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31/12/2012

La femme qui attendait, roman d’Andreï Makine

Une femme si intensément destinée au bonheur (ne serait-ce qu’à un bonheur purement physique, oui, à un banal bien-être charnel) et qui choisit, on dirait avec insouciance, la solitude, la fidélité envers un absent, le refus d’aimer…12-12-30 La femme qui attendait-Makine.jpg

Ainsi commence ce roman qui tourne autour du corps de la femme, une femme qui refuse de croire à la mort de son fiancé plus de trente ans plus tard. Et ce refus est parfois synonyme de mort. Il se traduit par le froid des paysages, les changements de temps, le bruit de la glace qui tombe des toits. Et d’autres fois, il devient pleine vie, au-delà des apparences, grâce au soleil d’un printemps qui met du temps à venir, à une fleur ramassée dans la campagne.

Et c’est bien à une retraite que nous convie l’auteur, retraite au-delà de la vie, dans cette après-vie, avec de vieilles personnes près de la mort : Elle dort dans une sorte de mort anticipée, au lieu du temps qu’elle a suspendu à l’âge de seize ans, marchant en somnambule parmi ces vieilles qui lui rappellent la guerre et le départ de son soldat… Elle vit un après-vie, les morts doivent voir ce qu’elle voit…

Peu à peu, il apprivoise cette femme, avec douceur, mais désir de son corps. Elle est belle malgré son âge. Elle semble pleine de désirs cachés. Il apprend ses rêves : J’ai attendu le train de Moscou… Cela m’arrive de temps en temps. Toujours presque le même rêve : la nuit, le quai, il descend, se dirige vers moi… Cette fois, c’était peut-être encore plus réel qu’avant. J’étais sûre qu’il viendrait. J’y suis allée, j’ai attendu. Tout cela est déraisonnable, je sais. Mais si je n’y étais pas allée, un lien se serait rompu… Et ce ne serait plus la peine d’attendre… Il apprend à la connaître doucement : Ses paupières battaient lentement, elle leva sur moi un regard, vague et attendri, qui ne me voyait pas, qui allait me voir après le passage des ombres qui étaient en train de traverser. Je devinais que durant cette cécité, je pouvais tout me permettre. Je pouvais lui prendre la main, je touchais déjà cette main, mes doigts remontaient sans peser sur son avant-bras. Nous étions assis côte à côte  et la sensation d’avoir cette femme en ma possession était d’une force et d’une tendresse extrêmes.

Elle finit par se donner à lui, égarée, enfantine en amour, fière de sa condition féminine : Cette femme sûre disparut dès les premières étreintes. Elle ne savait pas qui elle était en amour. Grand corps féminin aux inexpériences adolescentes. Puis une véhémence musculeuse, combative, imposant sa cadence au plaisir. Et de nouveau, presque l’absence, la résignation d’une dormeuse, la tête renversée, les yeux clos, la lèvre fortement mordue. Un éloignement si complet, celui d’une morte, qu’à un moment, me détachant d’elle, je lui empoignais les épaules, la secouait, trompé par sa fixité. Elle entrouvrit les yeux, teintés de larmes, me sourit et ce sourire se mua, respectant notre jeu, en un rictus trouble de femme ivre. Son corps remua.

 C’est un roman poétique, empli de la féérie des saisons de glace, des forêts immenses, des villages sans âme. Et progressivement se déroule l’histoire, dans laquelle l’imagination a autant d’importance que le réel vécu. Un rêve que l’auteur vit de manière très concrète, attaché à de petits riens qui sont autant de construction de la réalité. Il se prépare à repartir, sortir de cette après-vie qui semble la vie normale de ce village de vieilles femmes sur laquelle veille une femme plus jeune, encore désirable. Oui, c’est un beau roman !

30/12/2012

Réminiscence

Réminiscence, perdue dans les plis
D’un cerveau encombré de souvenirs
La lueur d’une inquiétude nerveuse
Comme une puce maligne et agitée
L’image ressurgie de jugements
Abruptes et sans fondement
Comme un aigle volant au-dessus
Du nid douillet des habitudes

Pourquoi t’es-tu donné ainsi ?
Nous avons tous de ces instants
De doute et d’artifices
Qu’en faire, sinon les revivre
Avec le recul de l’âge et du temps
Et reconstituer les heures sombres
De moments oubliés, enfouis, anéantis

Cette armure, construite patiemment
Te protège du passé noire
Fendillée, elle laisse s’échapper
L’odeur pestilentielle des cuisines
D’une vie sombre et inconnue

Nettoyage intempestif des recoins
D’une mémoire défaillante
L’écouvillon fonctionne, agité
Et ouvre des réseaux inconnus
Entre ces vies différentes
Rapprochant ainsi des détails
De liens jusqu’alors inusité
Un son, un goût, une odeur
Et valse la sécurité d’un passé
Bien ancré dans ces certitudes

En volutes de fumée s’échappent
Ces instants honnis et oubliés
Et on s’allège,  on se dégage
On se laisse fumer, plumer
Jusqu’à l’absence et le renouvellement

Oui, on est prêt à tout,
Le cœur léger et ferme
C’est ainsi que nous sommes
Pauvres humains
Comme des oiseaux volant
Dans un ciel dégagé

29/12/2012

Impressions visuelles

Regardez le centre, la petite croix avec un point noir. Vous verrez bientôt apparaître des formes insoupçonnées, un monde imaginaire et mouvant. Et si vous louchez un peu, alors vous verrez bien d’autres formes. C’est un véritable kaléidoscope fabriqué avec de simples rectangles noirs et blancs.

Mais quel travail si l'on sait que ce tableau fait 1,50x1,50m.

 

12-12-17carrectangles.jpg

28/12/2012

Retour à l’intime, la collection Giuliana et Tommaso Setari, à la maison rouge

L’opuscule qui nous est remis à l’entrée précise que cette neuvième collection est une étape hors des sentiers battus. J’ajouterai, pour être plus exact, que c’est un saut dans l’artefact au sens où l’artéfact est un effet (lat. factum) artificiel (lat. ars, artis). Le terme désigne à l'origine un phénomène créé de toute pièce par les conditions expérimentales, un effet indésirable, un parasite. Mieux même, « dans plusieurs domaines scientifiques, un artéfact est un phénomène ou un signal artificiel dont l’apparition, liée à la méthode utilisée lors d’une expérience, provoque une erreur d'analyse » (article Wikipedia). A lire l’opuscule et à voir les œuvres, c’est à peu près ce que l’on ressent.

Avant d’entrer dans la première salle, on voit au bout du couloir une glace sur laquelle est12-12-24 Miroir.jpg reportée une photographie, celle d’un homme des années 50. « Posé à même le sol pour être de plain-pied avec le spectateur, qui partage ainsi l’espace du tableau avec la silhouette anonyme de cet homme au tabouret. L’œuvre intègre à la fois l’espace (environnant) et le temps (les reflets successifs qui s’inscrivent sur sa surface) ». L’effet est intéressant, décoratif même, mais est-ce une œuvre d’art ?

Et je poursuis ma lecture de l’opuscule pensant trouver dans le texte ce que je ne vois pas. Le problème est qu’au fil des descriptions, je ne vois même pas de quelle description il s’agit. Je me rappelle un tableau abstrait de couleur fade, si fade qu’il semblait lavé à l’eau de mer. Mais où se trouve sa description dans le document. Après de nombreuses diversions, je finis par la trouver. « D’abord proche d’une abstraction informelle, elle se démarque à partir de 1965 par son utilisation de matière translucide, le Sicofoil, qui laisse passer la lumière, les motifs d’arabesques, infiniment répétées, que l’artiste rapproche elle-même de l’art islamique dans des couleurs vives… » Zut, cela ne doit pas être cela ! Ah, c’est peut-être cela : « L’énergie qui se dégage du tableau crée un contrepoint à la délicatesse chromatique des œuvre d’Ettore Spalletti…. La couleur prend un aspect velouté, aérien, grâce à une technique basée sur celle de la fresque ; les structures sont recouvertes de plusieurs couches de mélange de pigments poncées successivement, pour obtenir une surface poudreuse… Une impression d’harmonie et de sensualité se dégage de la simplicité formelle de cette installation. » Bon, bref, je ne sais où trouver la description de ce tableau.

Poursuivons ! « La vasque de verre de Lucialo Fabro (Iconografia Gandhi, 1975) rend hommage à des hommes ayant sacrifié leur vie pour leur cause. Le soin que l’œuvre réclame (l’eau doit toujours rester au même niveau) prend dès lors valeur de rituel, perpétuant la mémoire du grand homme, dont le nom est gravé sur le cylindre de verre. » Quel hommage : c’est une œuvre parce que la chaleur laisse évaporer l’eau !

Nous nous arrêterons sur cette description : « L’atmosphère est au recueillement dans cette salle que rassemble des œuvres autour de la thématique de l’absence et de la mort. L’italienne Vanessa Beecroft est essentiellement connue pour ses performances exposant, le temps d’une soirée ou d’un vernissage, des corps humains archétypiques, présentés dans une mise en scène  aseptisée et artificielle. Ici toutefois, il ne s’agit pas d’un corps parfait, mais d’un corps meurtri. La fascination pour la beauté que Beecroft exploite d’habitude se mêle à une fascination pour le morbide. » Il s’agit d’une femme nue, offerte, mais couverte de plaies, effectivement morbide. Non, ce n’est pas elle, mais qui est-ce ? J’aurai dû noter chacune des œuvres !

Et plus on avance vers la sortie, plus les thèmes et leurs commentaires semblent dissociés. On se demande de quoi l’on parle ! Peut-on parler d’œuvres absconses ou de commentaires sur-élogieux ?    

Oui, il s’agit bien d’artefact et non d’art de facto !

27/12/2012

La musique religieuse chinoise

Cette note est la suite de celle du 17 octobre 2011, intitulée "La musique Extrême-orientale" que vous pouvez consulter en cliquant ici : http://regardssurunevissansfin.hautetfort.com/archive/201...

"Si une note se produit, c'est dans le cœur humain qu'elle a pris naissance. Si le cœur humain est ému, c'est par l'action des objets. Sous l'impression des objets, il s'émeut, et son émotion se manifeste par des sons. Les sons se répondent entre eux, ainsi, ils se différencient. C'est lorsqu'ils présentent des différences qu'ils prennent le nom des notes."

 Ainsi commence le Yüeh Chi, partie du Li Chi ou Mémorial des rites, qui expose la doctrine officielle de la Chine sur la musique. Rédigé au 1° siècle avant notre ère, son existence est beaucoup plus ancienne.

Selon le Yüeh Chi:

·         La musique est la langue naturelle des sentiments. Ceux-ci expriment la relation de la conscience avec l'univers, du sujet avec l'objet, du moi avec le non-moi. Le son est le signe de cette relation. Le son ne devient musique que lorsqu'il succède à plusieurs sons. Ils expriment alors l'émotion, les états mouvants du cœur.

·         La musique agit sur les sentiments. Il y a une musique qui inspire la vertu, une autre qui corrompt les mœurs. Comme dans la Grèce antique, les chinois estiment que la musique fait partie de la morale.

·         Le fondement de la musique est l'harmonie de toute la nature. Intimement liée aux rites dont elle est inséparable, l'harmonie embrasse le ciel et la terre, exprimant les relations du Ying et du Yang. La musique est associée au ciel, à la lumière, au principe mâle, au Yang; les rites à la terre, à l'obscurité, au principe femelle, au Yin.

"La musique recherche l'harmonie. Elle est associée aux plus hautes valeurs spirituelles: elle est du domaine du ciel. Les rites tendent à percevoir les différences, ils sont du domaine de la terre. C'est pourquoi les sages ont composé de la musique pour qu'elle puisse correspondre au Ciel et qu'ils ont institué les rites, pour qu'ils correspondent à la terre. Ainsi, quand les rites et la musique se manifestent en toute perfection, le ciel et la terre sont en parfait accord."

·         La musique n'est pas faite pour exalter les passions, mais pour les modérer. Ce qui importe, c'est la pensée qu'elle exprime et non la sensation qu'elle donne. Par la musique, l'humanité se rapproche de la sagesse.

·         Les cinq notes de la gamme pentatonique s'intègrent aux cinq éléments (terre, métal, bois, feu et eau), aux cinq directions de l'espace (centre, ouest, est, nord et sud), aux cinq planètes (Mercure, Saturne, Jupiter, Mars et Vénus) et aux cinq couleurs (jaune, blanc, bleu, rouge, noir).

Et pour illustrer cela, voici les chants de la prière du matin au temple bouddhiste de Hong Fa, à Shen Zhen :

http://www.youtube.com/watch?v=EoUrB9A5ups

26/12/2012

Train de nuit

Défilent les boutons blancs ou jaunes
Derrière la chevelure de Madame
Elle baille discrètement, souriante
Elle semble s’excuser du regard
Et la voiture file dans le noir
Partie dans l’ouate du voyage
Elle échappe à la raison pure
Pour errer avec sollicitude et patience
Sur les vapeurs de rêve entrecroisées
Des nantis d’un billet désiré
Dehors les autres, ceux qui nient
La nécessité de disposer d’un papier
Pour s’enfuir dans l’éther dilué
Et le maître des lieux, casqué
Demande à chacun son obole
Le sésame érodé tel un talisman
Le crayon sur l’oreille grasse
Il pérore avec la voyageuse
Qui ignore sa langue vivante
Et pépie des caquètements
Pour signifier sa colère montante
Je tends mon autographe signé
D’un quelconque bureaucrate
Il me sourit, patient et distrait
Le poinçonne avec application
Puis poursuit sa course dévoreuse
D’autres trous à perforer, toujours plus
Je me love dans un angle
Fermant les yeux sur le lac
Noir et morne de la vitre
Jusqu’à ce qu’enfin
Le sommeil vienne
Etouffé et boutonneux
Pour revigorer ce corps sans vie

25/12/2012

Vivre la nativité

Dans sa sagesse, chaque année, l’Eglise nous offre de vivre  et de revivre l’expérience chrétienne.

Car c’est bien à une expérience qu’elle nous invite au-delà de la vision théologique. Chaque année, l’Eglise m’invite à la conversion dans le temps de l’Avent ; chaque année, l’Eglise m’invite à vivre la naissance du Christ en moi ; chaque année, l’Eglise m’invite à mourir à moi-même comme le Christ le fit lors de sa passion ; et chaque année, l’Eglise m’invite à participer à la gloire du Père dans la lumière de la Pâque. Chaque année de ma vie, je suis invité à approfondir ce cycle merveilleux de l’expérience chrétienne. Lié au cycle naturel des saisons, il se déroule en spirale, à l’égal de ma vie humaine, avec ses élans et ses chutes, avec sa puissance et ma pauvreté, avec la distance toujours vécue qu’il y a entre l’expérience de la vie divine en nous et l’expérience de notre pesanteur à la faire perdurer en nous.

La liturgie du temps de Noël nous convie à méditer les trois aspects du mystère de l’Incarnation. D’abord la naissance éternelle du Verbe qui reçoit éternellement la nature divine du Père. C’est à ce titre qu’est lu dans la messe du jour de Noël le prologue de l’évangile de Saint Jean : Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Par lui, tout s’est fait...  Ensuite, la naissance temporelle du Verbe dans l’histoire des hommes : et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous... Enfin, la naissance spirituelle du Verbe en chacun de nous pour donner vie à l’Eglise, corps mystique du Christ : tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son nom, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

24/12/2012

Musique religieuse chinoise

http://www.youtube.com/watch?v=zuvGyqCkwDM&NR=1&feature=endscreen

 

Où est-ce ? Peut-être en Chine. Pékin, Shanghai ? La cérémonie est probablement bouddhiste, reconstituée sur la scène d’un théâtre. C’est beau, c’est évidemment très médiatique ou théâtral, avec effets de sons, de lumières, de mouvements et bien sûr un présentateur à l’occidental. Mais derrière toutes ces apparences, il y a quelque chose qui dépasse la simple représentation : le mystère des traditions religieuses. Et derrière la tradition primordiale qui concerne le fond même de la religion (En qui croyons-nous et quel est notre Dieu ?) on trouve la musique, qui, comme la forme de la liturgie, permet d’accéder à l’au-delà des apparences. Et l’on s’étonne ! On pourrait se croire dans un monastère chrétien. C’est parfois assez proche du chant ambrosien ou du chant vieux romain, voire du chant grégorien. N’est-il pas étonnant que deux civilisations que rien ne rapproche, s’éveillent à l’invisible et à l’inaudible par les sons. La même expérience du « numineux », la même quête d’un monde absolument autre (R. Otto, Le sacré, Paris, 1929, p.22).

Voir en 52. Liturgie, la note du 29 décembre 2010, intitulée « Réflexions sur la musique sacrée ».

Cependant, même si les similitudes sont réelles, la forme et l’expression du chant sont fondamentalement différentes.

La forme est modale et pentatonique, ce qui signifie que la gamme sur une octave ne comprend que cinq notes et non sept comme notre gamme tempérée. Et cette gamme peut former des modes d’une étendue plus large que l'octave et comportant des fondamentales et dominantes très variées.

Voir en 42. Théorie de la musique, la note du 17 octobre 2011, intitulée « La musique extrême-orientale ».

On peut également noter que le chant lui-même est assez différent du chant occidental dans sa manière de le produire. Les modulations sont le plus souvent nasales, les sons sortent de la gorge en utilisent assez peu la caisse de résonance du conduit vocal.

 

Nous analyserons dans les jours qui viennent  toute cette musique d'Extrême-Orient. Pour l'instant emplissons-nous de ces chants qui réjouissent l'âme, malgré leur monotonie.

23/12/2012

L'odeur personnelle

Chaque humain, homme ou femme, possède une odeur personnelle. Je ne parle pas des odeurs que d’autres produits, touchés ou projetés, laissent sur la peau, tels le savon, les liquides de vaisselle ou même les parfums. Non, il s’agit de cette odeur indéfinissable qui irise chaque personne et qu’elle cache sans s’en rendre compte, dans ses recoins, ses plis, ses cheveux et j’en passe. Vous ne la percevez pas, même lorsque vous êtes près de cette personne. Mais si déjà vous lui faites un baiser, vous la discernez, infinie et légère. Et si vous épanchez encore plus, si vous l’embrassez réellement, alors vous entrez dans son intimité et faites connaissance avec son odeur. Désormais, vous la reconnaîtrez à son odeur et plus seulement à sa vue. Et si bien sûr vous l’aimez, cette odeur restera pour vous ce lieu de repos et de bien-être qui vous berce tout au long de la vie. Vous vous en enivrez, bien au-delà de la vue et du toucher.

 Peut-être est-ce pour cela que depuis une trentaine d’années, et même plus, les gens ont pris l’habitude de s’embrasser au lieu de se tendre la main : les hommes embrassent les femmes, les femmes embrassent les hommes et les femmes. Auparavant, à certaines heures de la journée et selon les lieux, les hommes baisaient la main des femmes et, parfois, arrivaient à percevoir leurs phéronomes. Désormais, ils sont conviés à faire mieux, sous des prétextes de camaraderie ou d’amitié ou parce qu’ils ont le même âge. En est-il de même pour les femmes ? Elles embrassent des personnes des deux sexes. C’est sans doute parce que les femmes se lient d’amitié plus facilement que les hommes. Les amitiés de jeunes filles se marquent également d’une autre manière que les amitiés masculines.

L’odeur, plus encore que le toucher, vous fait entrer dans le monde intime de la personne. Vous ne formez plus qu’un, seuls dans votre bulle commune, ne voyant le monde qu’au travers de cette membrane déformante de l’amour ou de l'amitié. Et vous y êtes bien.

Mais est-ce seulement réservé aux êtres vivants (l’on connaît bien sûr l’importance des odeurs pour les animaux) ? Chaque maison a également une odeur. Lorsque vous entrez, vous la respirez sans vous en rendre compte. Mais elle est là. Lors d’un déménagement, il faut du temps pour que votre maison dégage l’odeur de la famille. Ce n’est que lorsque vous croyez ne rien sentir des effluves antérieurs que votre maison a pris votre exhalaison.

22/12/2012

Inondation

Les eaux dans la nuit noire
Avancent à grandes enjambées
Elles fuient, par peur ou découragement
Elles s’évadent vers les lointains paysages
Où plus rien ne limitera l’horizon
Et si vous tentez de les retenir
Vous êtes emmenés avec elles
Fondus en elles, tourbillonnant paisiblement

Les eaux dans la nuit noire
Que vous préférez regarder
Sur la rive droite et fière
Ce passage furieux d’écume
Jaune, stupide de bonne volonté
S’engouffrant sans vergogne
Entre les piliers des ouvrages
Aspirant avec plus de netteté
A une course sans fin ni souvenirs

Les eaux dans la nuit noire
Dévalent dans mon cœur
Y laissant la marque profonde
D’un coup de couteau
Saigne petit ! Dégaine tes indolences
Ouvre tes yeux à l’aspiration
Et laisse-toi aller vers le sans fond
Là où plus rien ne peut t’atteindre

Les eaux dans la nuit noire…
Comme un commencement d’éternité

21/12/2012

Jusqu'où vont-ils !

politique,écologie,eau,continuité écologique

(Horizon Mayenne, le journal du Conseil général de décembre 2012)

 

Que cherchent à nous faire croire les politiques ? Ils sont prêts à tout récupérer et à transformer en choix politique les conséquences de leurs erreurs.

Si vous lisez cet article qu’un journaliste ignorant du passé récent a écrit, vous avez l’impression que le recul des haies date de 1995. Et on nous explique quelles en sont les raisons : diminution de l’élevage, développement des surfaces cultivées (on a simplement remplacé les prés par des terres agricoles), coût d’entretien, etc. Ce que l’auteur de l’article oublie de dire, car on s’est bien gardé de le lui dire, c’est que la diminution des haies date d’abord et avant tout de la politique de remembrement que l’Etat a imposé, contre le gré de nombreux propriétaires, à partir des années 1960. C’était l’époque de l’idéologie de la rationalisation et de l’industrialisation de l’agriculture. Plus une haie, des champs à perte de vue, sans arbre, la Beauce pour toute la France, sans distinction de lieux géographiques, géologiques, géoculturels !

Et, tenez-vous bien, nos politiques refont la même erreur, sans comprendre la leçon durement apprise : il s’agit maintenant de détruire tous les barrages et ouvrages sur l’ensemble des cours d’eau non domaniaux. Propriétaires et usagers des cours d’eau ont beau tenter de s’y opposer, le rouleau compresseur de l’administration passe de la même manière qu’il est passé il y a cinquante ans avec le remembrement. Tout cela au nom d’une idéologie écologique inventée par les gens des villes qui n’ont pas d’expérience des campagnes. Et le coût est bien sûr salé, et même très salé ; mais il reste caché. Très probablement plusieurs milliards d'euros, vu le coût de plusieurs millions d'euros pour un seul bassin. Mais peu leur importe, ils vous disent qu’ils sauvent nos campagnes d’une eau de mauvaise qualité. Ils n’ont pas étudié suffisamment les conséquences de leur politique délirante. Peu importe, l’idéologie est là et exige, envers et contre tous.

Alors que nos politiques fassent preuve d’un peu d’humilité plutôt que de se vanter en permanence des millions qu’ils font dépenser aux finances publiques.

20/12/2012

Du domaine des murmures, roman de Carole Martinez

« On gagne le château des Murmures par le nord. Il faut connaître le pays pour s’engager dans le chemin qui perce la forêt épaisse depuis le pré de la Dame Verte. (…) Nous passons l’énorme huis de chêne et de fer, aujourd’hui disparu, et foulons l’herbe haute du parc en friche qui s’étend devant la façade nord du château. (…) La forteresse entière vacille sous nos yeux. Car ce château n’est pas seulement de pierres blanches entassées sagement les unes sur les autres, ni même de mots écrits quelque part en un livre, ou de feuilles volantes disséminées de–ci de-là (…) Non, ce lieu est tissé de murmures, de filets de voix entrelacées et si vieilles qu’il faut tendre l’oreille pour les percevoir. De mots jamais inscrits, mais noués les uns aux autres et voir qui s’étirent en un chuintement doux. »

Prologue du livre, il en donne le ton : un voyage au XIIème siècle dans un monde de folie, hanté par l’urgence de la vie courte et le fait de Dieu qui domine les vies et les prend dès leur naissance. La première page poursuit :

« Je suis l’ombre qui cause. Je suis celle qui s’est volontairement clôturée pour tenter d’exister. Je suis la vierge des Murmures. A toi qui peux entendre, je veux parler la première, dire mon siècle, dire mes rêves, dire l’espoir des emmurées.

En cet an 1187, Esclarmonde, Damoiselle des Murmures, prend le party de vivre en recluse à Hautepierre, enfermée jusqu’à sa mort dans la petite cellule scellée aménagée pour elle par le père contre les murs de la Chapelle qu’il a bâtie sur ses terres en l’honneur de sainte Agnès, morte en martyre à treize ans de n’avoir pas accepté d’autres époux que le Christ.

(…) Je suis Esclarmonde, la sacrifiée, la colombe, la chair offerte à Dieu, sa part. J’étais belle, tu n’imagines pas, aussi belle qu’une fille peut l’être à quinze ans, si belle et si fine que mon père, ne se lassant pas de me contempler, ne parvenait pas à se décider à me céder à un autre. (…) Mais les seigneurs voisins guettaient leur proie. J’étais l’unique fille et j’aurais belle dot. »

Mais elle dit non devant l’ensemble des invités de la noce et se coupe l’oreille pour montrer sa détermination.

Avant de se laisser enfermer, elle se fait violer et se retrouve enceinte dans son réduit. Elle met au monde un garçon, Elzéar. Elle est recluse, mais en fait elle vit ce siècle avec toute la puissance de son imagination et la vigueur de la réalité.

Etait-elle sainte ou était-elle une fille perdue malgré elle ? A vous de juger, de marcher sur ce fil où l’on tombe d’un côté ou de l’autre en un rien de temps, sur une impression, un murmure qui fait pencher la balance.

Un siècle où également on passe du réel aux contes :

« Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduite les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l’oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n’imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours ans avoir pourquoi. »

Un livre lent, méditatif, et, dans le même temps, violent, hurlant les conventions, la mort et, enfin, le mystère de la vie. A lire, mais surtout à relire, car c’est en le relisant, par bribes, que l’on y prend goût. On le ferme en rêvant d’un monde où l’on n’aurait probablement pas aimé vivre. Mais l’imagination permet d’oser ce que l’on ne ferait probablement pas dans la réalité.

19/12/2012

Mouvement et repos

L’hélice, au centre, tourne de toute sa vigueur, s’échauffant elle-même. Mais les frottements étouffent ce feu et le conduit immuablement vers le froid de la mort symbolisée par les croix. Le passage est progressif, presqu’invisible. Seule la couleur change et laisse apparaître derrière le monobloc l’imperceptible modification de l’être.

 

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18/12/2012

Le cercle

Sa ligne est frontière
Fermé sur lui-même
Il s’impose sur les angles
Et même sur le vide
Il est plein, vertueux
Il sourit à sa plénitude
Dans son encombrante forme
Ce n’est pourtant qu’un trait
Sur l’espace ouvert
Mais il se ferme rondement
Pressé de se retrouver
S’avalant lui-même
Jusqu’à satiété
Qu’enferme-t-il ainsi
Dans ce corps épais ?
Le rêve d’un monde clos
Où l’on s’endort finement
Dans le sommeil du juste
Pour ne plus ouvrir les yeux
A l’immensité du ciel
Toi, perdu dans sa magie
Que deviens-tu, aveugle ?
Il faut deux yeux pour voir la magnificence
D’un cercle parfait
Si bien tourné qu’il donne le vertige
Comment descendre de cette lune
Enfermé dans l’espace
Et retrouver la feuille
Blanche et nette
Où l’imagination conduit la main ?

Le cercle, c’est la promesse
D’un avenir plein, sans surprise
Un monde fini
Le palpable derrière le trait

17/12/2012

Le mystère de la matière noire (Arte-TV)

http://videos.arte.tv/fr/videos/le-mystere-de-la-matiere-noire--7112260.html

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Une matière inconnue occupe 95% de l’univers et elle est invisible. Est-ce de la matière ou autre chose ? Personne ne le sait. On sait ce qu’elle n’est pas, mais on ne sait pas ce qu’elle est. Tous les scientifiques se penchent sur le problème sans pour l’instant avoir trouvé la solution. Ils le tentent par tous les moyens : l’astronomie, les radiotélescopes, l’infiniment petit, sous terre avec le LHC. Rien pour l’instant.

Mieux même, derrière la matière noire se cache l’énergie noire (ou sombre), détectée par le fait que l’univers accélère son expansion. L’espace se reproduit de plus en plus vite et cet agrandissement s’oppose à la gravitation.

Quelle ignorance ! Les atomes ne représentent que 5% de l’univers. La matière noire, inconnue, en représente 23%. L’énergie noire 72%. Et on en sait encore moins sur celle-ci que sur la matière noire. Mais dans le même temps, quel savoir ! Il existe quelque chose dont on ne sait rien, mais on sait, indirectement, qu’elle existe.

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Quelle exaltation ! Nous aurons toujours quelque chose à découvrir. C’est bien le propre de l’homme, cette curiosité insatiable qui le pousse encore et toujours à aller au-delà de ce qu’il connaît. Qui, il y a encore cinquante ans, aurait pu soupçonner que l’ignorance de l’homme était aussi grande. On pensait, en auscultant l’idée du big-bang, arriver à savoir d’où nous venons et où nous allons, et l’on se trouve devant un puit sans fond qui attire les étoiles et les galaxies toujours plus loin.

Jusqu’où « Dieu » va-t-il nous entraîner ?

16/12/2012

La délicatesse, roman de David Foenkinos (Gallimard, 2009)

Ce n’est pas un roman de haute tenue intellectuelle, mais, ne serait-ce que par son titre, il se laisse facilement lire et s'émaille de quelques bons mots.

Nathalie était plutôt discrète (une sorte de féminité suisse). Elle avait traversé l’adolescenceroman,littérature,société sans heurt, respectant les passages piétons. Elle aimait rire, elle aimait lire. Elle rencontre François dans la rue et ce fut comme dans un roman. Un soir, il construit un puzzle devant elle. Elle y lit : « Veux-tu devenir ma femme ? »

C’est l’amour parfait. Mais François se fait écrasé en courant dans la rue. Errance de l’esprit et du cœur, pendant plusieurs mois avant de reprendre le travail.

Son patron, Charles est amoureux d’elle, mais elle ne le supporte qu'en tant que patron. Markus, un suédois engagé par la société, entre dans sa vie par la petite porte, sans effraction, imperceptiblement. Il était doté d’un physique plutôt désagréable, mais on ne pouvait pas dire non plus qu’il était laid. Il avait toujours une façon de s’habiller un peu particulière : on ne savait pas s’il avait récupéré ses affaires chez son grand-père, à Emmaüs, ou dans une friperie à la mode. (…) Elle décida alors de marcher vers lui, de marcher lentement, vraiment lentement. On aurait presque eu le temps de lire un roman pendant cette avancée. Elle ne semblait pas vouloir s’arrêter, si bien qu’elle se retrouva tout près du visage de Markus, si proche que leurs nez se touchèrent. Le Suédois ne respirait plus. Que lui voulait-elle ? Il n’eut pas le temps de formuler plus longuement cette question dans sa tête, car elle se mit à l’embrasser vigoureusement. Un  long baiser intense, de cette intensité adolescente.

Malgré ce baiser, c’est un lent apprivoisement qu’ils devront faire tous les deux, l’un envers l’autre, avant de se découvrir. L’insolite est la délicatesse de ces rencontres, l’étonnement de Nathalie devant la maladresse de Markus. Il est hésitant, gauche, mais délicat. Et cette délicatesse devient pour lui un atout. Progressivement Nathalie se laisse enfermer dans ce charme discret.  Elle comprenait qu’elle avait voulu cela plus que tout, retrouver les hommes par un homme qui ne soit pas forcément un habitué des femmes. Qu’ils redécouvrent ensemble le mode d’emploi de la tendresse. Il y a avait quelque chose de très reposant dans l’idée d’être avec lui. (…) Elle savait juste que c’était le moment, et que dans ces situations, c’est toujours le corps qui décide. Il était sur elle maintenant. Elle s’agrippait.

Seule la délicatesse sauve le livre, naïf et même banal. Mais il est plus que sauvé, il est délicat comme peut l’être un amour incongru. Et ils se sentaient bien...

15/12/2012

Le li

Pour Zhu-Xi (1130-1200), adepte du néo-confucianisme, toute chose, donc l’homme également, est formée d’un principe ordonnateur, le li, et de la force vitale, le qi. L’apparence extérieure est définie par le qi. Le li détermine le caractère, la nature, l’être de la chose, des événements ou de la personne. Le qi façonne l’être tandis que le li détermine sa véritable nature. C'est un peu l'opposition entre le moi et le soi des hindous. Ce principe ordonnateur préexiste au monde et à tous les objets qu'il renferme.

La masse d’eau de l’océan symbolise bien ces deux concepts qui se côtoient en chacun d’entre nous. Sa surface met en évidence sa force, mais ses profondeurs restent inchangées quoi qu’il arrive et détermine sa véritable nature.

Une gravure conçue il y a longtemps, mais qui reste d’actualité.

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14/12/2012

Les lis naissants, de François Couperin

http://www.youtube.com/watch?v=eu2qfGmaN74&feature=related

 

Vous vous promenez au printemps dans la campagne, au bord d’une rivière et vous vous laissez bercer par l’écoulement de l’eau sur les pierres. Rien ne trouble ce repos. Le temps s’est arrêté et pourtant l’égrenage de la musique vous poursuit et fait fuir toute pensée.  Quatre notes en variation dont la seconde comporte un mordant. Rien que cela ou presque. Et vous êtes enchantés, au septième ciel. Vous planez au-dessus des humains dans votre sphère sans pensée, j’allais dire sans bruit et sans musique.

Une vraie leçon de composition de part sa simplicité mélodique et harmonique, sans qu’aucun effet de changement de rythme ou de sonorité ne cherche à séduire l’auditeur.

Cinq heures, je peux maintenant aller me coucher… dans les nuages…

13/12/2012

Le mouvement

Synthèse de l’espace et du temps,
Ainsi naît le mouvement
Les deux concepts sont inséparables
Sans eux le mouvement est mort-né
La pensée est elle-même mouvement
Méditer : apprivoiser la pensée

Elle avait vingt ans et le geste sûr
Elle parlait avec ses mains
Et celles-ci étaient sa nature même
Une courbe dans l’espace
Tracée avec la lenteur qui convient
Reconstituait sa pensée et lui donnait vie

Le premier mouvement est le bon mouvement
De la pensée au geste, sans intermédiaire
Jusqu’où cela peut conduire ?
Ainsi naissent les révolutions
Dans la griserie d’un avenir bouleversé
Ça bouge, ça bouge… Quelle opportunité !

Mais qu’est-ce qu’un mouvement ?
Le repos n’est qu’un mouvement déguisé
Il cache son agitation derrière le visible
Mais le cœur bat dans la poitrine
Et l’esprit rêve à l’infini
Même la mort est lente décomposition
Et entretient le mouvement universel

Dieu est-il sans mouvement ?
Son royaume est mouvement du cœur
Elan vital vers… Irradiation…
Et ce tremblement léger de l’amour
Atteint chaque être de l’intérieur
Pour le transformer en mouvement

Le mouvement s’arrête et tout s’écroule
Ce n’est pas une page noire
Il n’y a plus de page, ni de noir
Rien ! Inimaginable
Et avant le big-bang, qu’y avait-il ?
Quelque chose, quelqu’un ou le néant ?

Mais déjà imaginer le néant
C’est faire le grand saut
Et le saut est lui-même mouvement
Alors le néant n’existe pas
Quelle fiction ! Et pourtant
Comment l’imaginer, le nommer ?
Non, le néant n’est pas
Tout est mouvement

Alors, dansons la vie
A pleines jambes !

12/12/2012

Les deux cages

Ainsi s’intitule ce très bref récit, cette fable ou parabole, de Khalil Gibran, publié dans l’opuscule "Le fou" :

Dans le jardin de mon père, il y a deux cages. Dans l’une, il y a un lion que les esclaves de mon père avaient apporté du désert de Ninive ; dans l’autre, il y a un moineau silencieux.

Chaque jour, à l’aube, le moineau s’adresse ainsi au lion : "Bonjour, frère prisonnier !"

 

A quoi tient donc notre égalité entre les hommes ? Elle n’est due ni à notre corps, qui marque des différences importantes avec ceux de nos voisins, ni à notre intelligence, ni à nos dons multiples. Chaque homme est homme par les différences qu’il a par rapport aux autres hommes. Alors, où est l’égalité ?

Nous sommes tous prisonniers du monde dans lequel nous vivons et chacun fait de cette prison un royaume ou un enfer. Qu’êtes-vous, vous qui dormez dans votre cellule ou qui rugissez entre les barreaux ou encore qui rêvez à ces paysages du dehors, inaccessibles ? Vous êtes le lion, puissant et fier, mais prisonnier.

Et ce moineau, qu’a-t-il de plus ? Il est silencieux, c’est-à-dire qu’il ne parle pas pour ne rien dire. Chaque matin, il apporte sa goutte de rosée à la journée : « Bonjour, frère prisonnier ! » Il est conscient de ce qu’il vit, de cette prison imposée à lui-même. Mais il la dépasse par cette adresse à son frère. Et cette adresse est un rayon de soleil pour tous : que le jour soit bon malgré notre prison. Nous sommes frères devant la vie et nous serons frères devant la mort. Puis, plus de prison.

11/12/2012

Le credo du créateur (Paul Klee, Théorie de l’art moderne, Editions Gauthier, 1968)

« L’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible ».

C’est ainsi que Paul Klee pose son postulat, et il explique : « Tout devenir repose sur le mouvement. (…) L’œuvre d’art naît du mouvement, elle est elle-même mouvement fixé et se perçoit dans le mouvement (muscle des yeux) ».

En cela, il s’intéresse à la construction du tableau qui se fait dans le temps et l’espace, pièce par pièce comme il le dit. Mais le spectateur fait trop souvent le tour de l’œuvre instantanément. Et il rate l’œuvre, car le mouvement est donné préalablement à tout. « La paix sur la terre est un arrêt accidentel du mouvement de la matière. Tenir cette fixation pour une réalité première, une illusion. » 

Pour cela, le peintre moderne utilise le graphisme : « Plus pur est le travail graphique, c’est-à-dire plus d’importance est donnée aux assises formelles d’une représentation graphique, et plus s’amoindrit l’appareil propre à la représentation réaliste des apparences. »

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C’est donc tout ce travail d’abord imaginaire, puis gestuel, qui produit l’œuvre d’art. La difficulté est de le mener de bout en bout, dans l’harmonie du mouvement. Seul l’équilibre du mouvement permet l’obtention du repos. C’est ce que Paul Klee appelle la « polyphonie plastique ».

La peinture est avant tout manuelle. La pensée conçoit, mais seule la main, le corps, créent. En musique, la création s’effectue en deux temps, un temps de mise au monde, travail de composition qui se transcrit par l’écriture de la partition, et un temps de manifestation par l’interprète qui anime la musique et la fait connaître. Pour le peintre, ce travail s’effectue en une seule fois et le spectateur doit en reconstituer les étapes.

Comprendre un tableau, c’est aller au-delà de la première impression et comprendre pourquoi et comment il fut peint ainsi. Ainsi le tableau rend visible sa beauté et par là la beauté du monde, car, comme le dit encore Klee, l’art est à l’image de la création, c’est un symbole tout comme le monde terrestre est un symbole du cosmos.

10/12/2012

Sophie Taeuber-Arp, peintre

Sophie Taeuber-Arp portrait dada.jpg

Sophie Taeuber était danseuse et belle. Elle abandonna la danse pour les arts plastiques, devint professeur à l’école des Arts et Métiers de Zurich, s’exprimant en surfaces colorés, parfois à la manière de Delaunay.

 

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Sophie Taeuber-Arp Tête dada.jpg

Pendant un temps, elle s’attacha au mouvement dada où elle rencontre son mari, le peintre et sculpteur Arp : Tête dada, 1918.

 

 

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Mais elle était en avance sur son temps, novatrice et initiatrice de nouvelles tendances, telles ces pastilles de couleurs que Damien Hirst continue de reproduire inlassablement :

 

 

Elle s’introduit dans l’art cinétique avec ces tableaux l’un « Intervalles » et l’autre « Schematic Composition » :

Sophie Taeuber-Arp cinétique.jpgSophie Taeuber-Arp Intervalles.jpg

 

 

 

 

  

 

 

Elle utilise aussi le dessin, apparemment simple, tel ces courbes très féminines et pleines de chaleur :

sophie_taeuber-arp_mouvements_de_lignes_1939.jpgsophie-taeuber-arp-painting-1940.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Elle meurt prématurément en 1943, asphyxiée par un poêle. Elle aimait les formes pures, les lignes ondoyantes, les courbes, les rectangles et entretenaient avec eux des rapports simples qui font d’elle la poétesse du géométrisme.

09/12/2012

La vie, c’est le mouvement

Flottements de mouvements perpétuels
Quel étrange monde que la ville
Bruits en collision permanente
Sursaut et atonie vous frôle les sens
Seul le geste reste placide
Et flotte dans l’air froid de l’automne
Le piétinement des passants
Immense charge journalière
Vers la dévoration bureautique
Dans les rires dépersonnalisés des uns
Et les grognements d’autres délaissés
Ces inconnus vous passent à travers le corps
Sans même vous toucher, insistants
Légers, parfois cependant caressants
Fin du jour, entrée dans la nuit
Nausée de paroles et d’ignorance
Chercher refuge dans sa boîte

Havre de paix…
                       Ouf, j’y suis
Cerclé de ces révolutions fugaces
Vous laissez tomber votre masque
Le noir, l’absence, le non-être

Vite,
         remettre sa peau civilisée
Ouvrir son monde à l'univers médiatique
Pouvoir à nouveau respirer
L’odeur de cette agitation
De ces rumeurs, de ces affrontements
Et se dire : « Aujourd’hui encore,
Je vis ! »

08/12/2012

Le démon et mademoiselle Prym, récit de Paulo Coelho

Le bien et le mal, éternels opposés, mais toujours tellement proches l’un de l’autre en un seul être humain, si bien que le problème permanent de l’homme, n’est pas de se comporter tantôt bien tantôt mal, mais de marcher sur la crête incertaine qui les sépare, sans jamais tomber d’un côté ou de l’autre.

Quelle idiotie, me direz-vous. Certes, je ne parle pas du bien à la manière de saint François d’Assise ou du mal à la manière d’Hitler (sans doute parce quelittérature,spiritualité,religion,philosophie,bien et mal j’ai encore en souvenir le livre d’Eric-Emmanuel Schmitt). Je parle des petits biens et des petits maux qui sont à notre portée. Ils sont si opposés et si proches en même temps. On croît faire le bien, mais le résultat ou les conséquences deviennent des maux, et inversement. De plus, la frontière n’est jamais visible. Elle se faufile comme une ficelle tombée par terre, tantôt à gauche vers le mal, tantôt à droite, vers le bien. Et elle bouge. Alors cette instabilité est décourageante. Comme l’équilibriste sur son fil, il faut regarder au loin, et ne jamais baisser les yeux, sinon le vertige vous prend et vous conduit d’un côté ou de l’autre.

C’est l’histoire de Mademoiselle Prym, Chantal, serveuse de bar dans un village perdu et paisible qui, en un jour, ne regarde plus au loin et se laisse entraîner à droite et à gauche selon les circonstances. L’étranger, arrivé la veille, lui montre des lingots d’or qu’il a cachés dans la terre. Pour la séduire, pense-t-elle. Je ne me laisse pas prendre par un piège aussi grossier. Mais… Elle pourrait apprendre à l’aimer. Et l’homme lui dit : « C’est exactement ce que je veux savoir. Si nous vivons au paradis ou en enfer. » Il poursuit : « J’ai découvert que si nous avons le malheur d’être tentés, nous finissons par succomber. Selon les circonstances, tous les êtres humains sont disposés à faire le mal. » Enfin, il propose son marché : « Si au bout de sept jours, quelqu’un dans le village est trouvé mort, cet argent reviendra aux habitants et j’en conclurai que nous sommes tous méchants. Si vous volez ce lingot d’or mais que le village résiste à la tentation, ou vice versa, je conclurai qu’il y a des bons et des méchants, ce qui me pose un sérieux problème, car cela signifie qu’il y a une lutte au plan spirituel et que l’un ou l’autre camp peut l’emporter. (…) Si, finalement, je quitte la ville avec les onze lingots d’or, ce sera la preuve  que tout ce en quoi j’ai voulu croire est un mensonge. Je mourrai avec la réponse que je ne voulais pas recevoir, car la vie me sera plus légère si j’ai raison – et si le monde est voué au mal. »

Et commence les tractations qui font l’objet du livre. Vers quoi Chantal, puis les habitants, vont-ils pencher ? Va-t-elle dire aux autres ce que l’étranger lui a dit ? Va-t-elle prendre au moins un lingot ? Les habitants vont-ils s’entendre pour tuer quelqu’un ?

C’est une fable que nous conte Paulo Coelho qui dévoile en même temps la nature humaine, ni ange, ni démon. Chantal explique : « Moi, je ne sais pas si Dieu est juste. En tout cas, Il n’a pas été très correct avec moi et ce qui a miné mon âme, c’est cette sensation d’impuissance. Je n’arrive pas à être bonne comme je le voudrais, ni méchante comme à mon avis je le devrais. »

07/12/2012

Douze variations en sol majeur pour violon et piano, de Wolfgang Amadeus Mozart

http://www.youtube.com/watch?v=HoGdiwtvt10

 

Une musique fraiche et enfantine, mais si difficile à jouer ! Elle vous enchante l’ouïe et vous détend le corps. Vous êtes baigné d’ondes chaleureuses et vous partez au bord du Danube pour une promenade intemporelle dans un autre siècle, sans souci.

L’interprétation est parfois un peu lourde pour le piano, à tendance appuyée (il n’est pas dit qui interprète), mais les nuances sont brillantes, avec ses ralentissements et glissandos. Ces défauts sont peut-être dus à l’enregistrement, le piano couvre parfois le violon.

Il n'empêche, quelle fraicheur !

06/12/2012

L'art en guerre, exposition au musée d'Art moderne (1ère partie)

Cette exposition rassemble près de 400 œuvres et plus de 100 artistes. Elle montre ce qui restait dans les cartons à l’époque, une peinture qui s’exprime en toute liberté, qui éclate en tendances très variées, qui redéfinit la manière dont le peintre voit la société et le monde. De cette période naîtra l’art brut, le tachisme, l’art informel, l’emploi de matériaux de récupération dont certains proviennent directement des combats.

Comme dans toute exposition, il est impossible d’avoir le coup de cœur pour toutes les œuvres présentées. La visite commence par l’exposition internationale du surréalisme, en janvier 1938. La salamandre pompéienne, de Gérard Vulliamy est particulièrement intéressante, mais je n’en ai pas trouvé de reproduction sur la toile.

Puis, avec l’occupation, de nombreuses œuvres sont présentés : La maternité au lange, d’Edouard Pignon, peinte en 1942, est représentative d’une partie de son art, figurative, alors qu’il s’exprime dans le même temps dans des déchainements de couleurs et de traits de manière presque totalement abstraite. Il dit de lui : « Je suis un mélange d’anarchiste et de conservateur, dans des proportions qui restent à déterminer. »

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La chaise de cuisine, une toile magnifique de couleurs et d’expression, sur un sujet bateau quasiment sans intérêt, de Maurice Estève, montre la richesse des styles de ce peintre qui, finalement, s’oriente vers le non figuratif avec des toiles très colorés, aux tons chauds et vifs. Cette chaise, peinte en 1942, est magnifique d’évocation d’une réalité de tous les jours, à la fois très matérielle, mais qui laisse transparaître une certaine joie ou même un vrai bonheur de vivre, malgré un contexte difficile.

La chaise de cuisine-M Estève.jpg

Un autre coloriste, d’un style bien différent, mais qui a la même verve des couleurs est le peintre et sculpteur allemand Otto Freudlich, ami de Picasso. Qualifié d’artiste dégénéré, il pensait que l’art a le pouvoir de changer l’homme et de créer une société nouvelle. Sa morale cosmique lui permet de transcender la matière et de mettre en évidence cet « espace intermédiaire » qui rend toute chose interdépendante des autres.

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Et, bien sûr Picasso, avec L’aubade, peinte en 1942. Quel étrange concert que cette aubade d’une musicienne à une femme couchée, nue, qui semble apprécier pleinement ce délassement. Tout est mouvement dans ce tableau, si bien qu’on ne sait de quel endroit on regarde et comment se situent les corps dans l’espace. Et pourtant, l’impression de détente est bien là, présente et absente dans la semi-obscurité de la chambre.

L'aubade - Picasso.jpg

05/12/2012

Maison de campagne en hiver

Entrée dans l’eau glacée du vestibule
Pépiement lumineux du noir charbon
Avant que la lumière ne soit faite
Sur la montée d’escalier vertigineuse

Rien ne vient…
                      la congélation verte
Du billard immobilisé sur ses quatre pieds
Le salon rouge comme un poisson
Au-delà le gouffre des casseroles
Qui tintent d’aigreur pétrifiée
Enfin, la porte du néant, jardin olivâtre
Sans poignée…

Retournement de l’être
Les yeux vers le cerveau opaque
Je contemple cette image absconse
Enroulé sur moi-même
Bras et mains en extase
Jambes et pieds cramponnés
Dispersé, le sang se meut en serpent câlin
Qui relie les grains d’être
En étranges colliers d’alignements
Je passe de l’un à l’autre, sans sauter
Guidé par le fil des pensées noires

Plongeon dans l’absence
Saut dans l’irréalité caressante
Qui frissonne dangereusement
Entre les cils entrouverts
Qui ne veulent voir au-delà
De la froidure impalpable
Du crabe aux yeux fixes et glauques

Dieu, pourquoi la vie se pare-t-elle
D’autant de sens pour l’inconnu ?

04/12/2012

La guerre du sens, de Loup Francart

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Préfacé par le professeur Jean-Léon Beauvois, socio-psychologue,  « La guerre du sens » est éditée chez  Economica, dans la collection Stratèges et Stratégie.

Depuis dix ans les nations occidentales sont confrontées à des conflits dans lesquelles le sens de la guerre et la recherche de légitimité par les belligérants entraîne une véritable guerre du sens par médias et opinions interposés. L’art de persuader par le verbe prend le pas sur l’art de l’affrontement physique. La guerre du sens ne peut être évitée. Ne pas vouloir y participer revient à laisser aux autres le soin d’expliquer ce que nous voulons et ce que nous faisons. 

Le général (2S)Loup Francart en décrit les raisons et les modes d’action : communication, persuasion, désinformation, intoxication, propagande. Il en définit les règles pour que la démocratie n’y perde pas son âme. 

 

Le bonheur

Le bonheur, c’est la délivrance de son petit personnage. Non pas une évasion dans un obscur néant, mais l’absence de ces grains de matière qui obscurcissent notre vision. Le moi s’efface pour le soi, universel, hors de l’espace et du temps, lumière qui change le regard.

Certains parleront de la découverte de notre véritable nature, d’autres, de l'irruption du divin. Mais n’est-ce pas tout simplement la rencontre des deux ? Cette rencontre n’a lieu ni hors de soi, ni en soi. Ni hors de soi, sinon en quoi nous concernerait-elle personnellement ? Ni en soi, car le moi n’est plus concerné par cette rencontre.

Je pense souvent à l’eau qui chauffe, puis qui commence à bouillir. Elle devient vapeur, s’élève en volutes dans l’air, semble mourir pour renaître ensuite dans les pluies bienfaisantes. Le bonheur est un changement de nature, l’abandon des lunettes du moi. C’est alors que je suis véritablement présent, un avec la matière, avec l’autre qui devient moi.

Le bonheur est l’abolition de la distance entre le monde et moi par la transformation réciproque de l’un et de l’autre. C’est en cela que « le royaume des cieux n’est pas de ce monde », mais que « En vérité, je vous le dis, le royaume des cieux est au milieu de vous ». Quelle contradiction !

03/12/2012

La part de l’autre, roman d’Eric-Emmanuel Schmitt

Adolf Hitler : recalé.

Adolf H. ; admis.

Cette annonce de l’Académie des beaux-arts change le monde. On oscille entre12-12-03 La part de l'aute, d'E-E Schmitt.jpg un monde réel, dans lequel le personnage d’Hitler se promène avec difficulté jusqu’à son suicide et un monde imaginaire où Hitler devient peintre. Pas le grand peintre qu’il souhaite devenir, mais un artiste acceptable qui finit par reconnaître qu’il n’a pas l’étoffe d’un grand maître et qui survit à cela.

Toutes les deux ou quatre pages, on passe d’un personnage à l’autre, parfois en se demandant duquel il s’agit : Docteur Jekyll ou Mrs Hyde ?

Du nouveau chancelier de l’Allemagne, l’auteur écrit : « Ils ignoraient qu’ils n’avaient pas désigné un homme politique, mais un artiste. C’est-à-dire son exact contraire. Un artiste ne se plie pas à la réalité, il l’invente. C’est parce que l’artiste déteste la réalité que, par dépit, il la crée. D’ordinaire, les artistes n’accèdent pas au pouvoir : ils se sont réalisés avant, se réconciliant avec l’imaginaire et le réel dans leurs œuvres. Hitler, lui, accédait au pouvoir parce qu’il était un artiste raté. »

Du peintre, il imagine, dans un dialogue entre le professeur et un de ses élèves, la lutte de celui qui découvre qu’il n’est pas un grand peintre : « – Une vie, ça ne se fait pas tout seul. Ce n’est pas vous qui la donnez. Ce n’est pas vous qui choisissez vos dons. (…) A quarante ans, vous décidez de faire des enfants et vous décidez de ne plus peindre. En fait, ce que vous désirez, c’est décider. Maîtriser votre vie. La dominer. Fût-ce en étouffant ce qui s’agite en vous et qui vous échappe. Peut-être ce qu’il y a de plus précieux. Voilà, vous avez supprimé la part de l’autre en vous comme à l’extérieur de vous. Et tout ça pour contrôler. Mais contrôler quoi ?  »

Eric-Emmanuel Schmitt se justifie et explique son roman dans son journal : « J’élabore un double portrait antagoniste. Adolf H. cherche à se comprendre tandis que le véritable Hitler s’ignore. Adolf H. reconnaît en lui l’existence de problèmes tandis qu’Hitler les enterre. Adolf H. guérit et s’ouvre aux autres tandis qu’Hitler s’enfonce dans sa névrose en se coupant de tout rapport humain. Adolf H. affronte la réalité tandis qu’Hitler la nie dès qu’elle contrarie ses désirs. Adolf H. apprend l’humilité tandis qu’Hitler devient le Führer, un dieu vivant. Adolf H. s’ouvre au monde ; Hitler le détruit pour le refaire. Non seulement La part de l’autre donne le principe du livre mais ce titre en suggère la dimension éthique : poursuite de l’altérité chez Adolf H., fuite de l’altérité chez Hitler. »

C’est un livre profond, parfois intéressant, mais qui devient lassant pendant sa lecture. Où veut-on en venir ? Cette question vous taraude tout au long des pages et la réponse ne se trouve pas dans le livre, mais dans le journal où l’auteur décrit ses interrogations. Vous êtes frustré lorsque vous fermez ce long roman de 500 pages, vous l’aimez lorsque vous le refouillez et retournez au point de départ. Que ce serait-il passé si l’Académie des beaux-arts en avait décidé autrement ? Adolf H. manque sans doute un peu de personnalité pour devenir la controverse d’un Hitler névrosé, mais sorcier des foules. A l’opposé d’Adolf Hitler, qui craint les femmes, Adolf H. réussit sa vie grâce aux femmes : Onze-heures-trente, sœur Lucie,  Sarah, sa femme, juive.