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28/02/2014

L'eau dans tous ses états

L’eau, dans tous ces états
Remonte à la source
En vertu d’une équation :
Plus de cent pour cent
De hauteur de barrages
Par rapport à la dénivelée

L’eau n’est plus ce qu’elle était…
Qu’a-t-elle de moins ?
Non c’est en plus, invisible
Dilué dans la masse d’eau…
Cela donne des boutons,
Et fait des buveurs d’eau
Des rats courant en tous sens

Mais on trouve aussi dans cette eau
Des bouchons monstrueux
Qui nivellent à des hauteurs de noyade…
Il faut les faire sauter
Pas question de les manœuvrer !

Adieu long fleuve tranquille
Désormais cours jusqu’à la mer…
Personne ne peut t’attraper
Ni tremper ses doigts de pied
Dans cette eau désormais sacrée

© Loup Francart

27/02/2014

L'enfant

L’enfant est un adulte déjanté. Avec une désarmante candeur, il vous sort quelques  vérités incongrues telles que la présence d’un grain de beauté sur la joue ou le léger rebond de votre estomac. On ne peut s’empêcher d’en rire sur le moment, puis de pleurer sur le délabrement progressif du corps qui s’épuise à se renouveler et sur la personnalité élaborée avec tant de peines.

Je ne suis plus ce que je croyais être. Si je monte encore les escaliers quatre à quatre, je ne les descends plus que deux à deux. Si je lève toujours le coude, mon verre commence à trembler. Certes, j’ai toujours vingt ans, mais ces vingt ans sont devenus virtuels. De la réalité à la fiction et non l’inverse.

L’enfant voit les gens comme il les observe, sans l’ajout de l’habitude et du conformisme. Il se promène chaque jour dans des rues inconnues et considère leur nouveauté. Il s’émerveille à sa manière, par simple constat d’une réalité qu’il ne connaît pas suffisamment pour ne plus la voir. Cet émerveillement n’est pas l’extase de ce qui sort de l’ordinaire. Il est dû au contact de l’ordinaire qui est encore pour lui extraordinaire, ce qui n’est pas le cas de l’adulte. Seul le poète le rejoint dans cette extase. Chaussant ses lunettes de découvreur de la réalité, il fait lui aussi des focus sur une réalité devenue autre. Comme l’enfant, il tente de l’expliquer avec ses mots. Ceux-ci ne sont pas toujours compris parce qu’ils traduisent des images que le lecteur ou l’auditeur ne connaît plus ou ne connaît pas.

L’enfant apprend la réalité. Le poète redécouvre la réalité. Entre les deux, le monde nu, frêle et réel. Quelle plongée refroidissante avant de remonter revêtu de la couronne de laurier !

26/02/2014

Sauf les fleurs, de Nicolas Clément (Buchet-Chastel, Paris, 2013)

Dans nos besaces, il y a avait toujours une tartine en plus. (…) Nous ouvrions nos besaces, les chevaux se régalaient dans nos mains gantées de souffles chauds. Aujourd’hui, il me reste peu de mots et peu de souvenirs. J’écris notre histoire pour oublier que nous n’existons plus.

Ainsi commence le récit de Marthe, une petite fille, puis jeune fille, étonnante d’innocence et de maturité. Elle raconte le calvaire de sa famille : un père quilittérature,roman,récit,poésie boit et qui bat sa femme et ses enfants. Une mère qui supporte tout pour les protéger, des enfants conscients, mais qui restent des enfants.

Le récit est frais, anodin, empli du présent plein de terreur et d’un avenir imaginaire et consolateur : Je ferai des études pour être professeur de grenier et de livres anciens. Chaque chapitre égraine les ans. Ils se terminent par J’ai douze ans. J’ai seize ans… Elle découvre l’amour : Dans la chambre apprivoisée, ses mains me trouvent après m’avoir cherché caresses. J’oublie le filet percé qui me juge. Des paroles me poussent dans la bouche, que ne trompe plus mon vœu de silence. La douceur de ses hanches me suspend à la barre de ses yeux, puis je retombe ses jambes plus légères que le vide. A l’odeur de ses mots fous dans mes cheveux, je sais que Florent a souci du puzzle que je suis, tandis que s’estompe l’image clouée à l’envers de ma boite. Né d’un fil entre deux paysages, nous vivons d’une bouchée d’équilibre, notre envol, notre saut rattaché.

J’ai dix-huit ans… Le grec ancien lui tient lieu de refuge comme l’amour de Florent. J’ai hâte de ses yeux, je l’écoute respirer. Avant d’aller jouer, Florent m’appelle, nous nous fouillons, j’ai juste assez de place pour jouir. Sur le piano, il y a "Les plus belles chansons du temps passé", ouvert à la page huit. Il joue ma partition toute blanche et n’est lui chaque fois que j’écris, trois soupirs par seconde.

J’ai dix-neuf ans… L’année terrible où elle tue son père qui a tué sa mère. Tout ceci est conté d’une voix tranquille, comme détachée des évènements. Elle flotte dans un monde où rien ne marche et ne semble pas troublée. Papa visse le journal dans la bouche du mannequin. Le juge ordonne "Recommencez, plus lentement". Je recule. Je les vois attroupés, affairés à comprendre. Je m’approche du buffet. J’arme et je tire. Papa s’écroule. J’essuie mes jambes plaquées au sol. Un gendarme me ceinture. Nous n’avons plus rien à craindre. Je suis étrangement calme.

Une histoire terrible, contée du bout des lèvres par un mélange de franchise et de naïveté : Je voulais une mère avec des épaules pour poser mes joues brûlantes. Je voulais un père avec une voix pour m’interdire de faire des grimaces à table. Je voulais un chien avec un passé de chat pour ne pas oublier qui j’étais. Je voulais un professeur pour me surprendre…. Je n’ai pas eu tout ce que je voulais, mais je suis là, avec mes zéros, ma vie soldée du jour qui vaut bien ma vie absente d’avant. Je tombe rond ; mon compte est bon.

25/02/2014

Le mystère du bonheur

Les hommes courent après le bonheur sans jamais le rattraper. Parfois ils sont si proches de lui que son parfum les envahit, les amollissant et les privant ainsi de ses bienfaits. Plus rarement encore, électrisés, ils le touchent du doigt et en restent sans réaction. Qu’est-ce que le bonheur ?

La première approche que l’on peut faire est comparative. Le bonheur se mesure et s’apprécie par rapport au malheur. Mieux même, le bonheur est l’absence de malheur. Est-ce si vrai ? Peut-on comparer l’intention d’éprouver du bonheur qui est encrée en chaque homme avec l’arrivée d’un malheur qui n’est, a priori, nullement recherchée ? Le premier serait le saint Graal, le second la tuile qui tombe sur la tête dans la rue. Pour le premier une recherche de toute une vie, pour le second une angoisse toujours présente. Cette approche a le mérite de mettre en évidence l’absence d’échelle de perception entre les deux concepts. Le malheur peut se mesurer comme on fait mesurer la douleur de 1 à 10. Mais le zéro n’est pas le bonheur. Il ne signifie que l’absence de malheur.

La deuxième approche permet sans doute d’aller plus loin. Elle est également comparative. Le bonheur serait un état d’être qui se situe sur une même échelle que la satisfaction du désir ou l’extase de la joie. Très vite cependant, l’on perçoit que ces deux dernières notions se situent dans l’instant, alors que le bonheur implique une certaine durée. Elles ne sont que des vagues nées du vent de la vie, alors que le bonheur se trouve dans les eaux profondes et sans mouvement, qui ne sont pas touchées par les aléas extérieurs. La satisfaction du désir, c’est-à-dire le plaisir, n’entraîne qu’un simili bonheur d’un instant. L’extase de la joie est une explosion brutale qui  s’éteint progressivement de la même manière que l’eau qui bout se refroidit obligatoirement. Le bonheur est une sérénité durable que les riens de la vie ne peuvent atteindre.

Qu’est-ce qui fait cette différence entre le bonheur durable et la jouissance instantanée du plaisir  ou la jubilation fervente de la joie ? Ne serait-ce pas leur cause ? Je recherche les seconds dans les événements de ma vie. Je découvre le premier en moi, grâce à la contemplation du mystère du monde, mais hors de tout impact momentané du monde sur moi. Oui, le bonheur est un retournement des perspectives. Il n’y a plus de ligne de fuite, mais perception d’un mystère qui s’agrandit en harmonie et de manière permanente. Le bonheur est une ouverture. Le plaisir et la joie ne sont que des explosions provisoires qui cessent lorsque les derniers débris sont retombés sur le sol.

Alors, que signifient ces mots : le mystère du bonheur ? Le mystère est inaccessible à la raison ou plutôt l’étude rationnelle ne permet pas d’en faire le tour. C’est par exemple ce qu’il y a au-delà du big-bang. La science approchera cet instant premier de la naissance de l’univers, mais elle ne saura jamais, sauf à changer de perspective, qui est à l’origine. A travers le comment, elle permet de répondre au quoi, mais pas au pourquoi. Pourtant, nous sentons bien, dans le même temps, que le bonheur dépend de nous. Ce ne sont pas les évènements qui en sont la cause, mais notre façon d’être et de vivre qui détermine la part de bonheur dont nous disposons.

Peut-on conclure, provisoirement, que le bonheur est une notion générale, mais qui se vit individuellement ? Je fais mon bonheur par ma façon de d’être et de vivre, mais ce bonheur m’est personnel dans sa réalisation. Oui, chaque homme est un mystère unique et c’est ce qui en fait sa grandeur.

24/02/2014

Le consternant silence de la nuit

Le consternant silence de la nuit
Quand l’œil ouvert promène sa caméra
Sur la chambre agrandie d’obscurité...
Un reflet dans la glace… Froid dans le dos
Un grincement de meuble… Mal aux dents
Le vol d’un moustique… Attente sans fin

La nuit n’est plus ce qu’elle était...
Elle court sans savoir où elle va
A l’aveugle, en femme échevelée
Elle me tient de sa main gantée
Et m’entraîne dans les précipices
En farandoles inlassables et vertueuses
Jusqu’au réveil hurlant

Premières lueurs de l’aube...
Les cheveux se dressent sur la tête
Rien d’autres ne te retient
Love-toi sur toi-même
Et sois comme le juste…
Endormi...

© Loup Francart

23/02/2014

Edouard Pignon : Les plongeurs

"Au début, on ne voit rien. On voit un ensemble de choses, mais on ne voit rien, ou plutôt, on voit comme tout le monde. Ce qu'il faut, c'est une longue observation méditative, crayon en main. Et au bout d'un certain temps on s'aperçoit que les choses commencent à avoir une autre vérité. La réalité apparaît beaucoup plus vraie. Cela demande beaucoup de temps"

Quelle idée de peindre des plongeurs. Mais lorsqu’il peint, il devient plongeur, il se fond dans la vague et l’eau, se noie dans l’élément liquide et se laisse entraîner au gré des courants. Quel exercice : peindre des séries de plongeurs et de plongeons, entremêlement de formes, de volutes et de couleurs.

Soleil et mer, couché sur la plage, je suis également la lente modulation de chaque vague lorsqu’elle se retourne pour mourir sur le sable. Et ce brassage informe, cette épuisante lutte de la vague contre la terre se noie dans l’azur et le soleil.

Les plongeurs bleus (1966) :

Il se glisse dans la fraicheur terrifiante des profondeurs sous-marines. Ce plongeon en apnée le dissout. L’air devient l’eau, le liquide devient bulle. Les formes se fragmentent au gré des mouvements et lancent des éclairs blancs. Pourquoi ce sang qui se glisse dans la chair et sacrifie à ce baptême mouvementé ?

Les plongeurs rouges (1965) :

Un plongeon c’est la disparition progressive et subite du corps dans l’origine informe. Ne subsistent plus que les fuseaux et les pieds qui battent l’essence même de la vie. Mais cela peut aussi être un mouvement inversé : le corps est né, il sort de sa substance, il émerge de l’eau pour prendre pied dans l’air, puis bientôt la terre.

Les plongeurs (1960) :

Ici c’est l’étude de l’impact entre l’air et l’eau. Un instant magique où la différenciation se ressent sans analyse. Entrée dans l’inconnu des corps gorgés de soleil. Seul compte cette seconde où les doigts touchent la surface vierge et y imprime la rencontre entre les deux éléments.

Une multitude d’attitudes, de couleurs, d’impact, de dissolution. Ce n’est pas une représentation visuelle du plongeon, mais la sensation même de l’entrée dans l’eau ou du séjour dans une substance autre. La courbe des vagues suit la courbure des muscles. C’est un véritable corps à corps dans lequel pénètrent l’œil, puis la chair, puis l’esprit.

La toile me débarrasse de moi-même et me fait entrer dans la sérénité bienheureuse de l’immortalité.

 

Né dans le Pas-de Calais, à Bully les Mines, en 1905, Marles les Mines fut le pays d'enfance du peintre figuratif Edouard Pignon. Edouard Pignon était une figure singulière. Roux, il se trouvait laid. Mineur, il refusait de répondre en patois. Il voulait être écrivain et devint peintre. Peintre figuratif, il résista à la montée de l'abstraction. Homme du Nord, sa peinture a la lumière et la violence des couleurs du Midi où il vécut et fut ami de Picasso. Il est mort en 1993. (http://proussel.voila.net/pignon/pignon.htm)

22/02/2014

La puissance de la musique

On se surprend à ne plus penser quand on écoute de la musique. Pas toujours certes. On peut même dire que c’est un phénomène rare. Mais parfois, un accompagnement insolite d’une mélodie connue, un son étrange et déconnecté de l’habituel vous revivifie. Vous n’êtes plus perdu dans vos pensées. La cigüe de l’éveil vous prend et vous enveloppe de sa conscience. Vous émergez d’un fatras embrouillé et vous plongez dans l’inconnu, le noir ou le blanc sans autre couleur. Un trou dans l’existence, juste suspendu par le fil d’araignée d’un son. Et ce son creuse le vide dans votre poitrine. Retournement des contraires. Vous êtes nu devant l’immensité et n’avez rien pour protéger votre nudité. Vous n’avez même pas conscience de celle-ci. Vous n’avez plus de pensée. Certes, cela ne dure que quelques secondes, et encore. Mais ce bref moment est une éternité pour vous.

Le plus souvent on écoute la musique comme étant une chose à connaître, à aimer ou à travailler. Elle reste extérieure à vous-même. On la caresse, on la cajole, mais elle reste autre, comme un personnage que vous rencontrez dans la rue et que vous attirez chez vous, dans votre intimité, sans toutefois jamais dépasser les règles du bon sens. Mais aujourd’hui nous parlons d’autre chose, d’un éclairage particulier. Quelqu’un appuie sur un bouton et tout s’arrête : pas de mouvement hors de celui de la musique, le calme du vide bienheureux. Ce n’est pas le néant, c’est un état d’apesanteur qui vous porte au septième ciel et vous donne la connaissance immédiate de la vie. Cela ne dure que l’instant où d’un coup de pouce sur la pierre du briquet vous faites jaillir l’étincelle et une flamme qui s’éteint vite sous un souffle d’air.

Alors la musique se révèle une science nouvelle qui donne accès à l’inconnu, une mathématique spécifique qui vous soigne du quotidien. La science à ce prix, n’est-ce pas un délice…

21/02/2014

La politesse

La politesse a deux fonctions.

Elle régule les rapports entre les êtres humains et permet d’éviter les heurts d’humeur, voir la manifestation ouverte d’animosité. Elle facilite ainsi la bonne marche de la société.

Mais elle peut également, et ses avantages se transforment alors en inconvénients, devenir langue de bois lorsque les parties ne veulent pas se parler. Sous prétexte d’éviter tout heurt, il devient impossible de s’exprimer et de faire part de son point de vue. L’échange n’existe pas sur le sujet de discorde qui est évacué sous prétexte de risque de confrontation.

Cela s’accompagne d’une discrimination à la parole. Les autorités seules y ont droit, en usent et en abusent. Les autres doivent écouter sous le prétexte d’éviter le démêlé verbale. Lorsqu’on veut faire part de son point de vue, il est trop tard, ce n’est pas le moment, ce n’est pas le sujet de la réunion. Bref, toutes sortes de faux arguments pour vous empêcher de vous exprimer. C’est ainsi que gouvernent nos politiques et notre administration. Cela évite d’avoir de véritables échanges participatifs.

Mais bien sûr, il y a eu concertation ! Celle-ci signifie que les deux parties ont été conviées à une réunion au cours de laquelle seules les autorités ont la parole, sans aucune réponse aux quelques questions qu’elles permettent de poser à l'autre partie.

20/02/2014

Le virtuel et le réel

Oui, c’est vrai, comment distinguer
La réalité de la virtualité ?
Certes, je palpe la première
Et ne goûte que des yeux la seconde
Je me baigne dans le réel
Et nuage dans le virtuel…

On me dit que le virtuel
Existe sans se manifester
Pourtant les réseaux sont bien là
Pour signifier le mécontentement

On me dit que la parole est réelle
Mais la langue virtuelle
Ah ! Parler est vrai
Mais le Français n’est pas révélé ?

Le virtuel est le réel en puissance
Le réel possède-t-il tant de force ?
La mémoire virtuelle se déconnecte
Mais ma mémoire ne fait-elle jamais défaut ?

Oui, c’est vrai, quelle potentialité
Que ce plus qui vous accompagne
Et vous tire par la manche
Pour vous noyer d’une brume d’informations !

© Loup Francart

19/02/2014

Ce qu’il advint du sauvage blanc, roman de François Garde

« Au milieu du XIXème siècle, Narcisse Pelletier, un jeune matelot français, est abandonné sur une plage d’Australie. Dix-sept ans plus tard, un navire anglais le retrouve par hasard : il vit nu, tatoué, sait chasser et pêcher à la manière de la tribu qui l’a recueilli. Il a perdu l’usage de la langue française et oublié son nom. Que s’est-il passé pendant ces dix-sept années ? C’est l’énigme à laquelle se heurte Octave de Vallombrun, l’homme providentiel qui recueille à Sydney celui qu’on surnomme désormais le sauvage blanc. » (Résumé 4ème de couverture)

On ne le saura pas, malgré les efforts d’Octave. Narcisse disparaîtra sans qu’il14-02-13 Ce-quil-advint-du-sauvage-blanc.jpg ait dévoilé ce qu’il fit pendant ce séjour imposé en Australie. On le devine cependant, car un chapitre sur deux est consacré à ses premières impressions : solitude, désespoir, incompréhension. Un martien parachuté dans le monde des hommes qui souffre de la soif, de la faim et de l’indifférence des sauvages.

L’autre moitié du livre est consacrée au récit d’Octave, homme raffiné, très à cheval sur les convenances, mais modeste et dérouté par le silence de Narcisse. Il écrit à son protecteur, le président de la Société de Géographie, et lui conte ses difficultés. Il sera l’objet de la risée lorsqu’il présentera son sauvage à la société : moquerie, incrédulité, voyeurisme. Narcisse est invité à se présenter à l’impératrice. Il parle pour la première et dernière fois ; il chante même, une mélopée imprévisible faite de miaulements, répétitions saccadées de syllabes, claquement de langue, grognements syncopés, sifflements. Quelque chose de la rudesse de l’Australie, de la solitude de ses déserts, de l’ardeur du soleil sur une terre craquelée… L’impératrice lui donne une bague et lui accorde un emploi dans l’administration. Ne sachant où le mettre, on finit par l’envoyer à l’île de Ré : garde magasin au phare des Baleines.

Un jour Narcisse disparaît et personne ne le retrouve. Evaporé, il devient une légende. Octave meurt. Plus personne ne se souvient de ces deux personnages haut en couleur qui marquèrent l’opinion de façon contrastée : drame véridique ou récit de faussaire ? 

L’écriture est bien celle de la bonne société du XIXème siècle, compassée, emplie de références à la vision sociale d’alors. Le récit en devient long. Il tarde à dire les choses. On s’ennuie parfois sur ces précautions oratoires qui enrobent le déroulement des faits. Le récit lui-même s’embrouille à la fin. Pourquoi cette disparition, qu’advient-il réellement de Narcisse ? On ne le saura pas et l’on reste sur sa faim qui commençait à s’atténuer en raison de la monotonie du récit.

18/02/2014

L'envie

L’envie, un besoin, un impératif très enfantin qui glisse vers l’adolescence et l’âge mûr jusqu’à encore émettre son clignotant dans les dernières années. « Oh, Maman, j’en ai tant envie ! » Et vous attendez ce jour de Noël avec une impatience extrême jusqu’au moment où vous l’avez. Je me souviens, adolescent, d’un cyclomoteur qui fut l’objet d’une folle expectative, avec ses rebondissements, ses pleurs et la joie de la possession.

Il y a trois types d’envie.

Le plus simple, et qui n’est nullement répréhensible, est le désir d’avoir ou de faire quelque chose, que quelque chose arrive. C’est une convoitise qui vous prend à la gorge, qui obsède vos pensées, qui vous rend malade jusqu’à sa satisfaction. Ainsi en est-il de l’homme qui achète une voiture hors de prix et qui invite sa femme à faire un tour pour lui dévoiler sa merveille. Il en est de même de la femme qui a acheté une robe également hors de prix et qui invite son mari à l’admirer, un soir, après un bon diner bien arrosé. Seule la banque ne s’en remet pas.

Un deuxième type d’envie, plus ennuyeux à gérer, est le désir de ce qu’un autre possède. On entre alors dans la démesure. On est prêt à dépenser beaucoup plus que ce que nous mettrions normalement. Prêt à se quasiment ruiner pour montrer que l’on peut posséder la même chose, que l’on est aussi riche, aussi pourvu, bref mettre en avant l’orgueil, la vantardise et le satisfecit. Ce genre d’envie, une fois satisfait, supprime cette tension raisonnée du corps et de l’esprit pour l’objet convoité. Vous l’avez, votre envie est passée, vaincue… La vie continue…

Le troisième type d’envie est un sentiment de frustration face au bonheur d'autrui ou à ses avantages. C’est un désir qui ne peut être satisfait. Il vous fait mourir à petit feu. Vous tendez la main au travers des grilles d’une prison imaginaire, la paume vers le ciel sans attendre qu’il y tombe quelque chose. Vous le savez, mais ne pouvez vous en empêcher. Votre esprit se rapetisse, vous vivez dans une boite de sardine à rêver d’une vie hors de proportions par rapport à vos compétences et à vos aspirations. Désir fréquent que celui de l’envieux de la vie de l’autre. C’est un moteur tyrannique qui ne possède que des mauvais côtés. Mieux vaut l’abandonner en chemin et partir à l’aventure sans savoir où l’on va.

Peut-on perdre toute envie ? Peut-on vivre sans désir ? C’est ce passage de l’envie à la liberté qui marque le tournant d’une vie. Celle-ci est au-delà de l'envie. Elle illumine le parcours sans jamais le contraindre. Elle éclaire la pensée et l’action sans jamais y mêler le désir. C’est un état d'esprit qui conduit à la réalisation de soi que l’on n’atteint bien évidemment jamais totalement. Mais ces plumes caressantes du bonheur suffisent à combler une vie agitée. Libre parce que sans envie, quelle sérénité !

17/02/2014

Barrière du conformisme

Quel titre ! Est-ce bien prudent ? Probablement non. Pourtant, derrière, la lumière de la création. Une telle figure est impossible, mais cependant  n’est-elle pas belle?

Aux quatre coins une pyramide : un, puis deux, puis trois. Mais celle-ci est dédoublée à l’horizontal. Elle monte, puis redescend. Et les marches qui les séparent montent, puis redescendent. Une ronde sans fin, sans finalité en dehors de la curiosité et, aussi, de l’élégance.

Oui, ce pourrait être un objet à exposer dans un cabinet de curiosité. 

12-10-11 Figures impossibles carrés volume2.jpg

© Loup Francart

16/02/2014

Le corps et l'âme

Je fouille en moi vainement
Pas une trace de l’âme
Descente dans l’obscurité du corps…
J’ai le vertige des vierges…
Le noir et rien, sans palier…
Un nœud lâche, puis deux...
Détente de la carcasse
Les défenses s’évanouissent…
Une lueur apparaît, lointaine
Je la perds, je la retrouve
Je m’allège et je me perds
Il reste toujours cette pellicule
Qui colle à l’être, tenace
Et qui empêche le départ…
Soudain, éclaircie, directement
Le blanc succède au noir
Le ying au yang
La hauteur à la profondeur
En descendant je monte
Et cette montée me ravit
Je perds mon poids
Je ne suis plus qu’une colonne
D’air purifié et rafraichissant
Et cela me suffit…
Ouverte à tous vents
Seule l’âme subsiste

 © Loup Francart

15/02/2014

Le Tao Dance Theater

http://www.youtube.com/watch?v=4uMsXniWCHI


 

Une belle présentation du Tao dance theatre, compagnie chinoise créée en 2008. Le style est très moderne, mais, comme son nom l’indique, il garde son fond culturel chinois. Le Tao ou la voie est le chemin à suivre pour parvenir à la maîtrise. Il se traduit également par le principe ou l’art de…

Cette présentation met bien en valeur cette maîtrise à acquérir par le mouvement et les temps d’arrêt. Pauses et changements sont l’expression d’une même réalité.

L'utilisation d'une sorte de contine inspirée à la fois de l'Afrique et des banlieues est certes déroutante. Mais... C'est... la mondialisation.  

14/02/2014

L’influence ou la liberté

M.Oppenheimer et son équipe ont donnés des textes à lire à des étudiants en variant la taille et le style de la police de caractère "12-point Comic Sans MS 75% gris" et "12-point Bodoni MT 75% gris" pour les uns, "16-point Arial Black" pour les autres. C’est-à-dire :

  • 12-point Comic Sans MS 75% gris : Est-ce lisible et pratique pour apprendre la physique?
  • 16-point Arial Black : Est-ce lisible et pratique pour apprendre la physique ?

Puis, ils ont questionné les lecteurs sur le contenu des textes. 86,5% de ceux qui avaient la version point Comic Sans MS 75% gris répondent correctement, c’est-à-dire se rappellent des détails, contre 72,8% pour ceux qui avaient la version la plus lisible. Presque 15% de différence. Pourquoi ?

Eh oui, à vouloir trop mâcher, on désintéresse ceux qui ont l’esprit éveillé et qui sont prêts à chercher des heures plutôt que d’être enseignés pas à pas et cajolés benoîtement. C’est dans la difficulté que l’homme se découvre homme et non dans l’apathie. Inversement, l’enseignant ne souhaite souvent qu’une chose, la soumission à ce qu’il enseigne, sans dérogation. Car derrière tout cela, il y a la sacrosainte idéologie de l’influence. Vladimir Volkoff, le spécialiste de la désinformation, un jour où nous allions en train à Lille pour une conférence sur le renseignement, me dit : « Il n’y a pas de dialogue sans recherche d’influence. Tout homme cherche à influencer l’autre, quel qu’il soit. Ce peut être en forçant la main, ce peut être en douceur. Mais dans tous les cas, ce que j’expose à l’autre, dès l’instant où la conversation est sérieuse, cherche à le convaincre ».

En ces jours où la communication prime sur l’information, c’est d’autant plus manifeste. Et si l’on vous demande de dire si vous aimez ou non (like), c’est bien pour mesurer le degré d’influence qu’a pu avoir votre message, même s’il est pauvret par nature.

Mais dans la réalité profonde de l’homme se cache un désir de connaître qui n’a rien à voir avec l’influence. La liberté est le moteur de la discipline des grands hommes, qu’ils soient artistes, explorateurs, inventeurs ou tout autre métier dans lesquels la décision est le fruit d’un long cheminement. Peu importe les difficultés, peu importe les échecs, l’homme sait trouver en lui la volonté de poursuivre envers et contre tous. Cette tension intérieure est sa récompense et même si parfois elle ne mène nulle part elle a contribué à façonner sa personnalité et conduit à la réalisation de soi.

13/02/2014

Exposition Art Déco, au Trocadéro

Une exposition qui a du succès, à tel point qu’on a du mal à admirer tout ce qui est proposé. Une multitude de gens s’y pressent : vieilles dames en mal de souvenirs, vieux messieurs très dignes sur leur canne, conférencières papotant telles des reines autour de leurs abeilles, jeunes filles au moins par deux, etc.

Il est vrai que l’expo développe tous les aspects d’une révolution culturelle à l’égal ou même supérieure à l’art nouveau, son prédécesseur chronologique. L’art déco est même, pour certains, une réaction à l’art nouveau. Ce dernier s’inspire principalement de la nature et de la courbe. Pas d’angles droits, mais des courbes végétales inspirées des fleurs, arbres, animaux. La courbe satisfait l’œil, enrobe ses perceptions, enjolive la réalité. C’est le « style nouille » qui en fait méritait mieux que ce surnom pamphlétaire. L’art déco lui succède à la fin de la première guerre mondiale. Il reprend certaines de ses caractéristiques : mouvement international, style nouveau qui s’étend à tous les domaines : art, architecture, décoration. Mais il redécouvre l’angle droit, la symétrie, un ordre plus classique. Il garde cependant un dessin et des volumes proches de l’art nouveau. Mais il utilise des matériaux nouveaux et s’étend non seulement à l’architecture privée ou publique, mais aussi aux usines, gares, métro, etc. Bref, ce mouvement révolutionna l’entre-deux guerres et nous voyons encore de nombreux monuments qui datent de cette époque.

 Quand j’étais enfant, nous avions dans notre chambre un cosy art déco. Nous n’en avions pas un grand respect. C’est dommage. Il représentait une époque particulière : l’entrée du modernisme dans la vie quotidienne à l’échelle mondiale : le même style à Fougères et Mexico. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce fut une véritable déferlante d’art déco : bâtiments, jardins, sculptures, décoration, dont voici quelques exemples :

 

 

La force et l’intelligence, maquette du monument à la défense du canal de Suez (1930)

 

 

 

 

 

 

 

La petite fille aux tortues, de Renée Letourneur, dans les jardins d’Albert Laprade combinant architecture, sculpture, végétation, fontaines.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des immeubles tels que nous les connaissons maintenant, sous forme de cubes accumulés et de baies vitrées.

 

 

 

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Et la femme tient un rôle particulier : moderne, emblématique, symbolique d’une nouvelle conception de la vie. L’art déco touche également la mode.

 

 

 

 

  

 

 

En sortant des salles d’exposition, vous ne pourrez que voir le tableau de Jean Dupas (1925) intitulé La Vigne et le Vin devant lequel trône une Torpedo Grand Sport.

 

 

 

12/02/2014

Un poème

Un poème, c’est un rond dans l’eau
Créé par l’impact d’une ivresse soudaine
Une gifle décoiffante d’un fait insolite…
Les sens en alerte tu guettes l’éveil
Aujourd’hui il ne vient pas, pourquoi ?
Remue la tête, déménage tes poussières
Souffle sur le décor et entame la valse
De la folie des mots qui s’enchaînent…
Laisse-toi bercer par la cathédrale
Et les résonances  de ses fils de verre…
L’orgue se tait, l’organiste est mort
D’une crise de larmes et d’étincelles
Le chien aboie dans la tribune
Quoi de plus naturel !
Le fumet des mots d’antan a disparu…
Odeur des greniers ou des caves
Un relent de moisi ou de renfermé
Qui saute à la gorge étonnée…
Et tu poursuis en tournant à la main
Ta perceuse, fouillant dans le sable
Et la pierre jaunie d’écume
Jusqu’à l’étincelle attendue divinement
Qui met le feu aux poudres
Et chavire tes perceptions latentes…
Sautez le chat huant et l’éléphant rose
Ça clignote dans l’ellipse grammaticale…
Secoue la caisse de résonance…
Extrais le jus de l’ignorance
Et couche-le sur le papier 
Laisse-le baver sur la feuille blanche
Qu’il se dessine seul en noir
Tache bienfaisante et fertile
Qui fait rire l’innocent
Et ricaner l’averti…
La mer des mots n’en finit pas de déborder…

 © Loup Francart

11/02/2014

Virginie Bastié, à la galerie Etienne de Causans

La galerie Etienne de Causans (25 rue de seine 75006 Paris) expose les toiles de Virginie Bastié. Je me suis demandé si réellement je devais en parler.



 

 

Des couleurs et de la lumière, mais des flous recherchés qui n'apportent guère.


  



 


 


Mais cette jeune fille, non floutée, est belle. Son visage attire le regard par sa précision et la justesse de son attitude. L’effet est obtenu par la netteté du dessin par rapport au reste du tableau, plus esquissé.


 

  

Une mer de rage contenue. On ne sait si elle est déchaînée ou si ce calme précède la tempête. La lumière qui vient de la gauche semble gagner sur l’obscurité et le ciel danse devant cette furie.

 

  

10/02/2014

L’art et le beau

« Est beau ce qui procède d’une nécessité intérieure de l’âme. Est beau ce qui est beau intérieurement. » (Kandinsky, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Denoël/Gonthier, 1969, p.175)

 

N’y aurait-il pour Kandinsky qu’une seule beauté, celle qui l’on découvre en soi, au plus profond de soi-même et qui vous révèle à vous-même ? Je ne le pense pas. Il y a bien deux types de beauté, la beauté première ou brute, qui est extérieure. C’est celle de la réalité : la beauté de la nature en premier lieu, mais également la beauté humaine, mais encore la beauté de la technique. Une belle machine condense notre admiration. On se trouve alors à la limite entre la beauté extérieure et la beauté intérieure, parce que sans cette dernière, la première n’existerait pas.

La beauté intérieure procède d’une autre origine. Sa perception par l’amateur est à peu près semblable à la perception de la beauté extérieure, mais son origine est différente pour l’artiste. Elle est le fruit d’un lent cheminement de joie et d’effort, et parfois de peine. Elle façonne l’artiste et le condamne à un esclavage sans fin. En recherche toujours, en attente, en exaltation. La fin d’une œuvre le console un peu de cette vie en haut et bas, mais très vite il renoue avec la création et se lance dans un nouveau défi personnel.

L’art est bien un défi que l’artiste se pose à lui-même. La beauté intérieure est l’accomplissement de ce défi. La réalisation de soi naît de cet accomplissement. Tension et soumission à cette nécessité intérieure, telle est la réalité de l’artiste.

09/02/2014

Adagio du concerto pour clarinette et orchestre en la majeur KV 622 de Mozart, avec Michel Portal

http://www.youtube.com/watch?v=TOqg8H7Ynxk


Composé quelques mois avant sa mort, ce concerto est le seul écrit pour clarinette par Mozart. L’adagio et connu et souvent utilisé dans les musiques de film. Il est lent, calme, mélancolique avec une alternative régulière des parties d’orchestre et de clarinette.

Il est écrit à la manière d’une aria, c’est-à-dire sous la forme d’un lied (un thème A suivi d'un thème B, puis d'un retour au thème A) : ce type d'aria est aussi connu sous le nom d'aria da capo ou aria avec da capo, c'est-à-dire reprise du commencement. Il est introduit par la clarinette qui joue le thème principal, repris ensuite par l’orchestre.

C’est un thème simple, une première phrase avec une montée en majeur et une demi-descente dans un rythme lent, expressif, charmeur. Puis une deuxième montée jusqu’à l’octave, sur le même thème et le même rythme. Enfin, une alternance de quarte et quinte en descente et une conclusion à la tierce finissant sur la note de départ. Le thème est ensuite repris par l’orchestre dans la même simplicité. La clarinette reprend alors la partie solo pour développer le thème dans le même rythme lent, mais avec des variantes descendante et finissant sur la même conclusion. Puis le thème se développe entre le soliste et l’orchestre, toujours dans la même simplicité tranquille avec reprise du thème de départ comme le rappel d’une quiétude permanente troublée modestement par quelques montées émotives de la clarinette.

Le film Amadeus de Milos Forman a fait beaucoup de mal à l'image de Mozart. Dans l’esprit de beaucoup de gens, il ne fut qu’un voyou doté de génie musical, avec une vie émotive indisciplinée. Comment une telle personne, proche d’une folie certaine, pourrait avoir composé une musique aussi sensible et équilibrée que celle-ci ? De la même manière, comment imaginer que c'est Michel Portal, musicien de jazz, aux couacs retentissants et obscènes pour le classique, qui joue avec brio cette aria, enchantant nos sens et réveillant en nous le meilleur. La musique parle mieux de ce que nous ne connaissons pas que l'analyse sociologique, culturelle ou psychologique.

 

08/02/2014

Tempête

J’émerge et respire un grand bol d’air
Quel bruit ! Un grondement incessant
Une autoroute de départ en vacances
Ecrasé sous les roues et asphyxié de gaz
J’ouvre un œil. Où suis-je ?
Dans quelle machine à laver suis-je tombé ?
Un  incessant mouvement de grains de sable
Qui balaye les toits, entre par les fenêtres
Et passe le plumeau sur toute surface nue…
Levons-nous puisque le néant nous refuse…
Le sol est froid, l’air est moite
Collé contre le carreau glacé
Je contemple la danse du vent
On ne le voit pas. Certes on l’entend.
Les arbres s’agitent et se plient
Ils frémissent et gémissent de crainte...
En gros bouillons irascibles
La rivière charrie sa boue jaune
Entraînant toutes sortes de brindilles
De branches, d’herbes et de malheur…
Le vent ne se démonte pas, il s’amplifie
Je suis assis sur la bande médiane de l’autoroute
Et les véhicules passent à droite et à gauche
Hurlant indistinctement : écarte-toi, écarte-toi !
Alors, las de cette agitation non maîtrisée
Je ferme les yeux, ouvre mes paumes
Lève les bras à la force du souffle…
Je me dénude de mon immodestie
Et crie.
Les sons se perdent dans les branches
Mais quel bienfait ce passage hors du temps
Je suis sourd aux gesticulations
Assis sur mon tonneau, balloté par les flots
Je m’envole vers je ne sais où
Je perds mon identité pour redevenir
Celui qui a toujours été, qui n’est rien
Et qui devient le tout, par absence…
Je suis le vent et je caresse la terre
Montant dans les cieux, passant sous les portes
Et je regarde éberlué et chagrin
Celle qui se met nue dans les caresses…
Elle est parce que je ne suis plus…
Je suis par absence, courant d’air…
La mort guette l’inquiet, le modèle
Avant de s’enfuir sans rien
Ricanant de l’absurde et du bonheur

© Loup Francart

07/02/2014

La négociation ou voie de la sagesse

Face à un désaccord, quel qu’il soit, il y a généralement trois solutions pour celui qui se sait dans son droit.

La première est de s’imposer en faisant valoir son droit. Mais cela suppose que l’autre ne dispose pas d’une force supérieure et qu’il soit contraint d’accepter cette solution sans arriver à la remettre en cause.

La seconde est de céder sans chercher à faire valoir son droit, probablement parce que l’autre est en force supérieure. C’est la voie des lâches ou des peureux.

La troisième consiste à chercher à faire valoir son droit sans employer la force. Il ne s’agit pas d’obtenir une petite compensation, mais de ne rien céder ou le minimum pour éviter l’affrontement. Elle laisse d’ailleurs la porte ouverte à l’emploi de la première voie par la suite. C’est la voie du juste milieu. Elle est difficile, longue, incertaine et surtout nécessite une stratégie éprouvée. C’est la voie de l’intelligence au service de la volonté. C’est la voie de Talleyrand au service de Napoléon lors du traité de Vienne en 1815 : « Je serai doux, conciliant mais positif, ne parlant que des principes et ne m’en écartant jamais » Il choisit le droit comme angle d’attaque. Il refuse systématiquement de faire des concessions en invoquant les principes irrévocables. Il répond au Tsar : « Vous me parlez là d’un marché, et je ne peux pas le faire. J’ai le bonheur de ne pas être si à mon aise que vous. C’est votre volonté, votre intérêt qui vous déterminent, et moi, je suis obligé de suivre des principes ; et les principes ne transigent pas ! »

Cependant cette voie de la sagesse n’est pas toujours possible. Elle implique même de laisser la porte ouverte à la première voie. En effet l’aveuglement des adversaires peut les conduire au mensonge par intérêt ou idéologie. Ils se serviront du temps pour leur permettre de retourner la situation. La troisième voie implique donc de disposer d’un avantage que l’on s’efforcera de décliner dans le temps jusqu’au moment où il contraindra les parties opposées à accéder au dialogue.

06/02/2014

Julian Taylor, à la galerie 26

C’est à une nouvelle exposition de Julian Taylor que nous convie la galerie 26 (26 place des Vosges 75003 Paris). C’est un habitué de cette galerie. Il a exposé des marines et des paysages de Norvège. Du 8 janvier au 8 mars, il expose des maisons du Maroc et du Périgord.

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Il est avant tout dessinateur. Son trait prédomine sur la couleur et celle-ci est là pour renforcer la finesse des détails et fondre dans un ensemble harmonieux quelques bâtiments en pleine nature.

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 On pourrait croire parfois à des aquarelles, par la fusion des couleurs et leur suavité. Julian Taylor est sensible, il prête attention à l’équilibre des impressions grâce à une lumière jamais poursuivit pour elle-même, mais qui s’impose lentement à l’œil et finit par donner au tableau sa magie.

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 Sa peinture n’est pas créatrice au sens de l’invention de nouveaux systèmes de construction du tableau ou de nouvelles techniques comme dans la peinture contemporaine. Elle est délicate, émotionnelle, intuitive. Au premier abord très classique, elle vous pénètre lentement, jusqu’à vous laisser le goût de la neige et de la terre sur la langue, et la couleur du ciel dans les yeux.

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05/02/2014

Beauté de la rigueur


https://www.youtube.com/watch?v=jINuX_Hort8

Admirons ces Japonaises, charmantes et réglementaires, dans leurs démonstrations de rigueur collective qui leur réjouit le cœur au point de les amener à danser (mais comme toujours ensemble).

Ensemble jusqu'à n'être plus qu'une, répétée à l'infini.

04/02/2014

L’artichaut

Effeuille-toi tel l’artichaut
La première feuille est la plus difficile
Tire un petit coup sec
Et lâche la feuille dans le vide...
Allons prend-en une seconde...
Bien. Laisse-la partir...
Tu t’allèges, courage !
Ah, tu as perdu du poids
Tu affines ta silhouette
Déjà tu vois au-delà de l’horizon
Des soucis et contraintes
L’aube approche, encore une feuille
Tu arrives au cœur
Dans cette chair tendre
Qui coule son miel parfumé...
Elles sont si petites
Les dernières feuilles, rouges
Ou violacées et pâles
Que tes doigts ne peuvent les saisir
Et puis ces poils au bout sucré
Qui suggèrent plutôt que nourrissent
Avant de pouvoir entamer
La surface jaune beige
Piquée de pointes imperceptibles
Avec ton couteau aiguisé
Et prendre ta part de rêve
Et d’ortolans vivaces...
Le parfum, le goût et la couleur
S’allient pour conjuguer
Un mariage délicieux
Qui t’ouvrira les portes
De l’éternité désirée

 © Loup Francart

03/02/2014

Un barrage contre le Pacifique, roman de Marguerite Duras

Il m’a fallu attendre la page 115 pour que s’éveille en moi un intérêt pour ce roman. Auparavant, je me demandais ce que chaque personnage faisait de sa vie et en quoi ce livre dépeignait une vision particulière du monde qui valait la peine d’être contée. Et tout à coup, les enfants : Il y avait beaucoup d’enfants14-012-03 Un barrage contre le Pacifique.jpg dans la plaine. C’était une sorte de calamité. Il y en avait partout, perchés sur les arbres, sur les barrières, sur les buffles, qui rêvaient, ou accroupis au bord des marigots, qui pêchaient, ou vautrés dans la vase à la recherche des crabes nains des rizières. Dans la rivière aussi on en trouvait qui pataugeaient, jouaient ou nageaient. Et à la pointe des jonques qui descendaient vers la grande mer, vers les îles vertes du Pacifique, il y en avait aussi qui souriaient, ravis, enfermés jusqu’au cou dans de grands paniers d’osier, qui souriaient mieux que personne n’a jamais souri au monde. (…)

Dès le coucher du soleil les enfants disparaissaient à l’intérieur des paillotes où ils s’endormaient sur les planchers de lattes de bambous, après avoir mangé leur bol de riz. Et dès le jour ils envahissaient de nouveau la plaine, toujours suivis par les chiens errants qui les attendaient toute la nuit, blottis entre les pilotis des cases, dans la boue chaude et pestilentielle de la plaine. Il en était de ces enfants comme des pluies des fruits, des inondations. Ils arrivaient chaque année, par marée régulière, ou si l’on veut, par récolte ou par floraison. Chaque femme de la plaine, tant qu’elle était assez jeune pour être désirée par son mari, avait son enfant chaque année. A la saison sèche, lorsque les travaux des rizières se relâchaient, les hommes pensaient davantage à l’amour et les femmes étaient prises naturellement à cette saison-là. Et dans les mois suivants les ventres grossissaient. Cela continuait régulièrement, à un rythme végétal, comme si d’une longue et profonde respiration, chaque année, le ventre de chaque femme se gonflait d’un enfant, le rejetait, pour ensuite reprendre souffle d’un autre.

Et ce fut l’illumination. La magie de l’écriture pour l’écriture. L’histoire est simple, si simple qu’elle n’a que peu d’intérêt. Une vieille femme, deux enfants déjà grands, dans une concession qu’elle a achetée à des fonctionnaires véreux. Elle s’épuise à construire un barrage contre le Pacifique et contre la société qui la rejette parce que trop pauvre. Seules comptent les descriptions merveilleuses de ce monde absurde et les personnages plus ou moins atypiques qui côtoient de près ou de loin la famille. Ainsi les jambes de Carmen : Ce qui faisait que Carmen était Carmen, ce qui faisait sa personne irremplaçable c’était ses jambes. Carmen avait en effet des jambes d’une extraordinaire beauté. (…) Carme, passait le plus clair de ses journées à se déplacer dans le très long couloir de l’hôtel qui donnait à une extrémité sur la salle à manger, à l’autre sur une terrasse ouverte, et de chaque côté duquel s’alignait les chambres. Ce couloir, ce long tuyau nu éclairé seulement à ses extrémités, était naturellement destiné aux jambes nues de Carmen et ces jambes y profilaient toute la journée durant leur galbe magnifique. (…) On pouvait coucher avec Carmen rien que pour ce jambes-là, pour leur beauté, leur intelligente manière de s’articuler, de se plier, de se déplier, de se poser, de fonctionner. D’ailleurs on le faisait…

Le récit s’émaille de ces descriptions merveilleuses qui laissent un arrière-goût de perfection dans la mémoire du lecteur. L’histoire continue, mais peu importe, seules comptent ces illuminations dans lesquelles nous plonge Marguerite Duras, l’ensorceleuse. Allez ! Encore une description avant de vous laisser : La première fois que Suzanne se promena dans le haut quartier, ce fut donc un peu sur le conseil de Carmen. Elle n’avait pas imaginé que ce devait être un jour qui compterait dans sa vie que celui où, pour la première fois, seule à dix-sept ans, elle irait à la découverte d’une grande ville coloniale. (…) Suzanne s’appliquait à marcher avec naturel. Il était cinq heures. Il faisait encore chaud mais déjà la torpeur de l’après-midi était passée. Les rues, peu à peu, s’emplissaient de blancs reposés par la sieste et rafraîchis par la douche du soir. On la regardait. On se retournait, on souriait. Aucune jeune fille blanche de son âge ne marchait seule dans les rues du haut quartier. Celles qu’on rencontrait passaient en bande, en robe de sport. Certaines, une raquette de tennis sous le bras. Elles se retournaient. On se retournait. En se  retournant on souriait. « D’où sort-elle cette malheureuse égarée sur nos trottoirs. » Même les femmes étaient rarement seules. Suzanne les croisaient. Les groupes étaient tous environnés du parfum des cigarettes américaines, des odeurs fraiches de l’argent…

Le livre se lit comme un rêve ou se parcourt comme une marche dans la brume d’un pays lointain si différent de ceux que l’on connaît. Les deux adolescents découvrent la vie, l’amour ; la mère se tasse dans son lit, pleure devant sa concession inutile et finit par mourir, harassée.  Alors ils partent.  La nuit était tout à fait venue. Les paysans étaient toujours là, attendant qu’ils s’en aillent pour s’en aller à leur tour. Mais les enfants étaient partis en même temps que le soleil. On entendait leurs doux piaillements sortir des cases.

02/02/2014

Tournement

 Un mille feuilles, mais chaque feuille est placée côte à côte et a glissé légèrement à gauche sous la pression. Ce n’est pas l’anarchie, mais un léger tremblement de terre, uniforme et ordonné, qui procure des sensations particulières, car le centre n’arrive pas à se tenir droit, même à 90°.

14-01-20 Tournement.jpg

© Loup Francart

01/02/2014

Quel idéal ?

Un idéal ne peut exister concrètement. Il n’a qu’une existence intellectuelle et ne peut être vécu ou éprouvé par les sens. C’est en cela que de nombreux contemporains estiment qu’il est plus logique de voir le monde dans sa réalité (sa seule vérité : le monde est ce qu’il est et rien d’autre), que dans une vision en devenir permanent, jamais aboutie, toujours en mouvement, mais qui fait rêver et permet d’atteindre plus que le constat d’une triste réalité.

Mais ce n’est pas si simple. En principe, on distingue les partisans d’un idéal imaginaire, teinté de morale et de règles, et les partisans de la seule réalité qui est le guide utilitaire des actions à entreprendre. On peut aller plus loin et même dire, la pratique contre la théorie. En fait, le réel est tout autre. C’est le propre de l’homme, par rapport à l’animal, de se constituer un idéal. Ceux qui luttent contre les idéaux moraux le font au nom d’un autre idéal, le pragmatisme, l’utilitaire et l’adaptation à la situation ou pour une idée opposée de l'homme. Au nom de ce nouvel idéal, ils se défendent de toute idéologie et par là même deviennent idéologues, adoptant des règles contraires à ce qui les avaient auparavant animés.

Alors, une fois de plus, la loi du juste milieu s’impose. Il n’y a pas de vérité dans les extrêmes. Les règles doivent accepter des transgressions, sans cependant être remises en cause et sans que l’exception deviennent règle.