Le nombre manquant (récit insolite : 3) (14/07/2015)

 Dans mon lit, je me suis longuement retourné. Et si réellement on trouvait une piste ? J’étais profondément excité. Je me suis relevé à un moment pour vérifier sur Internet ce que mon ami entendait par hacker. Je découvris qu’un hacker est une personne qui cherche à comprend et qui comprend même, de façon approfondie, le fonctionnement interne d’un système. C’est un passionné, un peu comme l'étaient les radio-amateurs il y a quelques dizaines d'années. Ce sont eux qui ont créé l’Internet. Leur savoir-faire s’enrichit chaque jour dans des domaines comme la programmation, la sécurité informatique, l’administration d’un système ou de réseau, et même l’architecture matérielle d’un ordinateur. Un hacker n’a rien à voir avec les crackers qui agissent illégalement et de manière malveillante. En fait le hacker est un bidouilleur de première classe pour qui toute informatique est libre par nature. Son but : créer une prouesse informatique, seule hiérarchie dans leur monde. Cette explication me permit de faire connaissance avec un hacker et d’envisager une collaboration.

 Lydie, ma femme, à qui j’avais raconté ma rencontre avec l’informaticien, me dit :

 – Prends garde. La passion conduit à bien des erreurs et détruit de nombreux couples. Ne te laisse pas prendre aux pièges de la connaissance. Elle est à l’opposé de l’action, c’est-à-dire de la vie. La connaissance c’est l’infini, l’action c’est le zéro.

 En une phrase bien sentie, elle avait résumé le problème. On peut toujours penser  à une infinité de sujets, même les plus irrationnels et les plus impossibles. Mais on ne pourra jamais faire des actions contraires aux lois de l’univers. Le zéro est contraint par le un, voire par les millions de zéro plus un chiffre avant le 1. Il se heurte à l’entendement d’un chiffre pour exprimer sa puissance. Sans le un, le zéro n’existe pas, seul l’infini peut encore exister.

 Quelques jours plus tard, je reçu un coup de téléphone. C’était mon ami l’informaticien, Mathias de son prénom.

 – Il est disponible demain.

 – Qui ?

 – Mais le hacker dont nous avons parlé l’autre jour. Il est décidé à vous rencontrer. Il ne sait pas exactement pourquoi, mais il faut en profiter, car il peut rester plus de quinze jours sans voir quelqu’un.

 Nous avons pris rendez-vous pour le lendemain. Mathias semblait aussi impatience que moi. J’arrivai chez lui avec dix minutes d’avance. Il habitait une sorte de studio en haut d’un immeuble dans le 5ème arrondissement. Il était encombré d’écran, d’appareils, de haut-parleurs  et tout baignait dans une lueur vert pomme que procuraient les boutons ornant certains instruments. Il avait cependant aménagé dans un coin une sorte de petit salon avec un canapé, deux fauteuils et une table basse. Il m’y entraîna, me fit assoir et prit la précaution de m’expliquer ce qu’il ne convenait pas de dire en sa présence. Par exemple, le terme « incompréhensible » le met dans une rage qui lui coupe tous ses moyens. Alors, à éviter. De même, le terme « chercheur ». Il ne peut pas les voir. D’après lui, ils ne font que chercher, mais ils ne trouvent jamais. Ce sont des interrogateurs, mais pas des résolveurs. Ils laissent leur esprit rêver dans un monde confus et volontairement compliqué et se perdent dans des raisonnements tordus qui ne mènent nullement part. Parfois, l’un d’eux trouve quelque chose. C’est la gloire. Il met un habit de soirée, monte sur une estrade, reçoit un objet en or devant un parterre d’applaudisseurs et fait l’objet de nombreux articles de journaux vantant son intelligence, son ouverture d’esprit, son agilité naturelle. Mais la plupart du temps, ils finissent directeur de recherche, un poste administratif qui lui retire toute faculté de penser. Tout alors est lié aux chiffres. Combien coûte tel appareil, combien faut-il engager de chercheurs, combien de temps faut-il pour avoir l’espoir de…

 – Un vrai hacker ne compte que sur lui, me dit Mathias. Il se met face à un problème, se fait une réserve de sandwichs et de bières, ferme sa porte à clé et commence à réfléchir. Cela peut durer plusieurs jours, parfois même plusieurs semaines. Il ne dormira pratiquement pas pendant ces jours de concentration. Sa machine intellectuelle fonctionne à plein régime. Il émet des hypothèses, les vérifie, les écarte jusqu’à ce que l’une d’entre elles se révèle prometteuse. Il approche, presque, il redouble de réflexion. Jamais une impatience, l’expression d’un manque d’aide ou une vielle résurgence envers la société. Le hacker n’a…

La sonnerie de la porte d’entrée émit un bruit bizarre, comme le couinement d’un lapin qui se fait prendre la patte dans un piège. Mathias se leva : 

– Le voici. Je suis impatient.

07:27 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nombre, numérotation, langage, universalisme |  Imprimer