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23/07/2019

Locédia, éphémère (12)

Chapitre 4

 

Ce soir-là, j’étais revenu à Cipar. Elle était absente depuis longtemps, Partie, son absence m'avait paru moins pénible, car j’oubliais peu à peu les lignes de son visage et, seul, parfois, le toucher d’un fruit mûr ou celui du velours de mon couvre-lit me rappelait sa présence. Chaque objet prenait alors un visage nouveau, une transparence compréhensible, qu'il ne possédait pas habituellement. Je découvrais sous le vernis sale qui les recouvre en permanence, une sonorité cristalline, une réalité invisible. Ils ne communiquaient pas à mon regard un nouveau pouvoir, mais tous mes sens se trouvaient soudainement aiguisés par cette réminiscence.

Debout elle se grandissait sur les jambes à la manière des héros de western et, laissant pendre ses bras, les épaules en arrière, elle se tournait vivement vers moi. Cette brusque volte du haut du corps entrainait les bras en un geste inarticulé, comme le pantin de carton bouilli qui refuse la dictature des ficelles. Alors elle riait en rejetant ses cheveux sur le dos, la gorge tendue et ses mains se levaient lentement pour enfin étouffer ce rire, un rire que j’attendais et qui chaque fois ne gênait. D'autres fois, elle tendait l’arc renversé de son corps et prenant ses seins à pleines paumes, elle déclarait, mi-rieuse, mi-sérieuse :

_ Ils sont beaux. Ne suis-je pas belle ? Et je souriais de cette adoration qu'elle portait à son corps.

_ Je veux te séduire, disait-elle encore on se penchant vers moi les yeux fermés et les lèvres offertes. Mais si je profitais de cette offrande, elle m'accusait d'abuser du fait qu'elle avait les yeux clos pour l’embrasser.

Où donc est la vérité ? Se moquait-elle ? Se contenait-elle ? Ce soir-là, elle s’est absentée si longtemps.

Je l'avais cherché dans la ville. Elle avait dû partir en voyage avec des gens qu’elle avait rencontrés au hasard de ses promenades. Elle n'appréciait la compagnie que de ceux qu'elle ne connaissait pas. Quand elle les connaissait vraiment, elle ne voyait plus que leurs défauts et souvent leur qualité première se métamorphosait en défaut exécrable pour elle. Aussi partait-elle à la découverte des êtres et cueillait-elle dans ce jardin anatomique de grandes brassées d'amis qui se fanaient plus ou moins vite selon la saison et son humeur. Si les fleurs savaient seulement empêcher qu’on les cueille au lieu d'offrir leurs longues tiges aux mains.

Je ne connaissais que le numéro de la rue et celui de la maison qui se dressait dans un des quartiers de la ville haute, émergeant au soleil. Promenade au long de murs de pierres blanches, des portes cochères vernies sous l'écrasant éclat du soleil de l’après-midi. Difficile pénétration de l'ombre derrière la porte de bois. Une lueur diffuse se propageait des fenêtres bancales de la cage d’escalier. Celui-ci s'entortillait sournoisement autour de murs lisses et les marches étaient si grandes que je devais m’y hisser à l’aide du tapis rouge dont les plis me servaient de point d’appui. La rampe de fer forgé tenait miraculeusement par quelques volutes de métal qui prenaient appui sur les marches. L'odeur de la cire envahissait le moindre recoin de celles-ci et les rendait glissantes. Les premiers étages étaient facilement accessibles et je guettais en équilibre sur une marche les bruits qui pouvaient passer au-delà des portes. Mêlés aux battements de mon cœur et aux halètements retenus de ma respiration, je percevais l’agitation des cuisines, le repos de vieux meubles dont les os craquaient de temps à autre, la criarde mélodie d’un poste radio à travers l'épaisse cloison intérieure, une rumeur de marée où se distinguaient les chants des naufragés. Certains dessous de porte renflouaient une odeur de rôti, d’autres le parfum inconnue d’une femme que j’imaginais dans ses gestes quotidiens, grande et blonde, ou peut-être rousse.

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