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18/03/2017

Rencontre, lectures poétiques et dédicace

A Laval, à la librairie Corneille, située en centre ville, le samedi 1° avril, entre 16h et 18 h, rencontre, lectures poétiques et dédicace :

affiche dédicace Loup Francart 04 2017 b.jpg

20/07/2015

Le feu purificateur (récit : 2/2)

Ils se rendormirent pour prendre des forces et furent réveiller à la nuit tombante par de longues plaintes. Ils se dressèrent sur leur couche et virent les corps se lever en geignant, les yeux vers le ciel. Ils attendaient. Quoi ? Nul ne le sait. Mais cela fit frissonner les deux marcheurs qui se regardèrent en tremblant. De lourds nuages parcoururent le ciel jusqu’ici limpide. Quelques éclairs apparurent à l’horizon. La foule des corps commença à hurler. La plupart se mirent à creuser le sable à mains nues comme pour s’enfouir. Ils tremblaient et geignaient tels des bêtes sauvages prises dans un piège. Quelques gouttes d’eau tombèrent. Aussitôt, les corps cherchèrent à s’abriter sous le sable ou des tentes improvisées. Chaque goutte semblait les brûler. Elles laissaient sur leur peau des cloques rougeâtres. Cela ne dura pas longtemps. Mais ce fut une véritable débandade. Lorsque le jour fut réellement levé, de nombreux corps restaient immobiles. Ceux qui n’avaient pu s’abriter semblaient sans vie. D’autres émergeaient de leur litière ou de leur trou. Ils se saluaient sans parole.

Les deux hommes se firent signe. En avant ! Ils descendirent non sans mal les falaises rocheuses et posèrent le pied sur le sable encore froid. Ils rebondirent au premier pas. Le sable était élastique et les faisaient sauter de quelques mètres, comme s’ils étaient en apesanteur. Aucun effort à faire. Il leur fallut même prendre garde de ne pas taper du pied. Ils rebondissaient sans savoir où ils allaient retomber.

– Des hommes ! Que faites-vous là ?

Cette exclamation fusa du côté des corps. Ils ne comprirent pas et continuèrent à marcher avec précaution de façon à ne pas rebondir. Mais les corps se mirent à s’agiter, puis à se resserrer autour d’eux. Bientôt ils les entourèrent, menaçants. Alors, lâchant son sac à dos, le plus grand regarda le plus petit, lui fit un signe et ensemble ils sautèrent par-dessus la foule hurlante en donnant un bon coup de pied sur le sol sablonneux. Ils parcoururent environ cinq mètres et retombèrent pour s’envoler à nouveau. Les corps se mirent à leur poursuite, mais vainement. Très vite ils furent hors de leur portée, courant vers l’horizon à grands sauts dégingandés. Ils s’arrêtèrent pour souffler quelques minutes, puis reprirent leur marche. Où allaient-ils ? Nul ne sait. Quelques jours plus tard, un hélicoptère survola le désert de sable. Les deux hommes couchés sur une dune furent repérés. Ils ne bougeaient pas. Ils n’avaient même pas la force d’agiter les bras. Il se posa. L’un des deux passagers resta auprès d’eux pendant que l’hélicoptère repartait. Il tenta de les faire boire, mais leur langue était si grosse qu’elle obstruait presque la gorge. Ils burent quelques gouttes, puis, abrités par une tente improvisée, ils purent se rendormir. Leur nuit fut peuplée de cauchemars. Ils poussaient parfois de petits cris ou des geignements indistincts. Ils portaient leurs lunettes noires et avaient la peau brûlée par endroit. Mais ils étaient sains et saufs. Le lendemain matin, l’hélicoptère était là. Ils furent emmenés directement à l’hôpital et furent soignés diligemment.

– Nous avons connu le feu purificateur.

C’est ainsi que quelques jours plus tard, les deux hommes parlèrent de leur expérience. Mais un événement insolite leur fit comprendre qu’ils ne devaient pas raconter ce qui leur était arrivé. Reposant dans la même chambre à l’hôpital, ils dormaient lorsque quelqu’un entra. Il alluma la lumière, les réveillant, et il leur dit :

– Silence ! Silence sur ce que vous avez vécu ! Gardez pour vous le souvenir de ces jours, mais surtout n’en parlez pas. Vous seriez alors damnés à jamais.

L’homme sortit un goupillon et un seau d’eau (était-elle bénie ? Nul ne le sait), et les aspergea de quelques gouttes qui aussitôt formèrent de petites cloques sur leur peau. Puis, il sortit.

Deux jours plus tard, ils étaient libres. Ils descendirent les marches de sortie de l’hôpital, se serrèrent la main. L’un partit à gauche, l’autre à droite. Ils ne se revirent jamais.

18/07/2015

Le feu purificateur (récit : 1/2)

Ils partirent en catimini, l’un devant, l’autre derrière. L’un grand, l’autre petit. Ils se complétaient, l’un tout sourire, l’autre de marbre. Pourquoi partirent-ils ensemble ? Nul ne le sait. L’un emmenait un sac à dos, l’autre portait un sac en bandoulière.  Qu’y avait-il dedans ? Nul ne le sait.

Ils marchèrent longtemps, seuls dans les rues désertes. Ils marchaient le long des façades mornes, sans commerce allumé, comme dans une forêt noire, l’un devant, l’autre derrière. Où allaient-ils ? Nul ne le sait. Ils marchaient vite, sans s’arrêter et sans regarder leur montre. Bientôt un filet de lumière naquit derrière les immeubles, puis monta dans le ciel d’encre. Ils sortirent leurs lunettes noires et poursuivirent leur marche, en accélérant. Mais bientôt ils durent s’arrêter. Ils poussèrent une porte, descendirent les marches et se couchèrent dans la cave, écrasés de fatigue.

Le jour passa. Ils ne se réveillèrent pas une fois. Le soir, à l’instant où la nuit tombait dans les rues, ils ouvrirent un œil, se regardèrent, reprirent leur fardeau et sortirent en catimini, l’un devant, l’autre derrière. Ils marchaient courbés vers l’avant. Une bise de printemps ralentissait leur pas. Mais pas un seul ne ralentit. La nuit s’écoula, tendre. Elle les vit passer du centre vers les faubourgs, des immeubles chics aux maisons en meulière, puis aux ateliers d’artisans exténués. Ils marchaient les yeux ouverts sur la nuit, l'ouïe attentive, une main devant eux.

Le plus grand s’arrêta. Il venait de toucher un corps. Il ne le voyait pas. Il ne savait à qui il appartenait. Puis plus rien. Un filet d’air plus insistant. C’est tout. A partir de ce moment, ils marchèrent avec plus de circonspection, côte à côte, se tenant épaule contre épaule. Rien ne semblait changé. Mais l’atmosphère était plus lourde. Ils avaient du mal à avancer, comme retenus par une force collante qui compliquait leur démarche. Brusquement, le petit s’arrêta, il venait de heurter quelque chose. Qu’était-ce ? Nul ne le sait, et eux encore moins que les autres. La crainte se lit sur leur visage. L’ainé sort un couteau, ouvre la lame et marche en la maintenant en avant. Les maisons se raréfient. Des enclos s’ouvrent entre les bâtiments, des cours vides, encombrées d’objets hétéroclites, des hangars bondés de vieux pneus, des friches pleines d’herbes folâtres. Comme les premières lueurs du jour apparaissaient, ils cherchèrent un lieu où se reposer. Ils trouvèrent un dépôt contenant des ballots de chiffons. Ils s’endormirent très vite sans un mot. Cela faisait deux jours qu’ils étaient partis. Ils n’avaient ni bu, ni mangé.

Au crépuscule, ils se levèrent, la tête embrouillée. Plus la ville s’éloignait, plus il devenait difficile de marcher. Une herbe épaisse courrait maintenant sur les trottoirs, les obligeant à lever haut les pieds. Les rares maisons se dressaient telles des fantômes. Qu’y avait-il entre celles-ci ? Nul ne le sait. C’était un vide immense et tentaculaire. Mais ils avançaient toujours, courbés sous le poids de leur bagage. Ils se heurtaient de plus en plus souvent à des corps qu’ils n’arrivaient pas à distinguer. Ceux-ci s’écartaient aussitôt, sans un mot, sans un regard, sans un geste. Aucun échange entre leurs deux mondes. Ils vivaient côte à côte, sans se voir. Juste un simple contact et la réaction de retrait des deux partis. Plus une maison maintenant. La campagne peut-être ? Non, une sorte de no-man’s land informe, encombré d’une végétation extravagante, sans même un chemin indiquant un lieu où aller. Il fallait marcher en levant les genoux pour ne pas trébucher dans les ronces qui courraient par terre. Les mains en avant, de façon à éviter les corps qui marchaient eux aussi sans les voir, ils progressaient toujours. Où allaient-ils ? Nul ne le sait. En fin de nuit, ils arrivèrent au bout des terres. Une immense coupure rocheuse entamait le paysage qui s’arrêtait devant une mer de sable, ondulée, aux grains clairs. Elle couvrait l’horizon. Rien que du sable à perte de vue. Au fond la lueur de l’aube commençait à monter. Il fallait trouver un abri. Ils se réfugièrent dans une anfractuosité rocheuse. S’endormirent aussitôt. Ils avaient soif et faim, la langue enflée, mais leur détermination restait sans faille. Cette fois-ci ils furent réveillés vers deux heures de l’après-midi. Aveuglés, ils mirent leurs lunettes noires et contemplèrent la mer de sable. Une multitude de corps étaient couchés sur le sable. Ils semblaient endormis. L’étaient-ils ? Nul ne le sait. Ils se regardèrent. L’épreuve allait commencer.

03/09/2014

une femme... forte (2)

Dommage ! J’aimais bien ce jeune homme à la mâchoire forte. Que faire ? Je m’interroge face à cet être hybride. Vais-je tenter de nouer une conversation ? Mais, comment ? Autour de nous, personne ne semble en proie à un tel questionnement. Ma voisine regarde sa tablette magique sur laquelle elle trace des signes cabalistiques d’un air inspiré. De l’autre côté du couloir, ligne de démarcation infranchissable une fois le train partie et les places attribuées, deux hommes sont en conversation d’affaires regardant une feuille sur laquelle sont alignés des chiffres.

– Tu as oublié de prévoir la commission de la banque ?

– Quelle commission ?

– Elle prend un risque.

– Ah, lequel ?

– Le risque d’être cité si l’affaire tourne mal ou si notre associé rompt le contrat.

– Et cela mérite une commission ?

– Une banque ne travaille jamais pour rien !

Et ils poursuivaient à voix haute et intelligible pour l’ensemble de la voiture leur tripatouillage de commerçant. Une jeune fille d’environ vingt ans, qui avait l’air d’un oiseau sorti du nid, lisait un livre à la couverture colorée dont je ne pus lire le titre. Elle levait parfois les yeux d’un air excédé vers son voisin et son vis-à-vis, ce qui ne troublait nullement les deux bavards. Je n’arrive toujours pas à comprendre pour quelle raison on interdit le plus souvent l’usage du téléphone portable dans les trains, mais on ne peut rien dire contre deux bavards à la voix haute qui discutent sans aucune gêne de problème d’argent, d’amour ou de sport. Ils semblent seuls, perdus dans leur faconde, ignorant le peuple qui s’agite autour d’eux. Et si l’un de nous se décide et leur dit d’une voix doucereuse, mais poli, de parler moins fort, ils haussent le ton d’un décibel pour déclarer qu’ils ont le droit de parler comme ils l’entendent et aussi longtemps qu’ils le désirent.

Je regardai alors mon égérie. Pour la première fois, je vis l’ombre d’un sourire sur son visage glabre. Tiens, me dis-je, ce n’est pas une statue. Elle semble avoir quelque sentiment ou du moins réagir à ce qui arrive à d’autres. Je lui répondis d’un demi-sourire avec un petit hochement de tête. Elle en profita pour me glisser à mi-voix :

– Il n’y a malheureusement rien à faire !

Ce qui me surprit, ce n’est pas le contenu de ce qu’elle avait proféré, mais le timbre de sa voix. Une voix de jeune fille, nette et douce, qui contrastait singulièrement avec son apparence. Et elle agrémenta d’un sourire enjôleur, avec fossette, ses paroles. J’en restais bouche bée. Comment un corps aussi puissant et musclé, pouvait-il proférer des sons aussi purs et féminins. Je croyais avoir une voix charmante et parfois séductrice pour certains hommes, mais celle-ci surpassait mon organe de mille coudées. Elle avait le parfum d’une rose épanouie, la couleur d’un mirage en pleine désert. Elle avait déjà repris sa rêverie douloureuse et sa façon de se réinstaller dans son silence m’empêcha de poursuivre cette conversation entamée. Je replongeais dans mon ordinateur que je fis semblant de consulter avec un intérêt extrême, sans toutefois lire quoi que ce soit. L’écran a l’avantage de n’être qu’une glace face à soi-même. L’interlocuteur ou même le spectateur ne voit que la face de celui qui le regarde. Il croit deviner le contenu de l’écran, mais celui-ci peut être cependant assez différent de son impression. C’est le mystère de l’informatique. On peut jouer avec un sérieux imperturbable ou travailler en simulant de jouer. Et cela convient à tous, les réalistes comme les rêveurs.

Suite à une nouvelle montée en puissance de la conversation de nos voisins, je tentais de ralentir leurs errements verbaux :

– Pourriez-vous, s’il vous plaît, parler un peu moins fort pour que nous aussi puissions profiter de ce voyage ?

Cette remarque entraîna aussitôt la réponse cinglante d’une des deux comparses :

– mais Mademoiselle, il n’est pas interdit de parler dans un train. D’un point de vue culturel, c’est même très bon d’échanger plutôt que de se confiner dans ses pensées.

Tout cela dit à voix haute et moqueuse qui fit se retourner une partie du wagon. Les yeux s’allumèrent, les conversations devinrent encore plus intimes, voire s’arrêtèrent. Je sentais monter sur mes joues une rougeur caractéristique. Je pris le parti de regarder mon interlocuteur comme s’il n’existait pas. Mon regard le traversait et admirait l’horizon sans que rien ne l’arrêtasse. Sa réplique résonna dans le vide, sans écho et, après un instant de déception, il ouvrit son ordinateur et s’installa dans une contemplation de son écran qui sembla le captiver. Ma rougeur s’estompa, mon cœur battit moins fort. Je me demandais ce qui m’avait poussé à une telle réaction, moi qui a horreur de me donner en spectacle et d’intervenir dans des situations collectives. Une minute plus tard, je levais les yeux sur le jeune homme ou la femme forte assise en face de moi. Elle se tourna vers moi et me fit un vrai sourire, une sorte de rayon de soleil reflété sur un lac de haute montagne. Cela me fit du bien, je m’enhardis à lui rendre son sourire, sans rien dire. La connivence s’était installée entre nous, sans une parole. Le TGV commença à ralentir. On arrivait à la gare où je devais descendre. Je fermais mon ordinateur, me levais et m’aperçus que ma voisine faisant de même.

– Vous descendez-là ?

–Oui, c’est ma destination, dit-elle le plus calmement du monde. Vous aussi d’après ce que je vois. Sa voix restait délicieusement pure, une voix de soprano qui a travaillé pendant plusieurs années pour atteindre diction et timbre quasi parfaits. Serait-elle chanteuse ? Cela me parut peu vraisemblable, mais sait-on jamais.