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10/03/2011

Le théâtre d'Armand Salacrou

 

Un dialogue sur la vie, tel est le théâtre de Salacrou dont l’œuvre pourrait se définir par les deux termes de « confession » et « passion ».

Son théâtre est obsessionnel :

_ Qu’auriez-vous aimé être ?

_ Dieu, pour comprendre l’univers et le sens de la vie.

Salacrou cherche à surprendre la réalité profonde. Le dieu qu’il évoque est le symbole d’une explication du monde dont elle dissiperait, à ses yeux, l’absurdité. Car ce qui domine son théâtre, c’est ce sentiment d’absurdité de la vie, d’irrévocable comme la mort ou l’amour. L’amour est ici une force irrésistible, fatale qui justifie tout dans une société sans morale. C’est un mystère, plus encore que la mort.

Aussi ses personnages semblent romantiques, par le regret du passé, des illusions perdues, d’une destinée espérée et qui a fui peu à peu, et par une recherche de l’évasion. « Je cherche quelque chose qui me dépasse, qui soit plus grand que moi, qui me surprenne, qui m’enlève. »

  Mais ce romantisme aspire à un classicisme, à un ordre qui lui permette d’établir des principes. « Ce n’est pas la découverte psychologique qui m’intéresse, mais l’éclairage nouveau des objets présentés. Ce n’est pas la vérité, mais l’ordonnance. Son ambition est de promouvoir un ordre, d’apparence extravagante peut-être, mais un ordre enfin révélé qui explique et justifie l’univers personnel. »

 Salacrou procède par le rapprochement d’éléments vrais, documentaires, et de visions imaginaires, d’envolées verbales, de morceaux de bravoures lyriques. Si son théâtre est plein de jeunesse et de pureté, il est aussi tragique : ses personnages, dans leur désir frénétique de justifier leur existence, refusent les facilités, les dérobades devant les vraies problèmes, la lâcheté surtout. Ils éprouvent trop cruellement le poids de fautes passées et de la vieillesse.

Toutefois, le théâtre de Salacrou est avant tout un théâtre de verbe et de réflexion. Les étonnantes visions qu’il propose au public ne sont pas tant dans le spectacle lui-même que dans le jeu individuel de l’imagination que son texte provoque chez le spectateur.

 

  L’inconnue d’Arras

 L’inconnue d’Arras est une des plus belles et plus puissantes inventions du théâtre moderne. La rencontre d’Ulysse mourant avec les figures de son passé atteint des moments extraordinaires. Ulysse se tue pour l’amour de sa femme Yolande qui le trompe avec son meilleur ami s’enfance, Maxime. Le temps de la pièce est le temps de la seconde qui précède sa mort, pendant laquelle il revit ses souvenirs un par un.

Si Ulysse a la surprise de découvrir en la personne d’un jeune soldat (son cadet) le grand père tué pendant la guerre de 1870, celui-ci a la désillusion de voir apparaître sous les traits d’un vieillard, la petite fille qu’il avait espéré avec sa femme enceinte.

L’opposition du Maxime de vingt ans au Maxime de 37 ans concrétise, avec une rigueur incroyable, l’antagonisme de l’adolescent plein d’un idéal intransigeant et de l’homme mûr complaisant qu’il est devenu, avec ce regret de Maxime 20 : « et penser que mes enfants ne me connaîtront jamais. »

Autre image poétique, celle du nuage bourdonnant qui environne Ulysse mourant, qui n’est que les paroles qu’il a prononcées durant sa vie qui reviennent et dont l’amoncellement a soudain quelque chose d’effrayant : « Chasse toutes ces petites mouches bavardes, crie Ulysse à Nicolas, écrase mes paroles… »

Nicolas, le serviteur d’Ulysse, est le raisonneur du théâtre de Salacrou : « Avez-vous jamais vu deux langoustes essayer de se caresser, puis partir bras dessus, bras dessous, comme à la noce ? Aussi grotesques, aussi maladroits sont deux êtres de notre race qui cherchent à s’aimer. »

Et cette inconnue rencontrée par Ulysse à Arras. Personnage fugitif, entrevu à peine une heure, mais dont la présence demeure la plus forte, la plus émouvante, la plus vraie. C’est que Salacrou a le génie d’exprimer dans la silhouette de cette jeune fille égarée avec son propre malheur, au milieu du malheur universel, toute la peine et tout l’espoir de l’homme. Il a imaginé un mythe de la fraternité.

 

L’archipel Lenoir

L’archipel, c’est la famille Lenoir et chaque membre une île isolée entourée de liqueur, comme le dit humoristiquement Victor. Chacun ne pense qu’à soi, à sa respectabilité et à celle de l’archipel. L’archipel, c’est la famille, le nom des Lenoir, indivisible bien que formée de petits morceaux. Qu’une des îles disparaisse pour que l’archipel reste en bonne place sur la carte mondaine, voilà qui ne dérange pas les membres de la famille. Le grand-père, ayant violé une gamine après soixante-treize ans de vie exemplaire, et appelé pour être jugé, se voit condamné par le reste de la famille qui ne veut pas voir ternir son nom.
Salacrou engage ici un dialogue sur l’absurdité de la vie, dont le raisonneur est le prince Boresku qui se trouve en dehors du drame. Il fait aussi le procès de la morale bourgeoise pour qui tout est autorisé si le monde n’en a pas connaissance. Et plutôt que de subir un procès infamant, elle préfère mettre fin au jour du fautif.
Le deuxième titre, il ne faut pas toucher aux choses immobiles, explique le déroulement du conseil de famille, plein d’humour et d’incidents, chacun reprochant à l’autre des actes qui jusqu’alors étaient restés dans l’ombre. Dans chaque famille, il est des eaux troubles et immobiles qu’il ne faut pas remuer.
Après des épisodes pleins de philosophie humoristique, les choses s’arrangent grâce au domestique qui parait le seul être raisonnable de la pièce.

Le prince :
_ Non, Monsieur Lenoir, vous n’êtes pas dans un cauchemar. A moins que vous en considériez la vie, l’ensemble de notre existence, le passage de l’homme sur terre, comme un cauchemar. Alors, là, nous sommes tous en plein cauchemar depuis l’instant où nous avons compris que nous étions vivants. Vous souvenez-vous de l’instant précis où tout à coup, petit garçon, vous avez eu cette révélation : Je suis vivant, j’aurais pu ne pas exister, et je vais mourir.
 Non ? Moi si. Et je me suis évanoui. C’était une charge intolérable sur les épaules de ce petit garçon.

Le grand-père :
_ Quand on déroule ses sentiments à l’envers, on comprend que l’amour, çà s’invente.

La princesse :
_ Il y a des idées immobiles auxquelles il ne faut pas toucher, sinon elles se mettent à remuer et s’en est fini de notre repos. Personne ne peut plus les calmer.

Le prince :
_ Méfiez-vous d’en arriver à croire que les choses doivent être faites pour cette seule raison qu’il vous est difficile de les faire. La morale des courageux est aussi aveugle que la morale des lâches.

Le prince :
_ La vie est aussi dangereuse que le poker. On a toujours envie de parier, de tricher, de gagner. Regardez votre vie comme si vous regardiez pour la première fois des joueurs de cartes. Des fous, diriez-vous. Aussi, avec une grande énergie me suis-je efforcé de me désintéresser. Il y a une progression classique : on se désintéresse d’abord des hommes, ensuite des femmes. Enfin, les purs parviennent à se désintéresser d’eux-mêmes. Et j’aimerais le jour de ma mort, mourir totalement désintéressé. Que ce soit, même, le sens de ma mort.

 

 

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