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23/02/2016

La fin de l'histoire (19)

Auparavant, Nicéphore fit des recherches. Il n’avait entendu parler de la philocalie qu’indirectement au cours d’une rencontre en Grèce dans un monastère orthodoxe. Il se souvenait de l’expression « les pères neptiques », mais n’en savait guère plus que la jeune fille. Il se plongea dans la lecture de Gnosis, ce livre que lui avait prêté Charles. Ce qui l’avait attiré était l’introduction concrète : notre vie intérieure change presque à tout instant. Cependant l’homme prétend avoir de la suite dans les idées et être conséquent dans les actes. Poursuivant sa lecture, il était écrit que ce que chacun appelle le moi est un terme énigmatique et très peu défini. Ce Moi évolue, change, n’est jamais le même. Il est un ensemble de Moi qui constitue la personnalité d’une personne, laquelle est très souvent insaisissable. Malheureusement, très vite, le texte entrait dans des considérations théoriques qui avaient rapidement lassé Nicéphore. Il était question de trois modes de vie ou trois centres de la vie psychique, le centre intellectuel, le centre émotif et le centre moteur, qui se situent dans le cerveau, le cœur et le plexus solaire. Selon les cas, l’un des trois prédomine pendant quelques instants dans la personnalité et donne à celle-ci une apparence de cohérence. Il apprit que le centre intellectuel enregistre, pense, calcule, recherche ; que le centre émotif a pour domaine les sentiments, les sensations et les passions ; que le centre moteur dirige les cinq sens, accumule l’énergie dans l’organisme par ses fonctions instinctives et préside, par ses fonctions motrices, à la consommation de cette énergie. La conclusion sautait aux yeux, sans toutefois être explicite : il s’agit de dépasser la conscience subjective du Moi pour atteindre la conscience objective du Moi individuel, c’est-à-dire la conscience de Soi. Cet état de conscience n’est pas un état habituel. Il ne vient que par des ruptures insolites qui font prendre conscience de cette unité profonde existant en l’homme, si difficile à atteindre en raison de la dispersion permanente de celui-ci à l’intérieur de ces trois centres.

Refermant le livre, il comprit que son séjour dans le désert avait constitué une rupture qu’il devait cultiver et agrandir. Celle-ci lui avait permis de déjouer la dP. Il s’efforçait d’entretenir en lui cette découverte ténue qui le protégeait des investigations des enquêteurs. Il comprit que cela ne suffisait pas et qu’il se ferait prendre un jour ou l’autre s’il n’allait pas au-delà. Ah, mais oui ! Cette sensation de vide qu’il avait ressenti au cours de sa méditation était-elle semblable à ce que Charles appelait désapprendre le monde ? C’était possible. Cela impliquait également que cette notion de monde visible et invisible soit éclaircie. Il était simple de comprendre ce que signifiait le monde visible, celui que l’on voit et que l’on ressent, mais de quoi parlait-on lorsqu’il s’agit du monde invisible ? Est-ce un monde que l’on ne peut voir, mais que justement l’on peut ressentir ? Est-ce un monde virtuel construit de l’imagination de l’homme ? Est-ce le monde des idées, un monde purement intellectuel ? Ces suppositions se bousculaient dans sa tête sans qu’elles puissent s’enchaîner les unes aux autres.

22/02/2016

La vente de livres

Que les livres s’étonnent
D’être ainsi rassemblés.
Même si aucun de détonne,
Pourquoi les vouloir mêler ?

Ils sont dans leurs cagots,
Au garde-à-vous des vaincus,
Sur la tranche, l’air vieillots,
A l’inventaire des invendus.

La couleur ne manque pas ;
Ils se repoussent bigarrés.
C’est leur manière d’élever la voix
Et de se désolidariser.

Les auteurs s’égrainent.
Inconscients, ils flottent devant vos yeux.
Chateaubriand côtoie Verlaine,
Hugo devient plus soyeux.

Les titres divaguent à pleins poumons.
Ils crient la chaleur du soir,
Les après-midis sans fond,
Les blancs matins d'espoir.

Seuls les éditeurs sont sans rébellion.
Ils s’alignent sagement, heureux
De figurer en couverture,
Même en bas, comme des peureux.

Derrière, à voix basse, fusent les éloges.
C’est si dithyrambique, que le silence règne.
Oui, c’est un bien triste épilogue
Que de finir en telle enseigne.

Pourtant, ce soir, à la veillée,
Vous ouvrirez l’un d’eux
Et du bon temps vous passerez
Pour oublier ce jour cafardeux.

©  Loup Francart

21/02/2016

L'accent

C’est pourtant un bien bel effet que cet accent chantant que nous avons oublié depuis que tous montent vers Paris pour étudier. Le poème devient chanson parlée à nos oreilles.

C’est l’été, les vacances avancent leur museau et ouvrent le rideau.

20/02/2016

Mandala

Un mandala moderne qui trompe par ses irrégularités :

16-02-20 Réversible.jpg

19/02/2016

La fin de l'histoire (18)

Il se décida à revoir la jeune fille que Charles avait rencontrée à Montmartre. Il dut prendre des précautions ne voulant pas qu’une maladresse de sa part lui cause un préjudice irréversible. Il la suivit quelque temps dans ses trajets habituels. Un jour, dans un autobus, il saisit l’occasion d’une place libre à côté d’elle pour engager une conversation anodine. Elle se souvenait bien de lui sans le dire ouvertement. Il la convia à prendre un café dans un bistrot place Clichy. Là, perdus dans la foule anonyme des consommateurs, ils purent échanger quelques mots.

– L’avez-vous vu souvent avant sa disparition ? lui demanda-t-il après les échanges habituels de gens qui se connaissent peu.

– À peu près une dizaine de fois. C’était quelqu’un qui parlait peu, assez discret. Mais lorsqu’un sujet l’intéressait, il faisait preuve de connaissances que je n’aurai pas soupçonnées chez lui. Il s’intéressait particulièrement à la philosophie et la mystique dont il parlait à mots couverts. Un livre l’avait profondément marqué. Il s’appelait d’un nom bizarre. Autant que je me souvienne, quelque chose comme philocaïde. Il m’a parlé de manière d’être et d’exercices destinés à améliorer la perception du monde.

– Ne s’agit-il pas plutôt de philocalie ?

– Oui, ça doit être ça. Mais il ajoutait une drôle d’expression, quelque chose comme philocalie des frères nautiques. Il n’a pas eu le temps de m’en dire plus. J’avoue que je ne sais ce que signifie l’expression des frères nautiques. Je suppose qu’il s’agit d’un lieu de réunion de passionnés de navigation ou d’un club d’aviron. Mais ce sont de pures suppositions.

– Je pense que vous confondez. Il doit s’agir de la Philocalie des Pères neptiques, un livre mystique écrit au XVIIIe siècle et qui s’est répandu dans toute l’Europe au début du XIXe. Un très beau livre de réalisation intérieure.

– Pardonnez-moi, je n’y connais rien. De quoi s’agit-il ?

– C’est un recueil de textes de la spiritualité orthodoxe. Le terme philocalie signifie « amour de la beauté ». Il s’agit là de la vraie beauté, celle du monde invisible, caché derrière le monde visible. Les textes parlent tous de la manière d’atteindre ce monde invisible, par la prière.

– Vous y croyez, vous ? C’est quoi ce monde invisible ? lui demanda-t-elle abruptement.

Nicéphore eut tout à coup des doutes. Cette fille a-t-elle été l’amie de Charles où ne serait-elle pas une espionne de la dP ? Ne s’était-il pas trop engagé ?

– Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire des pensées et comment envisager le monde. J’écris un livre sur les différentes utopies ayant régné en Europe depuis le Moyen âge. Les utopies religieuses ont été nombreuses et variées. Celle de la philocalie a été particulièrement importante grâce à la diffusion d’un livre appelé « Récit d’un pèlerin russe ».

Nicéphore s’en tira ainsi et n’osa plus insister. Cette fille était un peu bécasse et il fallait s’en méfier. Ils bavardèrent encore quelques instants, puis elle se leva en posant une question :

– Charles m’a dit que pour connaître le monde, il fallait le désapprendre. Est-ce vrai ?

– Je… Je ne sais pas. Vous parlez du monde invisible ou du monde visible ?

– Je m’interroge sur ce qu’il appelait le monde invisible. Comment désapprendre quelque chose qu’on ne connaît pas ?

Elle le quitta sur ces paroles qui ne manquaient pas d’intelligence, ce qui l’intrigua. Il n’arrivait pas à la saisir. Elle semblait fuir comme une anguille que l’on serra dans ses mains. Impossible de la maîtriser. Néanmoins elle fit un effort de mondanité qui lui sembla de bon augure.

– Je m’appelle Margit et vous pouvez m’appeler ainsi. Et vous ?

– Nicéphore.

– Je ne sais si nous aurons l’occasion de nous revoir, mais cette conversation m’a fait du bien. Au revoir, Nicéphore. Au fait, j’habite au 15 rue Tellurique, dans le 13e arrondissement.

– Au revoir Margit.

Une fois dehors, Nicéphore s’interrogea sur le sens de son interrogation : comment désapprendre quelque chose qu’on ne connaît pas ? Il ne s’était jamais posé la question. « Au fond, cette fille est peut-être plus intelligente qu’elle veut bien le laisser croire. Je ne sais. Je dois sans doute la revoir une nouvelle fois, en lui avouant mes réelles recherches. C’est un risque à prendre. »

18/02/2016

Le mont Saint Michel

Les revenants descendent
Les portes d’en face se ferment
L’escargot ouvre sa coquille
Vous montez : serrez-vous !
Le mont est là qui vous écrase
Il se dresse humblement, seul
Dans une plaine sans fin
Où court un fil d’argent
Aimablement suivi par le conducteur

Le contrefort devient rocher
Le rocher devient forteresse
Et celle-ci hommage de dentelles et de croix mêlées
Au ciel pur et vierge de soucis
L’horizon pour toute assise
La verticale s’empare de votre vue
Vous grandissez et vous effilochez
Dans ces ruelles aux bras levés
Sur lesquelles la mouette pousse son cri

Couleurs du gris qui vire au jaune
Au blanc, au bleu des reflets
De l’azur qui chante dans cette élévation
Vous palpez cet univers liquide
Vous vous couchez dans ces ravins d’eau claire
Froide par nature et par résolution
Vous frissonnez à la bise du matin
Et vous montez toujours plus
Au long des pierres millénaires
Dans le bourdonnement des pas sur les marches sacrées

Et tous vont jusqu’à la montée d’escalier
Telle l’entrée au paradis ouvert sur l’océan
Vous êtes aspirés hors de l’espace et du temps
Et vos cheveux se dressés droits sur votre chef
Vous tirent vers l’abîme des cieux
Jusqu’à la lévitation promise et envoûtante

Mais plus haut encore, Saint Michel se dresse
Les ailes déployées, l’épée levée, terrassant les âmes

©  Loup Francart

17/02/2016

Amour et beauté

La preuve décisive de son aptitude (celle de l’amour) à s’harmoniser à tout et de la souplesse de sa nature, elle est dans cette beauté de la forme, que précisément, Amour, en vertu d’un consentement unanime, possède à un degré exceptionnel ; car entre laideur et amour il y a de l’un à l’autre, un perpétuel conflit. (…)

Il n’est personne, en tout cas, dût-on même jusque-là sans culture, qui ne devienne poète quand de lui Amour s’est emparé !

(Platon, Le banquet, Première partie, discours d’Agathon, la nature de l’amour, La pléiade, 1940)

 

Quel sujet de controverse : l’amour naît-il de la beauté ou la beauté naît-elle de l’amour ? Très certainement, la question est abrupte et trop catégorique. Tous diront l’un et l’autre. Pourtant elle est intéressante, car elle nous contraint à aller au fond des choses.

C’est un fait certain que l’amour naît de la beauté. Chaque homme et chaque femme aimera son vis-à-vis par la beauté qu’il possède, que celle-ci soit physique, intellectuelle ou morale. Mais en disant cela, nous avons déjà fait une concession au principe de la beauté : elle n’est pas que physique. Ainsi la beauté intérieure d’un être peut faire surgir l’amour même si celui qui en est l’objet ne dispose que d’une piètre beauté physique. Mieux même, cette disposition intérieure fera apparaître beau l’être qui n’a pas les caractéristiques de la beauté. Ainsi notre proposition se retourne, l’amour fait naître la beauté là où rien ne suggère l’irradiation du beau.

Et si l’on se donne la peine de d’interpréter ce constat, on s’aperçoit qu’il en est de même entre l’amour humain et l’amour divin, l’éros et l’agapè. Pour le premier, l’amour naît de la beauté éprouvée et supposée d’un autre être. Pour le second, l’amour fait naître la beauté dans le cœur de celui qui aime et sème la beauté dans l’être aimé.

L’amour n’est-il pas ensorceleur !

16/02/2016

Le Carême

L’année liturgique tourne autour de deux grands mystères : le mystère de l’incarnation et le mystère de la résurrection.

Elle est donc naturellement divisée en deux grands cycles :

* Le cycle de Noël avec le temps de l’Avent, le temps de Noël et le temps après l’Epiphanie ;

* Le cycle de Pâques avec le temps du Carême, et le temps pascal jusqu’à la Pentecôte. On peut y ajouter le temps après la Pentecôte avec les trois fêtes qui suivent : fêtes de la Sainte Trinité, du Corps et du Sang du Christ et du Cœur du Christ.

Le cycle de Pâques est le cœur de l’année liturgique et le cycle de Noël ne fait que le préparer. Chacun des deux cycles nous préparent à la rencontre du divin. Quelle différence ?

Noël met l’accent sur la naissance de Dieu en nous. Pâques met l’accent sur notre naissance en Dieu, avec la nécessité de se transformer pour renaître en Dieu ou ressusciter. Plus exactement, le cycle de Pâques est là pour nous inciter à mourir à nous-mêmes pour renaître en Dieu.

Le Carême nous permet de réaliser la kénose, c’est-à-dire nous vider de nous-mêmes, mieux, mourir à nous-mêmes.

15/02/2016

La fin de l'histoire (17)

Le lendemain, il écrivit une petite annonce anonyme : « Cherche jeune homme, disparu il y a deux jours, suite à un incident dans la rue Patrick Boujoux, 13e. Vous adressez à poste restante N°1024 dans le 11e arrondissement. » Il n’osa pas être plus clair et donner le nom de Charles. Il la fit publier dans deux journaux de petites annonces et dans un quotidien national. Il rentra ensuite chez lui et reprit sa méditation. Celle-ci lui était devenue indispensable et faisait maintenant partie de sa nature profonde. Il avait trouvé le trou noir existant en lui. Il n’avait pas encore franchi sa porte, mais avait entrevu certaines caractéristiques de celui-ci : un vide attirant qui procurait un bienfaisant soutien permettant de faire face aux événements qui n’allaient pas tarder à arriver. Il ferma les yeux, se concentrant sur le passage de l’air dans son corps, s’efforçant d’évacuer ses interrogations et sa colère. Il parvint progressivement à la paix intérieure, ne conservant qu’une mince pellicule entre son moi et le monde extérieur. Désormais, il se savait insaisissable, parvenant à contrôler les impulsions mettant en route l’indicateur. Il était arrivé à se créer une cuirasse qui était, chose curieuse, transparente, ténue, fragile, mais efficace et indétectable. Le plus curieux cependant tenait au fait que plus il pensait à la nécessité de ne rien dévoiler, plus il se sentait vulnérable. Il lui fallait atteindre un état de non pensée pour ressentir la certitude bienfaisante d’être inébranlable.

Il chercha d’autres voies pour connaître le sort de Charles. Il prenait cependant garde de n’être pas soupçonné de déviationnisme et ainsi risquer l’enfermement. Il lut chaque jour les journaux, espérant apprendre quelque chose, même s’il savait qu’une fois pris, les non collectifs (ils étaient ainsi dénommés par la population) n’étaient plus jamais évoqués dans les médias. Ceux-ci se conformaient strictement aux consignes données par le gouvernement et même si un journaliste apprenait quelque chose, dès l’instant où la personne avait été déclarée déviationniste, elle ne pouvait plus être évoquée. De même, la plupart des personnes sensées dès l’instant où elles comprenaient qu’il s’agissait de non collectifs se refusaient à en parler. Une sorte d’atonie s’emparait d’eux et ils gardaient les yeux dans le vague tant que leur interlocuteur évoquait l’individu. Néanmoins, il restait des traces de leur passage sur cette terre. Tout d’abord, il était possible de chercher dans les archives des journaux ce qu’avait fait la personne en question avant sa maladie. Cela permettait de se renseigner sur ses pôles d’intérêt, ses habitudes, ses passions, sa manière de vivre. On pouvait ainsi reconstituer ce qui avait marqué son passage sur terre et disposer d’une biographie, élémentaire certes, mais utile. On pouvait également visiter les lieux qu’elle avait fréquentés, sa maison, son école ou son université, son club de sport, éventuellement son église. Enfin, et c’était sans doute le plus précieux, on pouvait rencontrer les gens qu’elle avait côtoyés, à condition de n’évoquer aucune amitié ou même rapport avec elle. Il fallait donc recourir à des subterfuges tels qu’une recherche commerciale ou administrative, ou encore la volonté de réunir sur une même photo des camarades de classe ou tout autre prétexte futile.

Toutes ces recherches restèrent vaines. Rien ne transparaissait de ce qu’était de venu Charles. Certes, il avait bien récolté quelques éléments de biographie : les quelques collèges où il avait suivi sa scolarité, le club d’échecs où il avait brillé, les voyages effectués à l’étranger. Mais rien de tout cela n’induisait sa manière de penser, ses habitudes intimes, ses rencontres improbables, ses lectures et tout ce qui pourrait lui donner des pistes. Rien. Rien de rien ne transparaissait dans tout cela. De même, les petites annonces mises dans certains journaux ne donnèrent rien. Aucune allusion à cette disparition. Tout se passait comme si Charles n’avait existé que dans l’imagination de quelques Parisiens frileux et déjà âgés. De sa vie récente, rien.

14/02/2016

Sous la lame

Sous la lame ronde du vent et de l’eau
Je glisse sur la planche en déhanché
Tel un fil dans le trou d’une aiguille
Qui ressort au bout de ce déroulé

Environné de gouttes et de paillettes
Mon esprit s’enchante de ce bain forcé
Qui nettoie la rouille de l’inertie
Et conduit heureusement  au bonheur

C’est vrai, la rosée n’est plus ce qu’elle était
Elle ouvre son parapluie et coule des jours heureux
Pendant que tu vis, petitement, en solitaire

Repu, tu cours sous la pluie froide
Et te laisses pénétrer des glaçons coupants…
Adieu. Le pôle m’attend, au centre de la croix…

©  Loup Francart

13/02/2016

Chaîne de vie

La vie peut se concevoir de deux manières : soit elle est prise comme un phénomène d'ensemble, en évolution permanente, qui s'oppose à l'inertie de la matière; soit elle est comprise comme un phénomène propre à chaque ensemble individuel qui naît, agit et meurt après avoir engendré. Sa définition reste à découvrir, car elle recèle encore bien des surprises!

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12/02/2016

Les faux antagonismes

L’expérience conduit l’homme à deux attitudes fondamentalement différentes : un intérêt concernant les effets du vécu ou l’intérêt concernant ses causes et explications.

Le poète est un homme qui plonge dans le vécu quitte à s’y noyer. Ce qui l’intéresse c’est son irruption dans le bain cosmologique et non le pourquoi et le comment de ce bain. Son attitude est une attitude religieuse, la rencontre avec l’incommensurable et la revitalisation que cela lui apporte.

Le savant ne s’intéresse pas au vécu, mais à tout ce qui le permet, c’est-à-dire aux cadres conceptuels qui font sa réalité.

Ces deux attitudes créent le dilemme entre la religion et la science, entre le vécu et son explication. Elles sont à l’origine des conflits sur l’explication du monde.

Pourtant les deux attitudes se retrouvent dans les champs de l’expérience : expérience métaphysique du religieux, expérience physique du scientifique. Les deux sont chercheurs de vérité, par des voies différentes.

Le poète tente de vivre sa vie, le scientifique tente de la concevoir.

Entre les deux, il y a la majorité qui subit la vie sans chercher à s’en nourrir ou à en imaginer les règles.

Il existe bien sûr une troisième voie : l'action. Mais celle-ci ne s'interroge pas sur la vie. Elle tente de surnager.

11/02/2016

La fin de l'histoire (16)

En sonnant à la porte, il s’interrogeait sur celle qu’il allait rencontrer. Etait-elle en attente d’un changement dans la société, même sans trop savoir ce qu’elle entendait par là ou au contraire sans aucune interrogation sur le monde et la société tels qu’ils étaient appréhendés par la plupart des gens ? La porte s’ouvrit, la tête d’une jeune fille apparut derrière la porte entrebâillée. Elle était blonde, les yeux bruns, un peu dilatés comme en attente d’une réponse à une interrogation muette, la bouche petite, mais les lèvres charnues, une légère fossette à la joue droite qui apparut lorsqu’elle sourit. Avenante, mais méfiante, telle fut la conclusion de Nicéphore. Il se présenta sous la couverture qu’il s’était inventée. Elle fit plutôt semblant d’y croire, tout en se demandant pourquoi c’était un homme qui venait plaider la cause des féministes. Il lui parla de la prétendue attaque de Charles Borowsky en lui demandant ce qui s’était réellement passé et comprit vite que les médias avaient transformé un instant de sympathie en une échauffourée qui leur permettait de mettre en évidence le manque de sûreté dans la ville et la grande nécessité de renforcer la surveillance de petits groupes qui pouvaient commencer à déraper. Il décida d’aller plus loin et d’expliquer qui il était en réalité et pourquoi il était là. Elle le fit entrer. Elle lui parut habillée simplement, mais élégamment. Son maintien était discret et serein. Elle le fit assoir sur un canapé, s’assit à côté de lui et progressivement lui fit part de ses sentiments vis-à-vis de Charles. Elle évoqua sa rencontre un soir, il y a deux mois, dans une rue de Montmartre, leur promenade autour de la colline, leur entente immédiate bien qu’ils n’aient pas parlé de société, de politique ou de sociologie. Il apparut que Charles avait retrouvés son groupe d’amis après avoir quitté Nicéphore. Ils rentraient chez eux en parlant, certes sans doute un peu fort, mais c’est tout. La personne qui avait téléphoné à la dP était quelqu’un qui habitait dans le même immeuble que Charles et qui lui reprochait sans cesse de faire du bruit. L’irruption de la police avait suscité des commentaires de la part de témoins peu fiables qui détestaient la façon joviale dont les jeunes appréhendaient la vie. Le problème était que maintenant Charles était introuvable et qu’elle se trouvait bien seule face à une police qui ne cessait de l’interroger et de la soupçonner de déviationnisme social. Nicéphore fit de son mieux pour la requinquer. Il lui promit de lui faire part des résultats de ses recherches et de la revoir très vite. Regardant par la fenêtre, il observa la rue, ne vit personne et sortit discrètement, laissant la jeune fille rassérénée.

10/02/2016

Beauté

La beauté peut être tendresse
Comme le cou d’un enfant qui vous presse
Et s’endort sans pudeur dans vos bras
Pour encore dire son amour sans embarras

La beauté peut être innocence
Elle va pieds nus sur le sable des sens
Et éveille en vous l’effervescence fatale
Qu’éprouve le marin avant chaque escale

La beauté peut être frivole
Comme la femme avide qui se pose en symbole
Et va au-devant de la gente masculine
Revêtue du mouvement de ses crinolines

La beauté peut être profondeur
Elle vous suit de ses yeux enchanteurs
Et le brouillard divin de son regard offert
Ouvre en votre âme la porte de l’univers

La beauté peut être harmonie
Tel un château fantôme à l’ordre établi
Par la symétrie des sons, des lignes et des couleurs
Qui vous revêt soudain d’une insolite splendeur

La beauté peut être magicienne
Elle vous berce de surprises quotidiennes
Vous retourne d’un doigt habile
Et fait de vous un être étonné et immobile

La beauté peut être légèreté
Et seule vous conduire vers la pureté
Que vous respirez en coup de vent
Et qui vous détourne de vos serments

La beauté peut être vide
Elle installe en vous un poids avide
Et vous conduit dans les affres de l’absence
A la révélation de votre quintessence

La beauté c’est ce rien
Qui, par son parcours aérien
Vous conduit au plus que le tout
Là où l’humain se dissout

©  Loup Francart

09/02/2016

Indifférence (3)

Mais les formes d’indifférence sont multiples et pas forcément liées à la communication. L’autre jour, vous attendiez dans une station de carburant sur une autoroute. Devant la pompe à côté de la vôtre, stationnait une voiture, sans conducteur. Vous vous dites que celui-ci était parti payer et allait revenir bientôt. Après avoir attendu que les deux voitures devant vous aient fait leur plein, c’est à vous. Vous remplissez donc votre réservoir. A la pompe d’à côté, la voiture sans chauffeur gisait toujours, seule. Les trois voitures qui attendaient derrière (il y avait en effet beaucoup de monde !) commençaient à s’impatienter. Votre plein étant fini, vous vous rangez sur le parking pour aller payer. Vous voyez quelqu’un de la file d’attente derrière la voiture vide qui, excédé, se précipite dans le magasin et demande à la caisse à qui est cette voiture abandonnée. Un message est passé par haut-parleur. Quelqu’un, installé près des machines à café fait un signe discret à la caisse, prend sa tasse de café et se dirige tranquillement vers la sortie, l’air étonné qu’on appelle le conducteur de cette voiture sans chauffeur. Elle était là depuis plus d’un quart d’heure, mais cet homme considérait qu’il était normal qu’il prenne son café alors que les autres voitures attendaient derrière la sienne.

C’est le monde d’aujourd’hui : « Je fais ce que je veux et ne m’occupe pas des autres ». C’est ainsi que, dans le métro toujours, de nombreux jeunes hommes font des pieds et des mains pour monter les premiers et s’assoir dans les rangées de sièges pendant que de vieilles personnes qui montent plus prudemment voyagent debout. Cela ne les gêne pas. « J’étais là le premier ! »

La politesse et le savoir-vivre n’existent plus. Elle est maintenant remplacée par la civilité. Celle-ci ne s’occupe que des conséquences des incidents et pas de leur origine et de leur manifestation. Eh bien, quant à moi, je préfère la politesse, cette tradition européenne et plus particulièrement française qui date du Moyen-âge et qui s’appelait alors la courtoisie.

08/02/2016

Indifférence (2)

Il y a deux jours, vous étiez dans le métro (oui, cela vous arrive !). Il était bondé, comme d’habitude à cette heure-ci. Vous arrivez à vous trouver une place entre un jeune homme trop grand et une dame trop grosse. Vous percevez une voix prenante que seules des études de phonologie vous permettraient de saisir. Assise sur un de sièges entre deux portes, se tenait une Africaine volubile parlant fortement dans son téléphone. Les Africains ont tendance à parler fort. Ils sont joyeux naturellement et ne font pas de complexes. Mais là, il ne s’agissait pas de parler, mais de hurler, car son interlocuteur devait être dans sa campagne africaine et sa voix passait probablement par une multitude de fils plus ou moins encombrés de parasites. Elle ne s’occupait de personne. Elle parlait… Vous prenez conscience de ce silence exagéré et pesant de personnes qui ne peuvent même plus écouter leur musique dans leurs oreillettes ou même tousser vigoureusement pour soulager leur respiration. Elle parle en faisant de grands gestes, écoute à peine et repart aussitôt dans son monologue que l’ensemble de la voiture doit suivre obligatoirement. Elle ne se rend compte de rien. Elle ne voit pas les visages atterrés de ses voisins, les sourires en coin de son environnement. Non, elle est là, absente à tous, pesante à la plupart… Il fallut attendre trois stations avant qu’elle ne se lève majestueusement, rassemblant les quatre ou cinq plastiques qui l’environnaient et sorte tout en continuant de parler, instaurant aussitôt un silence étonné dans la station. « Ben quoi ! On a bien le droit de se parler au téléphone. C’est fait pour ça ! »

 

 

 

07/02/2016

Indifférence (1)

Vous marchez, sans souci, regardant autour de vous le jour nouveau qui se lève. Vous êtes, ce matin, optimiste, presque heureux intérieurement. Vous vous engagez sur un étroit trottoir, passant sous l’échafaudage d’une maison en ravalement. Entré dans ce tunnel de tubes, vous ne pouvez qu’en ressortir de l’autre côté. Comme vous regardez une vitrine éclairée sur le trottoir en face, vous ne faites pas attention à l’homme qui se tient à la sortie de l’étroit passage, vous tournant le dos. Trop tard, vous êtes déjà engagé, alors vous lui demanderez de vous laisser passer. Intentionnellement, vous accentuez le bruit de vos chaussures sur le sol pour faire comprendre à l’individu que quelqu’un approche et souhaite passer. Rien n’y fait. L’homme n’entend rien ou fait comme s’il n’entendait rien. Il est occupé à téléphoner. La main à l’oreille droite, tenant le bijou, il compresse la sénestre d’un doigt. Immobile, il ne voit rien et n’entend rien. Il est dans son monde, dans la bulle intérieure du moi, avec son interlocuteur au bout des ondes (pas au bout du fil, car il n’y a plus de fil sur ces téléphones qui fonctionnent presque sous l’eau !). Vous faites : « Hum, hum ! » Pas de réaction ! L’autre parle, parle, parle… Vous lui frappez doucement l’épaule, faisant le geste de vouloir passer. Quelle impudence ! Le déranger pendant qu’il traitait une affaire. On n’a pas idée.

L’homme vous regarde d’un air furieux, sans bouger et vous fait signe de passer à côté. Mais il tient toute la place, le trottoir étant minuscule. Sans parler (puisqu’il parle), vous lui faites signe que c’est impossible. Alors il vous fait signe de revenir en arrière et de passer sur la chaussée pour contourner l’échafaudage. Là, vous vous sentez offusqué. Votre sang ne fait qu’un tour et vous lui criez près de son autre oreille : « Laissez-moi passer ! » Mais il continue de parler : « Mais non, ne fais pas cela... Etc. Etc. » Vous n’existez pas à ses yeux. Vous n’êtes qu’un nuage gris qui passe dans le ciel de sa compréhension et vous l’empêchez de voir son projet inscrit dans l’azur de sa suffisance. Vous lui prenez la main droite et l’écartez de son oreille en lui disant : « Je veux passer. Écartez-vous, s’il vous plaît ! » Alors, seulement, il avance de deux pas, sort de l’étroit couloir et vous laisse passer sans un mot d’excuse. Il n’a rien vu, rien compris, uniquement occupé par son téléphone, dans ce casque d’ondes qui crée un espace d’isolement entre lui et son interlocuteur. Il est en quasi lévitation, indifférent à tout ce qui n’est pas lui ou celui qu’il a au bout des ondes.

C’est le monde de la communication. Une fois établie, elle efface toute convenance, tout regard sur son environnement. Le communicant est dans sa bulle d’ondes et de paroles, rien ne l’en fera sortir. Il ne s’inquiète pas des autres, il ne les voit pas, ne les entend pas, ce ne sont que des ombres qui passent à côté de cet échange qui seul compte.

06/02/2016

Suis-je réel ?

Suis-je réel ?

Cela vous arrive-t-il de vous demander
Si vous-même n’êtes qu’une seule conscience
Sans limitation ni précise consistance
Errant dans un univers sans finalité

Ou encore, avez-vous imaginé
Que ce que vous voyez est bien réel
Mais que votre personne, elle
N’est qu’une idée effleurant la vérité

Pire encore, ces deux chimères
Se côtoient-elles dans la danse charnelle
Tel un sucre dans la boisson mortelle
Qui refroidit au fond d’une théière ?

Peut-être êtes-vous le non-être
Face à l’autre si plein de volonté
Ou cet autre est-il vierge de réalité
Une amibe transparente dans l’éther ?

Qu’importe ! Vous pouvez être seul
A vous heurter à la matière persistante
Ou, parmi la multitude chatoyante
N’avoir jamais été de chair et de gueule

Votre seule conviction, si floue
Est cette lumière, une petite fenêtre
Qui flotte autour de votre être
Et fait de vous l’unique dans le tout

©  Loup Francart

05/02/2016

Haïku

 

De retour chez toi
Le noir absolu
Elle ouvre. Éblouissement

©  Loup Francart

 

Noirs et blancs, l'éblouissement des mots éclaire l'âme qui erre en toi !

04/02/2016

La fin de l'histoire (15)

Ainsi Charles s’était fait prendre malgré les précautions qu’il avait utilisées. Il avait pourtant l’air sûr de lui. Il maîtrisait les astuces pour ne pas éveiller les soupçons, il n’allait jamais au-delà de qu’il pouvait contrôler. Pourquoi ? Et puis, que signifiait les termes importuner et plus particulièrement une jeune fille. Qui était-elle ? Pourquoi parlait-il à ces étudiants ? Que leur disait-il ? Il faut le savoir. Nicéphore prit la résolution de savoir exactement ce qu’il s’était passé. Ce compte-rendu laconique donné par les médias n’en rendait pas compte.

Nicéphore dut s’interrompre dans ses réflexions. Il commençait à ressentir des picotements à hauteur des yeux. Il ne devait pas se laisser pas envahir par son personnage justicier. Se remettre en méditation ! Il s’assit en tailleur, se décontracta, tenta de passer d’un état d’être indigné ou au moins inquiet à un état lui permettant d’évacuer les pensées négatives. Il laissa se creuser le sillon de respiration entre l’entrée dans le nez, le passage dans le conduit nasal, l’arrivée au carrefour de la gorge, l’entrée dans les poumons et l’atteinte du plexus solaire. Repos, puis expiration, lente, permettant d’évacuer les miasmes d’émotions, de laisser filer un air qui nettoie le personnage qui s’installait en lui. Ouf, il est parti en fumée. Il distingue clairement la réalité des faits, sans les connaître, ni les comprendre. Il faut fouiller pour savoir, puis réfléchir pour connaître. Allons-y, se dit-il.

Ce n’était cependant pas aussi simple qu’il l’avait pensé. Comment retrouver les étudiants et la jeune fille en particulier ? Comment ne pas éveiller les soupçons de ceux qu’il interrogerait à propos d’une affaire sans intérêt ? Le journaliste, oui ! Il fallait commencer par-là, mais éveiller son attention. Comment faire ? Dans tous les cas, détourner l’attention du journaliste en lui montrant qu’il ne s’intéressait nullement à ce que Charles et elle avaient échangés, mais qu’il défendait la jeune fille contre les attaques de ce dernier. Oui, il devait se faire passer pour un ardent défenseur du féminisme et le questionner sur les atteintes au droit de la femme et la nécessité de l’interroger pour connaître son adresse. Ainsi, à peu près assuré de ne pouvoir être dévoilé, il se lança dans son enquête.

Il réussit sans trop de difficulté à obtenir l’adresse de la jeune fille et des quelques compagnons ayant été agressés par Charles. Il choisit d’aller directement interroger la demoiselle plutôt que d’éveiller éventuellement des soupçons de la part de ceux qui l’accompagnaient. Le lendemain, il se présenta en se faisant passer pour un membre de l’association Bergères et Brebis. Cette association prétendait assurer la garde du troupeau des femmes et les défendre contre les attaques physiques, sociales et psychologiques que la société machiste ne cessait de leur infliger. Fort d’une telle couverture (il se présentait comme un membre actif faisant partie du bureau), il obtiendrait, sans aucun doute, un blanc-seing de la part des autorités curieuses qui pourraient s’inquiéter de ses interrogations.

03/02/2016

Le chant du violoncelle

https://www.youtube.com/watch?v=Ry4BzonlVlw

L’interprétation de cette Suite pour violoncelle N°1 en Sol Majeur Bwv1007 de Jean-Sébastien Bach est osée et n’a pas dû être facile à enregistrer, mais n’est-elle pas enchanteresse.

Ajouter un accompagnement à la suite, il fallait y songer !

02/02/2016

Recherche

L’homme est insatiable
Sans cesse occupé à chercher…

Une vie en recherche…
Des grands explorateurs
Il passe aux astronautes
Enfourchant son moteur
Il erre dans la matière
Et palpe toute chose
En les nommant, tel un Dieu…

D’autres inversent la proposition
Ils cherchent en eux-mêmes
Ils se penchent sur leur nombril
Et regardent béatement
Les plis accumulés de leur être…

Ils n’entrent pas dans ces cachots
Qu’y découvriraient-ils ?
Un peu de terre et de salive
Qui, réunis et mêlées, forment boue
Et ne guérit que les corps

Seul l’esprit doit revivre !
Oui, mais… Où est-il ?
Personne ne l’a trouvé !
C’est un parfum trop puissant
Une note trop harmonieuse
Une couleur si chaleureuse
Qu’il est exclu de la connaissance
Et va ainsi dans le monde
Inconnu de la face des hommes…

Toutefois, l’enfant innocent
Voit en lui l’avenir étoilé
Et, regardant au loin
Se laisse guider sans interrogation
Au fil des rencontres ailées

©  Loup Francart

01/02/2016

Pluie

La pluie est arrivée subrepticement. On ne l’attendait pas, on ne l’avait même pas prévue. Ce matin, l’horizon s’est découvert un ciel d’écailles. Tous les poissons de la mer sont montés à la surface. Le ciel s’est obscurci de reflets gris clair, presque blancs. Le vent les mouvait au gré de sa direction. On relevait alors le col pour s’abriter de la bise, on cherchait son parapluie et on poursuivait sa route.

Puis, quelques gouttes sont tombées. Presque rien. Juste de quoi assombrir les trottoirs et faire rentrer les vieux accroupis sur le pas de leur porte. Les yeux des passants se sont ouverts. Ils ne craignaient plus le sable. Certains ont même mis leurs lunettes dans la poche et regardé les dunes sans crainte. Mais les plus âgés leur disaient de prendre garde, le sable se cache là où l’on ne l’attend pas. Une certaine fraicheur, toute relative, a envahi l’atmosphère. On respirait mieux, à plus grandes goulées et cette fraicheur descendait au fond de la gorge et glissait le long de l’œsophage jusqu’au plexus solaire. On se purifiait par la volonté de la nature et on se laissait faire. Les enfants de mirent à rire plus bruyamment, à courir plus vite, à crier plus fort. Les femmes dégageaient leurs voiles et découvraient leurs épaules. Les hommes, toujours prudents, attendaient de voir.

Déception. La petite pluie s’arrête. Cela n’aura duré que deux ou trois minutes. Mais il fait meilleur malgré tout. Tiens, on entend les grenouilles coasser. Cela faisait longtemps que ce n’était pas arrivé. Le vent se calme, les herbes se redressent et l'on voit plus loin vers l’horizon. Une accalmie, dirait-on. Les humains se détendent, se posent çà et là, assis au bord des maisons... sans abri, à quoi bon. Les bébés arrêtent leurs pleurs et sourient à leurs mères. Celles-ci osent une chanson douce comme l’air rajeuni.

Brusquement, une bourrasque, sèche, brutale, comme un coup de balai. Les voiles s’agitent, les chiens aboient, les poules caquettent, les chaumes grincent. Les enfants crient de joie. Une odeur fanée envahit l’air, portée par les rafales qui maintenant s’engouffrent entre les maisons : relents d’herbes séchées, de mares putrides, d’excréments déshydratés. Elle assèche la bouche, encombre le nez, obscurcit les yeux. On entend au loin un grondement puissant, presque des tambours en folie sonnant la charge. La pluie arrive. Elle fouette soudain le passant de mille piqures glacées, colle les tissus à même la peau, mettant à nu les seins des femmes qui courent se mettre à l’abri. Les enfants, eux, s’exposent à l’eau, découvrant largement leur torse maigre, voire, pour certains, les plus osés, retirant tout vêtement et se laissant balayer, nus, par l’eau fraiche. Ils crient, certains chantent même. Les hommes, plus lents à se réjouir, regardent le ciel et sourient dans leur barbe. Leurs yeux s’allument d’une étincelle de vie. Ils se lèvent, prennent leur bâton et marchent jusqu’à l’orée du village. La plaine prend une couleur argentée. Quelques flaques très vite se forment. Elles grossissent, deviennent mare. Puis se forme un ruisseau qui descend tranquillement la pente. La terre a d’abord bu, assoiffée. Mais l’eau coule toujours. Elle ne peut plus rien avaler. Les ruisselets deviennent ruisseaux, les ruisseaux rivières, les rivières torrents. L’eau emporte sur son passage les déchets accumulés, les branchages inutiles, les récipients non arrimés, et même un berceau dans lequel un bébé crie, terrorisé. Un homme se précipite, l’empoigne et le ramène à sa propriétaire éplorée.

D’un coup, la pluie cesse. Juste quelques gouttes encore martèlent les toits de tôle après le vrombissement au plus fort de la chute des eaux. Le silence maintenant, impressionnant. On entend encore l’écoulement des flots rassemblés en longues colonnes tumultueuses. Mais c’est un chant irréel, un frémissement bourbeux, jaunâtre, enveloppé des coups de boutoir des troncs qui s’entrechoquent. Sur le promontoire du village, les hommes regardent, hébétés. Certaines femmes pleurent sans savoir pourquoi. Les vieux jettent un œil par la porte et sourient, édentés. Les enfants vont constater le devenir de leurs cachettes. La vie reprend au village, sous un rayon de soleil suffisant pour réjouir le cœur. Tiens ! On entend le forgeron qui reprend ses coups de marteau sur l’enclume. Tout va bien !

31/01/2016

La fin de l'histoire (14)

Arrivée au Café Jaune, il aperçut l’étudiant, non, le professeur. Il lui fit un signe de la main et se rapprocha de lui. Mais celui-ci regardait à côté et fit semblant de ne pas lui prêter attention. Nicéphore vit ses yeux suppliants et comprit. Il poursuivit son chemin au-delà du jeune homme et se dirigea vers les toilettes avec naturel. A son retour le professeur était parti. Comment reprendre contact et où ? Nicéphore décida de retourner à la bibliothèque dès le lendemain. Il y serait peut-être.

Effectivement, le lendemain le professeur était à la bibliothèque au même endroit que la première fois. Ils se reconnurent tout de suite. En passant devant lui, Nicéphore lui glissa : « Ce soir, 19h, au Café Jaune », l’autre acquiesça d’un signe de tête et fit semblant d’être occupé à chercher un livre. Le soir même, ils se retrouvaient au Café Jaune et purent parler sans crainte.

– Hier, j’étais suivi par un homme de la dP. Heureusement vous avez compris et je ne crois pas qu’il vous ait repéré. Avez-vous lu mon livre.

– Oui, je vous l’ai même ramené. Très intéressant, parfois compliqué. Un point m’a marqué : nous vivons endormis et il faut nous éveiller. Si l’on prend conscience de cela, on peut commencer à s’en sortir avec des efforts personnels. Au fait, comment vous appelez-vous ?

– Charles Borowsky.

– Charles, merci pour ce livre, il m’a fait comprendre beaucoup de choses. On ne peut s’arrêter là. Connais-tu d’autres personnes qui auraient les mêmes intuitions ?

– Oui, une seule. Je peux la contacter et voir si elle est intéressée par une action commune.

– Méfie-toi tout de même, on ne sait jamais !

– Continuons à creuser nos techniques d’éveil et tentons de recruter quelques autres personnes. Il faut que je parte, car je ne peux rester trop longtemps ici, sous peine d’être suspecté. Au revoir Nicéphore.

– Au revoir Charles, à bientôt.

– Oui, après-demain au Café Bleu, à 20h. By.

Charles se perdit dans la foule.

 Le lendemain, en ouvrant le journal, Nicéphore vit en première page le titre suivant : Un dangereux individualiste est capturé par la dP après une course poursuite dans le métro. Il lut le bref article qui décrivait la capture : Hier soir, vers 23 heures, un jeune homme, Charles Borowsky, a été arrêté dans le métro par la dP. Cet individu importunait un groupe d’étudiants et plus particulièrement une jeune fille. Un des voyageurs a téléphoné à la dP et, sur le conseil du policier qu’il avait au bout du fil, a tiré la sonnette d’alarme. Le jeune homme s’est alors enfui en descendant sur la voie et s’est mis à courir devant le train jusqu’à la station suivante. Poursuivi par la dP qui descendait l’escalier roulant pendant qu’il montait, il est parvenu à sortir à l’air libre et s’est réfugié dans un café. Après mise en place d’un important dispositif de sécurité et l’établissement d’une zone interdite, les policiers, armés et munis de boucliers de protection, ont réussi à l’interpeler en usant de grenades défensives. Il a été embarqué dans un fourgon sans que l’on sache où il a été emmené. La police a rappelé les consignes : tout « individualiste » doit être immédiatement signalé à la police qui, déclarée en état de légitime défense, emploiera tous les moyens pour arrêter l’individu, y compris les armes à feu.

30/01/2016

Une prestation de l'Ensemble MultiPiano

https://www.youtube.com/watch?v=7OwQOb6bd1M


 

29/01/2016

Renaissance

Qu’en est-il de lui-même ?
Elle bourdonne au fond de lui
La marche silencieuse de son être
Elle est bien là, enfouie au plus profond
Il rit toutes les larmes disparues
Des jours d’antan et des nuits rêvées

Oui, toujours il sut attendre
Ces instants divins et rares
Où derrière la peau si douce
Apparaît le bain chaleureux
De l’entente au-delà de la passion

Elle est partie la caresse des jours
Il ne tiendra plus l’enfant délicate
Et ne modèlera plus l’Ève première
L’être chérie ne bouillonne plus qu’en lui

Mais l’Autre est déjà née de lui
Évanescente et translucide
Comme une goutte d’eau pure

Elle étend son ombre sur l’existence
Et rompt la possession palpable

Oui, elle est Autre et plus que lui-même
Elle est… L’âme…

©  Loup Francart

28/01/2016

Projet de tableau en relief

Cela fait plusieurs semaines que cela me travaille : faire un tableau en relief plutôt qu'uniquement dessiné et peint. Ce n'est pas encore ce que je cherche, mais cela commence à y ressembler.

Reliefs 1.JPG

 Reliefs 2.JPG

Il faut maintenant peindre en noir et blanc (ou éventuellement couleurs) pour donner au tableau sa forme définitive. J'ai hâte de voir ce que cela va donner ! Mais auparavant, retravailler la forme brute...

 

 

27/01/2016

La fin de l'histoire (13)

Il rentra chez lui et s’installa sur son lit pour lire ce pavé de plus de cinq-cents pages. Il eut beaucoup de mal avec les explications techniques, la cosmologie simpliste et leur traduction en octaves musicales. Il fut par contre intéressé par les explications psychologiques, voire mystiques, qu’émettait Mouravieff. Celui-ci expliquait que la plupart des hommes vivent dans l'état de sommeil pour la moitié de leur vie et, pour l’autre moitié, dans un état de veille qu’ils appellent conscience lucide et qui n’est en fait consciente de rien. Plus intéressant est le troisième état dit de rappel de soi ou conscience de soi, c’est-à-dire conscience de son être propre. Enfin, le dernier état est la conscience objective qui permet de voir les choses comme elles sont, ce qui suppose le développement de la conscience de soi. Nicéphore se remémora tout ce qu’il avait vécu et se dit qu’au fond il avait probablement atteint sans le savoir l’état de conscience éveillée. Il en conclut qu’il devait également renforcer sa conscience de soi, c’est-à-dire sa compréhension de lui-même regardant celui qui pense, parle et agit. Cela lui semblait relativement simple lorsqu’il cherchait à ne plus penser. Mais cela devient autrement plus complexe lorsqu’il de se penser et de surveiller sa pensée et ses actes.

Il se rappela alors son objectif : rétablir l’histoire. Cela passe par un surplus de conscience de la part de chacun, même si aucun politique ne peut croire à une telle sornette. Tous issus de grandes écoles enfiévrées de mondialisation forcément heureuse, ils sont convaincus qu’il suffit d’un décret mondial pour rendre inoffensives les foules et les individus. Il est vrai que cette alliance entre le politique et le scientifique responsable de la conception et de la fabrication de la pilule constitue un défi difficile à relever. Peut-on réellement lutter contre cette machine inexorable qui broie tout ce qui n’est pas d’accord avec elle ?

Il poursuivit sa lecture : « Il n’y a rien de nouveau dans l’idée de sommeil. Presque depuis la création du monde, il a été dit aux hommes qu’ils étaient endormis. Combien de fois lisons-nous, par exemple, dans les évangiles “Éveillez-vous“, “Veillez“, “Ne dormez pas“. » Plus loin encore : « Les possibilités de l’homme sont immenses. Vous ne pouvez même pas vous faire une idée de ce qu’un homme est capable d’atteindre. Mais dans le sommeil rien ne peut être atteint. Dans la conscience d’un homme endormi, ses illusions, ses rêves se mêlent à la réalité. L’homme vit dans un monde subjectif dont il lui est impossible de s’échapper. »

Oui, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas tenter le retour de l’histoire. Pour quoi faire ? Tout simplement vivre réellement plutôt que de subir cet avilissement permanent que donne la pilule prise chaque jour. S’éveiller, première étape. Merci à l’étudiant, ou plutôt au professeur qui m’a confié ce livre. A deux, peut-être y arriverons-nous ?

Enfin il lut encore : « Tout ceci est en rapport avec l’une des caractéristiques fondamentales de l’attitude de l’homme envers lui-même et envers son entourage, à savoir sa constante identification à tout ce qui prend son attention, ses pensées ou ses désirs, et son imagination. L’homme est toujours en état d’identification, seule change l’objet de son identification. » Il se promit d’en parler au professeur.

Il poursuivit sa lecture pendant les deux jours qui lui restait avant son rendez-vous. L’essentiel semblait être dit dans ce qu’il avait retenu de cette première soirée de lecture, du moins le pensa-t-il à ce moment.

26/01/2016

Brume sur la campagne

Courir dans la campagne n’empêche pas l’âme d’être acquise à des instants de romantisme. Ce fut le cas ce matin, en haut d’une côte, dans un tournant.

Merci au créateur de ce monde de nous donner ces aperçus de paradis.

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25/01/2016

Fenêtre

Elle est ouverte
Sans filet sur le monde
Un grand vide, noir de nuit…

C’est de là que montent les bruits :
Feuillages fouettés par la bise
Craquelures d’arbres fatigués de droiture
Envol claquant d’un pigeon insomniaque
Tiens ! Là, une souris, derrière la plinthe...
Oui, la maison aussi peut se plaindre…

Je me penche sur ce trou noir et froid...
Au loin un ver luisant qui divague
C’est une voiture qui monte la colline
L’onde sonore s’épanche et vibre
Elle s’amplifie et frisonne d’aisance
Puis s’épuise derrière la côte, après le virage…

Restent les bruits non identifiables...
Ce grincement des dents d’une lourde porte
Le frottement des écorces dans la haie
Le clapotis tendu d’une carpe dans la mare

L’orchestre de la vie n’a plus le rythme du jour
Et les notes libérées se déchaînent en étincelles
Puis reposent à nouveau dans le caveau obscur…

Je passe une jambe derrière l’appui
Et je m’élance d’un pet sonore dans le silence…

Moi aussi, je ne sais plus ce que je fais !

©  Loup Francart