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09/06/2021

Un nouveau livre ? (symphonie nippone : photos Gildas de La Monneraye)

La page d'hier est peu explicite : de quelle vie ordinaire parle-t-on ?

Il s'agit de la vie ordinaire des Japonais et d'un livre dont l'intérêt serait l'image et la parole mêlées. Écrit à deux, voici ce qu'en dit le photographe, mon co-auteur, qui a passé plusieurs mois au Japon :

Je vois l'ensemble comme une histoire où chaque image se connecte entre elles effaçant, par la même, l'intérêt singulier de celle-ci. L'écriture ne sera pas l'explication de cette histoire ni même l'histoire. J'ai, indéniablement, construit ce livre selon ma vision de raconter le Japon. Je fais naître mon histoire que j'ai voulu, par ailleurs, universelle. 

Les questions que je me posais lors de ce projet au Japon ont toujours été avec l'objectif de représenter le Japon en restant proche de l'ordinaire. Cet ordinaire qui est pour moi la plus belle façon de retranscrire notre réalité : crue, familière et anonyme. 

Ce livre parlera aux personnes extérieur du Japon qui porteront un regard de découverte sur la culture d'une façon de vivre dans un décor qu'ils connaissent peu ou pas du tout. Malgré tout, une vie ordinaire commune à toute à chacun, même à l'autre bout du monde, avec des influences bien différentes. Et lorsque les Japonais regarderont le livre, loin des clichés cartes postales, ils poseront un regard critique sur leur propre façon d'être même si l'histoire est vue par un étranger occidental.

Je suis parti à travers plusieurs régions au Japon en utilisant la marche pour me déplacer. Je souhaitais vivre les journées à une vitesse plus lente et ainsi pouvoir observer le rituel journalier de la population tout en évoluant dans des paysages différents selon la route prise. Cela m'a permis de voir aussi bien les enfants se rendant à l'école ou jouant, les parents face à leurs responsabilités pour la famille, les jeunes plus avancés dans les études ou entrant dans la vie active, les travailleurs confirmés, ceux mis de côté et bien sûr les personnes âgées retraitées ou pas. La logique naturelle s'est donc tournée vers une chronologie générationnelle. 

Les strates de la société, des classes sociales sont l'objet de mon vagabondage au milieu d'eux, en évitant le plus possible des clichés "idéalisants". 

Je porte aussi une importance à l'environnement dans lequel les gens évoluent. Il existe un lien évident entre les hommes et l'espace naturel qu'ils façonnent. Il est intéressant de voir comment se développe l'espace naturel au gré de l'avancée matérielle, technologique et sociologique de l'Homme. 

La photographie m'intéresse, pas forcément dans sa technicité mais plus par son pouvoir de traverser le temps et de documenter des comportements d'une civilisation à un moment T. C'est un document, que certains aiment définir pour l'Histoire de l'instant. Je pense par exemple à August Sander sur la thématique "Hommes du XX siècles" avec comme credo "voir, observer et penser". Son corps de travail est ce pourquoi je fais de la photographie.

Immergé quelque mois dans le Japon, n'est ce pas une perspective intéressante ?

Alors vous verrez, de ci de là, des extraits de cette promenades au Japon: Photos + textes poétiques. A bientôt.

14/10/2019

Passions et détachement

 

Les passions sont cause de la fugacité du temps.

Sans passion, une heure pourrait être une minute ou un jour,

Mais cela suppose le détachement face aux événements et à leur contexte.

 

 

26/07/2015

La vie tranquille, de Marguerite Duras

Il ne se passe rien, ou plutôt pas grand-chose dans ce livre. L’histoire en elle-même ne présente pas d’intérêt. La vie d’une femme de vingt-cinq ans dans la ferme d’une famille pauvre. Et pourtant ils ont des émotions, des sentiments et des réflexions élevés dans l’écoulement monotone, et pourtant mouvementé, d’une vie sans divertissement.

Du mal à entrer dans le livre, puis du mal à en sortir. Au commencement, on y revient, même avec l’envie de tout laisser tomber. Puis on y revient pour un je ne sais quoi qui vous fait dire : « Que de beaux passages… Je retiens telle description, tel portrait, telle vision… » Enfin on prend conscience de la puissance de ce livre au fil des pages, jusqu’à lire, puis relire la plupart d’entre elles pour leurs évocations et leurs tendres descriptions.

Cela commence à la page 54 :

« Ça va être prêt, disait Luce Barragues, un peu de patience les garçons. » Et elle riait. Son manteau noir enlevé, elle est apparue dans une robe d’été. Pas très grande, mince, des épaules rondes, douces, ensoleillées. Elles avaient les cheveux noirs qui caressaient son cou et qui remuaient, remuaient sans cesse, des yeux bleus, un visage très beau, très précis qui se défaisait continuellement dans un rire silencieux. On croyait la connaître. (…)

Et toujours Luce :

Je l’ai embrassée dans ses petites rides, sur ses paupières fanées et le long de son front, au bord de ses cheveux, là où elle ne sait pas qu’existe l’odeur d’une fleur. Elle s’est éloignée, puis j’ai entendu qu’elle parlait à papa de la bonne soirée qu’ils avaient passée. J’ai pensé que nous avions des parents pour nous permettre seulement de pouvoir les embrasser et sentir leur odeur, pour le plaisir.

La narratrice :

Il fait frais, la nuit est noire. Des bandes jeunes gens passent en rafales rieuses dans les rues. J’entends la mer. Je l’ai déjà entendu quelque part ce bruit, il me rappelle un bruit connu. ( …) Les pieds devant moi, sous moi, derrière moi, ce sont les miens, les mains à mes côtés qui sortent de l’ombre et y retournent suivant la succession des réverbères, je souris… Comment ne pas sourire ? Je suis en vacances, je suis venue voir la mer. Dans les rues, c’est bien moi, je me sens très nettement enfermée dans mon ombre que je vois s’allonger, basculer, revenir autour de moi. Je me sens de la tendresse et de la reconnaissance pour moi qui viens de me faire aller à la mer. (…)

L’air sent le fard et la peau brûlée de soleil. Sur la banquette il y a de beaux bras nus, des seins tendus sous des écharpes rouges, jaunes, blanches. Ils rient. Ils rient de tout. Ils essaient chaque fois de rire davantage de tout. Derrière leurs rires inégaux on entend le bruit bleu et râpeux de la mer.

Ailleurs dans sa chambre, seule :

J’ai regardé ma robe jetée sue le lit de la chambre. Mes seins lui on fait deux seins, mes bras, deux bras, au coude pointu, à l’emmanchure béante. Je n’avais jamais remarqué que j’usais mes affaires. Je les use. La robe luit au bas du dos, à la taille. Sous les aisselles, elle est déteinte par la sueur. J’ai eu envie de m’en aller, de laisser cette robe à ma place. Disparaître, m’enlever.

Et plus intimement :

Il m’arrive de me regarder (…) et de me trouver belle. Je me sens émue devant la régularité de mon corps. Ce corps est vrai, il est vrai. Je suis une personne véritable, je peux servir à un homme pour être une femme. Je veux porter des enfants et les mettre au monde, car dans mon ventre, il y a aussi cette place faite exprès pour les faire. Je suis forte, grande et lourde. (…) Ma chaleur m’entoure et se mêle à l’odeur de mes cheveux. Je n’en reviens pas de ma peau nue, fraîche, bonne à toucher, de cette préparation parfaite faite pour accueillir les richesses ordinaires. Je me plais. Je m’étonne de ne pas plaire aux autres autant que je me plais. Il me semble que cette grâce que je me trouve est d’une espèce que l’on ne peut pas aussi bien voir, qu’on n’entend pas aussi facile.

Les phrases coulent, seules, dans une sécheresse doucereuse, évoquant peu de choses, comme un souvenir lointain derrière la brume du matin, une ombre de réminiscence dans la crudité des choses. On se sent immergé dans le bonheur de vivre, d’aimer, de méditer. Autour de soi, rien ne se passe, rien d’intéressant. Et pourtant. On ne donnerait sa place pour rien au monde.

Il est rare, très rare, d’aimer un livre non pour l’histoire qu’il raconte, mais pour son style envoûtant, si évocateur d’une vie pleine et pourtant sans action. Et la narratrice poursuit sa vie tranquille en épousant celui qu’elle aimait, le sachant sans le savoir.

Lorsqu’il est revenu, je lui ai demandé d’arrêter là notre visite. J’étais fatiguée. Je voulais dîner et que nous montions ensemble dans ma chambre. Je voulais dormir avec lui. Il est venu auprès de moi et il m’a pris ma tête contre son cou, il m’a serrée très fort, il m’a fait mal. Je ne lui ai rien demandé. Il m’a dit qu’il n’avait même pas pu toucher Luce Barragues parce que c’était de moi qu’il avait envie.

Il faisait noir, une nuit d’octobre, fraîche d’orage.

12/07/2015

Communication (2 et fin)

Mais allons plus loin et cherchons à en connaître plus sur la communication de tout un chacun. On constate que les règles utilisées sont assez différentes ce que l’on a énuméré plus haut.

* Transmettre signifie dire à l’autre qu’on existe. Peu importe qu’on ait quelque chose à dire ou non et peu importe si l’autre existe ou non. Ce qui compte, c’est ma volonté d’exister.

* Comme j’ai besoin d’exister, je transmets ce message plusieurs fois : Je ne sais à quelle heure nous arriverons à la gare, nous avons du retard… J’arrive dans cinq minutes… On entre dans la gare… Je suis sur le quai… Je ne te vois pas… Ah, je te vois… Ils continuent à se téléphoner alors qu’ils sont à deux mètres l’un de l’autre et ils se serrent la main tout en tenant leur téléphone portable contre leur oreille.

* Si les échanges ont lieu en SMS, sigle bien connu dont la traduction est ignorée le plus souvent (Short Message Service), encore appelé texto, il faut un diplôme pour comprendre ce qu’il signifie. L’objectif premier du langage SMS était soit d’en accélérer la saisie, soit d’en réduire la longueur. Bjr sava ?koi 2 9. N’entrons pas plus dans le détail. Je n’ai pas le diplôme.

* Cette communication n’a que peu de nuance. Elle impose sa personne et demande l’acquiescement. RDV à XX. Tu peux ? (je rajoute le point d’interrogation qui n’est jamais écrit ou même rendu par l’intonation).

* Quant aux explications, elles sont définitivement bannies de la communication. La première qualité d'une bonne communication est sa brièveté. Alors expliquer, que nenni !

* Quelques arguments fallacieux peuvent cependant être servis : la majorité des Français pensent que… Cette majorité proclamée ne vient pas d’un sondage, mais cela fait sérieux et renforce le message sans aucune preuve.

Là aussi, cessons d’argumenter.

Il importe cependant de faire une remarque. La communication permettait auparavant de justifier les décisions. Dorénavant, elle est première et les remplace. Celles-ci ne sont plus là pour être effectives. Les décisions sont là pour communiquer, dire que l’on fait quelque chose, et non pour agir dans le concret. On crée ainsi des décisions qui n’en sont pas, uniquement pour avoir quelque chose à dire, pour entretenir la communication, pour la restaurer. Oui, la communication a pris le pas sur la décision. Elle règne en maître sur la politique, sur l’administration, sur chaque ministère, sur chaque grande entreprise, voire même sur chaque association, chaque artiste, auteur, etc. Des communicants se proposent. Ils n’ont rien à dire, mais ils savent comment le dire. Ils ont leur mot à eux, leur savoir-faire tel que Like. Ils vous contraignent à cliquer et si vous refusez, vous êtes bannis du message. Avant même de vous dire quelque chose, il vous demande de vous inscrire, de donner votre mail, d’enrichir leur base de données qu’ils revendront au plus offrant. La communication crée de la richesse. Mais sur quoi ?

Certainement pas sur le message. Il n’y a plus de message. Rien de construit, d’intéressant (il faut se mettre à la portée de tous). Rien qui vous permette de vous enrichir l’âme. Celle-ci n’existe pas.

Seul existe le réel, c’est-à-dire la communication. Elle fait tourner le monde et tous ont le tournis. Ceux qui ne l’ont pas sont éjectés par la force centrifuge de la majorité démocratique et républicaine (deux arguments d’autorité incontestables et incontestés bien évidemment).

11/07/2015

Communication (1)

Si l’on s’en tient au dictionnaire, la communication est synonyme de transmission. Elle est message transmis à quelqu’un d’autre pour qu’il en prenne connaissance.

Cette définition incite à quelques déductions :

* Transmettre signifie échanger un message avec quelqu’un. Il semble donc que le message est bien le plus important. Si l’on n’a rien à dire, à quoi sert de communiquer.

* Ce message doit forcément apporter quelque chose de nouveau. La communi-cation ne devrait donc pas consister à transmettre sans cesse le même message ou à le redire d’une autre manière sans apporter quelque chose de nouveau.

* Ce message doit être intelligible, facilement compris par tous et exempt de fautes ou d’expressions incompréhensibles. Pourtant combien de nouvelles formules sont inventées chaque jour pour tromper ou dérouter le commun des mortels. Est-il par exemple plus communicateur de parler de Grexit que de sortie de la Grèce de la zone Euro ?

* Communiquer ne signifie pas imposer quelque chose à quelqu’un et encore moins le tromper. La vraie communication doit laisser libre l’interlocuteur et ne peut imposer une pensée unique et contester tout droit à ne pas adhérer. Elle s’accompagne donc d’un principe de liberté de pensée et d’expression. L’auditoire doit rester libre d’adhérer ou non à l’opinion qu’on lui propose.

* Il est donc important d’expliquer. On ne peut se contenter de dire ce que l’on prétend sans en donner de bonnes raisons de croire ce que l’on dit. Le message doit donc être argumenté.

* Argumenter, c’est chercher à faire adhérer par la raison sans contrainte. Ces explications ne peuvent être des arguments conservateurs qui s’appuient sur l’acquis, l’admis, le préalable et la tradition ou des arguments novateurs qui visent à reconstruire un cadre de référence, une nouvelle représentation.

* Les arguments fallacieux tels que l’étiquetage (racisme, homophobie, etc.), la généralisation séduisante (la vitesse tue, les riches doivent payer, etc.), l’argumentation sélective et bien d’autres types d’argumentations fallacieuses, ne permettent pas de communiquer. Elles brouillent la communication et la rendent inefficace.

Maintenant, abandonnons cette série de déductions. Trop expliquer peut également tuer la démonstration. Demandons-nous s’il s’agit réellement de cela aujourd’hui lorsqu’on nous parle de communication.

Prenons quelques exemples de la vie quotidienne.

Hier, comme à l’accoutumée, je me déplaçais en vélo dans Paris sur une piste cyclable clairement identifiée. Trois fois je dus m’arrêter parce qu’une personne, homme ou femme, était le nez dans son Smartphone, coupé totalement du monde réel, à mille lieux d’un carrefour où se croisent des véhicules divers dans tous les sens. La dernière personne, à qui je fis remarquer qu’elle avait un comportement irréfléchi, me fit signe qu’elle communiquait et que cette communication était bien plus importante que le reste. Le geste d’accompagnement de l’explication (une gestuelle de mains et bras mouvants au-dessus de la tête qui se finit par les deux mains tremblantes face à face avec sa tête au milieu tremblant également) suggérait la formation de nuages invisibles au-dessus de sa tête qui la pénétraient totalement.

Lorsqu’il vous arrive de prendre le métro, vous constatez qu’au moins 80 % des gens ne cessent de communiquer. Ils sont le nez (ou l’oreille) dans leur appareil, appuyant avec force doigts sur l’écran qui s’illumine en éclairs insolites et terrifiants pour ceux qui se contentent de regarder. Rien ne peut en distraire l’utilisateur. Vous pouvez essayer de lui poser une question. La première fois, vous n’êtes pas vu, donc pas entendu. La seconde fois, vous êtes vu, mais pas entendu. La troisième, après que votre interlocuteur ait sorti ses oreillettes de ses conduits auditifs, vous êtes vu, entendu, mais pas compris. Votre interlocuteur est dans son monde, si différent de ce que son corps vit au même moment. Alors il ne comprend pas ce qu’on lui veut. Enfin, la quatrième fois, après des instants d’hésitation lisibles dans ses yeux, il répond comme s’il avait entendu dès la première fois votre question. Pardonnez-lui… Il communiquait…

(suite demain)