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04/04/2015

L'escalier

Chaque nuit, le premier jour, la première nuit le hantent. Alors se lever devient une délivrance. Dans le noir et les lueurs de la rue, il descend l’escalier. C’est une plongée dans les pensées, dans un passé perdu et un avenir à trouver. C’est le début d’une méditation. Insolite, certes ; mais vivante et transitoire.

L’escalier est étroit. C’est un trou dans un coin de la maison, encombré d’objets hétéroclites, tels que balais, sacs, bouteilles pleines, à boire les jours de spleen. Il y passe pour se simplifier la vie. L’autre, le grand escalier, encombré de livres et d’enfants ne sachant s’ils veulent monter ou descendre, est celui des jours de la normalité. Ici, c’est le puit sans fond, le hoquet dans la perception, l’effondrement des sensations. En descente, il n’y prend pas garde, tendu vers la cafetière. Une fois le breuvage pris, les secondes ont une autre dimension. Ragaillardi, il sort de la cuisine. Il éteint la lumière. Le réverbère suffit pour éclairer la première marche. Les autres se montent dans l’automatisme de la cadence d’une ritournelle. Il s’engouffre à l’entrée de l’échelle, plein des rêves d’enfance.

Cet escalier, c’est sa galerie. Elle est étouffante. Les tableaux se précipitent sur vous, collent à la rétine, vous dépouillent de vous-même, vous enserrent d’abstraction géométrique. Oui, ne sachant plus ou les mettre, il a trouvé ce recoin, cette descente en lui-même, ce puits sans fond de l’inspiration. Il y a encore quelques vides, à remplir au fil du temps et des toiles vierges achetées à la ville voisine. Il monte les marches une à une, souvent sans y penser. Mais ce matin, un pincement au cœur l’a surpris. Pourquoi ? il ne sait. En un instant, il s’est dissous dans la cage étroite, devant la géométrie abstraite. Sa vie résumée dans un placard garni d’images qui ne représentent rien. Désespoir ? Non… Délivrance…

Un courant d’air l’aspire vers le haut, ses cheveux se dressent sur la tête, c’est une chute à l’envers qui lui coupe le souffle. Il monte en spirale, à la vitesse de l’éclair, dans une ascension fulgurante, contemplant ses tableaux comme un ultime rêve à abandonner aussi. Aïe ! Il se cogne la tête au plafond. Il se retourne, les bras en croix, scotché sur le bouchon du puits de l’abstraction géométrique. Quelle singulière familiarité ! Un résumé qui sent la nuit, ouvert sur le vide. Et peu à peu, son corps traverse le plâtre, les tasseaux, les tuiles et s’évade dans l’obscurité qui finit sa java endiablée.

Le rythme des pas montant les marches, la lente progression de la main sur la rampe, le froid qui le saisit lentement, le rappellent à lui-même… Oui, il est encore là, bien vivant, éveillé. Arrivé en haut des marches, il se retourne et contemple toutes ces toiles emplies de signes géométriques. Un résumé…

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