Locédia, éphémère (59) (15/02/2020)

J'apercevais aussi, dans la glace piquetée de l'armoire, le lit anodin au pied duquel était étendu le corps de Locédia, un de ces lits recouvert d'un couvre-lit saumon comme on en rencontre dans toutes les chambres de passage. Les murs vides n'étaient rompus dans leur symétrie que par le lavabo en coin, une penderie et une armoire à glace. La veille, le nez enfoui dans le vallonnement créé par les côtes du tissu, j'avais longtemps regardé les fils de laine qui sortaient en chevelure brouillonne de ces vallées allongées côte à côte. L'entremêlement des fils roses et blancs, retenus et soudés par d'autres fils de couleur indéfinissable, avait pris dans le vieillissement de l'usage la couleur du saumon. En atténuant son retour, ou son arrivée, ou ce départ que nous voulions prendre, que nous avions décidé de prendre, j'avais joué à engager entre deux orteils les barreaux du lit, lisses et froids, deux à deux, les abandonnant réchauffés et recommençant un peu plus à droite ou à gauche en prenant toutefois garde de ne pas détourner de mon champ de vision la porte de contreplaqué verni, par laquelle tu devais pénétrer. Le bruit des pas dans le corridor, étouffé par le tapis marron, qui s'écoulait lentement après avoir enflé, jusqu'à ce que je reconnaisse la légère déformation de ton pas et que tu ouvres la porte en disant : « Salut. »

Salut, Locédia, je te salue une dernière fois, car tu es là, étendue, sans pouvoir, cadavre pour ce médecin, objet d'inquiétude pour le commissaire, mystère de la pesanteur et du retour aux choses. Le tapis est légèrement fripé, plissé un peu autour de ta main gauche. Sans doute as-tu cherché à t'y accrocher après ta chute, alors que de l'autre tu tenais la fleur de papier qui te tache la poitrine. Puis ces deux mains se sont rapprochées sans toutefois se joindre et ont abandonné leurs doigts à la pesanteur. A côté de ces mains, pas très loin de tes mains, des souliers noirs avec une boucle d'argent, les talons un peu usés vers l'intérieur comme les souliers des marins. Ils semblent indécis et s'interrogent à petits coups tapés méthodiquement sur le tapis, répondant comme un écho aux diverses questions qui se forment bien au dessus d'eux, dans cette tête ronde couronnée de cheveux frisés.

Comme tout parait calme dans cette pièce. Les volets ont été tirés, pas complètement, mais suffisamment pour que règne une semi obscurité, une pénombre convenable devant la mort.

07:55 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, amour, recherche de soi |  Imprimer