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31/03/2011

Paludes, d’André Gide, publié en 1895

 

Paludes, c’est l’histoire du terrain neutre, celui qui est à tout le monde, l’histoire de la troisième personne, celle dont on parle, qui vit en chacun de nous, l’histoire de l’homme couché (dans Virgile, il s’appelle Tityre), homme ordinaire qui s’accommode de son petit domaine.

« La perception commence au changement de sensation, d’où la nécessité du voyage », dit André Gide. « On ne sort pas, c’est un tort. D’ailleurs on ne peut pas sortir. Mais c’est parce que l’on ne sort pas. On ne sort pas parce qu’on se croit déjà dehors. Si l’on se savait enfermé, on aurait du moins l’envie de sortir. »

Autre propos de l’homme qui ne peut pas voyager : « Il y a des choses que l’on recommence chaque jour simplement parce qu’on n’a rien de mieux à faire ; il n’ya là ni progrès, ni même entretien, mais on ne peut pas pourtant ne rien faire… C’est dans le temps le mouvement de l’espace des fauves prisonniers ou celui des marins sur les plages. »

 « Etre aveugle pour se croire heureux. Croire qu’on y voit clair pour ne pas chercher à voir puisqu’on ne peut se voir que malheureux. »

Pourtant, il ne s’agit pas de voir ou d’être aveugle, mais bien d’ignorer la recherche de la lentille qui donnera la vue. On ne peut être que par rapport à quelque chose qui résonne en nous. « Je ne puis jamais arriver à me saisir moi-même sans une perception, dit Hume. Nous sommes seulement un faisceau ou une collection de différentes perceptions qui se succèdent avec une inconcevable rapidité, et qui sont dans un flux et un mouvement perpétuel. »

Paludes raconte la semaine d’un écrivain en mal de voyage. Y domine le personnage de Tityre, berger de tous les temps, habitant des marécages où fourmille une vie insolite. Qui est Tityre : Celui qui vit dans des marais, disposant d’un emploi du temps prédéfini dans un agenda et qui contraste avec le modèle de vie de son auteur qui fréquente les salons parisiens ? Hubert, qui chasse la panthère, imprégné de rationalité ? Richard, peut-être, l'orphelin qui épouse une femme sans amour ? Ou le narrateur qui voyage avec Angèle jusqu’à Montmorency ? Dans cette satire des salons littéraires de Paris, les descriptions sont ironiques. Gide qualifiait ce livre de sotie et réfutait le terme de roman. La caractéristique principale de cette œuvre de Gide est la modernité de son style et de son récit.

En juillet 1895, Camille Mauclair écrit à propos de Paludes dans le Mercure de France : « J’aime Paludes, comme tout ce qu'écrit M. André Gide, parce que cela vient d'une âme extrêmement fine, hautaine et souffrante, et qu'il y a éparses dans ses livres quelques unes des choses du cœur que nous aurions tous voulu dire aux grandes minutes passionnées de notre vie. C'est le caractère spécialement prenant de son œuvre, qu'elle naît du dedans, intensément. C'est très difficile, littérairement parlant, d'imaginer, de construire et d'écrire ce petit livre apologique, et il est fait avec un charme et une légèreté que peu d’entre nous ont connus. Mais on ne s'en aperçoit même pas, tant on va d’un bout à l'autre avec l'impression qu'il faut ici s'occuper non d'un talent, mais d'une âme. »

 

 

30/03/2011

Un jour nous irons nus et libres

 

Un jour nous irons nus et libres

Contempler les fils d’araignée

Et leur danse au soleil de midi

 

L’air oubliera le poids des jours

À l’odeur des feuilles mortes

 Et ton visage purifié s’ouvrira

À la caresse de l’herbe tendre

 

Nous irons dans les chemins de pierre

Reconstruire l’amour fragile

Et lui donner les forces vives

De l’arbre parmi les arbres

 

Le soir, couché sur la terre fumante

Je trouverai dans tes cheveux d’automne

L’odeur de nos joies du jour

 

 

poésie,poème,littérature,liberté

 

29/03/2011

Genèse

 

"Qui suis-je ?"  Chaque homme, à un moment ou à un autre, se pose la question. Très vite, cette interrogation se dédouble : "D'où viens-je et où vais-je ?" Cette curiosité que nous avons sur nos origines est bien souvent une manière d'évacuer l'angoissante question de la mort. L'interrogation viscérale sur notre fin se transforme souvent, inconsciemment, en curiosité intellectuelle sur notre commencement. Chaque civilisation tente, avec ses moyens, de répondre à cette question des origines de l'homme. Notre civilisation n'y échappe pas. Matérialiste, elle cherche dans la matière, avec la science, l'origine de l'aspect visible et palpable de l'homme. Spiritualiste, l'hindouisme explique l'homme comme étant l'Un divin englobant la totalité (atman) qui revêt à chaque incarnation un corps différent qui lui permettra de prendre conscience de sa divinité originelle et de la réaliser.

Le livre de la Genèse, premier livre de la Bible, semble donner une réponse aux interrogations du chrétien. Cependant, cette explication, ou tout au moins la manière dont on nous l'a souvent transmise, nous gêne. En effet, certains catéchismes ont repris et simplifié la Genèse pour en faire un récit quelque peu enfantin où les deux premiers chapitres s'amalgament.

Il nous faut découvrir, en les relisant attentivement, ce que nous disent les deux récits de la création; puis prendre conscience que contrairement à ce que l'on pense, ils ne s'opposent pas à la conception scientifique de l'homme et de l'univers ; enfin tenter de comprendre comment à travers ces récits, c'est une conception globale de l'homme qui est révélée et non son origine dans le temps. Chaque récit apporte une vision différente de l'homme. Le premier en révèle l'aspect cosmique. Il est construit comme une pyramide à étages dont l'homme est le sommet. Le deuxième insiste plus sur l'aspect psychologique et pourrait se définir comme un cercle dont l'homme est le centre.

De nombreux exégètes se sont penchés sur les récits de la Genèse. Ils les ont décortiqués, analysés selon de nombreuses méthodes, comparés avec les mythes de l'époque. Il ne s'agit pas de reprendre les résultats de ces savants travaux qui n'étudient que l'aspect humain de l'Ancien Testament. Il ne s'agit pas non plus d'ajouter de nouvelles explications destinées à satisfaire notre curiosité intellectuelle. Il ne s'agit pas au fond d'éclairer le texte, mais au contraire de voir comment il peut nous éclairer sur les questions que nous nous posons. Il s'agit donc de faire naître une certaine harmonie entre nous et la révélation contenue dans le texte. Nous comprendrons alors que la Bible répond à la question "Qui suis-je ?" sans référence à une origine temporelle et matérialiste. Elle ne procède pas par raisonnement. Elle révèle l'homme dans sa globalité et son unité et le situe dans ses relations avec Dieu et avec l'univers.

 

CONTENU DU CHAPITRE 1 DE LA GENESE

___________

En lisant le premier chapitre de la Genèse, laissons nous porter par la beauté du texte, envahir par la vision cosmique qu'elle engendre et dépassons nos petites interrogations terre à terre et matérialistes sur l'origine de nos chromosomes. Au‑delà du visible commence un monde nouveau. Le récit entrouvre le voile de l'invisible à qui le médite en oubliant sa vision égocentrique des êtres et des choses.
Dieu est bien le centre du récit, celui par qui tout arrive, celui par qui tout existe. Il est présent à chaque phrase et est bien le sujet de toutes les actions accomplies.

 

Comment Dieu crée-t-il ?

En Dieu, la pensée, la parole, l'action sont une.

v Dieu crée d'abord par la parole
Dieu dit. Il crée en disant. Et comment dit-il, sinon par le Verbe ?

Deux sujets de méditation :

r Evangile selon Saint Jean :
" Au commencement était le Verbe, la parole de Dieu. Et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Par lui tout s'est fait, et rien de ce qui s'est fait ne s'est fait sans lui."

r La parole est créatrice.
Notre parole est action, elle agit. Si la parole est mauvaise, elle engendre le mal, et inversement.
Prenons-nous garde à nos paroles ?

v Dieu crée ensuite par l'action
. Il sépare la lumière des ténèbres, les eaux du dessus des eaux du dessous.
. Il fait le firmament, les luminaires, les animaux terrestres.

v Dieu crée enfin par la pensée
Il se dit à lui-même "Faisons l'homme à notre image..."

 

Que crée-t-il ?

Il crée huit ensembles qui correspondent aux huit "et Dieu dit".  Ce sont :
. la lumière,   
. le firmament,
. le continent ou la terre ferme,   
. le monde végétal,    
. les luminaires (les astres),   
. le monde animal,    
. l'homme.

  Genèse tableau.JPG

 

Dieu crée dans le temps

Apparemment, Dieu crée en une semaine le ciel et la terre. Cependant ce n'est que le quatrième jour qu'apparaissent les luminaires dont un des rôles est justement de marquer les jours, donc de définir le temps. Sans astres, il n'y a ni jour, ni nuit. Les jours de la création seraient donc d'un autre ordre que les jours marqués par le soleil.  
La litanie "Il y eut un soir, il y eut un matin" ne marque-t-elle pas l'idée d'une lente gestation, d'un mûrissement progressif, d'une évolution de la création qui conduit l'homme jusqu'à l'image de Dieu. Il y a donc bien création dans le temps, mais ce temps n'est pas le nôtre. On pourrait dire que chaque jour de la création correspond à un cycle, une ère particulière qui, arrivée à maturité, permet la création d'une nouvelle période.

 

La création est bonne

"Dieu vit que cela était bon", "et Dieu vit tout ce qu'il avait fait : c'était très bon." 

v D'abord, que signifie "bon" ?
Il semble que le terme renferme deux significations :
. la beauté physique : la création est belle.
. le bien moral : la création est bien, conforme à la volonté de Dieu.

v Maintenant demandons-nous si nous sommes capables de voir cette qualité de la création. L'univers et l'homme nous apparaissent-ils comme bons ?
Il semble malheureusement que notre civilisation a perdu la faculté d'apprécier cette qualité. Pourtant tous les saints voient le beau et le bien de la création. A nous d'acquérir cette vision ! Et surtout n'objectons pas que c'est se voiler la face que de ne pas voir ce qui ne va pas. L'objection peut être renvoyée et les pensées pessimistes entraînent le malheur.

 

Poésie du texte

Admirons la poésie du texte et sa beauté. Il est scandé par des phrases clés qui reviennent à chaque étape :

v Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le ... jour"
Seul le septième jour ne comporte pas cette phrase et rompt volontairement le rythme.

v "Dieu dit"
Cette phrase marque la création d'un nouvel ensemble.

v "Dieu vit que cela était bon"
La phrase revient dix fois. Seul le firmament n'est pas dénommé bon parce que les astres n'y règnent pas encore.

 

Conclusion

L'analyse du contenu nous a permis d'écarter ce que notre imagination, nos souvenirs de catéchisme y avaient ajouté. Nous sentons cependant l'insuffisance d'une telle méthode, même poussée à l'extrême. Le texte n'est ni une démonstration, ni une explication. C'est un récit derrière lequel se cachent des vérités qui ne sont accessibles que par une démarche différente. Il ne s'agit pas de comprendre le texte avec sa raison, mais de se laisser entraîner par sa puissance évocatrice pour s'ouvrir à la contemplation du mystère des relations entre l'homme, le monde et Dieu.

Le monde masque le mystère autant qu'il l’exprime :
. La méditation du premier au septième jour écarte le masque. Elle ouvre à la contemplation du cosmos, c'est à dire de l'univers, de l'homme en tant que partie de l'univers, et de leurs limites.
. La méditation du septième au premier jour conduit au delà du masque. Elle ouvre l'homme à la contemplation de sa propre intériorité et à une nouvelle vision du monde où Dieu se dévoile à la fois comme origine et comme fin, car il n'y a pas d'en dehors par rapport à lui.

SUITE :
. Méditation de Genèse 1 : du 1er au 7ème jour ;
. Méditation de Genèse 1 : du 7ème au 1er jour.
 

28/03/2011

Alcools

Certains jours, l'envie vous prend de dessiner n'importe quoi, pour le seul plaisir de dessiner. On ne parle plus de beauté et d'harmonie, mais d'un trop plein de vitalité qui entraîne l'imagination, à la manière de ces personnages qui errent au petit matin, dans les rues sombres d'une ville.

 

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27/03/2011

Marcher le long d'un cours d'eau

 

Marcher le long d’un cours d’eau,

Promener sa paresse au fil des pas

En regardant défiler l’herbe verte

Et se laisser aller à une douce somnolence,

A chaque seconde qui s’égraine.

 

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Par endroit, la roche se présente nue

Comme coupée au couteau,

Mais environnée des guirlandes de buis

Qui poussent, sauvages,

A l’image des millénaires écoulés,

Et pourtant domestiquées

Par la proximité des prés.

 

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Au fond de la vallée, un village.

Pas un bruit, pas une âme.

Seul le chuintement de l’eau sur les pierres

Donne vie à cet immobilisme.

 

 

Je m’arrête, observant l’eau,

Apprivoisé par la pâle chaleur

D’un soleil dispersé entre les branches

Et insaisissable dans sa totalité.

 

 promenade, cours d'eau, quiétude

 

J’avance, l’œil aux aguets,

Porté par une brise tendre et acide,

Et traverse la rue principale

Enhardi par la chaleur du soleil.

L’église, plantée sur le carrefour,

Côtoie les pentes escarpées

Où paissent des fantômes de vaches.

 

Au retour j’aperçois une femme

Qui sort de chez elle, sans bruit,

Un tableau à la main,

Ou plutôt rabattu sur son buste

Comme pour le protéger.

Elle s’éloigne calmement,

D’un pas assuré, le regard perdu,

Montant le chemin herbu,

 Vers un l’on ne sait où, fuyante.

 

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Chemin du retour, au pas de la nostalgie,

Laissant aller le corps au rythme de l’écoulement

D’une eau sereine et apaisante,

Le soleil face à moi,

Provoquant de minuscules étincelles

Sur les flots tourbillonnant entre les pierres.

 

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26/03/2011

Concerto pour deux trompettes et orchestre à cordes d'Antonio Vivaldi

 

C’est le concerto de l’amour et de la joie. Deux sources qui coulent côte à côte dans la nuit pour se jeter dans la même mer d’ivresse. Les jeux des deux instruments s’enlacent et se dénouent comme une guirlande de fleurs entrelacées, puis se complètent dans une harmonie définitive.

 

Ecoutez :

http://www.youtube.com/watch?v=V8MLVuggshM&feature=related

Bien que l’orchestre soit un peu faible, c’est une bonne interprétation de la part des deux trompettistes.

http://www.youtube.com/watch?v=ONbAgllbzo0&feature=re...

Un rythme soutenu, des trompettes éclatantes (avec quelques couacs), une interprétation un peu pompière et appuyée.

http://www.youtube.com/watch?v=MKCQDVy9Cpk&feature=re...

Un orchestre assez brillant, et une bonne interprétation des trompettistes, mais un tempo un peu lent.

http://www.youtube.com/watch?v=9ZVKInM7es0&feature=re...

Interprétation nuancée et élancée qui crée une harmonie entre les trompettes et l’orchestre.

http://www.youtube.com/watch?v=QsIGCVdjNKM&feature=re...

Un certain manque de rythme, mais inversement une harmonie entre les deux trompettes. L’orchestre se contente d’accompagner sans faire ressortir sa personnalité, ce qui voile quelque peu le dialogue entre les deux instruments solo et les cordes.

 

 

Premier mouvement :

C’est la découverte de l’amour dans la vie. Il s’éveille et est annoncé par la première phrase des deux trompettes. Je suis là, je suis l’amour éternel et pur. L’orchestre décrit la joie du monde et son harmonie avec notre sensibilité. Le jeu des trompettes se sépare dans la même phrase, puis s’enlacent à nouveau, l’accord des deux solos se fait dans le temps par une fugue au contrepoint serré. L’orchestre alors accompagne leur duo dans la même ivresse et partage tour à tour leur verve et leur réflexion.

 

Deuxième mouvement :

Après une introduction de l’orchestre poignante dans les forte, mélancolique dans la reprise de la mélodie des forte en pianissimo à la conclusion délicate et rêveuse à laquelle le clavecin donne une ambiance romantique, les trompettes éclatent et mettent l’amour face à face dans la violence et l’extase. Après l’ivresse monte un chant dans la nuit, plein de pureté et d’union à deux, tendre, pur, partagé dans la plénitude retrouvée. L’harmonie est complète, c’est la béatitude et la pleine connaissance de l’âme et du corps dans le repos. L’auditeur sent monter en lui la joie qui éclate et l’empoigne toute entière.

 

Vivaldi, auteur pratiquement ignoré après sa mort et qui est redécouvert entre les deux guerres mondiales, est le créateur de l’art du concerto classique tel qu’on le connaît aujourd’hui. Virtuose du violon, il s’appuie sur ceux-ci pour donner du corps à sa musique et, dans le même temps, une légèreté inimitable. Il se laisse parfois aller à une pétulance gratuite, à tel point qu’Igor Stravinsky aurait dit qu’il n’a pas composé cinq cents concertos, mais cinq cents fois le même concerto. Admirons ici la place tenue par les trompettes, tantôt en solistes face à l’orchestre, tantôt en concertistes entre elles et passant de l’une des formes à l’autres avec aisance pour procurer un sentiment de plénitude et de brillance qu’il est seul à atteindre de cette manière.

En effet, sa musique est vive et enjouée ou sereine et mélancolique. Elle laisse un vide en soi lorsqu’elle s’achève, mais jamais non plus n’est dématérialisée. Elle ne rompt jamais avec l’expression de la vie pleine et entière et s’appuie sur des sensations palpables, issues d’une connaissance intime de la nature, qui font vibrer le corps avant d’imprégner l’esprit et l’ouvrir à la joie.

 

 

25/03/2011

Ce soir, dans le silence métallique

 

Ce soir, dans le silence métallique

De la ville endormie aux lueurs blafardes

J’ai saisi le halo arrondi de la rue

Sur ma pupille élargie d’obscurité.

 

La longue main de mon regard au poing fermé dans la nuit noire

S’est avancée derrière la vitre pour se fermer sur l’obscure froideur

De la rue ouatée et transparente. A l’abri de l’enceinte linéaire

Du verre mobile et ondulé, j’ai tâté chaque recoin d’ombre

Comme un lac profond et frais dont on cherche vainement le fond.

J’ai caressé le velours frissonnant de l’auréole de lumière

Accrochée en guirlandes éphémères sur les murs tièdes.

J’ai arrondi le creux de ma paume sur la boule de chaleur

Qui se creusait un nid douillet dans la courbe du globe oculaire,

Penchant la tête de côté pour bien le pénétrer de ce contact bienfaisant.

 

Et j’ai voulu aller plus loin, regarder les étoiles, les effleurer.

Comme un enfant, j’essayais vainement d’atteindre à la surface du lac

Les nombreuses lentilles d’eau qui dérivaient en étoiles marines.

 

Mais la joue écrasée, aplatie sur le verre froid,

Je dus tellement tendre le bras, la main et les doigts

Qu’ils tremblaient avant de caresser la petite lueur.

 

Voilà pourquoi les étoiles clignotent à l’horizon.

 

 

24/03/2011

Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, de Joseph Mallord William Turner (1775-1851)

 

Hier, quelques instants privilégiés au Louvre alors que Paris était baigné par la lumière d’un soleil de printemps. Errant près de la porte des Lions, dans le pavillon entre Seine et jardins des tuileries, je suis tombé sur cette toile de Turner et ai aussitôt été conquis. Elle est pourtant très mal éclairée, trop, et l’on ne peut la voir qu’en cherchant l’angle requis qui ne donne pas trop de reflets. Mais même cette quête du meilleur angle procure un indicible plaisir avant de pouvoir apprécier pleinement ce paysage si simple et si émouvant : sensation subtile que seuls procurent les paysages abstraits. Et pourtant ce tableau a été peint à la fin de la vie de Turner, au début du XIXème siècle, époque du néoclassicisme.

 

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Une rivière s’écoule au centre du tableau. On ne la devine que par la tache de blanc lumineux qui se prolonge en avant et en arrière, jusqu’à se perdre dans un lointain informe, la baie, sorte d’amas de brouillard plus dû à la réverbération du soleil qu’à l’accumulation d’humidité et qui noie les éléments jusqu’à confondre l’horizon avec le ciel. La vue se perd, introduisant une rêverie impalpable et apaisante qui entraîne une descente au plus profond de soi, comme l’invasion d’un gouffre d’air pur, mais sans la sensation aigüe d’un changement de qualité avec celui que l’on respirait auparavant. Seul élément matériel concret, ce demi-arbre sur la droite du tableau que l’on discerne par ses troncs alors que le feuillage, en prolongement de la tache centrale, s’intègre en fondu dans le reste du paysage. S’il n’y avait pas une partie du ciel dégagée montrant la pureté bleutée de l’infini, on ne pourrait savoir qu’il s’agit d’un ciel cotonneux de ces matins avant la chaleur de l’été, lorsque déjà le jour est levé, mais que sa fraicheur sommeille encore sur la peau faisant frissonner  les bras et les jambes dénudées. On devine l’épaisse chaleur de la journée, mais on y aspire encore les odeurs de l’aube, où la senteur des foins et de l’eau de mer épaissie de la baie repose en couche à hauteur du regard.

 

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Merci Mister Turner pour cette promenade entre mer, terre et air, dans la luminosité d’un matin d’été, qui enchante l’œil d’un pétillement quasi sacré, procurant au reste de la journée un souffle de beauté qui s’évapore au fil des heures.

 

 

23/03/2011

Matière et esprit

 

La matière compose tout corps et peut se présenter sous les trois formes solide, liquide et gazeuse. Elle occupe de l’espace et se mesure par le concept de masse.

Chaque particule d'atomes est associée à une (anti-)particule d'antimatière (par ex. électron-positron) qui possède la même masse, mais avec des charges opposées. Lorsqu'une particule de matière rencontre son anti-particule, elles s'annihilent mutuellement en libérant la totalité de leur énergie sous forme de rayonnement.

Au-delà de la matière, qui est énergie physique, se trouve l’énergie psychique qui émerge de la première et qui façonne l’univers, créant une noosphère, pellicule de pensée enveloppant celui-ci, grâce au phénomène de l’humanisation, développée par Teilhard de Chardin, et de l’intelligence collective chère à Pierre Lévy (Pierre Lévy, L'intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace, Paris, La Découverte, 1994).

 

 

Rendre cette réflexion par une impression picturale est complexe. Ceci est un essai de lien entre la matière et l’esprit, un présent réel, un passé imprimé dans le présent et un devenir en puissance. Ainsi la matière progressivement façonnée par l’esprit conduit à la rencontre cosmique du Un qui unit et unifie le Tout.

 

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22/03/2011

Musique afro-américaine

 

Les negro spirituals sont nés des Work songs, c’est-à-dire des chants de la communauté noire pendant les heures de travail dans les champs. Lorsque celle-ci se convertit au christianisme, ils se transformèrent en Gospel songs. Ce fut à partir de ces chants et des églises noires que la communauté créa sa propre culture, une véritable forme d’expression emprunte de ferveur et bercée par le rythme africain. Dans les années 50 apparu le terme « rhythm and blues », nouvelle forme de musique noire qui est du blues auquel on ajoute du rythme, blues qui balance et qui n’est ni triste, ni mélancolique comme le gospel. Puis Ray Charles inventa la soul music (musique de l’âme) qui est dérivée du Rhythm and Blues agrémenté d’une bonne dose de gospel.

Ecoutez le chant « Amazing Grace », par le Soweto Gospel Choir :
http://www.youtube.com/watch?v=ZoJz2SANTyo&p=D2C724E8...

Ecoutez le même chant interprété par des blancs : effet contrastant, le chant est sentimental et n’a pas la force de l’interprétation noire.
http://www.youtube.com/watch?v=xde21qShWYA&feature=re...

Entre les deux, Amazing Grace interprété par Elvis Presley. Il est assez proche de l’interprétation noire, mais le chœur n’a pas la puissance émotionnelle du chant noir.
http://www.youtube.com/watch?v=B3XdXEJEI4E&feature=re...

Enfin une autre version noire, qui est très belle, avec une introduction en solo qui semble au premier abord un peu plate, mais qui apporte des variations intéressantes. A noter la même façon d’interpréter, qui n’est pas sentimentale et se pimente de nombreux accords propres à la culture noire.
http://www.youtube.com/watch?v=DNpj-oqelSY&feature=re...


Le negro spiritual se caractérise par la reprise d’une phrase musicale qui berce les chanteurs et l’assistance. Peu à peu celle-ci se met à chanter avec toute son émotion jusqu’à entrer dans la parole de Dieu. C’est extraordinaire d’entendre une église entière chanter la gloire de Dieu en cadence, levant les bras au ciel, chacun priant avec tout son corps, ses émotions, ses sentiments. Cela m’est arrivé à Washington dans l’église Saint Augustine. C’est tellement différent des chants liturgiques que nous connaissons, qu’ils soient issus de notre tradition chrétienne ou les plus récents, copiés sur la musique de variété. L’européen est trop crispé, trop attentif aux autres et à lui-même, pour se lâcher et chanter de toute son âme sans se préoccuper de ce que les uns ou les autres peuvent penser.


Voici un chant liturgique à la manière gospel. Il ne s’interprète pas comme un chant liturgique européen ; il doit se chanter en balançant, avec son rythme propre. Le rythme croche-noire n’est qu’indicatif. Il peut être interprété différemment selon le moment et l’assistance.
Ce chant ne se chante pas non plus strophe après strophe. Il s’interprète avec beaucoup de liberté, avec une improvisation exécutée par un ou plusieurs solistes entre chaque strophe, pendant que la chorale rythme avec la mélodie sans parole.
Les paroles sont simples, confiantes à la manière d’un enfant. Elles participent à cette pénétration dans un au-delà de la cognition. Entrer dans ce style de chant nécessite un lâcher prise des attitudes et du maintien que les européens ont beaucoup de mal à faire, n’étant pas habitués à l’intimité avec Dieu.

 

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La qualité du document laissant à désirer, je le mets à votre disposition en pdf :

O oui, Seigneur.pdf

21/03/2011

La symphonie pastorale, d’André Gide, 1919

 

Ce n’est pas seulement l’histoire de l’éducation d’une aveugle que décrit André Gide, mais aussi la naissance d’un amour impossible. Un pasteur explique dans son journal intime comment il adopta Gertrude, une petite aveugle de quinze ans, qui vivait auparavant à la manière d’un animal. Nous assistons à la naissance des sensations, puis des sentiments de Gertrude, guidée par le pasteur qui lui dévoile un monde d’amour et de beauté dans lequel le mal, le péché et la mort n’ont pas de place.

Il emmène Gertrude au concert et c’est à l’écoute de la symphonie pastorale de Beethoven qu’elle découvre la nature et les couleurs :

_ Est-ce que vraiment ce que vous voyez est aussi beau que cela ?

_ Ceux qui ont des yeux ne connaissent pas leur bonheur.

Jacques, le fils du pasteur, s’éprend d’elle. Son père, implacablement, refuse cet amour et ce n’est que plus tard qu’il comprend qu’il aime Gertrude d’un amour moins pur qu’il ne le croyait. Gertrude aussi l’aime et le lui avoue, ne connaissant pas le mal, mais seulement le bonheur de vivre en communion avec la nature, les hommes et Dieu.

_ Vous savez bien que c’est vous que j’aime, pasteur… Je ne vous parlerais pas ainsi si vous n’étiez pas marié. Mais on n’épouse pas une aveugle. Alors pourquoi ne pourrions-nous pas nous aimer ? Dites, pasteur, est que vous trouvez que c’est mal ?

_ Le mal n’est jamais dans l’amour.

C’est dans l’ambigüité de l’amour envers Dieu et ses créatures et de l’amour envers un être que le pasteur se débat d’autant plus difficilement que Gertrude ignore le péché et ne connaît, comme il l’avait souhaité, que le bonheur.

Dans la deuxième partie du livre, Gertrude s’ouvre au monde des hommes et fait connaissance avec la tristesse, le malheur et le péché. Un médecin, ami du pasteur, lui rend la vue et, en découvrant le monde, Gertrude découvre son péché. Elle veut se suicider en se jetant à l’eau. Ce suicide manqué ouvre les yeux du pasteur qui découvre que ce n’est pas lui qu’elle aimait vraiment, mais Jacques. Celui-ci hélas ne peux plus l’épouser, étant rentré dans les ordres. Alors elle s’éteint doucement.

_ Quand vous m’avez donné la vue, mes yeux se sont ouverts sur un monde plus beau que je n’avais rêvé qu’il pût être. Mais non, je n’imaginais pas si osseux le front des hommes. Quand je suis entré chez vous, ce que j’ai vu d’abord, c’est notre faute, notre péché. Non, ne protestez pas. Souvenez-vous des paroles du Christ : « Si vous étiez aveugle, vous n’auriez point de péché. » Mais à présent, j’y vois… Quand j’ai vu Jacques, j’ai compris soudain que ce n’était pas vous que j’aimais, c’était lui.

Ecrit sous la forme du journal intime du pasteur, ce roman reste encore d’actualité malgré des tournures et des sentiments qui ne s’exprimeraient plus ainsi. A travers cette histoire, l’auteur peint les souvenirs de son enfance et dénonce, thème favori, une certaine hypocrisie religieuse. Il nous livre également un message : les aveugles ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Au-delà de la morale de l’histoire, ce livre enchante par son atmosphère délicate et sa poésie. La fin malgré tout laisse une impression de tragique difficilement supportable après la beauté des premières pages.

Au-delà de l’histoire et de l’analyse psychologique qui l’accompagne, reconnaissons que le style d’André Gide contribue à faire de ce roman un livre exceptionnel. « On peut dire que le récit de La Symphonie Pastorale s’organise selon une structure complexe. Le style de cette œuvre est épuré, ciselé, raffiné et précis. La composition de La Symphonie Pastorale est plutôt unie, largement progressive, bien qu’on puisse constater une série de parallélismes entre les événements et leurs effets moraux. Les mots sont choisis avec soin par son auteur. Ce qui attire l’attention du lecteur c’est la densité du texte malgré sa brièveté, la pudeur des sentiments malgré leur intensité » (Marc Dambre, La symphonie pastorale d’André Gide, Paris, Gallimard, 1991).

 

Oui, cela peut sembler désuet de parler de romans qui datent de bientôt un siècle, mais la beauté est intemporelle. Les sentiments restent les mêmes depuis que les tragédies grecques ont tenté de les disséquer. Ils ne font que s'exprimer différemment. Le langage de Gide est magnifique, mais très probablement plus personne n'oserait écrire une histoire semblable.

 

20/03/2011

Au matin, à peine réveillé

 

Au matin, à peine réveillé

Quand on n’a pas encore remonté

L’immense rouage de la conscience

Les gouttes s’évadent du toit

                                  Avec patience

 

Une à une, elles tombent sur la roue

Encore malhabile et bloquée du ressort

Qui s’étire lentement. Il ya parfois des fous

Qui n’ont plus d’eau dans leur moulin

                                  Ironie du sort

 

L’heure la plus chaleureuse, attendue du plaisir

 Celle où l’invisible cycle s’évade de la nuit

Contre tout pouvoir, comme le navire

 Est-ce ce premier instant où j’ignore

     Le haut du puits ?

 

 

19/03/2011

Une tasse de thé, au matin

 

Au matin, lorsque rien encore ne bouge, ni dans la maison, ni même au dehors, parce qu’il est tôt et que la nuit continue d’envelopper les rêves des dormeurs, je me lève, l’esprit éveillé, heureux de cette nouvelle journée qui commence. Je descends l’escalier, je traverse les pièces du rez-de-chaussée, sans allumer parce que j’aime ce défi de l’enfance de marcher dans le noir sans toucher les meubles et objets qui les encombrent, avant d’atteindre la cuisine, refuge initial du matin.

Pendant que les ampoules tardent à éclairer correctement tout ce qui n’est pas dans un cercle proche (oui, ce sont des ampoules basse consommation, tellement basses qu’elles peinent dans un premier temps à éclairer), je mets de l’eau fraiche dans la bouilloire et attends que ses premiers sifflotements se soient fait entendre pour ouvrir la porte du buffet, encouragé par son odeur de vaisselle propre, et sortir une tasse, une soucoupe et une cuillère. Je vais ensuite chercher un sachet de thé dans le placard qui abrite des trésors de futurs festins, pendant que la pièce s’éclaire d’une douce lumière et dévoile les secrets de ses recoins. La bouilloire enfin arrêtée se tait.

Alors commence la délicate activité de l’infusion du thé dans l’eau chaude. Celle-ci commence faiblement par une lueur à peine orangée qui se dissout au fond du bol, puis s’élargit en nuage intérieur, l’eau restant claire sur les bords alors que progressivement sa cavité se colore d’une couleur indéfinissable en perpétuel changement. L’odeur du thé envahit les narines, dilatant les bronches, caressant gentiment les sens jusqu’à les envelopper d’un engourdissement provisoire, avant de s’évaporer dans la lueur de l’ampoule situé au dessus de la table.

Après avoir plusieurs fois sorti le sachet, laissé le contenu de liquide s’écouler dans la tasse, diluant un nuage plus foncé que celui du breuvage initial, puis l’avoir laisser tomber à nouveau dans l’eau de plus en plus colorée de celui-ci, geste qui me rappelle celui du goupillon que l’on trempe dans le bénitier pour saluer une dernière fois celui qui est passé de vie à trépas, je pose le sachet sur un coin de l’évier comme une dépouille molle et sans couleur qui n’a plus d’utilité mais que l’on pourrait peut-être réutiliser s’il s’avérait que le breuvage n’est pas suffisamment fort ou parce que j’aurais ajouter un peu d’eau après en avoir plusieurs gorgées. J’arrête alors toute spéculation gestuelle, attendant que le breuvage soit buvable, c’est-à-dire moins chaud. Instant d’innocence ou d’impatience, quand le désir ne peut être satisfait dans l’immédiat et qu’il convient de laisser le temps user les secondes dans la torpeur matinale. L’infusion de thé fume, envahissant le halo de lumière du plafond d’un brouillard léger et tiède. Pour m’occuper, je regarde au dehors la nuit qui peu à peu s’ouvre d’une mystérieuse blessure, comme une fente dans sa chair, et laisse apercevoir la ligne d’horizon, qui se réduit à une dentelle d’arbres au loin, dans un pays encore inconnu des dormeurs.

Impatient, je hume les effluves sortant de la tasse, me rapprochant de celle-ci jusqu’à la toucher délicatement, du bout des lèvres, prudemment, comme un baiser sur la joue d’un enfant, dont l’odeur aigre est la conséquence de ses jeux endiablés dans le jardin. Mais la puissante chaleur de la boisson m’incite à une grande prudence, comme la crainte et le désir de toucher un cadeau qui ne vous a pas encore été donné. Attendre encore un peu que je puisse tremper mes lèvres dans ce breuvage odorant, odeur sucrée de feuilles et de fruits sur laquelle traine malgré tout le goût du foin en juillet à la tombée de la nuit, mais de manière presqu’imperceptible. S’il est trop chaud, le liquide ne laisse plus diffuser ce parfum qui est remplacé par une impression de brûlure. Attente donc, avec un regard sur le levée du jour, comme un halo dans une vision trouble parce qu’indéfinie en raison du manque de clarté.

Reprise de la tasse, les doigts sur le haut de la courbe, à l’endroit où se posent les lèvres, en raison de la chaleur extrême de sa cavité arrondie et plus encore de son fond qui repose sur la table et y laisse une empreinte de vapeur faite de petites bulles très légères, qui éclatent autour des poussières déposées sur l’horizontalité du bois. Je trempe les lèvres sur la surface du liquide ocre rouge, aux reflets parfois orangés, frontière entre l’air et l’eau, infime partition des éléments dont on a du mal à définir l’exacte lieu du passage entre l’un et l’autre, jusqu’à ce qu’à l’aspiration ténue, je sente monter vers le palais le parfum odorant des fruits chauds avec cet arrière goût d’herbes sèches qui restent le souvenir de ces premières gorgées, à l’aube, au sortir de l’hiver. Je ferme les yeux et me laisse pénétrer par cette lente ouverture intérieure qui empoigne l’être lorsque l’invisible se dévoile subrepticement quand on ne l’attend pas. Alors éclate une nouvelle appréhension de la vie, de ces instants privilégiés du matin, qui donne au jour nouveau un goût d’inattendu et de pourtant connu. Ce n’est pas la madeleine de Monsieur Proust, mais la joie toujours renouvelée d’un instant où tout bascule vers un monde où l’intérieur et l’extérieur se confondent dans une même vision de plénitude ressentie intégralement.

Mais le thé est encore trop chaud pour être réellement bu. On n’en saisit que quelques subtiles impressions qui ne peuvent se transformer en félicité. Frontière indescriptible, parce qu’inappréciable physiquement, entre le moment où le thé est encore trop brûlant pour être bu en chaleureuses gorgées et déjà trop refroidi pour être apprécié dans l’intégralité de son arôme. Ce moment passe sans que l’on prenne conscience de son passage, et, soudain, le thé devient un breuvage comme les autres, que l’on boit par habitude parce qu’il faut boire quelque chose le matin avant de faire sa toilette et de se vêtir des vêtements appropriés à ce qui est projeté de faire. On le boit alors à grandes gorgées, tentant de retrouver la senteur paradisiaque dont on s’était promis de jouir lorsqu’il était encore brûlant. Et bientôt, reposant la tasse déjà tiède sur la table, on ressent une impression d’absence au plus profond de soi, comme un rêve que l’on a laissé filer par inadvertance ou besoin de sommeil. Alors l’on se lève, encore un peu alourdi par les restes de sommeil, mais surtout par cette insatisfaction que l’on ne peut maîtriser : trop chaud, trop tiède, où se trouve le juste milieu ?

 

18/03/2011

Mandala

 

Le terme Mandala signifie « cercle ». Plus largement, un mandala est un support de méditation, composé de triangles, de carrés et de cercles imbriqués qui modéliserait notre nature profonde de manière inconsciente.

En fait, il représente l’ordre du monde avec ses quatre points cardinaux et laisse apparaître plusieurs plans successifs qui correspondent à nos diverses personnalités. Le centre du mandala représente l’unité fondamentale de l’être autour de laquelle se construisent ces différents moi.

D’après C.G.Jung (1875-1961), le mandala symbolise, après la traversée des moi, la découverte du noyau spirituel de l'être, le Soi, aboutissant à la réconciliation intérieure et à une nouvelle intégrité de l'être.

 

  

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17/03/2011

Un tableau, c’est une sorte de prière

 

Un tableau, c’est une sorte de prière qui naît de la contemplation de la beauté du monde. Quel qu’il soit, son dessein est toujours d’exprimer cette beauté à travers une multitude d’impressions et d’expressions. C’est la prière du simple, une prière manuelle. Mais elle nécessite une attention intense du corps et de l’esprit entièrement tendus vers l’œuvre à réaliser. Tension difficile à vivre, car elle n’a d’achèvement qu’au sortir d’un processus de transformation intérieur qui conduit de l’insatisfaction existentielle à la plénitude hors du monde matériel. L’artiste n’a pas conscience de cette transformation lorsqu’elle se produit. Ce n’est que plus tard, lorsque l’apaisement interrompt le processus, qu’il concède cet allègement et y trouve le bonheur de la création.

Le tableau achevé apporte un goût de joie et de paix. On ne peut bien peindre que sous l’emprise de l’infini, c’est-à-dire après avoir ressenti l’insuffisance du bonheur matériel ou la nécessité de s’élever à un bonheur autre. « Participant de la création », tel est l’objectif final de l’artiste, le plus souvent inconsciemment.

Cette création est offerte à tous, librement. Mais pour l’apprécier, en tant que public et admirateur, il faut soi-même se recréer, s’ouvrir, quitter son habit terne, pour permettre la reconstruction d’une réalité nouvelle, celle que nous donne l’artiste.

 

« Quel que soit sa manière et quel que soit son sujet, un artiste s’exprime toujours avant tout soi-même (…). Il nous confesse sa sensualité ou son goût du spirituel, la sensibilité de ses yeux ou l’intensité de ses visions ; il nous montre sa fougue ou sa réserve, sa poigne ou sa délicatesse, son orgueil ou son humilité, la passion, les tourments ou la paix de son âme. Et ses œuvres contiennent non seulement ce qu’il avait décidé d’y mettre, mais aussi ce dont il les a chargées inconsciemment, ce qui s’est exprimé obscurément par le travail de sa main. Il y est engagé à la fois comme individu et comme membre d’une société, comme représentant d’une époque. »

 (Joseph-Emile Muller, L’art moderne, Librairie générale française, 1963)

 

 

16/03/2011

L'engrenage

 

Réminiscence du "troisième homme", film de Carol Reed, dont la musique géniale et entêtante, ainsi qu'un décor extraordinaire d'égouts et de ruines dans la capitale autrichienne lui donnent une atmosphère unique. Réminiscence aussi du roman de Franz Kafka, "Le procès" (The trial), mis en scène par Orson Welles en 1962, avec Anthony Perkins. 

Linogravure réalisée entre le décor du film, au premier plan, et un fond de paysage marin ouvrant sur l'infini pour montrer qu'au delà de la condamnation et de l'enfermement, chaque homme reste libre en lui-même.

 

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15/03/2011

Cet instant imprévu et subtil

 

Cet instant imprévu et subtil,

Quand la grisâtre odeur d’un ciel d’hiver

Dresse devant nous le souffle

D’un irréel sentiment d’ouverture,

Comme une respiration dans l’air

Ou une apnée prolongée et opacifiante.

Alors, transformation du paysage !

Le vert devient rouge, le jaune se détache

De murs sales et fripés d’ombres.

J’ai par magie laissé le poids

D’années lourdes des tracasseries

Des professionnels de l’ennui,

Du travail méticuleux et attachant,

D’obligations impératives

Et de contacts permanents

Avec les autres fantômes

D’un système qui tourne sur soi-même.

 

Aujourd’hui, devant moi,

S’ouvre la consistance du rêve,

La palpable vertu de l’inconnu.

Comme un aveugle les bras tendus,

Je cherche, au devant, dans l’obscurité,

La faible caresse de l’inavouable.

Perception d’un instant unique,

Celui d’un achèvement prévu,

Attendu et confondu parmi les songes,

Pour une renaissance émerveillée

A l’instant éternel et envoûtant

D’un jour semblable aux autres,

Comme une brume d’enthousiasme

Sur la pâleur du monde.

 

 

14/03/2011

Vivre en contemplation

 

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Vivre en contemplation,

N’est-ce pas se contempler soi-même,

N’est-ce pas se regarder dans le miroir

De l’étang qui lui-même reflète l’éclat du soleil ?

 

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J’examine mes sensations diverses,

Je les analyse selon les rencontres,

Celle d’un éclat reflété sur l’eau,

Celle d’un cri dans le silence du vent,

Celle d’un canard qui s’envole à mon approche.

Et de tout cela je me construis,

Je me reconstruis, brisé en mille morceaux,

Pour franchir le miroir des souvenirs

Jusqu’au silence bienfaisant de l’absence de pensée.

 

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Au loin, derrière l’étang, dans les bois,

Des enfants jouent bruyamment.

J’entends leurs cris étouffés,

Des bribes de paroles et de rires,

Sans pouvoir discerner le lieu de leur présence.

Puis à nouveau, le silence,

Entrecoupé d’un tressaillement de moteur

Et prolongé par le frémissement de la bise.

 

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Silence. L’eau même s’immobilise

Et se pare de petits scintillements

Qui constituent autant de reflets

Des pensées qui partent au fil de l’eau.

 

 

13/03/2011

Le mystère de la mort

 

La mort est un mystère, mystère qui effraie et qui attire. Elle nous pose la question de notre propre mort et par là même de notre propre vie. A l’abri de nos certitudes et des barrières que nous élevons, nous refusons souvent de constater que, nous aussi, nous pouvons mourir demain. Constat d’adulte que nous ne sommes pas prêts à faire, car il implique le regard sur la vie, sur ma vie. Suis-je prêt à mourir ?

Chacun de nous est à chaque instant confronté à deux tendances profondes qui influencent inconsciemment ses actes :

        D’une part, la pesanteur de notre condition humaine, biologique, pourrait-on dire. Elle nous incite à vivre sur l’acquis, l’avoir, à rechercher sans cesse une stabilité matérielle qui, nous le pensons, nous permet d’échapper au temps et au changement.

        D’autre part, la réalisation de notre vocation humaine, c’est-à-dire ce qui, en nous, nous pousse sans cesse à nous dépasser, à lutter contre la pesanteur. Chacun de nous ressent en lui, plus ou moins consciemment, ce besoin qui fait la grandeur de l’homme. Il est enfoui au plus profond de nous-mêmes, souvent caché, ignoré ; mais a été à un moment ou à un autre, ressenti. C’est l’appel de notre jeunesse à nous dépasser, à créer en nous et autour de nous un monde nouveau, à renouveler la vie en nous et autour de nous. C’est en cela que la vie devient plus forte que la mort, c’est en cela que l’être, en nous, se réalise.

Nous n’avons pas souvent conscience de cette lutte intérieure. Nous sommes entraînés par le mouvement du monde qui nous anesthésie. La mort d’un proche nous réveille et nous pose la grande question, celle de la mort, et, en corollaire, celle de la vie.

Je crois que la seule attitude possible est celle de l’acceptation : acceptation de notre condition humaine (nous sommes mortels à tout moment), mais dans le même temps, acceptation active de notre vocation humaine : faire fructifier la petite flamme qui, en nous, nous pousse, presque malgré nous, à nous dépasser. L’une ne va pas sans l’autre : comment accepter notre condition humaine sans savoir qu’on pourra s’y réaliser, comment réaliser notre vocation humaine sans accepter notre condition humaine.

Alors, quelle est cette vocation ?

Elle est dans sa propre réalisation, différente pour chacun, puisque chaque être est unique. Mais elle procède du même esprit pour tous.

En effet, l’existence se vit sous deux aspects :

        Un aspect extérieur : notre vie visible par les autres, qui s'étend à notre activité professionnelle, notre vie familiale, nos responsabilités sociales. Lorsqu’on est jeune, c’est cet aspect qui nous semble le plus important. A travers lui, on cherche à changer le monde. Il est source de satisfaction, de joie, d’instants de bonheur même, mais on y trouve également difficultés, soucis, peines.

        Un aspect intérieur : le jour où l’on comprend que réaliser sa vocation d’homme est infiniment plus subtil, que cela dépend moins de ce qui nous arrive que de la manière dont on l’appréhende et dont on le vit. Alors, on accepte le monde tel qu'il est et non tel que nous le voulons. On accepte notre condition d’homme et on commence à s’y réaliser. On ne voit pas seulement le combat que l'on mène par rapport à lui, mais aussi sa beauté. On entre en harmonie avec lui.

Réaliser sa vocation humaine, c’est entrer en harmonie avec les autres, tous les autres et non seulement ceux pour lesquels nous avons de la sympathie ; c’est également entrer en harmonie avec soi-même. Alors se révèle sa propre réalisation : l’homme fait l’expérience de l’invisible derrière le visible. Il découvre que l’au-delà et l’ici et maintenant sont une seule et même chose, que l’extérieur et l’intérieur sont un. Une joie profonde l’envahit.

C’est donc le sens que l’on donne à sa vie qui permet d’accepter la mort au moment où elle vient.

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12/03/2011

Concerto pour violon et orchestre « A la mémoire d’un ange », d’Alban Berg

 

http://www.ina.fr/art-et-culture/musique/video/PHF0700941...
http://www.ina.fr/audio/PHF07009199/alban-berg-concerto-p...

 

Ce concerto emprunte à la fois à la musique tonale et à la musique sérielle. Alban Berg était élève d’Arnold Schoenberg, l’inventeur du dodécaphonisme, nouvelle technique de composition musicale fondée sur les douze notes de la gamme chromatique, mais auquel il donne une égale importance ou, pour le dire autrement, aucune ne sert de tonique ou de finale. De plus, aucune note n’est répétée dans l’audition de la série. Certains ont également appelé cette forme musicale l’atonalité. Cependant, afin de créer des variations dans l’énoncé de la série musicale, celle-ci peut être exploitée de différentes manières :

. Dans sa forme originelle, également appelée forme droite ;

. De manière rétrograde, c’est-à-dire en reprenant la série de la dernière note à la première ;

. En renversement, série dans laquelle tous les intervalles descendants deviennent ascendants et vice versa, aussi appelée forme miroir ;

. En rétrograde du renversement.

Ces quatre formes peuvent se transposer sur les douze degrés de la gamme chromatique, ce qui procure 48 séries (4x12) utilisables dans une même structure originelle.

Dans le concerto pour violon et orchestre d’Alban Berg, c’est une série de douze notes alternant des accords mineurs et majeurs et finissant par une gamme par tons dont les quatre notes correspondent à un choral de Bach. La série des neuf premières notes est donc construite d’accords de Sol mineur, Ré majeur, La mineur et Mi majeur, avec les accords de septième qu’elle contient.

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La construction architecturale de concerto est encore plus intéressante : l’innovation du concerto en deux mouvements est motivée par une remarquable finesse psychologique et non par le désir de paraître original. De par sa dédicace, « A la mémoire d’un ange », cette œuvre se devait d’être plus ou moins descriptive. Mais au lieu du récit musical, Berg entend dégager le portrait spirituel de la jeune Manon Gropius qui mourut en 1935 des suites d’une paralysie de la colonne vertébrale provoquée par une poliomyélite. Ainsi le concerto est une sorte de requiem donnant l’essence de l’âme de la jeune fille telle qu’elle lui apparut dans sa vie comme dans sa mort.

Le Concerto est en fait une symphonie en quatre mouvements, divisée en deux parties, et les mouvements se suivent dans un ordre très informel : andante -- allegretto -- allegro -- adagio. Chaque partie a son unité expressive introduisant le contraste qui peut exister entre la vie et la mort.

 

Après une série d’arpèges énonçant la série dodécaphonique, d’abord sur le violon, puis accompagnés par l’orchestre, apparaît un rythme funèbre très bref évoquant la "marche funèbre" de Chopin, avant de revenir à l’énoncé formel, pour peu de temps, de la musique sérielle. En réalité, l’intérêt de ce concerto tient à son entremêlement des deux styles de musique, sériel et tonal. La musique est tendre, évocatrice du caractère de Manon que l’on devine en demi-teinte, avec parfois des moments de gaité, ceux d’une jeune fille qui rit de la vie pour ensuite revenir au sérieux des adolescents qui savent qu’ils ne vivront que peu de temps. C’est à un voyage dans sa pensée, ses sentiments que nous convie le violon en opposition ou en accompagnement de l’orchestre. On y distingue des moments de cafard, d’autres de souvenirs ou de rêveries, toujours dans une sérénité profonde malgré l’angoisse de la maladie. Parfois l’on distingue l’espièglerie de Manon, d’autres fois sa révolte. Cette première partie est une peinture des sentiments, assez exceptionnelle de simplicité et d’élévation.

La seconde partie est plus tragique, plus annonciatrice de l’inéluctable, comme un vent de fureur effaçant la paix de la première partie. On remarque cependant des moments de quiétude, mais sans sérénité, comme des instants de reprise du souffle avant de se laisser réinvestir par l’inévitable. Dans cette deuxième partie, l’orchestre apporte l’atmosphère trouble de l’emprise extérieure sur la réalité intérieure de Manon. Il se déchaîne parfois avec les percussions, comme un grand coup de tonnerre. Puis il se fait tendre, en écho du violon. Et l’on se rapproche lentement de la fin, dans une lente montée entrecoupée de respirations, avec plus de cuivres pour en mettre en évidence le côté tragique. Parfois le rêve revient, lente conjuration contre l’instant fatal, comme un souvenir du passé et une invitation à un autre avenir, différent, inconnu. Après un tendre solo de violon, ultime pensée de la jeune fille, le dernier souffle se prolonge sur une seule note jusqu’à l’épuisement.

 

 

11/03/2011

Christ en majesté

 

Peindre une icône est un geste engageant. En effet, l'icône se veut image de l'invisible, et même présence de l'invisible. Il s'agit ici d'un Christ en majesté, conservant les caractéristiques icônographiques du moyen-âge occidental. Il est peint à l'huile, mais sans la préparation avec toile et levkas et sans détrempe à l'oeuf. J'ai particulièrement soigné son vêtement de lumière qui contraste avec une peinture  plus naïve du reste.

Le Christ pantocrator est un Christ en gloire, c'est-à-dire la représentation de Jésus-Christ dans son corps glorieux par opposition aux représentations plus humaines du Christ souffrant la Passion sur la Croix, ou celle de l'Enfant Jésus. Il est représenté adulte, barbu, avec les cheveux longs. Il tient, dans sa main gauche, le livre des Evangiles et, esquisse un geste de bénédiction de la main droite, ses deux doigts tendus symbolisant la double nature, humaine et divine, du Christ.

Le Christ en majesté, autre forme du Christ en gloire, se distingue du Pantocrator par une représentation du corps complet du Christ, debout ou assis sur un trône au centre d'une mandorle : c'est la représentation privilégiée par l'Occident médiéval, en particulier sur les tympans des églises romanes et gothiques aux XII et XIIIème siècles.

 

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10/03/2011

Le théâtre d'Armand Salacrou

 

Un dialogue sur la vie, tel est le théâtre de Salacrou dont l’œuvre pourrait se définir par les deux termes de « confession » et « passion ».

Son théâtre est obsessionnel :

_ Qu’auriez-vous aimé être ?

_ Dieu, pour comprendre l’univers et le sens de la vie.

Salacrou cherche à surprendre la réalité profonde. Le dieu qu’il évoque est le symbole d’une explication du monde dont elle dissiperait, à ses yeux, l’absurdité. Car ce qui domine son théâtre, c’est ce sentiment d’absurdité de la vie, d’irrévocable comme la mort ou l’amour. L’amour est ici une force irrésistible, fatale qui justifie tout dans une société sans morale. C’est un mystère, plus encore que la mort.

Aussi ses personnages semblent romantiques, par le regret du passé, des illusions perdues, d’une destinée espérée et qui a fui peu à peu, et par une recherche de l’évasion. « Je cherche quelque chose qui me dépasse, qui soit plus grand que moi, qui me surprenne, qui m’enlève. »

  Mais ce romantisme aspire à un classicisme, à un ordre qui lui permette d’établir des principes. « Ce n’est pas la découverte psychologique qui m’intéresse, mais l’éclairage nouveau des objets présentés. Ce n’est pas la vérité, mais l’ordonnance. Son ambition est de promouvoir un ordre, d’apparence extravagante peut-être, mais un ordre enfin révélé qui explique et justifie l’univers personnel. »

 Salacrou procède par le rapprochement d’éléments vrais, documentaires, et de visions imaginaires, d’envolées verbales, de morceaux de bravoures lyriques. Si son théâtre est plein de jeunesse et de pureté, il est aussi tragique : ses personnages, dans leur désir frénétique de justifier leur existence, refusent les facilités, les dérobades devant les vraies problèmes, la lâcheté surtout. Ils éprouvent trop cruellement le poids de fautes passées et de la vieillesse.

Toutefois, le théâtre de Salacrou est avant tout un théâtre de verbe et de réflexion. Les étonnantes visions qu’il propose au public ne sont pas tant dans le spectacle lui-même que dans le jeu individuel de l’imagination que son texte provoque chez le spectateur.

 

  L’inconnue d’Arras

 L’inconnue d’Arras est une des plus belles et plus puissantes inventions du théâtre moderne. La rencontre d’Ulysse mourant avec les figures de son passé atteint des moments extraordinaires. Ulysse se tue pour l’amour de sa femme Yolande qui le trompe avec son meilleur ami s’enfance, Maxime. Le temps de la pièce est le temps de la seconde qui précède sa mort, pendant laquelle il revit ses souvenirs un par un.

Si Ulysse a la surprise de découvrir en la personne d’un jeune soldat (son cadet) le grand père tué pendant la guerre de 1870, celui-ci a la désillusion de voir apparaître sous les traits d’un vieillard, la petite fille qu’il avait espéré avec sa femme enceinte.

L’opposition du Maxime de vingt ans au Maxime de 37 ans concrétise, avec une rigueur incroyable, l’antagonisme de l’adolescent plein d’un idéal intransigeant et de l’homme mûr complaisant qu’il est devenu, avec ce regret de Maxime 20 : « et penser que mes enfants ne me connaîtront jamais. »

Autre image poétique, celle du nuage bourdonnant qui environne Ulysse mourant, qui n’est que les paroles qu’il a prononcées durant sa vie qui reviennent et dont l’amoncellement a soudain quelque chose d’effrayant : « Chasse toutes ces petites mouches bavardes, crie Ulysse à Nicolas, écrase mes paroles… »

Nicolas, le serviteur d’Ulysse, est le raisonneur du théâtre de Salacrou : « Avez-vous jamais vu deux langoustes essayer de se caresser, puis partir bras dessus, bras dessous, comme à la noce ? Aussi grotesques, aussi maladroits sont deux êtres de notre race qui cherchent à s’aimer. »

Et cette inconnue rencontrée par Ulysse à Arras. Personnage fugitif, entrevu à peine une heure, mais dont la présence demeure la plus forte, la plus émouvante, la plus vraie. C’est que Salacrou a le génie d’exprimer dans la silhouette de cette jeune fille égarée avec son propre malheur, au milieu du malheur universel, toute la peine et tout l’espoir de l’homme. Il a imaginé un mythe de la fraternité.

 

L’archipel Lenoir

L’archipel, c’est la famille Lenoir et chaque membre une île isolée entourée de liqueur, comme le dit humoristiquement Victor. Chacun ne pense qu’à soi, à sa respectabilité et à celle de l’archipel. L’archipel, c’est la famille, le nom des Lenoir, indivisible bien que formée de petits morceaux. Qu’une des îles disparaisse pour que l’archipel reste en bonne place sur la carte mondaine, voilà qui ne dérange pas les membres de la famille. Le grand-père, ayant violé une gamine après soixante-treize ans de vie exemplaire, et appelé pour être jugé, se voit condamné par le reste de la famille qui ne veut pas voir ternir son nom.
Salacrou engage ici un dialogue sur l’absurdité de la vie, dont le raisonneur est le prince Boresku qui se trouve en dehors du drame. Il fait aussi le procès de la morale bourgeoise pour qui tout est autorisé si le monde n’en a pas connaissance. Et plutôt que de subir un procès infamant, elle préfère mettre fin au jour du fautif.
Le deuxième titre, il ne faut pas toucher aux choses immobiles, explique le déroulement du conseil de famille, plein d’humour et d’incidents, chacun reprochant à l’autre des actes qui jusqu’alors étaient restés dans l’ombre. Dans chaque famille, il est des eaux troubles et immobiles qu’il ne faut pas remuer.
Après des épisodes pleins de philosophie humoristique, les choses s’arrangent grâce au domestique qui parait le seul être raisonnable de la pièce.

Le prince :
_ Non, Monsieur Lenoir, vous n’êtes pas dans un cauchemar. A moins que vous en considériez la vie, l’ensemble de notre existence, le passage de l’homme sur terre, comme un cauchemar. Alors, là, nous sommes tous en plein cauchemar depuis l’instant où nous avons compris que nous étions vivants. Vous souvenez-vous de l’instant précis où tout à coup, petit garçon, vous avez eu cette révélation : Je suis vivant, j’aurais pu ne pas exister, et je vais mourir.
 Non ? Moi si. Et je me suis évanoui. C’était une charge intolérable sur les épaules de ce petit garçon.

Le grand-père :
_ Quand on déroule ses sentiments à l’envers, on comprend que l’amour, çà s’invente.

La princesse :
_ Il y a des idées immobiles auxquelles il ne faut pas toucher, sinon elles se mettent à remuer et s’en est fini de notre repos. Personne ne peut plus les calmer.

Le prince :
_ Méfiez-vous d’en arriver à croire que les choses doivent être faites pour cette seule raison qu’il vous est difficile de les faire. La morale des courageux est aussi aveugle que la morale des lâches.

Le prince :
_ La vie est aussi dangereuse que le poker. On a toujours envie de parier, de tricher, de gagner. Regardez votre vie comme si vous regardiez pour la première fois des joueurs de cartes. Des fous, diriez-vous. Aussi, avec une grande énergie me suis-je efforcé de me désintéresser. Il y a une progression classique : on se désintéresse d’abord des hommes, ensuite des femmes. Enfin, les purs parviennent à se désintéresser d’eux-mêmes. Et j’aimerais le jour de ma mort, mourir totalement désintéressé. Que ce soit, même, le sens de ma mort.

 

 

09/03/2011

Désert vert de la terre

 

Désert vert de la terre en cratères

Je rejoins les recoins de mon embonpoint

Là où rien ne vient des végétariens

Dans le respect de la paix du palais

 

Retour au recours des détours

Invention ou initiation sans humiliation

Vers les jardins, périgourdins ou girondins,

Pour revêtir le souvenir des ronds de cuir

 

Je vous ai vu tous, les jeunes pousses,

Faire reculer les azalées immaculées

Et brandir, sans contredire ni éconduire,

Les mots comme des joyaux infinitésimaux

 

Enfin avec la faim du matin sans fin

Quand du lit endormi des délits

Se réveillent corneilles, abeilles et perce-oreilles

Cuisinent les cousines en limousine

 

 

08/03/2011

Promenade campagnarde

 

Laissant la voiture dans un chemin empierré auprès d’une ferme inhabitée, je poursuivis ma route à pied, contemplant la campagne ouverte, aux champs bleutés par un soleil d’hiver, envahie par des haies qui s’étiraient au loin jusqu’à l’abri du regard. Rien, ou presque rien, ne pouvait accrocher l’attention. L’horizon dentelé des bois se détachait sur la luminosité inhabituelle du ciel, comme une lame de glace à la surface de l’eau. J’avançais, affrontant un vent froid, mais la chaleur des rayons bruts du soleil agrémentait le temps d’un bienheureux soulagement. Prenant à droite, vers un chemin qui montait légèrement, tapissé de boutons d’or, mais clos d’une haie d’arbres plus ou moins morts, j’eus la surprise, après une cinquantaine de mètres, de découvrir une longue allée ensevelie sous les arbres dénudés qui s’effilochait dans la lumière à contre-jour en une descente progressive vers un jardin lointain dans lequel on devinait des tourelles, peut-être même des tours.

 

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Cette allée était bordée de deux haies d’arbres aux multiples branches qui se terminaient comme des bras et des mains aux mille doigts s’entrelaçant dans la bise, éclairées par moments des éclats d’un soleil acide et tranchant. Lentement, comme dans une longue promenade au bord d’un fleuve, je descendis le parterre d’herbes et de fleurs, regardant un bouquet de jonquilles poussées dans une végétation desséchée. Arrivé au bout de l’allée, je m’installais au creux du chemin perpendiculaire, abrité du vent par le talus.

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Dans cet abri, je ne ressens rien que le tiède et cotonneux éclat du soleil vers lequel je tends le visage. Sous la couche rouge de Chine de mes paupières, seules existent la chaleur de son disque et la fraicheur du petit vent d’hiver qui agite les branches mortes. Je suis assis sous la butte d’un ancien chemin creux, auprès de jeunes pousses du début de printemps et de quelques jonquilles qui se dressent fièrement. Pas un bruit, sinon celui de ce vent qui court sur la terre et fait bruisser les herbes hautes. Un calme profond s’étend et envahit progressivement l’être. Peu à peu, les idées s’arrêtent devant cette magnifique solitude, comme si j’avais passé les bras, puis le corps tout entier au travers de ce voile rouge pour, par un hasard extraordinaire, regarder, de loin, d’un œil indifférent, cette vie qui souffle et va et vient dans laquelle j’ai l’habitude d’errer. Dans la chaleur du corps et du cœur, je suis, seul, devant une nature immobile et je descends au plus profond de mon être, là où il n’y a nulle pensée, nul sentiment, mais seulement des sensations, des impressions, des titillements du corps qui résonnent en moi et me font vivre intensément. Rien n’est plus immortelle que cette minute.

 

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Mais déjà je ressens dans mes jambes qui soutiennent le poids de mon corps à demi-couché sur la butte, d’indélicats picotements qui m’oblige à me lever et remuer une partie de l’être qui n’arrive pas à goûter les sensations de l’autre partie. Alors, boitant un peu parce qu’une jambe était ankylosée, je repris le chemin du retour, à regret, me retournant parfois pour encore m’emplir de ce chemin irréel comme une invitation vers un paradis qui n’est pas perdu, qui est là, sous nos yeux, mais que nous ne voyons pas, imaginant l’éden comme une île lointaine, inaccessible et intemporelle.

Un arbre, dans sa solitude herbeuse, me tends les bras, ouvert à l’air pur et à la beauté de l’instant.

 

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07/03/2011

Jethsémani

Dans le désert des sentiments humains, Jésus accueille Judas, "mais malheureux l'homme par qui le Fils de l'homme est livré ! Il aurait mieux valu pour lui qu'il ne fut pas né, cet homme-là!"

Peu de temps après, un de ceux qui entouraient Jésus, coupe l'oreille d'un serviteur du Grand Prêtre. Mais Jésus prit la parole : "Laissez faire, même ceci", dit-il, et lui touchant l'oreille, il le guérit.

 "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font." Et cette parole était vraie tant pour les soldats que pour la foule, deux groupes distincts, qui ne se reconnaissent pas, mais qui sont complices de ce qui se passe.

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Ils sont non seulement complices de sa mort innocente, mais également acteurs collectifs, et Jésus devient le médiateur du désir mimétique, qui est désir d'être, comme le démontre très justement René Girard. Cette découverte l'amène à méditer sur la violence, dénouement d'une imitation qui développe les conflits pour s'appropier les objets du désir. Dans "La violence et le sacré", René Girard montre que cette violence, arrivée à son paroxysme,  se focalise sur une victime arbitraire et fait l’unanimité  contre elle. Alors, l’élimination de la victime fait retomber brutalement la fièvre et laisse le groupe apaisé et hébété. La victime apparait à la fois comme origine de la crise et de la paix retrouvée. Elle devient sacrée.

Sortir de cet enchaînement involontaire de cause à effet nécessite un courage individuel qui transforme l'homme et le fait passer de la condition de bête humaine à celle d'homme fait dieu, grâce à la médiation intemporelle de celui qui a expié sur la croix.

06/03/2011

Improvisation

 

Je joue du piano. J’ai fermé la porte du salon, j’ai ouvert le couvercle du clavier. J’attends. Je n’aime pas qu’on écoute ce que je joue au cours des premiers éclats de notes tâtonnantes. Je me trouble, me mécanise et m’égare dans le cheminement des accords. J’attends, je choisis ma position sur la chaise, j’appuie sur les pédales, je caresse les touches. Je m’entoure d’une enveloppe transparente qui englobe le piano. Je me fabrique une tente de solitude. J'entre dans la musique, en frappant à la porte.

C’est étonnant cette capacité de l’homme de s’abstraire du monde pour devenir la musique, la peinture, le sport ou même le jardin ou encore le calcul. Plus rien ne le dérange. Il est entré dans une bulle tiède, dans laquelle les sons résonnent d’une étrange manière, comme dans une cloche au fond de l’eau. J’entends encore les voitures qui passent dans la rue, mais je ne les perçois plus, elles ne troublent pas mon univers qui se réduit à ce piano, dont le bois diffuse les rayons du soleil, l’environnant d’un brillant qui réchauffe l’âme. Je cherche des sons hors de ma mémoire, mais dans les premiers instants d’une improvisation ce sont toujours les accords habituels qui sortent avant de s’égarer vers des mondes inconnus. Progressivement, ils forment une conjonction d’harmonies qui sonnent agréablement à l’oreille, puis d'enchaînements qui leur donnent la puissance de suggestion attendue. Alors ces accords, dans leur déroulement, finissent par donner une mélodie que l’on peut ensuite construire, améliorer jusqu’à ce qu’elle prenne sa place première et frappe le cœur d’un pincement de beauté qui emplit la bulle d’émotion. Parfois, la mélodie s’impose d’emblée, comme une phrase qui subitement, dans la construction d’un poème, s’impose à la pensée. Alors que cette phrase musicale se déroule seule dans la tête, les mains progressivement construisent autour d’elle le décor, un environnement musical qui donnera l’ambiance harmonique. Lentement, je rentre dans l’improvisation et me donne à l’intense joie d’enchaînements d’accords, de variations, de changement de modes, pour toujours revenir à l’impression initiale ou qui s’est progressivement construite, une mélodie simple que j’ai déroulée à l’extrême de mes possibilités. Elle retourne à sa forme primitive pour le plaisir d’en goûter à nouveau la sonorité, la sensation encore inédite de cette source d’eau fraiche qui coule à sa manière jusqu’au moment où elle est intégrée. C’est cette petite phrase de notes qui constitue la clé de l’improvisation parce qu’elle se construit autour d’elle. Bien d’autres éléments lui donneront la brillance, le charme, la force, la tristesse ; mais cette petite phrase est le centre de ce travail de l’émotion sans quoi la musique ne serait qu’un attrape-cœur. Cet univers de sons me prend tout entier jusqu’à l’instant de lassitude. Alors, à regret, mais empli de couleurs sonores, comme dans un musée des sons, je laisse le clavier refroidir, les dernières vibrations encore perceptibles, et poursuis dans le monde intérieur l’étrange périple d’une bulle créée de toute pièce.

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J’appris les notes au lycée dans la monotonie des dictées musicales. C’était un jeu pour moi, une devinette, une échelle dont on doit connaître chaque barreau et sa place par rapport aux autres. En rentrant le soir à la maison, je m’installais au piano, sur un annuaire de téléphone. Le son d’une note me fascinait, l’enchaînement mélodique de plusieurs me ravissait. J’appris progressivement à jouer à deux mains. Je m’appliquais. Il me fallut longtemps pour rendre indépendante la main gauche de la main droite. Il fallut également maîtriser la clé de sol, puis la clé de fa. A chaque nouveau signe inconnu, je cherchais dans le dictionnaire, jusqu’à assimilation. Et cette maîtrise très lente me donna des joies simples. Je me « donnais du ciel » dans ces instants où rien ne peux venir vous troubler. Le musicien n’est pas seul à pouvoir entrer ainsi dans ce ressourcement. Le peintre, le sculpteur, le sportif et toute personne qui se passionne intimement, et non superficiellement, ressent ces instants de plaisirs subtils, personnels et intransmissibles pendant lesquels un courant d’air frais vient caresser son visage et l’invite au voyage dans l’inexprimable.

En jouant, je regarde les vitres de la fenêtre en face du piano. Je regarde une vitre, celle qui a des défauts. C’est la perception du mur de la maison d’en face qui est la clé de mes pensées. Chaque verre a un défaut qu’on ne perçoit pas lorsqu’on le regarde. Mais il suffit de bouger un peu la tête pour voir l’image derrière le verre prendre de nouvelles formes. L’image ondule, flotte dans l’air, se rétracte, respire comme un être vivant. La maison d’en face n’est plus un mur sale, avec des fenêtres et des volets, des coins d’ombre et de lumière, elle devient une mer démontée, une plante qui pousse, une figure de style. Chaque forme de la maison d’en face varie avec la musique, avec son mode, avec le rythme de l’accompagnement. Elle évolue aussi selon la position de la tête qui change en fonction de celle des mains, un forte de la pédale retentit sur la perception de l’image plus encore que celle de la tonalité. L’image de la maison d’en face devient la ligne mélodique, le livre où je lis la portée. J’y trouve selon sa vibration, selon l’état de l’air, le pianissimo ou le forte des impressions. Ce n’est plus la réalité, ce n’est pas le rêve, c’est une sorte d’hypnose qui émane de la façon du verre.

 

 Du rêve à la réalité : Ce piano à queue, dans un état dégradé, était mystérieusement apparu le 1er janvier 2011 sur un petit banc de sable dans la baie de Biscayne, légèrement au sud de Miami (Floride, sud-est), sans que les autorités ne puissent expliquer les raisons de cet échouage peu banal.

 

 

05/03/2011

Comme l’âme dépareillée des marins

 

Comme l’âme dépareillée des marins ensevelis en terre,
Chaque pierre a son éloquence. Il y a la pierre du fou
Et celle du bienheureux. Celle de la tristesse  et celle de l’opulence.
Les unes ont la densité de l’espoir ou la corpulence du crime,
d’autres la légèreté de l’ignorance ou la beauté de l’inconséquence.
Et chaque caillou sur le chemin montant vers le cimetière
S’arrondit lentement au pied des foules compassées
Qui y montent tristement, aussi lourdement que la douleur,
Pour redescendre joyeuses et plus légères d’insouciance
Vers le petit bistrot des âmes disparues au pied de la colline.

Lentement les âmes s’usent aux années plus rugueuses
Comme la corde d’amarrage des navires sous le sel.
Et un jour elles se détachent en petits cailloux brisés
Qui s’en vont un à un, le long du chemin,
Pour renforcer l’asphalte rectiligne et éternel
Jusqu’à l’arrêt de la mécanique humaine.

 

 

04/03/2011

Cheminement chaotique

 

Cheminement chaotique de l'imaginaire dans le rêve :

 

 

 

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03/03/2011

Dans le désert plat de l’imagerie télévisuelle

 

Dans le désert plat de l’imagerie télévisuelle

Que n’ai-je vu de beautés factices

Dédiées aux plus choquants des prêtres,

Ceux d’une publicité criante ou de jeux tapageurs,

Ou encore aux vertus de voitures carrossées

Par le dernier éphèbe en délire du jour ?

Que n’ai-je vu aussi, de guerres sanglantes

Et de soldats perdus pour un pouvoir obscur

Ou encore de rires émouvants et fragiles

De jeunes adolescentes effarouchées

Un soir de grisante veillée au bar délétère ?

 

Oui, j’ai contemplé

La noirceur des meurtres en série,

Le bleuissement des rêves enivrants,

Le jaunissement des fins d’une vie,

Le verdoiement des explorations perdues,

La griserie des fêtes mondaines,

Le brunissement de papyrus en miettes,

L’écarlate des bouches de femmes,

L’orangeté des délires printaniers

Dans l’étrange chambre de nos vingt ans,

Le vermillon des petits pas menus

Des danseuses chinoises aux pieds bandés,

La pâle blondeur des cheveux de reines,

Le bref éclair des couteaux affutés

Dans les rues inconnues de villes lointaines,

Jusqu’aux évanescentes rencontres

De sordides réseaux en mal de reconnaissance

Par des enfants insoumis et brutaux.

 

Parfois, vient un instant de pur délice,

Comme l’ombre de Dieu sur le ciel assombri,

Qui éclaire d’un reflet étincelant

Le lent cheminement de l’âme

A la recherche d’un plaisir sain.

Alors s’attardent les cœurs endurcis

Et les intellects obscurs et sordides

Pour contempler, fruit du pur hasard,

L’apparition attendue d’un désert sans fin

 Où rien ne se passe hors du silence des sens.

 

02/03/2011

Souvenir lointain

 

La nuit, quand je ne pouvais dormir, peut-être parce que je n’étais pas assez fatigué ou que la fatigue déclenchait irrémédiablement le souvenir de chacun des mouvements du corps que j’avais fait dans la journée, je regardais, dans la torpeur irrésistible et insuffisante que donne l’approche du sommeil, mais qui n’est pas encore celle du sommeil, le couvre-lit qui protégeait les couvertures de la poussière, irisée par le soleil du matin, que soulevait ma mère en faisant un ménage méticuleux et soigné.

Ce couvre-lit éveillait en moi le souvenir d’années lointaines où, petit garçon épris des caresses de ma mère, ou plutôt de la douce et tiède odeur que dégageait son lit le matin quand je venais l’embrasser par un besoin irrésistible qui me faisait sortir de la chaleur bienheureuse de mon lit, je venais me blottir dans ce havre de paix, essayant vainement de mettre en contact le maximum des parties de mon corps avec le grain rude et perceptible de son tissu usé par le frottement de nos ébats enfantins. Le plus souvent, ma mère s’étant levée et préparant l’instant sacré et tant attendu du petit déjeuner dont nous n’entendions pour le moment que le cliquetis des cuillères sur les soucoupes et le grincement de l’armoire où se trouvaient les tasses, nous sautions avec mes frères sur le lit pour retomber dans les plis mystérieux du couvre-lit. Alors, le nez enfoui dans le vallonnement que faisaient les côtes du tissu dont j’apercevais chacun des fils de laine qui sortaient en chevelure brouillonne de ces vallées allongées côte à côte, je regardais l’entremêlement des fils roses et blancs retenus et soudés par d’autres fils de la même couleur et qui avait pris dans le vieillissement de l’usage la couleur de ce saumon qui m’avait émerveillé le jour du mariage d’une de mes cousines quand il reposait  comme un jouet tendre et coloré dans la blancheur de l’assiette entre deux demi-lunes dorées qui se rejoignaient en auréoles dans le cercle délicat et parfaitement défini de la porcelaine.   

J’aurais pu rester de longues heures ainsi étendu, les mains enfouies sous le pli que faisait le couvre-lit rabattu vers les pieds pour laisser apparaître la fraicheur du drap (et l’envers du couvre-lit par sa construction moins riche en fil rose me paraissait être la couleur du saumon vivant quand on le découpe cru en filets allongés) si je n’avais pas préféré pénétrer lentement dans la chaleur des draps imprégnés du souvenir de l’odeur unique des joues de ma mère. Je m’y blottissais en fermant les yeux comme si la couverture rabattue sur la tête n’eut pas suffi à donner à mon esprit l’impression de repos que je venais chercher. J’abolissais toute notions de temps qui me semblait arrêté puisque je n’entendais plus le mouvement du réveil qui était mon ennemi quand je venais ainsi retrouver le bonheur d’encore plus jeunes années où, malade, ma mère m’avait installé dans sa chambre à côté de la cheminée du pétrin que faisait tourner jour et nuit le boulanger du rez-de-chaussée, me berçant de son ronronnement lointain transmis, me semblait-il, par le chaleur de la cheminée que je percevais au toucher du mur blanc.