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18/11/2018

La cave

L’agent du sous-sol, un homme épais à l’haleine peu fraîche, l’attendait en bas des escaliers. Elle n’avait que onze ans, une figure ronde et joyeuse, un sourire aux lèvres. Mais ce matin, elle avait peur. De quoi ? Elle ne savait. Peut-être le froid qui l’avait prise en descendant les marches ou encore en raison de la mission qu’elle venait de recevoir : chercher une bouteille de vin à la cave. Elle était pourtant déjà descendue, le plus souvent accompagnée, parfois uniquement de sa petite sœur, Emilie. Elle lui tenait la main et lui disait : « N’aie pas peur. C’est là, en bas, à droite. On ouvre la porte, on tend la main, on prend le goulot d’une bouteille et on tire en prenant garde de ne pas en faire tomber d’autres. » Aujourd’hui, elle était seule. Elle avait été moquée par son père qui avait dit au reste de la famille : « Laissez-la faire. Elle doit maintenant se débrouiller seule ! » Alors, pour ne pas paraître peureuse, elle avait regardé sa maman qui avait souri et avait ouvert la porte de la cave. Elle ne savait pas qu’il y avait un employé qui y travaillait. Personne ne l’avait prévenue. La lumière était insuffisante et l’homme se reposait, assis sur des sacs vides. Lui aussi fut surpris d’entendre quelqu’un descendre. Juste de petits pas discrets et incertains. Elle s’accrochait à la rampe froide, tâta quelque chose de gluant, poussa un petit cri en s’arrêtant, puis se rappela que les toiles d’araignée encombraient la descente. Elle se força à poursuivre, essuyant sa main gauche dans son tablier, et s’obligea, tremblante, à avancer une jambe sur le vide, pliant l’autre jusqu’à ce qu’elle touche la marche inférieure. Cela lui parut long, interminable et elle vit l’homme bouger. Elle poussa un cri, sentit ses jambes se dérober sous elle et tomba mollement sur le sol de terre. Elle était arrivée en bas. Elle vit l’homme se pencher vers elle, sentit ses mains la prendre par les épaules et les jambes et la déposer sur les sacs. Ils sentaient la carotte, une odeur doucereuse et persistante qui lui redonna confiance. Elle ouvrit les yeux et le regarda.

– Que faites-vous là ? Qui êtes-vous ? osa-t-elle lui demander, tremblante de peur.

– Je travaille à la réparation de la cave d’à côté. Le mur entre les deux maisons s’est écroulé, il le refaire.

En effet, un trou béant se remarquait au fond de la pièce, laissant passer la lueur des ampoules de la pièce à côté.

– C’était donc çà, le bruit que j’ai entendu au milieu de la nuit dernière.

– Tiens, regarde, tu saignes !

Effectivement, Olga s’était écorchée le genou en tombant. L’homme sortit un mouchoir de sa poche et tamponna avec douceur la partie ensanglantée de sa jambe.

– As-tu mal ? lui demanda-t-il.

– Ça pique un peu. Des larmes perlaient maintenant de ses yeux. L’homme écarta un bras et la coinça contre son buste, l’entourant de ses bras. Elle se sentit bien.

–  Mais que viens-tu faire à la cave ?

– Je venais chercher une bouteille de vin.

–  Toute seule ?

– Oui, mon papa veut que je sache me débrouiller toute seule, sans avoir peur.

– Et pour cela il t’envoie dans le noir pour te guérir de ta peur ?

– Oui. Il dit que je finirai par avoir l’habitude de ne plus avoir peur.

– Et c’est le cas ? demanda-t-il.

– Je ne sais pas, c’est la première fois que je le fais.

– Et tu n’as pas eu peur lorsque tu m’as vu ?

– Si, un peu, mais il était trop tard. La porte était déjà fermée là-haut. Alors il fallait faire face.

Et maintenant, as-tu peur ?

– Oui, encore un peu. Je ne vous connais pas et c’est la première fois que je vous vois. Mais en même temps, je me sens bien. Je suis protégée.

– Viens voir de l’autre côté.

Elle avança vers le trou se sentant attiré vers la lueur dorée qui luisait au-delà. L’homme l’accompagnait, la main sur son épaule, une main rassurante qui la poussait quelque peu. Elle entra dans une vaste pièce éclairée par d’immenses lustres qui diffusaient une lumière irréelle, trop artificielle. Rien, il n’y avait rien, même pas une porte. Elle se tourna vers lui sans comprendre. Il mit son doigt sur ses lèvres et lui fit signe d’avancer. La lumière changea, devint plus diaphane et des étoiles apparurent quand elle leva les yeux. C’est vrai, il n’y avait rien, mais qu’elle était bien. Une douce tiédeur l’entourait. Elle fit un pas, puis deux, seule, puis courut, tendant les bras pour s’appuyer sur quelque chose. Elle poussa un petit cri de joie, puis se tourna vers l’homme. Mais il n’y avait plus personne. Elle était seule, seule avec elle-même, et se sentait bien. Elle courut encore et sentit le sol rebondir sous ses pieds. Elle courait sans effort. Elle s’arrêta, s’assit sur le sol, se sentit lasse et finit par s’endormir.

Elle se réveilla dans le salon de sa maison, derrière ses parents qui la cherchaient. Ils parlaient entre eux, s’interrogeant :

– Mais enfin, où est-elle passée ? disait son père.

– Voilà ce que c’est d’envoyer seule une enfant à la cave, commentait sa mère.

– Mais je suis là, tentait-elle de dire sans que ses parents réagissent.

Enfin, sa mère se retourna, la vit, l’enserra dans ses bras :

– Ma fille, comme tu as grandi. Je ne te reconnais plus. Que s’est-il passé ?

– J’ai vu le paradis. Il n’y a rien, mais qu’on y est bien ! Elle n’en dit pas plus. Elle monta se coucher et dormit jusqu’au matin.

À son réveil, elle avait tout oublié, mais elle n'eut plus jamais peur.

13/08/2014

La déclaration, l’histoire d’Anna, de Gemma Malley (2007)

Mon nom est Anna. Mon nom est Anna et je ne devrais pas être là. Je ne devrais pas exister. Pourtant j’existe. Ce n’est pas ma faute si je suis là. Je n’ai jamais demandé à naître. Même si ça n’excuse pas le fait que je sois née.

Anna est un Surplus : excédentaire, en trop. Dans d’autres pays, on les éradique. Ici, en Grande-Bretagne, on les élève dans  un Foyer de Surplus. IlsLivre, roman, littérature, société, aventure servent de main d’œuvre bon marché et ils doivent travailler dur, très dur, pour prouver leur gratitude. Elle a de la chance, elle a fait un stage dans une maison avec moquette et canapé, chez Mrs Sharpe. Elle était gentille et lui avait même proposé un jour de mettre du rouge à lèvres. Elle aurait aimé rester sa servante. Elle ne l’a pas frappée une seule fois. Les Surplus n’ont pas droit aux objets personnels ; rien ne peut décemment leur appartenir dans un monde auquel ils imposent déjà leur présence, comme dit Mrs Pincent, l’intendante. Et pourtant Anna tient un journal personnel qu’elle cache dans une des salles de bain de l’établissement.

Qu’est-ce qu’un surplus ? On le découvre peu à peu. C’est la surprise dans un monde figé par la longévité, remède contre la vieillesse, grâce au Renouvellement qui permet d’obtenir des cellules flambant neuves pour remplacer les anciennes et rectifier le reste de vos cellules en plus. De plus le Renouvellement permet de ne plus vieillir. Si au début les Autorités étaient contre ce traitement, elles l’adoptèrent et les gens cessèrent de mourir. La population ne tombait jamais malade et cela générait des économies substantielles. L’inconvénient fut que la terre devint vite surpeuplée. Aussi la Déclaration de 2065 a limité le nombre d’enfants à un seul par famille. Puis, comme elle croissait malgré tout, les naissances furent interdites, sauf si l’un des deux parents s’Affranchissait de la Longévité. Une vie pour une autre, préconisait la Déclaration.

L’arrivée de Peter, un nouveau Surplus, va changer la vie d’Anna. « C’est toi Anna Covey ? Je connais tes parents. » Peter progressivement fait naître en Anna le désir d’une autre vie. Ils finissent par s’enfuir et sont poursuivis par la brigade des Rabatteurs. N’en dévoilons pas plus. Il faut laisser au lecteur la joie de la découverte.

C’est un roman qui n’a aucune prétention littéraire. Il est cependant raconté avec brio, dévoilant progressivement ce monde stupéfiant, figé et protectionniste. Certes, il est un peu éculé de choisir deux adolescents pour révolutionner ce monde. Mais ce n’est pas qu’à la fin du livre que l’on prend conscience qu’il s’agit bien de faire la révolution dans cette société égoïste. Le fil conducteur est l’apprentissage de la liberté pour Anna, qu’elle refuse tout d’abord, puis qu’elle finit par entrevoir et à laquelle elle adhère. Comment ne pas se demander s’il n’en est pas de même dans notre société : des règles, pas de sentiments qui n’amènent que des ennuis, le travail magnifié, une vie discrète et disciplinée laissée aux autorités qui font les choix. Alors on se réfugie dans son monde, différent pour chacun, un monde où la créativité est le seul moyen de sortir debout et fier comme ces Surplus qui deviennent finalement Légaux en tant qu’Affranchis.

19/02/2014

Ce qu’il advint du sauvage blanc, roman de François Garde

« Au milieu du XIXème siècle, Narcisse Pelletier, un jeune matelot français, est abandonné sur une plage d’Australie. Dix-sept ans plus tard, un navire anglais le retrouve par hasard : il vit nu, tatoué, sait chasser et pêcher à la manière de la tribu qui l’a recueilli. Il a perdu l’usage de la langue française et oublié son nom. Que s’est-il passé pendant ces dix-sept années ? C’est l’énigme à laquelle se heurte Octave de Vallombrun, l’homme providentiel qui recueille à Sydney celui qu’on surnomme désormais le sauvage blanc. » (Résumé 4ème de couverture)

On ne le saura pas, malgré les efforts d’Octave. Narcisse disparaîtra sans qu’il14-02-13 Ce-quil-advint-du-sauvage-blanc.jpg ait dévoilé ce qu’il fit pendant ce séjour imposé en Australie. On le devine cependant, car un chapitre sur deux est consacré à ses premières impressions : solitude, désespoir, incompréhension. Un martien parachuté dans le monde des hommes qui souffre de la soif, de la faim et de l’indifférence des sauvages.

L’autre moitié du livre est consacrée au récit d’Octave, homme raffiné, très à cheval sur les convenances, mais modeste et dérouté par le silence de Narcisse. Il écrit à son protecteur, le président de la Société de Géographie, et lui conte ses difficultés. Il sera l’objet de la risée lorsqu’il présentera son sauvage à la société : moquerie, incrédulité, voyeurisme. Narcisse est invité à se présenter à l’impératrice. Il parle pour la première et dernière fois ; il chante même, une mélopée imprévisible faite de miaulements, répétitions saccadées de syllabes, claquement de langue, grognements syncopés, sifflements. Quelque chose de la rudesse de l’Australie, de la solitude de ses déserts, de l’ardeur du soleil sur une terre craquelée… L’impératrice lui donne une bague et lui accorde un emploi dans l’administration. Ne sachant où le mettre, on finit par l’envoyer à l’île de Ré : garde magasin au phare des Baleines.

Un jour Narcisse disparaît et personne ne le retrouve. Evaporé, il devient une légende. Octave meurt. Plus personne ne se souvient de ces deux personnages haut en couleur qui marquèrent l’opinion de façon contrastée : drame véridique ou récit de faussaire ? 

L’écriture est bien celle de la bonne société du XIXème siècle, compassée, emplie de références à la vision sociale d’alors. Le récit en devient long. Il tarde à dire les choses. On s’ennuie parfois sur ces précautions oratoires qui enrobent le déroulement des faits. Le récit lui-même s’embrouille à la fin. Pourquoi cette disparition, qu’advient-il réellement de Narcisse ? On ne le saura pas et l’on reste sur sa faim qui commençait à s’atténuer en raison de la monotonie du récit.

16/12/2010

Inconnaissance décalée

 

Lueur mauve de la nuit sur la ville

Par delà les toits luisants endeuillés de feuillages

Quand tu me dis regarde. Je te contemple

Statue de bronze et d’opale tiède

J’erre encore sous cet aspect de verre

Dans un désert barré de gestes

 

Le froid tombe et glace les membres

En d’étranges pauses où je te retrouve

Quand tu ouvrais les yeux

À l’ovale de ton regard arrêté

Sur l’immobile image d’amas de fer

Et de géométriques embrasements.

 

Allongé, détendu, j’ai plongé dans la nuit

Pour joindre à deux étoiles les lueurs de ton regard

Je me suis ensuite assis aux rivages de certaines vagues

Pour puiser une poignée d’écume et désaltérer

Un petit garçon qui avait vu leurs lueurs insolites

 

J’aurai pu franchir les cols les plus hauts

Et veiller de leurs contreforts sur le lac de ton souvenir

Pourtant je chemine encore dans l’amère étendue

D’une connaissance incertaine et mouvante