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23/04/2015

La culture

La culture est devenue un enjeu international. Tout est devenu culturel, de la manière de manger la salade à la Pop vision des jeunes. Mais qu’est-ce que pour toi la culture ?

Soyons simple : la culture est ce qui te permet de sortir du cocon de l’enfance pour te métamorphoser en véritable adulte.

La culture a donc un aspect individuel et un aspect collectif qui sont liés. La culture collective est nécessaire pour faire naître en chacun une culture individuelle qui, à son tour, va enrichir la culture collective. Il n’y a donc pas d’opposition philosophique ou politique entre les deux aspects, mais au contraire une complémentarité nécessaire qui enrichit l’humanité. La culture collective donne une identité à une société, la culture individuelle fait évoluer cette identité. La culture est donc vivante au même titre qu’une personne, elle peut se magnifier comme elle peut s’étioler. Elle a besoin de bases solides pour s’épanouir, mais elle a également besoin d’innovation, d’imagination et d’audace pour poursuivre sa route. Elle prend alors toute sa mesure : dans le présent, utiliser le passé pour construire l’avenir.

17/04/2015

L'art en creux 3

Dernière caractéristique de l’art contemporain, il met en scène la nouveauté. On peut tout faire à condition que ce soit innovant. Il ne s’agit plus d’aller au bout des idées, il s’agit d’aller au bout de l’art : un tableau d’une seule couleur est le summum du raffinement, une exposition qui ne montre rien fait rêver, un dessin15-04-16 Pierre manzoni.jpg d’enfant est plus artistique qu’un tableau de maître. L’inversion des aspirations artistiques devient la nouvelle normalité : l’idée même de la nouveauté est plus importante que la nouveauté exprimée au travers d’une œuvre. Enrobé d’un langage inintelligible, exaltant une idéologie de l’inédit, l’art devient un monde en soi, isolé du monde réel, magnifié par ses fans, soumis à l’exaltation de l’argent.

Alors si tu veux être artiste, consacre-toi à trouver ta nouveauté, ton style, ton idée originale, innove et tu seras entraîner vers les vertiges de la gloire. Peu importe ce que signifie cette nouveauté. Elle doit être originale, provocatrice et permettre de communiquer, un point c’est tout. Peu importe la beauté, ce n’est qu’un attribut accessoire.

Enfin, et pour ne pas médire sans cesse sur la dégénérescence de l’art, notons que dans certains cas, la représentation de certains aspects du monde moderne peut atteindre une certaine beauté : beauté de l’ambiance de certaines banlieues, beauté de certains sites industriels inutilisés, beauté de certains personnages ou de certaines attitudes. Certes, ceci est rare, mais néanmoins cela existe.

Au fond, c’est également au spectateur de trouver la beauté là où beaucoup ne voient que le laid, le vulgaire, l’immonde. C’est notre œil qui doit s’exercer à voir le beau quoi qu’il arrive. C’est une disposition intérieure qu’on oublie facilement, mais qui dépend de notre volonté, comme le bonheur. Alors, continuons à ouvrir les yeux sur ce que proposent les artistes, quels qu’ils soient, prenons de la hauteur, ne jugeons pas, laissons-nous porter par notre ressenti et laissons tomber tout ce qui ne nous élève pas.

15/04/2015

L’art en creux 2

Un autre aspect de l’évolution de l’art et donc de sa vision en creux est son passage d’une conception élitiste à une conception protéiforme, non seulement dans l’idée même de l’œuvre, mais également dans ses techniques et ses matériaux. Il y a un siècle, l’art utilisait comme support un matériel dédié aux artistes : toiles tendues sur des cadres, bois, murs, etc. De nos jours tout support peut être utilisé, y compris le corps humain, la boue, les déchets, etc. La peinture était le médium de l’art pictural. Elle devient accessoire, utilisée avec d’autres moyens ou même remplacée par le verre, le plastique, l’espace (on met en scène une galerie vide) et bien d’autres choses encore. Tout sert à l’art, tout est art en puissance, ce qui brouille les cartes et contraint les amateurs et professionnels à un élargissement périlleux de leur savoir et de leur conception de l’art. Du coup, l’art apparaît comme dérision, mise en scène, sans aucun effort d’élévation et designification de l'art,art moderne,art contemporain,société,sens de la vie recherche de beauté. Un exemple : Darren Almond travaille sur le passage, la durée et l’expérience du temps. Il analyse le paradoxe qui veut qu’un moment passe lentement ou rapidement selon les circonstances dans lesquelles on se trouve. Il s’intéresse également aux différences entre les représentations analogiques et numériques du temps (Art Now, Taschen, 2005, p.20). Ici l’idée de l’œuvre importe signification de l'art,art moderne,art contemporain,société,sens de la vieplus que sa représentation purement matérialiste telle qu’une pièce avec deux portes et un immense ventilateur au plafond. Autre exemple avec le Body Art : mise en scène photographique de scarification avec une lame de rasoir, de Gina Pane (Azione Psyche, 1974, Performance à la galerie Stadler à Paris).

L’art est aussi protéiforme parce qu’il se veut beaucoup plus proche de la réalité qu’auparavant (les sujets empruntent à tous les aspects de la vie) et, en même temps, séparé de la réalité. Les frontières de l’art repoussent la réalité etsignification de l'art,art moderne,art contemporain,société,sens de la vie permettent d’aller plus loin, dans des zones soit mystérieuses, soit dangereuses parce que choquantes. Maurizio Cattelan exhibe ainsi Hitler à genoux en train de prier, le pape Jean-Paul II,signification de l'art,art moderne,art contemporain,société,sens de la vie couché, tenant sa croix, écrasé par une météorite apparemment tombée du ciel (des éclats de verre sur le sol en témoignent).

Bref, tout est art et rien ne devrait empêcher l’art de conquérir le monde. On peut se demander si ce ne serait pas un des buts inavoués des artistes contemporains. Magnifier le monde et leur personne en les transformant en idéal à atteindre. Ce serait bien sûr un idéal en creux, l’inverse d’une élévation dans laquelle l’artiste sort de lui-même pour devenir universel par sa puissance créatrice. Le nouveau regard de l’art sur le monde serait alors plutôt un regard nombriliste : l’art permet n’importe quoi, pourvu qu’il exalte la propre représentation du monde de l’artiste. C’est bien un mouvement inverse de l’élévation que le marché de l’art est en train de promouvoir, au travers des artistes, des galeristes, des marchands et des spectateurs, voyeurs et autres humains.

13/04/2015

L’art en creux 1

Longtemps l’art est apparu aux hommes comme une construction positive s’échappant au dessus de l’horizon et montant vers le ciel pour émerveiller l’homme et lui montrer la voie de la beauté et donc de la sagesse. L’art dessinait au-dessus du quotidien une ville imaginaire où tout n’était que grâce.

Cette nuit, en un éclair subtil, l’art m’est apparu en creux, s’enfonçant dans le globe, le creusant de sillons profonds. Une inversion de sa recherche primordiale. Quelle image ! Cela signifie-t-il quelque chose ou non ?

En premier lieu, on peut naturellement s’interroger sur la dégradation de la notion d’art. L’art peut-il abaisser ? Quitte à passer pour rétrograde, je pense que oui. Mais cette tendance de l’art a toujours existé. L’art a toujours généré des tricheurs, des voleurs d’idées, des initiateurs de fausses vérités, des profiteurs, un marché et ses conséquences à moyen terme sur la notion d’art. Sans doute cette tendance s’est développée avec l’évolution de la société, les technologies de reproduction, la photographie, l’enregistrement, le cinéma, Internet et tout ce qui permet de reproduire et diffuser l’art, voire de fabriquer de l’art, quel qu’il soit. L’art peut abaisser, dégrader l’homme dès l’instant où il perd de vue sa priorité : l’expression de la beauté.

Mais s’arrêter à cette image négative d’une dégénérescence de l’art resterait surement insuffisant pour expliquer cette vision. La deuxième moitié du XIXème siècle et une bonne partie du XXème siècle a vu s’établir le mouvement moderne.signification de l'art,art moderne, art contemporain, société, sens de la vie Incontesté durant six décennies, il a perdu à son tour sa suprématie, mais il n’a pas été remplacé par une seule et unique orthodoxie. La quatrième de couverture du livre d’Edward Lucie-Smith, intitulé L’art aujourd’hui (Editions Phaidon, 1999), explique que les artistes, les critiques et le public sont désormais confrontés à une situation d’une variété et d’une complexité sans précédent. L’argument central de l’acteur est que le monde de l’art n’est plus hiérarchique, mais pluriel, et que ses structures, si tant est qu’elles existent, sont provisoires. L’art dresse aujourd’hui  dresse la carte d’un monde instable. Pour étayer sa thèse, il établit une cartographie de toutes les tendances de l’art depuis les années 1960-70. Cela passe des survivances de l’art moderne, tels que les suites du pop art, la survivance de l’abstraction, l’art minimal et l’art conceptuel, le Land Art, le Body Art,, le Néo-Dada, le néo-expressionisme, à une analyse géographique : la peinture figurative britannique, le nouvel art de New-York, l’art américain hors de New-York, l’Amérique latine, l’art de la pérestroïka, l’Extrême-Orient, l’art africain et l’art afro-antillais, et enfin une analyse sociologique : les minorités raciales, l’art féministe et l’art homosexuel. Cette profusion de mouvements et de conceptions de l’art s’attaque à l’image même de l’art. L’art s’attache à tout ce qui fait l’homme et non plus seulement à ses impressions, aux sentiments et idées qu’il fait naître dans la société. L’art s’est élargi jusqu’à perdre son âme, pour certains, ou à embrasser le monde, pour d’autres. Il explore tous les aspects de la société et ne cherche plus seulement à en donner une image. Alors, il apparaît normal que de nombreuses facettes de cette nouvelle vision de l’art apparaissent en creux.

(suite à venir)

09/04/2015

Le doute

Si je me trompe, j’en conclus que je suis, car celui qui n’est pas ne peut pas se tromper, et par cela même que je me trompe, je sens que je suis.

Saint Augustin

 

Le doute est intrinsèque à l’homme. Mais aujourd’hui le doute ne permet plus de douter. On ne peut que douter et ne croire à rien. Et ce doute devient, non pas une délivrance, mais un carcan qu’impose l’intelligentsia. « Il est interdit de douter de notre parole. Ne croire en rien, ne s’appuyer sur rien et subtilement sortira la vérité », disent ces personnes. « Ne pas apprendre, ne rien enseigner, confronter, cela seul mène à l’homme nouveau délivré de la hiérarchie de la famille et de la société ».

Quand le doute devient la seule vérité, le monde et l'être régressent. Mais inversement, le monde se porte bien lorsque le doute est le contrepoids de la certitude.

04/04/2015

L'escalier

Chaque nuit, le premier jour, la première nuit le hantent. Alors se lever devient une délivrance. Dans le noir et les lueurs de la rue, il descend l’escalier. C’est une plongée dans les pensées, dans un passé perdu et un avenir à trouver. C’est le début d’une méditation. Insolite, certes ; mais vivante et transitoire.

L’escalier est étroit. C’est un trou dans un coin de la maison, encombré d’objets hétéroclites, tels que balais, sacs, bouteilles pleines, à boire les jours de spleen. Il y passe pour se simplifier la vie. L’autre, le grand escalier, encombré de livres et d’enfants ne sachant s’ils veulent monter ou descendre, est celui des jours de la normalité. Ici, c’est le puit sans fond, le hoquet dans la perception, l’effondrement des sensations. En descente, il n’y prend pas garde, tendu vers la cafetière. Une fois le breuvage pris, les secondes ont une autre dimension. Ragaillardi, il sort de la cuisine. Il éteint la lumière. Le réverbère suffit pour éclairer la première marche. Les autres se montent dans l’automatisme de la cadence d’une ritournelle. Il s’engouffre à l’entrée de l’échelle, plein des rêves d’enfance.

Cet escalier, c’est sa galerie. Elle est étouffante. Les tableaux se précipitent sur vous, collent à la rétine, vous dépouillent de vous-même, vous enserrent d’abstraction géométrique. Oui, ne sachant plus ou les mettre, il a trouvé ce recoin, cette descente en lui-même, ce puits sans fond de l’inspiration. Il y a encore quelques vides, à remplir au fil du temps et des toiles vierges achetées à la ville voisine. Il monte les marches une à une, souvent sans y penser. Mais ce matin, un pincement au cœur l’a surpris. Pourquoi ? il ne sait. En un instant, il s’est dissous dans la cage étroite, devant la géométrie abstraite. Sa vie résumée dans un placard garni d’images qui ne représentent rien. Désespoir ? Non… Délivrance…

Un courant d’air l’aspire vers le haut, ses cheveux se dressent sur la tête, c’est une chute à l’envers qui lui coupe le souffle. Il monte en spirale, à la vitesse de l’éclair, dans une ascension fulgurante, contemplant ses tableaux comme un ultime rêve à abandonner aussi. Aïe ! Il se cogne la tête au plafond. Il se retourne, les bras en croix, scotché sur le bouchon du puits de l’abstraction géométrique. Quelle singulière familiarité ! Un résumé qui sent la nuit, ouvert sur le vide. Et peu à peu, son corps traverse le plâtre, les tasseaux, les tuiles et s’évade dans l’obscurité qui finit sa java endiablée.

Le rythme des pas montant les marches, la lente progression de la main sur la rampe, le froid qui le saisit lentement, le rappellent à lui-même… Oui, il est encore là, bien vivant, éveillé. Arrivé en haut des marches, il se retourne et contemple toutes ces toiles emplies de signes géométriques. Un résumé…

02/04/2015

Salomon, au secours : Quel est le prix de la vie ?

Quelle question, me direz-vous ? Et pourtant, cette question est bien d’actualité avec la catastrophe de l’Airbus A320 du 24 mars : de combien indemniser chaque famille. Mais la vraie question est : au-delà et de manière plus fondamentale, certaines vies valent-elles plus chères que d’autres ?

Deux thèses s’affrontent :  

  • oui, en fonction de ce que gagne Monsieur Untel, PDG de telle boite et de nationalité américaine, il est normal que les indemnités à verser soient beaucoup plus importantes que celle d’un simple employé d’un pays du tiers monde. La même somme versée à tous entraînerait des disparités importantes : le coût de la vie étant différent d’un pays à l’autre, l’employé pourrait être millionnaire alors que le riche ne recevrait qu’une somme dérisoire.

  • Non, « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » (Article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme) et « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté » (article 2). Nos hommes politiques, nos magistrats, notre société dans l’ensemble, considèrent-ils que certains hommes sont au-dessus des autres parce qu’ils sont plus riches, plus connus ou de telle ou telle nationalité ? Dans ce cas, que ces gens ne nous parlent plus de démocratie ou de république. Nous sommes dans la dictature de l’argent.

Quel dilemme !

Alors, reprenons le raisonnement à la base. A qui verse-t-on de l’argent ? Aux victimes ou aux familles des victimes ? Si ces sommes sont versées aux victimes en raison de leur décès, le point de vue de l’égalité des droits semble la bonne approche, bien que le problème de l’appartenance à tel ou tel pays crée automatiquement des disparités anormales qui peuvent cependant se calculer. Si les sommes sont destinées à indemniser la famille d’un préjudice financier en raison de la perte de celui ou celle qui apportait un revenu à sa famille, le point de vue d’un traitement différent est justifié.

Rappelons qu’il existe deux types de préjudices. Un préjudice économique : manque à gagner subi par le conjoint ou les enfants qui dépendaient financièrement du disparu (la somme allouée varie donc en fonction de la profession ou de l'âge de ce dernier). Un préjudice moral qui concerne la famille au sens large : conjoint, enfants, petits-enfants, frères et sœurs ou même oncles et cousins.

La convention de Montréal prévoit un plafond d'indemnisation de 142.000 euros par victime, si la compagnie aérienne démontre qu'elle n'est pas à l'origine de la catastrophe. Ce qui n’est pas le cas présent. Cette indemnisation est automatique pour les victimes, précise Maître Jean-François Carlot, avocat spécialiste en droit des assurances. La convention ne précise pas s’il s’agit d’un préjudice moral ou économique. Selon les barèmes moyens appliqués en France, la perte d'un frère ou d'une sœur peut être évaluée jusqu'à 12.000 euros, le décès d'un enfant vivant hors du foyer peut être estimé entre 12.000 et 20.000 euros et la mort d'un conjoint à 30.000 euros. Pour la réparation du préjudice économique, il faut reconstituer les ressources de la victime au moment du décès et dans ses perspectives d'évolution, ce qui permettra de dégager un salaire qui servira de base à l’indemnisation.

Mais en juin 2009, Rue89 posait la question, à la suite du crash meurtrier du vol Rio-Paris d'Air France : « un Américain vaut-il seize fois plus qu'un Européen? » Selon les calculs de  Sarah Stewart, avocate londonienne représentant des familles de victimes qui accusait AXA, l'assureur d'Air France, de les indemniser différemment en fonction de leur nationalité : « pour un Américain, les assurances verseraient 4 millions de dollars (soit 2,98 millions d’euros), pour un Brésilien 750.000 dollars (soit 560.000 euros), et 250.000 dollars (soit 186.000 euros) pour un Européen ».

La différence est-elle juste ? Est-il normal que l’Américain touche 16 fois plus qu’un Européen (encore que nous ne sachons pas quel métier celui-ci avait, quelle était sa situation familiale, etc.) ?

J’ai d’abord été scandalisé de ces différences du prix de la vie d’une victime. Devant la mort nous sommes tous égaux, me disais-je. Après réflexion, il m’apparaît que c’était une vue simpliste. Il est normal que selon les cas et les pays des différences apparaissent. Mais inversement, il est anormal que ces différences soient aussi importantes. Là, il y a matière à en discuter devant une juridiction : les différences du coût de la vie entre les pays s’apprécient sans difficulté ; cela pourrait au moins être réglementé d’une manière ou d’une autre. Mais le préjudice moral, comment l’apprécier ?

Salomon aurait-il une réponse à apporter à ce dilemme ?

 

23/03/2015

Un sourire

Hier, vous avez ouvert les yeux après une nuit réparatrice et ceux-ci sont tombés sur une revue qui traînait au pied du lit : un homme, mââle bien sûr, vous regardait d’un air méchant. C’était un dur et il le montrait (il n'était bien sûr pas rasé). En bas, à droite, en petit, une fiole de parfum, pour mââle évidemment. Il y a quelques années, les publicitaires auraient mis en évidence le charme souriant d’un homme à sa belle épanouie profitant de cette suavité. Aujourd’hui le sourire est devenu rare. Il est ringard. L’homme qui sourit n’est pas un homme, il n’est pas mââle !

Et, comme par mimétisme, les « femmes magazines » vous regardent elles aussi d’un air agressif, l’oeil passant sur vous sans vous voir, préoccupée de leur beauté profonde, inatteignable et insensible. Parfois même, les deux êtres se rencontrent, dans un décor de rêve, tout de jaune, pêche, paille, abricot, clémentine et autres fruits. Ils se croisent, mais ne se voient pas. Ils virevoltent en s’écartant et finissent par se rapprocher, prêts à s’écharper, pour un cannelé de Bordeaux. La colère gronde en eux, un seul pourra le déguster. Quelle merveilleuse idée, pense le publicitaire : l’exaltation de la lutte des sexes pour une bouchée de sensation gustative.

Deux jours plutôt, vous aviez assisté au compte-rendu d’un défilé de mode : jeunes femmes fil de fer qui ont du mal à supporter le poids de robes pourtant ajourées, marchant d’un air agacé et hautain, le visage fermé comme il se doit actuellement. La beauté disparaît derrière le dédain, la plénitude des formes s’essouffle du manque de matière. Elles ne sont plus évaporées. Elles s’évaporent réellement, fantômes revêtus de brillance pour cacher l’inexistence.

Devant la résistance du sourire français, les Américains ont imposé la photo sans sourire. Il paraît que l’on reconnaît mieux les terroristes parce que ceux-ci ne sourient jamais. Donc, logique technocratique, si trois pour cent de la population ne sourient pas, il faut imposer à tous de ne pas sourire sur les photos de passeport, car il est possible que pour passer inaperçus, les terroristes simulent et se mettent à sourire sur leur photo.

Surtout n’ayez pas l’inadvertance dans le métro de sourire à une femme. C’est une injure pour elle. Seuls les sourires destinés à leur enfant sont acceptables et acceptés. Quant à un homme, il en reste ébahi et vous regarde sans comprendre. L’échange de deux sourires n’est admissible qu’à propos d’un tiers qui ne se rend pas compte qu’il vient d’être l’objet d’une compréhension humoristique de son attitude insolite. Mais ces sourires ne durent qu’un instant. Comment ai-je pu me laisser aller à sourire à quelqu’un, pensez-vous aussitôt.

Parfois, il arrive, un dimanche matin, dans une bonne humeur décontractée, qu’une jeune fille vous sourit. Et vous lui répondez, sans penser à mal. Et cet échange est un événement exceptionnel. La barrière est tombée. Sans aucune intention malveillante, ensemble, vous avez renoué avec un humain, en toute liberté, parce que vous vous sentiez bien. Quel baume merveilleux : la pureté dans un monde trafiqué d’arrière-pensées. Alors vous poursuivez cette première expérience. Vous souriez à votre voisin. Et il vous rend votre sourire ! Vous souriez à la dame assise en face de vous. Elle vous répond d’un éclair des lèvres avant de se refermer. Et bientôt, la voiture entière, ou presque, se sourit discrètement. Ah, oui, c’est le printemps depuis deux jours et même en l’absence de soleil, les cœurs se réjouissent.

Tiens... Mais c’est votre station. Il faut sortir ! Vous souriez à tous et sortez, léger, lévitant parmi ceux qui, de noir vêtus, n’ont pas encore tenté un sourire candide.

20/03/2015

La mode à Paris

Hier, je me promenais dans le quartier du Palais royal et marchais en contrebas d’un trottoir. Ne plus voir que les pieds de nos concitoyens représente un privilège certain. Ils sont beaux, épanouis et nantis. Beaux en partie par les tiges qui en sortent, fines et racées, revêtues de soie hors de prix qui lâche tous les trois jours. Epanouis, par l’aisance avec laquelle ils marchent et devisent ensemble, tapant du talon avec force et plaisir. Nantis enfin, car suivre la mode exige des sacrifices financiers : se priver de repas pour acheter les précieuses chaussures n’est pas à la portée de tous. Mais tous doivent porter ces chaussures sous peine d’être exclus de l’appellation « parisienne » qui signifie l’être féminin le plus admirable au monde.  

De quoi sont-ils chaussés ces pieds des parisiennes si élégantes ? Eh bien, de boots évidemment ! Je n’avais jusqu’à présent jamais ouvert les yeux devant mode,élégance,chaussures,féminitécette réalité : neuf parisiennes sur dix portent des boots, bottes ou chaussures montantes. Elles arborent ces êtres mi-autonomes, mi-admirables et admirés, garnissant les pieds petits et si mignons de ces demoiselles ou dames joyeuses, enjôleuses et cajoleuses, devenus symbole haut et fort de l’élégance française (je n’ai pas encore eu l’occasion de mesurer la même attractivité pour ces hauts de chausse chez nos voisins). Et ils passent là devant moi, piétinant le pavé, laissant monter du sol quelques poussières mal venues, écrasant un mégot jeté là par hasard. Ils sont nombreux, battant la semelle, plus nombreux encore courant en tous sens, rares ceux qui s’arrêtent et se font face, encore plus rares, les derniers des mohicans, arrêtés face à face, dont une paire se dresse sur la pointe des pieds pour que sa propriétaire devienne objet d’amour. C’’est le printemps, ou presque, et cela signifie tout : la chaleur du bitume confronté au soleil, l’ardeur de la jeunesse à se rencontrer, les interjections entre les sexes, jusqu’aux caresses de lèvres vagabondes qui se rencontrent par inadvertance.

Il est évident que les boots, de par leur forme et leur attrait, facilitent la prise de connaissance. Certains ne sont cependant pas très abordables : lanières de cuir, noirs évidemment, agrémentés de clous dorés et de talons ferrés. D’autres sont plus amènes : cuir aussi, mais tannés et brillants de tous leurs feux, ou encore en peau, rouge ou jaune, souples comme la queue des lézards en vadrouille. Sans voir la tête des demoiselles au-dessus de leurs chaussures, j’en devine qui se contemplent les doigts de pied avec bonheur : « Quelles sont belles ces chaussures. Je les ai payées un peu chers, mais vraiment, c’est le top du top ! » « Elles montent royalement les escaliers », se disent entre elles les jambes en l’air. Alors elles redescendent pour se laisser remonter d’un pas plein de dignité cachée, d’envie suscitée ou de plaisir non dissimulé.

2.pngD’autres, il est vrai, ne font guère parisiennes. Mais c’est cela le chic, ne pas avoir l’air de ce que l’on est, n’en montrer qu’à demi l’existence tout en ayant l’air de dire : « Tout ceci, c’est pour ceux qui veulent frimer ! » Mais au-dessus de ces bottines s’étend un pantalon hors de prix et une petite veste, trop petite, qui fait tourner les pieds de nombreuses autres chaussures montantes.3.png

Certaines se veulent royales, couronnées de colliers, brillantes comme un sou neuf, surmontées d’allumettes désirables gainées de bas innocents. Ceux-ci ne fréquentent que leurs semblables, des êtres de qualité, portés par des personnes remarquables et remarquées.

Enfin, les impériales, simples, mais ornées de cheveux qui donnent un air de fête et font dresser sur la pointe les pieds qui les portent. Peut-être s’exercent-elles à ces rapports particuliers de printemps dont nous avons parlés tout à l’heure, ou encore s’extasient-elles en se contemplant à la devanture d’un magasin.

 

Une fois de plus l’excellence parisienne se manifeste ouvertement aux yeux du monde. Tous et toutes dans le même moule, mais quel moule, celui d’un hors normalité que tous arborent.

 

26/02/2015

L’appel du grand large

Ce matin, après avoir fait quelques corrections sur un livre en préparation, j’ai tout d’un coup senti cet appel, celui du grand large. Non pas celui d’une mer ou d’un océan réel, mouillé et brouillardeux. Mais celui, plus subtil, de ce monde invisible qui hante les nuits et les rende douces de mystère inattendus.

Vous êtes dans vos pensées et… le vide. Ce n’est pas un vide comme les autres, plutôt une éclaircie qui efface tout le reste : le physique, le psychologique, le rationnel et même l’irrationnel. Une page blanche, lumineuse et numineuse[1]. C’est un choc ! Quel don du ciel. Plus un regret, plus un souci, plus même une pensée plaisante. Il n’y a plus de pensée, que ce vide ouvert devant vos yeux, que vous contemplez comme le Graal.  Vous n’êtes plus votre corps. Il a pris les dimensions d’un monde nouveau, élargi, vous donnant l’impression d’un doux tremblement qui, par ses vibrations, étend votre perception jusqu’à l’infini sans rencontrer une seule résistance. Pas un grain de poussière. L’azur plein les yeux, les yeux pleins de larmes de remerciement pour cet instant de grâce. Plus rien ne vous retient dans ces circonstances puisque tout a disparu. Vous baignez dans votre propre félicité acquise vous ne savez comment. Vous y êtes bien. Vous ne cherchez pas à vous y accrocher. Elle est là, elle vous entoure, elle vous caresse, mais elle n’est rien. Vous vous êtes évadé et vous ne le savez pas. Vous errez entre les étoiles, regardant un astre, vous réchauffant à un soleil, poussant toujours plus l’exploration de cette terre nouvelle, jusqu’aux confins du visible. Vous vous dilatez dans cette immensité jusqu’à revêtir son vêtement d’invisibilité. Votre peau n’est plus qu’une enveloppe transparente qui laisse passer toutes les ondes minuscules qui vous font percevoir la réalité impalpable de cet au-dehors qui est aussi un au-dedans et un au-delà.

Peu à peu, le monde revient à vous. Vous vous grattez la tête, vous changez de position, une sensation efface cette absence, une émotion la remplace, un sentiment vous prend votre liberté infinie acquise vous ne savez comment. « Retour sur terre », vous annonce d’une voix d’hôtesse, votre horloge intérieure. La vie se remet en route, par les petits bruits du quotidien, par quelques indications des sens. Vous émergez comme au sortir d’une plongée, mais pas brusquement, avec progressivité, comme si vous regrettiez de vous séparer de ce monde insaisissable.  C’est fini. Vous vous étirez, vous retrouvez votre pesanteur. Oui, c’est sans doute la première perception que vous ressentez : la pesanteur. Elle vous assène son poing féroce que vous prenez dans l’estomac et qui vous recale dans la réalité. Le rêve est passé.



[1] Pour Rudolf Otto, le numineux regarde toute expérience non-rationnelle du mystère, se passant des sens ou des sentiments, et dont l'objet premier et immédiat se trouve en dehors du soi. Le numineux est aussi, selon Carl Gustav Jung: "ce qui saisit l'individu, ce qui, venant d'ailleurs, lui donne le sentiment d'être".

18/02/2015

La bande dessinée

Une bande dessinée, c’est un morceau de rêve dans un monde à part. Ses héros sont de pacotille, mais quel bonheur de pouvoir un moment s’évader de la vie quotidienne. Vous partez en images à la rencontre de l’imagination débordante de l’auteur. Vous la connaissez par cœur et c’est justement pour cette raison que vous aimez vous y plonger. C’est un retour à l’enfance, le plaisir de se retrouver en culotte courte, vautré sur le lit, la bande dessinée enfouie entre les cuisses, les genoux dressés. Vous ne sucez plus votre pouce, mais c’est tout juste.

Aujourd’hui vous partez en Syldavie, ce pays charmant, d’une Europe révolue aux traditions slaves. C’est le Moyen-Age, le siècle de Louis XIV, le romantisme du XIXème siècle et l’ère communiste tout à la fois. Vous vous rêvez en prince, avec un uniforme étincelant, jouant les espions, transgressant les frontières, entouré de belles femmes. Vous vivez une autre vie, enfoui dans votre lit, au chaud, en rupture avec la société et les mondanités. C’est une cure de jouvence, un clin d’œil à votre jeunesse, un retour à la famille oubliée dans les péripéties de l’existence. Vous vous revoyez dans la chambre de votre enfance, rêvant à un avenir dont vous ne voyez pas l’issue, de même qu’aujourd’hui vous ne savez pas non plus ce que vous réserve le lendemain.

Vous ne parlez pas de destin. Celui-ci est trop figé. Il vous met dans une boite qui vous conduit inéluctablement au néant. Vous ne savez vers quoi vous allez, mais l’Autre à déjà tout décidé. Mieux même, les voyantes (elles sont bien sûr féminines), qui font preuve de beaucoup de perspicacité, vous diront cet avenir implacable dont vous ne pourrez plus vous débarrasser. Votre route est-elle tracée d’avance ? Non, surement pas. Vous croyez à la liberté personnelle. Vous croyez à un avenir inconnu, même maintenant, alors que vous atteignez un âge qui ne laisse que peu d’espoir de changement de destinée. Certes, vous pourriez encore la modifier, mais cette destinée que vous avez construite et que les autres ont également façonnée, vous appartient. Elle a laissé ses racines dans votre vie présente. Votre liberté n’est pas totale, elle doit respecter la liberté des autres et surtout leur affection. Car vous avez planté votre tente dans un paysage de bonheur et d’amour que vous portez en vous grâce à eux, ceux qui vous ont construit parce que vous les avez reconnus, fait naître ou adopter par amitié. Et votre destin n’est pas ce que la société retient de vous, mais ces instants de vérité où vous choisissez votre véritable liberté : la construction d’une vie personnelle qui se mêle à celle de vos proches et fait de vous un être à part.

Retour à la bande dessinée. Vous repartez en voyage, dans ces pays imaginaires si proches de la réalité, où les bons sont les bons et les méchants les méchants. Ah, là aussi l’existence s’est figée en un imaginaire de rêve, si peu proche de la réalité. Rien d’inconnu malgré tout. C’est le contexte bon enfant d’Hergé qui déteint sur vous. Vous ne savez plus où vous êtes. C’est votre plus grande liberté, une évasion sans fin que vous offrent gratuitement les plis voluptueux de votre encéphale.

Dieu, où donc vous a conduit cette bande dessinée. Vous endossez mille destins en rêve et vous n’en vivez qu’un. Mais combien est précieuse cette vie déroulée pas après pas dans l’ignorance totale d’un avenir inconnu. Celui-ci devient vôtre progressivement, il vous colle à la peau et vous ne pouvez vous en débarrasser. Alors adoptez-le !

17/02/2015

Le ministère de l’écologie en plein délire verbal

Ouvrez le rapport de la Cour des comptes, tome 1 / volume 1 / 2ème partie Les politiques publiques / chapitre 1 eau et énergie / Les agences de l’eau et la politique de l’eau : une cohérence à retrouver (Ouf, on y arrive !).

On y trouve la réponse de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie au constat que font les magistrats de la Cour des comptes concernant la politique de l’eau sous le titre très conciliant d’une « cohérence à retrouver » :

1- Améliorer la gouvernance
A. Améliorer la gouvernance : gagner en représentativité et en transparence ;
B. Gagner en lisibilité et en cohérence
2- Appliquer plus strictement le principe pollueur-payeur
A. Des redevances essentiellement acquittés par les usagers domestiques
B. Des pollueurs insuffisamment taxés
C. Une gestion favorable aux redevables
3- Etc. Etc. Etc.

Que lit-on dans cette réponse de la ministre de l’écologie ? Tout d'abord, j’ose croire qu’elle n’a pas véritablement lu ce qu’on lui a fait signer et que les technocrates ayant écrit cela n’ont même pas conscience du ridicule de certaines parties de cette réponse. Mais c’est bien là le malheur. L’administration a tous les droits, en particulier de non-réponse aux questions légitimes que se posent les usagers ou de réponses langue de bois comme celle-ci :

Le rapport (de la Cour des comptes) affirme que «la forte contribution des usagers domestiques devrait désormais diminuer et celles des agriculteurs et des industriels augmenter, conformément au principe pollueur-payeur ». Sans remettre en question cette analyse, on peut observer que le principe pollueur-payeur, en lui-même, ne présuppose pas une forme d'équilibre arithmétique des contributions (mais l'internalisation des externalités négatives, l'incitativité de la fiscalité ...). (p.128 du rapport tome 1 / vol 1 / part 2 / chap 1). Ce nouveau mot « incitativité » est tout à fait dans la novlangue administrative. Il fait bien et est sans appel dans l’esprit des rédacteurs. En cherchant si ce terme était prévu dans les dictionnaires, je ne l’ai trouvé que dans les documents des Agences de l’eau qui s’en repaissent. Oui, l’incitatif se donne pour mission d’inciter par la persuasion jusqu’à créer de nouveaux mots « incitativant ».

Quant au verbiage de l'internalisation des externalités négatives, on n'a pas trouvé mieux en terme de communication !

Et l’administration ne se lasse pas de ce qu’elle a dit comme parole d’évangile. Elle récidive quelques pages plus loin (p.128), assénant à nouveau sa phrase-clé :

La Cour observe que les redevances acquittées par les agriculteurs sont peu incitatives, et que « alors que le bassin Loire-Bretagne est le plus concerné par la pollution due aux nitrates, les redevances à la charge des agriculteurs ne représentent en 2013 que 10 % du montant des redevances …». Sans remettre en question cette analyse, qui s’appuie sur des données chiffrées, on peut observer que le principe pollueur-payeur, en lui-même, ne présuppose pas une forme d’équilibre arithmétique des contributions mais l’internalisation des externalités négatives et une fiscalité incitative.

Ben voyons ! Les magistrats ont dû sourire devant ce langage abscond qui reflète bien le dédain de l’administration vis-à-vis des administrés. Non seulement ils doivent payer, mais ils ne doivent pas comprendre ce qu’on leur fait payer et ils ne doivent même comprendre les explications que l'administration concède à l'autorité supérieure. 

Ajoutons pour faire bonne mesure qu’en tant que président d’une association luttant contre la destruction forcenée et non étudiée des barrages, et donc moulins ou ouvrages, l’administration départementale (aux mêmes causes les mêmes effets) ne répond pas aux courriers qui leur sont envoyés en lettre recommandée avec accusé de réception. Plusieurs courriers restent en attente de réponse, car ils ne savent pas quoi répondre, en particulier à la question : l’administration impose la destruction des barrages pour rendre l’eau propre conformément à la Directive Cadre de l’Eau de l’Union européenne. Mais lorsque l’eau est bonne telle que définie par cette directive, pourquoi imposer la destruction des ouvrages ? On attend toujours la réponse.

De plus, la loi sur l’eau française a imposé des conditions pour atteindre la bonne qualité de l’eau voulue très justement par Bruxelles : la continuité écologique (spécificité uniquement française) qui impose la circulation des sédiments et des poissons. Pour quoi faire ? Pour atteindre la bonne qualité de l’eau. Mais lorsque l’eau est bonne telle que définie par cette directive, pourquoi imposer la construction de passes à poissons pour toutes sortes de poissons y compris ceux qui ne trouvent pas sur le cours d’eau, ceci à des prix exorbitants qui vont contraindre les propriétaires d’ouvrages à accepter leur destruction par manque de moyens financiers ? On attend toujours la réponse.

En fait ce que veut l’administration, c’est bien la destruction des ouvrages. Vive l'idéologie  contre la raison rationnelle !

 

14/02/2015

Une vie

Ce n’est pas une vie qu’il faudrait avoir, mais mille. Tant de choses à voir, à écouter, à toucher, à aimer. Tant de créations restant non exprimées. Tant de possibilités de faire toutes aussi passionnantes et enviables.

Comment se fait-il que la littérature ou la réalité nous content et nous montrent des vieillards qui n’ont plus d’envie, ni même de vie ? Quand bien même le corps ne suit plus, n’y a-t-il pas encore l’exploration de soi qui peut se poursuivre ? Le monde intérieur est plus grand que le monde extérieur. Parcourir les nombreuses pièces et paysages de cet autre univers qu’est le moi et même le dépasser pour atteindre le soi, quelle ambition à privilégier.

Il y a toujours à admirer, à réfléchir, à créer, à tout instant. Alors profitons-en au lieu de nous lamenter sur les incidents de nos courtes vies.

28/01/2015

Souvenir d'enfance

Il se souvient des soirs où les perdreaux étaient présentés sur la table. Déjà, avant même qu’ils n’y arrivent, montaient de la cuisine à travers le petit escalier, des fumets de viande rôtie, au goût faisandé, préparée par sa grand-mère dans le four en permanence chauffé par les bûches courtes qu’elle glissait par une porte au cœur même de la chaleur. Malheureusement, les perdreaux étaient réservés aux grandes personnes qui se pourléchaient les doigts, rongeant les os des pattes, puis des ailes, puis le blanc velouté, parce que légèrement faisandé, du poitrail. Mais le meilleur était sans doute les morceaux de pain grillé, cuits dans la sauce dorée, qui portaient le dernier repos des cadavres. Ils étaient onctueux à souhait, fondaient dans la bouche, exhalaient les prés tendres, les haies épineuses,  les grains de blé tombés de l’épi, le creux de terre dans lequel ils s’abritaient, serrés les uns contre les autres. Alors, les enfants quémandaient une patte, rien qu’une, pour partager ce délice auquel ils avaient bien droits puisqu’ils les avaient portés dans le carnier bien lourd pendant toute une après-midi. L’eau leur montait à la bouche rien que d’y songer !

Délice que cette patte dorée, fumante encore, partagée en quatre. Chaque parcelle de sa chair exhalait le retour de la chasse lorsque, fatigués, chacun d'eux se laissaient aller dans un fauteuil et fermait les yeux sur la marche dans les grands prés, sur le bruissement de l'envol d'une compagnie, sur le départ d'un coup de fusil. Non, ne pas bouger : attendre que l'on arrive à sa hauteur. Le perdreau était là, encore chaud, parfois encore vivant. Alors prenant le cou, il imprimait une torsion qui laissait l'animal sans un mouvement. Mort, ne pas le faire souffrir inutilement. Et maintenant chacun contemple son assiette et le petit morceau de chair clair à l'odeur rougeoyante et ferme. Vous pouvez y aller ! ils ne se le faisaient pas dire deux fois. Quel goût. Les enfants étaient les princes de la soirée. Ils montaient se coucher pour rêver d'herbes, d'odeur de poudre, de chaleur des après-midis d'automne et de picotement de la chair du perdreau sur le bout de la langue.

24/01/2015

Le principe de liberté

Tout excès dans quelque domaine que ce soit entraîne le déchaînement des passions. Le principe de liberté est un principe fondamental dans nos sociétés occidentales. Mais le principe de liberté poussé à l’extrême devient intolérant face aux principes qui règlent les convictions intimes et personnelles des personnes. De même, à l’inverse, les principes religieux fondamentaux ne peuvent aller au-delà de la liberté de penser des individus. C’est donc un équilibre fragile qu’il convient d’assurer, ni trop, ni trop peu, ni trop de liberté, ni trop peu, ni une foi intolérante en un Dieu quel qu’il soit. Ce juste milieu de chaque principe est réglé par le politique ou, mieux, par la sagesse du politique. Lorsque celui-ci est lui-même en prise avec une vision voulant faire respecter à outrance des principes particuliers à tendance générale, il devient facteur de risque.

Le principe de liberté n’a qu’un seul but : permettre aux personnes de se réaliser pleinement physiquement, psychologiquement, intellectuellement et moralement, c’est-à-dire d’atteindre un état d’être qui dépasse le moi individuel intéressé et revendicatif. La liberté est la liberté d’un développement individuel de chacun qui fait avancer l’humanité en général.

Aussi, dès l’instant où la liberté devient le droit d’outrager ceux qui ne pensent pas comme nous, il y a conflit. Et ce conflit est d’autant plus violent que, sous prétexte de l’inviolabilité de la liberté, on attaque en justice ceux qui osent exprimer que la liberté ne peut être le principe premier d’une société qui dans le même temps prône des principes de vie en commun. La liberté ne peut être le droit de tout dire, de tout écrire, en bafouant les autres principes fondamentaux, dont la liberté d’opinion.


17/01/2015

Proposer et être libre

L'ultime liberté est de rester inconnu. Alors plus rien ne nous rattache à ce monde. On est libre d'aller où l'on veut, quand l'on veut. Le monde s'ouvre devant nous et nous l'explorons sans idées préconçues. 

Cela suppose que nous ne cherchions pas à influencer les autres et que nous refusions de nous laisser influencer. Refuser la tyrannie du bavardage, de l'expression des sentiments. Refuser de nous laisser envahir par les encombrantes pensées des autres et de nous-même. Refuser même de vouloir pour l'autre et se donner pour maxime le respect de la liberté de l'autre. Mais inversement toujours tenter de lui montrer où se trouve la véritable liberté.

Ne jamais imposer, toujours proposer.

Le reste, son adhésion, appartient à sa liberté.

16/01/2015

L’attrait des mots

Il est curieux de constater combien les mots emprisonnent dans une vision unique. Est-ce dû aux politiques ou aux communicateurs ? Les deux probablement.

Ainsi le mot république. Depuis deux ans ce mot sert au ralliement de la nation dès qu’une difficulté survient. Depuis huit jours, on l’entend en rafales : les citoyens sont républicains, les républicains doivent être vigilants, la conscience républicaine est au cœur des sentiments des Français, l’école de la république, la laïcité républicaine, etc. Bref, la France n’existe pas hors de la république, mot de ralliement, indispensable au politiquement correct. Comptez le nombre de fois où ce mot, peu usité il y a encore quelques années, est prononcé au cours d’un journal télévisé. Tous l’emploient pour justifier et argumenter leurs points de vue si différents. Il suffit d’un mot pour créer l’unité. Est-ce si vrai ?

De même le mot communauté. Ce mot que nos hommes politiques condamnent en sous-entendant que les citoyens n’ont qu’une vision commune, celle de la république qui s’oppose à tout communautarisme, est sans cesse employé par les mêmes pour fustiger les communautés islamiques, juives, arabes, noires ou de toute autre couleur ou religion. Est-ce logique ?

Enfin le mot liberté d’expression ne doit-il être compris qu’à sens unique ? Pourquoi l’humour pourrait s’attaquer au plus profond des croyances de chacun alors que d’autres sont arrêtés pour un mot qui déplaît. Comment comprendre cet ostracisme !

L’emploi de mots chargés de sens est-il utile pour exprimer des émotions fortes et cette expression doit-elle être récupérée par les mots ?

13/01/2015

Mystère des nuits

Il entrouvrit la porte de la chambre en essayant de ne pas faire grincer les gonds  qui, depuis quelques temps, se relâchaient. Ne pas oublier d’y mettre un peu d’huile demain matin, se dit-il. Mais cela fait plus de huit jours qu’il se fait cette remarque sans réagir. Brrr… Qu’il fait froid. Il referma lentement la porte. Il frôla la table de nuit, légèrement, en raison des livres qui se tenaient en équilibre instable, sentit son pied contre le sommier. Il se pencha, posa les mains sur la couette légèrement entrouverte et se glissa avec précaution entre celle-ci et le drap,  dans cet espace frais, presque froid, ce trou de noir glacial dans lequel il revenait après un éveil de deux heures passé dans son bureau devant son ordinateur. Il remonta vers son menton la couette, cherchant un peu de chaleur dans cet enroulement des tissus autour de son corps. Peine perdue, il faisait toujours aussi froid.

Alors, avec douceur, il s’approcha de celle qui partageait sa couche. Tout de suite il se sentit mieux. Un délicieux sentiment de bien-être l’envahit. Doucement, il posa sa main gauche sur son épaule. Elle bougea un peu et vint se serrer contre lui. Il fut envahi du feu de ce corps qui se collait à lui et l’enlaçait de ses jambes. Lentement, il laissa errer sa main sur l’infléchissement de sa taille, sur ce lieu où la finesse et la majesté des courbes se rejoignent. Sa paume, du plein de l’éminence du métacarpe du pouce, caressa cette vague brûlante. Elle ouvrit les jambes, glissa celle du dessus sur sa propre jambe et la remonta jusqu’à hauteur de sa hanche. Il glissa la sienne dans la douceur incomparable de l’intérieur des cuisses. Il ne connaissait rien de plus doux, de plus rafraîchissant et de plus brûlant en même temps que ce lieu où les courbes s’évasent et creusent une place de tendresse inénarrable. Elle se rapprocha de lui, tendue dans un même élan, et ils se tenaient ainsi debout-couchés devant l’adversité, affrontant ensemble l’existence, sûrs d’eux-mêmes, liés dans leur destin d’homme et de femme qui savent qu’ils sont un et pourtant deux, et qui puisent dans ce rapprochement des corps la joie d’une existence unique.

C’est le mystère le plus profond de la vie, celui de cet irrésistible attrait de la force et de la douceur, de cette flamme dont la source attirante commence au visage de l’aimé(e) et finit en ce lieu qui devient le centre de son être.

07/01/2015

Le rendez-vous des poètes

Hier, je suis allé au rendez-vous des poètes. Je ne le savais pas, mais ils sont nombreux les poètes d’un soir, les auteurs d’un matin qui se réveillent versificateurs avant de partir au travail. Ils sont très divers : des petits bonhommes discrets au regard tendre, parlant d’une voix feutrée et susurrant leurs mots comme on suce un bonbon ; des hommes mâles à la voix rocailleuse, au regard enjoué, cherchant à séduire avant même de vous connaître ; des femmes parlantes, séduisantes de flots de mots chatoyants, enjôleurs et pédants ; d’autres femmes plus câlines, moins va-t’en guerre, mais cherchant encore et malgré tout à séduire.

Après plusieurs minutes d’attente apparaît l’élu : un homme d’environ soixante ans, faisant penser à un acteur connu, la voix ronde, le sourire parfois espiègle et toujours aguicheur, d’une bonhommie sympathique lorsqu’il parle de ses livres. Ils sont trois ou quatre, étalés sur la table devant lui, fluets et bon-enfant, comme des jouets à regarder et à ouvrir. Ils sont couverts de feuillets marque-pages. C’est pour le lecteur, un homme également, fort, sûr de lui, sans complexe. Il se tient devant l’éclairage très, trop lumineux, qui aveugle les spectateurs et lui donne l’air d’un spectre. Enfin, le troisième acolyte est une femme, également la soixantaine, petite, la bouche mobile. Oui, elle ouvre la séance pour le présenter, lui, l’écrivain : « Il n’est pas nécessaire de présenter XY… » Eh bien, si ! Il est psychologue. Il écrit des livres professionnels sur l’art de comprendre et réparer les nœuds du cerveau, des souvenirs, des malheurs, du sexe, des regrets et de la peur de l’avenir. Elle parle, elle parle et je vois trois feuillets devant elle. Elle n’en est toujours qu’au premier paragraphe. Combien de temps va durer cette présentation chewing-gum ?

Mais l’auteur, sentant déjà l’ennui dans les yeux du public béat, reprend l’initiative en laissant la parole au lecteur. Histoire d’un suicide : un sujet épineux, d’autant plus que c’est celui de sa mère. Il parle rapidement, accélérant la sortie des mots volontairement comme pour donner cette impression d’en finir avec la vie, les mots, le verbe. Parfois il fait une pause, la diction s’enroule autour d’elle-même, apaisée. Mais très vite la fièvre le reprend. Il faut en finir. Elle boit la mixture, nous regarde une dernière fois, puis ferme les yeux et se laisse mourir. Glacial ! Mais le public semble apprécier. C’est nouveau et original. C’est une forme nouvelle de récit semble-t-il dire. Il exprime les côtés inconnus de l’humanité, du parler vrai en quelque sorte. La présentatrice reprend son rôle de Monsieur Loyal, tutoyant l’auteur, le poussant dans ses retranchements, pas très fort pour éviter qu’il ne tombe. Il ne se démonte pas, toujours souriant, pas m’as-tu vu, répondant modestement avant, parfois, de glisser une confidence ou une anecdote qui amène un sourire exquis sur les lèvres des femmes présentes.

Le deuxième acte, ou plutôt la seconde lecture, est d’un tout autre style. On part en rêvant sur les bords de la Seine, dans l’herbe haute des recoins perdus, pour découvrir l’amour, un amour caché aux yeux du monde, resté enfoui sur la terre meuble de ces bords de rivière. Parfois, il pleut, raconte-t-il. Alors on se fouille sous les imperméables, l’un dessous, l’autre dessus, on déboutonne les vêtements subrepticement, sans jamais laisser traîner une jambe ou un bras hors de la tente improvisée, tout cela dans l’odeur du foin et de l’exaltation de l’amour. C’est sans doute un peu trop descriptif, parfois un peu voyeur, mais cela a une certaine tenue malgré tout. Un bon point pour l’auteur. Evidemment Monsieur Loyal en rajoute, expliquant d’une voix sucrée les origines psychologiques de ces moments sublimes. Il avait quinze ans, il découvrait l’amour et celui-ci le lui rendait bien. Embrayant derrière ces explications, une femme prit la parole, s’éternisant dans des explications impatientes, mais sûres de leur profondeur, en rajoutant, plongeant plus profondément dans l’inconscient de l’écrivain, fouillant avec vigueur dans ce bric-à-brac sensuel.

Nouvelle lecture. De quoi ? Je ne me souviens plus. Je m’intéressais au public, deux jeunes femmes, trois couples d’une cinquantaine, des personnes seules, en mal de société, mais également des passionnés de l’écriture dont elles parlent avec un sanglot dans la voix. Je retrouvais, toute proportion gardée, la même passion que celle des sportifs de haut niveau : introspection et confession pour progresser encore et toujours. Seule la vérité compte, vaut la peine d’être analysée, disséquée et regardée à la loupe.

Quelle soirée ! Des gens curieux, mais sympathiques, se liant facilement, l’œil vif et la tête bien pleine, modestes de plus, se considérant loin des grands auteurs qui atteignent les sommets de la gloire, puisqu’écrivant pour les autres, ils laissent de côté la joie de l’improvisation.

« On n’écrit bien que lorsqu’on écrit pour soi ! » « Oui, mais on écrit également pour être lu, donc pour les autres ! » Quel dilemme !

05/01/2015

La frontière

Brise cette frontière qui t’empêche d’être. Laisse tomber les formes et la forme. Tu n’es plus et tu es tout. Sens cette chaleur en toi qui te pousse à oublier. Ne sois que ce filet d’air qui glisse entre tes narines et caresse ton cerveau.  Passe de ce rouge obsédant au noir de l’absence. Et quand tu verras poindre le blanc, surtout ne bouge pas, ne manifeste rien, laisse-toi aller, immobile, incertain, en attente.

Le mystère s’ouvre pour toi. Respire cet air purifié qui passe entre les grilles de la séparation. Retourne-toi, que l’extérieur devienne l’intérieur, que l’intérieur devienne l’extérieur. Mais cet extérieur est semblable à l’intérieur. La frontière s’estompe.  L’ivresse de l’espace t’envahit. Fais monter en toi l’absence, Que le blanc devienne le noir et inversement. Prend de l’ampleur dans ce passage. La virginité t’épanouit, elle ouvre l’horizon, te prend dans ses bras. Touche ton corps frêle et laisse le partir loin de toi.

Oui, tu es en toute conscience, là où rien ne te limite. Caresse l’envers de toi-même, explore cette peau transparente et laisse tourner ton cœur. Pousse le cri de la déraison et monte dans le wagon.

Mais tout de même, ne pars pas trop longtemps !

01/01/2015

Nouvel an

Le nouvel an, c’est une valise ouverte sur l’avenir. On y voit le quotidien, mais aussi l’accessoire, l’extraordinaire et, hélas, tout ce que nous ne vivrons plus. Un véritable bric à brac émotionnel, comme un feu de paille qui couve doucement pour exploser ce jour-là par hasard.

Mais ne l'oublions pas, il y a toujours d’autres êtres à connaître, d’autres choses à découvrir, d’autres idées à inventorier. Et chacun de nous garde, dans le secret de son avenir, une infinie possibilité de création.

Alors, tous, n’hésitons pas, plongeons-nous dans cette nouvelle année et, selon les tempéraments, à la brasse ou en nageant le crawl, poursuivons notre aventure le cœur léger.

 

Bon premier de l’an et bonne année 2015 !

 

19/12/2014

L'ogre

Il lui reste au fond de sa mémoire un souvenir douloureux d’enfant perdu dans la campagne. C’était un après-midi d’hiver. Il faisait froid, très froid. Il était parti avec un de ses frères en bicyclette  sur le plateau, de l’autre côté du village. Il avait beaucoup plu les jours précédents et progressivement la boue s’était accumulée entre la roue et le garde-boue, finissant par la bloquer complètement. Impossible de revenir sur les vélos, il n’y avait plus qu’à marcher à pied, en soulevant la roue arrière de la machine bloquée par la terre accumulée. Deux kilomètres : c’était trop, car ils étaient déjà fatigués par l’aller et surtout le froid qui ne cessait de les titiller. Grelottant et pleurant à moitié, ils sonnèrent à la porte de la seule maison, au débouché du chemin de terre et de la route. Elle était peu encourageante, encombrée de tas de ferrailles, avec un jardin en friche, sans volet, faite de ciment brut. Ils s’interrogèrent longtemps avant d’oser frapper à la porte, mais le jour tombait et ils n’avaient plus le choix. Une maigre lueur pointait derrière la vitre de la porte d’entrée, ils frappèrent.

– Qui est là ? demanda une voix d’homme un peu éraillé, d’un ton méchant.

– Nos vélos sont cassés et nous ne pouvons rentrer chez nous. Pourriez-vous nous aider ?

– Qu’est-ce que j’en ai à foutre d’aider des gamins. Foutez le camp, vous n’avez rien à faire ici !

L’homme criait d’une voix forte, un peu comme un ivrogne, sans même ouvrir la porte pour voir ce qui se passait.

Ils eurent tellement peur qu’ils partirent sans demander leur reste, essayant de se réchauffer les doigts en soufflant dessus, poussant leurs bicyclettes avec peine, les roues avant et arrière étant quasiment bloquées. De plus il se mit à neiger, à petits flocons qui descendaient dans le cou, s’imprégnaient dans les vêtements et les refroidissaient plus encore. Ils pensaient à l’homme, cet étrange ogre qu’ils imaginaient, vêtu misérablement, chevelu et barbu, l’œil mauvais. Ils étaient au bord des larmes. A mi-chemin, dans une obscurité quasi complète, ils virent arriver une voiture. C’était leur mère qui, inquiète de ne pas les voir revenir, venait les chercher. Ils montèrent dans la voiture, exténués, transis, émettant de petits sanglots, jusqu’au moment où ils arrivèrent au moulin, dans une pièce bien chaude où ils prirent un thé qui leur revigora les esprits. Quel souvenir ! Ce fut leur première expérience de la méchanceté possible de certaines personnes, ou peut-être, de leur égoïsme. Ne pas aider deux enfants de dix ans ! Et encore, les avaient-ils ? Il ne sait plus. C’est aussi l’expérience de l’abandon, première fois où ils durent aller au bout d’eux-mêmes sans pouvoir se reposer sur un autre, plus fort, plus entreprenant. Ce n’est pas drôle de devenir adulte lorsqu’on est un enfant de dix ans !

14/12/2014

La vérité

Auparavant on aimait représenter un concept par une figure humaine dans un contexte définie. Ne représente-t-on pas la république par l’effigie de Marianne ? Comment représenter la vérité ?

Elle est le plus souvent représentée par une femme tenant un miroir. La vérité est nue et montre la lumière que reflète le miroir. Elle ne sort pas d’elle, elle n’est qu’un reflet, le reflet de la réalité. Admirons ce dessin de Jean-Léon Gérôme :

 

Il a servi d’étude pour son tableau « La vérité au fond du puits » :

La vérité dans le langage quotidien comprend trois aspects très différents.

Il y a d’une part la vérité objective qui est l’existence, vérifiée et vérifiable à tout moment, d’une chose réelle. Bien sûr, plus la chose est complexe, plus elle est difficile à connaître et plus nombreuses seront les interprétations auxquelles elle pourra donner lieu de la part de personnes différentes. Mais lorsqu’un objet, par exemple, est bien délimité dans le temps et dans l’espace, il est possible d’acquérir une connaissance précise d’un certain nombre de ses caractéristiques et d’en faire une description véridique. La vérité objective est le rapport entre la connaissance et la réalité. Elle est l’état à un moment donné de la somme des connaissances d’une réalité. Elle est vraie parce qu’on détient les preuves de l’existence de la chose (objet, événement, pensée exprimée, etc.). Il y a bien une vérité objective à un moment donné.

Il existe d’autre part la vérité subjective qui est la compréhension de la réalité. Celle-ci permet de faire des hypothèses qui deviendront également des vérités objectives si on peut les vérifier, des erreurs si leur vérification en constate la fausseté, ou qui resteront dans le domaine des hypothèses parce que trop complexes pour être vérifiées. Pour la plupart d’entre nous, il y a confusion entre ces deux aspects de la vérité. Une accumulation de vérités objectives nous fait déduire une vérité subjective (somme + hypothèses) que nous considérons comme vraie. C’est tout le problème de l’enquête policière qui peut conduire à l’erreur judiciaire. Prenons un exemple simple. Je regarde une table dont le dessus est lisse et transparent. J’en déduis qu’il est en verre parce que j’ai l’habitude d’en voir (vérité formelle). Pour en vérifier la réalité matérielle et disposer d’une vérité objective, je le touche et constate ses qualités de surface lisse et froide (fait) que j’assimile, avec la transparence, aux caractéristiques du verre.

Enfin, il y a ce que chacun exprime sur les faits, les actes et les idées, et, à travers eux, sur les choses et les personnes. Là aussi, il y a ou non vérité, c’est-à-dire conformité ou non de ce qui est dit sur la réalité. Il s’agit aussi d’une vérité subjective, mais elle passe par un troisième filtre qui est celui de l’expression et de l’intention de celui qui s’exprime. On l’appellera alors vérité informationnelle, puisqu’elle est d’abord une information communiquée qu’il convient de vérifier avant d’en faire une vérité. Cette vérité, parce qu’elle est exprimée et qu’elle est devenue une information qui est vérifiable, est un fait et non plus seulement une idée. Elle est devenue action parce qu’elle a une intention et qu’elle agit sur les autres. Le mensonge se définit par rapport à la réalité : mentir, c’est donner volontairement à l’autre une vision de la réalité différente de celle qu’on tient soi-même pour vraie.

Il est fréquent de dire que chacun détient sa vérité et donc que celle-ci est relative. Mais on parle alors de la vérité informationnelle ou encore de la vérité subjective. La vérité objective existe, indépendamment de son interprétation ou de son expression.

11/12/2014

Le combat des anciens et des modernes

« Après les Etats-Unis, c'est au tour des petits finlandais d'apprendre à écrire sur un clavier d'ordinateur. »

 

Cette petite phrase dérange et fait couler beaucoup d’encre. Celle-ci (l’encre) disparaît au profit de l’écran qui ne bave pas. On n’apprendra plus les pleins et les déliés que déjà l’apparition du stylo à bille avait mis en danger.

Les arguments des opposants (http://www.europe1.fr/societe/apprendre-a-ecrire-sur-un-clavier-un-danger-pour-l-enfant-2302207#, article de Margaux Duguet du 27 novembre 2014) :

« De nombreuses études l’ont montré, le fait d’écrire à la main permet de mieux mémoriser ce que l’on écrit, on ne mémorise pas au clavier ». Pourquoi ? Aucune explication, mais l’auteur est enseignante en pédagogie de l’écriture. L’affirmation par l’autorité doit suffire à convaincre !

« Apprendre l’écriture au clavier, c’est prendre le risque de moins bien apprendre à lire, car la pensée accompagne alors tranquillement la main qui écrit ». Affirmation sans démonstration : devant un clavier, on ne pense pas !

« Abandonner l’écriture manuscrite, c’est abandonner la liberté d’expression. En effet, si vous écrivez sur un clavier d’ordinateur, c’est que vous êtes connecté à une machine. Or, on peut toujours vous déconnecter, vous couper le courant, par exemple. Et si la personne ne sait écrire qu’au clavier, elle ne pourra plus communiquer, c’est très grave ». Ce recours à l’opinion commune suffit-il pour le transformer en argument scientifique ?

Pour autant, le tout clavier n’est pas du tout à l’ordre du jour en France. Contacté par Europe 1, le ministère de l’Education Nationale assure qu’il n’est pas question d’abandonner l’écriture manuelle, “tout simplement parce qu’elle est indissociable de l’apprentissage de la lecture”. Si l’on n’écrit pas à la main, on ne peut apprendre à lire. Pourquoi ? On ne sait.

 

Plutôt que d’échanger de faux arguments qui s’appuient sur des idées toutes faites, il serait plus logique de réfléchir à la justesse de ce qui est avancé.

Nous avons un excellent exemple avec l’apparition de l’imprimerie. Avant celle-ci l’écriture était totalement manuelle, que l’on écrive ou que l’on lise. L’apparition de l’écriture d’imprimerie a dissocié la lecture de l’écriture : ce que l’on lit est fait de caractères différents de ce que l’on écrit. Cela gêne-t-il les enfants ? Je pense que l’on peut affirmer que non puisque cela fait quelques siècles que l’imprimerie fonctionne et les enfants ne sont pas pour autant idiots. L’apprentissage de l’écriture manuelle n’est donc pas indissociable de l’apprentissage de la lecture.

Un autre exemple semble également contredire le fait que seule l’écriture manuelle permet d’apprendre à lire correctement. Les aveugles n’écrivent pas. Ils disposent de tablette et d’un poinçon ou encore d’une machine à écrire spéciale dont les six touches correspondent aux six points de la cellule braille. Sont-ils incapables de lire, voire de réfléchir parce qu’ils utilisent une machine ?

J’ai vu hier à la télévision un professeur d’université qui interdit toute présence d’ordinateur pendant son cours. Quel ringard ! Il prétend qu’écrivant plus vite sur un ordinateur, l’étudiant ne pense qu’à tout écrire plutôt qu'à réfléchir pour résumer ce que le professeur a dit. Il est exact que c’est bien le problème des enfants entre la sixième et la quatrième : comment écrire tout ce que dit le professeur qui parle plus vite que la capacité d’écriture de ses élèves ? C’est pourquoi il faut du temps pour franchir cette étape qui n’a rien à voir avec l’écriture. Il faut développer une capacité à résumer rapidement ce qui est dit en le faisant d’une manière cohérente et synthétique. Que l’on écrive à la main ou que l’on tape sur un clavier ne change rien à cet apprentissage intellectuel de résumer la pensée d’un autre pour l’écrire.

Personnellement, cela fait maintenant plus de vingt ans que je n’écris plus à la main ayant presque toujours mon ordinateur avec moi. J’écoute des conférences et transcris directement celle-ci sur le clavier sans que cela me gêne le moins du monde. Beaucoup me disent qu’ils ne peuvent pas. C’est simplement qu’il leur faut trop d’application pour trouver les lettres sur le clavier, ce qui les fait décrocher de ce que dit le conférencier. J’écris des poèmes directement sur l’ordinateur et cela me semble plus facile qu’à la main puisque l’on peut modifier instantanément ce que l’on a écrit et avoir un texte propre en permanence.

Faut-il pour autant abandonner totalement l’écriture à la main pour l’écriture au clavier ? Je ne sais. Cela demande une réflexion approfondie que je n’ai pas menée. Ne pouvoir écrire parce que les batteries de son appareil sont déchargées est un inconvénient majeur, d’autant plus que la mémoire n’est plus habituée à retenir tous les détails de la vie quotidienne (sinon à quoi serviraient les agendas !). Alors, poursuivons la réflexion sans partie pris et tentons d’analyser rationnellement ce problème important de la fin de l’écriture manuelle. Dans tous les cas, l'apprentissage de l'écriture avec un clavier reste un besoin indispensable à notre époque.

01/12/2014

Féminité

 Un souvenir, proche d’une photo instantanée, mais plus vivace. C’était au mariage d’un oncle, frère de leur mère. Ils étaient de nombreux enfants à s’amuser sur l’herbe verte et tendre de la prairie qui descendait en pente douce. Il se souvient de ses cousines, en petites robes charmantes, pépiant sans cesse autour de lui, s’agitant sans but. Mais ce n’est que le décor de ce qui lui permet de se souvenir de cet instant. La vraie raison tient dans un geste, une attitude d’une de ses cousines, plus âgée de deux ou trois ans, ce qui, à cet âge, fait une différence énorme. Il la revoit, courbée élégamment vers l’un des enfants, attentionnée comme une petite mère, qui, avec un mouchoir blanc, essuyait avec douceur ses yeux larmoyants. Que s’était-il passé ? Il ne sait et peu importe. Ce qui compte, c’est ce geste tendre d’une petite fille qui se révélait, en un instant, jeune fille, femme et mère. Geste charmant, emprunt de douceur féminine qui lui fit découvrir l’amour, qui l’émut au point que depuis, inconsciemment, il recherche cette tendresse innée et merveilleuse de fraicheur en toute femme. Une femme n’est femme que dans la spontanéité de son amour pour la plupart de ses frères humains, qu’ils soient homme, femme ou enfant. C’est cette brise de baisers en suspend qui émane d’elle qui la rend désirable. Et ces baisers s’échappent parfois dans une attitude, un geste, une parole aussi qui le désarme, l’étreint lui-même et lui fait monter les larmes aux yeux.  Ce n’est qu’un geste, mais ce geste est l’essence de la femme. Chaque femme possède le sien, probablement. On ne le remarque pas forcément. C’est un moment magique que de le percevoir à l’improviste, et, dans son développement, de ressentir toujours cette brise divine qu’apporte chaque femme au monde indifférent que constitue l’humanité dans son ensemble.

 

28/11/2014

La beauté

La vraie beauté procure un pincement ineffable, un trou dans l’âme qui vous fait à la fois vous oublier parce que vos préoccupations disparaissent et vous découvrir parce que vous sentez plus grand, plus large, plus universel. Vous devenez l’homme éternel et vous accédez à l’immensité de l’univers et au mystère de sa création.

Pour beaucoup l’art est mímêsis (imitation). La beauté viendrait d’une parfaite imitation de la nature ou de l’homme ou de quelque objet. Est-ce si sûr ? Cela voudrait dire qu’un art qui n’imite pas la réalité naturelle n’est pas beau et ne peut provoquer ce ravissement de l’âme qui est la preuve d’une véritable beauté.

L’art est mystère parce qu’indéfinissable. C’est un concept sans concept, un mot qui flotte dans le désert de l’esprit, sans qu’aucun fil ne le rattache à une idée concrète connue. Pourtant nombreux sont ceux qui tentèrent de définir l’art et, derrière, la beauté. Mais finalement que dire ? En y réfléchissant, seul le sentiment de béatitude rend compte de ce qu’est la beauté et ce sentiment s’éprouve dans sa chair et son esprit et les marque tous deux. Le palpable et le symbole se rencontrent et ne font plus qu’un. J’en reste béat et « cette béatitude est l'homme élevé à sa plus haute puissance. À un autre point de vue, la béatitude est Dieu même se donnant en possession » (Ozanam, Essai sur la philos. de Dante,1838, p. 188). Oui, la beauté c’est l’irruption du divin dans notre monde, un avant-goût de l’éternité.

Alors ne nous laissons pas tenter par la poudre aux yeux des Jeff Koons et autres "artistes" contemporains !

25/11/2014

Quel destin pour chaque homme ?

Il m’arrive parfois, comme ce soir, de penser que ma vie est ainsi scandée par ces extrêmes opposés. Tour à tour champs de bataille et champ de ruines, elle n’a été qu’une suite de combats, de redoutes à emporter, de vague à l’âme l’assaut mené, de marches forcées et de nouvelles batailles. Médecine, humanitaire, littérature et aujourd’hui cette fonction nouvelle, ce nouveau défi, mon existence est une longue errance sans repos. Pourquoi suis-je incapable de m’arrêter à un destin et à un seul ? Pourquoi suis-je ainsi condamné à vivre plusieurs vies, à rouler sans répit mon rocher en haut de montagnes de plus en plus escarpées ?

Jean-Christophe Rufin, Un léopard sur le garrot, NRF Gallimard 2008

 

En fait, chaque homme navigue entre des extrêmes, mais ceux-ci sont toujours plus ou moins écartés. S’agit-il de haut et de bas, s’agit-il d’actions divergentes, s’agit-il d’idées et de visions opposées ? Tout ceci dépend de la personne, de son sens de la vie. Pour certains, l’on pourrait se rapprocher du proverbe « Qui trop embrasse mal étreint », pour d’autres ce pourrait être « Si un homme ne fait que ce qu'on exige de lui, il est un esclave. S'il en fait plus, il est un homme libre (proverbe chinois) », pour d'autres encore, ne faire qu'une chose, mais bien ; enfin, pour quelques uns, se laisser aller dans un rêve indolent qui les conduit  dans une autre réalité qui suffit à leur bonheur.

Qu’est-ce qui pousse certains à toujours chercher plus que ce que la vie lui donne sans effort ? Qu’est-ce qui incite d’autres, qui disposent de facilités, à les laisser en friche ? J’ai connu un artiste, un vrai. Il jouait de l’orgue merveilleusement, avec un talent incomparable, improvisant de somptueuses méditations, capable le plus naturellement du monde de changements de tonalités, d’inversions, de variations innées de jeux. Il respirait l’orgue, il en tirait des sons insolites. Du haut de la tribune, il regardait au loin, les yeux dans le vague, avec l’assurance du musicien qui sait ce qu’il va jouer alors qu’une minute auparavant il n’en avait aucune idée.

Il restait modeste. Tout cela lui était si simple qu’il n’en tirait aucun orgueil. Il passait trois, quatre heures au pupitre sans s’en rendre compte. Un jour, il est venu me chercher et m’a dit ; « Nous allons passer l’après-midi à l’orgue. Tu joueras et je reprendrai derrière toi. Je jouerai et tu improviseras sur le même thème. » Nous arrivons dans l’église, ouvrons le clavier, mettons en route le souffleur et il s’assied. Il s’arrête deux minutes, entrant dans son être intérieur, il tend les mains vers le clavier et commence une longue plainte qui s’étire lentement, change de ton, monte et descend tantôt vers les aigus, tantôt vers les basses. Il se laisse couler dans la musique, plus rien n’existe. Il est. Je ne suis plus. Je l’écoute et m’oublie moi-même. Cela dure une demi-heure, puis une heure. Enfin, il arrête, impavide, exténué, mais heureux. Son nirvana c’était cette marée de sons qui le conduisait au septième ciel. Et je ne pus m’empêcher de penser qu’il avait de l’or dans les doigts. Mais il ne voulait pas travailler, s’astreindre à chaque jour soigner son toucher, rechercher de nouveaux thèmes d’improvisation, noter ses préférences, écrire de véritables pièces qu’il pourrait faire publier. Non, son seul plaisir était sa liberté totale devant le pouvoir enjôleur de l’instrument, une montée au ciel sans parachute de descente. Il aurait pu égaler les meilleurs, mais il ne le voulut pas. Pour quelles raisons ? Je ne sais.

24/11/2014

Souvenir, souvenir...

Une autre carte postale, comme un éclair de souvenir, est celle d’un crapaud dans le jardin de la maison que sa famille habitait à Meudon. Son père était occupé à creuser un bout de jardin humide pour y faire un petit bassin. Il délogea un crapaud lové dans une sorte de terrier. Celui-ci était hagard, ne bougeant pas, comme endormi, levant juste des yeux alourdis sur nos regards émerveillés d’enfants. Jérôme le voit encore, tentant d’avancer une patte maladroite, clignant des paupières, puis finalement renonçant, appesanti par son sommeil. Et ses frères et lui s’exclamaient, avec un peu de peur au fond de leur voix en raison de sa taille. Il était presqu’aussi gros que leurs visages. Un animal préhistorique, pensaient les enfants, avec la peau cornue et rugueuse des rhinocéros ! « Laisse-moi voir ! » Ils se disputaient pour approcher au plus près du crapaud, tout en restant à une distance suffisante pour éviter tout geste de sa part envers leurs petites personnes. Souvenir vivace, mais qui se limite à une image et à l’odeur de l’herbe mouillée, boueuse et piétinée. Si ! Il entend encore la voix de sa mère qui les appelait à venir voir l’horreur merveilleuse : « Les enfants, venez vite voir, dépêchez-vous ! » Appel qui leur fit quitter instantanément leurs jeux et leurs disputes.

Première rencontre avec un monde animal plein de mystère. Première rencontre avec le mystère des formes de vie si variées. Et, comme l’homme, pas un de ces animaux n’est semblable à l’autre de sa propre espèce. Chacun détient des gènes spécifiques qui en font un spécimen unique, un trésor parce que seul au monde. Et il en est de même des plantes, des cailloux, des astres et des galaxies. Seule la mémoire, parce que défaillante, fait croire à l’ennui et au déjà vu. Dieu, dans sa subtile inspiration, invente pour chaque être un lieu de singularité, la chambre d’accès intime à sa magnificence. Chacun détient sa propre personnalité, physique, psychique et plus profondément encore, une âme unique. Oui, c’est la chambre des secrets qui ouvre à l’au-delà du temps, un monde où tout est épanouissement et enchantement. Les yeux ouverts sur son achèvement, chaque être contemple la réalisation des autres comme l’image de Dieu. Rien n’est jamais semblable lorsque le temps s’arrête, alors que nous imaginons au contraire un monde immobile et souverainement ennuyeux. Le paradis, c’est la rencontre des contraires, l’arrêt et la vitesse infinie d’un temps qui devient autre.

16/11/2014

Culture et divertissement

La culture est au centre de toute société. Elle remplit l’être d’un gaz spécifique parfumé à l’eau de rose et devient nuage d’inachèvement salué comme accomplissement.

Le gaz est réduit aux médias, lieu de diffusion de la culture, palais des mille et une nuits ou se côtoient à égalité Lady Gaga et la Callas, Guillaume Musso et Milan Kundera, Picasso et Damien Hirst. Seule compte la quantité de like, bouton de délivrance d’un monde où tout se vaut. Il est certes parfumé à l’eau de rose qui mélange sentimentalité et sentiment. Il n’est certes pas nuage d’inconnaissance (écrit mystique anglais du XIVème siècle), mais bien plutôt chambre d’inachèvement dans laquelle se complaisent les nombrilistes de l’audience qui confondent quantité et qualité. L’accomplissement culturel devient la capacité à répondre au quizz où l’égalité règne entre les sujets.

La culture ne devient émancipation que lorsqu’elle perd cette qualité intrinsèque d’élévation de l’esprit ou de l’âme. Elle est alors recevable par tous. Elle légitime autant, sinon plus, le rap que la symphonie de Beethoven. Ceux qui osent penser autrement et qui établissent une hiérarchie bienfaisante entre les bruits médiatiques ne sont que des pisse-froids ou des peines à jouir. Oui, la vulgarité est devenue nécessaire à qui veut se faire entendre et cultiver la notoriété. A quoi sert la culture sinon à profiter de toutes sortes de distraction qui vont de la cuisine à l’amour libre et du camping à la série de télévision. Libérez-vous est le maître mot actuel. Alors on singe la valeur avec le slogan. C’est ainsi que le terme de république est sur toutes les bouches, utilisé à toutes les sauces, valeur suprême des politiques en mal vision d’avenir.

Alors ne soyez pas celui qui empêche de tourner en rond. Echappez-vous de cette attraction de la quantité et privilégiez le peu sans pour autant vous couper du monde. Là aussi le juste milieu est la règle d’or.

14/11/2014

L'individualisation de la société

Il existe deux grandes catégories de pensée parmi les hommes : ceux qui estiment que la valeur d’un homme tient à sa capacité à s’intégrer dans la pensée de la société dans laquelle il vit, et ceux qui, au contraire, pensent que leur valeur tient à leur capacité à créer une vision du monde personnelle. Caricaturalement, on peut comparer ces deux tendances à la différence de pensée entre l’Occident et l’Orient. Le premier met l’accent sur l’individu, le second privilégie le sociétal. Si l’on va plus loin, ceux qui réfléchissent à cette dichotomie estiment, pour la plupart, dans une théorie évolutionniste, que le progrès conduit de la première tendance à la seconde, c’est-à-dire que l’humanité s’enrichit par l’individualisation alors qu’auparavant elle s’enrichissait par le collectivisme. Où se situe ce croisement des tendances et qu’implique-t-il ?

En permanence, en Occident, la lutte entre les deux tendances a privilégié l’individualisation. On peut dire que le christianisme est une religion qui induit au cœur même de la croyance la valeur de l’homme individuel à travers le concept de sainteté ? Pour le chrétien, l’homme a non seulement la possibilité, mais le devoir, de s’extraire de ces tendances et habitudes véhiculées par la société, pour individuellement, se rapprocher de Dieu par ses efforts personnels à la sainteté. En Orient, la première qualité d’un individu est sa capacité d’intégration dans le système social : on doit faire comme ceci, et ne pas vouloir le faire est un péché d’orgueil.

Remarquons cependant que l’on pourrait démontrer l’inverse : le bon chrétien social est celui qui se plie justement à la vision du monde qu’impose l’église ; le bon pratiquant du zen est celui qui s’abstrait des contingences sociales (l’obligation de créer une famille, de produire du travail, etc.) pour trouver en lui-même sa propre raison de vivre.

Cependant, si l’on y réfléchit quelque peu, on constate que cette vision inverse est fondée sur un a priori, la supériorité de la société par rapport à l’individu. Le christianisme originel mettait l’accent sur l’accomplissement spirituel de chaque homme. Mais l’adoption par l’Etat romain du christianisme avec Constantin 1er a changé la vision du chrétien. Désormais, la sanctification du chrétien est liée à l’obéissance aux préceptes de l’église. Ce lien entre l’individu et la société a commencé à se fissurer au siècle des lumières et avec l’apparition de la science. Un homme seul peut avoir raison contre tous comme l’avait démontré Galilée bien avant le XVIIIème siècle. De même pour la tendance orientale, on constate là aussi qu’elle n’est pas aussi tranchée qu’elle en a l’air. En Orient, l’homme gagne en maturité et accomplissement de soi par sa capacité non pas s’intégrer dans la société, mais plutôt à s’en abstraire par une fusion dans le Tout.

Il est possible que notre temps soit celui du croisement entre les deux tendances : deviendrait prédominante la tendance à l’individualisation par rapport à celle de la socialisation.

L’inconvénient est que tout ceci entraîne des troubles à la fois pour chaque individu et pour la société dans laquelle il vit, et ceci est vrai tant pour ceux qui penchent vers l’individualisation que pour ceux qui prônent l’importance de la socialisation (évidemment pas au sens de vision socialiste, mais de prédominance de la société sur l’individu). Pour beaucoup cela se solde par une impression d’ordre ou de désordre, l’ordre étant du côté de la société et le désordre du côté de l’individu. Par exemple, le gouvernement actuel a plutôt tendance à comprendre les partisans de l’individualisation et à lutter contre les « clichés sociaux » qu’impose la famille. Alors il tente d’imposer une nouvelle manière de penser avec l’introduction du langage politiquement correct. Le sens des mots doit évoluer et au besoin on change les mots qui ont des connotations culturelles. Cela va de l’aveugle au non voyant, des noirs aux hommes de couleur, langage qui lui-même avait déjà évolué de nègres à noirs. Qui ne respecte pas ce langage n’est pas un bon citoyen et doit être rééduqué. En Orient, et plus particulièrement en Chine, malgré la montée en puissance d’une individualisation par l’économie et l’art, la pensée politiquement correcte ne peut que faire confiance à la direction politique du parti et toute tentative de critique ouverte est combattue. Le politiquement correct reste sociétal. Il en est de même dans la guerre ouverte entre l’Occident et l’Islamisme radical, une guerre sociétale et non purement religieuse, la société traditionnelle tournant autour de la religion et de la famille avec leurs interdictions plus issues de l’histoire plutôt que du Coran.

Cette période sera longue et engendrera des affrontements sur les formes de la société, du gouvernement, de la culture. Ce n’est que par une osmose inconsciente des deux tendances que, progressivement, un juste milieu sera trouvé, ni dictature de l’individualisme, ni tyrannie de la socialisation. Mais comme le juste milieu est la chose la moins bien partagée, répétons-le, la guerre sera longue.