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31/12/2019

Où mettre son bonheur ?

Injurie-toi, injurie-toi, ô mon âme ! Tu n’auras plus l’occasion de t’honorer toi-même. Brève, en effet, est la vie pour chacun. La tienne est presque achevée, et tu n’as pas de respect pour toi-même, car tu mets ton bonheur dans les âmes des autres.

Marc-Aurèle, pensées pour moi-même, 1963, Grenier-Frères, Paris, p.45

 

 

Car tu mets ton bonheur dans les âmes des autres…

On peut très certainement s’attacher au bonheur des autres. C’est même une preuve de sagesse.

Mais ce que Marc-Aurèle explicite est plus profond et plus difficile à réaliser : ne pas mettre son bonheur dans ce que pensent les autres de soi-même. C’est-à-dire être libre de toute opinion sur soi-même venant d’autrui.

Et par retournement, se rendre libre de toute opinion de soi-même sur les autres. Alors commence la vraie liberté.

 

30/12/2019

Locédia, éphémère (47)

Vers seize heures, grillés quelque peu par le soleil d’été, nous décidâmes de visiter l’aquarium de Licentès, une petite merveille de biologie et de technologie. Arrivés au parking, nous fûmes aussitôt abordés par les rabatteurs qui nous convièrent à une visite complète qui ne duraient que deux heures. Nous entrâmes dans la tour de béton noir, contraints de progresser doucement dans une semi-obscurité, jusqu’au sas principal s’ouvrant sur la verrière de bois et l’aquarium géant. Il était possible de commencer la visite par le haut ou par le bas selon notre bon vouloir. Prenant l’ascenseur, nous nous retrouvâmes au dernier étage, à 70 mètres au dessus du sol, avant de chausser les patins à roulettes qui nous permettraient de redescendre sans trop user nos chaussures. Ces patins disposaient de freins hydrauliques que l’on manipulait grâce à une poire munie d’un bouton sur lequel il suffisait d’appuyer plus ou moins fortement. Un petit volant, situé sous le bouton, permettait d’effectuer de rapides changements de direction sans être obligés de trop se pencher. Il fallait être prudents, car de nombreux jeunes garçons empruntaient cette descente non pour admirer les merveilleux animaux qui se prélassaient dans l’aquarium, mais pour entamer une course de vitesse jusqu’au rez-de-chaussée. Certaine d’entre eux, ayant pris trop d’accélération, se fracassaient au pied de la tour et il fallait faire appel aux balayeuses municipales pour nettoyer le sol jonché de milliard de petits débris. De plus, les roulements à billes en or de leurs patins étaient recherchés avidement par leurs camarades qui auscultaient les caniveaux à quatre pattes pour y déceler les petites boules dorées. Une confusion certaine régnait lorsque de tels accidents survenaient. Nous eûmes beaucoup de chance, ce ne fut pas le cas ce jour-là.

Descente prudente dans la lueur bleutée. On ne voyait que l’aquarium aux vitres impeccablement propres. Le couloir était maintenu dans l’obscurité, les murs étant peints en noir. Les espèces de poissons étaient divisées selon leur affinité grâce à des grilles disposées tous les 10 mètres sur la hauteur du cylindre empli d’eau, c’est-à-dire environ 60 mètres. Les ingénieurs ayant mis au point cette structure avaient été surpris le jour où l’on avait introduit des poulpes dans l’aquarium. Passant leurs longues tentacules entre les barreaux, ils avaient trouvé le moyen de les tordre, puis de les descellés. Il avait fallu fermer l’aquarium, déménager les poissons dans d’autres aquariums pour remplacer les deux grilles encadrant les poulpes par des plaques d’aluminium lisses comme du verre et inatteignables à leurs tentacules. Depuis, de nombreuses personnes passaient beaucoup de temps à leur étage, admirant leurs contorsions et tressautements, sans que les poulpes aient quelques succès. Nous descendions lentement, admirant le lent et voluptueux déhanchement des urbifènes, le long bâillement édenté des tulapes, la majestueuse danse sur place, grâce à leurs nageoires tourbillonnantes, des hénicorptères. Nous nous laissions glisser au fil de la descente. Je te tenais la main, éprouvant tes sensations au travers de leurs paumes, caressant tes doigts agiles, te guidant dans la foules des curieux par des pressions que nous connaissions tous deux depuis notre promenade le long de la palissade du jardin. Arrivés devant l’horangoutan, un des poissons les plus laids, tu te serras contre moi dans un frisson de crainte. Je pris ton visage entre mes mains et déposais un baiser sur tes yeux mis clos. Alors tu semblas rassérénée et tu te laissas guider un étage plus bas, face aux milliers de petits éclatères, espèce si minuscule qu’elle donne une impression de frémissements multiples de l’eau, comme les étincelles des cierges magiques que l’on allume dans les arbres de Noël.

29/12/2019

Retour (pictaïku)

La tête lui tourne
Il ne sait plus où il va
Retour sur lui-même !

13-12-21 Tire plans.jpg

 

28/12/2019

Le mal comme le bien

Le mal pour le mal : voilà qui est contraire à la nature humaine. Grâce au progrès de la psychanalyse, on considère maintenant ce fait comme une maladie, une tare du cerveau. Sans doute est-ce bien le cas : désir de domination exacerbé jusqu’au sadisme physique ou moral. Il est des êtres pour qui l’amour est un mot qui n’a pas de signification, mais ces êtres sont malades.

Le mal fait pour l’amour d’un être, d’une idée ou d’une chose est naturel et inscrit dans la nature humaine. Le mal pour le mal est une anomalie psychique.

Mais ne peut-on pas dire l’inverse ? Le bien pour le bien peut également sembler contraire à la nature humaine. L’homme ne cherche qu’une chose : le bien pour son moi. C’est le moi qui emprisonne l’homme dans sa nature humaine. Sort de ton moi et le bien te semblera naturel ! Alors, tu seras délivré.

27/12/2019

Fleurs

Les femmes aiment qu’on leur offre des fleurs. Les hommes s’y plient, mais le plus souvent ne comprennent pas pourquoi.

Au premier degré, ils l’expliquent par deux raisons. D’une part, les femmes aiment se parer et s’entourer de belles choses, d’autre part, c’est une coutume et une forme de politesse à laquelle l’homme sacrifie en hommage à la femme. Mais ces deux raisons n’expliquent rien, elles ne sont qu’extérieures.

Dans un deuxième degré, se cachent les raisons intérieures qui ont créé ce qui est devenu une coutume. Les fleurs font vibrer chez une femme une sensation et un sentiment physique, écho du sentiment de faire naître et de laisser s’épanouir un enfant en son sein. Plus profondément encore, les fleurs éveillent en elles un sentiment d’épanouissement, de plénitude face à la vie, d’ouverture et de fraîcheur intuitive que l’homme, plus intellectuel, ne perçoit plus en lui.

La fleur est symbole de jeunesse et d’étonnement au monde face au créateur qui entretient à chaque instant la vie.

26/12/2019

Locédia, éphémère (46)

Le soir, tu voulus aller danser. Nous prîmes la voiture, vêtus moins légèrement, mais de vêtements suffisamment souples pour pouvoir nous glisser dans les anfractuosités du dancing, là où le bruit devient tremblement, où le tremblement devient transe, jusqu’au moment où plus rien ne trouble l’incroyable chaleur ressentie sur et dans tout le corps. Alors les corps se rapprochent se palpent, se reconnaissent, s’enlacent jusqu’au matin, avant qu’ils ne reviennent à la conscience individuelle. Tu fis en sorte que nous soyons séparés. Tu me laissas dans une anfractuosité verte et te glissa dehors pour errer sans fin dans les étages du dancing. Qu’y fis-tu ? Je ne sais et je ne voulus pas savoir. Au petit matin nous rentrâmes sans parler, sans nous regarder, légèrement hagards, le cerveau pleins de sons, sans pensées cohérentes.

 Levés tard, si tard que nos hôtes étaient déjà partis. Tu entras dans ma chambre, en pyjama, déjà coiffée, mais pas vraiment éveillée, l’œil espiègle. Tu ouvris mon lit et y pénétras. Sans te laisser toucher, tu me racontas ton enfance, ton amour de la peinture, tes rêves d’avenir, exceptés ceux de ta vie sentimentale. Je regardais ton profil, je laissais mes paupières te caresser le visage, j’enfouissais mes lèvres dans ta chevelure, je respirais l’illusion de te posséder. Je devenais un autre être, celui qui te rêvait et finissait par t’atteindre malgré ta volonté. Nous nous levâmes, enfilant nos maillots pour partir à la plage, emportant un panier à provision contenant quelques réserves pour nous nourrir au long de la journée.

Vers seize heures, grillés quelque peu par le soleil d’été, nous décidâmes de visiter l’aquarium de Licentès, une petite merveille de biologie et de technologie. Arrivés au parking, nous fûmes aussitôt abordés par les rabatteurs qui nous convièrent à une visite complète qui ne duraient que deux heures. Nous entrâmes dans la tour de béton noir, contraints de progresser doucement dans une semi-obscurité, jusqu’au sas principal s’ouvrant sur la verrière de bois et l’aquarium géant. Il était possible de commencer la visite par le haut ou par le bas selon notre bon vouloir. Prenant l’ascenseur, nous nous retrouvâmes au dernier étage, à 70 mètres au dessus du sol, avant de chausser les patins à roulettes qui nous permettraient de redescendre sans trop user nos chaussures. Ces patins disposaient de freins hydrauliques que l’on manipulait grâce à une poire munie d’un bouton sur lequel il suffisait d’appuyer plus ou moins fortement. Un petit volant, situé sous le bouton, permettait d’effectuer de rapides changements de direction sans être obligés de trop se pencher. Il fallait être prudents, car de nombreux jeunes garçons empruntaient cette descente non pour admirer les merveilleux animaux qui se prélassaient dans l’aquarium, mais pour entamer une course de vitesse jusqu’au rez-de-chaussée. Certaine d’entre eux, ayant pris trop d’accélération, se fracassaient au pied de la tour et il fallait faire appel aux balayeuses municipales pour nettoyer le sol jonché de milliard de petits débris. De plus, les roulements à billes en or de leurs patins étaient recherchés avidement par leurs camarades qui auscultaient les caniveaux à quatre pattes pour y déceler les petites boules dorées. Une confusion certaine régnait lorsque de tels accidents survenaient. Nous eûmes beaucoup de chance, ce ne fut pas le cas ce jour-là.

 Levés tard, si tard que nos hôtes étaient déjà partis, tu entras dans ma chambre, en pyjama, déjà coiffée, mais pas vraiment éveillée, l’œil espiègle. Tu ouvris mon lit et y pénétras. Sans te laisser toucher, tu me racontas ton enfance, ton amour de la peinture, tes rêves d’avenir, exceptés ceux de ta vie sentimentale. Je regardais ton profil, je laissais mes paupières te caresser le visage, j’enfouissais mes lèvres dans ta chevelure, je respirais l’illusion de te posséder. Je devenais un autre être, celui qui te rêvait et finissait par t’atteindre malgré ta volonté. Nous nous levâmes, enfilant nos maillots pour partir à la plage, emportant un panier à provision contenant quelques réserves pour nous nourrir au long de la journée.

25/12/2019

Noël et liturgie

C’était un dimanche. J’avais quinze ans. Ce jour-là, j’entrais au Val de Grâce pour assister à la messe. Seul, contrairement aux habitudes familiales, peut-être pour y échapper. Dans cette chapelle, en une heure qui me parut cinq minutes, je fis l’expérience du mystère : mystère de la liturgie intérieure, mystère de l’embrasement cosmique, découverte intime de l’Esprit au-delà de la fine pointe de l’âme. Cette heure fut pour moi une des grandes expériences spirituelles que chaque être fait dans sa vie, consciemment ou non. Expérience qui donne la perception de l’infinie valeur que chaque homme a aux yeux de Dieu ; expérience qui, en même temps, permet de saisir notre pauvreté et petitesse, quand manque en nous le souffle décapant de l’Esprit.

Ensuite, les chemins de la vie m’égarèrent vers d’autres directions, m’enracinèrent dans d’autres ambitions. Le monde resserre ses doigts sur ceux qui doivent trouver leur place dans la vie active. Il presse ceux qui se concentrent sur le visible en oubliant l’invisible. Même lorsque l’infini se dévoile de nouveau au détour d’un sentier, ceux-ci poursuivent leur chemin sans lever les yeux. Et pourtant, toujours au fond de mon être, cette aspiration intense, cette espérance lancinante d’une beauté ineffable qui nettoie, qui purifie, qui éclaire le regard dans les larmes de l’émerveillement. Attente rarement comblée par les liturgies vécues au fil des déménagements, liturgies tristes où le visible fait semblant et d’où l’invisible a disparu. La liturgie terrestre n’est l’écho de l’éternelle liturgie céleste que lorsque louange et beauté ouvrent le voile de l’humain et font percevoir le vrai. La beauté manifeste la splendeur du vrai (Platon), le rayonnement de cet infini qui travaille l’âme et l’ouvre à l’Esprit.

            Malgré l’avertissement visionnaire de Dostoïevski (la beauté sauvera le monde), notre siècle a longtemps pensé que la science sauverait le monde et donnerait un sens à la vie humaine. Pourtant, notre société étouffe du manque de sens. Elle le cherche dans le bruit et la fureur des spectacles, dans les combinaisons rationnelles de l’informatique, dans l’exaltation de l’aventure aux extrêmes, elle ne le trouve pas dans le discours « politiquement correct » de nombreux responsables, dans l’aride réalisme des courbes économiques ou dans la fraternité sur commande des cérémonies religieuses ou civiques. Elle aspire au feu divin sans oser le nommer. Cependant, la science, comme auparavant la théologie spirituelle, a mis en évidence ce « nuage d’inconnaissance » au-delà de la connaissance et a fait des vrais savants les êtres les moins dogmatiques qui soient parce qu’ils communient avec l’infinie beauté du mystère de l’univers. Il nous appartient, dès maintenant, d’œuvrer ensemble pour que ce XXI° siècle naissant soit spirituel, pour que l’essence même de la religion se dévoile au-delà de ses manifestations visibles, pour que l’être humain devienne liturgie vivante, c’est-à-dire prenne part à l’œuvre de Dieu.

C’est une aventure difficile. Elle constitue l’enjeu des vingt cinq prochaines années. Elle est difficile, car il faut affronter l’inertie et la pesanteur d’une intelligentsia au pouvoir dont l’autorité se fonde sur un consensus de circonstance. Elle est enivrante parce qu’elle oblige à dépasser le vieil homme, à puiser son énergie dans le souffle de l’Esprit. Elle est visionnaire, car elle croit à la capacité pour chaque homme de s’accomplir au-delà d’un accroissement du quotient intellectuel ou d’un formalisme religieux et moralisant.

Expression essentielle du christianisme, renouvelant sans cesse le don du Christ, la liturgie devrait constituer le fondement de notre sens de la vie. Puisant aux sources même de notre être, elle existe pour nous renouveler, nous faire passer du vieil homme à l’homme nouveau, nous faire pénétrer dans le royaume auquel nous aspirons. « Seigneur, je crie vers toi », chante le psalmiste, et la réponse se trouve dans le cantique des cantiques : « Lève-toi, ma bien aimée, viens ! »

24/12/2019

Veillée

 

Aujourd’hui, je suis la femme, la mère et l’enfant

J’attends… Il viendra cette nuit
Il ne frappera qu’à son heure
Et je passerai du plein au vide
Du corps à l’âme

Ne fais rien, ouvre-toi
Sors de ta chrysalide
Et deviens l’être intemporel
Qui survole le monde
Sans jugement ni préjugés

Tu es par la grâce de Celui qui Est

 

©  Loup Francart

23/12/2019

Liberté

On ne peut mourir à soi-même sans avoir découvert le lieu où le moi n’est plus. Le moi ne peut se combattre lui-même. Pour le combattre, il faut être dans l’autre lieu, celui où la lumière remplace l’obscurité du moi, celui où l’unique remplace le flot des sollicitations.

Mourir à soi-même, c’est vivre dans le centre d’où tout part, cette vibration constante de chaleur et de lumière qui donne la transparence de l’être. Ce n’est que par une constante attention portée à cette source qui se trouve au plus profond de nous que se réalise la vraie vie, celle où l’homme, oubliant son moi, est totalement libre.

22/12/2019

Locédia, éphémère (45)

Arrivée au port, là où une longue file d’attente s’égrenait, chaque voiture comme un grain de chapelet jusqu’au bateau au loin sur la jetée. Nous avançâmes doucement, jusqu’au péage où se tenait la femme tronc habituelle, qui nous demanda la carte plastifiée qui servait de monnaie. Je repris le volant, guidant la voiture sur un parcours de flèches vertes jusqu’à notre emplacement définitif, sur tribord. Fermant les portes à clef, nous montâmes sur le pont humide et glissant. Il faisait pourtant beau. La mer était calme. Mais une légère brume la recouvrait, humectant les surfaces à son contact d’une légère pellicule de gouttelettes visqueuses, dégageant une odeur prenante, oppressante même, mais agréable. Peu après, émettant quelques fumées par sa cheminée, le bateau se mit en branle, comme quittant à regret son havre de paix pour s’engager sur l’inconnu. La traversée ne fut pas longue, mais elle nous coupa du continent et nous permit de débarquer allégés, rajeunis, sur une jetée allongée, qui tendait son bras bien au-delà de ce que la nature offre normalement. L’île avait la singularité d’être peuplée de pistalets, sortes de coquillages qui avaient la possibilité de se traîner sur terre, comme des mille pattes, certes lentement, mais suffisamment loin du rivage pour que la police municipale ait été contrainte d’installer de grands filets le long des routes pour les empêcher de provoquer des accidents. A certains endroits, ils s’accumulaient dans des poches, se montant les uns sur les autres en des sortes de pyramides baveuses. Il fallait alors téléphoner à la police pour qu’elle envoie des spécialistes qui faisaient sauter à la dynamite cet amas avant que certains pistalets ne puissent déborder hors des filets. Ils sont cependant bons à manger, mais quelle indigestion ! Leur chair bien cuite ressemble à des éponges roses percées de petits trous par lesquels s’échappent des senteurs exquises, parfois écœurantes. Un seul suffit pour le repas, et encore, il faut un bon appétit.

Dix kilomètres plus loin, nous arrivions à notre lieu de villégiature, un village dans les terres, suffisamment près de la côte pour que nous puissions nous y rendre en chariocycle. Tu me fis les honneurs de la maison, tu me montras ma chambre, cachée derrière les escaliers, mais bien éclairée et propre, tu me présentas à nos hôtes, que je connaissais déjà. Le lendemain matin, tu descendis déjeuner en bikini, vêtue malgré tout d’un peignoir rose avec des revers rouges foncées. Tu laissais celui-ci suffisamment ouverts pour que tes seins se laissent deviner, rêver, frôlés par l’étoffe légèrement rugueuse qui excitait leurs pointes. Quel réveil !

Empruntant un des chariocycles permettant d’y caser nos seaux et instruments aratoires, nous partîmes pour la côte, pédalant fougueusement, impatients de toucher la frange mousseuse laissée par la terminaison des vagues sur les rochers. Chaussant nos souliers crantés indispensables sur la roche friable et glissante, nous avançâmes vers la pleine mer, jusqu’à nous trouver isolés sur une langue de terre. Tu tombas brusquement dans un trou d’eau et je me penchais pour te tendre la main. Tu m’attiras à toi, me fis tomber dans tes bras, m’empoignant brusquement, et tu me couvris de baisers, me palpant sous l’eau de tes mains vertes et légères. Tu riais follement, semblant beaucoup t’amuser. Je suffoquais, puis me laissais aller, regardant tes sourcils emmêlés de gouttes d’eau salée que je buvais avec passion, comme des larmes de bonheur. Tu te livras à moi, entière, innocente, pendant quelques instants, avant de reprendre tes attitudes habituelles, gardant néanmoins un sourire discret et chaleureux. Quelle étrange impression. J’avais senti de mes mains ton corps presque nu, j’avais touché de mes paumes tes seins dressés, j’avais posé mes doigts au creux de ton ventre et tu t’étais offerte consciemment en riant, comme par plaisanterie. Merci, Locédia, pour ces instants sublimes où je te découvrais en toute transparence.

21/12/2019

Le rire du grand blessé, de Cécile Coulon

Pays : InconnuLe rire du grand blessé-Coulon.jpg
Régime : Totalitaire
Ennemi Public : La littérature
Numéro : 1075
Particularité : Analphabète

Seuls circulent les livres officiels. Le choix n’existe plus. Le « Grand », à la tête du Service National, a mis au point les « Manifestations A Haut Risque », lectures publiques qui ont lieu dans les stades afin de rassembler un maximum de consommateurs. Peuvent alors s’y déchaîner les passions des citoyens dociles. Des Agents de sécurité – impérativement analphabètes – sont engagés pour veiller au déroulement du spectacle et maîtriser les débordements qui troublent l’ordre public. 1075, compétiteur exceptionnel, issu de nulle part et incapable de déchiffrer la moindre lettre, est parfait dans ce rôle. Il devient le meilleur numéro ; riche, craint et respecté. Jusqu’au jour où un molosse – monstre loué pour pallier les défaillances des Agents – le mord.

Le livre n’est pas long (116 pages). Peu de dialogue. L’histoire est quelque peu abracadabrantesque. On s’y accroche en pensant que le suspense ou simplement l’intérêt va surgir au fil des pages. Oui ! 1075 transgresse et, ayant découvert dans l’hôpital où il est soigné un professeur qui enseigne la lecture, il apprend à lire tout seul en cachant les textes dans des tuyaux de sa salle de bain. Il n’est découvert qu’à la fin du livre par Lucie Nox, celle qui inventa le Programme Nox. Lucie avait trouvé un moyen de gérer les sensations des hommes, alors que ses confrères s’étaient toujours arrêtés au contexte social.

Le livre n’a plus pour objet d’apprendre ou de renseigner et encore moins d’élever le lecteur. Non. Il est produit en usine, il est la parole du Grand. Il divertit sur ordre comme les jeux du cirque.

C’est un exercice de style, brillant, une sorte de conte philosophique. Mais ce scénario ne suffit pas à faire un vrai livre dans lequel on entre vierge et dont on sort chargé d’impressions, de sensations, de sentiments et d’une plus grande compréhension de l’être humain. Le livre est à l’image de son histoire. Il prend le lecteur, mais ne le fait pas vibrer.

20/12/2019

Auréolée de bonheur

Auréolée de bonheur, elle avançait lentement
Tout portait à croire qu’elle ne croyait plus à la vie
Elle avait tout quitté, son mari et sa maison
Et maintenant errait en quête d’inspiration
Le jour se levait et ses yeux s’ouvraient enfin
Sur un monde nouveau si dissemblable de l’ancien
Plus rien ne l’attachait au passé, ni même au présent

Auréolée de bonheur, elle avançait lentement
Elle allait sans savoir et même sans penser
Le gouffre devant ses pieds : « Où tes pas te mènent-ils ? »
Savait-elle ce qu’elle voulait et ce qu’elle était ?
Elle était belle comme les blés un jour d’orage
Ses cheveux poudrés de lumière flottaient au vent
Sa robe volait autour de ses jambes brunies
Un bracelet cliquetait sur son bras émouvant
Un sourire enfin dessinait son avenir

Auréolée de bonheur, elle avançait lentement
Arrivée à la porte, elle se retourna et dit :
« Me voici, Seigneur ! Je quitte une vie tracée
Pour te suivre sans savoir où je vais
Je n’ai qu’une certitude et qu’un seul espoir
Ta présence permanente au fond du cœur
Délestée des visions de l’humanité
Et qui devient tout, emplie de parfum suave
Qui me fait trembler de peur et m’attire néanmoins
Adieu, monde des hommes, j’entre dans le noir
Et entrevois déjà l’amour qui m’enflamme »

Auréolée de bonheur, elle avançait lentement
Elle ouvrit la porte, avança sans regarder
Sentit le silence et l’obscurité l’envahir
Elle entendit les ouvriers monter le mur
S’agenouilla et laissa son cœur s’épancher
Plus rien, sauf la mort, ne pourra désormais
L’empêcher de connaître le souffle de l’inconnu
Qui donne accès au tout ! 

 

©  Loup Francart

19/12/2019

L'habitude

S’éveiller, passer le trou de l’aiguille, c’est aussi ne plus avoir d’habitudes. C’est l’habitude qui peu à peu voile la réalité. Le monde extérieur et les êtres changent en permanence. L’habitude immobilise notre perception du monde extérieur et crée un décalage, car elle développe le moi.

Rompre avec les habitudes, c’est accepter le changement permanent, c’est voir à chaque instant avec un œil vierge et sans mémoire. C’est l’innocence de l’enfant, du nouveau-né.

18/12/2019

Locédia, éphémère (44)

Un jour, tu me demandas si je voulais venir en vacances avec toi. Tu formulas ta demande de manière différée. Tu me dis d’abord que tu comptais partir pendant huit jours dans l’île de Caroubistre, sans me dire quand. Quelques jours plus tard, au cours d’une promenade le long du fleuve, tu exprimas le regret de partir seule, ton amie ne pouvant finalement t’accompagner. Puis tu me dis que serait sans doute très bien si tu pouvais me mettre dans ta poche pour m’appeler lorsque tu souhaiterais ma présence.

_ Quelle excellente idée, te répondis-je, mais attention, ne serres pas trop fort lorsque tu me sortiras de ta poche, j’ai les membres fragiles. Et puis, si je dors, prend garde de ne pas me réveiller trop brusquement. Je pourrai te mordre le gant ou même faire semblant de poursuivre mon songe, inerte dans ta main chaude. Enfin tu me convias à partir le lendemain, t’excusant de ne pas me laisser le temps de réfléchir.

Sur le ruban bleuté de l’autoroute, je mis la suite de Bach que nous affectionnions. Puis je te laissais le volant, écoutant le grésillement des roues usées sur le macadam, comme une sorte de plainte à peine audible, mais suffisamment perceptible pour provoquer en moi un long engourdissement proche du sommeil. Je rêvais peu à peu. J’étais sur un dromadaire haletant après une longue course. Je tenais les rênes d’un autre animal sur lequel tu étais penchée, courbée même, te tenant à pleines mains à la croix de bois qui se dressait entre tes jambes. Celles-ci étaient découvertes. Tu avais chaud, trop chaud pour prendre garde à ton attitude et je regardais sans les voir tes membres écartelés, rosis par la course. Ils semblaient une promesse, l’ouverture d’un laisser-aller volontaire pour me prouver une fidélité imaginaire. Un violent coup de frein vint mettre un terme à ce rêve et je posais la main sur ton bras nu, avec tendresse.

_ Pourrais-tu te garer. Il y a un autobar, là, à la sortie du bois. La voiture, docilement, freina et se mit sur la file de droite, s’engageant dans le tunnel sombre. Arrêt au compteur de voitures, puis tu repris la route en direction du bar, calant l’automobile dans son ascenseur et prenant à pleines mains les tuyaux de boissons qui sont disposés de part de d’autre des comptoirs. D’autres tuyaux, munis d’entonnoirs, permettaient d’évacuer le trop plein de breuvage. Dix minutes plus tard, nous repartions, rafraîchis, euphoriques. Tu me regardas, posas deux doigts sur tes lèvres et me fis un baiser fictif que tu prolongeas jusqu’à mon cou. Ce simple geste m’émut et fis monter des larmes qui obscurcirent les jumelles qui nous permettaient de voir la nuit. Je m’empressais de nettoyer les verres de façon à éviter un accident.

17/12/2019

Mort ou vif

Vide… Consciencieusement, il fit le ménage
Mais pas un gramme de poussière
Plus rien ne reste de son passé

D’ailleurs a-t-il réellement un passé ?
Le passé n’existe que s’il détient un avenir
Sinon ce n’est qu’un décor sans motifs

Quant au présent, a-t-il une utilité ?
Oui, sûrement, cela justifie l’existence
Bien roulée sur elle-même
Confite dans sa justification

« Je suis, donc je pense », songea-t-il soudain
A l’instant même il mourût
Fort de n’avoir pu vivre !

©  Loup Francart

16/12/2019

Oligarchie

La base au sommet
puissance de la tétrarchie
Que craint l'élite ?

 

11-11-24 Symcar contour.jpg

©  Loup Francart

15/12/2019

Joie

C'est en passant d'un sommet à l'autre que se trouve la joie

et non en suivant les courbes de niveau de l'existence.

 

14/12/2019

Locédia, éphémère (43)

Et j’attends, perdu dans cette perspective de m’évanouir en toi, de trouver la finitude des jours dans ton corps offert. J’attends dans l’espérance d’une vie nouvelle où deux ne fait plus qu’un et ou un se construit à deux. J’aurai pu entrer dans la salle de bain, te saisir dans mes bras et plonger dans l’eau parfumé, habillé, enivré, inconscient. J’aurai pu aussi frapper à la porte et te dire, sans te voir, ce que tu avais bouleversé en moi. J’aurais enfin pu m’enfuir comprenant subitement l’ensorcellement que je vivais. Rien de tout cela. J’attends, vide de ton désir.

tu ressors, fraiche, souriante, épanouie. Tes cheveux se balancent au bout de ton cou, au même rythme que tes boucles d’oreille. Tu me tends les lèvres, espiègle et mutine. Mais tu me dis que tu dois partir, sans explication, pressée de quitter cette atmosphère trop intime ou ces lieux trop personnels auxquels tu n’es pas habituée. Tu ramasses ton manteau et pars sans te retourner, me laissant seul, égaré, m’interrogeant sur cette volte-face incompréhensible.

13/12/2019

Ecran

Un écran est avant tout protecteur
Ainsi tu mets des gants pour ne pas te brûler
Des lunettes pour regarder le soleil
Tu revêts un vêtement pour ne pas être nu

Parfois avec une épingle tu perces l’apparence
Et contemple l’abîme dans le tunnel
Tu vis une vie double derrière ta parure
Caché au regard de l’autre par feinte
Es-tu, toi ou celui qui se cache derrière ?

Tu glisses un doigt dans l’ouverture
Et tentes de divertir ta conscience innocemment
Mais tu ne peux toucher l’objet de tes convoitises
Tel le Graal nourricier, mais inaccessible
D’abord ignoré, tu sentis sa présence
Le jour où fut visible en toi l’amour

Désormais tu le portes en sautoir
Et ton cœur n’en rougit pas malgré l’obscurité
L’écran s’ouvre, écarte ses lèvres chéries
Et donne à voir ce qui semble inexpugnable

Le désespoir t’abandonne, la joie t’envahit
L’air entre dans tes poumons
Désormais plus rien ne te dérange
Tu es là, droit, le regard au loin
Et accomplit ton destin inconnu
Sans te poser la question du sens
Ni celle de l’absence

L’écran se dévoile et prend sa part
Que caches-t-il ? L’homme…

©  Loup Francart

12/12/2019

Renoncement à soi

Le renoncement à soi consiste à placer l’action avant l’idée. Le vide étant comblé par l’amour de l’univers, d’autrui et de Dieu, l’action ne peut être orientée que vers le bien. Si l’idée vient avant l’action, celle-ci  n’est qu’une imitation, une imposition de l’idée. L’action est alors l’esclave de l’idée et n’est qu’idéalisation qui est la drogue de notre temps.

Gide avait bien analysé cet esclavage de l’action par l’idée, mais sa solution de l’acte gratuit est fausse et mène à un idéalisme encore plus dangereux, car l’acte gratuit ne peut être vrai que dans le renoncement à soi. Un acte gratuit en vue de la possession de son être réel ne peut être que destructeur et nuisible, car il est uniquement tourné vers le sujet qui le pratique et est une manifestation exclusive du moi. La définition gidienne de l’acte gratuit est d’être un acte qui n’a pas de raison d’être (c’est-à-dire non soumis au principe de causalité). Malheureusement, il y a toujours une raison d’être qui est celle de ne pas en avoir. Il s’ensuit que l’acte gratuit n’est pas une preuve de notre liberté, mais plutôt de notre asservissement à nous-mêmes.

L’acte gratuit n’est dans la vérité que par le renoncement à soi. Il est l’acte gratuit au vrai sens du terme, c’est-à-dire un acte fait de reconnaissance à Dieu.

11/12/2019

Interstice

 

Un interstice
Besoins et rêves mêlés
A portée de main

 

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10/12/2019

Locédia, éphémère (42)

Et tu me poussas doucement dehors, avec un baiser envoyé de loin qui m’atteignit comme un coup de poing. Je me retrouvais hors de la salle de bain et descendis lentement les marches de l’escalier, envahi par un vide difficile à supporter. Je me réfugiais dans le salon, m’appliquant à nouveau sur la sonate de Mozart, sans toutefois trouver le jeu convenable, perdu dans mes pensées. Puis je m’arrêtais, revêtu de désir. Il enveloppait mon corps d’une chaleur glaciale. Je m’imaginais ouvrir la porte de la salle de bain et te contempler nue dans la baignoire, m’accueillant, offerte, ouverte, extatique. Tes seins parfaits, que tu as l’habitude de soupeser à deux mains, se dressent hors de l’eau, prisonnier de la légère buée du bain chaud que tu as laissé couler. Quelques gouttes de condensation glissent sur leur courbe. Je te contemple, revêtue d’amour inatteignable, fantôme pâle, jusqu’à refermer la porte, en proie aux tourments de mon imagination.

Tu es des éléments la terre et l’eau
Prêtresse du feu que tu entretiens
Nécessaire à la vie comme l’air
Centre de l’humain, indissociable du divin


Tu es l’essence des réalités ambigües
A la fois plus haute et plus basse
Sainte et pécheresse, ange et démon
Vouée à l’état de ta féminité

Tu es l’inspiratrice et la compassion
Étrangère à l’histoire qui ne serait pas sans toi
Héroïque dans la peine de tous les jours
Modèle du repos et de l’immobilité

Tu es l’ordonnatrice des mystères familiers
Régnant sur les enfants et les vieillards
Occupée sans cesse de ce lieu de l’être
Où tu est chez toi, où je ne suis que par toi

Tu es l’attente et la réponse
L’habitante des profondeurs
Celle qui est et qui n’apparaît pas
La souffrance, le silence et la joie

Tu es la plante fragile, mais éternelle
Calme et fraiche, enracinée et mortelle
Présence de l’éternité dans le temps
Immobile dans l’inévitable mouvement cosmique


Je suis ce que tu n’es pas, l’histoire
Attentif à l’existence dynamique des objets
Utilisateur du temps sans pouvoir en jouir
Je suis l’acte, tu es la nature

 

09/12/2019

Je ne sais pourquoi

Je ne sais pourquoi
D’un si divin espoir
Occuper tous les soirs
Puis tomber en désarroi.

Je ne sais pourquoi
D’un si fol désespoir
Nourrir le morne couloir
Des pensées de mon choix.

Je ne sais pourquoi
D’un si ardent vouloir
Tirailler mon devoir
Pour mourir de bon aloi.

©  LF (écrit le 30 08 63)

07/12/2019

Puissance

"Dieu est puissant, mais il ne rejette personne." (Job  35-5)

 

La véritable puissance consiste à agir en se laissant ignorer. Elle est dans la force de l'âme et non dans celle du corps ou de l'intelligence. On ne la remarque pas, mais on l'imite inconsciemment. Elle s'impose par sa seule existence, sans autres moyens intermédiaires.

La puissance est protection et n'a rien à voir avec la crainte qu'elle inspire.

 

 

 

 

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06/12/2019

Naïf

Naïf ou trop habile
Qui donc le saurait mieux que toi ?

Le naïf est confiant
Il te prête ses pensées
Elles défilent sous ton nez
Parfois tu attrapes le bonheur
Un bon mot qui part tout seul
Et te comble sans savoir pourquoi
Un malheur est toujours possible
Lorsque tu dédaignes l’avertissement
Ainsi sont morts l’oiseau sans ailes
Et le chanteur sans voix

Le naïf est-il dupe ou niais ?
L’un d’eux me dit un jour
Pourquoi sortir puisqu’il faudra entrer
Un autre me susurra
Pourquoi entrer puisqu’il faudra sortir
Ils restèrent entre deux
Un pied sur chaque partie
Sans même pouvoir se séparer
Va voir, ils y sont encore !

Le naïf ou le rusé
Prendre l’un pour l’autre
C’est courir à sa perte
Ou recevoir la fortune
Sur un damier noir et blanc
Sans laisser d’alternatives

Le naïf serait-il un simple
Telle la fleur verte
Qui trompe son monde et meurt
De sa plaisanterie colorée
Mieux même, il peint les visages
De ses trois doigts triangulés
Et vend ses tableaux aux pauvres

Le naïf te croît, toi l’insaisissable
Tu apparais distant et nu
Tu cours à l’ombre des oliviers
Embrassant les belles femmes
Riant des enfants bavards
Pleurant avec les vieillards
Certes, tu es naïf, mais si simple
Qu’on repart le cœur nettoyé

©  Loup Francart

05/12/2019

Locédia, éphémère (41)

Tu te levas alors pour explorer l’appartement, curieuse de ce nouvel espace que ton ignorance rendait extravagant. Je t’accompagnais dans chaque pièce, écoutant ton babillage, commentaires pleins de drôleries sur les objets journaliers que je ne voyais plus. Cette exploration me dépouillait progressivement de mes réticences à me livrer à tes manipulations enchanteresses. Nous revînmes au salon et tu me donnas tes lèvres pleines, entières, gonflées d’une volonté nouvelle que je n’arrivais pas à cerner.  Après quelques instants d’une intimité inexprimable, tu rompis l’ensorcellement en me demandant si tu pouvais prendre un bain. J’avoue avoir été surpris par cette demande, inhabituelle pour quelqu’un qui vient pour la première fois dans l’espace d’intimité de la vie quotidienne d’un être qu’il connaît peu. Je t’accompagnais à travers les couloirs et escaliers menant à cette salle donnant sur une cour intérieure. Elle était encombrée, biscornue, avec une baignoire légèrement écaillée par nos jeux d’enfants, lorsque notre mère nous faisait attendre pour aller dans la cuisine surveiller l’ébullition d’une casserole. Je te donnais une serviette de bain, t’embrassais à nouveau, pensant que ton corps allait être offert à la grande glace qui permettait aux coutumiers de la maison de s’habiller de pied en cap et de se voir dans la totalité de leur densité. Avant que je ne te quitte, tu avais regardé le luminator qui se trouvait dans un autre recoin de la salle de bain. Il dispensait une douche de lumière étincelante, tombant en pluie sur le corps dévêtu, le revêtant d’optimisme pour la journée. Avant d’y pénétrer, il fallait prendre soin de se laver entièrement, puis de se sécher soigneusement sous peine de brûlures graves. Mais lorsqu’on se donnait aux éclats coupants et crus des jets propagés par les milliers de petits trous pratiqués dans la poignée, on oubliait la tiédeur habituelle d’un quotidien insipide pour plonger dans un vide rafraîchissant. Je vis ton regard sur la machine, je vis la brève étincelle d’envie qu’il contenait et te dis que tu pouvais t’en servir, à condition que tu respecte bien les consignes écrites suspendues au dessus de la porte d’entrée en verre opaque.

Tu avais déjà commencé à te déshabiller, relevant ta robe après avoir posé ton pied sur la baignoire. Je te regardais remonter tes mains jusqu’au creux de ta cuisse pour saisir la naissance du bas et l’enrouler autour de ta jambe, lentement, avec application. Et progressivement se dévoilait l’intimité de tes mouvements, de ce qui te permettait de courir et de danser sans souci, tes cuisses fermes et légères, tes genoux fragiles, émouvants, libérés du tissu bouffant du bas de ta tenue, et ton pied, discret, menu et animé. Tu me regardas, sans rien dire, un sourire aux lèvres et me dis :

_ Vas. Je me fais belle pour toi, pour que ton regard soit plus sûr et que tes gestes se libèrent. Je te veux pour moi seule, pure, peut-être pas vierge, mais soumise à mon étonnement devant ton assiduité. Je te veux, présent d’une consistance réelle, comme le pain à table ou la cigarette fumante sur le rebord du cendrier.

04/12/2019

Beauté

La beauté est le parfum de l’univers
Si subtile est son pouvoir
Qu’on ne peut la saisir directement
Pourtant elle tranche au sabre
Au-delà du désir de l’intelligence

Infime part du réel
Elle te plonge dans l’infini du monde
Une goutte de senteur
Qui te fait exsuder le meilleur de toi-même
Ombre des sens
Caresse de l’ineffable qui agite la chevelure
Mâle silence
Frémissant des signes du printemps
Tendre douceur
De l’émotion des corps rapprochés
Bref aperçu
De l’innocence de l’enfance dévoilée

La beauté seule
Donne le goût de la naissance du cosmos
Tu ne sais ce qu’elle est
Mais tu sais sa présence
Recueillie dans le calice de tes mains jointes

Tu t’incline sans bruit
Et rend grâce, environné de l’inexprimable

©  Loup Francart

03/12/2019

Le silence de l'âme

Celui qui sait ne parle pas
Celui qui parle ne sait pas
Lao Tseu

La connaissance suprême accessible à l’homme est une connaissance qui vient de l’âme. L’homme qui possède cette connaissance s’aperçoit qu’il ne sait rien au sens de la connaissance intellectuelle. Il n’a donc rien à dire parce que ce qu’il sait est inexprimable avec les mots et parce que les autres ne le comprennent pas. C’est un vide comblé par la compréhension directe alors que la connaissance intellectuelle est un savoir dans le vide.

La connaissance de l’âme ne s’acquiert pas par la volonté, car l’effort de l’âme et un effort de passivité attentive. La volonté n’atteint pas l’âme, étant un phénomène actif et physique.

L’attention étant un phénomène passif, elle peut intéresser le corps, l’intellect et l’âme, car elle rejette toute distraction, tout conditionnement.

02/12/2019

Reine d'un jour

Tu es morte et éprise de vie
Tout bouillonne en toi
Mais tu n’es pas servi
Par ton petit doigt

Qui compte le plus pour toi
Serait-ce ta peau de requin
Ou la sortie des bois
En te tenant par la main

J’ai pris ta plainte
Et ta lampe s’allume
T’exclames-tu, en conjointe
Fidèle dans la brume

Avance au large
Plonge dans l’arène
Mais sans surcharge
Ô toi, ma reine

©  Loup Francart

01/12/2019

Locédia, éphémère (40)

Effectivement, je logeais provisoirement dans l’appartement familial, libre en ces jours de vacances scolaires. Nous nous y rendîmes en marchant étroitement enlacés, nous racontant les pensées qui nous passaient par la tête, sans y attacher d’importance, concentrés sur ce qui devait se passer par la suite lorsque nous pénétrerions dans le refuge de mon enfance.

Entrée de ton inconstance dans la quiétude de mes sentiments. En ouvrant la porte de l’appartement, je t’ouvrais le fil de mon existence, un monde inconnu de toi, inaccessible directement à moi-même, plein de contradictions, d’épanchement des sens, de questions soulevées et de rationnelles rêveries. Tu découvrais ma personnalité par l’intérieur, hors de mes paroles, en touchant les objets familiers parmi lesquels je vivais. Ta première impression était importante, je l’attendais, suspendu à tes attitudes. Je te fis entrer dans le salon, ce que nous appelions le salon, pièce énigmatique contenant un piano, des fauteuils Empire accompagnés de quelques meubles de la même facture. Tu t’assieds sur le divan et me demande de te jouer quelque chose. Mozart l’ensorceleur… La sonate n°11 dont l’andante grazioso correspondait bien à cette sensation irréelle de te découvrir dans l’intimité de mon existence, comme un charme supplémentaire engendrant un surplus de vie, une aération de l’esprit dans la quotidienneté des jours et une vacuité enrichissante dans la solitude des nuits. Je te regardais parfois, à demi allongée sur le divan, l’œil perdu dans la rêverie suscitée par les notes. A quoi pensais-tu ? Tu m’attiras à toi, avec douceur, me regardant profondément, avec sérieux, comme t’apprêtant à faire un engagement nouveau. Mais peut-on dire que ce regard était amoureux ? Non, il s’agissait plutôt d’une interrogation qui signifiait ta difficulté existentielle à t’abandonner totalement ne serait-ce que quelques heures. Et pourtant les jours que nous avions passé ensemble jusqu’à présent me laissaient espérer ce rapprochement inexprimé. Avec émotion, j’embrassais ta lèvre supérieure, frémissante, légèrement salée des quelques gouttes de transpiration que la musique avait inoculé en toi. Tu me rendis ce baiser, avec retenue, caressant mon visage de tes lèvres entrouvertes, mais sans jamais se rapprocher de la naissance de ma bouche qui pourtant te recherchait.