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16/11/2018

Le parfum de Dieu

Chercher Dieu dans les bois, la mer, les montagnes ou les plaines est un jeu aussi vain que de le chercher dans les églises et les livres, y compris ceux écrits par Dieu lui-même comme le prétendent leurs adeptes. Vous n'y trouvez que ce que l'on dit de lui, alors que l'important est d'en faire l'expérience.

Plusieurs fois, il vous est arrivé de humer l’air et de sentir ce parfum subtil, inconnu jusqu’à maintenant, qui ouvre en un instant votre être au ravissement. Vous vous contemplez suspendu au parachute, poussé par les vents contraires de la grâce, petit grain d’homme dans le tourbillon de la vie et du monde. C’est un parfum prenant qui vous décoiffe comme un ouragan : Dieu passe ses doigts dans vos cheveux et vous allège du poids du monde. Ce parfum, vous ne pouvez ni le saisir ni le voir. Mais si vous fermez les yeux, il peut vous envahir en une seconde, disparaître en un clin d’œil et vous laisser au cœur la douceur des amandes, la caresse du chat, le chatouillement de l’écoulement de la rivière, le murmure de l’être aimé(e). Vous voulez garder en vous ce parfum décisif et marcher droit devant en humant la beauté du monde, mais peu à peu s’impose l’autre réalité.

Vous redescendez vers les odeurs journalières, vers la morne quotidienneté du chou et du cambouis. Le nuage s’est envolé. Il ne vous reste plus que cet élan vers lequel vous tendez les bras. Oui, courrez derrière lui. Mais ne vous rompez pas les os en larguant vos suspentes.

 

15/04/2015

L’art en creux 2

Un autre aspect de l’évolution de l’art et donc de sa vision en creux est son passage d’une conception élitiste à une conception protéiforme, non seulement dans l’idée même de l’œuvre, mais également dans ses techniques et ses matériaux. Il y a un siècle, l’art utilisait comme support un matériel dédié aux artistes : toiles tendues sur des cadres, bois, murs, etc. De nos jours tout support peut être utilisé, y compris le corps humain, la boue, les déchets, etc. La peinture était le médium de l’art pictural. Elle devient accessoire, utilisée avec d’autres moyens ou même remplacée par le verre, le plastique, l’espace (on met en scène une galerie vide) et bien d’autres choses encore. Tout sert à l’art, tout est art en puissance, ce qui brouille les cartes et contraint les amateurs et professionnels à un élargissement périlleux de leur savoir et de leur conception de l’art. Du coup, l’art apparaît comme dérision, mise en scène, sans aucun effort d’élévation et designification de l'art,art moderne,art contemporain,société,sens de la vie recherche de beauté. Un exemple : Darren Almond travaille sur le passage, la durée et l’expérience du temps. Il analyse le paradoxe qui veut qu’un moment passe lentement ou rapidement selon les circonstances dans lesquelles on se trouve. Il s’intéresse également aux différences entre les représentations analogiques et numériques du temps (Art Now, Taschen, 2005, p.20). Ici l’idée de l’œuvre importe signification de l'art,art moderne,art contemporain,société,sens de la vieplus que sa représentation purement matérialiste telle qu’une pièce avec deux portes et un immense ventilateur au plafond. Autre exemple avec le Body Art : mise en scène photographique de scarification avec une lame de rasoir, de Gina Pane (Azione Psyche, 1974, Performance à la galerie Stadler à Paris).

L’art est aussi protéiforme parce qu’il se veut beaucoup plus proche de la réalité qu’auparavant (les sujets empruntent à tous les aspects de la vie) et, en même temps, séparé de la réalité. Les frontières de l’art repoussent la réalité etsignification de l'art,art moderne,art contemporain,société,sens de la vie permettent d’aller plus loin, dans des zones soit mystérieuses, soit dangereuses parce que choquantes. Maurizio Cattelan exhibe ainsi Hitler à genoux en train de prier, le pape Jean-Paul II,signification de l'art,art moderne,art contemporain,société,sens de la vie couché, tenant sa croix, écrasé par une météorite apparemment tombée du ciel (des éclats de verre sur le sol en témoignent).

Bref, tout est art et rien ne devrait empêcher l’art de conquérir le monde. On peut se demander si ce ne serait pas un des buts inavoués des artistes contemporains. Magnifier le monde et leur personne en les transformant en idéal à atteindre. Ce serait bien sûr un idéal en creux, l’inverse d’une élévation dans laquelle l’artiste sort de lui-même pour devenir universel par sa puissance créatrice. Le nouveau regard de l’art sur le monde serait alors plutôt un regard nombriliste : l’art permet n’importe quoi, pourvu qu’il exalte la propre représentation du monde de l’artiste. C’est bien un mouvement inverse de l’élévation que le marché de l’art est en train de promouvoir, au travers des artistes, des galeristes, des marchands et des spectateurs, voyeurs et autres humains.

13/04/2015

L’art en creux 1

Longtemps l’art est apparu aux hommes comme une construction positive s’échappant au dessus de l’horizon et montant vers le ciel pour émerveiller l’homme et lui montrer la voie de la beauté et donc de la sagesse. L’art dessinait au-dessus du quotidien une ville imaginaire où tout n’était que grâce.

Cette nuit, en un éclair subtil, l’art m’est apparu en creux, s’enfonçant dans le globe, le creusant de sillons profonds. Une inversion de sa recherche primordiale. Quelle image ! Cela signifie-t-il quelque chose ou non ?

En premier lieu, on peut naturellement s’interroger sur la dégradation de la notion d’art. L’art peut-il abaisser ? Quitte à passer pour rétrograde, je pense que oui. Mais cette tendance de l’art a toujours existé. L’art a toujours généré des tricheurs, des voleurs d’idées, des initiateurs de fausses vérités, des profiteurs, un marché et ses conséquences à moyen terme sur la notion d’art. Sans doute cette tendance s’est développée avec l’évolution de la société, les technologies de reproduction, la photographie, l’enregistrement, le cinéma, Internet et tout ce qui permet de reproduire et diffuser l’art, voire de fabriquer de l’art, quel qu’il soit. L’art peut abaisser, dégrader l’homme dès l’instant où il perd de vue sa priorité : l’expression de la beauté.

Mais s’arrêter à cette image négative d’une dégénérescence de l’art resterait surement insuffisant pour expliquer cette vision. La deuxième moitié du XIXème siècle et une bonne partie du XXème siècle a vu s’établir le mouvement moderne.signification de l'art,art moderne, art contemporain, société, sens de la vie Incontesté durant six décennies, il a perdu à son tour sa suprématie, mais il n’a pas été remplacé par une seule et unique orthodoxie. La quatrième de couverture du livre d’Edward Lucie-Smith, intitulé L’art aujourd’hui (Editions Phaidon, 1999), explique que les artistes, les critiques et le public sont désormais confrontés à une situation d’une variété et d’une complexité sans précédent. L’argument central de l’acteur est que le monde de l’art n’est plus hiérarchique, mais pluriel, et que ses structures, si tant est qu’elles existent, sont provisoires. L’art dresse aujourd’hui  dresse la carte d’un monde instable. Pour étayer sa thèse, il établit une cartographie de toutes les tendances de l’art depuis les années 1960-70. Cela passe des survivances de l’art moderne, tels que les suites du pop art, la survivance de l’abstraction, l’art minimal et l’art conceptuel, le Land Art, le Body Art,, le Néo-Dada, le néo-expressionisme, à une analyse géographique : la peinture figurative britannique, le nouvel art de New-York, l’art américain hors de New-York, l’Amérique latine, l’art de la pérestroïka, l’Extrême-Orient, l’art africain et l’art afro-antillais, et enfin une analyse sociologique : les minorités raciales, l’art féministe et l’art homosexuel. Cette profusion de mouvements et de conceptions de l’art s’attaque à l’image même de l’art. L’art s’attache à tout ce qui fait l’homme et non plus seulement à ses impressions, aux sentiments et idées qu’il fait naître dans la société. L’art s’est élargi jusqu’à perdre son âme, pour certains, ou à embrasser le monde, pour d’autres. Il explore tous les aspects de la société et ne cherche plus seulement à en donner une image. Alors, il apparaît normal que de nombreuses facettes de cette nouvelle vision de l’art apparaissent en creux.

(suite à venir)

10/03/2011

Le théâtre d'Armand Salacrou

 

Un dialogue sur la vie, tel est le théâtre de Salacrou dont l’œuvre pourrait se définir par les deux termes de « confession » et « passion ».

Son théâtre est obsessionnel :

_ Qu’auriez-vous aimé être ?

_ Dieu, pour comprendre l’univers et le sens de la vie.

Salacrou cherche à surprendre la réalité profonde. Le dieu qu’il évoque est le symbole d’une explication du monde dont elle dissiperait, à ses yeux, l’absurdité. Car ce qui domine son théâtre, c’est ce sentiment d’absurdité de la vie, d’irrévocable comme la mort ou l’amour. L’amour est ici une force irrésistible, fatale qui justifie tout dans une société sans morale. C’est un mystère, plus encore que la mort.

Aussi ses personnages semblent romantiques, par le regret du passé, des illusions perdues, d’une destinée espérée et qui a fui peu à peu, et par une recherche de l’évasion. « Je cherche quelque chose qui me dépasse, qui soit plus grand que moi, qui me surprenne, qui m’enlève. »

  Mais ce romantisme aspire à un classicisme, à un ordre qui lui permette d’établir des principes. « Ce n’est pas la découverte psychologique qui m’intéresse, mais l’éclairage nouveau des objets présentés. Ce n’est pas la vérité, mais l’ordonnance. Son ambition est de promouvoir un ordre, d’apparence extravagante peut-être, mais un ordre enfin révélé qui explique et justifie l’univers personnel. »

 Salacrou procède par le rapprochement d’éléments vrais, documentaires, et de visions imaginaires, d’envolées verbales, de morceaux de bravoures lyriques. Si son théâtre est plein de jeunesse et de pureté, il est aussi tragique : ses personnages, dans leur désir frénétique de justifier leur existence, refusent les facilités, les dérobades devant les vraies problèmes, la lâcheté surtout. Ils éprouvent trop cruellement le poids de fautes passées et de la vieillesse.

Toutefois, le théâtre de Salacrou est avant tout un théâtre de verbe et de réflexion. Les étonnantes visions qu’il propose au public ne sont pas tant dans le spectacle lui-même que dans le jeu individuel de l’imagination que son texte provoque chez le spectateur.

 

  L’inconnue d’Arras

 L’inconnue d’Arras est une des plus belles et plus puissantes inventions du théâtre moderne. La rencontre d’Ulysse mourant avec les figures de son passé atteint des moments extraordinaires. Ulysse se tue pour l’amour de sa femme Yolande qui le trompe avec son meilleur ami s’enfance, Maxime. Le temps de la pièce est le temps de la seconde qui précède sa mort, pendant laquelle il revit ses souvenirs un par un.

Si Ulysse a la surprise de découvrir en la personne d’un jeune soldat (son cadet) le grand père tué pendant la guerre de 1870, celui-ci a la désillusion de voir apparaître sous les traits d’un vieillard, la petite fille qu’il avait espéré avec sa femme enceinte.

L’opposition du Maxime de vingt ans au Maxime de 37 ans concrétise, avec une rigueur incroyable, l’antagonisme de l’adolescent plein d’un idéal intransigeant et de l’homme mûr complaisant qu’il est devenu, avec ce regret de Maxime 20 : « et penser que mes enfants ne me connaîtront jamais. »

Autre image poétique, celle du nuage bourdonnant qui environne Ulysse mourant, qui n’est que les paroles qu’il a prononcées durant sa vie qui reviennent et dont l’amoncellement a soudain quelque chose d’effrayant : « Chasse toutes ces petites mouches bavardes, crie Ulysse à Nicolas, écrase mes paroles… »

Nicolas, le serviteur d’Ulysse, est le raisonneur du théâtre de Salacrou : « Avez-vous jamais vu deux langoustes essayer de se caresser, puis partir bras dessus, bras dessous, comme à la noce ? Aussi grotesques, aussi maladroits sont deux êtres de notre race qui cherchent à s’aimer. »

Et cette inconnue rencontrée par Ulysse à Arras. Personnage fugitif, entrevu à peine une heure, mais dont la présence demeure la plus forte, la plus émouvante, la plus vraie. C’est que Salacrou a le génie d’exprimer dans la silhouette de cette jeune fille égarée avec son propre malheur, au milieu du malheur universel, toute la peine et tout l’espoir de l’homme. Il a imaginé un mythe de la fraternité.

 

L’archipel Lenoir

L’archipel, c’est la famille Lenoir et chaque membre une île isolée entourée de liqueur, comme le dit humoristiquement Victor. Chacun ne pense qu’à soi, à sa respectabilité et à celle de l’archipel. L’archipel, c’est la famille, le nom des Lenoir, indivisible bien que formée de petits morceaux. Qu’une des îles disparaisse pour que l’archipel reste en bonne place sur la carte mondaine, voilà qui ne dérange pas les membres de la famille. Le grand-père, ayant violé une gamine après soixante-treize ans de vie exemplaire, et appelé pour être jugé, se voit condamné par le reste de la famille qui ne veut pas voir ternir son nom.
Salacrou engage ici un dialogue sur l’absurdité de la vie, dont le raisonneur est le prince Boresku qui se trouve en dehors du drame. Il fait aussi le procès de la morale bourgeoise pour qui tout est autorisé si le monde n’en a pas connaissance. Et plutôt que de subir un procès infamant, elle préfère mettre fin au jour du fautif.
Le deuxième titre, il ne faut pas toucher aux choses immobiles, explique le déroulement du conseil de famille, plein d’humour et d’incidents, chacun reprochant à l’autre des actes qui jusqu’alors étaient restés dans l’ombre. Dans chaque famille, il est des eaux troubles et immobiles qu’il ne faut pas remuer.
Après des épisodes pleins de philosophie humoristique, les choses s’arrangent grâce au domestique qui parait le seul être raisonnable de la pièce.

Le prince :
_ Non, Monsieur Lenoir, vous n’êtes pas dans un cauchemar. A moins que vous en considériez la vie, l’ensemble de notre existence, le passage de l’homme sur terre, comme un cauchemar. Alors, là, nous sommes tous en plein cauchemar depuis l’instant où nous avons compris que nous étions vivants. Vous souvenez-vous de l’instant précis où tout à coup, petit garçon, vous avez eu cette révélation : Je suis vivant, j’aurais pu ne pas exister, et je vais mourir.
 Non ? Moi si. Et je me suis évanoui. C’était une charge intolérable sur les épaules de ce petit garçon.

Le grand-père :
_ Quand on déroule ses sentiments à l’envers, on comprend que l’amour, çà s’invente.

La princesse :
_ Il y a des idées immobiles auxquelles il ne faut pas toucher, sinon elles se mettent à remuer et s’en est fini de notre repos. Personne ne peut plus les calmer.

Le prince :
_ Méfiez-vous d’en arriver à croire que les choses doivent être faites pour cette seule raison qu’il vous est difficile de les faire. La morale des courageux est aussi aveugle que la morale des lâches.

Le prince :
_ La vie est aussi dangereuse que le poker. On a toujours envie de parier, de tricher, de gagner. Regardez votre vie comme si vous regardiez pour la première fois des joueurs de cartes. Des fous, diriez-vous. Aussi, avec une grande énergie me suis-je efforcé de me désintéresser. Il y a une progression classique : on se désintéresse d’abord des hommes, ensuite des femmes. Enfin, les purs parviennent à se désintéresser d’eux-mêmes. Et j’aimerais le jour de ma mort, mourir totalement désintéressé. Que ce soit, même, le sens de ma mort.