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04/09/2020

Le sanglier de l'Argoat

C’était un sanglier…
Il avançait sa hure sur l’eau
Coupant la vue aux vacanciers
S’opposant au pirate paradant
Qui maîtrisait les impressions

Le sanglier heureux de l’Argoat
Faisait fi au poisson de l’Armor
Rencontre explosive
Il ose venir défier l’au-delà
Des terres du bout du bout

Il avance son boutoir innocent
Pourtant il ne confond pas sa souille
Avec l’eau salée de la mer
Il préfère goûter escargots,
Limaces ou grenouilles
Plutôt que boire un verre
Au bord de la plage fumante

Les hommes, voire les femmes
S’emploient à le chasser
De ses terres humides et froides
Le laissant errer dans les jardins
Jusqu’au jour où il rencontre
Son assassin

Il ouvre alors ses paupières
Regarde une dernière fois la mer
Et se dit à voix basse
"Que l’eau était bonne aujourd’hui"

Puis il ferme les yeux et s’en va
Vers des cieux plus cléments
Où rien ne viendra voiler
Son regard fureteur
Et sa gouaille faconde

©  Loup Francart

 

26/04/2017

L'apprentissage de la chasse

La chasse restait un des passe-temps favoris des vacances. Depuis longtemps déjà, Jérôme participait aux chasses familiales. Vint le moment de recevoir un fusil et de pouvoir chasser légalement. C’était le fusil de sa mère qu’elle lui prêta pour faire ses premières armes, un bon vieux Darne, dont tout le mécanisme se trouvait dans le bloc culasse actionnée par une clé levier qui permettait l’armement et le verrouillage. Le fusil se tenait toujours droit, jamais cassé. On ouvrait la culasse pour franchir une barrière ou traverser une haie.

Il avait bien sûr déjà tenu un fusil, tiré sur des objets fixes, été surpris par le départ du coup et, la première fois, meurtri à la pommette par le tressautement de l’arme. On lui avait expliqué l’importance de de la précision gestuelle du jeté qui doit toujours être identique. Il s‘était entraîné de façon à  bien jeter son fusil de la hanche à l’épaule et le fait qu’en levant le coude à l’horizontale s’alignaient quasi automatiquement le guidon de visée et le point de mire. C’était facile à dire, mais plus difficile à faire. Il s’exerça longtemps devant une glace jusqu’à obtenir un tir instinctif à peu près juste. Cela devint moins évident dès lors qu’une cartouche était glissée dans le canon. Il lui fallut s’habituer au bruit assourdissant de départ de coup et à la secousse qui l’accompagnait, faisant légèrement dévier l’arme avant que les plombs ne sortent du canon. Tout devenait différent. L’habitude finit par apparaître. Il était prêt à marcher à sa place, à tenir son rang et à pouvoir tirer si un gibier se présentait devant lui. On avait omis de lui dire que le simple départ d’un perdreau sous ses pieds procurait un choc émotionnel qui brouillait totalement les cartes. Comment penser en une ou deux secondes l’ensemble des gestes alors que le simple fait de l’envol faisait cogner son cœur comme après un mille mètres ? La maîtrise était d’autant plus difficile à acquérir qu’il fallait forcément être en situation pour la vivre. On tire toujours trop vite lors des premiers coups de feu et les plombs passent derrière la trajectoire de l’animal. Ne pas tirer sur la silhouette, mais devant. C’est relativement simple à comprendre lorsque le gibier passe de droite à gauche ou inversement devant vous, mais lorsqu’il prend son envol et s’élève en prenant de la vitesse cela devient une gageure. De plus, rien de tout cela n’est prévisible. Vous ne pouvez savoir quand un lièvre va sortir de son gîte pour filer à toutes jambes.

Bref, au royaume de l’imprévu, anticiper devient un art et tous savent que l’art commence par l’artisanat, c’est-à-dire de longues années d’apprentissage. Jérôme n’en était qu’à ces débuts, une succession de battements de cœur et de coups ratés et une déception toujours vive de voir s’enfuir l’animal. Il semblait rigoler en tournant la tête après le départ du coup. Puis, il montait dans les airs avec un clignement d’ailes.

28/01/2015

Souvenir d'enfance

Il se souvient des soirs où les perdreaux étaient présentés sur la table. Déjà, avant même qu’ils n’y arrivent, montaient de la cuisine à travers le petit escalier, des fumets de viande rôtie, au goût faisandé, préparée par sa grand-mère dans le four en permanence chauffé par les bûches courtes qu’elle glissait par une porte au cœur même de la chaleur. Malheureusement, les perdreaux étaient réservés aux grandes personnes qui se pourléchaient les doigts, rongeant les os des pattes, puis des ailes, puis le blanc velouté, parce que légèrement faisandé, du poitrail. Mais le meilleur était sans doute les morceaux de pain grillé, cuits dans la sauce dorée, qui portaient le dernier repos des cadavres. Ils étaient onctueux à souhait, fondaient dans la bouche, exhalaient les prés tendres, les haies épineuses,  les grains de blé tombés de l’épi, le creux de terre dans lequel ils s’abritaient, serrés les uns contre les autres. Alors, les enfants quémandaient une patte, rien qu’une, pour partager ce délice auquel ils avaient bien droits puisqu’ils les avaient portés dans le carnier bien lourd pendant toute une après-midi. L’eau leur montait à la bouche rien que d’y songer !

Délice que cette patte dorée, fumante encore, partagée en quatre. Chaque parcelle de sa chair exhalait le retour de la chasse lorsque, fatigués, chacun d'eux se laissaient aller dans un fauteuil et fermait les yeux sur la marche dans les grands prés, sur le bruissement de l'envol d'une compagnie, sur le départ d'un coup de fusil. Non, ne pas bouger : attendre que l'on arrive à sa hauteur. Le perdreau était là, encore chaud, parfois encore vivant. Alors prenant le cou, il imprimait une torsion qui laissait l'animal sans un mouvement. Mort, ne pas le faire souffrir inutilement. Et maintenant chacun contemple son assiette et le petit morceau de chair clair à l'odeur rougeoyante et ferme. Vous pouvez y aller ! ils ne se le faisaient pas dire deux fois. Quel goût. Les enfants étaient les princes de la soirée. Ils montaient se coucher pour rêver d'herbes, d'odeur de poudre, de chaleur des après-midis d'automne et de picotement de la chair du perdreau sur le bout de la langue.