel moment se réveille-t-on de cette griserie créatrice qui propulse dans un autre monde l’homme en proie à cette chaleur intense qui le brûle ? S’agit-il véritablement d’un détachement  par le haut ou bien par lassitude et épuisement ? Notons que dans tous les cas, ce détachement ne se produit pas en un instant. Il est progressif, lent, insoupçonnable. Il commence par une aphasie mentale. L’intérêt est cassé, le réveil s’est arrêté, le temps ne s’écoule plus. Vous êtes sans force, sans volonté, sans objet d’attention et vous errez dans la vie comme un aveugle sans savoir ce que vous voulez faire. Vous pouvez vous forcer à continuer sur l’objet de votre tension, mais rien n’en sort de bon. Vous êtes lassé. Encore, et encore, et encore… Tout ceci se passe de manière imperceptible, le changement n’est pas encore là que déjà ses conséquences se font sentir. Mais vous n’en avez pas conscience jusqu’au moment où ce malaise s’installe plus profondément.

Trop, c’est trop ! Il faut se changer les idées, vous dites-vous. Mais les obligations sont déjà créées, et c’est vous-même qui les avez créées. Alors il faut bien poursuivre, aller au bout de ce mouvement né de vous-même, vous épuiser sur votre lancée.

Que se passe-t-il ? C’est le détachement qui arrive, qui vient vous délivrer de votre obsession, qui va vous permettre de prendre du recul et de repartir sur un autre projet tout aussi passionnant, mais différent. Mais que cette période est dure à vivre. Vous vous traînez, inconsolable de langueur, la tête vide, pleine de rien qui vous empêche de faire fonctionner la machine. Vous ne trouvez plus les liaisons entre les neurones. Votre cerveau s’est liquéfié et vous ressentez un ennui d’inaction. L’horizon est bouché, vous vous enfermez en vous-même, vous ne vous intéressez même plus aux projets déjà faits antérieurement avant que cette acédie ne vous prenne. Car c’est bien une maladie spirituelle ou au moins psychique. Mais si l’on la considère bien, elle est nécessaire. Cette rupture permet de passer à autre chose. Ce n’est pas une calamité, sauf pour ceux qui n’ont travaillé que pour montrer au monde leur produit final. Car eux, par cette langueur, ne peuvent profiter pleinement de leur succès.

Repartir, ailleurs, dans un autre environnement à trouver, dans un monde autre qui va vous ouvrir de nouveaux horizons jusqu’au moment où la machine sera lancée et commencera à produire, à construire ses idées d’abord par petits bouts, puis dans un ensemble enchanteur, toujours différent. Alors ne vous laissez pas gagner par l’aphasie, soignez là en prenant des vacances, laissez-vous retourner, sombrez quelques instants dans la folie, en le sachant. Ces moments sont aussi à vivre pleinement, même si l’on ne sait pas comment on les vit. Devenez le fou du roi, et amusez-vous !

18/08/2014

Informatique

On aime, non pas d’amour, mais d’utilité, cet engin qui vous livre tout prêt le produit de votre pensée, résumé, mis en page, quasiment pesé et empaqueté. Quelques clics, trois ou quatre touches caressées, mise en route de l’imprimante qui doit vous sortir « La Page », belle comme une image.

Mais hier, tout est différent. Vous vous réjouissez comme à l’accoutumée. Vous rêvez déjà devant cette page emplie de signes qui disent tout de ce que vous pensez. Vous posez votre doigt sur la souris. Elle accepte cette pression douce. Mais la machine fait Couic. Vous pensez vous être trompé. Vous reprenez votre registre de contrôle, suivez la procédure tel un cosmonaute accompli, vérifier à deux fois avant d’appuyer, sûr de vous, la touche correspondante et Couic à nouveau. Que je suis maladroit ! Vous exclamez-vous. Vous reprenez la procédure, cochant d’un trait de crayon chaque étape de l’envol. Vous arrivez au bout de la check-list, fier de vous, en bon ingénieur accompli. Vous vous réjouissez doublement en fin de liste lorsque toutes les tâches ont été menées, dans un ordre parfait, respectant toutes les procédures compliquées qu’impose l’impression d’une simple feuille de papier. Coup de doigt : Couic !

Pourtant est-ce si compliqué de changer l’impression habituelle du format A4 en format DL, vous savez, ces cartons allongés sur lesquels votre esprit erre comme sur la plage, tout en longueur et, en trait fin, et suit le fil de l’horizon qui s’arrête hors de votre vue. Vous avez bien suivi les consignes : mise en page correcte, vous vérifiez la taille de la feuille, l’orientation, les marges. C’est OK. Vous cliquez sur le volet impression et vérifier les paramètres : c’est la bonne imprimante sélectionnée, impression recto, orientation, marges, format, tout est OK. Vous entrez dans les propriétés de l’imprimante : là, il faut dire que les choses se corsent. Bien sûr la notice est en anglais. Non pas la langue de Shakespeare, mais le sabir habituel des machines imaginées par un européen, conçues par un indien, fabriquées par un chinois et mis en vente par un américain qui empoche la mise. Oui, vous aviez peut-être oublié de modifier le format du papier au niveau de l’imprimante, ce qui crée des disjonctions entre l’ordinateur et la fonction impression. Alors vous recommencez pour la troisième fois le déroulement de la check-list, espérant, et ne faisant qu’espérer cette fois-ci, que cela marche. Vous appuyez d’un doigt incertain sur la touche… Couic. Rien ! Pas le moindre frémissement dans la machine. Elle est devenue un corps inanimé, misérable tas de ferraille et de beaucoup de plastique. Elle a perdu son âme à qui pourtant l’on demande peu, juste un tour dans l’essoreuse pour voir sortir à l’autre bout une feuille noircie correctement.

A ce point de votre démarche vous commencez à vous énerver. Si je ne suis pas foutu d’imprimer une simple feuille de papier, comment pourrai-je écrire un livre, vous dites-vous. Vous doutez de votre agilité d’esprit, mais comme aucune autre idée ne vous vient à l’esprit et que c’est bien la panne complète dans votre petite tête, vous appelez le spécialiste de l’informatique. Il arrive, sûr de lui. Il reprend la check-list et d’un léger sourire appuie sur la touche Impression : couic… Ah, dit-il, laissant trainer la fin du mot, la bouche légèrement entrouverte, l’air un peu dépité. Il reprend bien sûr la procédure avec plus d’attention comme vous l’avez fait vous-même quelques minutes auparavant. Appui : couic ! Il se lance alors à corps perdu dans un interrogatoire sous Google, est submergé de réponses et clique sur la première. C’est le site des fanas de l’informatique ou des paumés de l’informatisation. Les premiers répondent aux questions bêtes des seconds qui chaque jour envoient leur message de détresse à des correspondants diplômés se trouvant à l’autre bout du monde. Il faut bien sûr user du traducteur automatique pour comprendre leur langage, et encore, vous n’en comprenez que la moitié. Mais lui, l’informaticien diplômé, comprend tout, sans traducteur. Fermez votre ordinateur et relancez-le. Il n’y croit pas, mais il essaye toujours. Cette fois-ci la check-list est plus longue, cela prend bien cinq minutes avant que la machine pensante puisse dire à la machine imprimante ce qu’elle veut. Et celle-ci se met à gronder ! Elle vrombie, laisse entendre qu’elle va fonctionner, et… Elle fonctionne. Quel bonheur ! Bien sûr, vous jetez un œil sur la feuille sortie de la fente. Déception. Vous constatez que les couleurs se sont dédoublées : le bleu et le jaune n’imprime pas du vert, mais un tas informe de couleurs sales. Votre informaticien ne s’en émeut pas. Son diagnostic : décalage ! Il faut recaler. Alors il procède à une nouvelle check-list, glisse une feuille de papier blanc dans le bac, lance le monstre qui imprime une nouvelle page. Déception, les couleurs restent brouillées. Nouvelle interrogation des spécialistes sur la toile. L’une des réponses énonce : éteindre la machine et la laisser reposer une heure. Elle repartira en ordre, heureuse de vous faire plaisir. Ben voyons ! Tentons tout simplement d’arrêter les deux machines et remettons-les en route. Tout ceci est fait en moins de dix minutes. Pas couic, mais à nouveau des couleurs qui s’entrechoquent. Alors de guerre lasse et parce qu’il est tard, vous raccompagnez à la porte l'expert qui rentre chez lui dépité. Nous verrons demain…

Le lendemain, jour nouveau… L’expert arrive, recale les modèles de format, appui sur "imprimer" et… miracle… la feuille sort, impeccable de netteté et d’arrogance. Pourquoi ? Nul ne le sait hors de l’expert qui seul a dompté la machine rebelle. Il repart, monté sur des roulettes et s’évade vers l’horizon, me laissant pantois, mais heureux. Tout reprend comme à l’accoutumée.

11/08/2014

Voyage difficile

Un train est un lieu où la vie privée des gens s’étale au grand jour. Cette vie est le plus souvent normale et on ne la remarque pas. On relève de ci de là quelques petites anomalies, telles ce Monsieur qui discrètement se cure le nez ou cette dame dont la chair déborde du fauteuil, obligeant chaque passager empruntant le couloir à se contorsionner avec douceur. On observe parfois un couple qui, contre toute attente, est assis dans une intimité qui aurait dérangé la plupart des gens il y a encore quelques années. Mais comme dans les trains tout le monde fait comme chez soi, cela importe peu.

Les petits enfants prennent possession d’un train et ont beaucoup de mal à prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls sur ce terrain de jeu. Les parents (de ces enfants) ont également beaucoup de mal à comprendre qu’ils sont responsables de la conduite de leur enfant et que leur liberté de faire ce que l’on veut est limitée par la liberté des autres. Les enfants ont une autre caractéristique. Ils ne savent pas parler, ils crient. Pas tous, mais un certain nombre, ceux à qui l’on n’a jamais dit de parler doucement. Il appartient aux parents de leur apprendre que leurs propos n’intéressent pas forcément l’ensemble de la population d’une voiture de chemin de fer. Enfin, il est évident que les enfants tâtent le terrain pour savoir jusqu’où ils peuvent aller. Un voyage se déroule donc sur plusieurs épisodes.

Une entrée dans la voiture peut être bruyante, mais avouons qu’elle est généralement calme. L’enfant (petit) est intimidé et tient sagement la main d’un de ses parents. Ceux-ci l’installent et s’assoient autour de lui. Il est le roi, mais on ne le montre pas. Il prend son pouce, loge sa tête entre les seins de la mère et accepte de faire semblant de dormir pendant un certain laps de temps, généralement court. Les parents devisent à voix basse d’affaires importantes (Où as-tu mis son doudou ? Il va s’endormir ! Etc…). Tout semble pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que l’enfant n’a pas vraiment envie de dormir. Les yeux ouverts, il observe son environnement et son entourage. Il commence à faire quelques remarques : « Dis Papa, tu as vu, le monsieur, il a un gros ventre ! » ou encore : « Pourquoi la dame elle a un chapeau. Il pleut pas dans le wagon ! » Ces questions ne dérange pas le père qui lui raconte quelque chose dans l’oreille du style : « C’est parce qu’il mange trop ou c’est parce qu’elle n’a plus de cheveux au-dessous. » Aussitôt l’enfant reprend : Ah bon, qu’est-ce qu’il mange ? » Nouveau conciliabule, mais cette fois-ci le père a l’air gêné. Ce qui n’empêche pas l’enfant de reprendre : « Parle plus fort, j’entends rien ! ». La mère dit alors au père : « Emmène-le aux toilettes. » Le père, trop heureux de ce divertissement, se lève. Les femmes ont souvent l’art de modifier l’attention par une remarque ou une demande plus générale empêchant la conversation de s’appesantir sur des paroles un peu lourdes. Ce n’est pas forcément une remarque d’intérêt culturel du style : « Il y a une nouvelle exposition à la galerie Tartepeintre. Tu sais, l’artiste qui assemble des épingles et fait des sculptures piquantes ! » Non, généralement, lorsque la famille déjeune, c’est plutôt : « Qui reprend de ces délicieuses nouilles au beurre ? » Mais cette petite demande a l’avantage de détourner la conversation sur du plus concret ou du moins gênant.

Cette promenade au bout de la voiture est cependant un calvaire pour le père et une détente pour l’enfant. On passe au deuxième épisode. Il fait connaissance avec l’assemblée, regardant un peu partout, échappant à la main paternelle, courant dans l’allée centrale et bousculant ceux qui ont le malheur d’avoir qui un coude débordant du fauteuil (après son passage le monsieur se masse le coude longuement), qui un pied malencontreusement pas dans l’axe du corps (là c’est l’enfant qui manque de s’étaler, ce qui contraint la personne à lui faire un sourire et à s’excuser auprès du père), qui encore le fil de la souris de son ordinateur qui pendouille à l’extérieur et dans lequel l’enfant se prend les pieds (l’ordinateur est rattrapé de justesse par son propriétaire). Tout ceci se passe sur un ton badin dans la plus parfaite correction, même si les parents n’ont qu’un sourire à l’égard des personnes dérangées sans aucun mot d’excuse. C’est normal, semblent-t-ils dire. Quelle idée de s’étaler sur l’allée centrale !

Troisième épisode : retour à la place attitrée. On aurait bien voulu qu’elle soit attitrée ailleurs, mais là, il n'y a pas le choix ! La mère tente de distraire l’enfant une fois installé : « Tiens, voilà tes petites voitures ! » L’enfant considère les trois jouets, s’essaye à en faire rouler une. Elle tombe bien sûr de la table qui n’est pas faite pour cela. Le père la ramasse et lui donne. Aussitôt il recommence, elle tombe à nouveau, le père la ramasse. Troisiè… Non le père la rattrape au vol et lui dit d’arrêter. Alors l’enfant jour au stockcar. Les accidents arrivent vite au royaume des enfants. C’est beaucoup plus drôle qu’une vie sans histoire. Entre temps, les décibels commencent à monter malgré les airs attendris des spectateurs qui ne se doutent pas que cela ne fait que commencer. L’enfant, enhardi par ces signes encourageants, commencent à parler. Une vraie trompette ! Et, de plus, un moulin à paroles. Toute la voiture sait de quoi il parle et avec qui. Les parents ne semblent pas émus par ces échanges doucereux pour eux. C’est le mode de communication normal. Eux-mêmes cependant parlent de manière atone ce qui contraint l’enfant à sans cesse dire : « Quoi ? Quoi ? » Personne ne comprend personne, mais cela augmente la tension.

Vous abandonnez votre livre, abaissez légèrement votre siège et tentez de vous réfugier dans le sommeil ou, au moins, une légère somnolence qui vous fera oublier ces petits inconvénients des voyages. Le ronronnement du train, trente secondes de silence, vous font revenir à de meilleurs sentiments. Vous pensez à des choses agréables. Vous partez à la mer et pensez au bain que vous prendrez en arrivant ; vous vous rendez à la campagne et faites une promenade dans les bois à la recherche de champignons. Bref, votre vie reprend le dessus sans rien pour la faire trébucher. Erreur !

Quatrième épisode : un cri suraigu retentit dans la voiture : « Dis Maman, regarde, des vaches. », dit l’enfant en montrant le paysage. On lui pardonne cet étonnement (un enfant des villes n’en voit probablement pas suffisamment souvent). Mais on lui pardonne moins ce cri. On est cependant bien contraint de passer. On se réinstalle, on ferme à nouveau les yeux, on se réfugie dans ses pensées. Nouveau cri, on ne sait même plus pour quelle raison. Il s’accompagne d’une dégringolade des voitures que l’enfant fait tomber sans motif. Ramassage, sourire, apaisement. Mais rien vers l’enfant qui continue de plus belle. Excité, il ne parle plus, il hurle et secoue ses voitures les unes contre les autres.

Alors, excédé, vous vous levez, rassemblez vos affaires, prenez votre valise et changez de voiture. Que ne l’ai-je fait plus tôt, vous dites-vous une fois installé. Comme tous les voyageurs, vous sortez vos oreillettes, réglez votre appareil et vous vous plongez dans les délices d’une symphonie de Mozart. Vous vous endormez. Vous êtes malheureusement très vite réveillé par un arrêt à une nouvelle gare. Zut ! Une famille s’installe de l’autre côté de l’allée. Cette fois-ci, vous n’attendez pas, vous changez de place.

10/08/2014

Sur la corniche Kennedy à Marseille

14-08-03 Corniche Marseille1.jpgAujourd’hui, je ne cours pas. Je regarde les autres courir le long de la mer sur cette corniche où veillent des villas grandioses aux côtés de petites maisons fermées. Et ils passent, les coureurs de tous poils, transpirant, s’épongeant, buvant de l’eau ou toute autre boisson énergisante. Nombreux sont ceux qui courent petitement, les coudes au corps, le buste droit comme un I, le regard lointain perdu  dans leur propre contemplation, en échauffement permanent devant l’immobilisme d’une mer plate, sans vague, juste un frémissement  et scintillement d’une surface bleue.

Beaucoup de femmes et d’hommes courent, bardées de fils, aux oreilles (on ne court pas sans musique bruyante!), aux poignets (combien de pas fait-on en cent mètres?), parfois au bas du sein gauche (quelles pulsations par minute ?), le plus souvent, il est vrai, au bras gauche (le droit étant trop noble pour s’accoutrer ainsi), une petite télévision. Que dit leur petit écran ? J’ai beau tenter de savoir, rien n’apparaît. Blanc comme neige. Pourtant il enregistre les foulées, les battements du cœur, le rythme de la respiration, l’arthrose de la hanche droite, la faiblesse du pied gauche (oui, l’égalité des pas n’est la même), tout ce qui fait un homme ou une femme au corps sain parce que sachant ce qui s’y passe.

Les femmes agitent leur queue de cheval, désinvoltes, courant moderato, regardant autour d’elles, semblant dire : « Regardez ma brelle silhouette, mais ne la suivez pas ! » Et elles poursuivent, longilignes sous le soleil, telles des étoiles filantes. En voici une, toujours queue de cheval flottante, de rouge vêtue, une bouteille (petite) d’eau dans chaque main, toujours des fils aux oreilles comme un prolongement d’elle-même. Elle court petitement, mais sûre d’elle. Ah, celle-ci marche, un peu trop enveloppée pour courir. Mais elle marche comme un bulldozer et l’on s’écarte sur son passage. Rien ne saurait la faire dévier. Et celle-ci dont la queue de cheval revêt l’aspect d’un plumet triomphant semblant dire : « Ralliez-vous à mon panache noir ».

Entre cette union féminine contre l’embonpoint, courent les hommes. A chacun sa manière de courir. Lui, concentré sur lui-même, la tête dans les épaules, est un automate des petits pas, légers cependant, mais suspendus à son écoute de soi, le regard vague, courant sans savoir qu’il court. Tap, tap, tap, tap… Le bruit des chaussures de sport tapant du plat le macadam. Oui, cette fois-ci c’est un inhabituel du jogging. Il passe tel un ours, la jambe raide, les épaules figées, semblant souffrir le martyre. Mais il poursuit inexorablement, la volonté bloquée, malgré le fait qu’il est doublé par de jeunes élites en mal de transpiration. En voici un, volant sur le bitume, à la foulée légère, le maillot dégoulinant, sûr de sa sveltesse et de sa morgue non exprimée. Un vieil homme, très digne, très bien fait, courant en habitué, me faisant un petit clin d’œil au passage, parfait d’élégance non recherchée, zigzagant entre les piétons, humains la chair flasque, marchant à pas poussifs et déjà essoufflés.

Quelle belle fraternité que celle des joggeurs, tels un troupeau de jeunes poulains courant dans un pré fleuri comme dans un tableau naïf, la casquette sur la tête. « La France en marche » pourrait dire un slogan politique conçu par des gens n’ayant jamais couru et ne rêvant que d’une chose, qu’elle ne marche pas trop vite pour conserver leurs privilèges, celui des publicistes médiatiques faisant la pluie plutôt que le beau temps.

Au loin, derrière l’horizontalité de l’eau, les îles blanches, couvertes de crème solaire étirent leurs membres. Le château d’If leur fait une tête renfrognée et résolue, au-delà du cou fluet, le corps des îles se poursuit par les deux seins aux pointes bien visibles, l’un d’une tour, l’autre d’une antenne. Ces îles ont du poil sur le nombril, mais restent imperturbables au passage des voiliers qui les contemplent. Immobiles, elles semblent mortes, terrassées par l’histoire, la chaleur et la nonchalance des passants qui les regardent de la corniche sans les voir.

Les hommes courent derrière les femmes. Les femmes agitent toujours leur queue de cheval. Jusqu’où vont-ils ? Nul ne le sait. Mais… Ils y vont, et vite…

05/08/2014

Vertu

Certains mots vieillissent, comme les humains. On s’en sert sans y prendre garde, et puis, un jour, quelqu’un rit : de quoi parle-t-il ? Oui, vous êtes décalé. Ce mot ne s’emploie plus, il est ringard. Ainsi en est-il de la vertu. Certes, l’expression de « femme de petite vertu » s’applique-t-elle toujours à certaines catégories de la gente féminine, mais comme ces catégories ont singulièrement augmentées ces dernières années en raison de la libération des mœurs, on ne l’utilise plus guère.

Sous les romains, la vertu était synonyme de force. Elle désignait le courage physique ou moral, la force d’âme, la vaillance. Son origine est dérivée de vir qui donna viril et virilité. D’après Caius Marius : « La vertu est la clef de voûte de l'empire (romain), faisant de chaque seconde de la vie du citoyen, une préparation minutieuse aux dures réalités de la guerre, et de chaque bataille rien d'autre qu'un sanglant entrainement ».

La vertu s’est ensuite déclinée en vertus cardinales qui sont le courage, la prudence, la tempérance et la justice, en vertus intellectuelles (la sagesse, la connaissance, l’humilité), en  vertus morales (la charité, la chasteté) ou même théologales (la foi, l’espérance et la charité). Mais comme ces déclinaisons nous semblent loin.

Les Romains étaient-ils aussi vertueux que nos politiques sont obstinés ? Les premiers flottaient dans leur image et montaient au plus haut des opinions, les seconds persistent et signent pour accumuler sièges et mandats. La vertu étant devenue un mot ringard, on lui cherche des équivalents. Celui qui semble le plus proche serait sans doute l’éthique. Ce mot fait plus sérieux, plus philosophique et moins moraliste. On en parle beaucoup, on la pratique peu. Elle est l’objet de débats et de colloques, mais sa pratique reste tiède. Pourquoi s’encombrer d’un moteur de quatre chevaux alors que la puissance se situe sans conteste du côté de la pratique des amitiés politiques. Pourtant la vertu politique, disait Robespierre, est un « sentiment sublime qui suppose la préférence de l'intérêt public à tous les intérêts particuliers ; d'où il résulte que l'amour de la patrie suppose encore ou produit toutes les vertus : car sont-elles autre chose que la force de l'âme qui rend capable de ces sacrifices ? Et comment l'esclave de l'avarice et de l'ambition pourrait-il immoler son idole à la patrie ? ».

Au siècle précédent la vertu restait à l’honneur, mais de manière plus personnelle. Elle désignait une personne propre et devenait synonyme d’austérité. Les grandes figures morales devenaient  des hommes ou des femmes à principes, pratiquant la chasteté, la fidélité, l’honnêteté. Mais ces façades cachaient beaucoup d’hypocrisies.

La vertu existe-t-elle encore ? Oui, certes. L’utilisation de la locution en vertu de reste un pied de nez littéraire, une culbute des artistes de la parole comme des hommes de loi. Et lorsqu’elle est employée dans la formule magique en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, on atteint le fond de l’hypocrisie politique. Cependant, la vertu républicaine est remise à la mode, mais une mode fantoche.

Le mot vieilli. Et pourtant, n’est-elle pas belle cette qualification de vertueux ? Elle me fait penser immanquablement à la personne qui s’enduit de crème transparente pour errer dans le monde et se glisser entre les colères et autres luttes sociales, au-dessus du lot et des foules.

Aussi, je m’interroge : quelle est ma vertu première ? Je n’ai pas encore trouvé.

29/07/2014

Une rencontre inattendue

Le train laisse à loisir le temps de remarquer les détails des êtres, tant leurs petits défauts que leurs avantageuses attitudes ou leur noblesse présumée. Ainsi ce matin, nombreuses étaient les femmes, jeunes ou moins jeunes à monter dans notre wagon à cette dernière gare avant Paris. L’une d’elle s’installa en face de moi, mais de l’autre côté de l’allée centrale. Rien ne la distinguait des autres : visage fatigué, les traits creusés, un nez prééminent, de grosses lunettes d’écaille, les cheveux froufroutants sur les épaules, un jean enserrant fortement des mollets bien faits apparemment, un pull autour de la taille, sans élégance. Elle s’ennuyait, bougeait imperceptiblement, regardant à droite, puis à gauche, puis derrière. Elle ne regardait rien, mais elle avait le plaisir de se remuer. Parfois elle pensait, le menton enserré entre ses doigts tendus, aux bagues étincelantes, et sa main ferme.

Il vint un moment où je la regardais tapotant sur son téléphone mobile et je remarquai alors l’extrême élégance de son avant-bras. Sortait de son corsage sans charme un bras de princesse, jeune, aux courbes rafraichissantes, un poignet aux attaches faisant un angle parfait avec l’avant-bras. Elle utilisait sa main avec rapidité et douceur, semblant effleurer les touches sans avoir besoin d’appuyer. Chaque doigt s’élevait et s’abaissait imperceptiblement et l’on ne voyait que des déplacements d’air, une sorte de film accéléré. Fasciné je la regardais faire, ne reconnaissant pas la femme entrevue auparavant, fade et défraîchie. C’était une divinité venue d’ailleurs qui ne se manifestait que par un bras sublime qui éclipsait toute autre considération. Plus qu’une main de velours, elle personnifiait la caresse par l’élégance de ses comportements, et le reste de son corps disparaissait devant la splendeur de ce bras vivant, léger, aimable et de cette main agile, souple, imprévisible et câline.

Le train freina brutalement, projetant les voyageurs contre ou hors de leur siège. La femme interrompit son texto et changea de position. Elle redevint celle aperçue riant grassement avec ses copines. Le charme était rompu. Je me frottai les yeux, je me mordis les lèvres. C’était fini. L’instant de grâce était passé. La pluie d’étoiles distribuée par un inconnu enjôleur avait poursuivi sa route, afin de terrasser d’autres rêveurs et leur donner à contempler l’invisible derrière le visible. Trois secondes d’enchantement, deux minutes d’extase, trois heures d’incrustation dans la mémoire, trois jours de bonheur gratuit, trois ans de contact avec l’inconnu qui me fit traverser le temps et l’espace et goûter l’éternité. Qui est-ce : moi, lui, soi, nous, le néant, l’unité ou le tout ? Le mystère demeure entier, mais je sais qu'il cache une réalité palpable.

24/07/2014

La femme

Une femme, c’est le mystère du monde. Elle n’a l’air de rien, elle s’efface devant l’autre, plus fort et plus puissant. Mais elle reste la gardienne de l’ordre naturel. Nos politiques défendent la femme comme égale de l’homme. Mais la femme est bien plus que l’homme. Elle est le contenant, alors que l’homme n’est que le contenu. Elle est matrice de l’univers, un monde en soi qui ne cherche rien, qui ne veut rien, mais qui est dans toute sa splendeur de mystère et d’instantanée.

Tu es l’étrangère, inconnue même de toi-même
Enfant pleurant sur elle-même
Fille qui se découvre autre et en use
Jeune fille, réservée ou fantasque
Qui danse la nuit et sert le jour
Vierge d’un jour, dévêtue de pudeur
Douceur et chaleur recueillies
Qu’un baiser du fond d’elle-même
Amène à la vie de femme
Tu acceptes cette ambiguïté
Je suis et pourtant tu es au-delà
Hors de portée de mes mains ouvertes
De mon regard avide de ta beauté profonde
Et chaque caresse fait fondre
Ce que je croyais être moi
Et qui devient toi, unique et royale
Tu es femme maintenant, devenue forte
Et souple de soumission feinte
Tu es celle qui passe devant moi
Mais reste derrière les ombres
Et regarde nos silhouettes égarées
Alors tu redresses le chemin
Pas par là, mais prenez ici
Elle te laisse partir et t’assoiffer
Puis vient te donner la boisson de l’immortalité

Oui, je t’aime car tu es le refuge
De mon corps impatient
De mon cœur émerveillé
De mon esprit rêveur
De mon âme éclairée
Par ta lumière sacrée

© Loup Francart

19/07/2014

Une étape de la vie

Le passage de la cinquième à la quatrième est un des moments  de la vie parmi les plus fascinants. On découvre l’autre sexe. Certes, on parle encore de filles et de garçons, mais avec une retenue qui voile le mystère de cette découverte. C’est14-07-10 adolescente-dos.jpg bien sûr un des sujets de discussion, pratiquement le seul, mais toujours de façon indirecte. Ce fut un choc pour Jérôme, même si, pendant une bonne partie de cette année de quatrième, cet étonnement ne fut que d’ordre psychologique. Cela constituait un bouleversement sans précédent dans la vie du jeune garçon qui, progressivement, devenait un adolescent. En réalité, cette prise de conscience ne s’effectua pas en un jour, celui de la rentrée scolaire. Il lui fallut bien un an pour saisir consciemment les modifications dans son corps et ses pensées.

Les premières semaines, assis au fond, dans la classe, il regardait ces filles qui commençaient à devenir jeunes filles, plus sérieuses, plus appliquées que les garçons, plus attentives à leur corps, à leurs attitudes, à la douce tiédeur de leurs formes découvertes dès la sortie de l’hiver : le pli du coude, le pli plus secret des aisselles, la rondeur devinée de leurs jeunes seins, la verdeur inimaginable de leurs cuisses reposant sur la chaise d’écolier. Ce fut au printemps, après six mois d’aveuglement enfantin, qu’il commença vraiment à sentir cette nouveauté en elles, puis en lui. Ce fut lent. Parfois, regardant l’une d’elles, il éprouvait comme un pincement quelque part, sans savoir exactement où, et ce pincement l’étouffait de mystère caché, incompréhensible. La promiscuité des sexes dans la salle de classe creusait un fossé incommensurable entre elles et lui, et, dans le même temps, l’histoire humaine devenait son histoire, personnelle, envoûtante, mystérieuse, grâce à la découverte de la plus grande énigme existant sur terre, celle de l’homme et de la femme qui se regardent et se voient semblables et différents. Envoûtantes, ces demoiselles faisaient semblant de ne rien voir de ces émois qu’elles provoquaient auprès des garçons. Envoûtés, ceux-ci continuaient à jouer la comédie de la virilité, celle de jeunes gars fiers d’être ce qu’ils sont, sans savoir qui ils sont. Mais tout ceci était diffus, imperceptible, comme le soupçon de lait que l’on met dans son café le matin, encore ensommeillé, et qui monte en nuages épais dans le liquide noir. La frontière restait indécise en raison de l’égalité de l’âge, tentatrice par sa nouveauté attrayante, imprécise par les différences inconnues.

Que se passait-il dans les corps et les esprits de ces jeunes adolescents qui sortaient de l’enfance par une porte dérobée ? Avant tout des images, des sensations, voire des sentiments non interprétables. De sa place, il n’écoutait plus le professeur, il regardait ces bustes de presque femmes, ces cheveux virevoltant d’abord involontairement, puis de manière plus consciente, la courbe de l’épaule dénudée à partir de mai, le tissu tendu par la naissance des seins et leurs regards, entre elles, de secrets inavouables, mais évidents. La puberté était tombée en un jour sur leur corps, alors que pour les garçons, rien n’était aussi franc. Ils ne la découvraient que progressivement, de manière plus lourde, d’abord dans une sorte de rêve, avant qu’elle ne devienne affirmée physiquement.

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C'est vrai, n'oublions pas ! Le 21 juillet...

 

11/07/2014

L’absence de vision pour la France

Depuis plusieurs décennies les politiques sont devenus politiciens. Qu’est-ce à dire ? Ils n’ont pas de vision d’avenir pour la France, leur programme consiste en l’énumération d’un certain nombre de points, à la manière américaine, comme un marché à présenter à l’opinion pour être élu. Le passage du septennat au quinquennat a consacré cette indécision à choisir le style constitutionnel de la politique française.

Deux conceptions du pouvoir s’opposent. La première est celle de la politique ou politics pour les anglo-saxons. C’est le lieu des combats, des conflits, des divisions. La politique relève de la contingence. Elle n’est pas réductible à la lutte, car elle est aussi l’objet sur lequel le pouvoir porte ses préoccupations. La seconde est celle du politique ou policy : elle évoque le monde des essences[1] et est le lieu d’un discours rationnel, dégagé des contingences, sur le sens de l’évolution de la société.  « Le politique qualifie un certain arrangement ordonné des données matérielles d’une collectivité et des éléments spirituels qui constituent sa culture… Le politique est l’expression du groupe. [2] » Ce sont donc deux conceptions de la fonction présidentielle qui s’affrontent : une conception américain où le chef de l’Etat est acteur de la politique et en même temps visionnaire du politique, ou une conception européenne où la pérennité est assurée par un dédoublement des pouvoirs qui correspond aux deux aspects évoqués. La politique française flotte entre ces deux positions, sans choix, donc inefficace.

La thèse quinquennale est liée à celle d’un monde politique fondant sa décision sur le temps-espace ou la durée-mesure : la quantité est la norme décisionnelle au détriment de la qualité. Elle engendre l’immédiateté de la décision, l’emploi de la communication comme effet d’annonce, l’urgence de l’intervention politique dans tous les domaines et l’interférence normative et législative dans l’éthique et la vie privée. La thèse septennale et celle d’un monde où le rythme du vécu et de l’histoire est pris en compte pour instaurer la finitude dans la direction de la nation. Il s’agit d’utiliser le pouvoir non comme une succession de réaction aux événements, mais comme une durée finie pour mettre en place les éléments à la fois du changement et de la continuité.


[1]J. Freund, L’essence du politique.

[2]G. Burdeau, La politique au pays des merveilles.

07/07/2014

La création dans l'art moderne

Dans son livre « Théorie de l’art moderne » (Editions Gontier, genève, 1968), Paul Klee tente de résumer les données qui différencient la réalité d’un tableau. Il considère qu’il y a trois dimensions spécifiques : la ligne, la tonalité et la couleur. La ligne exprime la mesure du tableau. Ses modalités dépendent de segments, d’angles, de longueur de rayons, de distances focales. La tonalité donne le poids ou la densité du tableau. Elle est faite de contrastes entre les couleurs, de mouvement entre le clair et l’obscur et inversement. La couleur concerne la qualité du tableau. En fait, la couleur contient la mesure et la densité, de même que la tonalité contient la mesure. La couleur est donc la dimension la plus achevée, mais elle n’existe que parce que les autres éléments sont là.

Cependant ces trois données ne suffisent pas à la création. Elles doivent produire des « Formes » ou des objets. Car pour Klee, il y a bien l’Acte, mais au-dessus il y a l’idée dont on doit admettre la primauté. Tout devenir repose donc sur le mouvement, c’est-à-dire la répartition dans l’espace et le temps des formes. L’œuvre d’art naît du mouvement, elle est elle-même mouvement fixé, et se perçoit dans le mouvement.

Ainsi, pour Paul Klee l’œuvre d’art se crée en trois étapes : le mouvement préalable en nous, le mouvement agissant, opérant, tourné vers l’œuvre, et enfin le passage aux autres, aux spectateurs, du mouvement consigné dans l’œuvre : pré-création, création et re-création. Et pour lui, la marche à la forme, dont l’itinéraire doit être dicté par quelque nécessité intérieure ou extérieure, prévaut  sur le but terminal, sur la fin du trajet. Le cheminement détermine le caractère de l’œuvre accomplie. La formation détermine la forme et prime en conséquence sur celle-ci. Nulle part ni jamais la forme n’est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l’envisager comme genèse, comme mouvement… Donc, songer moins à la forme (nature morte) qu’à la formation.

Et par cette sentence, on est plongé à nouveau dans le mystère de la création, cette fois-ci artistique, mais de la même veine que la création de l’univers. Quelle alchimie arrive à produire les formes et le mouvement, c’et-à-dire l’espace et le temps ? Le mystère demeure, même lorsqu’il est vécu de l’intérieur, même lorsque l’artiste s’efforce de saisir ce qui se passe en lui. Il vient un instant, l’instant de la création juste qui transforme la bouillie de magma intemporelle en produit fini, ordonné, intelligent et beau. C’est bien un mouvement, mais qui ne peut être reconstitué dans son ensemble, instant après instant, lieu après lieu. Du rien naît le tout et le tout n’est que par le rien.

21/06/2014

La femme, pile ou… face

Vous ne me croirez pas. Ce matin, comme à l’accoutumée, je partis courir dans les rues, le nez au vent, l’haleine fraiche, le pied léger. Mais je n’ai pas les yeux dans ma poche comme ceux qui courent en se concentrant sur eux-mêmes, sans rien voir de ce Paris qui a toujours quelque chose à montrer, voire à dévoiler. Ce fut le cas ce matin. Je m’échauffais doucement, courant en petites foulées, musardant vers une vitrine, regardant pas les fenêtres ouvertes au quatrième étage (les rez-de-chaussée ne sont jamais ouvertes (ça doit cocoter !), observant les passants de dos avant de les considérer de côté, voire de les examiner de face. Une jeune femme marchait élégamment, décontractée, allant dans la vie la tête haute. Je me préparai à la doubler, quand, en m’approchant, je constatai une certaine dissymétrie dans sa démarche. Que se passe-t-il ? me demandai-je. Elle portait une petite robe légère, à mi-cuisse, noire bien sûr, volante et luisante. Tout d’un coup, en m’approchant, je n’en crus pas mes yeux. Si à gauche elle était bien mise et élégante, à droite, sa jambe montait, montait, si haut que l’on voyait non seulement sa cuisse, ferme et galbée, mais également, chose tout de même assez rare à Paris, sa fesse droite, dévoilée, que je ne décrirai pas. Elle allait sans souci, souriant intérieurement, se racontant probablement des histoires, peut-être pensant à ce jeune homme qu’elle avait rencontré la veille dans une de ces invitations à laquelle on se rend pour voir des gens avec qui l’on parle sans  savoir quoi dire. Du coup, je m'interrogeai, me demandant comment j’allais doubler une aussi charmante égérie. Etonnant même… J’arrêtai ma course, fasciné par cette vision insolite, extravagante et peu usitée. Elle poursuivait tranquillement, inconsciente de ses effets. Sa jambe longue comme un canon de fusil, blanche comme une baguette peu cuite, la chair au plus haut tremblante parfois sur un pas moins souple, me laissait béat. Ah, le feu du boulevard ! Dieu soit loué, il est au rouge. Elle n’eut pas à s’arrêter devant les autres passants. Elle traversa en toute dignité, comme si de rien n’était. Pendant ce temps, je me demandais ce que je devais faire. L’arrêter et lui dire discrètement ce qu’il en était. Continuer à courir après m’être amusé quelques instants. Rester derrière elle pour la protéger. Pendant que je m’interrogeais, elle avait traversé la rue et poursuivait sur le trottoir d’en face. Au moment où j’allais moi-même franchir l’asphalte où ne passaient que quelques rares voitures, je la vis poursuivre sa route, toujours digne, encore plus divine, car redevenue symétrique. Entretemps elle s’était aperçue de sa bévue et l’avait corrigée comme si de rien n’était.

Oui, Paris offre toujours quelque chose à voir d’insolite, de drôle, et même parfois d’extraordinaire. Ses femmes restent exemplaires, jamais troublées, l’œil sur l’horizon, jamais inquiétées par un dérangement involontaire qu’elles considèrent comme un épisode sans importance au regard de leur élégance.

13/06/2014

Vertu et politique

Certains mots vieillissent, comme les humains. On s’en sert sans y prendre garde, et puis, un jour, quelqu’un rit : de quoi parle-t-il ? Oui, vous êtes décalé, ce mot ne s’emploie plus, il est ringard. Ainsi en est-il de la vertu. Certes, l’expression de « femme de petite vertu » s’applique-t-elle toujours à certaines catégories de la gente féminine, mais comme ces catégories ont singulièrement augmentées ces dernières années en raison de la libération des mœurs, on ne l’utilise plus guère.
Du temps des romains, la vertu était synonyme de force. Elle désignait le courage physique ou moral, la force d’âme, la vaillance. Son origine est dérivée de vir qui donna viril et virilité. D’après Caius Marius : « La vertu est la clef de voûte de l'empire (romain), faisant de chaque seconde de la vie du citoyen, une préparation minutieuse aux dures réalités de la guerre, et de chaque bataille rien d'autre qu'un sanglant entrainement ».
La vertu s’est ensuite déclinée en vertus cardinales (le courage, la prudence, la tempérance et la justice), en vertus intellectuelles (la sagesse, la connaissance, l’humilité), en  vertus morales (la charité, la chasteté) ou même théologales (la foi, l’espérance et la charité). Mais ces déclinaisons nous semblent bien loin.
Les Romains étaient-ils aussi vertueux que nos politiques sont obstinés ? Les premiers flottaient dans leur image et montaient au plus haut des opinions, les seconds persistent et signent pour accumuler sièges et mandats. La vertu étant devenue un mot ringard, on lui cherche des équivalents. Celui qui semble le plus proche serait sans doute l’éthique. Ce mot fait plus sérieux, plus philosophique et moins moraliste. On en parle beaucoup, on la pratique peu. Elle est l’objet de débats et de colloques, mais sa pratique reste tiède. Pourquoi s’encombrer d’un moteur de quatre chevaux alors que la puissance se situe sans conteste du côté de la pratique des amitiés politiques. Pourtant la vertu politique, disait Robespierre, est un « sentiment sublime qui suppose la préférence de l'intérêt public à tous les intérêts particuliers ; d'où il résulte que l'amour de la patrie suppose encore ou produit toutes les vertus : car sont-elles autre chose que la force de l'âme qui rend capable de ces sacrifices ? Et comment l'esclave de l'avarice et de l'ambition pourrait-il immoler son idole à la patrie ? ».
Au siècle précédent la vertu restait à l’honneur, mais de manière plus personnelle. Elle désignait une personne propre et devenait synonyme d’austérité. Les grandes figures morales devenaient  des hommes ou des femmes à principes, pratiquant la chasteté, la fidélité, l’honnêteté. Mais ces façades cachaient beaucoup d’hypocrisies.
La vertu existe-t-elle encore ? Oui, certes. L’utilisation de la locution en vertu de reste un pied de nez littéraire, une culbute des artistes de la parole comme des hommes de loi. Et lorsqu’elle est employée dans la formule magique en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, on atteint le fond de l’hypocrisie politique. Cependant, la vertu républicaine est remise à la mode, mais une mode fantoche.
Le mot vieilli. Et pourtant, n’est-elle pas belle cette qualification de vertueux ? Elle me fait penser immanquablement à la personne qui s’enduit de crème transparente pour errer dans le monde et se glisser entre les colères et autres luttes sociales, au-dessus du lot et des foules.
Aussi, je m’interroge : quelle est ma vertu première ? Je n’ai pas encore trouvé.

09/06/2014

Course

Je suis seul dans l’appartement. Vacances ou oppression ? Je ne saurai le dire, tout dépend du moment. Ce matin, vint le moment de se demander ce que je vais me faire à déjeuner. Un rapide coup d’œil dans le frigo met en évidence quelques biens appauvris, insuffisants ou inadaptés pour un repas. L’entrevue du placard à provision n’attire pas non plus l’appétit. J’en conviens, il est temps de faire quelques emplettes pour se sustenter. Je m’empare de la chariote (appellation ancienne et plus sympathique du chariot à provision), fais mentalement l’inventaire de ce que je désire acheter, prends mes clés, claque la porte, descends l’escalier et sors de l’immeuble.

Elle est légère, roule avec facilité, ne fait pas trop de bruit, bref ma compagne est docile, sauf lorsqu’il s’agit de franchir un trottoir. S’y prendre de face ou pas du tout ! J’arrive à la superette du coin et abandonne à son sort ma chariote quesociété,quotidien,vie,expérience je troque contre un engin à roulettes sur lequel on enfile des paniers en plastique. C’est pratique, mais quel étrange ballet que tous ces gens qui, après leurs achats et ayant récupéré leur chariot personnel, retirent les paniers, les entassent sur les autres et posent leur engin dans un coin prévu à cet effet. D’autres attendent presque pour le reprendre et y installer à nouveau des paniers. Je regarde cinq minutes cette étrange chorégraphie avec son rituel immuable, plus ou moins bien exécuté. Les jeunes filles le font en papotant, sans se soucier des difficultés. Les jeunes gens sont moins à l’aise, ils tâtonnent pour trouver les crochets où enfiler les encoches des paniers. Les veilles dames le font par habitude, mais le panier d’en bas est mal encastré sur l’engin. Les femmes sont généralement détachées, considérant cela comme un mauvais moment à passer, sans plus. Les hommes en costume (pas tous) qui passent avant de se rendre au travail pestent de devoir assembler leur véhicule avant de pouvoir s’en servir.

Ca y est, le portail est franchi, je suis dans le magasin. Quel désordre. Des caisses entre deux rangées de conserves, des paquets devant les victuailles, des hommes et des femmes au plastron rouge, couleur du magasin, s’activent pour entreposer les produits à renouveler. Oui, le patron a décidé de remplir ses étals à l’ouverture du magasin. Cela lui revient moins cher que de le faire au petit matin. Les engins mis à disposition des clients n’apprécient pas ce mélange des genres. Heurts permanents, non passage par telle allée, celle où justement je dois aller, carambolage d’amas de conserves mal équarries, la cohabitation est difficile. « Pardon Madame ». Elle tient le milieu de l’allée et l’on ne passe ni à droite, ni à gauche. On ne peut cependant passer au-dessus. Absorbée en contemplation d’une boite cartonnée surchargée de couleurs éclatantes, elle s’interroge vainement pour savoir si elle va l’acheter ou non. Je fais demi-tour plutôt que d’attendre. Oui, c’est vrai, les hommes, surtout en course (pas d’automobile, ni même à cheval), n’aiment pas attendre. Je finis par atteindre le fond du magasin, là où se trouvent les boissons (toujours au plus loin des caisses), lieu que l’on atteint alors que les paniers sont déjà pleins et que les bouteilles peinent à s’encastrer entre les paquets déjà accumulés. Je commence par-là, mais je dois pousser le poids des boissons pendant toute ma pérégrination dans les couloirs et impasses de l’établissement. Mon Dieu, où trouver le poivre en grains que je dois acheter depuis quinze jours ? J’erre dans les couloirs, cherche de haut en bas et de droite à gauche, change de rayon, parcours la moitié de la boutique, pour finalement demander à une charmante employée où il se trouve. Elle cherche trente secondes et m’envoie à l’autre bout. « Merci ». Je m’y dirige, à moitié convaincu de la véracité de ses dires. Mais oui, il est bien là trônant dans un rayon. Mais il n’est pas seul. Il y en a de toutes sortes et de tous emballages. Lequel choisir ? Bref, je prends le premier qui me tombe sous la main et me dirige vers les caisses.

Dernier acte : l’inventaire. Il faut du temps pour s’infiltrer entre les chariots bourrés de toutes sortes de choses. Je finis par m’installer derrière une ménagère au sourire avenant. Quel bonheur. Quelqu’un qui sourit et vous regarde avec gentillesse. Devant elle une autre femme dépose sur le comptoir roulant au caoutchouc mal en point ses victuailles. La caissière venue des îles ne regarde personne. Elle fait défiler les objets qui se présentent devant la glace de son enregistreur, bip…bip…bip… Elle fait défiler son tapis roulant pour alimenter ses mains dévoreuses jusqu’à plus soif. Elle appuie sur un bouton : Dringlllll… Elle empoche l’argent et recommence son manège avec la dame qui me précède. Ah ! Un produit n’est pas étiqueté. Que faire ? Elle sort de sous ses jambes un téléphone, appelle la direction qui détache un spécialiste en patins à roulettes dont la tâche principale est le déplacement rapide dans les allées encombrées. Il zigzague, saute un panier, demande pardon, pardon, pardon… et revient avec célérité : trois euros vingt. La caissière tape et reprend son manège.

Enfin, c’est à moi. Je déballe modestement mes quelques achats non encore payés sur le tapis roulant, passe devant la dame des îles et les récupère, plus lourd cette fois du prix affiché dans la machine. Je sors ma carte, celle qui paye sans que l’on ait besoin de billets. Il y a bien un numéro à taper, mais je le connais par cœur et cela ne me fait ni chaud ni froid. Ca y est. J’ai récupéré ma chariote, entassé mes boissons et victuailles, et franchi en vainqueur la porte de sortie, la tête haute, tirant sur la poignée de ma réserve personnelle comme un joueur de golf avec son attirail. Oui, je ne m’en suis pas mal sorti ! Mais je ne ferai pas cela tous les jours !

03/06/2014

Envie et espoir

L’envie, un besoin, un impératif très enfantin qui glisse vers l’adolescence et l’âge mûr jusqu’à encore émettre son clignotant dans les dernières années. « Oh, Maman, j’en ai tant envie ! » Et vous attendez ce jour de Noël avec une impatience extrême jusqu’au moment où vous l’avez. C’est bien dans la jeunesse que les envies sont les plus impérieuses. Adolescent, un cyclomoteur fut l’objet d’une folle expectative, avec ses rebondissements, ses pleurs et la joie de la possession.

Il y a trois types d’envie. Le plus simple et qui n’est nullement répréhensible est le désir d’avoir ou de faire quelque chose, que quelque chose arrive. C’est une convoitise qui vous prend à la gorge, qui obsède vos pensées, qui vous rend malade jusqu’à sa satisfaction. Ainsi en est-il de l’homme qui achète une voiture hors de prix et qui invite sa femme à faire un tour pour lui dévoiler sa merveille. Il en est de même de la femme qui a acheté une robe également hors de prix et qui invite son mari à l’admirer le soir après un bon diner bien arrosé. Seule la banque ne s’en remet pas.

Un deuxième type d’envie, plus ennuyeux à gérer, est le désir de ce qu’un autre possède. On entre alors dans la démesure. On est prêt à dépenser beaucoup plus que ce que nous mettrions normalement. Prêt à se presque ruiner pour montrer que l’on peut posséder la même chose, que l’on est aussi riche, aussi pourvu, bref mettre en avant l’orgueil, la vantardise et le satisfecit. Ce genre d’envie, une fois satisfait, ne vous donne plus cette tension raisonnée du corps et de l’esprit pour l’objet convoité. Vous l’avez, votre envie est passée… La vie continue.

Le troisième type d’envie est ce sentiment de frustration face au bonheur d'autrui et à ses avantages. C’est un désir qui ne peut être satisfait. Il vous fait mourir à petit feu. Vous tendez la main au travers des grilles d’une prison imaginaire, la paume vers le ciel sans attendre qu’il y tombe quelque chose. Vous le savez, mais ne pouvez vous en empêcher. Votre esprit se rapetisse, vous vivez dans une boite de sardine à rêver d’une vie hors de proportions avec vos compétences et à vos aspirations. Désir fréquent que celui de l’envieux de la vie de l’autre. C’est un moteur tyrannique qui a ses bons et mauvais côtés. Mieux vaut l’abandonner en chemin et partir à l’aventure sans savoir où l’on va.

Et pourtant, peut-on perdre toute envie ? Peut-on vivre sans désir ? C’est ce passage de l’envie à l’espoir qui marque le tournant d’une vie. L’espoir est sans envie. Il illumine le parcours sans jamais le contraindre. Il éclaire la pensée et l’action sans jamais y mêler le désir. C’est un guide qui conduit au bonheur que l’on n’atteint bien évidemment jamais totalement. Mais ces plumes caressantes du bonheur suffisent à combler une vie agitée. Trop, c’est trop !