Le nombre manquant (récit insolite : 2) (10/07/2015)

En effet. Cette histoire de zéro n’est pas tout à fait logique. Le zéro est une bascule ; il permet de passer de droite à gauche et inversement, comme il permet de passer du positif au négatif. Chaque chiffre est un point quantifiable. Le zéro est-il un chiffre ? C’est plutôt une zone d’ombre, un trou noir dans notre tête comme il y a des trous noirs dans l’univers. Cette zone d’ombre est difficile à cerner. A quel millionième de millionième appartient-il, avant le un ou avant le moins un ? Je n’ai pas de réponse. Mais si l’on va aux autres extrémités, le zéro voisine l’infini. Ne serait-il pas le jumeau de ce nombre qui n’est, non plus, pas un nombre.

Je me trouvais au jardin des Plantes. Il était neuf heures du matin, par un beau temps qui réjouissait la vue et les odeurs. Mais je ne voyais rien. Oui, je constatais que je devenait accro. Je sais que tous les passionnés sont accros. Je sais même que rien ne se fait de bon ou de bien dans l’univers sans un peu et même beaucoup de passion. Mais dans le même temps, j’avais toujours tenu pour fêlés les hommes ou les femmes qui n’avait, pour toute une vie, qu’un seul but dans un seul domaine, parfois risible. Ainsi ceux pour qui l’argent est tout. Peu importe la façon de le gagner et les compromis auxquels il vous entraîne. Ceux également pour qui la notoriété seule compte. Ils sont prêts à se compromettre pour un article dans un journal quelconque. Je vouais par contre une certaine admiration pour le terme « Renaissance man », utilisé aux Etats-Unis pour désigner les personnes cultivées dans de nombreux domaines et dont l’objectif est de se connaître soi-même. Mais quel travail cela demandait ! Certains jours, j’étais prêt à arrêter. De toute ma vie, je ne pourrai jamais acquérir ces connaissances et, encore moins, en faire une synthèse qui en vaille la peine. Alors, à quoi bon !

Pourtant je persistais, à côté d’autres passions : la plongée sous-marine, la théorie de la musique, la poésie, et bien d’autres encore. Je m’acharnais à entrer en connaissance avec l’univers. Bien vaste sujet, si vaste qu’il m’aspirait progressivement. J’étais comme une étoile naine, perdu dans l’immensité inconnue.  J’expliquais à l’informaticien cette énigme : transformer la dualité « Un – Zéro » en un nombre synthèse qui permettrait de passer d’un monde à l’autre et de revenir. Il me regarda un moment. Je voyais dans ses yeux l’affolement qu’introduisait cette idée. Il devait se demander si j’étais normal. Non, évidemment ! Mais les grandes découvertes ne proviennent-elles pas de personnes quelconques qui se posent des questions que personne de sérieux ne se pose. Après une minute de silence, il répondit :

– Sujet intéressant ! Mais sommes-nous assez avancés pour nous poser cette question ?

Une affirmation, une question en réponse à une question. Je veux de vraies réponses, moi ! Je le dis brutalement, peut-être trop, mais peu importe. J’avais déclenché un intérêt nouveau pour une question urgente. Et notre informaticien s’y plongea, jusqu’au cou.

Deux jours plus tard, il revint vers moi, me prit par le coude et m’entraîna vers la place de la Sorbonne. Il me fit assoir près de la fontaine et me dit, d’un ton de confidence :

– J’ai trouvé !

– Quoi donc ?

– pas encore le nombre. Mais un chemin probable qui doit y mener.

Mon esprit, alors à mille lieux de cette affaire, fut retourné en une seconde. Je le regardais attentivement. Il ne semblait pas se moquer de moi. Il était très sérieux, raisonnable et passionné lui aussi. Il commença à me donner des explications que j’eus beaucoup de mal à suivre et encore plus à comprendre. Aussi suis-je incapable de vous répéter son discours. Je fus néanmoins convaincu d’une avancée dans le domaine, légèrement certes, mais importante. Si j’avais bien compris, il s’agissait de trouver le mot qui réconcilie les opposés, ce que je savais déjà. Mais comment ? La nature de notre monde n’était-elle pas de fonctionner par paire d’opposition, voire, parfois, de conciliation, mais toujours par pair. Alors comment arriver, dans ce monde, à atteindre un nombre qui fonctionne seul, sans pair. Jusqu’à présent il n’y avait que le zéro et l’infini  qui fonctionnait ainsi. Le troisième nombre, l’irréalisable, méritait d’être découvert. Il devait faire la synthèse entre le un, premier des nombres, et le zéro, qui n’est pas réellement un nombre palpable. Ce nouveau nombre était-il possible, sous quelle forme ?

Nous parlions poussés par l’inspiration, l’imagination, la créativité. Nos cerveaux correspondaient sans perte de temps, en harmonie, bien huilés. C’était un plaisir. Mais nous n’avons pu avancer au-delà de ces quelques pauvres idées. Comment trouver ce court-circuit entre les oppositions ou les contraires, c’était toute la question ! Juste au moment de nous quitter, il me dit :

– Je connais un hacker spécial. C’est lui le chemin. Il fait des trucs incroyables. Je l’ai connu grâce à mon fils qui est également informaticien. Je vous le présenterai un jour, prochainement.

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